Côte d’Ivoire d Ivoire Ouattara-Bédié : le temps des questions
Algérie Alg Pou urquoi Alger doit faire e entendre sa voix N° 2 2951 • du 30 juillet au 5 août 2017
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 57e année
jeuneafrique.com
Tourisme La Tunisie vise (enfin) le haut de gamme
Où va le Maroc ? D’un côté, une classe politique qui peine à s’adapter au changement. De l’autre, une société bouillonnante et une économie dynamique. Spécial 14 pagess ÉDITION INTERNATIONALE ET MAGHREB & MOYEN-ORIENT France3,80€•Algérie250DA•Allemagne4,80€•Autriche4,80€•Belgique3,80€•Canada6,50$CAN•Espagne4,30€•Éthiopie67birrs•Grèce4,80€•Guadeloupe4,60€ Guyane 5,80 € • Italie 4,30 € • Luxembourg 4,80 € • Maroc 25 DH • Martinique 4,60 € • Mauritanie 1200 MRO • Mayotte 4,60 € • Norvège 48 NK • Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € • Réunion 4,60 € • RD Congo 6,10 $ US • Royaume-Uni 3,60 £ • Suisse 6,50 FS • Tunisie 3,50 DT • USA 6,90 $ US • Zone CFA 2000 F CFA • ISSN 1950-1285
LE PLUS
de Jeune Afrique
ENJEUX Saadeddine El Othmani joue la continuité
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OPINION par Mohamed Saïd Saâdi, économiste et ancien ministre INTERVIEW Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie SOCIÉTÉ Il était une fois… la passion pour l’Histoire
MAROC
Double vitesse
ALDO SPERBER/PICTURETANK
Le royaume a réformé ses institutions, son économie et est en passe de réussir son pari industriel. Mais la classe politique, elle, peine à suivre le mouvement…
JEUNE AFRIQUE
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Le Plus de Jeune Afrique
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Prélude Nadia Lamlili
Quand les citoyens guident le changement
L
es Marocains ont attendu six mois trop vieux, trop usé. Alors, quand les acteurs pour avoir un gouvernement. Et il a politiques se retournent contre les voix qui suffi de quelques maladresses pour les ont élus, qu’ils leur reprochent d’exercer que la crédibilité de ce cabinet né leur droit de manifester librement… bonjour dans la douleur soit entamée. Le 14 mai, les dégâts! un communiqué des partis de la majorité a Certes, les marches de protestation dans qualifié les contestations qui agitent la prole Rif ont récemment été émaillées par des vince d’Al Hoceima depuis octobre 2016 de scènes de violence, déclenchées par des «séparatismeetde]sédition».Lelendemain, groupesdecasseurs,blessantdesdizainesde des milliers de Rifains lui répondaient par membres des forces de l’ordre et incendiant une grande manifestation, dénonçant une une résidence de la police. Elles ont cepenatteinte à leur dignité. Le gouvernement a dant eu aussi leurs moments de civisme, tenté de renouer le dialogue en dépêchant des ministres sur À nouvelle société, nouveaux place. Début juillet, El Othmani mécanismes. Les politiques lui-même a reconnu, au cours d’une interview télévisée, qu’il doivent apprendre à se surpasser. regrettait les termes de ce comlorsque les manifestants eux-mêmes formuniqué. Mais le mal était fait, et les manifestations dans le Rif – qui n’a jamais eu de maientdescordonsdesécuritépourprotéger relation simple avec l’Histoire – ont pris de lesbienspublicsdestentativesdevandalisme. Par bien des aspects, ce mouvement social l’ampleur. À la mi-juillet, à peine franchi le montre que la culture de la manifestation cap des cent jours, on pouvait dire que le pacifique s’est normalisée au Maroc. gouvernement de Saadeddine El Othmani avait failli sur la gestion de ce dossier brûDans ce pays en mouvement, l’action lant. La situation lui a tellement échappé politique n’a pourtant pas suivi ce changeque ses appels au calme n’ont rencontré qu’indignation, tristesse et saillies. ment sociétal. Pis, elle a cherché à enlever à Au-delà du Rif, cette séquence a surtout l’action citoyenne tout ce que cette dernière a acquis au cours de décennies de « mûrisrévélé la déchirure toujours plus grande entre le monde politique et la population. sement ». Ce n’est pas pour rien que de plus en plus de voix s’élèvent, y compris parmi des personnalités officielles haut placées, Depuis une dizaine d’années, les difféappelant à réinventer les mécanismes de rentes élections affichent de bien piètres taux de participation. Excepté en 2011, quand médiationaveclescitoyenspourqu’ilssoient les politiques ont été les porte-voix d’une associés au processus décisionnel. rue arabe en ébullition, l’abstention a été le Partout dans le monde, les politiques se grand vainqueur des derniers scrutins. Un sentent dépassés. Mais, lorsque la situation phénomène qu’on observe d’ailleurs dans sociale devient tendue, il faut apprendre à se surpasser. À nouvelle société, nouveaux d’autres pays, comme l’Algérie ou la France. mécanismes d’intermédiation. Ce choix ne Partout ou presque, l’action politique dans sa serait pas de trop dans un royaume qui a configuration actuelle n’est plus au diapason des aspirations et de l’action citoyennes. Les traversésansdégâtsl’épreuvedesrévolutions sociétés se développent et évoluent si vite arabes, qui a su s’adapter à la mondialisaqu’elles se détachent de plus en plus de tion, devenir un champion économique et leurs représentants politiques, tel un corps qui vient de réintégrer, avec savoir-faire et se défait d’un vêtement qui ne lui sied plus, grande agilité, son corps africain. JEUNE AFRIQUE
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ENJEUX Saadeddine El Othmani joue la continuité p. 56 PARLEMENT Des groupes indisciplinés p. 58 Questions à Hakim Benchamach, président de la Chambre des conseillers p. 60 OPINION « Le Maroc face à ses démons », par Mohamed Saïd Saâdi, économiste, ancien ministre p. 62 ÉCONOMIE
Boom industriel
p. 64
Entretien avec Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie p. 69 SOCIÉTÉ Il était une fois… la passion pour l’Histoire p. 70 TRIBUNE Driss Alaoui Mdaghri, ancien ministre, acteur associatif culturel p. 74
Le Plus de Jeune Afrique
ENJEUX
El Othmani joue la continuité Depuis sa nomination, en mars, le chef du gouvernement s’inscrit dans les pas de son prédécesseur, Abdelilah Benkirane, et n’a pas encore apporté sa touche personnelle à la gestion des affaires publiques. Certains y voient de la logique et du bon sens. D’autres, de l’attentisme. FAHD IRAQI,
S
à Casablanca
ur les quelque cent premiers jours de son mandat à la tête du gouvernement – nommé le 5 avril, six mois après les législatives et l’échec d’Abdelilah Benkirane (numéro un du Parti de la justice et du développement, PJD) à former une nouvelle équipe –, Saadeddine El Othmani (numéro deux) en aura passé une bonne moitié absorbé par la crise du Rif. N 0 2951 • DU 30 JUILLET AU 5 AOÛT 2017
Et le nouveau chef du gouvernement a laissé des plumes dans la gestion de ce dossier. Beaucoup de plumes. En Conseil des ministres, présidé par le roi, El Othmani et son équipe ont été sévèrement recadrés. Lors d’une interview télévisée, le chef du gouvernement a admis lui-même son erreur d’avoir cautionné le malheureux communiqué des partis de la majorité et ses insinuations sur les volontés de séparatisme des militants du Hirak, le mouvement du Rif. Aux habitants de la région, il se contente de faire des promesses, sans risquer de se déplacer sur le terrain… « Le problème est que Saadeddine El Othmani a perdu toute crédibilité dans la gestion de ce dossier, explique un député du PJD. Certains de ses ministres lui ont même volé la vedette sur cette question. » L’allusion à Aziz Akhannouch est on ne peut plus claire. Ce dernier a en effet multiplié les JEUNE AFRIQUE
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matière de circulaires, posant les jalons d’une réforme qu’il compte amorcer dès la prochaine rentrée scolaire. Autre exemple, au portefeuille de l’Industrie : Moulay Hafid Elalamy continue de tracer sa voie en augmentant la cadence pour la mise en place régionale du Plan d’accélération industrielle 2014-2020 (PAI), pour l’élaboration d’une nouvelle charte d’investissement, tout en finalisant le regroupement de plusieurs directions au sein de la nouvelle Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (lire pp. 64-69). « S’il est très compliqué d’évaluer le gouvernement sur la base de ces cent jours, on peut néanmoins remarquer que Saadeddine El Othmani ne montre aucune prétention à vouloir changer de cap politique et qu’il semble résigné à accepter le rapport des forces déjà en place, souligne le politologue Mohamed Tozy. Cela donne l’impression que nous avons un gouvernement d’attente, qui gère comme il peut une longue période de transition et se contente d’éviter de commettre des impairs. »
FADEL SENNA/AFP
COUP DE COM. Saadeddine El Othmani continue
déplacements dans la région en tant que ministre de l’Agriculture et de la Pêche, mais aussi en tant que président du Rassemblement national des indépendants (RNI). Le bain de foule dans le centre-ville d’Al Hoceima de celui qui a imposé ses conditions au PJD lors des tractations pour la formation du gouvernement a encore une fois démontré toute son influence, renforçant ainsi le sentiment qu’il existe deux gouvernements en un ou, du moins, que c’est un gouvernement à double vitesse. Entre les technocrates, les hommes de terrain et les politiciens de carrière, l’écart devient de plus en plus flagrant, de même qu’entre ceux qui ont des réalisations concrètes à leur actif et les autres. Les dossiers qui avancent le plus sont portés par des électrons libres. À titre d’exemple, Mohamed Hassad, qui a pris les rênes de l’Éducation nationale, se montre très prolifique en JEUNE AFRIQUE
Saadeddine El Othmani devant le Parlement, le 19 avril, à Rabat.
donc sur la même ligne que son prédécesseur, avec, toutefois, un style différent. Si le gouvernement Abdelilah Benkirane avait notamment réussi un excellent coup de com lors des cent premiers jours de son mandat à travers la publication de la liste des bénéficiaires d’agréments de transport, El Othmani ne risque pas de faire de même. « Ce n’est pas un homme qui va jouer sur les clivages, explique Mohamed Tozy. D’ailleurs, le sujet du projet de société qui pouvait créer des dissensions au sein de la coalition semble avoir été externalisé. » En effet, sur la question sécuritaire, le bras de fer semble se jouer entre le département de l’Intérieur et le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), qui s’est cristallisé à travers la polémique autour de la fuite des extraits du rapport du CNDH sur les conditions de détention et d’interrogatoire des membres du Hirak du Rif. Sur la question des valeurs, c’est le très autonome ministre de l’Éducation nationale qui mène la danse avec le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche. Même en matière économique, Saadeddine El Othmani semble passer à côté des décisions stratégiques. Ainsi, lors de son interview télévisée du 1er juillet, le chef du gouvernement a réaffirmé la détermination du Maroc à basculer vers un rythme de change flexible. Or, deux jours plus tard, la Banque centrale décidait de reporter la mise en œuvre de cette étape cruciale dans le long processus de libéralisation totale de la monnaie nationale. Preuve s’il en était besoin que les choix stratégiques ne dépendent pas forcément du chef du gouvernement. Mais, cela, ce n’est pas nouveau. N 0 2951 • DU 30 JUILLET AU 5 AOÛT 2017
FADEL SENNA/AFP
Le Plus de JA Maroc
El Othmani entouré des leaders des partis de la majorité, le 27 mars, au siège du PJD, à Rabat.
POLITIQUE
Des groupes indisciplinés
Les législatives du 7 octobre 2016 et le long processus de formation du gouvernement qui s’est ensuivi ont chamboulé la ligne de démarcation entre majorité et opposition au Parlement.
A
u Maroc, l’opposition ne se manifeste pas dans l’hémicycle, mais plutôt dans la rue, lâche ironiquement un ancien député. Nous sommes encore dans une logique de “faire de l’opposition pour l’opposition”, déploret-il. Résultat, on s’oppose à tout sans que pour autant cela change quoi que ce soit, puisque la majorité arithmétique finit toujours par l’emporter. » Numériquement,justement,lamajorité constituée autour du gouvernement de Saadeddine El Othmani est, à première vue, plus que confortable. Avec une alliance composée de six partis, la majorité gouvernementale compte 240 députés sur 395, soit 60 % des membres de la Chambre des représentants. En théorie, cela laisse 155 élus dans les rangs de l’opposition, qui pourrait donc se targuer de peser dans les débats si elle n’avait pas le défaut d’agir en ordre dispersé. « Les deux grands partis qui sont officiellement dans l’opposition se trouvent embourbés dans des problèmes internes, ce qui a forcément un impact sur le fonctionnement de leurs groupes parlementaires », soutient Mohamed Darif. Pour le politologue, le Parti Authenticité et Modernité (PAM) – seule formation
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refusant toute alliance avec le Parti de la justice et du développement (PJD) – est en plein déclin, malgré ses 102 députés. « Une partie des élus de ce parti ont compris que leur formation n’est plus dans les petits papiers du régime et préparent déjà l’après-PAM, analyse Darif. C’est le parti qui enregistre le plus grand taux d’absentéisme parmi ses élus à la chambre basse. »
De son côté, l’Istiqlal (46 députés), l’autre grand parti de l’opposition, s’est retrouvé malgré lui hors de la coalition gouvernementale. Depuis la crise diplomatique avec la Mauritanie, provoquée par son secrétaire général, Hamid Chabat, il est devenu indésirable. D’ailleurs, entre les fidèles à Chabat (qui se revendiquent de l’opposition) et ceux
Une majorité assez nette, en théorie
(Sur un total de 395 sièges à la Chambre des représentants)
e tal en m 37 ne er
27
20
19 12 102
125
46 3 Parti de la justice et du développement (PJD) Rassemblement national des indépendants (RNI) Mouvement populaire (MP) Union socialiste des forces populaires (USFP) Union constitutionnelle (UC) Parti du progrès et du socialisme (PPS)
2 1 1
Parti Authenticité et Modernité (PAM) Parti de l’Istiqlal (PI) Mouvement démocratique et social (MDS) Fédération de la gauche démocratique (FGD) Parti Unité et Démocratie (PUD) Parti de la gauche verte marocaine (PGVM) JEUNE AFRIQUE
SOURCE : CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS, 30 MAI 2017
«
Ma jor ité go uv
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Double vitesse qui réclament sa tête (favorables à un soutien du gouvernement), le groupe parlementaire de l’Istiqlal tergiverse : tantôt les élus du parti de la balance se retirent au moment du vote (comme lors de l’élection du président de la Chambre des représentants), tantôt ils s’abstiennent de voter (comme c’était le cas lors du vote d’investiture du nouveau gouvernement). « Le parti choisira certainement son camp après la nomination d’une nouvelle direction à sa tête, qui sera moins versatile et plus sereine, anticipe Mohamed Darif. Il n’empêche que les fidèles à Chabat peuvent toujours avoir de l’influence au sein du groupe parlementaire. » FRACTURE. Pis, il ne faut compter ni
sur le PAM ni sur l’Istiqlal pour coordonner leurs actions et constituer un bloc homogène, leur cohabitation sur les bancs de l’opposition lors du précédent quinquennat n’ayant pas laissé le souvenir d’une solide entente. Les exemples ne manquent pas. Lors des discussions sur le code de la presse, les divergences entre les deux partis ont été flagrantes.
Concernant l’épineux dossier de la légalisation du cannabis, chaque formation y est allée de sa propre proposition de loi. Et, enfin, les joutes verbales entre leurs leaders lors de la campagne des législa-
compris les PJDistes – ont ainsi subi des attaques en règle de la part du groupe parlementaire islamiste dans le cadre de son « soutien conditionné, raisonnable, éclairé et ponctué de bons conseils » au gouvernement, comme il l’avait annoncé lors du vote Il ne faut compter ni sur le PAM d’investiture de ce dernier, ni sur l’Istiqlal pour constituer le 26 avril. L’USFP ne fait pas non plus un bloc homogène. preuve d’une discipline exemplaire. Lors de la discussion tives ont accentué la fracture entre les de la loi de finances 2017, au sein de la Chambre des conseillers, le groupe deux formations. Cela dit, l’opposition se trouve peut-être là où on l’attend le moins. socialiste avait brandi la menace de présenter ses amendements en dehors de Le groupe parlementaire du PJD joue l’action des groupes de majorité. Point en effet lui aussi sur les deux cordes. Une d’achoppement : l’inscription dans le partie de ses militants, de même que projet de budget d’un « passager clancertains de ses députés, n’ont toujours destin » (l’article 8 bis, rendant les biens pas accepté la décision de Saadeddine de l’État insaisissables) critiqué par les El Othmani d’intégrer l’Union socialiste des forces populaires (USFP) au sein députés socialistes comme par d’autres de la coalition gouvernementale, ligne élus de la majorité. Un cas qui démontre que la majorité elle-même manque de rouge fixée par son prédécesseur. Dirigé par un fidèle d’Abdelilah Benkirane, il se cohérence. Alors pour tenter d’établir une comporte plus en groupe d’opposition ligne de démarcation claire entre majorité et opposition, il faudra repasser… qu’en soutien de la majorité. Le chef FAHD IRAQI du gouvernement et ses ministres – y
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Le Plus de JA Maroc Questions à Hakim Benchamach Président de la Chambre des conseillers, président du conseil national du PAM
« Au sein de notre assemblée, l’opposition dépasse la dimension partisane »
P
résident de la seconde ch a m b r e d u P a r l e m e n t depuis octobre 2015, Hakim Benchamach est réputé pour ses joutes oratoires. Natif de Beni Bouayach, près d’Al Hoceima, ce Rifain de 53 ans est l’un des cadres fondateurs du Parti Authenticité et Modernité (PAM), qui compte de 23 sièges sur 120 au sein de la Chambre des conseillers, contre 24 pour l’Istiqlal et 12 pour le PJD. JEUNE AFRIQUE : L’un des critères pour évaluer l’efficacité d’une opposition parlementaire est le nombre de propositions de loi déposées. Combien l’ont été à la chambre haute depuis que vous la présidez ? HAKIM BENCHAMACH: Quoique peu nombreuses et en deçà des attentes, 27 propositions y ont été déposées depuis octobre 2015, contre 25 au cours de la précédente législature. Mais la Chambre des conseillers est également présente en matière de législation à travers l’importance, en nombre et en qualité, des amendements : pour la seule année législative 2015-2016, elle a ainsi apporté 1 469 amendements, concernant 21 textes.
Principaux partis ayant fait le choix de rester dans l’opposition, le PAM et l’Istiqlal coordonnent-ils leurs actions ? Au niveau de la Chambre des conseillers, l’opposition dépasse la dimension strictement partisane. Outre le groupe Authenticité et Modernité et le groupe de l’Istiqlal, qui représentent deux partis de l’opposition, cette chambre compte des formations et des groupements de syndicats de travailleurs, ainsi qu’un groupe d’employeurs, qu’on ne peut considérer comme faisant partie de la majorité. Du coup, l’ensemble de la Chambre des conseillers, de par sa composition et l’étendue de ses représentations, voit son action progresser vers une N 0 2951 • DU 30 JUILLET AU 5 AOÛT 2017
opposition évoluée : une opposition parlementaire davantage tournée vers le questionnement, l’évaluation des choix et des politiques publiques. Que répondez-vous à ceux qui jugent l’opposition parlementaire inutile et estiment que la véritable opposition au Maroc se trouve dans la rue ? Il est vrai que de larges franges de la société, assoiffées de justice sociale, choisissent la rue pour exprimer leur désaccord sur les politiques en vigueur. Cela témoigne d’un certain manque de confiance envers les institutions. À ces concitoyens, je dirais : oui, vos revendications sont fondées
et justifiées ; oui, la justice sociale et territoriale laisse à désirer ; mais la rue est synonyme de chaos, et il n’est nullement concevable de faire marche arrière sur le plan de la démocratie, de l’État de droit et des institutions. Par ailleurs, j’ai toujours clamé qu’un Parlement qui ne constituerait pas un espace de débat et de dialogue sociétal dans toute sa pluralité manquerait sérieusement de dignité. Pour traduire ces paroles en actes, nous avons instauré au sein de la seconde chambre un forum parlementaire annuel de la justice sociale, auquel prennent part tous les acteurs institutionnels et civils concernés. Propos recueillis par FAHD IRAQI
VINCENT FOURNIER/JA
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Le Plus de JA Maroc
OPINION
Le Maroc face à ses démons MOHAMED SAÏD SAÂDI Économiste et ancien ministre
L
a thèse de l’exceptionnalisme marocain – le Maroc, un havre de paix dans une zone de fortes turbulences – a été brutalement remise en question par le mouvement social du Rif. Depuis plus de huit mois, le Maroc vit au rythme du Hirak du Rif, le mouvement de contestation populaire et sociale enclenché à la suite du décès tragique de Mohcine Fikri, marchand de poissons broyé par un camion-benne en octobre 2016 à Al Hoceima. La persistance de ce mouvement social en dit long sur les faiblesses structurelles dont souffre le Maroc et qui provoquent régulièrement des protestations dans différentes villes et localités du pays. Celles-ci sont générées par le sentiment d’injustice sociale, d’humiliation et d’arbitraire éprouvé quotidiennement par les couches modestes de la population. Sentiment renforcé par la corruption et les situations de rente, le manque de perspectives pour les jeunes et les défaillances des services sociaux.
des équilibres macroéconomiques, des mesures draconiennes d’austérité budgétaire (décompensation des produits pétroliers, compression de la masse salariale dans la fonction publique, « réforme » partielle des retraites, baisse des investissements publics) ont impacté le niveau de vie et le moral de larges couches de la population. D’où une recrudescence des mouvements sociaux et des manifestations, dont 11 000 ont été recensés pour la seule année 2016, selon une récente déclaration du porte-parole du gouvernement. La reprise des contestations populaires qu’illustre le Hirak du Rif révèle également une crise de l’intermédiation politique traditionnelle et trahit la forte concentration des pouvoirs autour du Palais. À ce sujet, l’ancien chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, a confié dernièrement au quotidien Akhbar Al Yaoum ne pas avoir été associé à la conception du projet « Al Hoceima, phare de la Méditerranée » [lancé
Ces inégalités sociales et Il faut changer de modèle spatiales révèlent l’incapade développement pour édifier cité des choix économiques et sociaux des responsables un État démocratique et social. à répondre aux attentes de la population. Ainsi, sans remonter très loin dans le temps, les années en octobre 2015], dont la non-réalisation 2000 ont vu prospérer une petite minorité a attisé les tensions sociales dans le Rif. proche du pouvoir politique, qui a engrangé D’où une forte défiance des citoyens à les bénéfices de la libéralisation et de la l’égard des institutions (Parlement, partis privatisation de l’économie marocaine politiques, syndicats, organisations de la sans que cela se traduise par des gains société civile) qu’illustre, par exemple, de productivité, par la création d’emplois la participation de seulement 25 % des décents ou par un meilleur développement Marocains inscrits sur les listes électorales humain. aux dernières législatives. Il en a résulté une forte concentration des richesses et une polarisation sociale qui C’est dire que, sans changement de cap, ont fortement contribué au déclenchement le pays risque de s’installer dans une instadu mouvement du 20 février 2011. Le roi bilité sociopolitique dont les conséquences lui-même, en 2014, a posé la problématique seront dommageables pour l’avenir. de la création et de la redistribution des Il s’agit notamment de changer de richesses au Maroc. modèle de développement en faveur À partir de 2012, à la suite de la crise d’une alternative visant à édifier un État de la zone euro et de la dégradation démocratique, développeur et social. N 0 2951 • DU 30 JUILLET AU 5 AOÛT 2017
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Le Plus de JA Maroc
JÉRÔME CHATIN/EXPANSION-REA
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L’essor de la filière aéronautique a créé de nombreux emplois. Ici chez Aircelle Maroc, filiale de Safran. ÉCONOMIE
Boom industriel Grâce à une nouvelle approche fondée sur des « écosystèmes », le plan engagé en 2014 a permis de donner un vrai coup d’accélérateur au secteur secondaire. Bilan à mi-parcours.
A
u commencement il y eut le Plan émergence, engagé à la suite d’une étude du cabinet McKinsey commandée durant le mandat de Salaheddine Mezouar au portefeuille de l’Industrie (2004-2007). Son successeur, Ahmed Réda Chami, essaya de donner corps à un Pacte national d’émergence industrielle, une stratégie axée sur les secteurs dans lesquels le Maroc se montre compétitif grâce à sa main-d’œuvre bon marché. Puis vint le Plan d’accélération industrielle (PAI), lancé en grande pompe en 2014 par Moulay Hafid Elalamy (lire interview p. 69), quelques mois après son arrivée à la tête du ministère de l’Industrie. « Il était légitime de se montrer sceptique, au départ, sur cette énième vision stratégique pour un secteur souffrant de problèmes structurels, nous explique un membre du patronat marocain. Mais, il N 0 2951 • DU 30 JUILLET AU 5 AOÛT 2017
faut bien l’admettre, le PAI a eu le mérite d’enclencher une dynamique dans une multitude de branches industrielles. » Effectivement, trois ans après le lancement du PAI, le doute a laissé la place à l’enthousiasme. La confiance a été rétablie au sein de cette sphère particulière du monde des affaires qu’est l’industrie,
l’automobile
Avec , l’industrie est passée au
premier rang des activités
d’exportation, devant les phosphates et leurs dérivés, depuis 2014. C’est aussi elle qui recueille le plus d’IDE.
sur laquelle repose désormais l’espoir de trouver un nouveau modèle économique pour le royaume, où le taux de croissance du PIB reste aussi hasardeux que le taux de pluviométrie auquel il est corrélé. INNOVANT. Les réalisations issues de cette vision stratégique dépassent en effet tous les objectifs fixés (lire encadré p. 66). Moulay Hafid Elalamy, dont le mantra est le travail collectif, tient cependant à rappeler qu’il s’inscrit dans la continuité des efforts engagés depuis le milieu des années 2000. « Il ne peut y avoir de rupture avec ce qui a été accompli, explique l’homme d’affaires [président-fondateur du holding Saham] devenu ministre. Les programmes industriels successifs ont tous pour point commun la vision d’un Maroc industriel positionné dans des secteurs de pointe » et, donc, à forte valeur ajoutée. JEUNE AFRIQUE
Le Plus de JA Maroc Des valeurs de plus en plus ajoutées à l’export (chiffre d’affaires en millions de dirhams) Automobile
54 442
Aéronautique Électronique
48 821
Variation 2013-2016 +72,68 %
Variation 19 803 2016-2017 +1,61 %
19 490
Agroalimentaire Textile et cuir
40 262 13 629 +1,07 %
+13,09 %
33 552 35 175
35 112
37 945
31 527 21 951
25 176
26 497
13 485 +31,89 % 9 406
10 014
+6,46 %
20 090 7 036
7 966
8 223
6 938
6 979
7 860
2013
2014
2015
9 426 8 663 2016
+34,97 % +24,87 %
3 034 2 772 Janv.-avr. 2016
3 336
+9,95 %
2 976
+7,36 %
Janv.-avr. 2017
Il n’empêche, le PAI est innovant par son approche par « écosystèmes » : pour chaque filière industrielle, il s’agit de favoriser, autour de un ou de plusieurs leaders, la constitution d’une galaxie de PME complémentaires afin de former des communautés d’intérêts partagés, mieux organisées, plus réactives et plus compétitives. Cette approche a permis de séduire de puissantes multinationales, comme le groupe français PSA Peugeot-Citroën, dont l’usine en cours de construction à Kenitra, près de Rabat, produira
90 000 véhicules par an à partir de 2019. palette de formations permettant de L’avionneur américain Boeing a quant à qualifier des « profils cibles » et une offre de foncier locatif à des prix attrayants. À lui signé une convention d’investissement en septembre 2016 pour développer son titre d’exemple, sur le plan de la forma« écosystème » dans la zone de Tanger, tion des ressources humaines, un travail entraînant dans son sillage l’implantation de 120 sous-traitants Trois ans après le lancement et fournisseurs, et la création de du PAI, le doute a laissé la place plus de 8500 emplois spécialisés. La réussite d’un tel modèle à l’enthousiasme. repose aussi sur l’activation minutieux a été réalisé pour ventiler de d’outils de soutien adaptés aux besoins des opérateurs, notamment un appui façon précise les 485 450 emplois à créer par an, par profil de compétences et par financier à l’investissement, une région. Une cohérence et une capacité de projection qui rendent cette stratégie plus efficace que les précédentes. OBJECTIFS EN PASSE D’ÊTRE DÉPASSÉS Les milieux d’affaires ont cependant encore beaucoup d’attentes. « Malgré importants progrès accaparé plus de la de dirhams. En matière toutes les avancées que le PAI a permis ont été réalisés moitié des 17,3 milliards d’accès au foncier, de réaliser, le chemin est encore long plus de 1 147 ha ont dans le cadre du Plan de dirhams (environ pour faire du Maroc un pays industriel, été mis à la disposition d’intégration industrielle 1,55 milliard d’euros) assure Abdelhamid Souiri, conseiller à de soutien financier des opérateurs des (2014-2020). À mila chambre haute du Parlement pour engagé par l’État ; l’autre « écosystèmes » parcours, pas moins la Confédération générale des entrede 47 « écosystèmes » moitié est revenue, à industriels. Autant prises du Maroc (CGEM), le patronat ont été lancés, dans d’indicateurs qui tendent parts égales, aux PME marocain. Et cela passe forcément par et aux grands projets. différentes branches à confirmer que l’objectif la promulgation d’une nouvelle charte Cet appui est bien industrielles, qui ont du PAI de porter la d’investissement. » Un dossier auquel déjà permis de sécuriser entendu adossé à des contribution du secteur s’est attaqué le ministre de l’Industrie 97 % de l’objectif investissements, qui, industriel au PIB national dès sa reconduction au sein du nouveau de création d’emplois à terme, devraient à 23 % à l’horizon 2020, gouvernement, début avril. Un gage de escompté (soit générer pour le pays contre 14 % en 2014, sera atteint, continuité pour une politique industrielle un chiffre d’affaires 500 000 postes). Ces qui produit des résultats. voire dépassé. supplémentaire à feuilles de route par
D’
branche d’activité ont
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l’export de 132 milliards
F.I.
FAHD IRAQI JEUNE AFRIQUE
SOURCE : OFFICE DES CHANGES, MINISTÈRE DE L’INDUSTRIE
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Votre partenaire business partout dans le monde Avec une présence dans 31 pays et un siège social basé au Maroc, BMCE Bank Of Africa est un véritable hub financier en Afrique. Grâce au renforcement de son expertise dans les métiers de l’international et au développement de son réseau à l’étranger, le groupe vous accompagne dans vos investissements et œuvre pour le développement de vos opportunités d’affaires sur tout le continent africain.
AFRIQUE Bénin • Burkina Faso • Burundi Cameroun • Congo Brazzaville Côte d’Ivoire • Djibouti • Ghana • Kenya • Mali Madagascar • Maroc • Niger • Ouganda • R.D. du Congo Rwanda • Sénégal • Tanzanie • Tunisie • Togo EUROPE Allemagne • Belgique • Espagne France • Italie • Pays-Bas Portugal • Royaume Uni AMÉRIQUE Canada ASIE Chine • Emirats Arabes Unis
Double vitesse
Moulay Hafid Elalamy Ministre de l’Industrie,
Absolument pas. Notre démarche est totalementinclusive,etl’accompagnement offert aux entreprises des « écosystèmes » s’adresseaussibienauxPMEqu’auxgrands groupes,autantauxinvestissementslocaux qu’aux IDE. Nous n’excluons aucune catégorie et nous ne privilégions aucun type d’investissement. Le fondement même de l’approche des « écosystèmes » est de construire un paysage industriel cohérent, où interagissent petites et grandes entreprises, chacune tirant profit et avantage de la présence de l’autre.
du Commerce, de l’Investissement et de l’Économie numérique
« Nous voulons mettre le citoyen au cœur du processus de développement »
HASSAN OUAZZANI POUR JA
L’un des objectifs du PAI est de faire évoluer le secteur informel vers un système organisé : où en êtes-vous de ce chantier ?
JEUNE AFRIQUE : Outre son bilan chiffré, en quoi le Plan d’accélération industrielle (PAI) a-t-il transformé le secteur secondaire au Maroc ? MOULAY HAFID ELALAMY: L’adhésion
des industriels à notre démarche a été totale. Ils se sont fermement engagés à investir, à créer des emplois et ont saisi tout l’intérêt de participer à la dynamique produite par ce plan. En matière d’investissement, l’accélération industrielle a permis de réussir le pari d’attirer des majorsmondiales.LePAIaaussifortement encouragé l’arrivée du capital privé national, y compris dans les secteurs de pointe tels que l’aéronautique et l’automobile. Comment comptez-vous entretenir cette dynamique ?
Pour l’appuyer davantage, nous avons repensé en profondeur la charte d’investissement au regard des pratiques internationales. Le nouveau texte regroupera tous les dispositifs mis en place et donnera un cadre incitatif clair et dynamique, appelé à évoluer au rythme des réformes et des mesures qui pourront être adoptées ultérieurement. L’unique porteur qui pilotera ce cadre et rendra cette charte d’investissement opérationnelle sera l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations [Amdie, JEUNE AFRIQUE
dont la création a été adoptée le 4 juillet par la Chambre des représentants, est une fusion entre l’Agence marocaine de développement des investissements (Amdi), le Centre marocain de la promotion des exportations (CMPE) et l’Office des foires et expositions de Casablanca (Ofec)].
L’informel est une menace pour l’équilibre économique et social. Il ouvre le champ à la concurrence déloyale et entrave la compétitivité. Nous nous sommes engagés à l’intégrer dans le circuit formel et nous nous y employons avec force. Les « écosystèmes » se présentent comme des outils puissants, qui, par l’accompagnement qu’ils procurent, incitent les acteurs de l’informel à faire partie d’un environnement où ils trouveront avantage à produire de la valeur. Le statut de l’autoentrepreneur est aussi un levier essentiel d’intégration. Par sa souplesse et la simplicité administrative qu’il offre, ce régime a visiblement séduit, et nous comptons actuellement 47 697 inscrits.
Nous n’excluons aucune catégorie et ne privilégions aucun type d’investissement. Selon vous, qu’est-ce qui fonctionne le moins dans le PAI ?
La majorité des chantiers avance à une cadence soutenue et conformément aux engagements pris. Sur plusieurs objectifs, nous sommes même en avance. Néanmoins, la régionalisation du PAI, au service de l’équité territoriale, mérite une plus grande attention, et nous nous y consacrons actuellement, l’objectif étant de mettre le citoyen au cœur du processus de développement et de permettre au royaume de capitaliser sur le potentiel de toutes ses régions. Pour certains, le PAI profiterait davantage aux grands projets et aux investissements directs étrangers (IDE) plutôt qu’aux PME marocaines. Est-ce le cas ?
Comment le PAI peut-il accompagner des projets industriels marocains en Afrique ?
Nous entrons de plain-pied dans l’agenda de transformation du continent, dans le cadre d’une logique de coémergence et de codéveloppement. Les conventions scellées avec nos partenaires africains à l’occasion des tournées royales à travers le continent convergent toutes vers la promotion du partenariat économique et de la mise en relation entre communautés d’affaires marocaines et africaines. Avec la création de l’Amdie, notre démarche gagnera en efficacité, via notamment des actions d’accompagnement ciblées de nos opérateurs dans les différents pays. Propos recueillis par FAHD IRAQI N 0 2951 • DU 30 JUILLET AU 5 AOÛT 2017
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Le Plus de JA Maroc
AHMAD SUFRIL AZLAN
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Reda Benjelloun (à g.) et Ahmed El Maanouni, lors de la présentation de Mohamed V. Les chemins de la liberté, en novembre 2015. SOCIÉTÉ
Il était une fois… hier et aujourd’hui Les magazines et documentaires sur l’Histoire rencontrent un véritable succès, qui traduit l’envie des Marocains de revisiter leur passé, lointain ou contemporain. Sans tabous.
I
ls s’appellent Zamane (« temps »), Dîn wa Dunia, « le magazine des cultures et des religions », ou encore Des histoires et des hommes… Des revues et séries documentaires qui ont investi un nouveau créneau, celui de l’Histoire, dont les Marocains se sont révélés particulièrement friands ces dernières années. Elles leur permettent de revisiter leur passé dans toutes ses dimensions et sa pluralité, sans démagogie, sans tabous. Né à la fin de 2009, le mensuel Zamane en est le doyen. Avec un capital de 1 million de dirhams (environ 90 000 d’euros), le journaliste Youssef Chmirou et l’un de ses amis décident de créer un titre spécialisé dans l’Histoire, un peu à l’image du titre français Historia. Le plébiscite est immédiat : 7 350 exemplaires vendus sur un tirage de 10 000. « Lorsque mon distributeur m’a communiqué les ventes de ce premier numéro, je l’ai appelé pour lui dire qu’il s’était trompé de destinataire. Je ne pouvais pas croire un seul instant que Zamane cartonnerait N 0 2951 • DU 30 JUILLET AU 5 AOÛT 2017
à ce point dès son lancement », raconte Youssef Chmirou. Le succès du magazine, édité en arabe et en français, n’a depuis cessé de se confirmer. En mai 2013, son dossier sur l’histoire des Juifs du Maroc (« Maroc : terre juive ») est en rupture de stock : aucun retour sur un tirage de 15 000 exemplaires, dont un grand nombre ont voyagé jusqu’en Israël. Trois
photos officielles, alors raconté pour la première fois par son fils, Moulay Hicham, qui levait ainsi une partie du voile de mystère entourant son père. RÉCONCILIATION. Détenu aujourd’hui
par l’homme d’affaires et ministre de l’Industrie Moulay Hafid Elalamy (lire p. 69) et par Youssef Chmirou, son directeur de publication, Zamane a réussi à s’inscrire dans ce long processus de réconciliation des « La société a mûri. Les gens Marocains avec leur histoire. Un veulent s’approprier leur processus qui a commencé en mémoire nationale. » 1997, sous Hassan II, lorsque ce dernier a pour la première fois REDA BENJELLOUN, directeur des magazines permis à la gauche d’accéder et documentaires de 2M au pouvoir. En 2004, son fils, mois plus tard, un dossier sur Moulay Mohammed VI, met en place l’Instance Équité et Réconciliation (IER), qui a Abdellah, le frère de Hassan II, fait exploexorcisé les années de plomb. Puis il ser les compteurs avec 22000 exemplaires y a eu le Mouvement du 20-Février, né vendus. Les Marocains y découvrent un prince – « un spectre, une silhouette dans le sillage des révolutions arabes élégante et raffinée qui rappelle celle de 2011, qui a fait tomber le mur de la peur. Cette année-là a vu la transforde son père, le roi Mohammed V », écrit Zamane – qu’ils ne voyaient que sur les mation en profondeur de la société JEUNE AFRIQUE
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IONS INSCRIPRTTES OUVE L’Université Internationale de Casablanca (UIC) est membre de Laureate International Universities, 1er Réseau Mondial d’Universités Privées : Plus de 70 Universités, dans 25 pays et regroupant 1 000 000 d’étudiants. A l’UIC, nous mettons l’étudiant au centre de notre approche pédagogique, afin de libérer son potentiel grâce à :
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L’UIC vous connecte au monde académique des prestigieuses universités du groupe Laureate International Universities, en vous offrant l’opportunité d’assister en direct à des cours donnés à l’autre bout du monde, par les plus éminents professeurs et intervenants en présence de leurs étudiants. Vous aurez également l’opportunité de travailler en réseau avec des étudiants de différents pays et cultures.
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Le Plus de JA Maroc marocaine et a été couronnée par une nouvelle Constitution, qui a reconnu la diversité culturelle du royaume (arabe, juive, africaine…). « La société a mûri. Les gens veulent s’approprier leur mémoire nationale, retrouver leurs origines », explique Reda Benjelloun, directeur des magazines et des documentaires de 2M, la deuxième chaîne publique. Des histoires et des hommes (H&H), le documentaire qu’il dirige, diffusé tous les dimanches à 21 heures, attire en moyenne 1,5 million de téléspectateurs. Il raconte l’histoire de personnages marocains oubliés ou refoulés dans la mémoire collective, comme les cheikhates, ces chanteuses populaires qui ont osé chanter l’amour dans une société conservatrice, ou encore des dizaines de milliers de Juifs du Sud marocain qui ont migré vers Israël dans les années 1950 et 1960 sans jamais oublier leur pays d’origine (TinghirJérusalem, les échos du Mellah, réalisé par Kamal Hachkar). RENDEZ-VOUS. Depuis son lancement,
en 2011, H&H a déconstruit des préjugés enracinés dans la société. Il a démontré, entre autres, que le Maroc a existé avant l’Islam et qu’il a été gouverné par des figures féminines, dont la plus connue, la Kahina, s’est farouchement opposée à la dynastie des Omeyyades dans sa progression pour envahir l’Afrique du Nord. Il a aussi rendu une fière chandelle, en les réhabilitant, à ces soldats des montagnes qui ont combattu les colonisateurs français et espagnols. Chaque semaine, le public est au rendez-vous. Comme ce dimanche soir du 20 janvier 2013, où H&H a diffusé la
Une couverture large En mai 2013, un dossier sur l’histoire des Juifs du Maroc est en rupture de stock. Trois mois plus tard, c’est Moulay Hicham, fils de Moulay Abdellah et neveu de Hassan II, qui fait exploser les ventes avec un entretien exclusif dans lequel il lève une partie du voile de mystère entourant son père. Novembre 2016 : les raisons de la colère des Rifains. Puis, en mars, les révélations sur la CIA espionnant le Maroc
version restaurée – avec le soutien du réalisateur américain Martin Scorsese – du film El Hal (Transes, en VF) réalisé en 1981 par Ahmed El Maanouni sur le Nass El Ghiwane, groupe culte formé dans les années 1970 et surnommé « les Beatles marocains ». Le documentaire a tellement mobilisé et captivé les téléspectateurs qu’on les entendait crier, applaudir et chanter depuis les rues, comme pour les matchs de foot. En 2015, ils ont été plus de 2,8 millions à suivre l’histoire des musiciens gnaouas et de leurs rites de possession. Du jamais-vu depuis le
lancement du programme. « Le documentaire est un outil de citoyenneté, d’affirmation de soi. Il est vrai, réel. Il permet de mesurer l’état de santé d’un pays », affirme Réda Benjelloun. Certes, les sources bibliographiques sont rares dans un pays qui apprend seulement à conserver ses archives. Très souvent, les journalistes et les équipes de tournage doivent se déplacer hors du pays pour recueildé lir des références, des précisions, des confirmations ou des témoignages, qu’ils font ensuite authentifier par un comité scientifique afin d’éviter touteerreuretpoursedémarquer de la presse people et des travers de la chasse aux scoops ou au send sationnalisme. « Je préfère avoir un n public réduit qui me permet à peine p de payer mes charges plutôt que de publier des informations approximatives qui décrédibiliseraient à jamais mon magazine », fait remarquer Youssef Chmirou. RÉFÉRENCE. En 2012, l’Institut royal
pour la recherche sur l’histoire du Maroc (IRRHM), un think tank instauré par Mohammed VI, a publié un ouvrage de référence qui retrace la genèse du pays depuis la préhistoire jusqu’à la fin du XXe siècle. Intitulé Histoire du Maroc, réactualisation et synthèse, il doit servir de base à une réforme des manuels scolaires. La réconciliation du Maroc avec son passé pluriel passe désormais par des canaux divers (publics, privés, officiels ou confidentiels, locaux ou étrangers), via des genres et des modes différents (enquêtes, témoignages, biographies, sagas), dans des domaines variés (pouvoir, religions, arts…), et mobilise un très large public. Autant de signes qui confirment que cette réconciliation est bien engagée.
Bienvenue à bord et bonne lecture Retrouvez-nous sur vos compagnies aériennes préférées.
NADIA LAMLILI
MESSAGE
Groupe Maroc Telecom UNE STRATÉGIE RÉUSSIE DE DÉVELOPPEMENT SUR LE CONTINENT AFRICAIN
L
e Groupe Maroc Telecom est l’une des grandes entreprises marocaines présentes en Afrique, et ce depuis 2001. Sa présence sur le continent s’inscrit parfaitement dans la politique de coopération Sud-Sud initiée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Aujourd’hui, le Groupe Maroc Telecom tire une partie de sa croissance de ses nouveaux marchés en Afrique. En effet, pas moins de 44 % du chiffre d’affaires et 37 % de l’excédent brut d’exploitation du groupe sont issus de ses filiales basées dans 9 pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gabon, Mali, Mauritanie, Niger, République Centrafricaine et Togo).
Maroc Telecom noue des partenariats solides, basés sur la confiance et construit une présence durable sur le continent dans le respect des cultures et des compétences locales. Il s’est fixé pour objectif d’être un opérateur de référence dans l’ensemble des pays où il opère et de contribuer à y diffuser largement les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) en faisant de la lutte pour la réduction de la fracture numérique en Afrique l’une de ses priorités. Sur les dix dernières années (2007 à 2016), Maroc Telecom a investi près de 61,5 milliards de Dirhams dans la modernisation des infrastructures et l’amélioration de la qualité de service (QoS). Ces investissements ont permis aux filiales de moderniser leurs réseaux, d’augmenter la bande passante internet et développer des services innovants pour accompagner le développement des pays. Les filiales travaillent également sur des programmes ambitieux pour couvrir les zones reculées et assurer un accès aux services des téléPOUR UN RENFORCEMENT communications pour toute la population.
M. ABDESLAM AHIZOUNE, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE DE MAROC TELECOM.
DE LA CONNECTIVITÉ DE L’AFRIQUE
Maroc Telecom a déployé plusieurs câbles fibre optique pour renforcer la connectivité de ses pays de présence. Il s’agit notamment du câble terrestre inter filiales d’une longueur de 5 300 km à travers le Maroc, la Mauritanie, le Mali et le Burkina Faso pour atteindre le Niger, du câble sous-marin Atlas Offshore de 1 600 km reliant le Maroc à la France et du câble sous-marin Loukkos de 187 km reliant le Maroc à l’Espagne.
DIFCOM/DF - PHOTO : DR.
L’intégration des nouvelles filiales en 2015 s’est accompagnée par le lancement d’un important programme de densification et de modernisation des réseaux afin de favoriser l’émergence d’une croissance rentable, soutenue et durable. Dans six des neuf pays d’implantation, le taux de couverture de la population dépasse désormais les 90 % et le parc clients connaît partout une progression soutenue.
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Le Plus de JA Maroc
TRIBUNE
Savoir reconnaître la culture DRISS ALAOUI MDAGHRI Ancien ministre, acteur associatif culturel
S
ur la culture tout a été dit. Tout et son contraire. Comment éviter de tenir des propos redondants et s’intéresser essentiellement à ce qui fait sens, aujourd’hui, au regard de ce qui se passe sur le plan culturel au Maroc et que certains considèrent comme la preuve d’un renouveau appréciable ? D’abord en partant d’une distinction épistémologique fondamentale pour toute pertinence de l’analyse: la culture a au moins deux sens, qui sont souvent confondus par nombre d’acteurs culturels, qu’il s’agisse des décideurs publics et privés ou des professionnels des différents métiers que l’on range habituellement sous ce vocable. Dans un premier sens, la culture nicherait dans les musées, les galeries d’art, les cinémas, les bibliothèques, les conservatoires, les théâtres, les festivals… Dans un second sens, la culture résiderait dans toutes les productions, quelle qu’en soit la nature, qui sont le résultat de la créativité des hommes dans toute société. Les uns, prenant à témoin les statistiques et les ratios résultant du nombre d’institutions ou d’activités qualifiées de culturelles par rapport au nombre d’habitants, parleront tantôt d’un manque cruel et d’une pauvreté affligeante dans certains pays, dont le Maroc, et d’une richesse remarquable dans d’autres, notamment en Occident. Je ne suis pas de ceux-là. D’abord parce qu’il faut admettre qu’au cours de ces dernières années des lieux et des activités ont fleuri dans le royaume, avec le soutien des instances officielles, dont les principaux vecteurs ont été de grandes associations régionales – Fès Saiss et le Festival des musiques sacrées du monde de Fès en représentent l’archétype depuis pas mal d’années –, ainsi que des festivals de toutes sortes, portés par des personnalités influentes qui ont su, avec la bénédiction des plus hautes autorités, donner du crédit à cela. Malgré tout, force est d’admettre que l’impact de ces événements hautement visibles
et courus, s’il est utile, demeure relativement limité en matière de progrès, d’éducation et d’amélioration du vivre-ensemble du plus grand nombre. Pour ma part, je me range plus facilement dans le camp de ceux pour qui la culture est partout, dans la rue, dans les maisons, dans les campagnes, dans les vallées, dans les montagnes, dans les déserts… Elle est foisonnante dans notre société comme dans les autres. Elle est reconnue parfois, et toujours quand elle plaît aux élites, récupérée et recyclée dans le grand flux des produits marchands qui dominent la scène. Mais elle est là, vivante, vivifiante, multiple et diverse, malgré toutes les dérives, car elle se renouvelle sans cesse. Elle demande à être reconnue et davantage mobilisée. C’est pour cela que nous sommes plus nombreux qu’on ne le croit à militer et à agir dans le champ culturel, en travaillant avec des jeunes qui ont plus ou moins de talents au départ mais que l’on voit s’ouvrir comme des fleurs qu’abreuve la rosée du matin. L’expérience menée dans le cadre de « Come To My Home » (cometomyhome.ma), engagée
Elle est là, vivante, vivifiante, multiple et diverse, et se renouvelle sans cesse malgré les dérives.
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par une association marocaine, la Fondation des cultures du monde, où nous sommes quelques-uns à nous impliquer, me semble éclairante à bien des égards. En effet, en encadrant des jeunes et en les confrontant à des artistes expérimentés, marocains et étrangers, pour qu’ils créent des œuvres nouvelles où se donnent à voir et à écouter des productions dans plusieurs langues, avec des sonorités très variées et des tonalités très différentes, nous constatons qu’au-delà de la maîtrise des outils – ce à quoi ils parviennent facilement avec un peu d’entraînement – ils apprennent à travailler dans la diversité, la tolérance et le plaisir de la création collaborative. ● JEUNE AFRIQUE
Du Maroc, CMA CGM vous ouvre les portes de l’Afrique
Leader mondial du transport maritime par conteneur, le Groupe CMA CGM connecte le Maroc au reste du monde à l’aide de 27 services maritimes. Grâce à ses nouvelles lignes Wazzan 1 et Wazzan 2, CMA CGM ouvre les portes du continent africain et offre une multitude d’opportunités nouvelles à toute l’économie marocaine.