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Afrique-Europe Les vrais enjeux

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 57e année • n° 2967 • du 19 au 25 novembre 2017

jeuneafrique.com

Bénin Patrice Talon, président hors parti Algérie Gaz de schisme

MUGABE

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Le coup de Grace

À 93 ans, après trois décennies au pouvoir, le président du Zimbabwe a été victime d’un coup d’État en réalité dirigé contre sa femme, Grace. Héros mué en despote, il laisse un pays à genoux. Et la bataille pour sa succession ne fait que commencer.




Grand angle

Sommet UA-UE

Les grands

enjeux

Le changement de nom de la rencontre entre l’Europe et l’Afrique qui se tiendra les 29 et 30 novembre à Abidjan annonce-t-il un changement de ton? Alors que les États africains peinent à cacher leurs différends, des voix s’élèvent pour exiger la mise en place d’une véritable politique de développement.

L

OLIVIER CASLIN

même ressurgi l’espace de quelques semaines, es 29 et 30 novembre, Abidjan va accueillir avant de s’effacer, semble-t-il pour de bon, fin le 5e sommet entre l’Union africaine (UA) octobre, après un ballet diplomatique effréné et l’Union européenne (UE). Premier des deux côtés de la Méditerranée et moult du nom. Depuis le rendez-vous initial, organisé au Caire en 2000, l’UE rencontractations durant lesquelles le sommet a même trait « l’Afrique ». Mais l’intégration du failli être déménagé à Addis-Abeba. Maroc dans l’UA en début d’année a rebattu les L’appellation et la localisation enfin confirmées, cartes. « Tous les pays africains sont tout le monde attend maintenant de aujourd’hui membre de l’Union. connaître la composition de la déléLes gation marocaine. Mohammed VI Ce changement de nom est donc tout à fait justifié », explique Koen tergiversations ne fera certainement pas le déplaVervaeke, directeur général pour à Abidjan, mais il peut intra-africaines cement l’Afrique au sein du Service eurodifficilement soustraire son pays ont bien failli péen pour l’action extérieure à la première grande rencontre (SEAE), observant sur le sujet la internationale organisée depuis le gâcher la fête. retour de ce dernier au sein de l’UA. même prudence que l’institution qu’il représente. D’autant qu’elle concerne deux La question perturbe pourtant les préparatifs continents aux destins scellés par des intérêts du sommet depuis des mois. La nouvelle dénocommuns et dont le Maroc constitue l’un des traits d’union naturels les plus évidents. mination ouvre en effet la porte à la République arabe sahraouie démocratique (RASD) qui, Toutes ces tergiversations intra-africaines « ont conviée pour la première fois à l’événement, bien failli gâcher la fête », confirme un observateur européen, alors que des querelles à propos du comme l’ensemble des 55 membres de l’UA, s’est empressée d’accepter l'invitation. Provoquant financement de l’événement lui-même risquent de simultanément le mécontentement de Rabat et plomber l’ambiance jusqu’aux dernières heures des l’embarras d’Abidjan ainsi que d’une large partie préparatifs (lire p. 30). Les organisateurs africains des pays participants. Le label « Afrique-UE » a et européens pensaient pourtant bien avoir

ADRIA FRUITOS POUR J.A

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Grand angle Sommet UA-UE fait le plus dur en parvenant à s’accorder sur un thème officiel pour ce cinquième rendez-vous: la jeunesse. « La question est bien entendu très importante, mais elle ne suscite aujourd’hui aucune divergence profonde », constate Geert Laporte, vice-directeur du Centre européen de gestion des politiques de développement (ECDPM), un think tank bruxellois. Comme si l’essentiel était surtout d’éviter les sujets qui fâchent entre deux institutions bousculées en interne : l’UA par une réforme censée lui donner les moyens de ses ambitions (lire ci-dessous) ; l’UE à la suite du Brexit, dont les effets restent à mesurer, et de la recomposition d’un couple franco-allemand aux visions parfois contradictoires en matière de politique extérieure.

Exit donc, les thématiques sécuritaires, migratoires, économiques ? « Le thème de la jeunesse est justement suffisamment central pour pouvoir traiter de toutes ces questions », affirme Koen Vervaeke. Mais également suffisamment large pour rester « de l’ordre du symbolique », comme le craint déjà le représentant d’une ONG. Avec le risque de n’apporter que demain des réponses aux problèmes qui se posent aujourd’hui aux deux unions et à leurs populations. Comme pour les sommets précédents, les décisions se prendront davantage en coulisses que lors des plénières programmées pendant les deux jours de festivités. « C’est tout le paradoxe de ces rendez-vous multilatéraux qui servent surtout

INTERVIEW

Moussa Faki Mahamat Président de la Commission de l’UA « Nous espérons pouvoir parler franchement avec nos partenaires européens » À quelques jours de l’échéance, l’ex-Premier ministre tchadien expose les enjeux d’une plus grande coopération entre les deux continents. Et défend les réformes qui doivent redynamiser l’union panafricaine.

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lu en janvier président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat revient sur les grands enjeux, côté africain, du sommet UA-UE, ce rendez-vous devenu si important dans les relations que cherchent à tisser les deux continents. Ce diplomate tchadien âgé de 57 ans, ancien chef du gouvernement puis ministre des Affaires étrangères dans son pays, en profite pour détailler certains points de la réforme attendue de l’UA. Avec en ligne de mire l’Agenda 2063, ce document-cadre adopté en 2015 par les chefs d’État et de gouvernement de l’organisation panafricaine pour assurer un développement durable au continent. Que faut-il attendre du sommet d’Abidjan ?

Le partenariat tissé avec l’Europe est aujourd’hui essentiel pour l’Afrique. Il est riche et divers puisqu’il porte sur les questions de sécurité, d’échanges migratoires et commerciaux, de développements socio-économiques. J’espère que ce sixième sommet sera l’occasion d’évoquer tous ces différents aspects et de renforcer encore ce partenariat. D’un commun N 0 2967 • DU 19 AU 25 NOVEMBRE 2017

accord, nous avons décidé de placer ce rendez-vous sous le signe de la jeunesse, qui est aujourd’hui la priorité des priorités pour le continent africain s’il veut tirer le meilleur parti de son dividende démographique. Comment régler les problèmes en matière d’emploi et de formation ? Comment aider les jeunes Africains à faire face aux difficultés qu’ils rencontrent? Je souhaite que nous puissions parler de manièrefrancheavecnospartenaires européens de nos attentes, qui sont nombreuses, sur le sujet. Aussi complexes soient-elles, les négociations en cours – sur les Accords de partenariat économique (APE) – et à venir – sur un éventuel renouvellement de l’accord de Cotonou, signé entre les l’UE et les 79 pays du groupe ACP (Afrique-CaraïbesPacifique) – seront-elles à l’ordre du jour?

Il serait très important qu’elles le soient. Nous devons profiter de cette rencontre au plus haut niveau, qui intervient dix ans après le démarrage des APE et trois ans seulement avant l’échéance des accords de Cotonou, pour discuter ensemble de l’évolution de ces deux composantes fondamentales de notre partenariat. Il est important de mesurer aujourd’hui la pertinence des conventions ACP, quarante ans après les premières signatures, notamment dans le cadre de notre Agenda 2063. Peut-on espérer parvenir à une position commune sur la question migratoire, entre une Europe qui cherche à mettre un terme à l’immigration illégale et une Afrique qui souhaite la mise en place de corridors légaux ?

JEUNE AFRIQUE

ALBIN LOHR-JONES/PACIFIC PRESS/VIA ZUMA WIRE/REA

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Les grands enjeux des intérêts bilatéraux, regrette un diplomate, mais c’est essentiel pour les bonnes relations que l’Europe entend développer avec l’Afrique et pour le rôle que les deux comptent jouer, ensemble, sur la scène internationale, en matière de politique environnementale notamment. » DÉFICIT D’IMAGE. Dix ans après la définition

de la Stratégie conjointe Afrique-UE (JAES), lors du sommet de Lisbonne, l’UE estime toujours souffrir d’un déficit d’image de l’autre côté de la Méditerranée. Sans rapport avec sa contribution sur le continent en matière financière ou sécuritaire. L’UE et ses États membres représentent 33 % de tous les investissements étrangers réalisés

Cette question n’est que la conséquence d’un phénomène beaucoup plus large, lié au développement économique du continent. Et c’est un problème auquel les pays membres de l’UA font face euxmêmes, l’essentiel de ces flux migratoires étant interafricain. Il faut espérer que nous pourrons aborder le sujet de manière sereine. Que pouvez-vous dire sur la polémique entre le Maroc et la République arabe sahraouie démocratique (RASD) qui a empoisonné les semaines précédant le sommet ?

La Maroc est un état africain, fondateur de l’Organisation de l’unité africaine [OUA, ancêtre de l’UA], qui en est parti avant de revenir en son sein cette année. Il est le bienvenu dans la mesure où il peut contribuer à donner plus de force à notre union et apporter une plus grande dynamique dans l’intégration du continent. La RASD est également membre de l’UA. Rabat n’ayant posé aucune condition à son retour, les choses sont donc juridiquement claires. L’UA est entrée dans une phase de réformes fondamentales. Dans quels buts ?

L’objectif est de réformer l’UA, financièrement et institutionnellement, afin qu’elle dispose des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés dans l’Agenda 2063 tel qu’il a été adopté lors de notre sommet de 2015. La question du financement est primordiale. Toute organisation digne de ce nom se doit de JEUNE AFRIQUE

à travers l’Afrique, absorbent 41 % de ses exportations et fournissent 33 % de ses importations, transfèrent 36 % des fonds expédiés aux pays par la diaspora et participent à hauteur de 50 % à l’aide publique au développement versée chaque année au continent. « Mais être le premier bailleur ne suffit pas pour être bien considéré, déplore Cécile Kyenge, l’ancienne ministre italienne pour l’Intégration, aujourd’hui députée européenne. L’arrivée de la Chine sur le continent ressemble à un avertissement pour l’UE, qui doit vite sortir du paternalisme pour entrer dans une nouvelle démarche. » L’absence d’engagements collectifs pour l’Afrique à Hambourg début juillet, lors d’un G20 dont la seule ambition était de souligner

financer elle-même son fonctionnement. Nous allons également revoir nos structures et évaluer nos différents organes pour les redimensionner, avec la volonté de nous doter d’instruments efficaces. Cette réforme doit également permettre une meilleure répartition des rôles et des responsabilités entre l’UA et les différentes communautéséconomiquesrégionalesdu continent, qui sont aujourd’hui les piliers de l’intégration continentale. Nous pourrions nous concentrer sur certains grands sujets – comme la paix et la sécurité, les partenariats extérieurs, etc. – et laisser la partie opérationnelle à ces communautés.

L’absence d’engagements pour l’Afrique au G20 et la marche arrière des Américains donnent à Bruxelles une carte à jouer.

Le financement de votre organisation dépend pour l’instant de vos partenaires étrangers, à commencer par l’UE, l’un des principaux contributeurs. Comment comptez-vous changer cet état de fait ?

Nous avons décidé de prélever 0,2 % de la valeur des importations africaines. Certains pays appliquent déjà cette directive, qui deviendra obligatoire dès 2018. Nous avons également mis en place un Fonds de la paix, qui doit nous permettre de contribuer à hauteur de 25 % au financement des opérations de maintien de la paix menées sur le continent par les Nations unies. C’est un premier pas

Toute organisation digne de ce nom se doit de financer elle-même son fonctionnement. Quel sera le rôle de la Commission à la suite de cette réforme ?

Plus l’intégration du continent devient une réalité, plus la structure chargée de cette intégration prend de l’importance. La Commission doit tenir un rôle de conception, d’impulsion et de coordination. L’Afrique ne peut peser que quand elle parle d’une seule et même voix. Il faut pour cela qu’elle soit mieux intégrée, et surtout en paix. Je constate qu’il y a aujourd’hui un consensus certain à voir l’Afrique coopérer d’égal à égal avec le reste du monde. Je crois que ces réformes peuvent fédérer toutes les énergies africaines autour d’un Agenda 2063 qui reflète parfaitement les ambitions et la vision que s’est fixées le continent.

dans la prise en charge de notre propre sécurité. Le G5 Sahel est-il le modèle à suivre pour régler les conflits que connaît l’Afrique ?

Nous savons que les opérations classiques de maintien de la paix ne peuvent plus répondre aux menaces actuelles. L’UA dispose de sa propre architecture en matière de paix et de sécurité, avec des forces militaires africaines en attente dans chaque région. L’initiative du G5 Sahel, prise par les États de la région, est à saluer et nous la soutenons en adoptant son concept pour les futures interventions. Propos recueillis par MARK ANDERSON, envoyé spécial à Addis-Abeba N 0 2967 • DU 19 AU 25 NOVEMBRE 2017

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Grand angle Sommet UA-UE

« Il faut mettre les dossiers sensibles sur la table, comme celui de la bonne gouvernance », tempête Elissa Jobson, spécialiste de l’UA.

la position allemande et le désengagement des Américains consécutif à l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, donne à Bruxelles une belle carte à jouer lors de ce sommet. « À condition d’arrêter de voir l’Afrique comme ce continent qu’il faut forcément aider. Il est temps de passer à une véritable politique de développement, tempête Elissa Jobson, spécialiste de l’UA à l’organisation International Crisis Group. Mais pour cela, il faut se parler et ne plus hésiter à mettre certains dossiers sensibles sur la table, comme celui de la bonne gouvernance par exemple. » « NEW DEAL ». À l’UE de saisir l’occasion qui se présente pour porter sur les fonts baptismaux ce fameux new deal défendu par Federica Mogherini, la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, tout au long de la « communication conjointe » publiée par ses services début mai et qui « sert de base à la feuille de route de ce sommet », assure Koen Vervaeke. Surtout depuis que son contenu a été validé dans ses grandes lignes par la Commission de l’UA, qui l’a donc trouvé compatible avec les objectifs qu’elle s’est elle-même fixés dans son Agenda 2063. Faute de mieux, diront les mauvaises langues, car, comme l’Afrique lors des sommets précédents,

l’UA n’arrive toujours pas à parler d’une seule voix, comme l’a encore illustré la question de la présence de la RASD ces dernières semaines, ou l’absence d’un ambassadeur de l’organisation panafricaine à Bruxelles, sur le modèle de celui envoyé par l’UE à Addis-Abeba depuis juin 2016. Bien sûr, le camp d’en face affiche également ses désaccords, notamment sur l’évolution à donner au partenariat avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) après l’expiration des accords de Cotonou, en 2020. Mais tous les pays membres se sont rangés derrière l’UE

Une foule de rendez-vous Comme à chaque édition du sommet, d’autres manifestations sont organisées en parallèle. Si le Forum de la société civile s’est tenu à Tunis, du 11 au 13 juillet, tous les autres rendez-vous ont lieu à Abidjan, comme cela a été le cas pour le 4e Forum de la jeunesse, accueilli du 9 au 11 octobre, ou celui des acteurs économiques et sociaux, du 16 au 17 novembre. En attendant le 6e forum des affaires et le sommet parlementaire, dès le 27 novembre.

Questions à Ambroise Fayolle Vice-président de la Banque européenne d’investissement (BEI)

« Épaulons la nouvelle génération d’entrepreneurs africains » L’institution financière de l’UE veut renforcer ses activités sur le continent. Son numéro deux détaille ses objectifs, de la transition écologique à la création d’emplois. JEUNE AFRIQUE : En quoi consiste l’activité de la BEI en Afrique ? AMBROISE FAYOLLE : Depuis 1960 et les accords du Gabon, notre activité est double. Soit nous agissons sur nos fonds propres, soit sous mandat au nom des pays membres de l’UE. Nous sommes une banque qui finance, par prêts ou garanties, des projets, mais pas de programmes ou d’aides budgétaires. N 0 2967 • DU 19 AU 25 NOVEMBRE 2017

Pour cela, nous travaillons en partenariat avec les bailleurs multilatéraux comme bilatéraux. Quels sont vos objectifs sur le continent ? Le premier est d’appliquer les résolutions de la COP21 en consacrant 35 % de nos actions hors Europe à lutter contre le réchauffement climatique. En 2016, nous avons ainsi approuvé des projets en Afrique représentant 2,4 milliards d’euros, qui vont du plus grand parc d’éoliennes du continent, au Kenya, au financement d’un réseau de bus en site propre, à Dakar. Le second objectif est lié au phénomène des migrations, qui sont encore plus fortes à l’intérieur de l’Afrique que vers l’Europe. C’est un défi énorme pour le continent, car il suppose

HAMILTON/REA

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d’y créer massivement des emplois, donc des entreprises. Lors du sommet UA-UE d’Abidjan, nous allons présenter avec la BAD le programme Boost Africa qui, en quatre ans, mobilisera 1 milliard d’euros pour les start-up et les entreprises africaines. Celui-ci comporte un technology lab qui permettra aux chefs d’entreprise et aux investisseurs africains JEUNE AFRIQUE


Les grands enjeux lorsque celle-ci a sorti son document-cadre sur la question l’année dernière. Comme cela avait déjà été le cas à La Valette en novembre 2015 sur le dossier migratoire. « L’intégration africaine n’est pas assez avancée pour que l’UA puisse vraiment peser sur les négociations, affirme Elissa Jobson. Tant que son financement sera assuré par les contributions extérieures, à commencer par celle de l’UE, l’idée d’un partenariat d’égal à égal reste une vue de l’esprit. » Et ce n’est pas la nouvelle dénomination du sommet, désormais organisé entre deux structures institutionnelles comparables, qui va mettre un terme à cette asymétrie. À Abidjan, comme auparavant au Caire, à Lisbonne, à Tripoli et à Bruxelles, « l’UA va venir avec une liste de courses qu’elle va demander à l’UE de financer et cette dernière risque d’en profiter pour imposer un agenda sur lequel les pays africains n’auront aucune prise », craignent de nombreux spécialistes. L’arrivée de la très attendue réforme de l’UA, confiée au chef de l’État rwandais Paul Kagame, est justement destinée à faire en sorte que l’Afrique bénéficie au mieux de ce genre de rendez-vous. Un impératif alors que le monde entier cherche, ces dernières années, à tisser des relations privilégiées avec le continent.

de bénéficier d’un transfert d’expérience de la part des entreprises déjà matures. Nous allons aussi financer des fonds de capital-investissement pour montrer que nous croyons à l’entreprise africaine. N’est-ce pas plus risqué ? Si nous voulons faire décoller l’investissement privé, il nous faut rassurer en étant présent dans les tours de table. Pour le pourtour méditerranéen, nous disposons d’une Initiative en faveur de la résilience qui mobilisera 15 milliards d’euros d’ici à 2020, à partir d’un supplément de financements de la BEI de 6 milliards d’euros. Il s’agira de financer les banques qui prêteront aux PME des émigrés arrivant dans les pays du pourtour méditerranéen, mais aussi à celles des populations locales, qui ne doivent pas se sentir exclues de ces financements. Nous sommes convaincus qu’en Afrique une jeune génération d’entrepreneurs pleine d’ambition se lève et qu’il est du rôle de l’Europe de l’épauler. Propos recueillis par ALAIN FAUJAS JEUNE AFRIQUE

HUMEUR François Soudan

« Cachez ces migrants que nous ne saurions voir… »

I

l y aura du monde, en ces deux derniers jours de novembre, au centre de conférences de l’hôtel Ivoire d’Abidjan, dont la tour se mire dans les eaux de la lagune Ébrié, là où tout n’est que luxe, calme et volupté. Du beau monde : celui des chefs d’État, des délégués badgés et cravatés venus de plus de 80 pays, eurocrates et afrocrates, businessmans et journalistes. Des vivants affairés donc, mais aussi des morts encombrants. Flotteront sous les lambris du sommet, entre deux discours et trois coupes de champagne, les corps de ces 26 Nigérianes de 14 à 18 ans retrouvés il y a quelques jours au large de Salerne, en Italie. Parties de Benin City, destinées à alimenter un réseau de prostitution en Allemagne, noyées en Méditerranée. Flotteront avec elles les spectres de tous ces Africains morts en tentant de rejoindre l’Europe. Le réseau d’associations United a publié le 13 novembre un body count macabre: de 1993 à 2017, 33 305 migrants (plus de 50000 selon d’autres sources), pour la plupart originaires du continent, ont perdu la vie sur les chemins de la forteresse Schengen. Ce chiffre, cette hémorragie, il faut les regarder en face. Et les premiers à le faire doivent être les dirigeants africains euxmêmes. Certes, en tout temps et en tout lieu, la pauvreté a été, est et sera source d’émigration. Mais pourquoi, par exemple, les gouvernements d’Éthiopie, du Ghana ou de Côte d’Ivoire, dont les taux de croissance avoisinent, voire dépassent depuis plusieurs

années les 8 %, sont-ils incapables de réduire le flux de jeunes prêts à tout pour tenter l’aventure périlleuse de l’exode? Selon l’Organisation internationale pour les migrations, les Ivoiriens arriveraient même en tête du nombre de candidats qui, chaque mois, se pressent aux portes de l’Italie et de l’Espagne ! Pourquoi, malgré les multiples rapports et témoignages décrivant l’enfer des camps de rétention de l’Ouest libyen où des gangs de miliciens sadiques rackettent, violent et torturent les migrants par centaines, l’UA est-elle inapte à sommer le « président » Fayez al-Sarraj de mettre un terme à ce scandale ou de se démettre? Abidjan ne sera pas un sommet sur les migrations, mais sur la jeunesse, ses défis et son avenir, a tenu à préciser Federica Mogherini. Le problème, bien sûr, est que ces thématiques sont étroitement liées entre elles. Les fantômes du cimetière marin qu’est devenue la Méditerranée et les esclaves des camps de Libye, dont un reportage glaçant de CNN dénonçait il y a quelques jours les ventes aux enchères au sud de Tripoli, pèseront-ils sur la conscience des participants au sommet ? On peut, hélas, en douter, même si le président en exercice de l’UA, Alpha Condé, a pris l’initiative, le 17 novembre, de dénoncer le « marché aux captifs » libyen… Beaucoup d’entre eux, s’ils n’ont pas lu le Tartuffe de Molière, pourraient le paraphraser: « Cachez ces migrants que nous ne saurions voir. Par de pareils objets, nos âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupables pensées… » N 0 2967 • DU 19 AU 25 NOVEMBRE 2017

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Grand angle Sommet UA-UE

Les petits plats dans les grands

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éguerpissement des vendeurs ambulants, embellissement des abords de la lagune Ébrié, réhabilitation des infrastructures aéroportuaires, routières et hôtelières, cordon de sécurité des plus serrés… Pour accueillir au mieux le cinquième sommet UA-UE, à Abidjan, les autorités ivoiriennes ne veulent rien laisser au hasard. Elles sont d’ailleurs impliquées au plus haut niveau, puisque le Comité d’orientation et d’impulsion de l’événement est présidé par Daniel Kablan Duncan, le vice-président, secondé par le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly. Et le comité de pilotage, mis en place par le président Alassane Ouattara, a été confié à Marcel Amon Tanoh. Le ministre des Affaires étrangères multiplie les rencontres ces dernières semaines pour faire de ce rendez-vous de politique internationale – le plus important récemment organisé en Côte d’Ivoire – une réussite. Pendant deux jours, le sommet prendra ses quartiers dans le somptueux hôtel Sofitel Ivoire, de Cocody, qui accueillera pour l’occasion plus de 10 000 participants, dont 83 chefs d’État et de gouvernement en provenance des 55 pays d’Afrique et des 28 pays membres de l’UE. Pendant que ces derniers résideront dans l’hôtel multi-étoilé, les membres de leurs délégations – dont une de 800 personnes! – seront logés dans les nombreux établissements du Plateau ou de la périphérie d’Abidjan, à Grand-Bassam, à Dabou ou à Jacqueville. Les autres iront au village Akwaba (« bienvenue », en baoulé), construit en 2017 au sein de l’Institut national de la jeunesse et des sports (INJS) de Marcory pour loger les

JACQUES TORREGANO POUR JA

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L’hôtel Ivoire accueillera plus de 10 000 participants.

avions de nombreuses délégations staathlètes des huitièmes Jeux de la francophonie. Pour éviter que les délégations tionneront dans les aéroports, en cours de ne sortent trop du périmètre de sécurité rénovation, de ces deux villes, l’aérogare de l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny installé autour de l’hôtel Ivoire, les autorid’Abidjan ne pouvant pas abriter plus tés locales ont demandé à sa direction de reconfigurer les espaces de l’ancien supermarché et de Même les Forces spéciales l’ancienne patinoire de l’établissement pour en faire une seront déployées à Abidjan, salle de restauration géante, à Yamoussoukro et à Bouaké. capable de contenir entre 1 600 et 1 800 convives. de 18 gros-porteurs. Abidjan mise sur Des milliers de gendarmes, policiers la qualité de son organisation et de son et militaires sont mobilisés depuis des semaines pour assurer la sécurité des accueil « pour que les participants partent lieux. Même les Forces spéciales sorde Côte d’Ivoire aussi satisfaits que lors tiront de leur base d’Adiaké pour être des Jeux de la francophonie », a promis déployées à Abidjan, mais également à Daniel Kablan Duncan. ANDRÉ SILVER KONAN Yamoussoukro et même à Bouaké. Les

QUI RÈGLERA LA NOTE ?

À

quelques jours de l’arrivée à Abidjan des chefs d’État des deux continents, la question du financement du sommet est plus épineuse que jamais. Contrairement à Mouammar Kadhafi, qui avait organisé à Tripoli en 2010 le dernier sommet UE-Afrique sur le continent, Alassane Ouattara n’entend N 0 2967 • DU 19 AU 25 NOVEMBRE 2017

en effet pas régler seul la facture de l’événement. Il ne cesse de solliciter ses amis afin qu’ils mettent également la main à la poche. D’autant que, d’après lui, le coût, initialement estimé à 11,5 millions d’euros, atteindrait désormais les 22 millions d’euros. Une augmentation qui fait

grincer des dents de nombreux diplomates. Si l’UA a immédiatement annoncé qu’elle ne pourrait apporter son aide, l’UE a accepté de contribuer à hauteur de 2,8 millions de plus que ce qu’elle avait prévu, soit 8 millions d’euros au total. Alassane Ouattara a également demandé à la France la

fourniture de matériel de sécurité, pour un total de plus de 4,5 millions d’euros, sans compter l’envoi d’équipes du GIGN et du Raid. Les 100 téléphones portables demandés – sans succès – par Patrick Achi, le secrétaire de la présidence ivoirienne, en deviennent presque anecdotiques. ANNA SYLVESTRE-TREINER JEUNE AFRIQUE


L’échéance de l’Accord de Cotonou en 2020 est une opportunité de revoir en profondeur le partenariat Europe-Afrique qui doit être fondé sur un nouveau paradigme et répondre à une logique gagnant-gagnant pour les deux continents. Ce renouvellement devra impérativement être basé sur une plus forte implication du secteur privé européen et africain pour une meilleure efficacité. Des critères de Responsabilité Sociétale et Environnementale et des normes éthiques en lien avec les Objectifs de Développement Durable devront également être respectés pour permettre un développement durable et inclusif de l’Afrique. Le cinquième sommet Union Européenne – Union Africaine qui va se tenir les 29 et 30 novembre 2017 est une occasion unique pour les gouvernants africains et européens de construire un partenariat stratégique entre nos deux continents.


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TRIBUNE MAURO BOTTARO/EU

Un partenariat d’égal à égal FEDERICA MOGHERINI

GEORGES BOULOUGOURIS/EU

Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne

L

NEVEN MIMICA Commissaire européen pour la coopération internationale et le développement

e Sommet UA-UE ne sera pas un rendezvous comme les autres. Pour la première fois, les deux Unions se rencontrent pour définir des objectifs communs et des réponses conjointes. Pour la première fois également, le sommet place la jeunesse, nos jeunesses, au cœur de nos discussions. Et ce ne sera pas seulement un slogan. Depuis plusieurs mois, des représentants de la jeunesse africaine et européenne travaillent ensemble pour identifier des propositions concrètes qui seront soumises aux chefs d’État et de gouvernement à Abidjan. L’Afrique est le continent le plus jeune de la planète : la moitié de sa population est aujourd’hui âgée de moins de vingt ans. La seule façon de relever ses défis est de libérer cet immense potentiel et de commencer à donner une place à la nouvelle génération, à ses idées et à son énergie. Certains voient dans cette jeunesse une menace. Nous la voyons comme un moteur et un espoir pour nos deux continents. Donner à ces jeunes une éducation de qualité, une voix, un emploi décent, un environnement propre et sûr, en un mot, les faire devenir acteurs du développement de leurs pays, tel est l’enjeu de ce sommet.

C’est dans cet esprit de partenariat que l’Europe a proposé des instruments innovants pour faire face aux nouveaux défis. Nous venons de lancer un plan européen d’investissement extérieur visant à mobiliser pas moins de 44 milliards d’euros. Nous voulons encourager des investissements privés européens qui répondent aux objectifs de croissance durable définis par nos

Certains voient dans la jeunesse une menace. Nous la voyons comme un moteur pour nos deux continents.

Seuls 14 kilomètres séparent l’Europe et l’Afrique. Et, comme pour tous les voisins, ce qui se passe chez l’un a des répercussions sur l’autre. Que l’on pense à la création d’emplois, à la lutte contre le changement climatique, à une gestion régulée des migrations ou à la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, la clé du succès repose sur notre partenariat. Un partenariat d’égal à égal, dégagé de la relation donateur-récipiendaire désormais dépassée. Parce que personne ne comprend mieux les problèmes de l’Afrique que les Africains, le seul moyen efficace de travailler pour l’Afrique est de travailler avec l’Afrique, ensemble. Et cela nécessite que les deux continents assument leurs responsabilités, conscients de leurs intérêts communs. Ce changement d’état d’esprit s’est consolidé ces dernières années. Tant lors des négociations sur l’accord de Paris que N 0 2967 • DU 19 AU 25 NOVEMBRE 2017

lors de celles sur l’adoption des Objectifs de développement durable, l’Europe et l’Afrique ont défendu des positions communes qui ont grandement participé au succès de ces deux processus. En septembre, à NewYork, nous avons décidé d’établir une coordination constante entre l’UA, l’UE et les Nations unies, afin de contribuer davantage à établir l’agenda mondial.

partenaires africains, notamment dans les zones les plus fragiles du continent. Dans le domaine de la sécurité, l’UE a été la première à soutenir l’initiative de coopération régionale des pays du G5 Sahel, allouant 50 millions d’euros pour la création de leur force militaire conjointe contre le terrorisme et la criminalité internationale. Enfin, le fonds fiduciaire pour les migrations supporte, depuis deux ans, des projets visant à s’attaquer aux racines de l’instabilité et de la migration irrégulière en Afrique. Nous voulons maintenant aller plus loin et préparer le futur. Les chiffres montrent que la population active en Afrique devrait augmenter de 70 % dans les vingt prochaines années. Le sommet doit donc permettre d’apporter des réponses concrètes en matière d’investissement dans l’éducation, les technologies, l’environnement, la gouvernance, la paix et la sécurité, pour garantir un développement juste, inclusif et durable. Les 29 et 30 novembre prochains, soyons à la hauteur des attentes de notre jeunesse, en vrais partenaires. JEUNE AFRIQUE


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Plus de 30 millions de clients font confiance à Orange Money

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