Pdf ja 2893 du 19 au 25 juin 2016 plus guinée equatoriale

Page 1

Les 50 qui feront le Cameroun HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 56e année • n° 2893 • du 19 au 25 juin 2016

jeuneafrique.com

Justice Blaise et le fantôme de Sankara

GUINÉE ÉQUATORIALE

Quel avenir ? Spécial 20 pages

ÉDITION GUINÉE ÉQUATORIALE France3,80€•Algérie250DA•Allemagne4,80€•Autriche4,80€•Belgique3,80€•Canada6,50$CAN•Espagne4,30€•Éthiopie67birrs•Grèce4,80€•Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € • Italie 4,30 € • Luxembourg 4,80 € • Maroc 25 DH • Martinique 4,60 € • Mauritanie 1200 MRO • Mayotte 4,60 € • Norvège 48 NK • Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € • Réunion 4,60 € • RD Congo 6,10 $ US • Royaume-Uni 3,60 £ • Suisse 6,50 FS • Tunisie 3,50 DT • USA 6,90 $ US • Zone CFA 1900 F CFA • ISSN 1950-1285



le plus

de Jeune afrique

panorama Un dernier round et de nouveaux défis

61

IntervIew Agapito Mba Mokuy, chef de la diplomatie économIe L’ère des ajustements stratégIe Diversification sur tous les fronts

Quel avenir? jeune afrique

n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

© NATALIA KOLESNIKOVA/AFP

guinée éQuatoriale



le plus

Le Plus de Jeune Afrique

de Jeune afrique

63

guinée éQuatoriale

Quel avenir?

PPrélude J oël Té-Léssia

Le grand débat

A

vis de gros temps sur Malabo! effort apparent. Tous insistent sur les Les alizés qui soufflent tonnes de béton coulé pour équiper le depuis la Bahia de Venus pays des infrastructures nécessaires à son développement. Grâce au boom charrient toujours mille et une senteurs tropicales, mais ils sont pétrolier des années 2000, l’État s’est aussi porteurs, ces derniers mois, de construit un port tout neuf dans la baie nuages lourds qui viennent obscurcir de Santa-Isabel et une usine de liquéle ciel équato-guinéen. La chute des faction de gaz sur la pointe nord de l’île revenus pétroliers et les atermoiements de Bioko. Sans parler des nombreux du partenaire chinois jettent un voile projets toujours en cours de réalisation. sombre sur l’économie nationale. Et D’autres chantiers demandent le pays s’interroge aussi sur son ave- encore à être lancés. Moins visibles, nir politique, alors que son président, ils sont pourtant tout aussi urgents. Il Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, suffit de sortir du quartier aussi luxueux 74 ans, vient d’être réélu pour un nouqu’aseptisé de Caracolas, puis de longer veau septennat après déjà trente-six années passées En s’appuyant sur ses à la tête de l’État.

panorama Un dernier round et de nouveaux défis interview agapito mba mokuy, ministre des Affaires étrangères exécUtif nouvelle vague

p. 64

p. 68

p. 73

dépenses pUbliqUes l’ère des ajustements p. 76

campagnes luxuriantes et

Une promenade dans sur ses plages, le pays pourrait l’île-capitale suffit néans’imaginer un autre destin. moins pour se rendre compte du long chemin parcouru par le pays ces vingt der- Santa-Maria et Banapa pour débarquer nières années. Comme le répètent sur les pistes en latérite de Sampoca, inlassablement les chauffeurs de taxi : avec ses étals débordant de fruits et de « Aquí no había nada. Aquí tampoco. » légumes. De sa terre si fertile, la Guinée (« ici, il n’y avait rien, et là non plus »). équatoriale pourrait bien voir sortir la Pas d’autoroutes modernes comme solution à ses problèmes. En s’appuyant celle qui relie la capitale à son aéro- sur ses campagnes luxuriantes mais port. Pas d’immeubles ministériels peu productives, ainsi que sur ses flamboyants à Malabo II, qui n’était plages désertes malgré leur beauté, pas sorti de terre de toute façon. Pas le pays pourrait enfin s’imaginer un de logements sociaux, encore à moi- destin moins dépendant de l’or noir. tié vides aujourd’hui faute de locataires, mais qui feraient le bonheur de Si de nombreux choix opérés par nombreuses capitales africaines. Pas les responsables politiques semblent d’hôtels clinquants sur une Avenida répondre à une certaine logique de Hassan II qui n’existait pas. Pas de développement, d’autres sont beaustades ni de lycées… coup trop éloignés des priorités nationales. Discutables, ils auraient mérité Il faut interroger la jeune garde, d’être discutés. Alors que la manne cette nouvelle élite hyperconnectée, pétrolière se tarit, il n’est peut-être superglobalisée, qui passe du fran- pas trop tard pour ouvrir le débat sur çais à l’anglais puis au castillan sans l’avenir du pays. ● jeune Afrique

n o 2893 • du 19 Au 25 juin 2016

stratégie diversification sur tous les fronts

p. 78

infrastrUctUres l’état dope les services p. 80 entrepreneUrs la réussite autrement p. 84 Urbanisme À chaque cité sa spécialité !

p. 88

tribUne question de crédibilité p. 92


64

le plus de Jeune afrique

Michael pauron

Q

uevafaireTeodoroObiangNguema Mbasogo de sa victoire électorale du 24 avril ? Réélu avec 93,7 % des voix, le chef de l’État rempile pour un nouveau septennat – le dernier, dit-il – à l’âge de 74 ans, dont trente-six passés à la tête de la Guinée équatoriale. Et l’opposition ? « Dispersée, acrimonieuse et sans programme », affirme le camp présidentiel. n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

! Le chef de l’État dans un bureau de vote le 24 avril, jour du scrutin qu’il a emporté avec 93,7 % des voix.

Les candidats étaient surtout mal identifiés par les électeurs. Bonaventura Mobsuy Asumu, du Parti de la coalition sociale-démocrate (PCSD), et Avelino Mocache Mehenga, de l’Union du centre droit (UCD), ont recueilli chacun 1,5 % des votes. Carmelo Mba Bacale, de l’Action populaire de Guinée équatoriale (APGE), et les indépendants Agustin Masoko Abegue ou Benedicto Obiang Mangue ont obtenu encore moins. Quant au parfait inconnu Tomas Mba Monagang, il a fermé la marche, avec 0,7 %. jeune afrique


gUinée éqUatoriale

Au pouvoir depuis près de quarante ans, teodoro obiang nguema Mbasogo a remporté la présidentielle d’avril sans difficulté. Et promet d’en rester là après ce mandat.

Gabriel Nse Obiang Obono, candidat des Citoyens pour l’innovation (CI), s’est, lui, vu interdire de se présenter puisque, de retour d’exil, il n’avait pas passé cinq années consécutives dans le pays, comme l’exige la Constitution. Quant à la Convergence pour la démocratie sociale (CPDS), le principal mouvement d’opposition, qui ne compte qu’un député à l’Assemblée, elle a finalement préféré boycotter le scrutin. Dénonçant un multipartisme de façade, son secrétaire général, Andres Esono jeune afrique

Ondo, a jeté l’éponge. Le patron de l’opposition ne digère toujours pas que la Commission nationale électorale (la CNE, qui compte un membre de chaque parti) ait avancé l’élection de plusieurs mois. Selon Ondo, la Constitution est claire, le scrutin aurait dû se tenir entre fin octobre 2016 et février 2017 : « Une mauvaise interprétation, estime Alfonso Nsue Mokuy, le troisième vice-Premier ministre, chargé des droits de l’homme. Le président peut proposer une autre date à la CNE, qui tranche. » Et pour le n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

© AFP

Un dernier round et de nouveaux défis


Le Plus de J.A. Guinée équatoriale

66

chef de l’État, 2016 étant une année électorale, « le plus tôt était le mieux ». Représentée sur place par l’ancien président du Bénin, Thomas Boni Yayi, l’Union africaine a déclaré que « les élections se sont déroulées dans le calme, la discipline, la paix et la transparence ». Quelques anomalies ont pourtant été dénoncées, par exemple un nombre de votes supérieur à celui des inscrits dans quelques communes. Explication

du président de la CNE : des électeurs ont sans doute voyagé le jour du scrutin et voté ailleurs… Passé le tohu-bohu postélectoral, le chef de l’État s’est remis à l’ouvrage. Après avoir dirigé le pays pendant presque quarante ans, El Presidente estime – à tort ou à raison – qu’il ne doit rien à personne. Il aimerait pourtant démontrer que sa popularité (qui lui aurait permis de rafler la quasi-totalité des votes des 330 000 inscrits) n’est pas due à une manipulation des urnes, mais à son travail. Pour les anciens, Zé Bere Ekum (« la panthère aux aguets », en fang) restera toujours celui qui a débarrassé le pays du sanguinaire Francisco Macías Nguema, son oncle. La Guinée équatoriale peut d’ailleurs se targuer d’avoir été l’un des premiers pays du continent à organiser le procès de l’un de ses présidents. Bien avant celui de Hissène Habré, qui s’est tenu à Dakar cette année. « L’arrivée de Teodoro a été un soulagement. Le pays est en paix grâce à lui, et personne ne peut s’arroger le droit de vie et de mort sur un ÉquatoGuinéen, comme c’était le cas sous Macías », témoigne un ancien compagnon d’armes du chef de l’État.

© JÉRÔME LEROY/afp

TeodorÍn prêt à enfiler le costume

t À 47 ans, le fils du président semble adoubé par son père.

p

romis, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo a entamé en avril son dernier mandat. L’heure de la succession peut donc sonner. Tous les regards convergent vers son fils, Teodoro Nguema Obiang Mangue, le célèbre Teodorín, qui fêtera ses 47 ans ce 25 juin. Entré au service de son père il y a vingt ans en tant que conseiller, il a ensuite occupé pendant quinze ans le poste de ministre de l’Agriculture et des Forêts, avant d’être nommé en mai 2012 à ses fonctions actuelles de deuxième vice-président, chargé de la défense et de la sécurité. Propulsé dans le même temps responsable de la jeunesse au sein du Parti démocratique de la Guinée équatoriale (PDGE), il a également dirigé et encadré la campagne victorieuse de son président de père. Teodorín, qui n’a manqué aucun meeting, n’était jamais bien loin n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

de Teodoro sur la photo. Pour ce dernier, son fils aîné « a la politique dans le sang. Il est doué, et ce ne serait pas juste qu’il ne soit pas récompensé ». Le dauphin, aujourd’hui adoubé semble-t-il, a amélioré sa popularité en sachant se montrer généreux envers la jeunesse, à travers le sport notamment. Teodorín a longtemps affiché un train de vie dispendieux sans aucun complexe. « Des erreurs de jeunesse. Il a complètement changé », assure sa garde rapprochée. Et son éducation hors du pays, qui en aurait fait un prétentieux ? « Teodorín a grandi parmi nous. Il parle fang, il pense fang, il rêve fang. Comme nous ! » Même ses ennuis judiciaires en France, dans le cadre de l’affaire dite des « biens mal acquis », ne semblent pouvoir constituer un obstacle à son ascension. ● M.P.

cadence. Et puis il y a ce bond en avant réalisé en matière d’infrastructures ces dernières années. Obiang Nguema veut être l’homme qui a bâti un pays. Un État qui, jusqu’au milieu des années 1990, existait à peine. L’arrivée des majors pétrolières dans cette enclave hispanophone a sorti tout un peuple de l’isolement. Aujourd’hui, Malabo n’est plus un caillou couvert de forêt, mais une cité administrative moderne. Et Bata est devenue une capitale économique, la porte d’entrée vers l’intérieur du pays. Les supporters d’Obiang Nguema aiment rappeler que la Guinée équatoriale est aujourd’hui « le seul pays de la région à disposer de routes goudronnées le reliant à tous ses voisins ». Partout, les stades, les logements sociaux, les aéroports bousculent la forêt et sortent de la latérite. Certes, la baisse des cours de l’or noir commence à peser sur l’économie et contraint les autorités à ralentir la cadence. « Nous devons diversifier », a admis le chef d’un État dont les ressources dépendent à 90 % de ses exportations de brut (lire pp. 78-79). Si les anciens font toujours confiance au président, la jeunesse semble plus rétive. « Je ne voulais pas voter pour lui, mais pour qui d’autre alors ? » s’interroge Josefina. Cette étudiante de 28 ans, mère de trois enfants, a vécu toute sa vie sous le règne de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Malgré les routes et les centrales électriques, pour elle comme pour la majorité de ses compatriotes, la Guinée équatoriale reste cet endroit paradoxal où le PIB par habitant, de 11 700 dollars (environ 10 300 euros) selon le FMI, est l’un des plus élevés jeune afrique


Quel avenir ? du continent alors que, dans le même temps, les trois quarts de la population vivent au-dessous du seuil de pauvreté. La classe politique actuelle ne lui donne aucun espoir. « Tous les candidats ont profité du système à un moment de leur carrière. » Même chose pour les plus jeunes. Selon elle, la montée en puissance du fils du président, Teodorín (lire p. 66), illustre le manque d’ouverture de la classe politique. table ronde. Le ralliement de nombreux opposants à la candidature présidentielle – qui, certes, n’est pas une maladie typiquement équato-guinéenne – ne contribue pas à clarifier cette situation. Ancienne secrétaire générale de la Coalition d’opposition pour la restauration d’un État démocratique (Cored), Emily Nchama assurait quelques semaines encore avant le scrutin vouloir se présenter. Puis elle a renoncé et accepté le poste de conseillère chargée de la condition féminine auprès de la présidence. Fermin Nguema Esono Mbengono, figure de l’opposition depuis trente ans et très proche de Severo Moto Nsa, a pour sa part été nommé procureur à Bata en janvier 2016. Il y commande aujourd’hui la brigade anticorruption.

Si les anciens et les hommes d’affaires font toujours confiance au président, les jeunes semblent plus rétifs.

Ecobank Guinée Équatoriale Meilleure Banque de l’Année 2015 par The Banker Nous sommes fiers d’annoncer que The Banker (Financial Times) nous a décerné le prix de Meilleure Banque de l’Année en Guinée Equatoriale. C’est avec plaisir que nous continuerons à vous offrir un service d’excellence cette année et dans le futur.

ecobank.com

« Le président a toujours des arguments pour convaincre. Ceux qui reviennent après des années d’exil voient de leurs propres yeux le travail accompli, analyse un observateur étranger. L’amnistie prononcée en 2014 pour tous les opposants, le moratoire sur la peine de mort mis en place la même année et la table ronde proposée à l’ensemble des acteurs politiques ont rassuré. » Reste maintenant à répondre aux aspirations d’une jeunesse qui espère un jour assister au renouvellement de dirigeants politiques omniprésents depuis quarante ans. Sans pour autant plonger le pays dans une nouvelle période d’incertitudes. Peut-être le dernier défi d’Obiang Nguema. Lequel confiait le 14 avril à Jeune Afrique: « Depuis dix ans, je vois le monde changer profondément. Certaines évolutions sont positives. D’autres présentent des dangers, comme le terrorisme. Nous devons aussi, ici en Guinée équatoriale, relever de nouveaux défis économiques, à cause de la chute des cours pétroliers. Mais nous sommes prêts à affronter tous ces changements. Il n’y a qu’une voie : le travail. C’est celle que j’emprunte depuis quarante ans. Et c’est celle que j’emprunterai jusqu’à la fin. » ●

67


Le Plus de J.A. Guinée équatoriale Interview

Agapito Mba Mokuy

Ministre des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et de la Francophonie

« Notre pays est pacifique et ouvert à tous » Présidence de la Commission de l’Union africaine, circulation dans la zone Cemac, affaire dite des biens mal acquis… L’ancien fonctionnaire de l’Unesco répond sans détour aux questions de J.A.

© DR

68

N

p Ancien consultant pour le Pnud, il conseille le président pour les affaires africaines depuis 2010.

é le 10 mars 1965 dans la partie continentale du pays, Agapito Mba Mokuy est l’un des représentants les plus emblématiques de cette nouvelle garde politique qui entoure le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Passé par le Pnud, puis fonctionnaire à l’Unesco pendant dix-huit ans, il est devenu ministre des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et de la Francophonie en 2012.Membredubureaupolitiqueduparti présidentiel et conseiller du chef de l’État n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

pour les affaires africaines depuis 2010, il s’est fait remarquer lorsque son pays a assuré l’année suivante la présidence de l’Union africaine (UA). Une expérience qu’il met aujourd’hui en avant pour postuler à la présidence de la Commission de l’UA, une candidature qu’il a officialisée au mois de mai. Rencontre avec un homme qui compte en Guinée équatoriale. jeune afrique : Le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo vient d’être réélu. Quelles priorités a-t-il fixées à la

diplomatie équato-guinéenne pour ce septennat ? Agapito Mba Mokuy: Renforcer notre

politique d’ouverture, en priorité avec le continent africain, ainsi que dans le cadre de notre coopération Sud-Sud. Les partenaires économiques du pays se font plus nombreux ces dernières années. Quel rôle a joué votre ministère dans cette évolution ?

Tous les pays qui s’inscrivent dans une démarche gagnante pour les deux ● ● ● jeune afrique



70

Le Plus de J.A. Guinée équatoriale ● ● ● parties sont les bienvenus. Et le ministère des Affaires étrangères a justement pour vocation d’identifier ceux qui partagent cette vision, notamment parmi les États en voie de développement. La Guinée équatoriale est un pays pacifique, ouvert à tout le monde.

Vous êtes candidat pour votre pays à la présidence de la Commission de l’UA. Que signifie cette démarche? Quel message la Guinée équatoriale veut-elle faire ainsi passer ?

Nousvoulonsmontrerquenoussuivons toutes les questions africaines avec une grande attention et que tout ce qui se passe sur le continent nous intéresse. La Guinée équatorialeaabritédeuxsommetsdel’UA, ainsi que la conférence portant sur la lutte contre Ebola pour manifester sa volonté d’œuvrer contre ce fléau. Sans oublier la Coupe d’Afrique des nations [CAN], en 2015, que nous avons accueillie dans un contexte exceptionnel, après que plusieurs pays africains avaient refusé d’héberger l’événement justement par crainte de ce virus. En vrai panafricaniste, Obiang Nguema Mbasogo a assumé ce risque pour sauver l’honneur de l’Afrique. La Guinée équatoriale est présente sur tous les dossiers qui peuvent renforcer l’unité de notre continent. Il est donc tout à fait légitime que notre pays se porte candidat à la présidence de la Commission. Et si le chef de l’État estime que je peux remplir cette mission, je l’en remercie. Quels pays africains soutiennent votre candidature aujourd’hui ?

L’élection du 17 juillet, à Kigali, se déroulera bien sûr à bulletins secrets, mais je peux vous assurer que tous les chefs d’État africains reconnaissent le panafricanisme du président Obiang Nguema Mbasogo.

passées au poste de secrétaire de la Commission des finances et de l’administration du conseil exécutif. Je ne crains pas les autres candidats. J’ai appris, à l’Unesco, à maîtriser les rouages et le fonctionnement de ce type d’organisation internationale. Je pense que c’est pour cette raison que le président Obiang Nguema Mbasogo m’a choisi pour représenter notre pays. N’oublions pas non plus que j’ai travaillé à ses côtés quand il était président de l’UA en 2011. J’ai

Que voulez-vous dire ?

J’apporte une expérience unique, acquise pendant dix-huit années au sein de l’Unesco, dont les huit dernières n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

Quel est l’impact d’un dossier comme celui de l’affaire dite des biens mal acquis sur vos relations avec les pays occidentaux, à commencer par la France?

Il faut déjà se mettre d’accord sur la terminologie. Qu’entend-on par « bien mal acquis»?Lapresse,notammentenFrance, accuse le vice-président d’acheter des biens avec de l’argent mal acquis. Est-ce

Avant d’ouvrir les frontières, il faut être sûr de bien les contrôler. donc une connaissance approfondie de l’institution, ce qui me permettra de conduire les réformes nécessaires et de répondre aux défis qui se présenteront. D’autant plus que je parle également les principales langues utilisées sur le continent: le français, l’anglais, l’espagnol et le portugais. Sans oublier ma langue nationale, le fang.

que les autorités françaises demandent à tous ceux qui acquièrent des biens dans leur pays de justifier la provenance de leurs fonds ? C’est ridicule ! Que diraient la France ou les États-Unis si nous demandions aux investisseurs qui viennent en Guinée équatoriale, au Gabon, au Tchad, de préciser la provenance de leur argent? Quelle est votre opinion sur ce dossier?

À l’échelle sous-régionale, la Guinée équatoriale semble vouloir limiter la portée des accords de libre circulation signés dans le cadre de la Cemac. Pour quelle raison ?

Je suis très content de pouvoir répondre à cette question. La Guinée équatoriale fait l’objet d’un malentendu profond sur ce point. Il est inconcevable qu’avec le panafricanisme dont fait preuve notre président nous puissions être accusés de vouloir limiter la libre circulation des personnes. Au contraire, la Guinée équatoriale y est favorable à 100 %. Nous demandons seulement aux autres membres le plus grand sérieux dans l’application de cette

Je ne crains pas les autres candidats à la présidence de la Commission de l’UA. J’ai donc toute confiance: la majorité des pays africains apporteront leur soutien à cette candidature. J’ai beaucoup à offrir pour contribuer au rayonnement de la Commission.

terroriste. Avant d’ouvrir les frontières, il faut être sûr de bien les contrôler.

décision. Le passeport biométrique n’est toujours pas en usage dans l’ensemble de nos pays; la formation des agents de sécurité postés à nos frontières est inexistante; aucun dispositif de contrôle de l’authenticité des documents n’a été mis en place; etc. Bref, il y a un minimum préalable à réaliser sur le terrain. Nous appelons à plus de responsabilités, surtout dans un contexte de prolifération de la menace

Je crois que le concept n’est clair pour personne. C’est une décision discriminatoire et méprisante à l’encontre des petits pays africains. Bien sûr que le viceprésident possède de l’argent, mais des Africains riches, vous en trouverez aussi au Gabon, au Nigeria, au Congo, en Afrique du Sud… Je ne comprends pas quel est le problème, si ce n’est que les pays occidentaux estiment avoir le droit de juger les autres. Dans ce cas, pourquoi ne pas en faire autant avec tous ceux qui viennent investir chez eux? Cette discrimination est inacceptable pour l’Afrique du xxie siècle. Notre pays ne l’acceptera pas. La Guinée équatoriale jouit d’une image assez controversée sur la scène internationale. N’est-il pas difficile d’en être le ministre des Affaires étrangères ?

Non! Vous faites allusion à une époque dépassée, pour ne pas dire révolue. La Guinée équatoriale fait aujourd’hui partie du grand concert des nations. Elle postule au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et elle est bien placée pour obtenir la présidence de la Commission de l’UA. Ceux qui conservent une mauvaise image de notre pays ne sont pas en phase avec les réalités de notre époque. ● Propos recueillis par Muriel Devey Malu Malu jeune afrique




Guinée équatoriale Le Plus de J.A.

73

exécutif

Nouvelle vague Brillants diplômés dotés d’une riche expérience dans le privé, ces ministres voient la gestion des affaires publiques autrement. Et comptent bien la faire évoluer.

I

ls ont 40 ans ou juste un peu plus. Ils ont fait des études supérieures, le plus souvent à l’étranger, avant de partir travailler dans le secteur privé. Leur expérience en entreprise influe sur leurs méthodes de travail et sur la vision du secteur dont ils ont la charge dans leur ministère. Et ils veulent en imprégner leur administration. Repérés grâce à leurs compétences, voire grâce à leur carrière atypique, ils sont aujourd’hui mis à l’épreuve. Mais pas question de les placer directement sur l’avant-scène gouvernementale. Secrétaires d’État, ministres délégués puis ministres, tel est le parcours que ces hommes et femmes doivent accomplir avant d’espérer atteindre les sommets. Focus sur quatre brillants représentants de cette nouvelle génération. ●

Guillermina Mekuy Mba Obono Ministre déléguée du département de la Culture et du Tourisme

Eugenio Nze Obiang Ministre de l’Information, de la Presse et de la Radio orti en 2008 de l’Université nationale de Guinée équatoriale (Unge) avec un diplôme de droit en poche, Eugenio Nze Obiang flirtait déjà avec les médias lorsqu’il était étudiant. « J’ai suivi des formations de journalisme. J’ai été animateur pour Radio et Télévision Asonga, ainsi qu’à la Radio-Télévision de Guinée équatoriale (RT VGE), avant de collaborer à la chaîne Africa24 », rappelle l’homme de 43 ans. Même une fois avocat, puis procureur général pour la Sécurité routière, il n’est jamais très loin des écrans de télévision. Ce n’est donc pas vraiment une surprise lorsque, en 2013, il devient directeur de la presse présidentielle. Responsable de l’image du chef de l’État et chargé d’informer sur son emploi du temps, il crée un journal interne, Actualités présidentielles, et une émission du même nom diffusée jeune afrique

© Muriel Devey malu malu pour J.A.

S

chaque dimanche à 22 heures sur la RTVGE. Cerise sur le gâteau, il est nommé en 2015 ministre de l’Information, de la Presse et de la Radio. Désireux de professionnaliser les médias, il organise « des séminaires de formation, en Guinée équatoriale et hors du pays » et

aide les médias privés à se doter de matériel. « Nous comptons installer une imprimerie nationale », indique celui qui est déjà à l’origine de la diffusion de journaux français, anglais et portugais sur la RTVGE, désormais disponible dans tout le pays. ● Muriel Devey Malu Malu

epuis 2009 et son retour d’Espagne, tout s’est accéléré. Née à Evinayong, le chef-lieu de la province du Centro-Sur, fille de diplomate, Guillermina Mekuy Mba Obono a collectionné les diplômes en Espagne, où elle a vécu dès l’âge de 6 ans, avant de cumuler les responsabilités dans son pays. Elle est d’abord nommée directrice de la Bibliothèque nationale de la Guinée équatoriale, avant de devenir deux ans plus tard secrétaire d’État aux bibliothèques, archives, musées et cinémas. En 2012, elle hérite du poste de ministre déléguée du département de la culture et du tourisme, fonction qu’elle exerce toujours aujourd’hui. Si elle découvre alors le secteur touristique, le domaine culturel n’a en revanche aucun secret pour elle. Écrivaine, elle a à son actif plusieurs romans publiés en Espagne, dont El Llanto De La Perra (« le cri de la chienne ») publié alors qu’elle n’avait que 21 ans, ou Tres Almas Para Un Corazón (« trois âmes pour un cœur »), qui traite de la polygamie. Également passionnée par le septième art, elle est à l’origine de l’École nationale du cinéma et a organisé avec le Centre culturelespagnoldeMalaboleFestivaldecinéma africain en Guinée équatoriale. Elle est aussi une habituée du Festival de Cannes, en France, en tant qu’auteure et réalisatrice de documentaires. Très attachée au patrimoine culturel et à l’histoire de son pays, elle est montée en première ligne dans le projet de création d’un fonds d’archives numérisées, comme dans la promotion de troupes de danseetdemusique traditionnelles, tel le Ballet national Ceiba, qui a participé au Festival mondial des arts nègres, à Dakar, en décembre 2010. ● M.D.M.M.

dr

D


Le Plus de J.A. Guinée équatoriale

Eucario Bakale Angüe Oyana Ministre de l’Économie, de la Planification et des Investissements publics

À

© muriel devey malu malu pour J.A.

tout juste 36 ans, Eucario Bakale Angüe Oyana a déjà un beau CV. Nommé en 2010 fondé de pouvoir du Trésor public, puis secrétaire d’État chargé de la Trésorerie générale auprès du ministère des Finances et du Budget en 2012, il devient l’année suivante ministre délégué aux Finances, chargé des impôts, avant d’occuper les fonctions de ministre de l’Économie, de la Planification et des Investissements publics en 2015. Autant de promotions méritées pour celui qui passe dans son pays pour un surdoué. Né en 1980 à Akurenam, dans laprovinceduCentro-Sur,Bakale commence des études en ingénierie pétrolière à l’Université nationale de Guinée équatoriale (Unge), avant de prendre le chemin des États-Unis. Il décroche une licence d’ingénieur au La Roche College de Pittsburgh, où il se voit même décerner le titre de « meilleur étudiant », puis

rejointWashingtonetl’Université catholique d’Amérique pour y obtenir un master en ingénierie mécanique. Il travaille ensuite pendantunanàHoustoncomme ingénieur pétrolier chez Hess Corporation, qui a financé son master. C’est cette même compagnie qui l’envoie en 2009 dans son pays. Il pense alors y poursuivre sa carrière un temps avant de rentrer aux États-Unis. Le sort en décidera autrement. Au sein des différentes administrations où il a travaillé, il n’a cessé de s’inspirer des procédures découvertes dans le privé. « En tant qu’ingénieur, je peux décomposer les choses et voir comment les faire fonctionner », analyse-t-il. Pour être sûr de mettre son pays sur les rails de l’émergence, ce fan de foot a fait du climat des affaires et de la formation des ressources humaines les priorités de son ministère. ● M.D.M.M.

Milagrosa Obono Angüe Secrétaire d’État chargée de la Trésorerie générale uand elle pousse les jeunes Équato-Guinéens à faire des Q études, Milagrosa Obono Angüe sait de quoi elle parle.

« Je viens d’un milieu pauvre. Enfant, je vendais des beignets dans la rue. C’est pour cela que je m’occupe des jeunes, que je les conseille et que je les encourage à étudier pour qu’ils évitent de tomber dans la délinquance ou la prostitution », martèle la secrétaire d’État chargée de la Trésorerie générale. Aussi volontaire que studieuse, elle a cumulé les formations et les diplômes. Elle a passé cinq ans au Maroc d’abord, à l’Institut supérieur des technologies appliquées de Rabat. Puis elle a retrouvé son pays, où elle a étudié le droit à l’Université nationale. Elle a alors achevé sa moisson avec un diplôme en finances publiques. Aux honneurs universitaires s’ajoute une expérience professionnelle tout aussi diversifiée, tant en Guinée équatoriale qu’à l’étranger, dans le secteur public comme dans le privé. Jusqu’à ce qu’elle entre à la Société générale de banques de Guinée équatoriale (SGBGE), dont elle sera directrice générale adjointe, avant d’intégrer sur concours la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac). Depuis, sa carrière n’a pas connu de temps mort. En 2002, elle devient fondée de pouvoir au Trésor public. Trois ans plus tard, elle est trésorière payeuse générale – une première pour une Équato-Guinéenne ! Directrice de cabinet du ministre des n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

Finances et du Budget en 2010 avant de rejoindre la Trésorerie générale,MilagrosaObonoAngüepeutcroireensabonneétoile. ● M.D.M.M.

© muriel devey malu malu pour J.A.

74

jeune afrique



Le Plus de J.A. Guinée équatoriale

p Train GNL alimentant l’unité de liquéfaction de l’Equatorial Guinea-Licuado Natural Gas, à Punta Europa.

© Renaud Van deR MeeRen

76

dépenses publiques

L’ère des ajustements durement touché par la chute des cours de l’or noir, le pays a tout fait pour limiter les dégâts. Et compte atteindre l’équilibre budgétaire d’ici à deux ou trois ans.

n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

avait diminué et que les chantiers de BTP avaient ralenti, mais elle a été très brutale », confie Miguel Engonga Obiang Eyang, le ministre des Finances et du Budget. En 2015, la croissance a, en effet, été négative, avec un taux de – 5,6 %, alors qu’elle avait

connu une petite amélioration en 2014 (+ 0,5 %), après une chute de 8 % en 2013. Dès les premiers signes de la crise, en 2014, les autorités avaient réagi. « En 2015, nous nous étions organisés pour ajuster les dépenses », assure le ministre.

UNE CRISE MAÎTRISÉE Déficit budgétaire En millions de F CFA 2013 2014

En % du PIB réel 2015 2016* 3,4 %

5,7 %

7,0 %

- 300,7

-8 - 8,8

- 518,7

2013

413 284 417 231 387 166

2014

4,8

0,8

- 5,6

- 6,0

2015

2016*

- 0,1

Production totale d’hydrocarbures (en barils/jour)

2013

0,6

3,7 %

- 260,6 - 634,5

Un PIB au ralenti (en %)

Taux de croissance réel Hors pétrole

374 375 2015

2016*

Inflation

2014

PIB nominal (en millions de F CFA)

3,0 %

2013

4,3 %

2014

1,7 %

2015

3,3 %

2016*

9 022,238

8 143,058

9 035,722

7 763,194 2013

2014

2015

2016*

SOURCE : MINISTÈRE DES FINANCES ET DU BUDGET * estimation

d

ouble peine pour l’économie équato-guinéenne. La chute des cours mondiaux du pétrole qui a débuté en 2014 s’est conjuguée au recul de la production nationale d’hydrocarbures. Un secteur qui contribuait à 76,7 % du PIB. De 413 284 barils par jour en 2013, celle-ci est tombée à 374 375 barils quotidiens en 2015. Alimentées à 90 % par les revenus tirés du pétrole, les recettes budgétaires ont suivi la même pente. Si elles couvraient encore près d’un tiers du PIB en 2013, elles n’en représentaient plus que 26,7 % deux ans plus tard. Et devraient chuter à 1 785,6 milliards de F CFA (2,7 milliards d’euros) en 2016, selon les prévisions du gouvernement – soit près de 1000 milliards de F CFA en moins en trois ans. Conséquence logique de cette situation, la croissance – auparavant tirée par les hydrocarbures et le BTP – a fortement reculé, plus encore que prévu. « Nous nous attendions à une baisse entre 2012 et 2016, puisque la production d’hydrocarbures

jeune afrique


Quel avenir ? De 3 100 milliards de F CFA en 2014, elles sont passées à 2 330 milliards de F CFA en 2015. Les mesures prises pour les limiter ont porté sur la réduction des subventions, en particulier sur les carburants, « qui s’élevaient à 120 milliards de F CFA par an entre 2007 et 2013 », précise Miguel Engonga Obiang Eyang. Le recouvrement a également été amélioré, tandis que le contrôle du déficit budgétaire a été ramené de 800 milliards de F CFA en 2012 à 266 milliards en 2015. Pour couvrir ce déficit, « nous puisons dans nos réserves. Nous pensons atteindre l’équilibre d’ici à deux ou trois ans », précise le ministre. morosité. Financé principalement par

les recettes non pétrolières, le budget de fonctionnement n’a pas été revu à la baisse, même si des économies ont été réalisées. Ce sont surtout les investissements publics, qui représentaient entre 85 % et 90 % du total des dépenses avant la crise, qui ont diminué, passant de 2 300 milliards de F CFA en 2014 à 1 730 milliards de F CFA en 2015. Pas question toutefois de réduire les fonds consacrés à la santé, à l’éducation, à l’eau et à l’électricité, sans parler des stratégiques projets de diversification économique et d’industrialisation du pays (lire pp. 78-79). Les réajustements concernent La prudence essentiellement les infrasest de mise, tructures de base, dont mais pas question près de 80 % ont déjà été construites. Deux axes ont de réduire les été privilégiés : la finalisafonds consacrés tion des contrats en cours à la santé et d’exécution, comme les ports de Bata et de Mbini à l’éducation. et l’aéroport de Bata, avec une redéfinition de leur calendrier, et le gel des projets non structurants. Plutôt que de réaliser de nouveaux édifices administratifs, l’existant sera d’abord réhabilité. Les financements extérieurs sont largement mis à contribution. En 2015, la Guinée équatoriale a signé un accord de 2 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) avec l’Industrial and Commercial Bank of China pour financer ses infrastructures. Alors que l’endettement ne représente que 20 % du PIB. « Nous avons de la marge et nous pensons que la morosité ne va pas durer », estime, plein d’optimisme, le ministre des Finances et du Budget. ● Muriel Devey Malu Malu, envoyée spéciale jeune afrique

n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016


Le Plus de J.A. Guinée équatoriale stratégie

Diversification sur tous les fronts Fini le règne sans partage du pétrole et du BTP, d’autres activités doivent émerger. L’heure du changement a-t-elle sonné ?

e

t si la chute des cours du pétrole avait été bénéfique à l’économie équato-guinéenne ? La baisse des recettes budgétaires, qui s’est traduite par un net recul de la croissance, a très certainement accéléré le processus de diversification inscrit depuis 2008 dans le Plan national de développement économique et social (PNDES), qui vise l’émergence du pays à l’horizon 2020. La première phase du plan a porté sur la réalisation des infrastructures de base, avant que la seconde, lancée en 2012, s’attaque enfin au problème. « Le choc a été rude, mais nous avons pris conscience que notre économie ne pouvait plus se fonder uniquement sur les hydrocarbures et le BTP. Les emplois doivent dorénavant s’inscrire dans la durée, et dans des secteurs différents », explique Pedro Abeso, le directeur général adjoint de la Banque nationale de Guinée équatoriale (Bange). Un constat qui implique un changement des mentalités, en même temps que l’essor de nouveaux savoir-faire. Pour accompagner cette évolution espérée, une classe d’entrepreneurs équatoguinéens doit également prendre place aux côtés des investisseurs internationaux. « De nombreuses sociétés sont venues de l’étranger pour travailler sur les chantiers de construction d’infrastructures. Mais la diversification ne pourra passer que par les ÉquatoGuinéens eux-mêmes. Ils devront créer des activités et s’impliquer davantage dans la gestion des infrastructures réalisées », souligne Pedro Abeso. Pour favoriser l’essor du secteur privé, encore faut-il améliorer le climat des affaires et rendre l’administration publique plus efficace. « D’ici à la fin de l’année 2016, un comité national composé des chambres consulaires, des institutions de formation, des banques et de plusieurs membres du gouvernement sera mis en place pour traiter de ces questions », annonce Eucario Bakale Angüe Oyana, le ministre de l’Économie, de la Planification et des Investissements publics (lire son portrait p. 74). n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

© Muriel devey malu malu pour J.A.

78

t Cap sur le tourisme avec le Sofitel de Sipopo.

L’accent a également été mis sur l’éducation, et huit écoles professionnelles, que viendront rejoindre de nouvelles structures, forment les jeunes aux nouveaux domaines économiques identifiés comme stratégiques. Cinq secteurs d’activité font l’objet de toutes les attentions du gouvernement : la pêche, l’agriculture, les services financiers, le tourisme, ainsi que la pétrochimie et l’extraction

Le plan de développement de la pêche est déjà arrêté dans ses grandes lignes. « Nous prévoyons de monter trois unités, une sur l’île de Bioko, l’autre à Bata et la troisième à Annobón », souligne Milagrosa Obono. Deux marchés ont déjà été attribués à des sociétés étrangères. Pour stimuler l’agriculture vivrière, principalement aux mains d’acteurs nationaux, l’accent est mis sur « la création d’une chaîne de valeurs, depuis la producNouveaux secteurs prioritaires : tion jusqu’à la commerla pêche, l’agriculture, les services cialisation, ainsi que sur financiers, la pétrochimie… l’organisation des agriculteurs et la formation des minière. Classés prioritaires, ils reçoivent jeunes », résume Abeso. Un fonds pour l’agriculture a spécialement été instauré. une grande part du budget d’investissement. « En 2016, 340 milliards de F CFA [518,3 millions d’euros] seront consacrés rural. En matière de services financiers, il s’agit moins de faire de la Guinée à l’agriculture et à la pêche », précise Milagrosa Obono Angüe, la secrétaire équatoriale un grand centre en Afrique d’État chargée de la Trésorerie générale centrale que d’amener le secteur bande l’État (lire son portrait p. 74). caire à financer l’économie locale avec des produits adaptés. La Bange vient de Afin de donner une impulsion au développement de ces deux secteurs, prendre les devants en mettant sur le marché un crédit destiné aux exploitants l’État prévoit de créer des entreprises à capitaux publics dont la gestion sera agricoles (lire p. 82). confiée à des acteurs privés. Le temps Dans le tourisme, un effort important ayant été fourni en matière d’équipements pour ces derniers de lancer l’activité, hôteliers, l’étape actuelle porte davantage de former le personnel et d’assurer le transfert des technologies. Une fois ces sur l’élaboration d’une véritable polimissions réalisées, le capital sera ouvert tique sectorielle. Pour l’aider dans cette au secteur privé national, l’État prenant tâche, le gouvernement s’appuiera sur en charge la construction des unités et l’expertise de professionnels espagnols l’aménagement des espaces industriels. établis à Malabo. jeune afrique


79

financières), la compagnie nationale va investir dans la distribution, notamment dans les pays qui ne subventionnent pas le gazole. L’opérateur souhaite aussi s’associer avec des sociétés spécialisées dans la gestion de plateformes de forage, laconstructionmétalliqueetl’implantation de projets d’ingénierie. Enfin, la Guinée équatoriale entend se positionner comme un hub régional dans les transports portuaires et aéroportuaires, ainsi que dans l’approvisionnement en électricité.

Alors que le pays dispose de nombreuses ressources minières (titane, fer, manganèse, uranium, bauxite, tungstène), la faiblesse des cours mondiaux n’incite pas pour l’instant les pouvoirs publics à insister dans ce domaine d’activité.

Dans les hydrocarbures, outre la pétrochimie, priorité est donnée à « la diversification des activités de GEPetrol », souligne AntonioOburuOndo,sondirecteurgénéral. En plus de la création d’une université du pétrole et d’une banque d’investissement (montéeavecl’aidedeplusieursinstitutions

percée. Cette diversification va de pair © v.fournier/j.a.

t Séchage des fèves de cacao à la Finca Sampaka, près de Malabo.

avec celle des partenaires économiques. De nouveaux investisseurs viennent ainsi rejoindre les acteurs « historiques » que sont les Espagnols, les Libanais et les Français. Dans la filière BTP, la Chine a considérablement renforcé sa présence. L’Afrique du Sud, la Turquie et le Brésil également, tandis que la Corée du Sud et l’Inde font une petite percée. Sans oublier les hommes d’affaires en provenance de toute la sous-région, à commencer par les Camerounais. ● Muriel Devey Malu Malu


Le Plus de J.A. Guinée équatoriale

Renaud Vandermee ren/edition s du jaguar

80

infrastructures

L’État dope les services Grâce à de nouvelles centrales, à de meilleurs réseaux d’eau et de fibre optique, le pays s’équipe pour faire venir les investisseurs.

e

au, électricité, assainissement, télécoms… Les chantiers se sont multipliés ces dix dernières années en Guinée équatoriale. Avec des résultats désormais visibles sur le terrain. « Nous ne connaissons plus de problèmes d’électricité à Malabo. Il n’y a plus de groupes électrogènes dans la ville. Chaque maison dispose de son compteur », confirme Miguel, chauffeur de taxi dans une capitale enfin équipée d’un éclairage public et de feux de signalisation. L’augmentation de 120 MW de la capacité de production de Turbogaz, la centrale thermique située à Punta Europa, près de Malabo, couplée à l’extension et à la modernisation des infrastructures de transport et de distribution d’électricité suffisent à expliquer ce spectaculaire changement. Au-delà de la capitale ellemême, c’est toute l’île de Bioko qui profite de la lumière. n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

Dans le Río Muni, l’offre s’est également améliorée depuis la mise en service en 2012 de la centrale hydroélectrique de Djibloho, sur le fleuve Wele. Construite par la société chinoise Sinohydro à proximité d’Evinayong, cette unité dispose d’une capacité de 120 MW. Avec ses quatre turbines de 30 MW chacune, elle couvre à elle seule une grande partie des besoins en électricité de la partie continentale du pays, qui, dans le même temps, a été maillée de lignes à haute tension. Désormais, même les villages sont connectés. impatience. Bata a toutefois connu

une forte pénurie, d’août à septembre 2015, liée « à une sécheresse passagère qui a entraîné la baisse du niveau du fleuve Wele », explique un chef d’entreprise installé à Bata. Mais, même sans ces aléas climatiques, la

p En 2015, Bata a subi une pénurie d’électricité due à la sécheresse.

situation énergétique reste tendue dans la capitale économique. L’arrivée programmée des projets industriels de Mbini (lire pp. 88-90) devrait à terme augmenter davantage encore la demande. Le pays attend donc avec une impatience certaine la mise en service de la centrale hydroélectrique de Sendjé, d’une capacité de 200 MW, également installée sur le rio Wele et dont la construction, confiée à la société ukrainienne Douglas Alliance, a accumulé les retards. Cette centrale devrait porter les capacités de production d’électricité du pays à 700 MW, principalement à partir de l’énergie hydraulique et du gaz, tous deux abondants en Guinée équatoriale. À l’horizon 2020, le gouvernement prévoit de ramener à 10 % la part de la production assurée par les centrales alimentées au fioul. Progrès tout aussi significatifs réalisés ces dernières années, le réseau d’approvisionnement en eau potable jeune afrique


Quel avenir ?

le secteur des télécommunications a lui aussi gagné en efficacité.

de collecte des ordures a aussi été mis en place. Il est assuré par Guinea Limpia, qui emploie un peu plus de 800 personnes et dont les services couvrent dix-huit villes à travers le territoire. La société assure également le nettoyage de la voirie, des plages, des marchés et des places publiques. Avant de s’attaquer sans doute aux secteurs du recyclage et du traitement des déchets, qu’elle lorgne avec insistance.

s’ajouter la société Green Com Muni en 2009. Elle a racheté Hits Guinea Ecuatorial, l’ex-filiale de Hits Africa, du groupe saoudo-koweitien Hits Telecom (House of Integrated Technology and Systems). Puis, trois ans plus tard, Guinea Ecuatorial Comunicaciones Sociedad Anonima (Gecomsa) a débarqué, née d’un partenariat entre

sous-marin. L’accès à internet s’est

également amélioré grâce au raccordement, en 2012, de la Guinée équatoriale au câble sous-marin à fibre optique ACE (Africa Coast to Europe). Avec l’augmentation du nombre de fournisseurs, les services prépayés se sont multipliés et l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux a nettement progressé puisque, selon les derniers chiffres, plus de 80 % des jeunes vivant à Malabo et à Bata seraient connectés au web via leur téléphone portable. Reste à s’attaquer à l’encadrement d’un secteur qui s’est fortement consolidé ces dernières années, en particulier en renforçant les pouvoirs de l’Agence de régulation des télécommunications (Ortel). ● Muriel Devey Malu Malu

*Comptez sur nous

bataille. Un système

le gouvernement équato-guinéen – majoritaire avec 51 % du capital – et la Chine. Outre une baisse des tarifs, la bataille entre les trois opérateurs s’est accompagnée d’une diversification de l’offre, autour de la 3G notamment.

*

Les services de télécommunications et le système d’évacuation des eaux usées – uniques sous ces latitudes – dont ont également gagné en efficacité, à disposent à présent les grands centres mesure qu’ils s’ouvraient à la concururbains du pays. rence. C’est ainsi le cas dans la téléPour les réaliser, les pouvoirs publics phonie mobile, aujourd’hui partagée ont ratissé large, en confiant les difféentre trois opérateurs. À la Guinea rents chantiers à l’entreprise maroEcuatorial de Telecomunicaciones caine Société maghrébine de Génie Sociedad Anonima (Getesa), l’opéracivil (Somagec) pour Bata, à l’égypteur public et historique du pays – et tienne Arab Contractors pour Malabo dont le capital est détenu par l’État à hauteur de 60 % et par le groupe français et à la compagnie sud-coréenne Hyundai Engineering pour les centres Orange pour 40 % –, est d’abord venue de Mongomo, d’Ebebiyin et d’Evinayong. En s’ouvrant à la concurrence,

81


Le Plus de J.A. Guinée équatoriale

82

Bankable! Pour dynamiser le marché, plusieurs établissements financiers innovent. Leurs cibles : les agriculteurs et les petites et moyennes entreprises.

A

ujourd’hui, cinq banques se partagent le marché équato-guinéen. En quinze ans, la place a accueilli quatre banques privées. En 1994 est d’abord arrivée la Caisse commune d’épargne et d’investissements (CCEIBank GE), filiale du groupe camerounais Afriland First Bank, suivie en 1998 par la Société générale des banques en Guinée équatoriale (SGBGE), filiale du groupe français Société générale, actionnaire à hauteur de 52 % du capital. Puis la BGFI Bank Guinée équatoriale (dont la BGFI détient 50 %) est apparue, avant que le groupe panafricain Ecobank n’obtienne l’autorisation de s’implanter dans le pays en 2010. Seul établissement public dans le paysage bancaire, la Banque nationale de Guinée équatoriale (Bange) a ouvert ses portes en 2006. Après avoir frôlé le dépôt de bilan, l’entreprise a été restructurée, remise sur pied, et elle jouit maintenant d’une situation financière assainie.

Pour asseoir son développement, le secteur bancaire équato-guinéen s’est appuyé sur la forte croissance et l’augmentation rapide des flux de liquidités. Comptant 1 million de personnes, le marché reste limité et la clientèle se compose essentiellement de grandes entreprises – pour 60 % des dépôts bancaires – et d’institutions internationales. Quelques PME et des particuliersviennentcompléterce tableau.

à revoir leur politique de crédit et à se tourner davantage vers le financement des PME et des petits producteurs locaux. La Bange n’est pas la dernière à s’intéresser à cette activité. Disposant de quinze agences – elle devrait en compter 24 d’ici au mois d’août –, la deuxième banque du pays en matière de bilan – avec 441,9 milliards de F CFA (673,67 millions d’euros) – et de dépôts a mis un nouveau produit sur le marché : le crédit rural, futur. Afindegagnerdespartsdemarché, destiné aux agricultrices en particulier. les banques ont fourni un effort important « Le futur, c’est l’agriculture. À terme, ce produit pourrait se transformer en banque ces dernières années en étendant leurs agricole », assure Manuel Osa Nsue Nsua réseaux d’agences à l’intérieur du pays (lire p. 86), le directeur général de la et en mettant l’accent sur la monétique. Bange. Le crédit varie de 5 à 20 millions de F CFA. Le Les impératifs de diversification prêt est accordé à une assopoussent les banques à revoir ciation dont les membres sont également formés pour leur politique de crédit. améliorer la production et Le secteur demeure néanmoins très la commercialisation. Six cents associations ont déjà bénéficié faible. Les crédits restent en majorité de ces formations et une centaine d’entre des prêts à court terme à taux élevés, octroyés principalement aux entreprises elles ont obtenu un prêt. Aucune garantie de construction impliquées dans les pron’est exigée, et la banque compte, pour le jets d’infrastructures publiques. Le ralenremboursement, sur le contrôle social des membres de l’association. Bange élabore tissement de la croissance – et la mise en veille des chantiers de BTP qui en a maintenant des produits semblables en direction des PME. Une petite révolution découlé – a changé la donne en 2014. En outre, les impératifs liés à la diversificapour le système bancaire local. ● tion économique poussent les banques M.D.M.-M.

© vincent fournier/J.A.

q La Bange compte passer de quinze à vingt-quatre agences d’ici au mois d’août.

n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

jeune afrique



Le Plus de J.A. Guinée équatoriale

84

entrepreneurs

La réussite autrement Comme sur la scène politique, une nouvelle génération d’hommes et de femmes est apparue dans le monde des affaires, notamment grâce au dispositif de local content du gouvernement.

M

ême lorsqu’ils ontfait undétour par l’administration, ils ont la volonté – mieux, la passion – d’entreprendre. C’est au cours de leurs études à l’étranger que certains d’entre eux ont commencé à faire des affaires ou qu’ils ont gravi un à un les échelons d’une entreprisejusqu’àintégrerlestaffdirigeant, celui qui participe aux décisions. Une fois rentrés aupays,quand ils ne sontpas devenus de hauts cadres, ils se sont très vite

lancés dans le commerce ou ont décroché un beau contrat de services, ce qui leur a permis d’accumuler un capital de départ. Au fil des ans, ils ont créé de nouvelles activités tous azimuts. Une diversification horizontale, classique dans les pays en voie d’émergence. Le must étant d’investir dans l’ancienne métropole, l’Espagne. La diversification les interpelle, et la crise leur offre de nouvelles opportunités. Dans la restauration, l’agriculture ou la

gestion des infrastructures de base, par exemple. Des créneaux dans lesquels ils s’engouffrent sans crainte. Ils ont une longueur d’avance sur leurs jeunes concurrents, et le dispositif de local content leur donne un coup de pouce. Focus sur quatre représentants de cette nouvelle génération d’entrepreneurs, des quadras pour la plupart, parmi lesquels les femmes sont aux premières loges ! ●

Ignacio Nzi Bico Etunu Fondateur de Fimac Services, d’Autos Litoral, de Maquineria Litoral…

I

© muriel devey malu malu pour J.A.

l est à la tête d’un petit empire. Avec cinq entreprises qui emploient300personnes,pourunchiffred’affairesannuel de 5 milliards de F CFA (7,6 millions d’euros), Ignacio Nzi Bico Etunu a démontré qu’il avait la bosse des affaires. Et ça ne date pas d’hier. « Quand j’étais étudiant à Madrid, en Espagne, je commerçais déjà avec mon pays », confiet-il. De retour en 2003 à Bata, une licence en commerce extérieur et marketing en poche, il commence sa carrière, en tant que salarié, dans une entreprise privée. Mais, très vite, il démissionne pour fonder sa propre affaire. Il monte d’abord un commerce de vêtements, à Malabo puis à Bata, avant de lancer en 2004 Fimac Services, une société de recrutement de personnel pour le BTP. « J’ai géré jusqu’à 7000 employés au plus fort des chantiers », affirme-t-il. Les affaires marchentdoncbien,et l’argentrentre.Suffisamment pour s’essayer à de nouvelles activités. En 2010 naît Autos Litoral, une entreprise de location de voitures. D’abord des 4×4 et des pick-up destinés, là encore, aux sociétés de BTP, puis des voitures de tourisme. Soit un parc de 460 véhicules géré par deux agences, l’une à Bata, l’autre à Malabo. Sans oublier Maquineria Litoral, une centrale d’achat installée en Espagne. Soutenu par la Banque nationale de Guinée équatoriale (Bange), Ignacio Nzi Bico Etunu a par la suite ajouté une corde à son arc en créant Ferbocar, une société de construction immobilière. La gestion des bâtiments est ensuite confiée à I&R Gestion Inmobiliara, une autre de ses entreprises. Mais la nouvelle donne économique l’amène à diversifier encore ses activités. « Après étude, nous envisageons de nous lancer dans la maintenance des routes et des bâtiments ainsi que dans la gestion de péages, et nous allons pour cela signer prochainement un contrat avec une société portugaise. Pour notre activité de recrutement de personnel, nous devons chercher de nouveaux profils », confie le jeune quadra, qui compte également ouvrir dès l’année prochaine une société de location de voitures en Espagne. ● Muriel Devey Malu Malu

n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

jeune afrique



Le Plus de J.A. Guinée équatoriale

Gregorio Mesiada Fondateur de Kentia SL et de Rial Shipping

L

Manuel Osa Nsue Nsua Directeur général de la Bange

I

l aurait pu poursuivre sa carrière à la banque Santander, où il avait déjà réalisé un beau parcours. Mais le sort en a décidé autrement. Et il n’a pas à le regretter. Manuel Osa Nsue Nsua est aujourd’hui le directeur général de la Banque nationale de Guinée équatoriale (Bange), qu’il a intégrée en octobre 2012 et redressée avec brio alors qu’elle était au bord de la faillite. « Il fallait trouver une solution, car sa fermeture aurait décrédibilisé la banque mais aussi la Guinée équatoriale. » Né le 21 juillet 1976 à AndomOnvang, dans le districtde NsokNsomo, Manuel Osa est parti dès l’âge de 6 ans en Espagne. « J’ai rejoint ma grande sœur à Palma de Majorque. C’est elle qui m’a élevée », raconte-t-il. Les temps sont difficiles, mais il parvient à décrocher son bac et à entamer des études supérieures, tout en travaillant. Grâce à ses efforts, il obtient deux licences, l’une en sciences de l’entreprise et l’autre en sciences économiques à l’Université des îles Baléares. Puis, en 2005, il décroche un master en gestion financière et comptabilité d’entreprise à l’université Pompeu-Fabra de Barcelone. Un bel avenir s’ouvre alors devant lui. Et après quelques mois passés à la Direction générale de l’économie de la

n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

communauté autonome des îles Baléares, il entre en 2005 à la banque Santander. D’abord à Palma de Majorque, en tant que chargé de clientèle, puis comme directeur exécutif, un poste qu’il occupe pendant cinq ans, avant d’être promu directeur général d’agence. « Je supervisais quatre zones et participais même aux décisions au niveau de Madrid », dit-il. Très apprécié, il est appelé à exercer de plus hautes fonctions au sein de l’établissement bancaire, mais, en 2012, le ministre des Finances de Guinée équatoriale lui demande très officiellement de rentrer au pays pour faire un audit de la Bange. Et, si possible, d’apporter des solutions. La suite fait aujourd’hui partie de l’histoire. « L’audit terminé, je suis rentré en Espagne. Peu de temps après, on m’a proposé la direction de la Bange. Je n’ai pas hésité, car j’étais plus utile ici qu’en Espagne, où il y a plein de gens comme moi », estime Manuel Osa. De son séjour à l’étranger et de son passage dans le privé, il affirme avoir tiré « une expérience solide dans le secteur financier, une autre manière de travailler et la capacité de prendre des décisions ». Et d’affirmer:«Jesuislecapitaine,mais ma porte est toujours ouverte. » Pour le plus grand bénéfice de la Bange. ● M.D.M.M.

a Guinée équatoriale lui doit l’ouverture de son premiersupermarché,desonpremiercinéma…Et celle de son premier fast-food. Depuis son retour au paysen 1998, Gregorio Mesiadaadémontréqu’il avait le sens des affaires et de l’initiative. « Je ne voulais ni être fonctionnaire ni faire de la politique », souligne le quadra, bien décidé à faire fructifier au maximum son diplôme en gestion des entreprises, obtenu à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. En 2001, il lance un cabinet d’expertise comptable, Kentia SL, qui sera la pierre angulaire de ses multiples activités. Car Gregorio cherche rapidement à se diversifier et il ouvre en 2010 sa première enseigne, Rial, qui compte aujourd’hui trois supermarchés à Bata et à Malabo. Il s’intéresse ensuite à la restauration rapide. D’abord avec un premier fast-food dans la capitale, qu’il baptise Bar-Rial, puis ces derniers mois en récupérant la franchise de Wing Zone pour la Guinée équatoriale. Le premier restaurant vient d’ouvrir ses portes à Malabo. En 2013, il ajoute une nouvelle corde à son arc et s’intéresse au transport maritime en fondant Rial Shipping.L’entrepriseachèteunnavired’unecapacité de 800 conteneurs, le Rio Chara, qu’il loue à une société italienne. « Nous exploiterons en propre notre flotte à partir de juin, avec une ligne entre la Guinée équatoriale et les ports espagnols de Valence et des îles Canaries. Avec les volumes de marchandises en jeu entre les deux pays, l’affaire sera rentable », assure le chef d’entreprise, qui investit tous azimuts dans une clinique prévue pour être opérationnelle dès 2017, dans l’élevage et dans l’agriculture. Bien que d’un naturel discret, presque effacé, Gregorio Mesiada occupe une place de premier rang dans le secteur privé de son pays. ● M.D.M.M.

© muriel devey malu malu pour J.A.

© muriel devey malu malu pour J.A.

86


Quel avenir ?

Librada Ela Asumu Fondatrice du cabinet T&E SL conflits, de gestion de projet, de protection sociale… Avec le temps, cette pluridisciplinarité est devenue un atout. Tous les savoir-faire que j’ai acquis me sont utiles aujourd’hui », confie-t-elle. Cet éclectisme a émaillé son parcours professionnel. De la diplomatie – qu’elle découvre à Bruxelles, notamment au sein de l’ambassade de son pays – au social – elle a été directrice générale de la Promotion féminine au sein du gouvernement à son retour à Malabo en 2001. « C’est à Anisok, dans la province d’origine de ma famille, que j’ai reçu la plus belle leçon de ma vie. J’avais des idées préconçues sur les femmes de mon pays. Mais, sur le terrain, elles m’ont fait comprendre qu’il fallait que je m’adapte à leur réalité si je voulais trouver des solutions à leurs problèmes. » Elle rejoint ensuite l’Unicef, où elle restera pendant six années, jusqu’en 2011, avant de se consacrer à plein temps à T&E SL.

Parmi les nombreuses activités du cabinet, celle qui lui tient le plus à cœur concerne évidemment la promotion des femmes dans les entreprises. Comme un résumé de cette carrière aux multiples M.D.M.M. facettes. ●

JUANNDONG

e réduisez surtout pas Librada Ela Asumu à la Malabo International Fashion Week. Certes, elle est bien à l’origine de cet événement qui promeut chaque année depuis 2010 la création équatoguinéenne, lui donnant plus de visibilité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, mais elle a accompli bien plus que cela. À 46 ans, cette femme dirige également le cabinet T&E SL, qu’elle a fondé avec son mari en 2005. « Nous avons quatre pôles: le conseil juridique, l’événementiel, l’édition – avec la revue Ewaiso – et la formation, orientée vers le droit et le secrétariat, que nous dispensons dansnotre business school. Toutes ces activités sont regroupées au sein de notre tout nouveau siège », précise-t-elle. Née à Bata, Librada est allée se former à l’étranger, en Espagne, en Grande-Bretagne et en Belgique. Elle revendique aujourd’hui la polyvalence née de ses pérégrinations. « J’ai fait des études de droit, de secrétariat juridique, de tourisme, de médiation des

*

* L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération.

N

87


Malabo Sipopo

Le Plus de J.A.

CAMEROUN

URBANISME

À chaque cité sa spécialité! Sur l’île de Bioko comme sur le continent, des villes nouvelles sont en construction. Objectif : mieux répartir les activités économiques sur le territoire.

U

ne station touristique (Sipopo), un pôle industriel (Mbini), une cité administrative (Djibloho)… Ces dernières années, la Guinée équatoriale s’est lancée dans la construction de villes ou de sites consacrés à des activités précises, manière de rééquilibrer l’économie à l’échelle du territoire alors que l’industrie pétrolière est centrée sur l’île de Bioko, qui héberge par ailleurs la capitale, Malabo.

Golfe de Guinée

Añisoc

Bata

20 km

Djibloho

Mbini

Evinayong

Mengomeyén Mongomo

GUINÉE ÉQUATORIALE

40 km

De tous ces projets, Djibloho est celui qui fait le plus débat. « Il aurait été préférable d’implanter à Bata les équipements que l’on construit à Djibloho, afin de diversifier l’économie urbaine au-delà des activités portuaires », estime un homme d’affaires de la ville côtière. D’autres, au contraire, s’enthousiasment. « Toutes les grandes villes sont nées d’un pari », affirme un banquier. Mais beaucoup s’inquiètent des montants qui restent à investir, dans un contexte de récession liée à la baisse

GABON

des recettes pétrolières, et s’interrogent sur la capacité de ces nouvelles cités à trouver leurs futures populations.

Djibloho, la nouvelle ville-province

Installée au cœur du Río Muni (la partie continentale du pays), au centre d’un triangle formé par Evinayong, Añisoc et Mongomo, la ville nouvelle de Djibloho a été inaugurée le 1er août 2015. Déjà

u Les célèbres tours jumelles de Djibloho, une nouvelle agglomération qui s’étend sur 32 000 ha.

© muriel Devey malu malu pour j.a.

88

n o 2893 • du 19 au 25 juin 2016

jeune afrique


Quel avenir ? matérialisée par plusieurs édifices, dont ses fameuses tours jumelles, Djibloho – appelée aussi Oyala – s’étale sur 32000 ha de part et d’autre du fleuve Wele. Pour bien marquer son importance, elle a reçu le statut de ville-province (devenant ainsi la huitième province du pays) et possède deux districts urbains, Oyala et Mbere. Plus qu’une simple cité administrative, Djibloho aura également une vocation touristique et universitaire. D’où la présence d’un hôtel de grand standing (doté de quelque 400 chambres et suites), d’une cinquantaine de villas, d’un centre de conférences, d’une piscine et d’un terrain de golf. Bref, un îlot de luxe dans la forêt vierge. En plus de ses grandes écoles, la cité comptera deux universités, ouvertes aux étudiants équato-guinéens et étrangers, à commencer par les boursiers en provenance de la sous-région. Lesautreschantiersencoursconcernent la construction de résidences privées, de logements sociaux, de bâtiments commerciaux et de bureaux, tandis que de nouveaux ponts à hauban seront jetés sur le Wele. On estime à 50 % le taux

de réalisation des travaux de la ville, à laquelle on accède par un bon réseau routier, dont une autoroute qui mène de Bata à Mongomo, et par l’aéroport de Mongomeyen. La baisse des recettes budgétaires a hélas freiné certains projets, etdenombreuxchantiersdevraients’étaler davantage dans le temps.

À Mbini, cap sur l’industrie

C’est en 1973 que la ville de Benito est devenue Mbini. Située à 84 km au sud de Bata,àl’embouchuredurioWeleetaubord de l’Atlantique, la ville a servi, à l’époque coloniale, de base aux missionnaires presbytériens américains. Pendant longtemps, elle fut un port grumier important, où le bois, acheminé par flottage, était scié dans les factoreries de la ville, avant d’être expédié vers l’Europe. Lorsque Mbini a perdu cette fonction au profit de Bata, elle est entrée dans une phase de récession. Plusieursfacteursontjouéenfaveurdela renaissance de la cité: l’exploration pétrolière au large de la côte, le désenclavement

de Mbini, son alimentation en électricité à partir du barrage de Djibloho. Autant d’atoutsquiexpliquentquelacitémaritime, qui abrite quelque 18000 habitants, ait été choisie comme futur pôle industriel de la Guinée équatoriale. Du coup, la ville s’est progressivement équipée en résidences et en hôtels, dans la perspective de l’essor touristiquedelarégion.UneÉcoleintégrale y a été implantée, et un nouveau quartier, Mbini 2, est en cours de finalisation. La ville projette de construire des infrastructures de transport, d’implanter un site detransformationduboisetdesressources minières, entre autres. L’État prendra en charge son aménagement. Dans la foulée, Mbini sera doté d’un patio le long de l’océan. La mise en service de la centrale hydroélectrique de Sendje, sur le rio Wele, sera un atout supplémentaire.

Sipopo attend les touristes

Le site est assez exceptionnel. Situé dans un espace tranquille et verdoyant, à quelque 20 km au sud de Malabo ● ● ●

89


Le Plus de J.A. Guinée équatoriale

90

© muriel devey malu malu pour j.a.

t Le centre de conférences de Sipopo, sur l’île de Bioko.

● ● ● et adossé sur les flancs du pic Basilé, Sipopo fait face à l’océan. Et quand, dans le lointain, la brume daigne se lever, le mont Cameroun semble à portée de main. Mais là n’est pas son seul atout. Le site dispose aussi d’un hôtel cinq étoiles, le Sofitel Malabo Sipopo Le Golf, géré

par le groupe français Accor. Équipé de quelque 200 chambres, dont 10 suites, il propose restaurants et bars, salons et salle de conférences, piscine, hammam et spa, golf 18 trous et plage. Sipopo compte également 52 villas présidentielles, deux restaurants, deux centres

de conférences et le complexe médical La Paz. Un centre commercial devrait ouvrir prochainement. Sa localisation et ses équipements font de Sipopo un lieu idéal pour le tourisme d’affaires, de congrès et même de loisir. En dehors des grandes manifestations politiques, comme le sommet de l’UA, ou sportives, telle la Coupe d’Afrique des nationsen2012,lafréquentationdeSipopo est limitée. Le Sofitel s’efforce d’attirer la clientèle d’affaires, mais la concurrence est vive, et, bien que relié par une belle autoroute à Malabo, le site est un peu excentré. Reste la clientèle locale. Les amateurs de sport et de détente ont l’embarras du choix. Toutefois, le pari de faire de Sipopo un centre de tourisme consacré au golf est loin d’être gagné. Les contraintes ? L’obtention du visa et la cherté de la destination. Pourtant, le jeu en vaudrait la chandelle. ● Muriel Devey Malu Malu



92

Le Plus de J.A. Guinée équatoriale

TRIBUNE

Question de crédibilité SIMEON-NFA OYONO ANDEME Journaliste à france-guineeequatoriale.org

L

a crédibilité des médias souffre d’une remise en question qui ne connaît pas de frontières. Et la Guinée équatoriale n’y échappe pas. Ses causes varient bien sûr selon les pays. Dans les démocraties, elles sont le plus souvent liées aux pressions économiques engendrées par les progrès fulgurants des technologies de l’information et de la communication. Ailleurs, ce sont les milieux politiques qui exercent leur pouvoir de contrôle. Comme en Guinée équatoriale. Le journalisme a une longue histoire dans notre pays.Tout a commencé en 1889, avec l’arrivée des premières imprimeries sur l’île de Bioko, appelée alors Fernado Poo. Une quinzaine de journaux étaient régulièrement réalisés et distribués à travers le territoire national. Nous avons plus tard hérité des installations et des moyens techniques apportés par le colonisateur espagnol, comme les locaux laissés par la TVE au lendemain de l’indépendance et qu’avait inaugurés, en grande pompe, Manuel Fraga Iribarne, alor s ministre de l’Information et duTourisme du général Franco. Aujourd’hui, plus d’une trentaine de revues, magazines et journaux circulent en Guinée équatoriale. Et la radio d’État fait face pour la première fois à une forme de concurrence, avec l’arrivée du groupe privé Radio et Télévision Asonga. Une telle situation pourrait laisser croire qu’un certain chemin a été parcouru en matière de pluralisme et de liberté de la presse. La réalité est pourtant tout autre pour les journalistes, confrontés à un culte de la personnalité qui n’est pas sans rappeler le franquisme. Il suffit de regarder la une des quotidiens nationaux ou d’écouter les programmes de la RTVGE (Radio-Télévision de Guinée équatoriale) pour s’en convaincre.

aîné du président,Teodoro Nguema Obiang Mangue. Dans ces conditions, et sans parler de censure, la crédibilité et l’indépendance des journalistes – qui, pour certains, n’hésitent pas à apparaître sur les plateaux vêtus de chemises aux couleurs du parti au pouvoir – sont régulièrement mises en doute. Pas étonnant que la grande majorité de la population affirme ne pas regarder la télévision et n’accorder que peu de crédit à ce qu’elle lit dans la presse, dont la périodicité est trop aléatoire pour pouvoir fournir rapidement une information objective. Plutôt que d’aider les citoyens à se forger leur opinion propre, les professionnels de l’information semblent devoir se contenter de relayer la parole du gouvernement. S’ils choisissent une autre ligne éditoriale, ils risquent d’avoir à changer de métier. En 2014, Amparo Oba Efua, la présentatrice du programme Cultura en casa, émis sur la RTVGE, a été licenciée pour avoir organisé

La population affirme ne pas regarder la télévision et n’accorder que peu de crédit à la presse.

Ce constat est encore plus vrai en matière d’audiovisuel. L’ensemble des moyens de communication et de diffusion est toujours placé sous le monopole de l’État, et les seules chaînes privées du pays, celles du groupe Asonga, sont détenues par le fils N o 2893 • DU 19 AU 25 JUIN 2016

un débat jugé critique à l’égard du gouvernement, et la directrice de l’information de Télévision Asonga, Leticia Nguema, a été renvoyée après avoir autorisé la diffusion de quelques images montrant la dispersion d’une manifestation d’étudiants par les forces de l’ordre. Plus récemment, en décembre 2015, Bonifacio Ondo Obama Betoho, journaliste de la RTVGE à Bata soupçonné d’être lié à un parti d’opposition, a été suspendu de ses fonctions. Maintenus sous surveillance, les médias sont réduits au silence. L’article 20 de notre loi fondamentale prévoit pourtant que « toute personne a le droit d’exprimer des pensées, idées et opinions » et « de communiquer ou recevoir librement une information avérée ». Il suffit donc de suivre les textes et de respecter la loi pour que notre profession retrouve sa crédibilité. Et la Guinée équatoriale avec elle. ● JEUNE AFRIQUE



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.