JA3110 du 2 mars 2022 GF Cameroun

Page 1

MARS 2022

MALI-RUSSIE L’ARMÉE DES OMBRES www.jeuneafrique.com

NO 3110 – MARS 2022

NGOZI OKONJOIWEALA « L’essor de l’Afrique ? Ce n’est pas un mythe »

Édition CAMEROUN

’:HIKLTD=[U\^U^:?n@b@l@a@a"

La CAN, qui a longtemps accaparé les énergies et bouleversé les priorités, est désormais derrière les Camerounais. Et Paul Biya entame la seconde moitié de son mandat. Stabilité et sécurité, réformes, relance, renouvellement générationnel… Les enjeux sont multiples et complexes. Spécial 24 pages

Allemagne 9 € • Belgique 9 € • Canada 12,99 $CAN Espagne 9 € • France 7,90 € • DOM 9 € • Italie 9 € Maroc 50 MAD • Mauritanie 200 MRU • Pays-Bas 9,20 € Portugal 9 € • RD Congo 10 USD • Suisse 15 CHF Tunisie 8 TDN • TOM 1 000 XPF • Zone CFA 4 800 F CFA ISSN 1950-1285

APRÈS LA FÊTE

M 01936 - 3110 - F: 7,90 E - RD

JEUNE AFRIQUE N O 3 1 1 0

DIVERSITÉ Une hypocrisie française


ABIDJAN

13 & 14 JUIN 2022

INSCRIPTION

www.theafricaceoforum.com

CO-HOST

ORGANISER


POUR TOUT COMPRENDRE DE L’ÉVOLUTION D’UN PAYS

GRAND FORMAT CAMEROUN ENJEUX p. 184 | ÉCONOMIE p. 200 | SOCIÉTÉ p. 210

MABOUP

Palais présidentiel d’Etoudi, à Yaoundé.

Après la fête

Si les Lions indomptables n’ont pas remporté la CAN, organisée à domicile, l’événement a été salué comme un succès. Cette page tournée, les réalités politiques et économiques reprennent le pas dans un pays qui reste confronté à de nombreux défis. JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

181


COMMUNIQUÉ

Le Groupe SABC renforce sa vision agro-industrielle avec la création de la Compagnie Fermière Camerounaise

CFC : valoriser le maïs camerounais, promouvoir les agriculteurs locaux et le Made in Cameroun Ce sont 25 milliards de F CFA d’investissements et de fonds de roulement pour la CFC. Un projet ambitieux qui a permis la présence du Premier Ministre chef du Gouvernement Chief Joseph DionNgute,représentantpersonnelduPrésident de la République du Cameroun, le 5 novembre 2021, à l’occasion de l’inauguration solennelle

de son usine de Mbankomo, dans la région du Centre. Le capital social de la CFC : 10 milliards deF CFA estrépartientrelaSABCquidétient95 % et SGMC filiale de SOMDIAAqui détient 5 %.Son cœur de métier réside dans l’agriculture et l’élevage ; avec 2 sites de production d’une surface de 30 ha à Mbankomo (maïserie) et à Mbandjock (aviculture). Dans le domaine de l’Agriculture, CFC disposed’unemaïserieets’approvisionneauprèsde coopératives - gros producteurs privés et unions de producteurs - pour satisfaire ses besoins qui se situent à 30 000 tonnes de gritz de maïs, soit un sourcing de 60 000 tonnes de maïs en grain par an. Ici, sa mission consiste en : ● La transformation du maïs en gritz à destination desusines brassicoles ducentre,dulittoral et de l’ouest du groupe SABC.MAISCAM continue d’approvisionner l’usine de Garoua ; ● La production de la farine à base de maïs pour la consommation humaine ; ● La commercialisation des sous-produits issus de la transformation du maïs pour l’élevage. Dans le domaine de l’Élevage, la CFC dispose d’une ferme parentale qui produira 112 500 œufs à couver/semaine et d’un couvoir capable de produire 90 000 poussins d’un jour par semaine destinés à l’élevage de poulets de chair par des éleveurs camerounais. Une double mission qui s’inscrit dans la stratégie de développement durable et solidaire mise en place, en 2017 au sein du Groupe SABC, par la nouvelle gouvernance et qui a permis de porter la valeur ajoutée locale de ses produits à 70%. Il s’agit pour l’entreprise leader de créer un plus grandimpactsursescommunautésavecuneproduction plus équitable associée à une consommation plus « made in Cameroon » et se rapprocher des 2 grands enseignements du Covid-19 quesontlescircuitscourtsetl’économiecirculaire et la responsabilité sociétale.

JAMG - PHOTOS DR

Le Groupe SABC (SABC – SOCAVER – SEMC – CFC) est au Cameroun le leader agro-industriel de référence et la 1ère entreprise citoyenne. Sa vision est d’être le leader agro industriel régional de référence dans la production et la commercialisation de boissons alimentaires au sein d’une organisation performante, rentable, moderne et citoyenne. Son business model agro-industriel est construit autour de la Société Anonyme des Brasseries du Cameroun (SABC) qui agit comme un « moteur » industriel (8 usines de boissons, 28 chaines de production) et de ses 2 filiales - CFC (Une usine) et SOCAVER (une usine) - qui opèrent comme ses deux « turbos » : i) un turbo packaging/manufacturier avec la Société Camerounaise de Verrerie (SOCAVER), l’expert en emballages ; ii) un turbo agricole avec la Compagnie Fermière Camerounaise (CFC) qui veut devenir l’expert agricole.Avec 5 000 emplois directs, plus de 100 000 emplois indirects et un réseau de 25 000 exploitants agricoles, le Groupe SABC est également le 1er employeur privé, après l’État.

La Compagnie Fermière Camerounaise avec l’expertise de SOMDIAA filiale du Groupe Castel c’est : ➤ 1 maïserie pour la transformation du maïs en

gritz et farine ;

➤ 1 usine de production d’aliments de bétail ;

➤ 1 ferme parentale pour la production d’œufs

à couver ;

➤ 1 couvoir pour la production des poussins d’un

jour.

Emmanuel DETAILLY,DirecteurGénéral duGroupeSABC : « La CFC vient renforcer la vision agro-industrielle du Groupe SABC en s’inscrivant comme le CHAMPION NATIONAL par excellence dans l’intégration amont-aval de la filière agricole au Cameroun dans le cadre de la politique d’import-substitution définie par le Président de la République, son Excellence Paul Biya et reprise dans la Stratégie Nationale de Développement à l’horizon 2030 (SND30). CFC est en définitive, la réponse aux enseignements tirés du Covid-19 qui imposent désormais de réduire notre dépendance envers l’extérieur pour les productions et ressources stratégiques. Elle apporte également une réponse à l’engagement du Groupe Castel de promouvoir les circuits courts, l’économie circulaire et le made in Cameroun pour mieux assumer sa responsabilité sociétale. Un engagement pris en 2017 par le Groupe Castel et réitéré en décembre 2019 par Monsieur Castel en personne devant le Chef de l’État du Cameroun. »

« Depuis plus de 70 ans, chaque produit du Groupe SABC est un engagement au développement du Cameroun ». Groupe SABC - 77, Rue du Prince Bell - BP 4036 Douala Cameroun - 00 237 233 42 91 33 www.lesbrasseriesducameroun.com


GRAND FORMAT CAMEROUN

Édito

Mathieu Olivier

Retour sur le terrain politique

D

apothéose il n’y eut point. Ce 6 février, alors que Paul Biya pénètre dans le stade d’Olembé, la déception est de mise. Sur le terrain, Égyptiens et Sénégalais vont s’affronter pour le gain de la Coupe d’Afrique des nations. Le Cameroun, lui, s’est arrêté en demi-finale, après une séance de tirs au but ratée. Le chef de l’État, qui a fait du sport et du football des outils politiques, ne pourra donc remettre le trophée à ses Lions indomptables. La fête est gâchée, et la séquence politique – pour utiliser le jargon des professionnels de la communication –, inachevée. La politique reprendra-t-elle ses droits plus rapidement, faute d’une liesse populaire telle que celle qui a vu le Sénégal vainqueur entrer « en lévitation », selon les propos d’un confrère de Jeune Afrique? Ces derniers mois, la cote d’un remaniement ministériel « post-CAN » est montée en flèche, et chaque observateur (ou acteur) politique s’est pris au jeu des paris. Le ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi, conservera-t-il son poste, malgré les ratés autour du stade d’Olembé? Son collègue de la Santé, Manaouda Malachié, survivra-t-il au scandale de la gestion des fonds liés au Covid-19?

Quid, encore, du sort du secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, ce proche de Chantal Biya qui règne en partie sur le palais d’Etoudi depuis 2011 ? La CAN, ce nouvel « opium du peuple », n’ayant pas eu l’effet escompté, ces questions sont revenues plus rapidement que prévu sur le devant de la scène et, par conséquent, c’est le sujet de la succession de Paul Biya à la tête de l’État qui mobilise de nouveau toutes les attentions. Dans cette optique, quel visage le Sphinx d’Etoudi souhaite-t-il donner à la fin du septennat actuel ? Le conflit face au séparatisme ambazonien s’est enlisé et endeuille régulièrement les régions anglophones, tandis que Yaoundé se divise entre modérés – autour du Premier ministre Joseph Dion, Ngute notamment – et faucons – dont les chefs de file ne sont autres que Ferdinand Ngoh Ngoh et le

La question de la succession de Paul Biya mobilise toutes les attentions.

ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji. La politique de décentralisation reste largement à mettre en place, malgré les élections régionales de 2020, tandis que la pression s’accentue en faveur d’une réforme majeure du code électoral – revendication principale des partis d’opposition. En d’autres termes, les défis qui se dressaient devant le candidat-président Paul Biya à l’orée de la présidentielle de 2018 restent d’actualité quatre années plus tard.

Sirènes de la déstabilisation

Le chef de l’État y apportera-t-il de nouvelles réponses? Le 10 février, dans un discours adressé à la jeunesse camerounaise, il a annoncé des initiatives en matière d’emploi et d’éducation, détaillant « perspectives d’avenir » et « création de nouvelles universités ». Paul Biya affirmait encore, exhortant ses jeunes compatriotes à rester « sourds aux sirènes de la déstabilisation », que son pays avançait « résolument vers l’atteinte de son émergence à l’horizon 2035 ». Comme en matière de football, cette religion partagée par chaque Camerounais et Camerounaise, la vérité ne pourra toutefois venir que du terrain. JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

183


GRAND FORMAT CAMEROUN

POLITIQUE

Paul Biya, dernier tour de piste avant 2025 ?

Les quarante ans de règne du président ont offert une relative stabilité au pays, mais cette exceptionnelle longévité a un coût : luttes de clans, nombreux soupçons de corruption et système éducatif à la traîne. 184

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022


GRAND FORMAT CAMEROUN

GEORGES DOUGUELI

I

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

CHARLY TRIBALLEAU/AFP

l a suffi d’un tir au but raté pour tout gâcher. La « CAN sucrée » des supporteurs camerounais a viré à l’aigre-doux, tandis que le ballon maladroitement frappé par le Lion indomptable Clinton Njié finissait sa trajectoire dans les tribunes flambant neuves du stade d’Olembé, à Yaoundé. Ainsi le Cameroun venait de perdre en demi-finale la Coupe d’Afrique des nations, organisée sur son propre sol. S’ils l’ont mal pris,

185


GRAND FORMAT CAMEROUN les amateurs du ballon rond n’en ont pas fait de vagues. Fini les rêves de victoire. Fini la trêve politique et l’union sacrée à laquelle même l’opposant radical Maurice Kamto avait souscrit pour, justifiait-il, réserver le meilleur accueil aux étrangers séjournant en terre camerounaise pour la compétition.

« Des têtes doivent tomber »

La CAN s’étant achevée, le temps n’est plus à la fête. Place à celui de la reddition des comptes. Tous les regards sont tournés vers Etoudi, où le président Paul Biya concentre tous les pouvoirs. Celui d’ordonner les enquêtes des contrôleurs d’État, des fins limiers du Tribunal criminel spécial, de la Cour des comptes, de la Commission nationale anticorruption (Conac), de l’Agence nationale d’investigation financière (Anif), et de bien d’autres entités publiques spécialisées dans la lutte contre les détournements de deniers publics et autres infractions similaires. Les multiples reports de la compétition, dus aux retards de livraison des chantiers, les dépassements de budget, l’accumulation de factures impayées aux entreprises ont suscité des soupçons de malversation.

À titre d’exemple, le coût total du complexe Olembé s’élèverait à 187 milliards de F CFA (285 millions d’euros), soit le triple de son coût initial. « Nous attendons des actes forts. D’ailleurs, plus qu’une attente, c’est une exigence. Des têtes doivent tomber », s’impatiente un enseignant de l’université de Yaoundé. Pareillement, on attend une suite politico-judiciaire au scandale dit des fonds Covid. Un document d’une vingtaine de pages daté de mars 2021 a fuité sur les réseaux sociaux le 19 mai. La chambre des comptes y dresse le bilan de l’utilisation du fonds spécial de solidarité nationale créé en 2020. Selon elle, les sociétés Mediline Medical Cameroun (MMC) et Moda Holding Hong Kong (actionnaire de MMC), de Mohamadou Dabo, un homme d’affaires camerounais et consul honoraire de la Corée du Sud, ont bénéficié d’un « quasi-monopole », raflant 90 % des tests achetés pour 95 % des crédits engagés, au détriment de deux autres prestataires locaux ayant pourtant une expérience « avérée » dans la vente de médicaments et de dispositifs médicaux. Opacité dans la passation des marchés, dépassements des budgets

alloués, détournements, surfacturations flagrantes… Les soupçons de malversation sont nombreux, mais personne n’a encore été appelé à en répondre devant la justice. Or le Cameroun est une exoplanète dont le soleil est le palais présidentiel d’Etoudi. Tout se décide dans cet antre suivant une logique qui défie l’entendement des exégètes. Les dénonciations s’amoncellent sur les bureaux des juges. Des personnalités du gouvernement et de la haute administration sont auditionnées, leurs déclarations sont enregistrées, mais la mise en mouvement de l’action publique est conditionnée à l’accord préalable du chef de l’État.

Contre-pied

Parvenu à ce niveau, le pays se perd en conjectures. Ces derniers mois, les chroniqueurs politiques prêtaient à Paul Biya la volonté d’attendre la fin de la CAN avant de « frapper » les mauvais garçons du gouvernement et les hommes de paille du milieu des affaires. Tout comme les détournements des fonds CAN, le « Covidgate » attendait lui aussi la fin de la compétition pour être activé. Le 31 décembre 2021, Paul Biya avait prévenu. « Nous devons

MABOUP

À Yaoundé, le 4 octobre 2019, lors du Grand Dialogue national, censé régler la crise anglophone.

186

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022


COMMUNIQUÉ

UNE BANQUE ENGAGÉE Société Générale Cameroun est un acteur engagé dans le développement de l’économie du pays depuis soixante ans. La banque participe au financement de l’ensemble des secteurs de l’économie camerounaise : infrastructures, énergie, agro-industrie, PME et TPE, agences gouvernementales, entreprises publiques et parapubliques.

Société Générale Cameroun et le groupe Société Générale interviennent dans un nombre de projets structurants du Cameroun : un exemple est le projet de construction de la centrale hydro-électrique de Nachtigal, avec les rôles de conseiller financier ainsi que celui de coordinateur de la tranche locale du financement.

Les besoins en financement des PME ont été adressés à travers la signature, depuis deux ans, de conventions avec des partenaires tels la Banque Européenne d’Investissement (10 Mds XAF) et la PROPARCO, filiale du Groupe AFD (garantie ARIZ pour 15 millions d’euros, garantie EURIZ pour 5 millions d’euros), entre autres.

- 245 000 clients particuliers

UNE ACTION PLURIELLE À IMPACT DURABLE

- Première banque des agents publics avec un portefeuille de 60 000 fonctionnaires.

Au service du Cameroun et des Camerounais, Société Générale Cameroun est un acteur économique incontournable. Les distinctions internationales et nationales que la banque a reçues depuis plusieurs années représentent le fruit des solides performances continues de l’institution.

UNE ATTENTION PARTICULIÈRE AUX PME-PMI Les PME-PMI, les TPE et les Professionnels sont pour Société Générale Cameroun des agents économiques sur lesquels elle porte un grand intérêt. Le groupe Société Générale est en effet à l’origine du programme « Grow with Africa », lancé en 2018, pour une période de 4 ans, à travers lequel, il s’engageait à renforcer son soutien pour le développement durable du continent africain sur quatre axes de financements et services : les infrastructures, l’agriculture et les énergies renouvelables, l’inclusion financière et le soutien aux PME. Société Générale Cameroun a à ce jour réalisé plus de 70 % de son objectif en termes d’encours de crédits sur le marché des PME, malgré le contexte économique et sanitaire. Cette réalisation vient concrétiser l’ouverture en juillet 2019, de LA MAISON DE LA PME, lieu d’accompagnement pluridimensionnel des petites et moyennes entreprises.

SOCIÉTÉ GÉNÉRALE CAMEROUN EN CHIFFRES - Portefeuille de 10 000 clients Entreprises et Institutions dont 7 500 PME-TPE

- Ses réalisations sont de 802 Mds XAF de production de crédit en 2020.

CONTACTS www.societegenerale.cm @SGCameroun @sgcameroun Société Générale Cameroun

Siège de Société Générale au Cameroun

JAMG - PHOTOS DR

D

epuis plusieurs années, Société Générale Cameroun soutient l’État dans la conduite de ses missions. Au cours de la dernière décennie s’est établi un positionnement continu de Société Générale Cameroun comme co-arrangeur des émissions obligataires et autres initiatives publiques. La dernière réalisation étant le rachat de l’Eurobond du Cameroun en juin 2021 avec un succès exceptionnel.


GRAND FORMAT CAMEROUN renforcer la gouvernance dans la gestion de nos finances publiques en luttant contre la corruption et le détournement des deniers publics. Par conséquent, tous ceux qui se rendent coupables de malversations financières ou d’enrichissement illicite en assumeront les conséquences devant les juridictions compétentes. » Cependant, il y a loin de la parole aux actes. Selon ses biographes, le président n’aime rien tant que de prendre l’opinion à contrepied. Pour lui, il n’est de pouvoir qui ne soit discrétionnaire. C’est un chef d’État qui se pose en maître des horloges, seul habilité à décider du tempo des grands moments de la vie politique de son pays, y compris la reddition des comptes. Le président prend son temps alors que les impatients comptent les jours et ne décolèrent pas de voir parader autant de personnages sulfureux à la tête de ministères et de directions générales. Sans remettre en cause la présomption d’innocence, un responsable public ne devrait-il pas être une figure d’exemplarité au-dessus de tout soupçon ? La réponse n’est pas aisée au Cameroun en 2022.

Baronnies

S’agissant de la lutte contre la corruption, l’accumulation des dossiers sur le bureau présidentiel, additionnée à l’inaction de la justice, fait douter de la volonté politique de mener le combat jusqu’au bout. À moins que le président de 89 ans, qui entame la deuxième et dernière partie de son mandat, n’ait décidé qu’il était urgent de ne plus rien faire ? Son régime a laissé prospérer en son sein une demi-dizaine de puissantes et riches baronnies qu’il est compliqué de démanteler sans risquer de déstabiliser le pouvoir. Et dans la perspective de la succession du chef de l’État, ces puissants pôles de pouvoir s’affrontent et se neutralisent. Le fracas des luttes de clans résonne au-delà des cercles de l’élite politico-administrative. Le Premier ministre, Joseph Dion Ngute et le secrétaire général de la présidence (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, se marchent sur les pieds s’agissant de la conduite des affaires

188

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

gouvernementales. La gestion des dossiers CAN et Covid a échappé au chef du gouvernement pour être confiée à une task force logée à la présidence sous l’autorité du SGPR. Dans les faits, le Premier ministre n’a qu’une autorité relative sur les cadors de son équipe, du reste peu assidus aux réunions convoquées à la primature. Pendant ce temps, le président veille à la stabilité et à l’équilibre, arbitre peu ou prou les conflits de compétence sans y apporter de solution durable. Si les remaniements sont traités comme une prise de risque en ce crépuscule de fin de règne, il en est de même s’agissant des réformes constitutionnelles. La décentralisation est une gageure. Alors que les combats opposant l’armée aux séparatistes anglophones ont baissé en intensité, on tarde à voir se matérialiser sur le terrain la réforme accordant un statut spécial à ces deux régions d’expression anglaise. Convoqué en 2019, le Grand Dialogue national avait accouché du principe d’une nouvelle loi sur la décentralisation accordant plus de compétences aux collectivités locales. À l’arrivée, on est très loin de ce que les anglophones espéraient. Selon un avocat contacté par Jeune Afrique, la réforme n’est pas satisfaisante du fait de « la prépondérance des représentants de l’administration centrale » sur les élus locaux. « Les compétences transférées aux

Alors que son septennat arrivera à son terme en 2025, le président gagnerait à stabiliser durablement le Cameroun avant de passer la main. régions, selon l’article 267 du code de la décentralisation, sont essentiellement liées à la promotion des activités économiques et sociales. Les responsables des collectivités ne sont que des interlocuteurs de l’administration, qui, conformément à l’article 76, doivent donner

leur accord préalable à tous les actes pris par les exécutifs locaux. » Les lois n’étant pas gravées dans le marbre, il sera toujours temps d’accorder plus d’autonomie aux régions anglophones pour que leurs élus s’attaquent enfin aux causes profondes de cette crise, qui a causé plus de 3 000 morts.

Pauvreté

En revanche, les attaques terroristes persistent dans l’Extrême-Nord, conséquence en partie de la pauvreté, selon des spécialistes. Les jeunes ruraux se laissent séduire par les prêches de la secte islamiste d’origine nigériane Boko Haram pour échapper à leur condition et à l’absence de perspective. Le gouvernement a promis d’investir massivement afin de réduire la pauvreté. Au rang des priorités, il est recommandé à l’État d’améliorer l’éducation. En effet, bien que le Cameroun semble en bonne voie d’atteindre l’objectif d’universalisation de l’enseignement primaire, le pays a encore un long chemin à parcourir. La Banque mondiale constate qu’« il existe de fortes disparités régionales en ce qui concerne les résultats scolaires et [relève] le mauvais fonctionnement du système éducatif du Cameroun ». Ainsi de l’Extrême-Nord, qui compte 35 % d’enfants non scolarisés. Le faible taux d’achèvement des études primaires et de scolarisation des filles par rapport aux garçons est en partie dû, selon la Banque mondiale, à la « mauvaise gestion du système et au manque de transparence dans l’allocation des ressources ». Peut-être cette région va-t-elle enfin bénéficier de la sollicitude du gouvernement ? D’autant que le budget de l’État en 2022 prévoit l’exécution du plan présidentiel de reconstruction, notamment de l’Extrême-Nord, et le lancement effectif de la couverture santé universelle, qui devrait profiter aussi aux populations de la région. Alors que son septennat arrivera à son terme en 2025, le président gagnerait à stabiliser durablement le Cameroun avant de passer la main au bout de plus de quarante-trois ans au pouvoir.



GRAND FORMAT CAMEROUN

MAJORITÉ

La relève ronge son frein Tenus à l’écart des postes décisionnaires par certains caciques, et parfois victimes d’un manque d’expérience, les jeunes du RDPC dénoncent le blocage de l’ascenseur politique au sein de leur formation.

FRANCK FOUTE, À YAOUNDÉ

C

ombien étaient-ils, ce 13 février, au Palais des s p o r t s d e Ya o u n d é ? Environ 3000, plutôt 4000 ou plus encore ? Comme c’est maintenant la tradition, la célébration de l’anniversaire de Paul Biya – 89 ans cette année – dans la capitale a donné lieu à un grand rassemblement de jeunes ayant des allures à la fois de concert et de meeting politique. Sans surprise, le chef de l’État, dont les apparitions publiques sont devenues extrêmement rares, n’a pas fait le déplacement au quartier Warda. Le président camerounais était néanmoins bien visible dans l’enceinte sportive, aussi bien sur des portraits géants disposés à chaque coin de la salle que sur les pagnes qu’arboraient les militants de l’Organisation des jeunes du RDPC (OJRDPC). Loin d’être une simple cérémonie d’anniversaire, cette fête était avant tout une occasion de mettre en scène un rapprochement entre la jeunesse, composante majoritaire de la population du pays, et le leader octogénaire, régulièrement accusé par ses détracteurs de ne plus être en mesure de comprendre les aspirations de cette jeunesse. Scrupuleusement suivie depuis le pouvoir, la préparation de l’événement a réuni plusieurs jeunes leaders au domicile du ministre Mbarga Mboa, chargé de mission à la présidence de la République, proche de Ferdinand Ngoh Ngoh, le tout‑puissant secrétaire général de la présidence.

190

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

Au cœur du sérail, la question de la place des jeunes dans les cercles de décision a depuis longtemps cessé d’être un tabou. Selon les statistiques 2021 d’Elecam – l’organe chargé des élections –, le corps électoral est composé à 37,94 % de jeunes (plus d’un électeur sur trois a moins de 35 ans), et la pression démographique qu’exerce cette frange de la population se fait de plus en plus forte. Une donnée qui n’échappe pas au comité central du RDPC, gouvernail du parti au pouvoir.

Immobilisme notoire

En juillet 2021, Paul Biya avait ainsi prescrit dans une circulaire que l’un des critères de recevabilité pour les candidats des bureaux des organes de base soit « la prise en compte des jeunes, des femmes et des minorités ». Sauf qu’à l’issue du processus de renouvellement de ces organes, qui s’est achevé en septembre, si de nombreux jeunes ont intégré les instances du parti, leur présence dans les cercles de décision demeure une gageure. Plusieurs griefs sont pointés du doigt par les intéressés, parmi lesquels l’immobilisme notoire de cette formation politique ainsi que l’entêtement de caciques du parti, pas toujours disposés à céder leur siège. Le RDPC n’a pas connu de renouvellement de ses instances dirigeantes depuis le dernier congrès, en 2011. Conséquence de cette situation, le bureau national de l’OJRDPC

Lors d’un meeting du parti, en octobre 2018, à Yaoundé.

est aux trois quarts composé de membres qui ont dépassé l’âge légal de 30 ans, indiqué dans les articles 75 et 78 des textes du parti. « Le RDPC n’a pas prévu de passerelles pour intégrer les jeunes à l’organisation nationale, vitupère un membre du bureau sous le couvert de l’anonymat. Il est difficile pour quelqu’un qui a été président de section ou de sous-section de se retrouver membre d’un comité de base. » Une difficile évolution que dénoncent aujourd’hui de nombreux jeunes. « L’ascenseur politique est en panne, déplore Charles Mandeng, un autre militant de l’OJRDPC. Tant qu’on n’organisera pas de congrès, le bureau actuel demeurera celui qui parlera au nom des jeunes, au mépris de nos propres textes. » En attendant, il existe au sein du RDPC une légion d’attentistes dont le pouvoir tempère les ardeurs à travers une distribution homéopathique de postes au sein des administrations centrale et locales. Il en est ainsi pour la plupart des


MABOUP

GRAND FORMAT CAMEROUN

membres du bureau de l’OJRDPC, qui attendent leur nomination. Son président, Auguste Essomba Asse, a notamment été nommé président du conseil d’administration de l’Hôpital général de Yaoundé en novembre 2017, en plus de ses fonctions de chargé d’étude à la primature. Son vice-président, Harouna, est quant à lui depuis 2019 directeur adjoint de l’École nationale d’administration et de magistrature. D’autres membres du bureau, investis par le parti, sont devenus maires ou conseillers municipaux dans différentes communes du pays lors des élections municipales de 2020.

Joutes vigoureuses

Accusés de faire ombrage aux plus jeunes, les vétérans du parti, eux, leur reprochent leur manque d’expérience et d’engagement. « On voit l’opposition gagner du terrain dans des espaces dits de jeunes, tels que les réseaux sociaux. Où sont nos jeunes à nous sur ces fronts ? interroge un

Le parti n’a pas connu de renouvellement de ses instances dirigeantes depuis le dernier congrès, en 2011. député RDPC du Littoral. Le pouvoir se conquiert, il ne se donne pas. » Comme lui, de nombreux cadres du RDPC reprochent aux jeunes pousses de voir le parti plus comme une rampe d’ascension sociale que comme un terreau idéologique auquel ils souscrivent. Au Cameroun, il est de notoriété publique qu’avoir sa carte de membre du RDPC peut être utile pour un recrutement dans la fonction publique ou pour réussir au concours d’entrée dans une grande école. « Qu’on le veuille ou non, le parti fait sa mue, tempère néanmoins le député précédemment cité. Les gens

veulent juste voir les jeunes apparaître d’un coup à des hautes fonctions. Pourtant, c’est quelque chose qui se prépare dès la base, et chacun monte en son temps. » De fait, les opérations de renouvellement des organes de base du parti au pouvoir ont donné lieu à de vigoureuses joutes mettant aux prises, dans de nombreux cas, de vieux briscards et des figures montantes. Mais, si ces confrontations ont peu souvent tourné à l’avantage de ces dernières, nombre de nouvelles figures ont réussi à émerger du lot. Dans les grandes villes, il n’est plus rare de voir un trentenaire à la tête d’une section ou d’une commune. À Yaoundé, le 6e arrondissement est dirigé par Yoki Onana, 43 ans. C’est aussi le cas du 2e, avec Yannick Ayissi, 39 ans. Dans le septentrion, on dénombre aussi de nombreux députés qui ont entre 30 et 40 ans, parmi lesquels la plus jeune élue du Parlement camerounais, Nafissatou Alim, 29 ans. JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

191


GRAND FORMAT CAMEROUN

VIE DES PARTIS

Quel avenir pour Maurice Kamto ?

L’irruption de l’ancien ministre sur le devant de la scène en 2018 avait suscité de nombreux espoirs… rapidement douchés par l’impitoyable machine politique mise en place par Paul Biya. Et par les éternelles divisions au sein de l’opposition. FRANCK FOUTE

STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP

Le leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), à Paris, en janvier 2020.

S

anta Barbara a la tranquillité des week-ends caractéristique des quartiers chics de Yaoundé. En cette mi-février, le domicile de Maurice Kamto se fond dans le décor d’une ruelle parsemée de maisons plus ou moins luxueuses. Il y a quelques mois encore, l’entrée menant à la résidence du principal opposant camerounais se distinguait de celles du voisinage. Des dizaines de

192

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

policiers et de gendarmes en tenue de combat campaient nuit et jour devant sa porte, avec pour instruction de l’arrêter s’il venait à en sortir. Le manège, engagé le 20 septembre 2020, faisait suite à l’annonce d’une manifestation pacifique par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) – le parti que dirige Kamto – ayant pour objectif de revendiquer une réforme

consensuelle du Code électoral et la résolution de la crise anglophone. C’était depuis son logis que Kamto, assigné à résidence, impuissant, avait été informé de l’arrestation de plusieurs centaines de militants de son parti en marge des protestations. Parmi eux, Alain Fogue et Bibou Nissack, deux de ses principaux lieutenants, aujourd’hui condamnés à sept ans de prison.


COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERT

Etah – Nan & C°(Attorneys)

556, rue Koumassi, Bali - BP 4736 Douala – Cameroun Tel. : (+237) 233 42 56 09 / 233 42 91 65 Mobile : (+237) 677 71 05 28 Contact : etahnan@etahnan.com

www.etahnan.com

« Les Fintech ont un grand potentiel de développement au Cameroun » Quel sera l’impact de la nouvelle taxe sur les transferts d’argent (TTA) ?

Hervé Feudjouo : Pour les entreprises opérant dans ce secteur, en dehors de quelques ajustements d’ordre opérationnel (paramétrages des plateformes, modification des affiches des taux) et contractuels (visà-vis de leurs partenaires étrangers qui doivent en être informés), l’application de cette taxe aura un effet neutre dans la mesure où elles sont de simples collectrices de la taxe pour le compte de l’Etat. Il est prématuré d’évaluer précisément l’impact de cette taxe sur l’écosystème des transferts d’argent dans son ensemble. Il y a une modification des habitudes des consommateurs qui l’utilisent beaucoup plus pour les paiements marchands, qui ne génèrent pas de frais de transaction, et de moins en moins pour les transferts d’argent. Quel est l’avenir des Fintech ? H.F. : Le secteur connaîtra un fort développement pour plusieurs raisons : un intérêt sans cesse croissant que portent les consommateurs et l’État en particulier, à ces services ; un cadre légal suffisamment clair et étoffé ; la digitalisation des transactions financières qui s’est accrue avec la crise sanitaire ; et l’exigence d’interopérabilité des systèmes de paiements monétiques désormais mise en place par le régulateur.

Brice Tcheuffa Wendeu,

Hervé Feudjouo, Associate

Senior Associate

Les investisseurs et opérateurs du secteur des paiements ont tout intérêt à se faire accompagner par des professionnels ayant une expertise avérée. Comment accompagnez-vous ces entreprises ? B.T.W. : Les Fintech nécessitent un accompagnement juridique calibré aux strictes exigences de conformité imposées par le régulateur. Que ce soit lors de la phase de création, d’obtention d’un agrément (montage du dossier) ou durant l’exploitation de l’activité (gouvernance d’entreprise, mise en place du cadre contractuel), une maîtrise parfaite du cadre juridique, où les dispositions de droit commun côtoient les normes règlementaires spécialement applicables en la matière, est de mise car les décisions et initiatives commerciales et opérationnelles quelque opportunes qu’elles puissent paraitre ne peuvent s’affranchir de la conformité juridique.

JAMG - PHOTOS DR

Brice Tcheuffa Wendeu : Cette taxe de 0,2 %, instituée par la Loi de finance de la République du Cameroun pour l’exercice 2022, concerne principalement : les opérations de transfert d’argent réalisés par tout moyen ou support technique laissant trace, notamment par voie électronique, téléphonie mobile, télégraphique, ou par voie de télex ou télécopie, à l’exception des virements bancaires et des transferts pour le règlement des impôts, droits et taxes ainsi que les retraits en numéraire consécutifs à un transfert d’argent effectué auprès des établissements financiers ou des entreprises mobiles.


GRAND FORMAT CAMEROUN Plus de seize mois après la deuxième privation de liberté dont Kamto a fait l’objet en l’espace de deux années, l’opposant n’a pas changé les habitudes qu’il avait dû adopter en se lançant dans un « mouvement de résistance » – entendre « défiance » – contre le régime de Yaoundé. Dans la capitale, où il réside, Maurice Kamto sort toujours peu, éconduit presque automatiquement les sollicitations des médias locaux et filtre ses visiteurs. Invité à la cérémonie d’ouverture de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) par un représentant de l’Union africaine, il a choisi de suivre la rencontre à la télévision, par crainte de créer un incident.

Séquestré quarante-huit heures

Au fil des mois, l’homme qui s’était démarqué en cultivant l’image d’un acteur politique de terrain s’est peu à peu fermé comme une huître. Du pain bénit pour certains de ses détracteurs, qui distillent l’idée selon laquelle il ne serait finalement pas si différent du président Biya, dont la distance et les absences sont légendaires. Maurice Kamto s’est-il lui-même fait prisonnier? Depuis 2018, la ligne du régime vis-à-vis de l’opposant est en tout cas restée la même. Ici, Maurice Kamto est considéré comme un « perturbateur » qu’il faut contenir par tous les moyens. Chargé de veiller à la bonne exécution de cette stratégie, qui est suivie en haut lieu, Paul Atanga Nji, le ministre de l’Administration territoriale, ne lui fait pas de cadeaux. L’actuel secrétaire permanent du Conseil national de sécurité ne lui promet rien de moins qu’un « tsunami » ou la mise en marche du « rouleau compresseur » s’il s’affranchissait des limites tracées par l’administration. Martin Mbarga Nguele, le patron de la police, et Galax Yves Etoga, le patron de la gendarmerie, suivent également de près son dossier. À travers le pays, les militants les plus actifs du MRC sont étroitement surveillés. Le leader du MRC n’a pourtant jamais cessé de manifester sa volonté de rester au contact d’un peuple qu’il a placé au centre de son action politique. Imaginant l’avènement d’un printemps démocratique au Cameroun, Maurice Kamto avait à plusieurs reprises tenté d’activer ce

194

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

levier pour inverser le rapport de force établi durant la présidentielle de 2018, à l’issue de laquelle il avait été déclaré deuxième derrière Paul Biya, dont il conteste toujours la victoire. Si lors de cette élection âprement disputée les Camerounais ont, un temps, été portés par l’espoir d’une rupture radicale, les résultats, et surtout les nombreuses irrégularités enregistrées, les ont replongés dans l’état de résignation et d’inaction qui était le leur avant le scrutin. Et les appels successifs de Kamto à « dire non au hold-up électoral », puis à réclamer la modification du Code électoral, l’audit des fonds engagés pour la CAN et la fin de la guerre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest au cours de manifestations pacifiques n’ont jamais connu la mobilisation populaire escomptée. Chacune des sorties de Kamto, qu’elle soit politique ou non, se voit par ailleurs systématiquement frappée d’une interdiction préfectorale, avec chaque fois pour motif le générique « risque de troubles à l’ordre public ». En décembre dernier notamment, alors qu’il s’était rendu

L’homme qui s’était démarqué en cultivant l’image d’un acteur politique de terrain s’est peu à peu fermé comme une huître. à Douala, Maurice Kamto avait été séquestré à son hôtel pendant près de quarante-huit heures, les policiers lui signifiant qu’il ne pourrait en sortir que pour retourner à Yaoundé. Raison invoquée : une réunion politique au cours de laquelle il avait affirmé qu’il « ne fuirait pas la bagarre », faisant référence au musellement dont il est convaincu d’être victime. Yaoundé a-t-il pour autant réussi son pari de faire taire l’opposant ? Dès les premières heures de son ralliement au MRC, en 2012, la personnalité de Maurice Kamto n’a cessé de donner des sueurs froides aux caciques du régime. Avocat reconnu

au-delà des frontières camerounaises, l’ancien ministre de Paul Biya était parvenu à donner un nouveau souffle à une opposition amorphe. Non seulement grâce à son séduisant profil de présidentiable, mais surtout en raison d’un bon maillage du territoire.

Sans assise ni moyens de survie

En amont de l’élection de 2018, l’ancien professeur de droit était notamment parvenu à débarrasser sa formation politique de l’image de parti régional à laquelle voulait le cantonner une frange de la classe politique. En l’espace de trois ans, l’opposant de 67 ans s’était offert une visite dans chacun des 58 départements que compte le pays et avait tenu des meetings dans une centaine d’arrondissements. Pas suffisant pour venir à bout d’un pouvoir quadragénaire, dans un environnement politique marqué par une désintégration de l’opposition. Face à un gouvernement puissant, celle-ci est aujourd’hui éparpillée en une multitude de formations sans assise ni moyens de survie ; elle joue le jeu du pouvoir en donnant les signes d’une prétendue vitalité de la démocratie plutôt que de s’organiser pour affronter le président sortant. Maurice Kamto a beau avoir boycotté les élections législatives et municipales du 9 février pour dénoncer l’iniquité d’un système qui joue en la défaveur de toute l’opposition, aucun des grands partis historiques n’a pris position pour lui apporter son soutien. Au contraire, sa décision a été froidement accueillie par certains ambitieux de son propre camp qui, amers, ont pour la plupart décidé de claquer la porte du parti. C’est le cas de Célestin Djamen, aujourd’hui à la tête de sa propre formation politique. Loin des années 1990, où les mouvements étaient structurés, organisés, et bénéficiaient d’importants relais politiques, sociaux et médiatiques, Maurice Kamto et le MRC font face à un appareil sécuritaire déployé contre eux. Une situation qui fait les affaires du RDPC, au pouvoir. Maurice Kamto dispose-t-il encore d’un coup à jouer ? Dans tous les cas, l’opposant est aujourd’hui contraint de revoir sa copie.


PUBLI-INFORMATION

NACHTIGAL

UN PROJET HYDROÉLECTRIQUE EXEMPLAIRE EN AFRIQUE Améliorer et sécuriser l’accès à l’électricité dans une logique de développement durable. Tels sont les objectifs des promoteurs du projet hydroélectrique de Nachtigal, le plus grand aménagement hydroélectrique du Cameroun à ce jour, qui fait déjà figure de référence en Afrique.

Prise d'eau Usinière

Usine

JAMG - PHOTOS DR

Janvier 2022, situtation d’aménagement du projet hydroélectrique de Nachtigal.

Conduites forcées (U1 & U2)

Conduit par Nachtigal Hydro Power Company (NHPC), ce projet aura une puissance installée de 420 MW et devrait produire en moyenne 2,9 TWh/an, correspondant à environ un tiers de la consommation électrique du Cameroun.

Une électricité décarbonée

Créée en juillet 2016, la société NHPC a pour mission la conception, le financement et la construction de l’aménagement hydroélectrique de Nachtigal et de la ligne de transport d’énergie sur plus de 50 km entre Nachtigal et Nyom 2. NHPC s’est également vue confiée par l’État du Cameroun l’exploitation de l’aménagement hydroélectrique de Nachtigal pendant 35 ans.

UNE RÉCOMPENSE INTERNATIONALE PRESTIGIEUSE L’investissement est évalué à plus de 1,2 milliard d’euros et a été financé par 15 bailleurs de fonds internationaux et locaux. Nachtigal a reçu le prix du Projet de l’Année 2018 dans la catégorie des financements multilatéraux, décerné par l’institution Project Finance International en raison de son ampleur et de son impact sur le développement.

Groupes 1, 2 & 3

Prise d'eau usinière

L’actionnariat de NHPC est composé de l’État du Cameroun (15 %) en tant que partenaire institutionnel clé, de EDF (40%), partenaire industriel et leader mondial des énergies bas carbone, de la SFI (20 %), et de deux fonds d’investissement africain et français : AFRICA50 (15 %) et STOA (10%). Nachtigal permettra d’améliorer et de sécuriser l’accès à l’électricité des populations tout en contribuant à la transition bas carbone du pays et en diminuant le coût moyen de production de l’électricité dans le pays. Le démarrage de la production de la première turbine interviendra en 2023 et la mise en service commerciale est prévue en 2024.

Responsabilité sociale et environnementale

Tous les acteurs de Nachtigal s’engagent à mettre en œuvre, dans chacune de leurs actions, des pratiques environnementales et sociales exemplaires, respectueuses des exigences réglementaires et des meilleurs standards nationaux et internationaux :

Groupes 5, 6 & 7

• Pour les populations impactées par le projet Nachtigal, un processus de compensation juste et transparent a été mis en place ainsi que de nombreux programmes d’accompagnement visant à restaurer leurs moyens d’existence. • NHPC et ses partenaires s’engagent se sont engagés faveur de la préservation des droits fondamentaux des travailleurs du projet et promeuvent notamment un traitement équitable et non-discriminatoire, tout en favorisant l’emploi local. • Dans la zone d’implantation du projet, NHPC favorise le développement économique local par la création d’emplois directs et indirects et la mise en œuvre d’actions pour améliorer les infrastructures (eau, électricité, éducation, agriculture santé). Des action innovantes ont été mises en place en faveur de la préservation de l’environnement (suivi du couvert végétal, compensation pour les espèces à enjeux, etc.). CONTACTS 1067 Bis, Rue 1750-Nouvelle Route de Bastos Boite Postale 35543 - Yaoundé (Cameroun) Email : infos@nhpc.cm

www.nhpc.cm


GRAND FORMAT CAMEROUN

COULEUR LOCALE

Le Mont-Fébé, l’autre colline du pouvoir Si les palais présidentiels sont les symboles de la puissance des chefs d’État, d’autres lieux jouent un rôle essentiel. À Yaoundé, ce prestigieux hôtel, dont l’éclat a certes pâli depuis l’apparition du Hilton, rejoint ces antres où l’élite continue de se presser et les secrets de bruisser.

D

epuis le matin de ce 4 janvier 2019, à Yaoundé, le ballet des mocassins vernis et des escarpins à hauts talons n’a pas cessé sur les tapis écarlates de l’hôtel Mont-Fébé. Les ascenseurs, sans répit, suivent le rythme implacable et régulier des visiteurs et des occupants des suites de l’établissement. Du long bar de l’hôtel au petit restaurant circulaire, qui surplombe l’iconique piscine et les courts de tennis, une rare effervescence rend l’atmosphère particulièrement électrique. Célestine Ketcha Courtès, la dynamique maire de Bangangté, figure parmi les convives. Le turbulent avocat Jean de Dieu Momo également. Les deux édiles, la première de l’Extrême-Nord et le second de l’Ouest, ont pris leurs quartiers depuis peu dans cet hôtel quatre étoiles. Cela ne doit rien au hasard : au palais présidentiel d’Etoudi, sur l’une des autres collines de Yaoundé, Paul Biya met la dernière main à la composition de son gouvernement. Au pouvoir depuis trente-six ans, il a ses habitudes. Avant chaque remaniement, il analyse les dossiers des prétendants avec ses plus proches conseillers, ses fidèles de la première heure, ses confidents. Curriculum vitæ, origine géographique, histoire familiale, fiche de renseignement…

196

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

Paul Biya déteste laisser le moindre détail au hasard. Alors, après avoir sélectionné les meilleurs candidats, il impose une dernière épreuve à certains d’entre eux : celle du Mont-Fébé. Les aspirants ne disposant pas d’un logement à Yaoundé sont priés de loger dans une suite de l’hôtel qui leur a été réservée par les services de la présidence et d’y attendre l’entretien final, à l’écart du bouillonnant centre-ville de Yaoundé, où les secrets s’évaporent si vite. Dans l’édifice au look typique des années 1960, au cœur d’un écrin de verdure que le bâtiment, pourtant de couleur claire et haut de 11 étages, ne parvient pas à défigurer, une angoissante attente débute pour les ambitieux. Entre Etoudi et le Mont-Fébé, le ballet des conseillers du président est incessant. Le trajet, par les routes discrètes du quartier résidentiel du Golf – qui tire son nom du club situé au pied de l’hôtel – ne fait que quelques kilomètres.

Du haut des 950 m de la bâtisse, l’histoire du Cameroun vous contemple.

Une dizaine de minutes suffisent donc pour affiner, de vive voix, les derniers contours d’un poste, effacer les derniers doutes, tenter de vaincre les ultimes réticences.

Lettres de noblesse

Certains candidats se contentent de discuter et de répondre aux questions des conseillers du président dans les salons du MontFébé. D’autres, promis à des postes plus prestigieux, ont besoin d’un autre sésame et sont convoqués au palais pour y rencontrer le chef de l’État. La journée peut s’éterniser, certains trompant l’attente avec leurs proches ou avec des délégués du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, le parti au pouvoir), d’autres préférant rester seuls face à leur anxiété. Puis le décret portant remaniement tombe. Ce 4 janvier 2019, pour Célestine Ketcha Courtès et Jean de Dieu Momo, respectivement nommés ministre de l’Habitat urbain et ministre délégué à la Justice, les réjouissances sont de mise. Pour d’autres, le Mont-Fébé aura été plus cruel. En septembre 1996, lorsqu’elle y prend ses quartiers à l’invitation de la présidence, l’universitaire Dorothy Njeuma a le vent en poupe et peut légitimement nourrir de sérieux espoirs. Excellente joueuse


de tennis, elle ne vient pas taper la balle sur les courts du Mont-Fébé. La grande dame du Sud-Ouest est pressentie pour être la première femme du pays à occuper le poste de Premier ministre. Beaucoup saluent le symbole et la voient prendre la suite de Simon Achidi Achu. Mais Paul Biya en décide autrement. Il nomme un autre anglophone, Peter Mafany Musonge. Dorothy Njeuma quitte le Mont-Fébé sans portefeuille ministériel, poursuivant une brillante carrière dans les universités (elle intégrera la Cour suprême en 2011). La primature du Cameroun, elle, est restée aux mains des hommes. Du haut des 950 m du MontFébé, l’histoire de la République du Cameroun vous contemple. Construit en 1968 sous Ahmadou Ahidjo, l’hôtel a largement bénéficié des faveurs du premier président du pays. Ce dernier appréciait le calme des lieux et se plaisait à contempler en contrebas sa capitale, dont l’extension tentaculaire n’avait pas encore atteint le pied de la colline. « C’était encore une périphérie de Yaoundé, se souvient un habitué. Tout le monde, du moins une certaine élite, y allait pour profiter du calme ou pour s’amuser. » Sous l’enseigne Sofitel d’abord, puis administré par la Société nationale d’investissement (SNI) – ce qui est toujours le cas aujourd’hui –, l’établissement s’impose dans les années 1970 comme l’endroit où il faut se montrer. Jean-Gaston Noah, frère de Zacharie et oncle de Yannick, en est alors le directeur général, sur recommandation directe d’Ahidjo. Très bon ami du président, qui apprécie son goût pour la cuisine française et sa connaissance des grands vins, ce mondain donne à l’écrin ses lettres de noblesse. Le Tout-Yaoundé s’y retrouve pour se détendre au Golf Club (qui jouxte l’hôtel et dont le président est Zacharie Noah), partager des repas raffinés au club house les samedis

MABOUP

GRAND FORMAT CAMEROUN

Le Mont-Fébé a été construit en 1968 sur les hauteurs de Yaoundé.

et les dimanches. On y croise un certain Paul Biya, qui aime à faire son footing dans les environs.

Ministres, mondains, famille Noah

Le président à venir arpente fréquemment le green avec ses futurs ministres John Niba Ngu et Victor Anomah Ngu, et s’est lui aussi lié d’amitié avec les Noah. Alors, quand Ahmadou Ahidjo abandonne le pouvoir, le Mont-Fébé ne perd rien de son attrait. Dans les années 1980, les ministres sirotent des verres au bar de l’hôtel, parfois après avoir assisté à une réunion au palais. Des discussions s’y terminent en toute intimité. Des blocages s’y résolvent avec décontraction. Les jeudis après-midi et les dimanches, des autocars se chargent d’amener les enfants de l’élite du rond-point de la cathédrale de Yaoundé jusqu’à l’établissement, où les illustres rejetons passent leurs après-midi à user les flippers, baby-foot et tables de pingpong, sans oublier de profiter de la piscine. Pour les plus âgés, l’adresse abrite un autre lieu de plaisir : la discothèque Le Balafon. « C’était la boîte de nuit la plus fréquentée des hommes d’affaires, des jeunes

décideurs politiques, des enfants de ministres ou des diplomates étrangers », raconte un ancien habitué. L’endroit a aujourd’hui perdu de sa splendeur, au profit des clubs du centre-ville. Les années 1990 consacrent le lent déclin de l’hôtel. L’État n’investit plus, et les hommes d’affaires commencent à lui préférer le plus central – et plus moderne – Hilton, doté d’une vue panoramique sur la capitale. Les murs y ont, plus encore qu’au Mont-Fébé, des oreilles, mais l’élite économique apprécie son clinquant, son « bling-bling », selon ses détracteurs. La Société nationale des hydrocarbures y tient ses (rares) conseils d’administration, et son patron, le puissant Adolphe Moudiki, y déjeune à l’occasion au restaurant Le Safoutier. Les francs-maçons de Yaoundé s’y réunissent discrètement, non loin de salles de fitness, où quelques-uns ont récemment croisé un certain Alexandre Benalla. Et puis les suites, qui portent le nom des fleuves du Cameroun, y sont plus spacieuses. L’excentré Mont-Fébé devient davantage l’hôtel des connaisseurs, des nostalgiques… et des discrets. Au quartier du Golf, devenu le lieu JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

197


GRAND FORMAT CAMEROUN

MABOUP

de résidence prisé de nombre de ministres et de dignitaires, le long de la route qui serpente et mène à l’établissement, il n’est pas rare de croiser, à l’aube, d’illustres joggeurs, directeurs d’administration, hommes politiques ou hommes d’affaires. L’influent Jean-Claude Ayem, qui figure parmi les plus proches conseillers de Paul Biya, aime toujours donner ses rendez-vous dans l’un des restaurants de l’hôtel. Le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, y a également ses habitudes. C’est aussi au Mont-Fébé que sont logés les gouverneurs de région, dont il est le supérieur. Quand ceux-ci sont appelés à se réunir dans la capitale, les débats s’y achèvent par un grand repas aux frais de l’État. L’un des convives goûte particulièrement les environs. Le gouverneur Adolphe Lele Lafrique est un connaisseur du Mont-Fébé, au sens large. Quittant l’hôtel, ce proche du ministre de la Défense Joseph Beti Assomo emprunte souvent le chemin sinueux menant au monastère Notre-Dame-desBénédictins et à sa chapelle, lieu de recueillement et de retraite situé à quelques encablures. Il y a quelques années, le Premier ministre Ephraïm Inoni avait coutume d’assister à la messe,

L’hôtel est niché dans un écrin de verdure.

198

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

accompagné d’une partie du gouvernement – qui en profitait parfois pour prolonger les retrouvailles au bord de la piscine de l’hôtel ou dans la fraîcheur de ses salons. Aujourd’hui encore, le ministre du Travail, Grégoire Owona, fait régulièrement le trajet vers les Bénédictins avec son épouse avant de s’offrir un parcours au Golf Club.

Ancien du Mossad, les services de renseignement israéliens, il avait vanté au chef de l’État, ébranlé par la tentative de putsch de 1984, l’expertise de ses compatriotes et s’était installé au Mont-Fébé, faisant de la suite numéro 802 son quartier général. C’est de là qu’il supervisera la réforme de la garde présidentielle et la création de ce qui deviendra le Bataillon d’intervention rapide (BIR).

On y croise d’illustres joggeurs, directeurs d’administration, hommes politiques ou businessmen.

Renseignement et sécurité

Les murs du Mont-Fébé, où se croisent discrètement les gens de pouvoir, ont-ils des oreilles ? Du temps d’Ahmadou Ahidjo, le père des renseignements camerounais, Jean Fochivé, fréquentait souvent le lieu. Plus tard, au milieu des années 1980, l’un des clients de marque de l’établissement n’était autre que Meir Meyuhas. L’Israélien, passé par le Zaïre de Mobutu Sese Seko, venait de devenir le premier conseiller de Paul Biya en matière de sécurité.

Un autre sécurocrate, le Français de sinistre réputation Paul Barril, y a lui aussi pris ses quartiers au début des années 1990. Officiellement, « Monsieur Paul », commandant du Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale française (GIGN), était chargé de former des éléments de l’armée à la lutte antiémeute et de s’assurer de la bonne tenue de la garde présidentielle. La mission, qui ne durera que quelques mois, était en réalité plus large, et à replacer dans le contexte de l’ouverture du pays au multipartisme et de la montée en puissance de l’opposition du Social Democratic Front (SDF) dans le Nord-Ouest. À un jet de pierre d’Etoudi, Barril recevait ainsi discrètement les patrons des renseignements et des services de sécurité. Au fil des années, ces derniers ont d’ailleurs pris leurs habitudes au Mont-Fébé, goûtant la discrétion des lieux et y déjeunant régulièrement avec de précieux contacts ou avec les directeurs généraux successifs de l’hôtel, ces « discrètes tours de contrôle à qui rien n’échappe », selon l’expression d’un client régulier. Au restaurant circulaire, il n’est d’ailleurs pas rare de voir encore aujourd’hui déjeuner Moïse Mouiché, figure du renseignement national, en compagnie de l’actuel numéro un de l’hôtel, Nicolas Tchobang. Martin Mbarga Nguele, l’emblématique et tout-puissant directeur de la Sûreté nationale et des Renseignements généraux, y fait quant à lui de plus discrètes incursions. Si les murs du Mont-Fébé pouvaient parler… Mathieu Olivier


COMMUNIQUÉ

LES MULTIPLES CHALLENGES D’ASCA

Attijari Securities Central Africa (ASCA) est la filiale du groupe Attijariwafa bank, dédiée aux activités de Banque d’Investissement en Afrique Centrale. Ses principaux domaines d’intervention sont l’Ingénierie Financière, le Conseil, l’Intermédiation Boursière et la Conservation de Titres. Intretien avec Ernest Pouhe , Directeur Général. croitre notre base de revenus récurrents, accéléré notre positionnement sur les métiers d’Ingénierie financière et de Conseil aux entreprises, tout en maintenant notre empreinte sur le segment de la dette obligataire au travers de rôles d’Arrangeur Principal et de Co arrangeur des émissions d’Alios Finance Cameroun et de la BDEAC. Nous avons par ailleurs déployé un plan d’économie de charge et refondu notre organigramme afin de gagner en agilité. L’ensemble de ces actions, combinée à une implication totale de l’équipe que je tiens à remercier ici, nous a permis de doubler nos revenus et d’améliorer considérablement notre résultat net.

Pouvez vous nous présenter ASCA en quelques mots ? Avec un peu plus de 450 milliards F CFA de capitaux levés pour le compte d’entreprises, d’États et d’Institutions supranationales au cours des 5 dernières années, et 375 milliards F CFA de titres en portefeuilles, ASCA occupe aujourd’hui une position de leader en matière de services aux émetteurs et investisseurs sur l’ensemble de la sous-région. Nous sommes basés à Douala au Cameroun, pour un effectif de vingt personnes sur l’ensemble de nos métiers. Quel bilan du marché financier et boursier de la CEMAC pouvez-vous faire pour l’année 2021 ? Le marché financier de la CEMAC a fait montre d’un certain dynamisme en 2021, avec un peu plus de 400 milliards F CFA de dette levée sur le compartiment obligataire par deux États (Congo et Gabon), une entreprise privée (Alios Finance Cameroun) et une institution supranationale (la Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale). Le compartiment actions pour sa part a vu l’entrée d’une nouvelle valeur, la première d’une entreprise du secteur financier (La Régionale d’Epargne et de Crédit). En dépit de ces avancées notoires, le marché demeure

toutefois peu développé, avec seulement 5 sociétés cotées. Diverses actions se sont néanmoins poursuivies courant 2021 afin d’accélérer sa dynamisation, au rang desquelles on peut citer : la refonte du cadre règlementaire et fiscal, ainsi que l’annonce progressive par les États des listes d’entreprises publiques et parapubliques à introduire en bourse. Quels ont été les principaux challenges et réalisations/performances d’ASCA en 2021 et depuis la prise de vos fonctions en tant que Directeur Général courant 2020 ? Le premier challenge a été de survivre à la période de turbulence générée par la pandémie de Covid-19, laquelle a débouché sur une raréfaction des opérations de levées de fonds, qui constituent notre plus importante source de revenus. De plus, notre chiffre d’affaires était historiquement concentré sur l’arrangement d’émissions obligataires souveraines, qui n’ont pas eu lieu en 2020. Il a donc fallu repenser notre modèle opérationnel, afin de diversifier nos sources de revenus tout en maitrisant nos coûts et en gardant le personnel motivé. Ainsi, nous avons fortement poussé notre activité de conservation de titres (+20 % d’actifs), afin d’ac-

CONTACT : Attijari Securities Central Africa II Attijariwafa bank Group Immeuble du Phare – Carrefour SOPPO – BONAPRISO P.O. Box 255 Douala II Cameroon Tél. : (+237) 2 33 43 14 46

www.attijarisecurities.com

JAMG - PHOTOS DR

ERNEST POUHE - DG

Quelles sont les projections et perspectives d’avenir pour l’année en cours et les 3 prochaines années ? La pandémie de Covid-19 semblant désormais plus ou moins maitrisée, nous espérons une reprise rapide des investissements publics et privés, générateurs d’importants besoins en capitaux dont la levée pourra faire appel à notre expertise. Nous entrevoyons également une accélération du développement de la culture boursière et du marché financier de la CEMAC, qui devrait conduire à une montée en charge de nos activités de Courtage et de Conservation de Titres. Enfin, il sera intéressant d’observer le mouvement continu de digitalisation des services financiers (encore plus rapide en Afrique grâce au mobile money), en veillant à adapter nos outils afin de coller au mieux aux nouvelles habitudes de consommation de nos clients et prospects.


GRAND FORMAT CAMEROUN

ÉCONOMIE

Un parfum de renationalisation flotte sur les quais

Le Port autonome de Douala (PAD) reprend progressivement en main des activités jusqu’à présent dévolues à des groupes étrangers. Dragage, pesage, sécurité, gestion du terminal à conteneurs, etc. À la manœuvre, Cyrus Ngo’o, le patron de l’autorité portuaire. OMER MBADI

200

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022


GRAND FORMAT CAMEROUN

PAD CM

Le terminal à conteneurs, dont la gestion est désormais assurée par l’une des régies déléguées du PAD.

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

201


GRAND FORMAT CAMEROUN

L

éviction du consortium Bolloré-Maersk du terminal à conteneurs, en décembre 2020, et les contentieux en cours, fort médiatisés, peuvent laisser croire que cette disqualification d’opérateurs étrangers est un fait isolé. Pourtant, c’est bien une lame de fond nationaliste qui parcourt le complexe portuaire de la capitale économique camerounaise, depuis l’arrivée de Cyrus Ngo’o à la tête du Port autonome de Douala (PAD), il y a cinq ans. Tout à son esprit cocardier, cet administrateur civil de formation n’hésitait d’ailleurs pas, en octobre 2020, à proclamer un retour de la « souveraineté de l’État du Cameroun sur la principale route d’accès des marchandises et des biens du pays ».

Concession et partenariats

PAD CM

Sous son impulsion, un certain nombre d’activités exercées par des entreprises étrangères – conformément à la réforme portuaire de 1998, qui consacrait, entre autres, la privatisation des opérations – sont désormais gérées par le PAD ou par des sociétés locales. Plusieurs d’entre elles sont d’ailleurs supervisées par les autorités portuaires. « Comme c’était le cas auparavant, où certaines activités étaient même directement exploitées par l’ex-Office national des

ports du Cameroun [ONPC], l’ancêtre du PAD », rappelle Lin Onana Ndoh, le directeur délégué de la régie chargée du remorquage et du sauvetage des navires, entrée en service au début de 2021 pour remplacer le français Boluda. Depuis deux ans, la régie déléguée est également utilisée pour gérer le terminal à conteneurs, qui était auparavant sous la responsabilité de Douala International Terminal (DIT, filiale du français Bolloré Transport & Logistics et du néerlandais APM Terminals), à travers la Régie du terminal à conteneurs (RTC). Elle assure aussi la reprise des activités de dragage, jusqu’alors réalisées par China Harbour Engineering Company (CHEC), ainsi que la sécurité et la sûreté, pour lesquelles une nouvelle entité a été créée : la Douala Port Security (DPS). Une reprise en main accompagnée par Afriland First Bank, qui a mis des lignes d’avance à la disposition des autorités portuaires. Autre mécanisme utilisé : la concession. C’est le cas pour le lamanage, dont la convention a été signée l’année dernière avec Fako Ship, l’une des entités du groupe familial fondé par Charles Namme Menyoli et établi à Buéa, dans la région du Sud-Ouest. Elle a permis la création de Douala Mooring Company (DMC), la société

Cyrus Ngo’o, directeur général du PAD depuis août 2016.

202

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

de projet chargée de l’activité. Seule exception à la règle, la concession de la gestion du parc à bois, conclue avant l’arrivée de Cyrus Ngo’o, reste dans le giron du groupe Bolloré. Le partenariat public-privé, y compris avec les opérateurs étrangers, n’est pas pour autant exclu. Ainsi, le turc Erdem investira 15 milliards de F CFA [22,87 millions d’euros] dans les mois à venir, sur financement d’Afriland First Bank, pour construire 13 magasins de stockage. Erdem a d’ailleurs déjà créé la Société de gestion des magasins portuaires (SGMP) pour en assurer l’exploitation le moment venu. Certains métiers ont longtemps été abandonnés à des opérateurs étrangers, qui disposaient des outils nécessaires, comme la sécu-

Certains métiers, comme la sécurité, ont longtemps été abandonnés à des opérateurs étrangers, qui disposaient des outils nécessaires. rité – désormais confiée à DPS – ou la pesée des marchandises entrant ou sortant de l’enceinte portuaire. Cette tâche est aujourd’hui dévolue à Douala Port Weighing Services (DPWS), qui a signé il y a deux ans une convention d’exploitation d’une durée de vingt ans. « Depuis, nous avons mis en œuvre un réseau de ponts-bascules ouvert au public de la place portuaire et capable d’en adresser tout le trafic », précise Lucien Ndzomo Mviena, le président de DPWS. Au-delà de la volonté affichée du PAD, certaines renationalisations résultent de désaccords entre les autorités portuaires et le concessionnaire sur le cahier des charges au moment des négociations censées aboutir à un renouvellement de contrat. « En l’occurrence lorsque le précédent prestataire n’a pu convaincre le PAD concernant la baisse des charges de fonctionnement et le maintien des


GRAND FORMAT CAMEROUN investissements », précise Lin Onana Ndoh. Selon Cyrus Ngo’o, la « camerounisation » des activités permet par exemple de contrer « la menace de l’inaccessibilité du chenal, [qui] était permanente du fait du chantage régulier d’arrêt des travaux brandi à l’excès par les multinationales commises à cette activité régalienne ». Les premières retombées de cette politique sont les économies réalisées sur les différents segments de l’activité portuaire. À l’image de la disparition des frais de siège, ces coûts que la maison mère impute à ses filiales et qui ont un impact sur le résultat, à laquelle s’ajoute une meilleure maîtrise des charges salariales, liée au départ des expatriés.

Baisse des coûts

La camerounisation a aussi permis de faire baisser les coûts. « Le dragage représentait 30 % à 40 % des charges d’exploitation du PAD, ce qui est considérable. Pour draguer 3,7 millions de m3 de résidus, on dépensait

près de 10 milliards de F CFA par an. Nous avons ramené ce coût à moins de 4 milliards de F CFA par an pour la même quantité traitée », assure le directeur délégué adjoint de la régie de dragage, Idriss Beye. De même, sur le plan de la sécurité, la mise en place de DPS et de son dispositif de vidéosurveillance a considérablement diminué le nombre de larcins subis par les différents opérateurs. « Cela nous a évité les vols de carburant que déplorait notre prédécesseur, et nous avons donc pu réaliser des économies appréciables », note Lin Onana Ndoh. La dynamique enclenchée a ainsi permis d’accroître les revenus du PAD et, donc, les moyens nécessaires pour réaliser les investissements indispensables à la rénovation des infrastructures et à l’acquisition de nouveaux équipements. Pour un chiffre d’affaires de 56,8 milliards de F CFA pour 2021 – en hausse de 14 % par rapport à l’exercice précédent –, la RTC devrait dégager un bénéfice de plus de 15 milliards de F CFA.

Le résultat net de la société spécialisée dans le remorquage, plus modeste, est estimé à environ 1 milliard de F CFA, pour un revenu de 4,3 milliards de F CFA (en hausse de 23 %). À ces ressources s’ajoute la perception de redevances fixes et variables, globalement en hausse dans les différents métiers. Par ailleurs, le contrat signé avec le suisse Pukaly pour la revalorisation des résidus du dragage assure un revenu de 45 milliards de F CFA pour les quinze prochaines années. Ces premiers résultats satisfaisants et prometteurs se répercutent déjà dans d’autres ports de la région. Ainsi, l’un des dragueurs récemment acquis par le PAD partira en avril pour un séjour dans le port congolais de Pointe-Noire, afin d’évacuer 1,7 million de tonnes de sable pour faciliter les accès maritimes. « Nous étudions même des demandes émanant du Venezuela et de la Colombie », se satisfait Idriss Beye.

HANGARS GALVANISÉS EN KIT +ROBUSTE

+QUALITATIF

+ABORDABLE

D ’ E X P ÉR I E N C + DE 20 A N S

1 X 40'OT

2 X 40'OT

DOUBLE BÂTIMENT, BI-PENTES ACCOLÉS

1000m ²

1 978m²

20,6X48X8m

FINITION PEINTURE

41,2X48X8m

FINITION PEINTURE

$36 406

$72 812

FINITION GALVANISATION

FINITION GALVANISATION

$39 024

$78 048

*

*

*

*

M 2 V E N D US + DE 45 0 0 0 0 IQ U E FR EN A

S 5 0 PA YS P RÉ S E NT DA N E N A F RI Q U E NT PL US DE 30

T RE D E V IS D E M A N DE Z VO

P a r W ha ts a pp

5 134 00352 621 35 P a r t é lé p ho n e

10 12 00352 20 20 P a r m ai l

chers.com

mentsmoins commercial@bati

inschers.com

e.batimentsmo

https://afriqu

Conditions sur www.afrique.batimentsmoinschers.com

*

E

A N S AC T IO N S + DE 3 0 0 0 T R R PA A N

DO

HANGAR EN KIT GALVANISÉ STRUCTURE + COUVERTURE

*


GRAND FORMAT CAMEROUN

STRATÉGIE

Serge Hervé Boyogueno dans les pas de la SNH Le directeur général de la Sonamines est en train de donner corps à la jeune entreprise publique chargée de défendre les intérêts miniers de l’État. Objectif : suivre le modèle de la puissante Société nationale des hydrocarbures.

OMER MBADI

S

erge Hervé Boyogueno est un patron pressé. À la tête, depuis le 14 avril 2021, d’une Société nationale des mines (Sonamines) encore balbutiante, il se sait attendu sur les résultats de sa première année d’exercice. D’autant que l’opinion publique considère que la jeune entreprise publique est censée devenir aussi forte que la Société nationale des hydrocarbures (SNH) en son domaine. Suivant l’exemple de son aînée, la Sonamines vient de conclure deux accords de partage de production – dans le cadre des négociations de deux conventions minières – avec les Cimenteries du Cameroun (Cimencam, groupe Holcim) pour l’exploitation de calcaire à Figuil (dans le nord du pays) et pour le développement de leur nouvelle usine de production de clinker et de ciment, qui doit démarrer ses activités en 2023. Un investissement de 50 milliards de F CFA (plus de 76,2 millions d’euros). Cette industrie constitue l’une des principales cibles de la Sonamines. C’est pourquoi l’entreprise a introduit desdemandesdepermisdereconnaissance auprès du ministère des Mines – préalables indispensables à l’octroi de titres d’exploitation des carrières –, pour extraire de la pouzzolane et des argiles dont sont friandes les cinq cimenteries installées dans le pays. Pour mener à bien financièrement ses projets, Serge Hervé Boyogueno dispose d’une botte secrète : les special purpose vehicles (SPV) ou fonds

204

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

communs de créance (FCC), ces véhicules de financement en copropriété permettant d’émettre des parts de créances qui sont revendues à des investisseurs. Un argument que le patron utilisera probablement lors des quatre forums que la Sonamines organise au mois de juin prochain – au Canada, en Chine, en Russie et en Turquie – pour y présenter le potentiel du sous-sol, les investissements miniers et les industries connexes au Cameroun.

Un sujet sensible

Pour le moment, avec un capital de 10 milliards de F CFA, l’entreprise est à la peine pour concrétiser ses ambitions minières et industrielles. Fondée en décembre 2020 sur les cendres du Cadre d’appui et de promotion de l’artisanat minier (Capam), un programme du ministère des Mines destiné à mieux canaliser, entre autres, l’exploitation de l’or, la Sonamines essaie de remettre de l’ordre dans les activités d’orpaillage pour accroître les recettes de l’État. « J’ai passé quatre années en tant que directeur des mines et n’ai jamais enregistré plus de 20 kg d’or exportés par an. C’est dire si les opérateurs profitent du système déclaratif pour tricher », déplore-t-il. L’action de la Sonamines porte déjà ses fruits puisqu’elle enregistre 55 kg d’or collectés sur les cinq derniers mois de 2021 et vise un objectif de 200 kg pour 2022, soit 5 milliards de F CFA de recettes… pourvu que l’accompagnement de l’État soit effectif.

« Car les questions minières sont des questions stratégiques et, donc, de défense nationale », tient à rappeler Serge Hervé Boyogueno. Ses collaborateurs se trouvent en effet régulièrement confrontés à des militaires chargés de la sécurité des mines d’or et de diamant, qui leur en interdisent l’accès. Un sujet sensible auquel le ministre de la Défense, Joseph Beti Assomo, prête une oreille attentive. Un accord de coopération devrait être signé dans les prochaines semaines. Le patron de la Sonamines souhaite également obtenir une habilitation du ministre des Finances pour collecter directement l’impôt synthétique minier libératoire (mission jusqu’à

La part du secteur dans la richesse nationale, environ 1 % actuellement, devrait être multipliée par dix d’ici à 2030. présent dévolue à la direction générale des impôts), lequel s’élève à 25 %, dont 17,8 % reviennent à l’État. Pour l’entreprise publique, cette manne constituerait une bouffée d’oxygène financière, que Serge Hervé Boyogueno, à coups de concertations, compte bien obtenir. Car l’homme sait faire preuve d’endurance et d’esprit d’entreprise, des


GRAND FORMAT CAMEROUN qualités héritées d’un père machiniste agricole et d’une mère au foyer. Dans la ville commerçante de Bafoussam, où il grandit, ce cinquième d’une fratrie de dix enfants est contraint, dès l’école primaire, de se livrer à des petits boulots pour financer sa scolarité. Chaque mercredi, il récolte environ 125 000 F CFA en vendant du poisson fumé et, tous les jeudis, est assuré de gagner 6 000 F CFA en aidant l’une des épouses du tycoon Victor Fotso à faire ses courses. Son parcours scolaire conduit Serge Hervé Boyogueno à étudier l’informatique à l’université de Yaoundé-I. Spécialiste en modélisation des systèmes complexes, l’étudiant se frotte au monde de la mine au cours de sa cinquième année de master en ingénierie mathématique, grâce à des cours de géologie et d’hydrogéologie. « L’informatique mène à tout! » dit-il en souriant. Mais la présentation de sa thèse en génie des procédés miniers, qu’ilprépareàl’Écolepolytechniquede Yaoundé, pâtit toujours de ses responsabilités professionnelles, lesquelles débutentchezl’énergéticienAes-Sonel (devenu Eneo). Parallèlement, il s’implique dans le projet du Cardiopad, la tablette médicale développée par son compatriote Arthur Zang. En 2012, Serge Hervé Boyogueno intègre la fonction publique et rejoint la direction des mines, où son ascension s’effectue sous les auspices de son « mentor et encadreur académique », Jean Kisito Mvogo, auquel il succède en 2017 au poste de directeur des mines. Cette promotion l’amène à siéger d’office au conseil d’administration de la SNH et lui donne le privilège de côtoyer Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de Paul Biya, qui préside cette instance, ainsi qu’Adol­ phe Moudiki, l’inamovible patron de la puissante compagnie nationale des hydrocarbures. « Serge Hervé Boyogueno a fait forte impression en posant des questions pertinentes lors de la première de nos réunions, à laquelle il a participé, se souvient l’un des membres du conseil d’administration. Signe évident qu’il avait lu ses dossiers et en possédait une bonne maîtrise. »

ROGER SANDJON

L’informatique mène à tout

À Yaoundé, le 15 février.

À 39 ans, le natif d’Ombessa (à une centaine de kilomètres de Yaoundé), par ailleurs titulaire d’un MBA en management stratégique, espère marcher sur les traces d’Adolphe Moudiki et d’Alain Olivier Mekulu Mvondo, le patron de la Caisse nationale de prévoyance sociale, ses deux modèles en matière de gestion des entités publiques, qui l’abreuvent de conseils. Mais pour mener à bien sa mission, il faudra que les mines camerounaises tiennent enfin leurs promesses, à travers les grands chantiers de développement des sites de Mbalam ou de G-Stones (fer), Lomié (cobalt et nickel), Minim Martap (bauxite) et

Akonolinga (rutile), où la Sonamines héritera systématiquement de 10 % des parts – un pourcentage qui peut monter jusqu’à 25 %. D’à peine 1 % actuellement, la part du secteur dans la richesse nationale devrait être multipliée par dix à la fin de la décennie. « Mais il faut construire les voies d’évacuation des minerais pour en tirer le meilleur profit, insiste Serge Hervé Boyogueno. Car le Cameroun souffre de la “continentalité” de ses sites miniers. Minim Martap se situe à près de 1000 km de la côte, et Mbalam est à 510 km de Kribi. » Un obstacle qui ne lui semble pas du tout insurmontable. JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

205


GRAND FORMAT CAMEROUN

ENVIRONNEMENT

NetZero séquestre le carbone… à profit Un trio d’entrepreneurs ressuscite la très ancienne technique de fabrication du biochar, utilisé pour emprisonner le CO2 et fertiliser les terres agricoles tropicales du littoral camerounais.

NETZERO

AURÉLIE M'BIDA

N

kongsambasedressedans un décor vert et ocre. À environ 150 km au nord de Douala, la ville s’érige au pied des monts Manengouba, aux confins de la région Littoral. Si, au milieu des années 1980, la contrée luxuriante a connu son heure de gloire quand le réalisateur britannique Hugh Hudson a choisi d’y planter une partie du décor de son film Greystoke, la légende de Tarzan, près des lacs de cratère et de la chute d’Ekom Nkam, c’est essentiellement par son économie que la ville s’illustre. Avec le tourisme, auprès des voyageurs itinérants attirés par les nombreuses excursions proposées par les agences de voyages de Douala à

206

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

destination de la région. Mais surtout avec l’agriculture, qui est à la base de l’activité de Nkongsamba. La production et la commercialisation du café marquent d’ailleurs son identité, ainsi que celle des villages alentour, tels Bangwa ou encore Kekem. Aujourd’hui, trois entrepreneurs entendent apporter un nouveau souffle à l’économie locale grâce au biochar. En janvier 2021 était lancée NetZero, une start-up cofondée par Aimé Njiakin, un entrepreneur camerounais, et par deux Français, Axel Reinaud, un ancien du cabinet Boston Consulting Group (BCG), et Jean Jouzel, climatologue et ancien vice-président du Giec (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). L’objectif :

NETZERO

L’usine de transformation de déchets verts NetZero.

Charbon de bois obtenu par pyrolyse de déchets verts.

Le tourisme, mais surtout l’agriculture, avec la production et la commercialisation du café, marquent l’identité de la région.


MESSAGE

AVIS D’EXPERT

Zangue & Partners 156 rue 2.371 avenue de Gaulle, P.O Box: 3922 - Bonapriso, Douala - Cameroun Tél. : (237) 243 72 44 44 / 233 42 49 60 / 699 50 83 65 E-mail : contact@zangueandpartners.com serges.zangue@zangueandpartners.com

zangueandpartners.com

« Nous apportons à nos clients un accompagnement complet et personnalisé » Pouvez-vous nous présenter brièvement le cabinet ? Nous sommes un cabinet d’avocats d’affaires fondé en 2014, avec une pratique qui a commencé personnellement en l’an 2000. Le cabinet est une boutique full services du droit, avec une activité de conseil et de contentieux sur le Cameroun et l’Afrique centrale, au service d’une clientèle corporate. Notre équipe est pluridisciplinaire et multiculturelle avec 24 collaborateurs, dont 16 avocats et juristes. Quelles sont vos spécialités ?

Le cabinet participe activement aux initiatives visant à promouvoir le droit immobilier et le droit de la construction au Cameroun et en Afrique… Je suis membre représentant pays de l’African Construction Law (ACL) qui est une initiative panafricaine mise en place par des praticiens du droit de la construction en Afrique et dans la diaspora. L’objectif est de promouvoir le leadership dans le domaine du droit et de la pratique de la construction en Afrique. Comment intervenez-vous concrètement ? Nous sommes présents à chaque étape d’un investissement. Nous préparons la naissance d’un projet par un éclairage exhaustif sur le cadre réglementaire afin de permettre au client d’opérer des choix stratégiques. Nous faisons naître le véhicule local (création d’une entité locale ou aide à la structuration de la JV adéquate) et accompagnons dans le suivi quotidien des activités. En fin de projet, nous veillons à ce que l’investisseur

Serges Zangue,

Managing Partner du cabinet Zangue and Partners

« Je suis toujours fier de rappeler, à la surprise incompréhensible de mes interlocuteurs, que j’ai achevé toutes mes études jusqu’à mon diplôme de troisième cycle au Cameroun ». puisse bénéficier de tous ses droits tels que prévus dans la réglementation et cela passe par un respect des règles de droit et du formalisme spécifié par la loi. Qu’est-ce qui vous différencie de vos concurrents ? Nous avons une équipe bilingue dynamique composée de personnes qui travaillent ensemble depuis de nombreuses années. Nous avons une connaissance approfondie du contexte local, et donc de la règle de droit tant dans sa lettre que dans son esprit. Nous veillons à assurer un suivi personnalisé de chacun de nos clients et faisons preuve d’une grande réactivité.

JAMG - PHOTOS DR

La pratique du cabinet s’est développée initialement dans le cadre de grands projets d’infrastructures pour lesquels nous avions à examiner, dans le cadre de due diligences et/ou de suivi, tous les aspects, dont celui fondamental du foncier. Puis, nous nous sommes intéressés et avons conseillé sur toutes les problématiques de ces secteurs, depuis le foncier jusqu’à l’exploitation, en passant par la promotion, les questions d’acquisitions, le financement (garanties), les chaines contractuelles, la responsabilité, etc.


GRAND FORMAT CAMEROUN le développement du biochar, contraction de « bio » et de « charcoal », charbon de bois en anglais, et qui consiste en une poudre de charbon obtenue par pyrolyse de déchets verts. Quant à ses atouts, le biochar permet à la fois de séquestrer le carbone (CO2 contenu dans l’atmosphère) et de fertiliser les sols acides en zone tropicale.

Une première sur le continent

Le trio propose donc de s’attaquer à deux problématiques majeures, le changement climatique, et l’agriculture durable et résiliente, et d’en tirer profit. En effet, la fiscalité carbone élaborée dans le cadre des accords de Paris – pour l’heure non encore arrêtée, qui prévoit notamment que les entreprises qui polluent le plus la planète devront « compenser » leurs émissions – leur offre une ouverture. En d’autres termes, payer. Et ce pour rester dans la trajectoire des accords sur le climat, diviser par deux les émissions mondiales (50 milliards de tonnes) de carbone d’ici à 2030 et atteindre un bilan carbone zéro en 2050. « Nous nous sommes demandé comment faire pour réduire cet excédent de CO 2 dans l’atmosphère », raconte Axel Reinaud, l’ancien associé du Boston Consulting Group (BCG) à Paris, qui embrasse à présent la cause du climat. L’emprisonner semble une réponse concrète immédiate. Mangroves, plantations d’arbres, puits de carbone (lire l’encadré)… Les solutions existent, disséminées dans

le monde. « Nous avons misé sur le biochar », affirme-t-il. Et c’est ainsi que la jeune entreprise, dont le siège est localisé à Paris, devait inaugurer ce 1er mars le premier site de production industrielle de biochar d’Afrique. Si le projet et le mode de production sont inédits sur le continent, l’idée ressuscite une technique ancestrale, usitée il y a plus de six mille ans par les Amérindiens en Amazonie dans

Le biocarburant créé doit couvrir à terme les besoins de l’usine, en plus de produire un fertilisant commercialisable. le but de fertiliser leurs cultures. « Grâce à la pyrolyse des matières premières agricoles, nous pouvons produire très vite de très grandes quantités de biochar », expose le CEO de NetZero, qui ne voit à cette substance que des avantages, bien que des réticences existent au niveau du coût de production (notamment en Europe) et de son bilan énergétique. L’initiative de ces entrepreneurs aux profils atypiques est soutenue par Yaoundé. Un coup de pouce qui doit donner toutes les chances à NetZero de rapidement prospérer. Le Cameroun, par l’intermédiaire

de son ministre de l’Environnement, Pierre Hélé, a ainsi fortement appuyé le projet franco-camerounais lors de la dernière Conférence internationale sur le climat de Glasgow, en novembre. « L’État camerounais entend lancer un plan de grande ampleur en faveur du biochar », précise Axel Reinaud. Ainsi, au beau milieu d’un hangar ouvert aux quatre vents, sur les quelque 1 000 m2 de l’usine de transformation de café d’Aimé Njiakin à Nkongsamba, trône à présent un imposant réacteur de pyrolyse vert estampillé NetZero. On imagine l’odeur âcre des déchets organiques stockés là, mélangée au souffle légèrement empreint de charbon transporté par la brise. Le quotidien de l’usine doit être amené à rapidement changer, à mesure que devraient être transformées les 7 000 tonnes annuelles de résidus agricoles (principalement de café) prévues. En bout de chaîne, le biocarburant créé doit couvrir à terme les besoins de l’usine, en plus de produire un fertilisant commercialisable et, enfin, de monnayer la séquestration de carbone auprès des entreprises au bilan carbone catastrophique. Les fondateurs de NetZero estiment, un brin optimistes, un prix du carbone autour des 100 et 300 euros la tonne d’ici à 2030. À ce titre, ils prévoient qu’à terme leur chiffre d’affaires sera constitué à 50 % des recettes issues des crédits carbone, et à 50 % du biochar et du combustible créé. Si ces prévisions sont exactes, la rentabilité attend au tournant.

CES AUTRES INITIATIVES AFRICAINES QUI VEULENT PIÉGER LE CO2 En vedette lors de la dernière Conférence internationale sur le changement climatique (COP26) à Glasgow, en Écosse, deux autres projets africains ont tenté de faire entendre leur voix. Celui de la Grande Muraille verte (GMV), un éléphant blanc relancé par le président français

208

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

Emmanuel Macron lors du One Planet Summit en février 2021, avec une enveloppe de plus de 14 milliards de dollars décidée par les acteurs du sommet pour accélérer sa réalisation. Initiative phare de l’Union africaine pour lutter contre les effets du changement climatique et de la désertification en

Afrique, la GMV a pour but de transformer la vie de millions de personnes en créant une mosaïque d’écosystèmes verts et productifs en Afrique du Nord, au Sahel et dans la Corne de l’Afrique. L’autre initiative qui s’est fait connaître du grand public et des investisseurs, la forêt du bassin du Congo.

Premier réservoir de carbone de la planète, elle est vitale dans la lutte contre le dérèglement climatique. À Glasgow, Ali Bongo, Félix Tshisekedi et Denis Sassou Nguesso ont lancé un appel à la solidarité pour mener les actions nécessaires à sa sauvegarde. A.M’B.


Le cabinet de la semaine

Mr Kouengoua,

Founding managing partner of KMN Law Firm.

COMMUNIQUÉ

KMN LAW

Tommy Nkongho Agbor Partner of KMN Law Firm.

Minou Sterling Partner of KMN Law Firm.

FAIRE DE LA ZLECAF UNE OPPORTUNITÉ POUR LES PAYS OHADA

F

JAMG - PHOTOS : D.R.

ondée en 1984 et toujours installé à Douala, KMN Law est aujourd’hui l’un des cabinets juridiques les plus réputés du Cameroun ainsi que de toute la zone Ohada. Spécialisée dans le droit des affaires, l’accompagnement d’opérations financières dans les domaines des infrastructures, des mines et de l’énergie notamment, ainsi que dans le droit de l’Immigration, la firme est prête à guider ses clients pour les aider à tirer le meilleur de la future Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).

Le cabinet juridique camerounais KMN Law a connu de profondes évolutions en 2021. Il a d’abord changé de nom suite à la disparition d’Anne Ngantio Mbattang, fondatrice avec M. Kouengoua de K&M Law au début des années 1980. Ce dernier a donc revu l’organisation de ses équipes en confiant des responsabilités managériales à deux jeunes avocats entrés au sein du cabinet depuis une dizaine d’années. Récompensés pour leur éthique personnelle, autant que pour leurs aptitudes professionnelles, Sterling Minou et Tom Nkongho Agbor, sont désormais associés de KMN (Kouengoua, Minou, Nkongo), inaugurant une nouvelle ère pour le cabinet qui en près de quarante ans s’est forgé une réputation d’excellence dans son pays. Travaillant aussi bien en français qu’en anglais, les douze avocats de K&M hier puis KMN aujourd’hui, conseillent plus de 500 entreprises à travers ses différentes implantations dans les pays

membres de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada), de la multinationale à la PME. KMN devrait prochainement disposer de bureaux au Tchad et au Bénin. Ailleurs, la firme camerounaise s’appuie sur les cabinets juridiques locaux, réunis au sein de l’Alliott Global Alliance, présente dans plus de 200 juridictions sur la planète. KMN diversifie ainsi sa clientèle dans le monde des affaires internationales. KMN a également vite trouvé sa place sur le guide international Chambers and Partners qui l’a nommé parmi les meilleurs cabinets juridiques du Cameroun depuis 2017. KMN est également référencé auprès d’organismes professionnels aussi renommés à l’international que Legal 500 et IFLR 1 000. Le cabinet a en effet multiplié les réussites à travers le continent, en accompagnant ses clients lors de grandes opérations d’acquisition, d’obtention de crédits bancaires ou de visa pour leurs employés étrangers. Fort de ses expertises différentes et complémentaires, KMN est à la pointe sur l’un des dossiers les plus suivis par l’ensemble du continent, celui de la mise en place prochaine de la Zlecaf. Pour Tom Nkongho Agbor, « son impact est évident sur l’économie des pays Ohada comme le Cameroun, ainsi que ses bénéfices ». Et KMN se fait fort de fournir tous les conseils nécessaires pour que sa clientèle tire le meilleur de la plus grande zone de libre-échange à voir le jour sur la planète.

KMN LAW

www.kmnlaw.cm

485 Rue des Écoles, Akwa, B.P. 3792 Douala, Cameroun Tél. : (+237) 233 434 376 Email : info@kmnlaw.cm nkongho.agbor@kmnlaw.cm

▶ DROIT DES AFFAIRES ▶ DROIT COMMERCIAL ▶ DROIT DES SOCIÉTÉS ▶ FUSIONS ET ACQUISITIONS ▶ ARBITRAGE ET MÉDIATION ▶ FINANCEMENT DE PROJETS ▶ DROIT D’IMMIGRATION ▶ FINANCEMENT DES ENTREPRISES ▶ ÉNERGIE ET INFRASTRUCTURES ▶ DROIT MINIER ▶ DROIT DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

« KMN est reconnue pour sa réactivité, ses conseils pratiques et ses capacités techniques qui lui permettent de résoudre de manière pertinente les difficultés auxquelles peuvent être confrontés ses clients ».


GRAND FORMAT CAMEROUN

TOURISME

L’arche de Noah ERIC MINYAN

Dans son fief familial d’Etoudi, non loin du quartier présidentiel, l’ancien champion de tennis a bâti un vaste complexe hôtelier. Visite guidée.

FRANCK FOUTE

C

est la chronique d’un retour au pays natal. Celui de la légende du tennis Yannick Noah, ancienne personnalité préférée des Français, star de la musique et as du business, revenue bâtir un village de vacances sur les terres qui ont vu naître ses aïeux. L’histoire d’un patronyme, également, qui appartient à l’une des familles les plus célèbres et influentes du Cameroun. « Ce lieu est plus qu’un hôtel, c’est le temple des Noah », précise Yannick, qui, en cette mi-février, nous fait visiter le site. Bien décidé à perpétuer l’héritage de ce lieu emblématique de Yaoundé, il n’a rien changé au country club qu’avait fondé Zacharie, son père, décédé en 2017. Une oasis de verdure aux allures de parc d’attractions, parsemée de vastes pelouses, de courts de tennis et d’un terrain de basket ajouté par son fils, Joakim Noah, du temps de son passage en NBA… Construite par sa défunte mère, Marie-Claire Échalier-Perrier, l’école, qui accueille 300 enfants, a elle aussi gardé tout son charme. Parmi les innovations, un minibar nous plonge, dès l’entrée, dans l’univers de l’ancien athlète de haut niveau. De part et d’autre de cet espace cosy, un mini-musée dans lequel le vainqueur de RolandGarros expose l’ensemble des trophées remportés au cours de sa carrière. Une balade authentique et originale dans l’univers du tennis des années 1980. Idéal pour prendre

210

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

un verre ou discuter entre amis, dans une ambiance bercée par des musiques du monde. Et, bientôt, le plat de résistance : autour d’une cascade, dix-neuf chambres et trois suites, dont une VIP. « Chacune de ces chambres porte le nom de l’un des petits-fils du clan, explique Yannick. Histoire de les préparer à récupérer cet héritage et de leur dire que, où qu’ils se trouvent, ils ont un chez-eux au Cameroun ». À l’intérieur, un mélange d’artisanat camerounais ou, plus largement, africain, qui donne un aspect ethnique chic. Du bambou et du rotin local, du bogolan – ce tissu de coton fabriqué au Mali –, des chaises bamilékées, le tout recouvert de paille provenant du Nord-Cameroun.

« Chacune des chambres porte le nom de l’un des petits-fils du clan, pour leur dire que, où qu’ils se trouvent, ils ont un chez-eux au Cameroun. » Chez les Noah, la musique reste le fil conducteur. Au cœur du domaine, un bus désaffecté a été relooké pour accueillir les amoureux de karaoké. Les samedis, il n’est pas rare de voir le nouveau gardien du temple empoigner sa guitare et monter sur scène pour jouer quelques notes. Le

grand-père, Simon Noah Bikié (le « Papa Tara » célébré par Yannick en chanson), et le père, Zacharie Noah, dit « Tonton Zac », qui repose non loin dans le caveau familial, apprécieraient.

Air débonnaire

Yannick Noah a également fait ouvrir une boutique Le Coq sportif, la marque qui équipe les sélections nationales de football du Cameroun. Membre du conseil d’administration de l’équipementier, avec lequel il chemine depuis ses 19 ans, Yannick Noah n’est pas étranger à la signature du contrat qui lie cette marque à la Fédération camerounaise de football depuis janvier 2020. L’ancienne gloire du tennis se souvient de cette session du conseil durant laquelle l’appel d’offres a été débattu. « Quand je suis tombé sur le dossier du Cameroun et que nous l’avons examiné, j’ai dit [aux membres du CA] “allons-y sans hésiter” », se souvient-il. Près de 1,5 million de dollars ont été investis dans la valorisation du domaine de 3 hectares. L’air débonnaire, Yannick Noah refuse d’endosser le costume d’entrepreneur. « Ce n’est pas le business qui compte, mais la spiritualité de l’endroit », commente-t-il. L’une des conséquences de la tournure que son précédent projet immobilier a prise ? À la fin de 2016, les médias avaient annoncé en grande pompe son ambitieux projet : la construction d’une cité en plein cœur de Yaoundé, baptisée Cité des cinquantenaires : en


GRAND FORMAT CAMEROUN 2019, 1 000 logements conçus selon les normes européennes devaient être livrés. Yannick Noah et ses partenaires financiers – parmi lesquels son fils Joakim – ciblaient la classe moyenne et la diaspora, pour un investissement de plus de 60 milliards de F CFA (plus de 90 millions d’euros).

Mille maisons… et un procès

N’étant pas sur place, Yannick Noah avait créé une société civile immobilière, MJ Construction, et délégué la conduite des travaux à son cousin, Emmanuel Atangana. Trois ans plus tard, et après qu’environ 500 000 euros eurent été dépensés, rien n’avait bougé sur le site du chantier, dont l’acquisition avait été facilitée par la mairie de Yaoundé. Estimant avoir été floué, Yannick Noah est aujourd’hui en procès contre ce proche.

À 61 ans, l’ancien sportif, qui a posé ses valises au Cameroun en 2020, en pleine pandémie de Covid-19, commence une nouvelle vie. Depuis l’ouverture du Village Noah, ses amis font le déplacement pour découvrir ce coin de Cameroun : Amélie Mauresmo et Yahiya Doumbia, membres de la grande famille du tennis français, le boxeur Tony Yoka, etc. Durant la dernière Coupe d’Afrique des nations, les membres de la Confédération africaine de football ont également séjourné au village, qui accueillait une fan zone officielle de la compétition. Noah veut en faire une halte privilégiée pour les Yaoundéens comme pour les touristes. « Nous proposons aux visiteurs un endroit magnifique, dans Yaoundé, afin qu’ils repartent du pays en se disant : “Nous avons vu quelque chose de formidable” », conclut-il.

PHOTOS : ERIC MINYAN/THE PHOTOGRAPHIX

Les samedis, il n’est pas rare de voir le nouveau gardien du temple empoigner sa guitare et monter sur scène pour jouer quelques notes.

Le Village Noah : une oasis de verdure sur 3 hectares. JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

211


GRAND FORMAT CAMEROUN

CAN

L’heure des comptes

La Coupe d’Afrique des nations terminée, les autorités doivent maintenant se concentrer sur les conséquences financières et sportives de l’événement. ALEXIS BILLEBAULT

Pérenniser les investissements

Des questions évidemment suivies de près par le pouvoir politique, qui peut estimer avoir plutôt réussi son pari d’organiser la CAN. Paul Biya, qui avait assisté au match d’ouverture entre les Lions et le Burkina Faso, a remis lui-même le trophée à Kalidou Koulibaly, le capitaine sénégalais. « L’État a tout fait pour que la CAN ait bien lieu, alors que des rumeurs sur une délocalisation au Qatar, sur un report ou même sur une annulation circulaient quelques jours avant le début du tournoi. Cette volonté de ne pas céder et d’accueillir l’événement a été bien perçue par l’opinion publique, relève le docteur Claude

212

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

MOHAMED ABD EL GHANY/REUTERS

L

es Lions indomptables ont donc terminé à la troisième place de « leur » CAN. « Les gens sont ici plutôt satisfaits des performances des Lions, mais ils sont déjà tournés vers l’avenir et le rendez-vous face à l’Algérie », annonce l’ancien gardien international JosephAntoine Bell. Le sélectionneur, Toni Conceiçao, nommé en novembre 2019, est toutefois loin de faire l’unanimité, et son sort dépendra sans doute des résultats des prochaines rencontres. Samuel Eto’o, le nouveau président de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot), souhaitait même se débarrasser du Portugais avant cette échéance, mais le ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi, a choisi de le maintenir à son poste. « Il semblerait que le ministre souhaite que le sélectionneur soit maintenu pour les deux matchs contre l’Algérie et pour les qualifications pour la CAN 2023, qui débuteront en juin », souffle une source proche de la fédération.

Le stade Olembé, à Yaoundé, le 25 janvier 2022.

Jabéa Bekombo, chercheur au Centre de recherche en droit, économie et politique du sport (Cerdeps) à l’université de Yaoundé-II. Les Camerounais estiment également que l’organisation a été plutôt une réussite. » Sur le plan financier, l’État camerounais a investi un peu plus de 1 milliard d’euros pour organiser la plus grande compétition africaine. Pour Claude Jabéa Bekombo, plusieurs solutions existent pour pérenniser ces investissements. « L’État ne peut pas gérer cela seul. Je pense qu’il devrait passer des contrats avec des sociétés privées spécialisées dans la gestion de ce genre d’infrastructures. Il faut aussi que le Cameroun ne se contente pas de participer à des événements sportifs ou

culturels, mais qu’il en organise plus souvent. Grâce aux travaux réalisés pour la CAN, il en a désormais les capacités structurelles. » Une hausse de la fiscalité serait particulièrement mal vécue par les Camerounais, alors que l’économie du pays n’est guère florissante. « En l’état actuel des choses, je pense effectivement que le gouvernement ne peut pas se permettre d’activer le levier d’une hausse des impôts pour amortir le coût de la CAN », poursuit Bekombo, même si celle-ci a rapporté de l’argent avec la présence de supporters et de journalistes étrangers, et des recettes liées à la fréquentation des stades. Pour le Cameroun, le plus dur commence aujourd’hui…


VENTE DE VÉHICULES LOCATION COURTE ET LONGUE DURÉE PNEUMATIQUE RÉPARATION ET ENTRETIEN


GRAND FORMAT CAMEROUN

EN DÉBAT

Que vont devenir les stades?

L

e premier coup de sifflet n’avait pas encore retenti sur les pelouses camerounaises que la question se posait déjà. Qui va financer l’entretien des stades une fois la Coupe d’Afrique des nations (CAN) achevée ? Un débat amplifié par la diffusion sur les réseaux sociaux d’images de terrains à l’abandon au Gabon alors qu’ils avaient accueilli les matchs de la CAN 2017. Les autorités camerounaises ont commencé à plancher sur le sujet il y a longtemps. Et au plus haut sommet de l’État. Paul Biya a mandaté à cet effet Ferdinand Ngoh Ngoh, le puissant secrétaire général de la présidence et patron de la « task force CAN », comité réunissant une quinzaine de cadres de différents ministères et chargé du suivi des chantiers d’infrastructures du tournoi. Le chef de l’État a donc demandé à Ngoh Ngoh de lui proposer des solutions afin d’éviter un scénario à la gabonaise et, selon nos informations, les responsables techniques commis à cette tâche ont rendu leur copie depuis la mi-octobre 2021. Principale proposition : la création d’une entité publique à laquelle seront confiés l’entretien et la rentabilisation des

214

infrastructures existantes ainsi que le développement de nouvelles enceintes sportives dans les régions qui n’ont pas bénéficié des chantiers de la CAN. Cette structure devrait avoir des divisions régionales et c’est elle qui serait chargée de nouer des partenariats d’exploitation avec des sociétés privées. Ces derniers mois, plusieurs d’entre elles n’ont d’ailleurs pas manqué de démarcher les autorités camerounaises en espérant décrocher des marchés.

Coût de la maintenance

Selon un cadre du ministère des Sports, près de 500 milliards de F CFA (plus de 762 millions d’euros) ont été investis par le Cameroun pour la construction et la rénovation de l’ensemble des infrastructures sportives. La plupart ont été mises à la disposition de la Confédération africaine de football (CAF) pour la CAN. Il s’agit des deux stades construits à Bafoussam et à Limbé, de ceux de Douala-Bepanda, du stade AhmadouAhidjo (à Yaoundé) et de celui de Garoua, entièrement rénovés, des deux complexes sportifs de Douala et de Yaoundé – toujours en attente de finition – et d’une trentaine de terrains d’entraînement construits

JEUNE AFRIQUE – N° 3110 – MARS 2022

ou réhabilités à travers le pays. La maintenance de chacun des stades construits par le Cameroun coûte de 1 à 1,5 million d’euros par an. Pour l’heure, seuls ceux qui ont été totalement achevés sont à la charge des autorités camerounaises. En revanche, la CAN désormais terminée, la deuxième phase du complexe de YaoundéOlembé doit reprendre, et le site reste donc sous la responsabilité des constructeurs jusqu’à la livraison complète du chantier. Il en est de même pour le chantier du stade de Japoma, sur lequel le groupe turc Yenigün est encore actif.

Mise en place juste avant la CAN féminine organisée par le Cameroun en 2016, la task force CAN veille depuis lors au bon état des différents stades et au suivi des chantiers. Et bien que son omniprésence dans la négociation des contrats avec les prestataires ait suscité une avalanche de critiques et des soupçons de malversations, ses membres sont convaincus d’avoir rempli leur mission. Ngoh Ngoh et ses collaborateurs devront-ils un jour se justifier ? Seul Paul Biya a la réponse. C’est aussi lui qui, in fine, va décider de la forme que prendra l’entité chargée de l’entretien des stades. Franck Foute


COMMUNIQUÉ


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.