Algérie Belkhadem a-t-il un avenir ? jeuneafrique.com
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HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 56e année • n° 2898 • du 24 au 30 juillet 2016
Enquête Uber à la conquête de l’Afrique
MAROC
Objectif législatives Spécial
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Rio 2016 Faites vos Jeux !
pages
MAROC-UNION AFRICAINE
Histoire secrète
d’un retour Trente-deux ans après avoir quitté les rangs de l’organisation panafricaine, le royaume envisage aujourd’hui sa réintégration. Voici pourquoi et comment. ÉDITION MAGHREB & MOYEN-ORIENT France3,80€•Algérie250DA•Allemagne4,80€•Autriche4,80€•Belgique3,80€•Canada6,50$CAN•Espagne4,30€•Éthiopie67birrs•Grèce4,80€•Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € • Italie 4,30 € • Luxembourg 4,80 € • Maroc 25 DH • Martinique 4,60 € • Mauritanie 1200 MRO • Mayotte 4,60 € • Norvège 48 NK • Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € • Réunion 4,60 € • RD Congo 6,10 $ US • Royaume-Uni 3,60 £ • Suisse 6,50 FS • Tunisie 3,50 DT • USA 6,90 $ US • Zone CFA 1900 F CFA • ISSN 1950-1285
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PARTIS Duel au soleil
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SCRUTIN Vers une meilleure représentativité? PORTRAIT Benkirane, animal politique et homme normal ÉCONOMIE Turbulences passagères
MAROC
Objectif législatives
© STR/EPA/MAXPPP
À deux mois des élections à la Chambre des représentants, fixées au 7 octobre, toutes les formations politiques s’organisent. Pendant que le gouvernement sortant d’Abdelilah Benkirane défend son bilan, en particulier sur le plan économique.
JEUNE AFRIQUE
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Le Plus de Jeune Afrique
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Prélude Nadia Lamlili
Le royaume à l’heure de la diplomatie climatique
D
ans un café populaire de de Ouarzazate, dont le roi a inauguré la Casablanca, deux hommes dispremière partie en février – et un grand cutent. « Il paraît que le Maroc élan de la société civile. organise la COP22 en novembre », Les Marocains battent de plus en plus le déclare le premier. « De quelle coupe tu pavé pour défendre leur droit de vivre dans parles ? De la Botola ? » interroge le second, un pays propre et respectueux de l’environvisiblement enthousiasmé par l’idée de nement, aussi bien que pour revendiquer parler du championnat national de foot. leurs libertés individuelles, menacées par Son comparse lui précise alors qu’il s’agit les archaïsmes. Ils se mobilisent même d’un événement international portant pour des causes encore inimaginables il y sur l’environnement et le climat. « Enfin, a quelques années, comme la protection des animaux. toutes ces choses dont les gens à la tête bien faite discutent en ce moment », résumeDans un rapport publié en 2015, le Conseil économique, social et environt-il. L’autre, mi-désabusé, mi-circonspect, nemental (Cese) précise que le Maroc rétorque : « Ah bon ? Qu’ils règlent d’abord comptait 89 385 associations en 2012, le problème des déchets qu’ils ont importés selon le ministère de l’Intérieur. Elles ne d’Italie pour les incinérer chez nous! Et celui des embouteillages, poursuitil, il n’y a pas longtemps, un Les Marocains battent de plus en bus a roulé sur les rails du plus le pavé pour défendre leur tramway pour les éviter ! » droit de vivre dans un pays propre. Si la conversation finit en éclats de rire, elle est loin d’être anodine dans un pays connu pour ses fonctionnent pas toutes, mais leur nombre, qui n’a cessé d’augmenter depuis la mise « réalités contrastées ». Les deux hommes en place de l’Initiative nationale pour le n’ont pas tout à fait tort de se montrer sceptiques, le royaume étant loin de constituer développement humain (INDH), en 2005, est tout de même révélateur de la ferveur un havre écologique. Ils n’ont pas tout à fait raison non plus. Malgré les décharges où citoyenne qui a gagné le royaume ces dix dernières années. l’on brûle encore des pneus et des déchets électroniques à ciel ouvert, malgré l’absence d’une filière de tri sélectif (base de toute Avec l’accueil de la Convention-cadre politique de recyclage), malgré les rejets des Nations unies sur les changements clipolluants des usines (sujet encore tabou matiques, la COP22, du 7 au 18 novembre dans le royaume), un certain nombre de à Marrakech, le roi Mohammed VI, qui chantiers ont été engagés, qui font avancer célèbre ses dix-sept ans de règne ce 30 juille Maroc sur la voie du développement let, vend l’engagement d’une nation qui durable. ne prétend pas avoir réussi son pari environnemental, mais qui est en bonne voie pour y parvenir. Il offre à la communauté Depuis 2000, les initiatives d’économie sociale et solidaire (ESS) se multiplient. internationale une jeune et prometteuse Agriculture biologique, tourisme rural, expérience en matière de développement durable, dont il aspire à faire profiter commerce équitable… L’ESS, qui représente 1,6 % du PIB, devrait y contribuer pour 3,9 % d’autres pays africains. Après la diplomatie économique, religieuse et sécuritaire, le à l’horizon 2020. Un mouvement qu’accomnouveau branding marocain en Afrique pagnent l’essor des énergies renouvelables – avec, par exemple, la centrale solaire s’appelle diplomatie climatique. JEUNE AFRIQUE
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ÉCONOMIE Turbulences passagères p. 62
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MAROC
Duel au soleil
C
onseils nationaux, réunions de cadres, meetings avec les jeunes, consultation des acteurs économiques et sociaux… Au sein des états-majors politiques du royaume, c’est l’effervescence. Presque tous les partis ont lancé leur précampagne et tentent de se faire plus visibles. À trois mois des législatives, le compte à rebours est lancé. Ce seront les quatrièmes élections à la Chambre des représentants depuis le début du règne de Mohammed VI et, surtout, les deuxièmes depuis N 0 2898 • DU 24 AU 30 JUILLET 2016
FAHD IRAQI, à Casablanca
l’entrée en vigueur de la Constitution de 2011, selon laquelle le chef du gouvernement est désigné parmi les membres du parti ayant obtenu le plus grand nombre de députés. L’heure est donc aux derniers réglages pour arrêter la liste définitive des candidats et apporter les ultimes retouches aux programmes qu’ils présenteront. La plupart d’entre eux semblent vouloir mener bataille essentiellement sur le terrain économique. Pour les partis d’opposition, il s’agira de critiquer le faible taux de croissance de l’économie marocaine. Pour ceux de la majorité, JEUNE AFRIQUE
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économiques. « Nous sommes restés objectifs. Il s’agit de dresser un état des lieux au terme de ce mandat gouvernemental, afin de rectifier le tir là où cela s’avère nécessaire. Et, au regard des différents chiffres émis par le ministère des Finances lui-même, il faut admettre que la situation est catastrophique », concède Ilyas El Omari, secrétaire général du parti du tracteur. Fin juin, l’Union constitutionnelle (UC) a, sous la houlette de Mohamed Sajid, son secrétaire général, consacré la troisième édition de ses Jeudis de l’UC à cette question : « De 7,5 % à 1,5 %, mais où est donc passée la croissance ? » Une formule laissant deviner tout le bien que pense le parti du bilan gouvernemental. Au fur et à mesure que la campagne s’animera, d’autres ne manqueront pas de surfer sur la vague.
Les législatives du 7 octobre devraient se réduire à un bras de fer entre conservateurs du PJD et progressistes du PAM. Mais quelle qu’en soit l’issue, les gagnants devront trouver des alliés pour gouverner.
il sera question de défendre le bilan du gouvernement en mettant en avant la résilience du modèle marocain dans une conjoncture internationale compliquée. URGENCES. Ces dernières semaines, la situation
économique du pays est donc au cœur des débats. Depuis plus d’un mois, le Parti Authenticité et Modernité (PAM), première force d’opposition, a engagé un cycle de réunions au cours desquelles ses cadres discutent des principaux axes de son programme, à commencer par les urgences JEUNE AFRIQUE
Discours du roi lors de l’ouverture d’une session parlementaire.
REUTERS
SUSCEPTIBLES. L’aspect économique constitue en
effet le talon d’Achille du gouvernement d’Abdelilah Benkirane (lire p. 61) et, plus généralement, du Parti de la justice et du développement (PJD). Ses cadres se montrent d’ailleurs très susceptibles sur le sujet. Le mémorandum remis le 2 juin au chef de gouvernement par Bank al-Maghrib (BAM, la banque centrale), la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) est resté en travers de la gorge des responsables du parti de la lampe, qui y voient une instrumentalisation politique destinée à les affaiblir (lire pp. 62-63). « La CGEM travaille avec la BAM et le GPBM sur cette question du financement de l’économie depuis plus d’un an et demi, afin de trouver des solutions pour rebooster l’activité, souligne Fadel Agoumi, directeur général de la CGEM. Le document qui a été adressé au chef du gouvernement ne comprend ni plus ni moins que les engagements pris par les banques et les entreprises, ainsi que la proposition faite à l’exécutif d’actionner certains leviers de son ressort pour dépasser cette morosité économique, poursuitil. Nos relations avec les partis politiques sont excellentes, et nous n’avons pas d’approche partisane. Dans un souci de concertation en vue des élections législatives, nous rencontrons d’ailleurs les partis de la majorité aussi bien que ceux de l’opposition, prenons connaissance des axes de leurs programmes et leur proposons des mesures que nous jugeons prioritaires pour le monde de l’entreprise. » De son côté, le PJD ne manque pas d’arguments pour défendre son bilan. « Des kyrielles d’indicateurs montrent tout ce que le gouvernement a pu accomplir dans le domaine économique, souligne Mustapha El Khalfi, ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement et membre du bureau politique du PJD. Par exemple, entre 2012 et 2015, le Maroc a N 0 2898 • DU 24 AU 30 JUILLET 2016
Le Plus de J.A. Maroc
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AFP
Le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, devant les députés.
enregistré un taux de croissance moyen de 3,7 %, soit le taux le plus élevé de la région Afrique du Nord et Moyen-Orient. » Si l’économie devrait rester la thématique prédominante durant la campagne, les élections se gagneront aussi sur d’autres terrains, qui ne figurent pas forcément dans les programmes. À commencer par la capacité à capter et à responsabiliser les électeurs… Car, au Maroc, le taux de participation aux législatives n’a jamais atteint 60 %, et les partis qui en sortent « vainqueurs » n’ont jamais réuni plus de 1,6 million de suffrages sur les 15 millions de Marocains inscrits sur les listes électorales (sans parler des 5 millions de non-inscrits). « À cet égard, le PJD dispose effectivement de la base électorale la plus fidèle, souligne un politologue. Sa montée en puissance à chaque scrutin depuis 1997 confirme que son appareil est bien organisé et prouve son excellente optimisation des fiefs électoraux qu’il ne cesse de conquérir. » Et même si certains observateurs continuent de le considérer comme un parti urbain, ses responsables ne semblent pas douter de voir ses résultats progresser hors des grandes villes. « Lors des dernières communales [en septembre 2015], nous avons obtenu 600 000 voix dans des communes rurales. C’est l’équivalent de notre score global en 2009 », argumente Mustapha El Khalfi. APPELS DU PIED. Il est vrai que le PJD démontre sa capacité à mobiliser de plus en plus d’électeurs à chaque scrutin. La dernière campagne d’inscription sur les listes lui a par ailleurs valu de nombreuses critiques. Certains sont même allés jusqu’à accuser le parti d’Abdelilah Benkirane d’avoir fraudé en faisant s’enregistrer quelque 300 000 nouveaux électeurs. « Ce sont de pures élucubrations ! rétorque Mustapha El Khalfi. Le N 0 2898 • DU 24 AU 30 JUILLET 2016
PJD s’est engagé dans une campagne de sensibilisation à ce sujet, comme l’exige la loi sur les partis, mais le processus reste une démarche individuelle. » Autant dire que le parti de la lampe reste confiant quant à ses chances de remporter à nouveau les législatives et, de facto, de rempiler pour un nouveau mandat à la tête du gouvernement. D’autant que, désormais perçu comme une formation comme les autres, le PJD devrait avoir moins de difficultés à réunir une majorité. « Ceux qui nous pensaient incapables de gouverner avec d’autres partis se sont trompés sur toute la ligne, souligne Mustapha El Khalfi. Notre alliance exemplaire avec le PPS [Parti du progrès et du socialisme] est un modèle que nous sommes prêts à suivre avec la plupart des formations politiques. »
Au fil des scrutins, le PJD mobilise de plus en plus d’électeurs.
VERS UNE MEILLEURE REPRÉSENTATIVITÉ ?
L
es législatives se dérouleront, comme en 2011, selon un scrutin de listes à un tour, à la représentation proportionnelle au plus fort reste. Sur 395 députés, 305 sont élus sur les listes locales (au sein des circonscriptions) et 90 sur une liste nationale, dont 60 femmes et 30 jeunes âgés de 40 ans au plus. Le projet de loi organique adopté en Conseil des ministres le 23 juin (qui doit être entériné par le Parlement et validé par la Cour constitutionnelle) introduit notamment trois nouvelles dispositions : • La liste nationale de jeunes devient mixte, alors qu’en 2011
elle était réservée aux « jeunes hommes ». • Comme pour les communales et régionales en 2015, les partis vont pouvoir constituer des alliances et présenter des listes communes de candidats, ce qui leur permettra de tirer parti de l’implantation de leur allié dans telle ou telle circonscription le cas échéant. • Pour les listes locales, le seuil minimum requis pour participer à la répartition des sièges est abaissé de 6 % à 3 % des suffrages exprimés, comme c’était déjà le cas en 2011 pour la liste nationale. CÉCILE MANCIAUX JEUNE AFRIQUE
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Le Plus de J.A. Maroc Le Rassemblement national des indépendants (RNI), de Salaheddine Mezouar, l’actuel ministre des Affaires étrangères, avait été le premier à annoncer son refus de s’allier au PJD au lendemain des législatives de 2011. Il s’est par la suite rétracté et, depuis trois ans, « cohabite » avec le parti islamiste au sein du gouvernement. Même tendance au parti de l’Istiqlal, qui avait claqué la porte du gouvernement en 2013 : lors d’une session extraordinaire de son conseil national, fin juin, la formation de Hamid Chabat a multiplié les appels du pied en direction du parti d’Abdelilah Benkirane, se disant prête, le cas échéant, à rejoindre un gouvernement dirigé par le PJD après les élections. D’autres partis actuellement dans l’opposition sont également disposés à gouverner avec les islamistes. L’Union socialiste des forces populaires
(USFP), autrefois hostile à toute alliance avec le PJD, se montre aujourd’hui plus arrangeante. C’est aussi le cas de l’Union constitutionnelle (UC), qui avait créé la surprise en raflant 23 sièges en 2011. « Bien sûr, nous restons ouverts à toute alliance possible, que ce soit avec le PJD ou avec le PAM, confie Anouar Zyne, le secrétaire général de l’Organisation de la jeunesse constitutionnelle de l’UC. Mais il est trop tôt pour sceller une alliance. Il faut attendre les résultats des uns et des autres pour se positionner. » La classe politique semble en tout cas s’accorder sur le fait que la bataille pour la première place à la Chambre des représentants se limitera à un duel entre le PJD et le PAM. Ensuite, l’un comme l’autre n’auront aucun mal, en principe, à « piocher » dans les autres formations pour renforcer leurs positions.
Plusieurs partis d’opposition se montrent prêts à partager le pouvoir avec les islamistes.
Les « hizbicules » feront l’appoint
P
lus de 30 partis se disputeront les 395 sièges de la Chambre des représentants à l’occasion des prochaines législatives, dont une nouvelle formation, l’Union des néodémocrates, fondée par le politologue Mohamed Darif. Ce parti a passé un premier test lors des communales de septembre 2015. Il y a récolté quelque 12 787 suffrages et décroché 10 sièges de conseiller communal. Un score honorable comparé à ceux d’autres petites formations, aux résultats infimes. Les 19 « hizbicules » (ou petits partis) qui ont pu se faire représenter dans les conseils communaux n’ont cumulé que 1 000 sièges sur les 31 784 disputés. En matière de voix, le résultat est encore plus insignifiant : ces miniformations ont attiré 350 000 voix à peine au total, soit bien moins que la seule Union constitutionnelle, arrivée huitième avec 400 000 suffrages exprimés. Toutefois, en se concentrant sur des circonscriptions précises, certains sont parvenus à leurs fins. « Lors des communales, le parti Al Amal, qui n’a obtenu que 2 488 voix, a tout de même décroché 15 sièges, soit bien plus que les néodémocrates, qui ont pourtant récolté cinq fois plus de voix », relève un observateur. MULTIPLICITÉ. Les hizbicules adoptent
la même approche pour les législatives. En 2011, dix ont réussi à se faire représenter au Parlement, où ils n’occupent N 0 2898 • DU 24 AU 30 JUILLET 2016
cependant que 17 sièges (voir infographie). « Ces partis sont souvent le refuge de notables qui n’ont pas réussi à décrocher l’accréditation d’un grand parti, où les places sont chères, explique un
Un hémicycle très partagé Répartition des 395 sièges de la Chambre des représentants à l'issue des législatives du 25 novembre 2011 Parti de la justice et du développement (PJD)
Union socialiste des forces populaires (USFP)
Parti de l'Istiqlal (PI)
Mouvement populaire (MP)
Rassemblement national des indépendants (RNI)
Union constitutionnelle (UC) Parti du progrès et du socialisme (PPS) Autres*
Parti Authenticité et Modernité (PAM) 60
52
47
39 32
107
23 18 17
* Dont : Parti travailliste (PT) : 4. Mouvement démocratique et social (MDS), Parti du renouveau et de l'équité (PRE), Parti de l'environnement et du développement durable (PEDD) et Parti Al Ahd Addimocrati : 2 députés chacun. Parti de la gauche verte (PGV), Parti de la liberté et de la justice sociale (PLJS), Front des forces démocratiques (FFD), Parti de l'action (PA) et Parti Unité et Démocratie : 1 siège chacun.
politologue. Ils financent généralement eux-mêmes leur campagne. » La majorité de ces petites formations profite par ailleurs des subventions publiques. Ainsi, selon le rapport de la Cour des comptes sur les finances des partis politiques publié mi-janvier, vingt petits partis ont obtenu près de 500 000 dirhams (environ 55000 euros) de subventions chacun pour l’année 2014, et sept d’entre eux ont même eu droit à des rallonges allant de 76 000 à 120 000 dirhams pour l’organisation de leurs congrès – une manne publique qui constitue l’unique financement de ces formations, dont la plupart ne sont visibles qu’à la veille des scrutins. La multiplicité des partis reste donc de mise pour octobre. Elle est même renforcée par le projet de loi organique relative à la Chambre des représentants adopté le 23 juin en Conseil des ministres (lire encadré p. 58) : comme c’était déjà le cas pour la liste nationale lors des législatives de 2011, le seuil minimal requis des listes locales dans les circonscriptions pour participer à la répartition des sièges est abaissé de 6 % à 3 % des suffrages exprimés. Conséquence : les formations représentées dans l’hémicycle devraient être plus nombreuses au sein de la prochaine législature. Pas de quoi bouleverser pour autant les résultats des grands partis, ce qui explique que ces derniers aient consenti à l’adoption d’une telle disposition. FAHD IRAQI JEUNE AFRIQUE
Objectif législatives
FADEL SENNA/AFP
Abdelilah Benkirane, politique fougueux et homme normal
Le secrétaire général du PJD à Rabat, lors des régionales de septembre 2015.
A
près Benkirane I, Benkirane II et Benkirane III, il n’est pas exclu que le leader du Parti de la justice et du développement (PJD) se voie à nouveau confier les rênes du gouvernement à l’issue des législatives. Alors que, dans la majorité comme dans l’opposition, l’heure est au bilan, le PJD figure parmi les favoris. Et ses partisans semblent enclins à faire reconduire leur leader à la primature en cas de victoire : fin mai, ils ont organisé un congrès extraordinaire afin de reporter l’élection du secrétaire général du parti après les législatives. Pourtant, si la Constitution spécifie que le roi doit choisir le chef du gouvernement « au sein du parti arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants », elle ne précise pas que ce dernier doit être le leader dudit parti. Au lendemain du triomphe du PJD, en 2011, certains conseillers du Palais avaient d’ailleurs suggéré au parti d’identifier une personnalité plus consensuelle qu’Abdelilah Benkirane, dont ils redoutaient le JEUNE AFRIQUE
caractère fougueux. « Nous leur avons expliqué que nous n’avions rien contre le principe, mais qu’alors il fallait nous donner le nom de leur favori pour que notre conseil national lui accorde son vote de confiance, assure un cadre de la formation islamiste. Sinon, dans l’absolu, seul le secrétaire général pouvait se prévaloir d’une légitimité conférée par les adhérents du parti. » Aucun nom ne fut proposé et, le 29 novembre 2011, Abdelilah Benkirane était appelé par le roi à former En 2011, un gouvernement. FLEURI. L’ancien profes-
reconnaître que, devant Mohammed VI, l’homme politique a su s’effacer. Tout le monde se souvient des images de ces premières cérémonies officielles où le roi cherchait son chef de gouvernement, qui s’évertuait à rester discret. « Les gens se bousculent en présence de Sa Majesté, parfois on me marche même dessus ! » se justifiait alors Abdelilah Benkirane. Si le chef de gouvernement se fait docile face à l’institution monarchique, il en va tout autrement lorsqu’il est confronté à ses adversaires politiques. Son langage « fleuri » est devenu culte, et ses interventions mensuelles devant le Parlement tournent le plus souvent à la diatribe contre ses opposants. Lesquels le lui rendent bien et profitent de la moindre actualité pour mettre en doute sa probité ou l’accuser de népotisme. Fin juin, certains ont ainsi laissé entendre qu’il avait pistonné sa fille, Soumia, pour qu’elle obtienne un poste au secrétariat général du gouvernement. « C’est de la calomnie, assène l’un de ses proches. Soumia est brillante et même surdiplômée par rapport à cette fonction au salaire mensuel de 7 000 dirhams [environ 700 euros], et elle a décroché cet emploi sur concours ! » L’an dernier, l’un de ses fils, Radouane, avait été accusé d’avoir bénéficié d’une bourse d’études en France grâce à l’influence de son père. Pourtant, à 62 ans, Abdelilah Benkirane continue de mener une vie simple, refusant même de quitter sa maison du quartier des Orangers, à Rabat, pour un logement de fonction. Il passe toujours ses vacances familiales dans
certains avaient suggéré au parti de proposer une personnalité plus consensuelle.
seur de physique a démontré qu’il était capable de résoudre la délicate équation consistant à composer avec le régime sans se couper de sa base. « Si vous attendez de moi que je rentre en confrontation avec Sa Majesté, vous vous êtes trompé de personne. Sa Majesté est le chef de l’État, et je ne suis là que pour diriger son gouvernement », répétait-il au début de son mandat à qui doutait qu’il saurait tenir son rang. Force est de
la petite station balnéaire de Moulay Bousselham, à mi-chemin entre Rabat et Tanger, où il loue une modeste villa. Bref, rien ou presque n’a changé chez lui depuis qu’il est devenu le chef du gouvernement – si ce n’est quelques cheveux blancs supplémentaires et la cravate qu’il s’efforce de porter, sans savoir encore la nouer. FAHD IRAQI N 0 2898 • DU 24 AU 30 JUILLET 2016
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Le Plus de J.A. Maroc Fabrication de la Dacia Lodgy dans l’usine Renault de Tanger.
RENAULT/BROSSARD/REA
ÉCONOMIE
Turbulences passagères La chute des récoltes de céréales a durement freiné la croissance cette année. Pourtant, grâce à ses nouveaux métiers, le royaume dépend de moins en moins du climat.
A
u premier abord, la dépendance climatique pèse toujours sur l’économie marocaine. La pluie s’est faite rare, avec des niveaux de précipitations de moitié moins élevés qu’à l’accoutumée depuis plusieurs mois. Cette sécheresse a fait chuter la récolte de céréales à 38 millions de quintaux, au lieu des 70 millions attendus cette année. Du coup, la croissance du PIB – dont le gouvernement et le FMI prédisaient qu’elle s’élèverait à 3 % – devrait se situer entre 1 % et 2 %, rythme le plus bas depuis le début des années 2000, ce qui est d’autant plus douloureux que 2015 avait été faste, avec 4,5 %. Il faut dire que ce trou d’air a été aggravé par d’autres pesanteurs, venues de l’extérieur ou propres au Maroc. Parmi les premières, citons une Europe languissante, dont les importations ne sont pas très dynamiques, mais aussi le recul du prix du phosphate, dont le royaume est le premier producteur mondial. Parmi les seconds facteurs de mollesse figurent d’une part la perspective des élections législatives d’octobre, qui rendent inévitablement plus frileux les investisseurs étrangers, et d’autre part la faiblesse des crédits bancaires à l’économie. À cet égard, le gouvernement Benkirane a très mal pris le mémorandum critique que lui ont adressé, le 2 juin, la Banque centrale du Maroc (Bank al-Maghrib, N 0 2898 • DU 24 AU 30 JUILLET 2016
BAM), la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM, patronat) et le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), jugeant qu’il s’agissait d’une manœuvre pour le mettre en difficulté à quelques mois des élections. Interrogé sur ce sujet, Abdellatif Jouahri, le gouverneur de la Banque centrale, s’est mis en colère: « J’ai connu quatre chefs de gouvernement, Youssoufi, Jettou, El Fassi et Benkirane, et jamais la Banque centrale n’a changé sa méthode de travail, ni fait de calculs politiques. Nous œuvrons
seulement dans l’intérêt du pays. » Avant d’ajouter : « Ce n’est pas parce qu’il y a un scrutin que l’on doit se taire et ne rien faire. » L’objectif est en effet d’agir pour corriger la défaillance de financement de l’économie marocaine, qui empêche ses entreprises de se développer et de créer des emplois. Le mémorandum avance des propositions pour consolider la trésorerie des entreprises, fragilisée par les délais de paiement excessifs, notamment dans le secteur public. Il invite à réserver 20 % de la commande publique aux très petites et moyennes entreprises, et à monter un fonds de restructuration pour venir au secours de celles qui rencontrent des problèmes. FORT POTENTIEL. Le document suggère
encore d’évaluer l’impact des différentes stratégies sectorielles (agriculture, tourisme, industrie, etc.), ce qui n’est pas un crime de lèse-majesté ! Car si le Maroc investit beaucoup (environ 30 % de son PIB), c’est peu productif puisqu’il lui faut 7 unités de capital pour gagner 1 point de croissance, alors que la Turquie se contente pour ce faire de 5,2 unités et la Corée du Sud, de 2,9 unités. Mais que le Maroc se rassure : les turbulences qu’il traverse seront passagères, et les prévisionnistes du FMI, comme ceux de Standard & Poor’s, s’attendent à ce que son économie reparte de l’avant. Son PIB atteindra-t-il 3,5 % ou 4,2 % de hausse en 2017 ? Bien malin qui pourrait le dire. L’important, c’est que se confirme une moindre dépendance à la pluie. Dans
Petite baisse de régime dans les échanges
Janviermai 2016
Janviermai 2015
(Milliards de DH)
(Milliards de DH)
Importations de biens et services Exportations de biens et services Solde/balance commerciale
177,830 138,654 - 39,176
169,102 132,835 - 36,267
+ 5,20 + 4,40 - 8,02
RECETTES DES MRE (Envois de fonds effectués par les Marocains résidant à l’étranger)
24,187
23,040
+ 4,98
14,0 4,1 9,9
15,1 2,7 12,4
- 6,80 + 55,40 - 20,10
1,4
2,9
- 51,72
Évolution 20152016 (%)
COMMERCE EXTÉRIEUR
INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS (IDE) Recettes (revenus d’IDE sortants) Dépenses (revenus d’IDE entrants) Flux d'IDE INVESTISSEMENTS DIRECTS MAROCAINS À L’ÉTRANGER (Flux)
JEUNE AFRIQUE
SOURCE : OFFICE DES CHANGES, JUIN 2016
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Objectif législatives les années 1990, les variations étaient brutales, une récession pouvant succéder à une croissance annuelle de 10 % du seul fait de la sécheresse. Depuis le milieu des années 2000, la progression du PIB est plus constante (autour de 4 %) parce que l’économie s’est diversifiée et parce que la gouvernance a pris le chemin des réformes. Les nouveaux métiers du royaume portent leurs fruits et lui permettent de mieux supporter les aléas de la conjoncture. L’aéronautique et, surtout, l’automobile à Tanger Med se développent à toute vitesse: Airbus a entraîné dans son sillage Latécoère,ThalesetBombardier,etRenault a été imité par PSA et Ford. La montée en puissance est forte : aujourd’hui, Renault produit au Maroc 40 % des pièces de ses voitures assemblées à Tanger; en 2023, ce sera le cas pour plus de 65 % d’entre elles. Il est symbolique que l’automobile ait dépassélephosphatedanslesexportations
du royaume. Le FMI juge que le Maroc dispose d’un fort potentiel. « Son secteur céréalieraététrèstouchéparlasécheresse, mais les autres secteurs agricoles sont restés dynamiques et, au total, la croissance ne devrait fléchir en 2016 qu’aux alentours de 2 %, juge Nicolas Blancher, chef de mission du FMI. Le pays dispose de nombreux atouts, en particulier sa sta-
qui portent sur le système des retraites et la mise en œuvre de la régionalisation avancée. » Même optimisme raisonné chez Hassan Daoudi, associé responsable des activités conseil de Deloitte Maroc : « Si nous retrouvons l’an prochain une pluviométrie normale, nous approcherons les 4 %. Et si l’on ajoute le plan d’accélération industrielle [qui prévoit 90000 nouveaux emplois d’ici à 2020], la L’aéronautique se développe à COP22, les investissements toute vitesse : Latécoère, Thales massifs dans l’énergie solaire et le fait que le Maroc s’affirme et Bombardier ont suivi Airbus. commeunhubafricaininconbilité économique et politique. À moyen tournable, l’année 2016 sera vite oubliée! » À condition que le gouvernement qui terme, l’assainissement budgétaire engagé sortira des urnes en octobre n’oublie pas depuisquelquesannéesdevraitcontribuer à une croissance soutenable. À cet égard, les trois handicaps qui freinent les perfordes réformes clés ont été réalisées : la loi mances du royaume: un système éducatif organique des finances et la suppression médiocre, une pauvreté persistante et de grandes inégalités sociales et géogrades subventions aux carburants. D’autres ALAIN FAUJAS phiques. – tout aussi importantes – sont en cours,
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