Présidentielle, « biens mal acquis », succession, France, Cemac…
Obiang parle
Une interview exclusive du chef de l’État équato-guinéen
Hebdomadaire international indépendant • 56e année • n° 2884 • du 17 au 23 avril 2016
Mali Faut-il juger ATT ?
jeuneafrique.com
Dossier Agriculture Spécial 8 pages
Maroc La guerre du kif
RD Congo
Monsieur non
Aussi courtisé qu’énigmatique, le Sphinx de Limete est plus que jamais au cœur du jeu politique en cette année cruciale. Enquête sur Étienne Tshisekedi, l’homme qui tient tête à tous les pouvoirs. édition internationale et afrique centrale
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Dossier
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Agriculture
Coopératives
Quand l’union fait
jeAn-michel ruiz
L’agriculture africaine n’a pas encore fait sa révolution. Industriels, producteurs et pouvoirs publics vantent l’intérêt des coopératives pour professionnaliser et structurer ce secteur clé, premier créateur d’emplois sur le continent.
n 0 2884 • du 17 au 23 avril 2016
jeune afrique
anacarde
Olam, au plus près des producteurs
climat
Des récoltes compromises
banane
Comment les planteurs antillais dynamisent la filière ivoirienne
Marion DoUet
la force
C
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est entouré de cinq coopératives (karité, manioc, céréales) que le ministre ivoirien de l’Agriculture, Sangafowa Coulibaly, s’est rendu début mars au Salon de l’agriculture de Paris pour faire valoir le rôle que ces organisations paysannes vont jouer dans le rayonnement international des productions ivoiriennes. Les coopératives, avenir de l’agriculture africaine ? Pour l’heure, sur le continent, leur influence reste limitée, y compris dans des pays où le secteur est très structuré, comme au Maroc, où les autorités encouragent les agriculteurs à se regrouper sous cette forme. L’Alliance coopérative internationale (ACI), qui collabore avec l’ONU et l’Organisation internationale du travail, regroupe, représente et assiste des coopératives du monde entier. Elle compte 289 structures adhérentes, dont seulement 33 sur le continent, dans 21 pays sur 54. Dans un rapport de 2013, Chiyoge Sifa, sa directrice régionale pour l’Afrique, souligne que les coopératives africaines sont confrontées à plusieurs défis, notamment le faible niveau d’éducation des agriculteurs, des capacités financières limitées, une forte dépendance à l’égard des sources de financement extérieures et, parfois, une mauvaise gouvernance. Mais elle ajoute que, « malgré ces défis, le secteur dispose d’un potentiel de croissance élevé ». certifications. Sur le continent, en dépit de
p Des producteurs de tomates cerises, à Dakhla, dans le Sahara occidental. Au Maroc, les autorités encouragent leur regroupement. jeune Afrique
l’augmentation des surfaces cultivées par les groupes industriels comme Sifca ou la Compagnie fruitière, les exploitations familiales créent encore la majorité des emplois du secteur. Le modèle coopératif devrait néanmoins s’étendre, favorisé en Afrique francophone par l’application de la loi Ohada sur l’uniformisation du statut juridique des coopératives, adoptée en 2011, même si, faute d’un accompagnement suffisant, sa mise en œuvre effective, fixée au départ à 2013, a pris du retard. Grâce à ce statut juridique plus complet que celui des associations villageoises, les coopératives encadrent mieux les agriculteurs, affirme Célestin Gala, secrétaire général de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB). Elles leur assurent des revenus (un prix garanti est fixé en concertation pour toute la campagne), leur permettent de négocier collectivement les prix des engrais et des produits phytosanitaires, d’obtenir des certifications ou encore de financer des projets communautaires (écoles, puits, etc.). n o 2884 • du 17 Au 23 Avril 2016
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Dossier Agriculture À l’heure où le continent peine à assurer son autosuffisance alimentaire et où les pertes après récoltes représentent encore plus de 10 %, les coopératives permettent plus généralement de renforcer la structuration des filières. L’intérêt de ces coopératives est également crucial pour les entreprises du secteur, qu’elles soient fournisseurs d’intrants, agro-industriels ou distributeurs. Toutes les sociétés interrogées par Jeune Afrique s’accordent sur le rôle positif joué par ces organisations dans la fluidification des échanges. Implanté en Afrique du Sud depuis deux ans (à travers le rachat de Link Seed et de Seed Co), le semencier français Limagrain, lui-même construit sur un modèle coopératif, a naturellement développé cette clientèle, qui représente désormais 50 % de ses ventes, contre 30 % à son arrivée. « Malgré les retards de paiements possibles, ce modèle est une meilleure sécurité pour les achats », plaide Michel Debrand, directeur Afrique du groupe.
À la clé, des économies de transport, de douanes, et moins de risque de change.
PRODUITS LOCAUX. En mettant en place des sys-
tèmes de collecte, en construisant et en gérant des entrepôts, les coopératives représentent un maillon précieux pour les industriels de l’agroalimentaire, comme le singapourien Olam (lire pp. 70-71) ou le français Avril, actif dans les huiles (d’olive et de tournesol) au Maroc et dans l’arachide au Sénégal. « Quand les coopératives n’existent pas, ce sont les opérateurs privés, industriels, qui doivent se
charger de la collecte et du stockage », explique Michel Boucly, directeur général délégué d’Avril chargé du développement des filières agricoles (l’ex-Sofiprotéol est elle aussi née du monde coopératif ), dont l’ambition est de renforcer son groupe au sud du Sahara. En aval, les acheteurs de fruits et de légumes sont aussi favorables au développement de ces structures. « La multiplication des fournisseurs est compliquée à gérer, et les produits des coopératives sont souvent de meilleure qualité », admet volontiers Maxime Poiron, responsable des franchises Casino et Super U au Gabon. L’absence d’intermédiaire peut en outre faire baisser les prix d’environ 10 %. Les coopératives, qui facilitent l’approvisionnement en produits locaux, permettent enfin de limiter les importations. À la clé, des économies de frais de transport, de douanes, et moins de risque de change. Le brasseur Guinness l’a bien compris. Il achète localement environ 70 % des matières premières qu’il utilise, et son objectif est de développer des partenariats avec les coopératives. Tout indique donc que ce modèle monte en puissance. Il reste peut-être, dans certains pays, comme l’Algérie ou la Tanzanie, où l’obligation d’intégrer des coopératives sous les régimes socialistes a marqué les esprits, à surmonter les réticences des agriculteurs à s’inscrire dans des projets collectifs. ●
Pourquoi ils ont choisi ce modèle Cacao
Mamadou Bamba, DG d’Ecookim
« Mieux utiliser les intrants » Un producteur de cacao isolé ne peut pas à la fois travailler ses plantations et s’occuper de l’export. Ecookim, qui réunit près de 12 000 producteurs, organise la collecte et la vente des fèves sans bénéficier d’aucune subvention de l’État. Nous jouons un rôle important auprès des femmes, très impliquées dans nos produits certifiés par le label du commerce équitable FLO. Notre rôle est aussi d’apporter aux planteurs des formations sur les bonnes pratiques et un encadrement technique pour leur permettre d’utiliser au mieux les produits phytosanitaires et les fertilisants. Le fait d’être regroupés nous permet d’avoir de meilleurs prix sur les intrants. Mais il faut convaincre les planteurs que les choix de la coopérative les concernent car ils en sont les sociétaires. Et puis nous avons du mal à trouver les bons profils pour gérer la coopérative, car les jeunes diplômés préfèrent souvent proposer leurs services aux grandes entreprises. ● Propos recueillis par MARIOn DOUeT n o 2884 • du 17 au 23 avril 2016
© ecookim
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p Dans l’une des structures d’Ecookim, à Doala, en Côte d’Ivoire, des agriculteurs suivent une formation. jeune afrique
Café
Sidiki Camara, président d’Adecam
« Obtenir une certification » Adecam a permis aux producteurs guinéens de devenir de véritables opérateurs économiques. Même si ses membres n’ont pas toujours le même point de vue. Il peut y avoir des tensions sur les décisions, par exemple lorsque les cours du café augmentent, car les prix payés aux producteurs sont fixés à l’avance pour l’année. C’est une histoire de confiance. C’est aussi à travers la coopérative que nous avons pu mener les démarches pour obtenir une certification IG
[Indication géographique], la première de Guinée. À Ziama, dans la région de Macenta, nous produisons un café robusta unique qui ressemble beaucoup à l’arabica, acidulé et très faible en caféine. Cette année, nous visons une certification équitable. Alors que le cours est à 1300 dollars la tonne [lors de l’entretien réalisé à la mi-mars], elle nous permettra d’atteindre un prix garanti de 2000 dollars. À terme, nous envisageons de passer en agriculture biologique. ● Propos recueillis par m.d.
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Zaouia Vendre à la grande distribution Agrumes
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ondée en 1978, Zaouia est l’une des plus importantes coopératives de producteurs d’agrumes du Maroc. Située à Guerdane (région du Souss), elle compte une trentaine de membres, mais une soixantaine d’agriculteurs bénéficient de ses services. Pour Youssef Jebha, son président, « se regrouper permet de valoriser les produits, d’avoir accès à des intrants, à de nouvelles variétés, mais aussi à une aide technique et financière ». Zaouia a créé sa propre société d’exportation, Vita Souss, qui approvisionne l’Europe, l’Amérique du Nord et le Moyen-Orient, et qui répond aux exigences de grandes chaînes comme Asda, Costco, Metro. « Notre point fort, c’est le tonnage. On est passés de 5000 tonnes à l’export en 2000 à 30000 aujourd’hui », commente Youssef Jebha. La même quantité est distribuée sur le marché local. En 2016, Zaouia prévoit un chiffre d’affaires de 200 millions de dirhams (environ 18 millions d’euros). ● Stéphanie Wenger, à Rabat
TerrEspoir Devenir une coopérative pour grandir Fruits
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a devanture du siège de TerrEspoir Cameroun, à Douala, ne paie pas de mine. Mais depuis plus de vingt ans, ce groupe d’initiative commune (GIC) encadre 112 petits producteurs de mangues, d’avocats, de papayes, de bananes, d’ananas, répartis dans les régions du Littoral, de l’Ouest et du Sud-Ouest, en les formant à l’agriculture biologique. « Nous servons d’intermédiaire entre eux et nos partenaires helvètes, TerrEspoir Suisse, l’ONG Secaar et les magasins Claro. Selon les principes du commerce équitable, le prix est fixé en fonction du coût de production majoré d’une marge. Les commandes sont ensuite passées, et parfois les acheteurs préfinancent », indique Blanche Djou, coordinatrice du bureau exécutif de TerrEspoir Cameroun. Au début, à peine 2 % de la production était acquise par TerrEspoir Suisse. L’arrivée de Secaar et de Claro permet aujourd’hui d’absorber plus de 40 % des récoltes et de réaliser un revenu annuel moyen de plus 150 millions de F CFA (environ 230 000 euros). Le GIC octroie également des prêts et des subventions à ses membres. Pour bénéficier à son tour de subsides et se conformer à une injonction gouvernementale, il a entamé sa mue en coopérative il y a deux ans. Le processus arrivera à son terme en 2017. ● Omer mbadi, à Yaoundé jeune afrique
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Dossier Agriculture Coton
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UNPCB Discuter d’égal à égal avec l’industrie
u Burkina, l’Union nationale des producteurs de coton (UNPCB), qui regroupe quelque 350 000 exploitants, agit comme un véritable lobby. Cette coopérative, dont le budget annuel dépasse 3 milliards de F CFA (près de 20 millions d’euros), réunit 9 217 groupements de producteurs de coton et 177 unions départementales de producteurs de coton. Ces dernières désignent les dirigeants des 28 unions provinciales, qui eux-mêmes choisissent les membres du bureau de l’UNPCB. Son siège est à Bobo-Dioulasso, et elle emploie 188 agents techniques qui l’aident à concevoir ses stratégies et à former les paysans aux bonnes pratiques agricoles. Son plan quinquennal (2014-2018), soutenu par des bailleurs comme l’Union européenne et la Banque mondiale, vise à améliorer la productivité et la commercialisation du coton-graine. IMPAYÉS. Si le Burkina peut s’enorgueil-
lir d’être le leader ouest-africain de la culture de l’or blanc, c’est aussi grâce à cette coopérative, qui a d’abord permis d’assainir la filière. Avant sa création, les producteurs, organisés en groupements villageois, étaient confrontés à des impayés dont les montants ont atteint au milieu des années 1990 plus de 3 milliards de F CFA. « L’Union nous a permis d’être mieux organisés, d’avoir la confiance des institutions financières et de mener des plaidoyers pour la défense de nos intérêts », explique Yacouba Koura, premier vice-président de l’UNPCB. Sous l’impulsion de l’Union, des zones cotonnières comme la Boucle du Mouhoun et les Hauts-Bassins sont aussi devenues des régions de grande
© xavier rossi/rea
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p Après la récolte, dans le village de Yoyo (sud-est du Burkina).
production céréalière, avec des taux de couverture des besoins dépassant 200 %. L’UNPCB siège aux côtés de l’État et des trois sociétés cotonnières (Sofitex, Socoma, Faso Coton) au sein de l’Association interprofessionnelle du coton du Burkina, l’organe paritaire de gestion de la filière. Et elle détient 30 % du capital de la Société burkinabè des fibres textiles, la plus importante des trois entreprises chargées de l’achat, du transport, de l’égrenage et de la commercialisation du coton, ainsi que 12 % de Socoma et de Faso Coton. « Grâce à l’Union, nous discutons d’égal à égal avec les sociétés cotonnières. Nous participons également à la fixation des prix d’achat ainsi qu’aux appels d’offres pour
les intrants », explique Yacouba Koura. Selon l’UNPCB, le revenu moyen d’un cotonculteur atteint 145 000 F CFA par hectare, et la filière fait vivre pas moins de 3,5 millions de personnes. Enfin, si le pays se détourne du coton transgénique de la firme américaine Monsanto, c’est en partie à cause de la pression des producteurs, qui s’estiment lésés par sa qualité médiocre (l’interprofession réclame au semencier américain près de 50 milliards de F CFA). Pour eux, la perte du label « coton burkinabè » à l’international a causé un manque à gagner de plus de 40 milliards de F CFA au cours des cinq dernières années. ● Nadoun Coulibaly, à Ouagadougou
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Dossier Agriculture anacarde
Olam, au plus près des producteurs Conseils techniques, financement, alphabétisation… Pour sécuriser ses approvisionnements en noix de cajou, le groupe singapourien soigne ses relations avec les paysans. Reportage en Côte d’Ivoire.
S
ous le manguier du village baoulé de Pliké-Totokro, à 40 km de Bouaké, pas un membre du bureau de la coopérative Essoimbo ne manque à l’appel pour accueillir les représentantsd’Olam.Noussommesmimars, la récolte de noix de cajou a commencé depuis deux semaines, et les 300 producteurs membres de l’organisation paysanne ont déjà livré plus de 20 tonnes de fruits à la multinationale singapourienne, premier exportateur et transformateur d’anacarde de Côte d’Ivoire. Si rien ne vient perturber leur travail, ils devraient dépasser la production de l’an dernier : 163 t. Autour des cases, les noix prennent le soleil, étalées sur des bâches pour abaisser leur taux d’humidité à moins de 10 % avant leur transformation. En Côte d’Ivoire, Olam achète entre 15 % et 20 %, selon des sources internes (plus de 30 %, n o 2884 • du 17 au 23 avril 2016
© julien Clémençot pour j.a.
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selon l’un de ses clients), des 700 000 t d’anacarde disponibles, dont 45 000 t, certifiées bio depuis cette année, seront transformées localement. Le groupe a fait du pays, où il est présent depuis 1994, son laboratoire à l’échelle africaine en matière de relations avec les producteurs. Renforcer ses liens avec les agriculteurs est le meilleur moyen de sécuriser ses approvisionnements, qu’il s’agisse de noix de cajou, de coton ou de cacao. « Celui qui maîtrise la production maîtrise le marché », assure Partheeban Theodore, directeur général d’Olam Côte d’Ivoire. terrain. Reste qu’à Pliké-Totokro
tout comme dans d’autres localités des environs de Bouaké, une partie des producteurs préfèrent encore vendre leur récolte à d’autres négociants. Pour les convaincre de collaborer, la firme singapourienne
p L’unité artisanale de Toumodi, gérée par la coopérative Ekreyo avec l’appui d’Olam, emploie 350 ouvrières.
a décidé d’occuper le terrain. Ses hommes vont au contact des communautés pour prodiguer des conseils, qu’il s’agisse de l’espace à respecter entre deux plants d’anacardier (au moins 10 m) ou de la manière dont on sépare la pomme (le pédoncule) et la noix pour éviter que cette dernière ne pourrisse. Environ 32 000 producteurs sont concernés par ce programme mené en partenariat avec l’ONG FairMatch Support depuis trois ans. « La qualité de notre récolte a beaucoup progressé », reconnaît Brou Konan, président de la coopérative Essoimbo. Chaque kilo sera payé au minimum 350 F CFA (0,53 euro, contre 225 F CFA en 2014), un montant fixé avant le démarrage de la campagne par le Conseil du coton et de l’anacarde, qui réunit les représentants de l’État et ceux de la filière. Mais le manque de jeune afrique
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pluie durant la campagne fait déjà grimper les prix. L’accompagnement des producteurs ne se limite pas à l’enseignement de techniques agricoles ou au financement de l’achat d’engrais. Olam propose aussi des cours d’alphabétisation et appuie les paysans dans la transformation des groupements traditionnels en coopératives, conformément aux directives de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada). Mais si les membres d’Essoimbo sont attentifs aux attentes d’Olam, c’est également parce que l’industriel a récompensé leur implication ces dernières années. « En fin de campagne, nous offrons une ristourne aux producteurs en fonction du volume livré et de la qualité des noix. Et les meilleures coopératives bénéficient de financements pour réaliser un projet qui leur tient à cœur », explique Julie Greene, responsable du développement durable d’Olam en Afrique. En 2014, le groupe a construit une aire de séchage et un magasin pour entreposer les semences et les intrants. Et l’an dernier, il a distribué 50 kits solaires permettant de brancher une ampoule ou de recharger des téléphones portables. DOLÉANCES. Ce jour-là, à Pliké-
Totokro, la rencontre avec la multinationale est l’occasion pour la coopérative d’exposer ses doléances concernant la piste qui relie le village à la route goudronnée. La pluie a défoncé le sol, et seuls les petits camions peuvent rejoindre le village pour évacuer la récolte. « Ne pourriez-vous pas en parler aux représentants de la Banque mondiale ? » suggère Brou Konan avant le départ des représentants d’Olam. « Même si les revenus des agriculteurs ont
augmenté depuis trois ans, leurs conditions de vie restent difficiles, et ils nous demandent parfois de relayer leurs demandes, ce que nous faisons dans la mesure de nos moyens », explique Julie Greene. Si Olam soigne autant ses partenaires, c’est parce que l’industriel est persuadé du potentiel de l’anacarde ivoirien. Et les performances du pays lui donnent raison. L’an dernier, la Côte d’Ivoire est devenue le premier producteur mondial de noix de cajou, devant l’Inde. Avant les années 1990, cette filière était pourtant inexistante, et encore aujourd’hui de nombreux agriculteurs ivoiriens ne savent toujours pas que leurs noix, achetées par KraftFoods,WalmartouAldi,seront en grande partie consommées en apéritif en Europe, aux États-Unis ou en Inde, où l’on apprécie aussi la pâte et la sauce de noix de cajou. Pragmatique, le groupe a mis sa stratégie au diapason de celle du gouvernement ivoirien, qui souhaite augmenter progressivement la quantité de noix transformées
La firme construit des aires de séchage et des entrepôts, distribue des kits solaires… localement. Bien qu’il envoie le plus gros de ses achats dans ses unités ultracompétitives d’Inde et du Vietnam, Olam a investi plus de 30 millions de dollars (plus de 22 millions d’euros à l’époque) dans la construction d’une usine à Bouaké, inaugurée en 2012. Celle-ci emploie 135 salariés, des femmes en grande majorité. Cette année, la multinationale espère que ses achats lui permettront de faire tourner ses machines au maximum de leur capacité afin de traiter 30000 tonnes de noix (contre environ 27000 tonnes l’an dernier).
Surlepontàbascule,lescamions, qui peuvent peser jusqu’à 40 t, se succèdent avant d’être déchargés. La traçabilité des lots est garantie durant tout le processus de transformation. Les noix sont d’abord calibrées, puis cuites à la vapeur ; l’amande est séparée de la coque, puis leur pellicule est retirée, tout cela de manière totalement automatique. Les fruits qui ne sont pas parfaitement nettoyés sont envoyés dans d’autres unités, où le travail sera fini à la main, avant de revenir à Bouaké pour être stérilisés et emballés. épluchage. Avant la construc-
tion de l’usine de Bouaké, Olam a appuyé, dès 2005, la création de petites unités artisanales qui n’effectuent qu’une partie de la transformation (décorticage et dépelliculage). Chaque année, une dizaine d’entre elles traitent environ 12 000 t de noix de cajou. À Toumodi (à 50 km de Yamoussoukro), les décortiqueuses de la coopérative Ekreyo sont rudimentaires, et tout l’épluchage est fait manuellement (avant que les noix partent vers l’usine Olam de Dimbokro). On se croirait dans une adaptation ivoirienne des Temps modernes, de Charlie Chaplin. Mais les 350 ouvrières de Toumodi profitent aussi du décollage de la filière anacarde. Cours d’alphabétisation, visite d’une infirmière deux fois par semaine, possibilité de déposer les enfants de moins de 3 ans à la crèche… Les avantages sont nombreux, même si les salaires restent très modestes. Et la coopérative, qui a réalisé 12 millions de F CFA de bénéfice l’an dernier, ne manque ni de projet ni d’ambition. « D’ici à cinq ans, nous construirons une usine complète à Toumodi », promet Akissi N’da, sa présidente. ● Julien Clémençot, envoyé spécial
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Dossier Agriculture
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CLIMAT
Des récoltes compromises
millions de dollars C’est le montant de l’aide débloquée par la BAD à destination de 14 pays
Entre sécheresse et inondations, El Niño a provoqué un désastre en Afrique australe et en Afrique de l’Est.
Taux d’humidité des sols en %, au 31 janvier 2016
Maroc Le déficit de précipitations entre novembre 2015 et janvier 2016 a atteint jusqu’à 80 %. La situation a été aggravée par des températures supérieures à la normale. L’ouest de l’Algérie a aussi été affecté
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ÉrythrÉe El Niño a provoqué une sécheresse qui augmente djibouti les risques La mauvaise de pénurie saison alimentaire des pluies, notamment dans le sudest du pays, augmente le risque de pénurie alimentaire 1
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Éthiopie La sécheresse a déjà entraîné la mort de milliers d’animaux dans les cheptels
Kenya et soMalie Alimentées par El Niño, les précipitations abondantes de la fin de 2015 devraient entraîner une hausse de la production de céréales
ZiMbabwe La sécheresse alimentée par le phénomène El Niño compromet les récoltes et détériore la situation des cheptels. L’État a emprunté 200 millions de dollars pour augmenter les importations de céréales
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Production de céréales afrique du nord 32,7
37,1 afrique de l’est
52,5
53,5
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afrique de l’ouest afrique centrale 4,7 4,5
afrique australe 34,6
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41,3
naMibie Les autorités prévoient une production agricole en baisse de 44 %
SourceS : princeton (afdm), fao
2014 Estimations 2015
Malawi La production de maïs sera probablement inférieure à celle de 2015. Les prix ont atteint des records afrique du sud À cause de la sécheresse, les autorités envisagent pour cette année une baisse de la récolte de maïs de 25 %. Près de 4 millions de tonnes seront importées
Madagascar Dans le Sud, la sécheresse persistante compromet les récoltes à venir. Les stocks baissent de manière inquiétante
MoZaMbique Les stocks de céréales se réduisent alors que les prévisions de production sont moins bonnes que l’an dernier jeune afrique
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banane
Comment les planteurs antillais dynamisent la filière ivoirienne
Dix années de crise politique ont affaibli le secteur, aujourd’hui menacé par la concurrence sud-américaine. Mais des investisseurs guadeloupéens et martiniquais croient dans le potentiel du pays.
L
savoir-faire. Si ces nouveaux
investisseurs ne font pas encore le poids face au français Compagnie fruitière, qui représente 60 % des exportations de bananes, ils participent au redressement de la filière, abîmée par dix années de crise politico-militaire. Les cultures s’étendent aujourd’hui sur 6 000 ha, contre 10 000 en 1997. L’année dernière, la production jeune afrique
cultures locales, moins productives. En 2015, le carton de bananes ivoiriennes s’achetait entre 10 et 11 euros, contre 8 euros pour les bananes « dollars ». irrigation. Pour gagner en pro-
© Thierry Gouegnon/Reuters
es premiers sont arrivés au compte-gouttes en 2008. Désormais, ils cultivent plus de 1 500 ha de bananeraies en Côte d’Ivoire. Guadeloupéens ou Martiniquais, riches industriels ou petits indépendants, les planteurs antillais viennent chercher un second souffle en Afrique. Terres disponibles, main-d’œuvre à bas coût, proximité avec le marché européen… Face à la concurrence sudaméricaine, le continent est leur eldorado. Et notamment la Côte d’Ivoire, avec son bon climat des affaires, ses infrastructures routières et portuaires et son appartenance à l’espace francophone. Deux structures se démarquent par leur taille. La plus grosse, Banaci, créée en 2013, appartient au Groupe Bernard Hayot, du nom d’une grande famille békée. En 2014, elle a investi près de 13 milliards de F CFA (près de 45 millions d’euros) dans ses premières plantations industrielles, environ 1000 ha près de Tiassalé (120 km au nordouest d’Abidjan). La Siapa a quant à elle été créée en 2010 par un groupe de producteurs guadeloupéens et ivoiriens. Elle a inauguré en 2014 un premier site d’exploitation de 500 ha, pour 3 milliards de F CFA, près de Tiassalé également. Le site produit environ 25 000 tonnes de bananes par an.
p Marché Gouro d’Abidjan, en 2011. La production nationale n’a pas dépassé 300 000 tonnes en 2015.
nationale n’a pas dépassé les 300 000 t, à cause notamment des inondations de 2014. Les investissements récents devraient néanmoins doper la production ivoirienne, que certains professionnels s’attendent à voir quasi doubler dans les cinq ans. Les planteurs antillais ont apporté un savoir-faire technique : cableway (pour le transport des régimes de bananes), stations de conditionnement… Ils participent ainsi à l’amélioration de la productivité, étape indispensable pour affronter la concurrence mondiale. Car la diminution des droits d’entrée sur le marché européen pour la banane latino-américaine, en 2009, a porté un coup dur aux
Banaci et la Siapa cultivent
1 500
hectares de bananeraies sur les 6 000 que compte la Côte d’Ivoire
ductivité, la Siapa a installé un système d’irrigation téléprogrammable et une pépinière de 3 500 m2 d’une capacité de 70 000 plants. La société utilise deux variétés de banane « dessert » importées du Costa Rica et réputées plus résistantes aux maladies : la Williams et la Gal, qui sont plantées respectivement sur 25 % et 75 % des surfaces exploitées. De son côté, Banaci teste actuellement des techniques d’enrichissement naturel du sol, pour limiter l’utilisation d’intrants, et a recours aux « plantes de couverture », qui empêchent les mauvaises herbes de sortir de terre. Outre l’Europe, qui engloutit 5,7 millions de tonnes de bananes par an et 80 % de la production ivoirienne, les planteurs du pays lorgnent le marché régional, qui pourrait assurer des débouchés supplémentaires.«Aveclesinvestissements de groupes comme Bolloré dans le rail, on va pouvoir rentrer plus en profondeur dans l’hinterland et dynamiser nos ventes », expliquait Richard Mathys, directeur général de Wanita Freshfoods (production et exportation), au site Commodafrica en juin 2015. Pour faire fructifier cet atout, depuis deux ans, l’Organisation centrale des producteurs-exportateurs d’ananas et de bananes (Ocab) mène des discussions avec des investisseurs chinois, israéliens, marocains, béninois, burkinabè et même qataris… Les Antillais auraient-ils du souci à se faire ? ● Charles Bouessel, à Abidjan n o 2884 • du 17 au 23 avril 2016