Algérie Matoub Lounès : les secrets d’un assassinat jeuneafrique.com
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 56e année • n° 2895 • du 3 au 9 juillet 2016
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pages
Tunisie Où est passée la gauche ? Bénin Talon & Co. RD Congo Quand le Grand Inga s’éveillera
GABON
SPÉCIAL PRÉSIDENTIELLE 2016
Dans la tête
d’Ali Bongo Ondimba Comment et avec qui fonctionne le chef de l’État ? Que pense-t-il vraiment ? Enquête au cœur du pouvoir. ÉDITION INTERNATIONALE ET AFRIQUE CENTRALE France3,80€•Algérie250DA•Allemagne4,80€•Autriche4,80€•Belgique3,80€•Canada6,50$CAN•Espagne4,30€•Éthiopie67birrs•Grèce4,80€•Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € • Italie 4,30 € • Luxembourg 4,80 € • Maroc 25 DH • Martinique 4,60 € • Mauritanie 1200 MRO • Mayotte 4,60 € • Norvège 48 NK • Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € • Réunion 4,60 € • RD Congo 6,10 $ US • Royaume-Uni 3,60 £ • Suisse 6,50 FS • Tunisie 3,50 DT • USA 6,90 $ US • Zone CFA 1900 F CFA • ISSN 1950-1285
Dossier Agro-industrie
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© theo renaut pour j.a.
Le coton, une industrie à l’état brut
n o 2895 • du 3 au 9 juillet 2016
jeune afrique
Interview
Olga Yenou
Directrice générale de Tafissa
infographies
Des filières à renforcer
portrait
Saïd Alj, le négociateur
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Grande productrice d’or blanc, l’Afrique de l’Ouest crée peu de valeur localement. Elle exporte une très grande partie de sa fibre, au détriment de la fabrication de fil et de tissu.
L
Rémy Darras
’
année 2016 aura une nouvelle fois été difficile pour la filière coton. Les pluies tardives ont entraîné une baisse de la production de 15 % (tombée à 2,3 millions de tonnes de coton-graine en 2015-2016) en Afrique de l’Ouest. Il aura fallu aussi affronter la concurrence des fibres de polyester, toujours plus compétitives, alors même que les stocks chinois d’or blanc sont pléthoriques… Mais, en dépit d’un cours bas (environ 0,7 dollar la livre), les pays de la zone franc CFA s’en sortent plutôt bien. D’abord grâce à la parité entre euro et dollar, qui leur aura été favorable. En raison de la structuration de la filière ensuite. Un modèle vertical intégré, hérité de la période coloniale française, organisé autour de sociétés d’économie mixte qui vendent le coton à l’exportation et distribuent les engrais. La filière compte un petit nombre d’opérateurs et très peu de concurrence entre les égreneurs. Elle assure des prix garantis aux producteurs avant les semis. filatures. En dix ans, la part de l’Afrique de
p Usine de la Sofitex à Bobo-Dioulasso, au Burkina. jeune afrique
l’Ouest dans la production continentale est ainsi passée de 20 % à 67 %, dépassant même l’Égypte, dont la part a décru de 45 % à 6 %. Un bémol toutefois : si la filière exporte beaucoup – les trois quarts de la production ont été envoyés en Asie l’an dernier –, elle transforme trop peu. « Plus on remonte dans la chaîne, moins on trouve de valeur ajoutée », explique le consultant indépendant Gérald Estur, auteur du chapitre consacré au coton africain dans l’édition 2016 du rapport « Cyclope » sur les marchés mondiaux. L’industrie – en dehors des unités d’égrenage – est quasi inexistante, alors que des usines permettraient de transformer la fibre en fil puis en tissu. « Des filatures ont prospéré n o 2895 • du 3 au 9 juillet 2016
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Dossier Agro-industrie jusque dans les années 1990, mais elles n’ont pas résisté à la concurrence des importations de textile ni à la disparition des quotas », déplore Gérald Estur. La transformation de la fibre a baissé partout en Afrique, fait-il remarquer, sauf en Éthiopie, pays qui a bénéficié de délocalisations de filiales turques et où l’énergie n’est pas chère. Globalement, avec moins de 5 % de tonnes de fibres transformées localement, on est bien loin des objectifs de 35 % que s’était assignés l’UEMOA en 2003. « La faute au manque de main-d’œuvre qualifiée, d’énergie, d’infrastructures et d’investissements », souligne Abah Ofon, spécialiste des matières premières agricoles chez Agrimoney. Une partie seulement des produits dérivés sont valorisés sur place : les graines servent à faire de l’huile, les résidus végétaux, de l’énergie et les tourteaux, de la nourriture pour le bétail. mixte. Au Burkina Faso (premier producteur
du continent avec 250 000 t de fibres de coton), au Mali, ou en Côte d’Ivoire, le coton est vendu
à des dizaines de triturateurs locaux à un prix fixé au niveau national. Le marché se compose de petites entreprises sans grands distributeurs. Des huileries modernes cohabitent avec d’autres plus anciennes aux matériels et aux productions de qualité inégale. « La transformation de la graine résiste mieux dans les pays enclavés que dans les pays côtiers, qui subissent la concurrence de l’huile de palme », note Les pays côtiers Gérald Estur. Alors que la commercialisation subissent la concurrence s’est libéralisée partout, le modèle de l’huile de palme. ancien d’huileries intégrées aux Gérald Estur, consultant sociétés d’économie mixte subsiste au Cameroun, « pays où l’on obtient le rendement de coton-graine le plus haut, avec le prix au producteur le plus élevé », remarque Gérald Estur. Mais où seulement 2 % de la production est transformée en fil et en tissu. Mali, Bénin, Côte d’Ivoire, Burkina Faso… J.A. est allé à la rencontre des industriels qui réussissent malgré les difficultés de la filière. ●
Burkina faso
SN-Citec sort enfin du marasme
I
l y a trois ans, nous subissions des pertes et gardions des stocks d’invendus importants. Aujourd’hui, c’est moins le cas », se félicite le Français Alexandre Zanna, directeur général de la Société nouvelle huilerie et savonnerie (SN-Citec), contrôlée par le groupe Geocoton (52,94 %). Mais le dirigeant sait que la reprise est loin d’être suffisante : « Nous ne devons pas baisser les bras car notre business model reste fragile. » En 2015, SN-Citec s’est retrouvée avec 2 000 tonnes d’huile invendues – en plus des 1 000 t de l’année précédente. Ce qui équivaut à deux mois de ventes. Mais le pionnier du secteur des oléagineux burkinabè se réjouit d’avoir pu écouler 85 % de sa production, estimée à 20000 t d’huiles végétales. La société se remet lentement des années passées dans le rouge à cause des huiles importées en fraude. « Nous souffrons de la concurrence déloyale des importations massives d’huiles venant de pays voisins et de Malaisie », n o 2895 • du 3 au 9 juillet 2016
assène Alexandre Zanna. Difficulté à laquelle s’ajoutent 60000 t d’huile de mauvaise facture produites à partir de graines de coton par une centaine d’unités artisanales. Entre 2007 et 2013, le cumul des pertes de l’entreprise s’est élevé à près de 4 milliards de F CFA (6 millions d’euros). Au même moment, son chiffre d’affaires stagnait autour de 15 milliards de F CFA par an, à l’exception de ces deux dernières années, où il s’est stabilisé à environ 18,4 milliards de F CFA. Pour l’exercice en cours, la société table sur 20 milliards de F CFA au moins. Mieux, SN-Citec est parvenue à équilibrer ses comptes et à dégager l’an dernier un bénéfice de 400 millions de F CFA. savons. Pour conforter son lea-
dership, la compagnie déroule un plan d’investissement destiné à améliorer la qualité de ses produits et à renouveler l’outil industriel. « C’est ainsi que nous allons nous démarquer des huiles bon marché », estime Alexandre Zanna. En 2016, plus de 1 milliard de F CFA seront investis dans l’acquisition
d’équipements de conditionnement. Spécialisée dans la fabrication d’huiles sous le label Savor et de savons de ménage SN-Citec,
Le pionnier burkinabè des oléagineux a réussi à écouler 85 % de sa production en 2015.
Exit les OGM Mi-juin, Ouagadougou a annoncé sa volonté d’abandonner l’utilisation de semences de coton génétiquement modifié. Expérimentées depuis 2003 avec Monsanto, elles n’ont pas répondu aux attentes
appréciés des Burkinabè, l’entreprise veut réaliser une unité d’embouteillage pour compléter sa gamme de bidons de 5 l et de 20 l. « En fin d’année ou début 2017, nous sortirons des bouteilles de 0,5 l et de 1 l pour toucher le maximum de consommateurs. De même, nous allons diversifier nos produits d’alimentation animale avec des compléments nutritionnels pour mieux répondre aux besoins du marché », précise Ibrahim Traoré, directeur commercial. Tous ces efforts visent in fine à permettre à ce fleuron de l’agroalimentaire de renouer durablement avec des résultats bénéficiaires. ● Nadoun Coulibaly, à Ouagadougou jeune afrique
Dossier Agro-industrie Bénin
Talon au chevet de ses intérêts
N
euf Cons eils des ministres. Neuf décisions portant sur la filière coton. Contrairement à ce qu’il avait laissé entendre pendant la campagne électorale, le nouveau président béninois, Patrice Talon, semble réserver un traitement particulier au secteur qui a fait sa fortune (lire aussi pp. 28-31). Et certaines de ces mesures l’avantagent directement. Il a par exemple mis fin aux réquisitions des usines d’égrenage de sa Société de développement du coton (Sodeco), imposées en 2014 par son prédécesseur, Thomas Boni Yayi. Ce qui a déclenché le paiement par l’État de 12 milliards de F CFA (18,3 millions d’euros) à Sodeco au titre de l’égrenage des campagnes
gérées par l’État, dont Patrice Talon avaitétéprivé.Puislegouvernement a confié à nouveau la gestion des campagnes au privé en ressuscitant l’Association interprofessionnelle du coton (AIC), dirigée par l’un des proches de Talon, Mathieu Adjovi. Pour ne pas alimenter les critiques, le chef de l’État, qui détient plus de 80 % des capacités d’égrenage du pays – évaluées à 552 000 tonnes – dit avoir cédé ses partsdansSodecoetdansIndustries cotonnières associées à ses deux enfants. Même si la production cotonnière, de 350 000 t environ cette année, décline depuis dix ans et que cinq de ses quinze usines tournent avec un outil industriel totalement dépassé, l’empire cotonnier de la famille Talon fait encore
Économies en vue En supprimant les subventions données aux cotonculteurs pour l’achat de leurs engrais et aux égreneurs pour l’achat du coton-graine, l’État béninois annonce pouvoir économiser 21 milliards de F CFA lors de la campagne 2016-2017
fantasmer bien des Béninois. C’est sans doute aussi ce qui a poussé le président à annoncer l’arrêt des subventions publiques accordées aux cotonculteurs pour l’achat de leurs engrais vendus par les égreneurs. Désormais, cette aide sera apportée par les industriels. « Cela ne leur demandera pas un effort insurmontable. Ils profitaient des subventions étatiques pour faire des marges importantes. Ils vont revenir à des prix plus raisonnables », estime un bon connaisseur de la filière. Il est peu probable que Talon veuille réellement affaiblir un secteur que lui et ses enfants contrôlent. D’autant que, selon certaines sources, il pourrait décider de vendre ses usines. ● Fiacre Vidjingninou, à Cotonou
Côte d’Ivoire
Olheol face à la pénurie
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epuis le 16 juin, 480 ouvriers de l’usine Olheol de Bouaké, spécialisée dans la trituration de la graine de coton, sont au chômage technique. Ils resteront chez eux jusqu’au début de la prochaine campagne, en novembre. Une centaine d’employés seulement entretiennent les machines et élaborent la stratégie logistique qui permettra à l’entreprise de s’approvisionner l’année prochaine. En 2016, la direction n’a pu obtenir que 13 000 tonnes de graines destinées à produire l’huile alimentaire, les tourteaux et la nourriture pour volaille vendus sur les marchés national et régional. C’est le plus faible volume trituré par ses lignes de production depuis qu’Alexandre Keita, un homme d’affaires ivoirien installé en France, a repris la compagnie en 2009. Il lui faudrait au moins 90000 t pour que l’usine (capable de traiter jusqu’à 220 000 t) équilibre ses comptes. En 2015, Olheol avait déjà subi n o 2895 • du 3 au 9 juillet 2016
© olheol
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980 millions de F CFA (1,5 million d’euros) de pertes, qui s’ajouteront aux 8,5 milliards déjà investis ces sept dernières années par son actionnaire unique. Pour Alexandre Keita, 2017 pourrait être l’année de la dernière chance. Si l’ancienne usine d’Unilever, que le groupe malien
p En 2016, seulement 13 000 tonnes de graines ont été triturées par l’usine.
Aiglon avait menée à la faillite en 2007, ne parvient pas à acheter beaucoup plus de graines, son avenir sera à nouveau compromis. Lors de la dernière campagne, une grande partie de la production ivoirienne avait été vendue à l’étranger. « Le gouvernement affirme vouloir développer une filière ● ● ● jeune afrique
Dossier Agro-industrie ● ● ● industrielle pour valoriser le coton ivoirien, mais les égreneurs privilégient des acheteurs étrangers venant du Mali ou du Burkina Faso », déplore Alexandre Keita. Les volumes disponibles étaient d’autant plus faibles que la production de coton a baissé de 25 % cette année en raison de mauvaises conditions climatiques. L’entrepreneur mise beaucoup sur l’accord-cadre signé fin 2015 avec les égreneurs (qui n’a pu entrer en application lors de la dernière campagne). Et le ministre de l’Industrie, Jean-Claude Brou, s’est engagé à le faire respecter. « Il n’existe que deux usines de trituration en Côte d’Ivoire. Il n’est pas normal que nous soyons confrontés à un tel problème d’approvisionnement. D’autant que le prix de la graine est négocié en début de campagne avec le Conseil du coton et de l’anacarde », insiste Alexandre Keita. L’entrepreneur s’inquiète aussi parce qu’il cherche à ouvrir le capital de son entreprise à de nouveaux investisseurs : « Je dois sans cesse rassurer mes interlocuteurs sur notre capacité à mobiliser suffisamment de matière première pour faire tourner l’usine à plein régime. » S’il parvient à convaincre institutions de développement et fonds d’investissement, le patron modernisera ses machines (beaucoupdatentdesannées1990)etfera évoluer ses lignes de production pour leur permettre de transformer aussi du soja. Un bon moyen d’échapper à la pénurie de graines une fois pour toutes. ●
Julien Clémençot
© habibou kouyate/afp
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p L’entreprise emploie 432 personnes. Mali
Batex-CI, la réussite au bout du fil
L
orsqu’il a inauguré Batex-CI en 2005, sur les cendres de l’ancienne Itema (Industrie textile du Mali), le Malien Bakary Cissé, basé en Côte d’Ivoire, misait essentiellement sur le tissage et entendait réaliser 23 millions de mètres de tissu par an. Mais, face à la concurrence chinoise, pakistanaise et indienne dans la sousrégion, il s’est tourné vers le fil de coton pour rentabiliser les 9 milliards de F CFA (13,7 millions d’euros) investis dans la relance de l’activité. « Nous transformons 2 800 tonnes de coton par an, 80 % en fil et seulement 20 % en tissu », détaille Alioune Badara Diawara, 42 ans, administrateur général de Batex-CI. L’entreprise a signé un contrat avec la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT), qui lui impose de sefournirchezelleenéchanged’uneremise de 30 % sur le prix de la matière première. Acheté 1425 F CFA le kilo, le coton devenu fil sera vendu 2 200 F CFA le kilo. « Il n’y a pas de concurrent sur ce marché. La
demande est forte, et nous avons même refusédescommandesvenantduSénégalet de Guinée-Bissau », ajoute Alioune Badara. Le patron n’en dira pas plus sur les finances de l’entreprise, qui emploie 432 salariés. Mais les affaires semblent plutôt bonnes. Les ateliers de tissage ne tournent qu’en cas de commande. Il s’agit en général de tissus personnalisés utilisés pour confectionner des pagnes à l’occasion de fêtes religieuses, de journées internationales lancées par l’ONU ou de campagnes électorales. « En ce moment nous travaillons pour le chef de l’État gabonais, Ali Bongo Ondimba. La maquette est finie, nous attendons juste de savoir combien de pièces sont nécessaires. Nous avons par ailleurs réalisé les tissus d’Alpha Condé pour la présidentielle guinéenne et ceux de l’opposant nigérien Hama Amadou », précise Mimi Cissé, commercial de Batex-CI. Mais cette activité pourrait disparaître à terme. L’entreprise envisage de se consacrer exclusivement à la production de fil de coton. ● Baba Ahmed, à Bamako
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Dossier Agro-industrie interview
Olga Yenou
Directrice générale de Tafissa
« Nous voulons pousser les Ivoiriens à consommer davantage de cacao » Nouveaux produits, liens avec les distributeurs, chiffre d’affaires… L’ancienne directrice de l’usine Cémoi dévoile à J.A. ses objectifs et sa stratégie pour sa PME.
la quinquagénaire revient sur sa démarche et ses ambitions. jeune Afrique: Quelle est la spécificité de votre marque, Tafissa ? Olga Yenou: C’est tout d’abord
l’origine ivoirienne de nos produits. Ensuite, ils ont pour point commun de procurer, grâce à une forte concentration en cacao, à la fois du plaisir et du bien-être. Plus de cacao signifie moins de sucre. L’une de nos poudres, constituée à 100 % de cacao, ne contient aucun sucre. On l’oublie souvent, le cacao est bon pour la santé. Il a des effets positifs sur la mémoire et sur le cœur, et il aide à lutter contre le stress et la fatigue.
T
afissa (« se lécher les doigts » en baoulé), c’est la petite marque qui monte à Abidjan. Olga Yenou, sa fondatrice et directrice générale, commercialise depuis un an des produits finis à base de cacao – poudres, pâte à tartiner, beurre – et cherche à lever 3 milliards de F CFA (4,57 millions d’euros) pour développer ses activités en Côte d’Ivoire et dans les pays alentour. Le début de l’aventure, en 2012, fut pourtant agité. À l’origine, l’ancienne directrice de l’usine Cémoi d’Abidjan fabriquait des produits semi-finis (masse, beurre, tourteaux) destinés à l’export. Mais la fiscalité a évolué au plus mauvais moment, et les comptes de son entreprise n’ont pas supporté le retrait des subventions accordées aux produits transformés. Son usine de San Pedro a dû finalement arrêter la production pour un temps. L’ingénieure ivoirienne, née à Saint-Germain-en-Laye (près de Paris) et diplômée de l’institut polytechnique Félix-HouphouëtBoigny, à Yamoussoukro, ne s’avoue pas vaincue pour autant. Elle réunit des financements pour adapter ses machines (1,5 milliard de F CFA investis depuis la création de l’entreprise), pariant sur l’essor de la consommation de produits à base de cacao chez le premier producteur au monde de fèves. Son produit phare : une n o 2895 • du 3 au 9 juillet 2016
Vous commercialisez de la poudre, de la pâte à tartiner et du beurre de cacao. Avez-vous d’autres produits en cours de développement?
© DR
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p La quinquagénaire, formée à l’institut polytechnique de Yamoussoukro, a démissionné de Cémoi en 2008 et lancé son activité en 2012.
poudre constituée à 100 % de cacao « dont les Ivoiriens apprécient le goût amer », à laquelle s’ajouteront bientôt des cosmétiques au cacao (l’un d’eux est testé sous la marque Liessmann) ou, entre autres, une tablette de chocolat capable de résister aux chaleurs tropicales. La PME, qui compte une douzaine de salariés, distribue ses produits dans les magasins tendance d’Abidjan, les stations Total, à l’aéroport et, depuis quelques mois, dans les hypermarchés du groupe Prosuma. Alors qu’une nouvelle étape s’ouvre avec ce partenariat,
Nous travaillons sur un chocolat très concentré en cacao. C’est compliqué, car il doit bien se conserver dans les pays chauds – une grande nouveauté. Et nous venons de sortir un autre produit innovant : un stick de poudre de cacao de 5 grammes vendu 500 F CFA, soit deux fois moins cher que ceux du marché actuel. Dans les foyers, ces formats permettent de régler les problèmes de trésorerie et, dans les hôtels, ils facilitent la planification des volumes. L’accessibilité de nos produits représente un sérieux enjeu pour notre développement en Côte d’Ivoire et dans la sousrégion demain, particulièrement au Nigeria et au Ghana, pays qui consomment le plus de cacao. Quelle part de chiffre d’affaires visez-vous à l’export dans les années à venir ?
Entre 60 % et 75 %.
jeune afrique
Quelle croissance de revenus prévoyez-vous pour tafissa ?
Nous visons un chiffre d’affaires de 2 milliards de F CFA pour 2017. Cet objectif était initialement prévu pour 2016, mais nous avons eu accès aux grandes surfaces moins vite qu’attendu, ce qui a ralenti notre croissance. Depuis le mois d’avril, Prosuma [premier acteur du marché ivoirien] nous fait confiance en distribuant nos produits. Nous sommes maintenant en discussion avec Carrefour et CDCI [Compagnie de distribution de Côte d’Ivoire].
Non. Étant donné la dimension de mon entreprise, je n’ai pas à me procurer d’énormes volumes. Si un problème se pose, il concernera le rendement des fèves, et non la qualité globale de notre matière première, qui s’est améliorée ces dernières années. travaillez-vous avec des producteurs spécifiques pour vous procurer les fèves ?
Nous n’avons pas encore les volumes suffisants pour cela. Mais nous l’envisageons, car cela nous permettra d’obtenir des fèves
Le partenaire de vos projets agricoles en Afrique et au Moyen-Orient
Notre objectif : un chocolat résistant à la chaleur. D’autres industriels, comme votre ex-employeur Cémoi ou PFi, investissent le marché du chocolat. Comment voyez-vous cette concurrence ?
Le marché ivoirien reste très réduit. Une personne consomme en moyenne 500 g de cacao par an [contre 3,6 kg en France, chiffres ICCO]. Nous avons donc un objectif en commun : faire en sorte que les Ivoiriens prennent l’habitude de consommer des produits à base de cacao, car le potentiel existe. Mais il est clair que je n’ai pas la même force, la même capacité de distribution, ni les mêmes budgets de communication. Le secteur des produits finis est encore balbutiant. Avez-vous besoin d’une aide de l’État ?
Oui, les autorités pourraient nous aider en communiquant sur les bienfaits du cacao. Des experts ont établi ces avantages, et elles sont les plus à même de porter ce message.
La taille des fèves de la campagne en cours est décevante. Le coût des bonnes fèves va augmenter. est-ce un risque de plus pour votre rentabilité ? jeuNe Afrique
répondant à des critères adaptés à nos besoins : une cueillette à la maturité idéale, une bonne fermentation, un séchage adéquat, etc. De même, nous avons déjà intégré dans nos prochains comptes de résultat des sommes plus élevées [que le prix minimum garanti] pour payer les producteurs. Là encore, nous cherchons à soutenir la filière ivoirienne. ● Propos recueillis par MArion Douet
Cémoi s’affiche en leader L’industriel français a inauguré en 2015, en présence du président Alassane Ouattara, une usine dimensionnée pour confectionner quelque 10 000 tonnes de produits chocolatés à Yopougon (commune d’Abidjan). Cette installation, présentée comme la « première chocolaterie de Côte d’Ivoire », produit pour l’instant les pâtes à tartiner Tarticao et les poudres Quickao pour les marchés local et régional, créneaux sur lesquels est également présent Professional Food Industry. Les tablettes de chocolat sont attendues pour 2017. M.D. N o 2895 • du 3 Au 9 juillet 2016
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Dossier Agro-industrie DES FILIÈRES À RENFORCER L‘Afrique dépense chaque année environ 33 milliards de dollars (environ 30 milliards d’euros) pour importer des produits alimentaires. Le niveau des importations est de 30 % supérieur à celui des exportations. Ce déséquilibre s’explique entre autres par la faible capacité du continent à transformer les matières premières agricoles au niveau local, mais aussi par les pertes post-récoltes. Céréales, tomates, café… Jeune Afrique a sélectionné plusieurs exemples illustrant les défis du secteur agroalimentaire sur le continent.
L’industrie nigériane de la tomate sous-approvisionnée
En 2012, les importations de sauce tomate ont coûté
Le Nigeria est le plus important producteur de tomates d’Afrique subsaharienne
127 millions de dollars Résultat, seul un tiers de la capacité de transformation des usines est exploité
Les pertes après la récolte sont estimées entre
40 % et 60 %
Toujours plus de blé... importé En 2015, l’Afrique subsaharienne en a importé
En 2014, la région produisait de quoi répondre à seulement
21 millions de tonnes
28 % de ses besoins
En 2025, entre
30 et 32 millions
La consommation de blé a doublé en Afrique subsaharienne entre 2000 et 2014
de tonnes seront importées
L’effondrement du café kényan En 1986, le Kenya produisait environ
Soit une baisse de
119 000 tonnes de café
60 %
Modifications des accords commerciaux internationaux, changements climatiques et défaillance au niveau de l’organisation de la filière sont les principales causes de ce déclin
entre 1986 et 2015
En 2015, il n’en produit plus que
50 000 tonnes
Le Kenya représente moins de
1 % de la production mondiale de café
Naissance d’une industrie semencière
La plupart des agriculteurs africains continuent de semer des graines issues de la récolte précédente
Mais le marché se structure Au Kenya, on comptait : Le marché des semences était
L’accès aux semences améliorées reste très restreint sur le continent
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estimé à
1,5 milliard de dollars
en 2014 en Afrique
31 entreprises
semencières en 2002
60 en 2007
104 en 2012
Les experts prévoient son doublement d’ici à 2023
jeune afrique
source : gro - intelligence - nepad rabobank
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Dossier Agro-industrie
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Portrait
Saïd Alj, le négociateur En trente ans, le Marocain a fait d’Unimer l’un des principaux acteurs du marché des conserves. Parcours d’un businessman aussi discret que doué.
U
nimer, Label’ Vie, CNIA, Taslif, Stokvis… Derrière ces sociétés cotées à la Bourse de Casablanca, un actionnaire commun : l’homme d’affaires marocain Saïd Alj. Son groupe, Sanam Holding, compte une trentaine de sociétés et emploie quelque 6 000 personnes. Les chiffres clés du conglomérat restent confidentiels, conformément à la discrétion cultivée par cet entrepreneur. « C’est un investisseur qui a vite compris la nécessitédemodernisersongroupe, de l’ouvrir à de nouveaux partenaires, et surtout de diversifier ses activités pour investir dans d’autres secteurs, explique un proche du président de Sanam Holding. Mais il évite de se mettre en avant. » Le nom de Saïd Alj reste étroitement lié à l’agroalimentaire au Maroc.Levaisseauamiraldugroupe n’est d’ailleurs autre que la société
Unimer. Reprise en 1986, l’entreprise – créée au début du siècle dernier par des investisseurs français pour exporter des conserves de cornichons – va connaître un développement phénoménal. En quelques années seulement, la petitestructuresefaitunnomsurles marchés africain, européen, mais aussi américain. Son secret : une maîtrise des circuits de distribution et une large gamme de produits adaptés à chacune de ses clientèles. La marque phare d’Unimer, le thon Titus, est ainsi écoulée dans plus de trente pays africains. Aujourd’hui, la société réalise un chiffre d’affaires de près de 1 milliard de dirhams (environ 92 millions d’euros) et nourrit de grandes ambitions sur le continent. Sa filiale Unimer Africa a décroché le statut Casablanca Finance City et s’est lancée dans la réalisation d’une usine de conserves de
Dix ans de diversification Pendant la dernière décennie, Saïd Alj a grandement diversifié ses activités. Unimer, filiale phare de Sanam Holding, est actionnaire de Retail Hoding (Carrefour au Maroc). Et Sanam Holding, qui est l’un des partenaires de l’assureur CNIA, a pris le contrôle de plusieurs sociétés achetées à Mustapha Amhal dans l’agroalimentaire et la distribution de produits ménagers. L’empire de Saïd Alj s’étend aussi au matériel agricole (Stokvis Nord Afrique), au crédit à la consommation (Taslif), à l’immobilier (Sanam Immobilier), à l’hôtellerie et même aux studios de cinéma
poisson dans la zone franche de Nouadhibou, en Mauritanie. En contrepartie d’un investissement de 28 millions de dollars (environ 25 millions d’euros) dans un complexe industriel intégré, Unimer Africa a obtenu des autorités mauritaniennes une licence de pêche pour un quota de 100 000 tonnes par an de petits pélagiques (poissons vivant en surface ou entre deux eaux). « L’unité est en cours de finalisation et elle devrait tourner à plein régime courant 2017 », assure une source proche du projet. paternaliste. Pour gérer cet
ensemble imposant, Saïd Alj a su s’entourer de managers fidèles qui l’accompagnent depuis de nombreuses années. « C’est le genre de patron qui déjeune avec ses cadres dans la salle de réunion. Il connaît le nom des enfants de ses proches collaborateurs. Son mode de gestion est très paternaliste », raconte un ancien du groupe. Mais, à 62 ans, l’homme prépare sa relève et s’appuie de plus en plus sur ses enfants pour la gestion quotidienne du groupe. Son fils, Mehdi Alj, a par exemple pris le relais pour le pôle agroalimentaire, ainsi que pour la branche cinéma. Sa fille cadette, Kenza, dirige de son côté plusieurs filiales immobilières de Sanam. Se désengager petit à petit de la gestion courante permet au patriarche de se consacrer aux voyages d’affaires. En commercial doué et fin négociateur, Saïd Alj ne passe que rarement à côté d’une bonne opportunité. « Il ne rentre presque jamais sans rapporter dans ses malles un grand contrat ou un marché à explorer », assure notre source. Il faut croire que le sens des affaires est inné chez ce self-mademan qui a su donner à son groupe un rayonnement international. ● Fahd Iraqi, à Casablanca
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