Maroc Benkirane : enquête sur un parricide
Dossier
Tendances N° 2969 • du 3 au 9 décembre 2017
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDAN NT • 58e année • n°
jeuneafrique.com
Macron en Afrique Sans filtre et sans tabou
TOGO
SOUS L’ARBRE À PALABRES
Spécial 18 pages
IBK
Terrorisme, Barkhane, migrants, gouvernance, présidentielle 2018, famille, santé… Le chef de l’État livre sa part de vérité.
« Le Mali est une digue. Si elle rompt, l’Europe sera submergée »
ENTRETIEN EXCLUSIF
ÉDITION INTERNATIONALE ET AFRIQUE SUBSAHARIENNE France3,80€•Algérie290DA•Allemagne4,80€•Autriche4,80€•Belgique3,80€•Canada6,50$CAN•Espagne4,30€•Éthiopie67birrs•Grèce4,80€•Guadeloupe4,60€ Guyane 5,80 € • Italie 4,30 € • Luxembourg 4,80 € • Maroc 25 DH • Martinique 4,60 € • Mauritanie 1200 MRO • Mayotte 4,60 € • Norvège 48 NK • Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € • Réunion 4,60 € • RD Congo 6,10 $ US • Royaume-Uni 3,60 £ • Suisse 6,50 FS • Tunisie 3,50 DT • USA 6,90 $ US • Zone CFA 2000 F CFA • ISSN 1950-1285
TOGO RÉFORME CONSTITUTIONNELLE
Le dialogue comme seule issue
L
e Togo se dirige vers une réforme constitutionnelle majeure afin d’améliorer et de consolider sa démocratie. Cette volonté de réforme est partagée par l’ensemble de la classe politique, du gouvernement aux populations en passant par les partis politiques et la société civile. La manière d’y parvenir, en revanche, diffère.
Le gouvernement a, dès le début de l’année et alors qu’aucun mouvement de réclamation n’était en cours dans le pays, lancé le chantier des réformes en créant une commission de réflexion pour proposer des réformes en profondeur des institutions du pays.
COMMUNIQUÉ
Le 19 septembre dernier, les députés de la majorité ont voté pour un projet de réforme à l’Assemblée nationale. Celui-ci, en modifiant les articles 59 et 60 de la Constitution, limite le nombre de mandats présidentiels et introduit un scrutin uninominal majoritaire à deux tours, deux des principales revendications exprimées par la société civile, la classe politique et les partenaires internationaux. Mais faute d’avoir obtenu les 4/5 e des suffrages, le recours à l’article 144, qui concerne la convocation d’un référendum reste l’unique voie légale pour adopter le texte. Un référendum que semble redouter l’opposition qui souhaite plutôt la reprise du processus avec la rédaction d’un nouveau texte. Quoiqu’il en soit, le dialogue sera la seule issue. Car s’ils aspirent à la démocratie, les Togolais aspirent également à la stabilité et à une croissance économique à même d’être mieux partagée. Des éléments que le gouvernement actuel, soutenu, pour ces raisons, par les bailleurs de fond internationaux, n’a cessé de promouvoir et d’encourager par de nombreuses initiatives.
TOGO
RÉFORME CONSTITUTIONNELLE
Le dialogue comme seule issue
Un débat serein
© LOUIS VINCENT
D
LE PRÉSIDENT FAURE GNASSINGBÉ AU CONGRÈS DE L’UNIR LE 28 OCTOBRE 2017
L’UNIR en appel au respect de la légalité
COMMUNIQUÉ
Pour autant, Faure Gnassingbé a été réélu pour un troisième mandat, dans le cadre d’une Constitution qui le permet, le 29 avril 2015, avec 58,75 % des suffrages exprimés, contre 34,95 % pour son principal adversaire. Une élection saluée dans son ensemble par le communauté internationale pour son caractère paisible, transparent et équitable. « Tant que le chef de l’État n’a pas fini son mandat, personne ne peut lui dire de partir, rappelle Payadowa Boukpessi, ministre de l’Administration territoriale. En outre, et c’est un point essentiel à rappeler, il n’existe pas de loi rétroactive en matière constitutionnelle ; c’est un principe universel. »
L’UFC réclame des réformes Le parti historique de l’opposition qu’est l’Union des Forces de Changement (UFC) ne dit pas autre chose. Le mouvement de
ans les discussions sur la réforme constitutionnelle, les membres et sympathisants du parti de la majorité, l’Union pour la République (UNIR), ont été parmi les premiers à se prononcer clairement en faveur des réformes constitutionnelles qui prévoient une limitation à deux du nombre de mandats présidentiels et un scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Le chef de l’État a justement été reconduit à la tête de ce parti, en octobre dernier, à l’issue d’un congrès statutaire organisé à Tsévié.
Gilchrist Olympio rappelle que le président de la République a été élu dans les règles et qu’il doit en conséquence achever son mandat. « Ce que nous voulons, c’est qu’il fasse des réformes et on verra après. C’est avec lui que nous avons signé l’accord de gouvernement et on ne peut pas lui demander de partir », explique Pierre Sambiani Jimongou, le secrétaire général de l’UFC. Objectif de cet accord ? Faire en sorte que le président et son gouvernement réalisent en profondeur des réformes politiques, économiques et sociales qui profiteront à toute la population.
La vie politique suit son cours À l’occasion du 25e anniversaire de la promulgation de la constitution de la IVe République, l’Université de Lomé (UL) a organisé un colloque afin de contribuer à l’enrichissement des débats sur la réforme. À son issue, le président de l’UL a recommandé que la future Constitution prenne également en considération un certain nombre de problématiques, comme
Des appels au dialogue venus du monde entier LE PORT AUTONOME DE LOMÉ
la moralisation de la vie publique, le Sénat et l’amélioration du code électoral. Il faut rappeler que le projet de réforme présenté en septembre à l’Assemblée modifiait l’article 52 de la Constitution, en limitant, fait nouveau, le nombre de mandats des députés à deux. En attendant de déterminer le contenu définitif des réformes et la manière dont elles seront adoptées, la vie politique et les scrutins qui l’accompagnent suivent leur cours. Des élections législatives et locales sont ainsi prévues en 2018, à des dates qui restent encore à déterminer.
La stabilité, l’autre impératif
L
e Togo, qui sort depuis quelques années d’une crise politique et sociale qui avait ralenti son développement, a aujourd’hui besoin de stabilité pour poursuivre les grands chantiers déjà engagés par le Président Faure E. Gnassingbé. En plus de toujours plus de démocratie, les togolais veulent la paix, du travail et une éducation de qualité pour leurs enfants, en somme, une meilleure qualité de vie. Autant de progrès qui demandent du temps. Au terme du mandat de l’actuel chef de l’État, en 2020, les électeurs seront appelés à se confier les clés de leur avenir commun au candidat de leur choix. D’ici là, tout doit être fait pour préserver les acquis.
La CEDEAO invite « l’opposition et le parti au pouvoir à continuer le dialogue et à réaliser ces réformes, qui sont une aspiration profonde du peuple », à travers des mesures qui comprennent un « mandat unique, avec renouvellement une seule fois (…) le mode de scrutin à deux tours » et « le vote de la diaspora ». Marcel Alain de Souza, Président de la Commission de la CEDEAO, septembre 2017 Le projet de réforme constitutionnelle est « une étape importante pour mettre le Togo en conformité avec les normes démocratiques ». Nous appelons « le gouvernement à fixer une date pour l’organisation du référendum » et encourag(eons) « l’opposition à saisir cette occasion pour faire avancer les réformes constitutionnelles. » Nous invitons également les deux parties à « poursuivre le dialogue (...) de manière pacifique, conformément aux aspirations légitimes du peuple togolais ». Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Union africaine (UA), Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (Unowas), 4 octobre 2017, communiqué commun « Les protagonistes doivent engager des négociations pour aboutir à des modifications constitutionnelles dont le processus est déjà engagé. » Alassane Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire, 24 octobre 2017 Les États-Unis encouragent « le gouvernement et l’opposition à engager un dialogue sans conditions préalables, ce qui est la seule solution à l’impasse actuelle ». Département d’État américain, 24 octobre 2017 « La France appelle à l’ouverture d’un dialogue immédiat qui doit mener aux réformes politiques attendues, en particulier la révision de la constitution prévoyant la limitation à deux mandats présidentiels et l’instauration d’un scrutin présidentiel à deux tours. Nous soutenons les initiatives régionales visant à établir le dialogue entre les différentes parties. » Ministère français des Affaires étrangères, 25 octobre 2017, Paris
Le dialogue comme seule issue
L’ÉDUCATION, UNE PRIORITÉ NATIONALE
Que l’on soutienne ou non le président en place, force est de reconnaître que le pays a fait des progrès ces dernières années, notamment soutenu par ses partenaires et les bailleurs internationaux. Tout n’est pas parfait, mais le développement d’un État sans grandes ressources et confronté à un environnement complexe est un parcours truffé d’obstacles. Plusieurs indicateurs prouvent pourtant que le pays est sur la bonne voie.
COMMUNIQUÉ
Des indicateurs « économie et entreprises » positifs ●
5 %, c’est le taux de croissance moyen du PIB du Togo ces trois dernières années, soit 2 fois plus que la moyenne africaine
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L’inflation n’était que de 0,9 % en 2016
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10 832 entreprises créées en 2015, contre 4581 5 ans plus tôt
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Le trafic global au Port de Lomé, modernisé, a été multiplié par 2 en cinq ans, le trafic conteneurs par 3
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Le premier technopole agro-alimentaire, PPP soutenu par la Banque africaine de développement, devrait bientôt être opérationnelle dans le nord du pays
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5000 logements sociaux par an au moins doivent être construits à l’horizon 2020.
Réformes et libertés : satisfecit des États-Unis L’économie n’est pas le seul secteur dans lequel le Togo performe. Le pays est en bonne voie pour obtenir une aide financière des États-Unis à travers le Millenium Challenge Corporation (MCC), un dispositif conçu pour réduire la pauvreté à travers une croissance économique durable dans les pays en voie de développement. Le Togo est déjà éligible au « Treshold » (le programme de seuil), première étape avant l’accès à des guichets qui peuvent atteindre des centaines de millions de dollars.
Remplir des conditions en termes de libertés Si les bénéficiaires du MCC peuvent recevoir des aides importantes, ils doivent auparavant remplir un certain nombre de conditions. Dans la nouvelle carte des scores publiée par cette institution, pour l’année 2018, le Togo compte douze indicateurs « au vert », parmi lesquels la maîtrise de la corruption, la liberté de l’information, les droits politiques, la liberté civile, l’investissement dans l’éducation ou encore le contrôle de l’inflation. Des résultats qui traduisent les efforts menés par le gouvernement pour maintenir le cap des réformes. Des progrès sont attendus dans la politique fiscale, l’accès au crédit ou encore les dépenses de santé.
LE SECTEUR DE LA SANTÉ AU CŒUR DES RÉFORMES
DIFCOM / DF - © J. TORREGANO/JA UNLESS OTHERWISE STATED.
TOGO
RÉFORME CONSTITUTIONNELLE
Prochaine édition
Abidjan
26-27 MARS 2018
Shaping the future of Africa
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LE PLUS
de Jeune Afrique
ENJEUX Ils vont enfin se parler
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EN DÉBAT Une démocratie locale dès 2018, est-ce crédible ? ÉCONOMIE Assainir sans étrangler SOCIÉTÉ Figures de style
TOGO
Sous l’arbre à palabres
ILLUSTRATION : DOM POUR JA
Révision constitutionnelle, décentralisation, contestation, dette publique, emploi : les dossiers chauds.
JEUNE AFRIQUE
N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
Le Plus de Jeune Afrique
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Prélude Georges Dougueli
Le paradoxe togolais
A
venue de la Paix. Ainsi a-t-on baptisé l’une des entrées reliant la capitale à son aéroport. Impossible de rater les nouvelles fresques en mosaïque des murs qui longent ses trottoirs, ni la colombe qui la surplombe. Visiblement inspirés par le célèbre psychologue français Émile Coué, des urbanistes ont cru qu’il suffirait de « totémiser » la paix pour l’enraciner. Bien essayé. Mais il en faut plus pour interrompre le cycle des manifestations dont la rue togolaise est coutumière. À Sokodé, à Lomé, par milliers, les contestataires descendent régulièrement dans la rue, éruptifs et déterminés, depuis qu’ils ont répondu à l’appel du nouvel homme providentiel, Tikpi Atchadam, le 19 août. Un festival de violences. Quelques morts, beaucoup de blessés. Mais aussi des bâtiments incendiés, des infrastructures dégradées et, plus largement, une dynamique sociale et économique enrayée. Les vieux démons sont de retour, dix ans tout juste après la levée de l’embargo par l’Union européenne (le 29 novembre 2007) et alors que le pays a commencé à profondément se transformer. La très regardante Fondation Mo Ibrahim classe en effet le Togo en deuxième position des meilleurs réformateurs en Afrique ces dix dernières années. Et nul ne peut nier qu’il a changé, selon un modèle économique construit sur plusieurs piliers : l’attractivité à l’égard des créateurs de richesse, le cadrage macroéconomique, la finance inclusive pour lutter contre la pauvreté et sortir de l’informel. L’investisseur et le touriste qui débarquent à Lomé sont surpris par la nouvelle aérogare ultramoderne et sécurisée, où a éclos la compagnie aérienne Asky, une belle réussite entrepreneuriale togolo-éthiopienne. Redevenue une métropole régionale de premier plan, Lomé attire les Béninois et les Ghanéens qui viennent volontiers y passer le week-end. Son port de transbordement est en plein essor. Elle accueille le siège social de plusieurs banques panafricaines, qui ne se plaignent pas du climat des affaires. JEUNE AFRIQUE
De réels progrès ont été enregistrés contre la corruption et pour renforcer les organismes de contrôle. Pour réduire la pauvreté, le gouvernement a lancé des programmes destinés à soutenir l’entrepreneuriat dans le monde rural… Sauf qu’il faut du temps pour que les réformes produisent leurs effets. Comme il faut des trésors de patience à un jeune au chômage ou en sous-emploi, de surcroît confronté à la vie chère, pour résister à la tentation du « dégagisme » aventureux. Dans un pays où l’âge médian est de 18 ans, l’état de séditieuse grogne est donc quasi permanent. Certes, Faure Gnassingbé aurait pu tirer meilleur parti du relatif état de grâce dont il a bénéficié ces dernières années, alors que sommeillait le volcan. Créé en avril 2012, l’Unir,lenouveaupartiprésidentiel,aattendu cinq ans pour tenir son premier congrès – les 28et29octobredernier.Cinqlonguesannées qui n’ont pas été consacrées à structurer le nouveau citoyen togolais. Cinq années de retard dans l’exercice de refondation doctrinale nécessaire pour contrer l’influence de ces générations d’opposants qui ont forgé leur conscience politique contre le régime de feu le général Eyadéma et perpétuent leurs méthodes avec son successeur. Ilauraitétéégalementjudicieuxdedonner corps plus rapidement aux promesses de réformes constitutionnelles et institutionnelles issues de l’accord politique global signé en 2006 au Burkina Faso. Grands perdants du statut quo, les opposants qui ont signé « la paix de Ouaga » y ont joué et ont, depuis, perdu leur crédibilité auprès de leur base traditionnellement radicale. En acceptant d’endosser le statut républicain de chef de file de l’opposition, Jean Pierre Fabre est lui aussi victime de ce désamour dont Tikpi Atchadam est le bénéficiaire. Au bout du compte, Faure Gnassingbé est condamné à l’exploit, en dépit des pulsions autodestructrices de son pays qui, tel Sisyphe, retombe dans ses travers, alors qu’il est tout près d’atteindre le haut de la colline. N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
ENJEUX Ils vont enfin se parler p. 76 Interview de Payadowa Boukpessi, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation p. 80 En débat. Une vraie démocratie locale dès 2018, est-ce crédible ? p. 82 Entretien avec Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’opposition, président de l’ANC p. 85 ÉCONOMIE Assainir sans étrangler p. 88 L’appui aux initiatives économiques des jeunes : un fonds et ses résultats p. 92 Tim Agro, l’or rouge d’Ismaël Tanko p. 94 SOCIÉTÉ Figures de styles Les nouvelles aspirations de l’univers du textile et de la mode en quatre portraits p. 96
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Le Plus de Jeune Afrique
PIUS UTOMI EKPEI/AFP
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ENJEUX
Ils vont enfin se Après plus de trois mois d’affrontements par manifestations interposées, les représentants de la majorité et ceux de l’opposition s’apprêtent à engager le dialogue. Indispensable pour sortir de la crise, sera-t-il suffisant pour calmer le jeu durablement ?
EDMOND D’ALMEIDA,
A
«
à Lomé
u bout d’un moment, tous ont fini par comprendre que ça ne pouvait aboutir qu’à un dialogue », lâche exaspéré un commerçant du célèbre carrefour Dekon, dans le centre-ville de Lomé. Depuis les premières manifestations d’envergure de l’opposition, en août, pour réclamer le retour à la Constitution de 1992 « dans sa version originelle » et le droit de vote pour la diaspora, les positions des uns et des autres s’étaient durcies, faisant craindre un embrasement de la situation. Aux manifestations à l’appel du Combat pour l’alternancepolitique(CAP2015,lirep.78),le3août,ont N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
Le président ghanéen apparaît désormais comme l’unique médiateur.
succédé celles, violemment réprimées, du 19 août, organisées par le Parti national panafricain (PNP) de Tikpi Atchadam (lire JA n° 2955, du 27 août au 2 septembre, p. 30),puis,àpartirdedébutseptembre, leurs hebdomadaires marches conjointes ont été suivies par le Groupe des six ainsi que par plusieurs autres formations politiques et de la société civile. L’opposition a cru pouvoir remporter la bataille en mobilisant des milliers de personnes dans les rues d’une dizaine de villes du pays, ainsi que dans quelques capitales africaines et européennes. Mais l’Union pour la République (Unir), le parti présidentiel, a pu elle aussi compter sur ses marées humaines pour tenir tête aux vagues contestataires de l’opposition. Très implantée sur l’ensemble du territoire, l’Unir dispose de moyens réputés importants, de milliers de fidèles militants prêts à envahir également les rues et d’une armée qui, depuis cinquante ans, est restée loyale à Gnassingbé Eyadéma (1967-2005), puis à son fils, Faure. « Les deux camps ont fini par se rendre compte de la nécessité de se parler pour éviter de perdre la face auprès de leurs militants respectifs », explique le politologue togolais Mohamed Madi Djabakate. Après avoir boycotté le vote du projet de réforme JEUNE AFRIQUE
PRÉSIDENCE.TG
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parler! constitutionnelle présenté par le gouvernement à l’Assemblée nationale mi-septembre (qui sera par conséquent soumis à référendum), l’opposition devait en effet tout mettre en œuvre pour obtenir des concessions et rassurer une base de plus en plus exigeante. APPARENTE FERMETÉ. Farouchement hostiles au
dialogue pendant deux mois, les leaders de la coalition d’opposition ont commencé, à la mi-octobre, à revoir leurs exigences à la baisse et à entrebâiller la porte des négociations. Mais, évidemment, « pas à n’importe quel prix », ainsi que le martèle Jean-Pierre Fabre (lire pp. 85-86). Le chef de file de l’opposition « exige » notamment « la libération des personnes détenues dans le cadre des manifestations et de l’affaire des incendies des marchés [de Lomé et de Kara, en janvier 2013], la levée de l’état de siège autour des villes de Mango, Bafilo et Sokodé, et la libération des imams ». Pour lui, les mesures d’apaisement prises par le gouvernement début novembre (dont la levée de son contrôle judiciaire, la libération de 42 personnes et la restitution de motos saisies) ne peuvent donner lieu à aucune contrepartie de la part de l’opposition. JEUNE AFRIQUE
Cette apparente fermeté du chef de file de l’opposition ne cache cependant pas que, en réalité, le principe du dialogue est déjà acté et intégré par les meneurs du mouvement de contestation comme étant l’unique voie de sortie de crise. Mais comment y aller sans perdre la face auprès de manifestants de plus en plus exigeants et radicaux, qui ont fini par oublier les principales revendications pour ne plus se focaliser que sur le départ du chef de l’État ? Comment espérer peser dans le dialogue, alors que quelques frictions au sein de la coalition commencent à apparaître au grand jour ? Que faut-il espérer de plus que ce projet de loi de « modification constitutionnelle » introduit par le gouvernement, qui semble convenir à la communauté internationale? Autant de questions qui rendent complexes les discussions engagées par les différents acteurs début novembre, en prélude au dialogue. OPTIMISTE. En attendant que l’opposition trouve
Marches à Lomé. À gauche, l’une de celles organisées contre l’exécutif, le 7 septembre. À droite, l’une de celles rassemblant les sympathisants du parti présidentiel, le 20 septembre.
la formule qui lui permettra d’obtenir le « maximum » de concessions de l’exécutif, c’est un Faure Gnassingbé visiblement serein et optimiste quant au début effectif du dialogue politique, qui, les 20 et 21 novembre, s’est exprimé lors des visites qu’il a effectuées auprès de l’Ivoirien Alassane Ouattara et du Nigérian Muhammadu Buhari, ses homologues de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), dont il assure la présidence jusqu’en février 2018, avec lesquels il a notamment parlé de la préparation du prochain N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
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Le Plus de JA Togo sommet de l’organisation (prévu le 16 décembre à Lomé) et de son pays. « Nous sommes confiants, nous souhaitons la paix au Togo. Nous sommes engagés dans cette voie », a pour sa part assuré le chef de l’État ivoirien, qui préconise de laisser Faure Gnassingbé mettre en œuvre les réformes institutionnelles qu’il a engagées. Au même moment (les 21 et 22 novembre), une délégation des 14 partis de l’opposition togolaise – représentés par Jean-Pierre Fabre, Tikpi Atchadam et Brigitte Adjamagbo-Johnson, la secrétaire générale de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) –, rencontrait à Paris le président en exercice de l’Union africaine, Alpha Condé. Dans la foulée, le chef de l’État guinéen, qui avait déjà reçu Faure Gnassingbé à Conakry mi-octobre, a envoyé son conseiller spécial Tibou Kamara à Lomé pour lui remettre un message personnel. Conforté par une communauté internationale dont la position n’a jamais changé depuis le début de la crise (appel au dialogue et au respect des institutions), le président togolais sait que, dans le bras de fer engagé par l’opposition, certains éléments plaident en sa faveur. Il a été réélu en 2015 au terme d’une élection saluée par les partenaires internationaux. Dès la fin août, il a fait préparer un texte, proposé en septembre, qui limite le nombre de mandats présidentiels et revient à un mode de scrutin à deux tours, comme le souhaitait l’opposition. Laquelle est en outre divisée sur l’éventualité de rendre ces dispositions rétroactives, ce qui serait difficilement envisageable et n’a de toute façon jamais prévalu ailleurs dans le monde. TENTATIVES. Après plusieurs semaines de cafouil-
lages, au début de la crise, entre les différentes tentatives d’apaisement (béninoise, guinéenne, ghanéenne), le président ghanéen Nana AkufoAddo fait désormais office d’unique médiateur entre les protagonistes togolais. Ses points forts sont, entre autres, sa très bonne connaissance de l’histoire de ses voisins togolais (il était ministre des Affaires étrangères en 2005, lors de l’accession
Les deux principales alliances anti-Faure Le Combat pour l’alternance politique (CAP 2015) • L’Alliance nationale pour le changement (ANC) • La Convention démocratique des peuples africains (CDPA) • Les Démocrates socialistes africains (DSA) • Le Pacte socialiste pour le renouveau (PSR) • La Convention démocratique des peuples africains (CDPA) • L’Union des démocrates socialistes (UDSTogo) Le Groupe des six • L’Alliance des démocrates pour de développement intégral (Addi) • Les Forces démocratiques pour la République (FDR) • Le Togo autrement • Les Démocrates • Le Parti des Togolais • Le Mouvement citoyen pour la démocratie et le développement (MCD)
au pouvoir de Faure Gnassingbé et de la crise qui a suivi) et sa proximité avec la majorité de ses acteurs politiques. Ses efforts semblent porter des fruits. C’est au lendemain de la visite éclair qu’il a effectuée à Lomé, le 5 novembre, que le gouvernement togolais a pris des « mesures d’apaisement » pour décrisper la situation et a annoncé l’ouverture d’un dialogue politique. Nana Akufo-Addo venait alors présenter à son homologue togolais les premières revendications des leaders de l’opposition qu’il avait reçus quelques jours plus tôt à Accra. Fin novembre, il a de nouveau souhaité rencontrer tous les acteurs politiques togolais en prévision de l’ouverture du dialogue proprement dit, qui devrait intervenir dans les tout prochains jours. Outre les responsables de la coalition, les anciens ministres Pascal Bodjona et François Boko ont également été reçus pour « apporter leurs contributions » afin de résoudre la crise et trouver des solutions durables. « EXIGENCES INCONCEVABLES ». Reste que, si le principe du dialogue est désormais acquis, très peu de points semblent faire l’objet d’un consensus. « L’opposition ne fait plus du départ immédiat de Faure Gnassingbé une exigence pour la sortie de crise », confie un cadre de l’Alliance nationale du changement (ANC). Mais la coalition réclame désormais la « mise en place d’un gouvernement de transition » jusqu’à la présidentielle de 2020, à laquelle Faure Gnassingbé ne serait pas autorisé à se présenter. « Des exigences inconcevables », selon la majorité, qui rappelle que, « tant que la loi n’empêche pas Faure Gnassingbé de se représenter, il reste l’unique porte-flambeau de l’Unir, qui lui a renouvelé sa confiance lors de son congrès du 29 octobre ». L’opposition fera ce qu’elle peut pour ne pas perdre la face. La majorité, elle, mettra tout en œuvre pour conserver le pouvoir. « Les discussions seront difficiles, prédit Mohamed Djabakate. Beaucoup de points, pourtant utiles et indispensables à un renouveau constitutionnel, seront certainement bradés au profit des réformes à visée électorale. »
DÉLICATE SÉLECTION
Q
ui participera au dialogue ? La question risque de poser bien des problèmes, car certains se sentiront forcément lésés au sein de l’opposition, qui plaide pour des discussions restreintes afin d’éviter que des formations dites satellites de l’Union pour la République (Unir) ne s’invitent et servent les N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
intérêts de la majorité présidentielle. Mais faut-il pour autant n’y convier que les partis représentés à l’Assemblée nationale ? Il est inimaginable aujourd’hui d’organiser un dialogue auquel ne participerait pas le Parti national panafricain (PNP) deTikpi Atchadam. Mais sur quels critères objectifs pourrait-on
y convier un parti extraparlementaire plutôt qu’un autre ? « Si le dialogue se passe au Parlement, on acceptera d’en être exclus. Autrement, nous ne serons pas d’accord », prévient GerryTaama, ex-candidat à la présidentielle et leader du Nouvel engagement togolais (NET). Certains suggèrent de désigner
un négociateur en chef, qui symboliserait l’unité de la coalition et porterait ses revendications face au pouvoir qui, lui, n’a toujours pas montré de signes de division. Un conseil difficile à mettre en œuvre compte tenu de la méfiance qui prévaut entre les acteurs de l’opposition. EDMOND D’ALMEIDA JEUNE AFRIQUE
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Le Plus de JA Togo
Payadowa Boukpessi
Ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales
« Nous n’avons aucun intérêt à ce que la situation se dégrade et menace la paix »
P
lusieurs fois ministre sous Eyadéma (Commerce et Transports, puis Industrie et Sociétés d’État), Payadowa Boukpessi,63ans,aétélepremierministre des Finances de Faure Gnassingbé, dans le gouvernement d’Edem Kodjo, puis dans celui de Yawovi Agboyibo. Limogé en mars 2007, il n’est cependant jamais entré en conflit avec le chef de l’État. À l’issue des premières législatives pluralistes d’octobre 2007, il est réélu député du Rassemblement du peuple togolais (RPT, au pouvoir) – devenu Union pour la République (Unir) en 2012 – et préside la commission des finances de l’Assemblée jusqu’en 2013. Très impliqué dans les activités du nouveau parti présidentiel, l’ex-grand argentier est alors nommé membre représentant l’Unir au sein de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) chargée d’organiser la présidentielle d’avril 2015. Le 28 juin suivant, il fait son retour au sein de l’exécutif, à la tête d’un portefeuille stratégique, compte tenu des promesses de campagne de Faure Gnassingbé pour faire avancer la décentralisation (lire pp. 82-83). Bien que réservé de nature, Payadowa Boukpessi est l’un des rares membres de l’exécutif à s’exprimer depuis le début de la crise sociopolitique. JEUNE AFRIQUE: Le pays est sous tension depuis plus de trois mois. Craignez-vous que la crise se prolonge encore ou que les violences explosent ? PAYADOWA BOUKPESSI : Je pense que
les Togolais savent que nous n’avons aucun intérêt à ce que la situation se dégrade, qu’il y a des limites à ne pas franchir et qu’ils doivent à tout prix préserver la paix, qui est notre richesse la plus précieuse. Nous sommes un petit pays (de moins de 56 800 km²), et la seule matière première que nous produisions, c’est un peu de phosphate, qui représente près de 40 % de nos recettes d’exportation. C’est cette paix qui nous a remis sur les rails de la relance économique et nous permet N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
aujourd’hui d’assurer notre développement, de rassurer les investisseurs et les pays de l’hinterland utilisant notre port, de recevoir des touristes, de servir de lieu de conférences, de créer davantage d’emplois, etc. Si elle est menacée, c’est l’avenir du Togo, celui de sa jeunesse, qui est hypothéqué. Certains opposants ont pourtant appelé à la « révolution »…
Quelques-uns lancent ce type d’appels. Mais le président est attaché à la paix et rejette tout ce qui peut la perturber. Il assure sa part de responsabilités, le gouvernement aussi. Nous espérons que l’opposition assume les siennes.
Certains opposants ne sont pas d’accord sur les critères qui ont prévalu lors du découpage, estimant que seul celui du poids démographique aurait dû être pris en compte. Ce n’est pas possible: l’un des principaux objectifs de la décentralisation est de rapprocher les habitants des services de base et des administrations locales. Cela ne sert à rien de passer à la décentralisation si la conséquence de celle-ci est que les populations se trouvent encore plus éloignées de ces centres et que l’on accentue davantage les disparités entre les régions ! Nous avons donc combiné les critères (démographique, géographique, sociologique, territorial, etc.), en faisant en sorte qu’aucun ne prenne le
On ne peut qu’être surpris par cette avalanche de critiques. Bien avant celle du projet de révision constitutionnelle, l’adoption de la loi sur la décentralisation, en juin, a suscité de virulentes critiques, selon lesquelles le découpage territorial avantagerait l’Unir, dont le bastion est le nord du pays, l’opposition enregistrant ses meilleurs scores dans le Sud, notamment à Lomé. Que répondez-vous ?
Lorsque le gouvernement de Selom Komi Klassou a pris ses fonctions [le 28 juin 2015], nous avons remis sur les rails le Comité technique pour l’élaboration de la feuille de route de la décentralisation et des élections locales. Les rapports définitifs de ce comité nous ont servi de base pour élaborer toute l’ossature de la réforme. Sachant que le président Gnassingbé voulait un processus inclusif, nous avons alors mis en place un Conseil national de suivi de la décentralisation, un projet de loi a été préparé, présenté et adopté par l’Assemblée nationale. Nous avons donc désormais 116 communes et 39 préfectures, en tant qu’autorités décentralisées, et 5 régions [voir p. 83].
pas sur l’autre. Dans la région Maritime, où les populations sont beaucoup plus concentrées, on a une commune pour 190 km², dans celle des Plateaux, une pour 550 km², dans la région Centrale, une pour 900 km² et dans celle de Kara [fief des Gnassingbé], une pour 580 km². Alors qu’à Lomé c’est une commune pour 5 km². Quand les municipales pourraient-elles se tenir ?
Nous y travaillons. Notre calendrier n’a pas changé, nos projections tablent sur juin ou octobre 2018, pour tenir compte de la saison des pluies. En attendant, le processus se poursuit. Les experts travaillent sur les textes préparatoires qui devront soutenir la décentralisation. Ensuite, la balle sera dans le camp de la Ceni. La Ceni devait également être réformée. Qu’en est-il ?
Nous avons saisi les partis politiques pour leur demander de désigner leurs représentants au sein de la Ceni [elle a JEUNE AFRIQUE
Sous l’arbre à palabres renforcement de l’unité nationale. Tout ce processus devrait aboutir à la réforme constitutionnelle. Mais, alors que le président avait souhaité que l’on aille vers une réforme en profondeur (conformément à l’une des recommandations de la CVJR), des leaders de l’opposition ont estimé que trois ou quatre points étaient plus essentiels à leurs yeux. Qu’à cela ne tienne, a donc dit le chef de l’État, et il a suspendu le travail en profondeur qui était en cours pour que l’on se concentre sur ces réformes qualifiées d’essentielles par les responsables de l’opposition. C’est ainsi que la réforme constitutionnelle qui prévoit la limitation du nombre de mandats du président de la République à deux successifs et le passage à un mode de scrutin à deux tours pour son élection, dont la lettre et l’esprit sont conformes à l’une des recommandations de la CVJR, a été préparée, adoptée par le Conseil des ministres [début septembre], et son projet de loi transmis à l’Assemblée nationale.
APRÉSENT POUR JA
Quel bilan faites-vous de l’évolution du pays ces dernières années ?
été installée en octobre pour un an, mais avec seulement 12 membres sur 17, car les 5 partis de l’opposition parlementaire – réunis au sein du Combat pour l’alternance politique (CAP 2015) – refusent de transmettre leur liste de candidats tant que la crise actuelle n’est pas résolue]. Notre gouvernement avait envisagé de la réformer, pour la rendre plus technique et moins dépendante des partis, mais, malheureusement, certains partis, notamment l’Alliance nationale pour le changement, ne souhaitaient pas qu’on la réforme. La concertation n’a donc pas abouti. Faure Gnassingbé préside le pays depuis 2005. Pourquoi avoir attendu douze ans JEUNE AFRIQUE
pour mettre les réformes institutionnelles et constitutionnelles à l’ordre du jour ?
L’explication est simple. En ce qui concerne la réforme constitutionnelle, l’accord politique global du 20 août 2006 prévoyait la mise en place d’instances, parmi lesquelles la commission Vérité, Justice et Réconciliation [CVJR], chargée de sonder les causes profondes des crises survenues entre 1958 et 2005, et le cadre permanent de dialogue et de concertation [CPDC]. Après trois ans d’intenses travaux, la CVJR a remis son rapport en avril 2012 au président de la République, qui, pour assurer la mise en œuvre de ses 68 recommandations, a créé un HautCommissariat à la réconciliation et au
C’est triste que certains veuillent souiller la vie politique togolaise. Parce que, en toute objectivité, le président Faure Gnassingbé a multiplié les initiatives qui ont permis de changer le pays. Non seulement le Togo a retrouvé ses lettres de noblesse, mais il est allé au-delà. Vous avez vu les rues ? On n’avait pas ce genre de rues, il y a quinze ans ! L’aéroport, le port, etc., tout a été rénové. Le chef de l’État a multiplié les initiatives pour lutter contre le chômage des jeunes [lire pp. 92-93], etc. Sur le plan économique, il a réussi à le transformer en un temps record. Auparavant, le 13 janvier [jour du coup d’État de Gnassingbé Eyadéma, en 1967, mais aussi de l’assassinat de Sylvanus Olympio, en 1963] était notre fête nationale et celle des militaires. Cette célébration a été supprimée. Le chef de l’État a par ailleurs fait rebaptiser des rues qui portaient des noms réveillant des souvenirs douloureux chez certains de nos compatriotes. Tout cela, ce sont des signes de réconciliation et d’ouverture qui vont dans le sens de la décrispation de la vie politique. On ne peut qu’être surpris par toute cette avalanche de critiques, car la volonté de réforme de la part du président était réelle. Et elle reste forte. Propos recueillis à Lomé par ANDRÉ SILVER KONAN N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
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Le Plus de JA Togo En débat
Une vraie démocratie locale dès 2018, est-ce crédible?
V
ingt-cinq ans après l’avoir inscrit dans sa Constitution, le Togo s’engage enfin vers la décentralisation. Le 23 juin, l’Assemblée nationale a adopté la loi portant création de 116 communes, à partir de laquelle vont se mettre en place un nouveau découpage du territoire et une nouvelle organisation administrative, mais aussi politique du pays. La création de ces communes, premier échelon de collectivités territoriales, est censée accélérer le processus de décentralisation et permettre l’organisation d’élections municipales, que le gouvernement envisage d’organiser dès 2018: un scrutin d’autant plus attendu que le dernier du genre remonte à… 1987! Le mandat des conseillers municipaux qui avaient été élus cette année-là ayant expiré en 1992, les villes togolaises étaient, depuis lors, dirigées par le corps préfectoral, ou par des délégations spéciales mises en place en 2002, y compris la capitale, Lomé – laquelle était d’ailleurs la seule du pays à avoir le statut de « commune » (lire p. 83). Inscrite dans la Constitution de 1992, dotée d’un cadre juridique en février 1998 et confirmée par une autre loi, en mars 2007, relative aux libertés locales, la décentralisation n’avait pourtant jusqu’à présent aucune existence concrète. Il était donc temps. Pourtant, cette réforme a suscité des tollés et contribué à faire monter la tension jusqu’à ce que, conjuguée au début des travaux de la commission chargée de proposer un projet de réformes institutionnelles et constitutionnelles, le 31 juillet, le climat ne dégénère… Pourquoi l’opposition qui, depuis des années, avait fait de la décentralisation et de l’organisation d’élections locales l’un de ses objectifs est-elle aussi hostile à cette loi du 23 juin ? Le texte a été adopté à 59 voix « pour », soit la quasi-totalité des élus du groupe de l’Union pour la République (Unir, majorité présidentielle), ceux de l’Union des forces de changement (UFC) et de Sursaut-Togo,
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malgré les protestations de l’opposition parlementaire (21 voix « contre »), qui, sachant que les prochaines législatives sont prévues mi-2018, y a tout de suite vu « une manœuvre électorale ». Pour le groupe de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), le projet de loi et son adoption sont un « coup de force » de l’exécutif, qu’il accuse d’avoir établi « un découpage inique » fondé sur des calculs politiques dans le but de contrôler le maximum de communes, dans des circonscriptions qu’il estime lui être favorables, au détriment d’autres territoires, qui risquent d’être sous-représentés. « Le gouvernement impose une fois encore le règne de la division et du tribalisme sous prétexte de mener une politique de décentralisation dans la perspective d’élections locales, au
demeurant hypothétiques », a déclaré Isabelle Ameganvi, présidente du groupe parlementaire ANC. Une position relayée avec virulence par le leader du Parti national panafricain (PNP), Tikpi Atchadam. « Cette loi amorce la désintégration du territoire national, prévient-il. Avec ce texte, la stratégie du “diviser pour mieux régner” vient d’être portée à ses limites les plus extrêmes. » Rejetant ces accusations, Payadowa Boukpessi, le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales (lire pp. 80-81), s’est évertué à expliquer que ces communes ont été créées « en tenant compte de la situation géographique, des aspects sociologiques et historiques, des potentialités économiques locales et des JEUNE AFRIQUE
Sous l’arbre à palabres
Un énorme défi d’ordre financier à relever, sur lequel le Premier ministre Selom Komi Klassou avait d’ailleurs insisté lors de la première réunion, en mai, du Conseil national de suivi de la décentralisation (CNSD). Pour le moment, un Programme de décentralisation et de gouvernance locale (Prodegol) a été mis en place. Il est doté d’un montant de 12,35 milliards de F CFA (près de 18,83 millions d’euros) financé, sur la période 2017-2021, par plusieurs bailleurs JEUNE AFRIQUE
de fonds, dont l’Union européenne (à hauteur de 14 millions d’euros) et la coopération allemande (5,5 millions d’euros). S’y ajoute la création du Fonds d’appui aux collectivités territoriales (Fact), déjà prévu par la loi de mars 2007, qui sera chargé de reverser aux collectivités locales les ressources financières nécessaires pour assurer les compétences qui doivent leur être transférées.
Car au-delà des débats relatifs au nouveau découpage territorial et aux futurs scrutins locaux, l’autonomie et le réel pouvoir de ces conseils municipaux, préfectoraux et régionaux dépendra évidemment des budgets dont ils disposeront et, dans un premier temps au moins, des transferts de moyens que l’État leur allouera… ou pas. GEORGES DOUGUELI et CÉCILE MANCIAUX
Exercice de redécoupage Le Togo compte 5 régions, chacune dotée d’un chef-lieu de région. Jusqu’à présent une seule localité avait le statut de « commune » : Lomé, la capitale (90 km², 840 000 habitants intra-muros), désormais 116 autres villes y accèdent. Dès que des municipales auront eu lieu, elles vont donc devenir des collectivités territoriales, dotées de la personnalité morale, de l’autonomie financière et gérées par une assemblée de conseillers élus au suffrage universel direct – contrairement aux services déconcentrés de l’État, administrés par des fonctionnaires nommés.
Chef-lieu Population régionale en millions d’habitants
0,828
Dapaong
16 communes
(35 000 habitants)
Savanes
8 470 km2
0,770
21 communes
Kara
11 538 km2
Kara
(110 000 habitants)
0,618
15 communes
Sokodé
(120 000 habitants)
13 182 km2
1,4
Centrale 1,8
Atakpamé
32 communes
(85 000 habitants)
16 975 km2
Maritime
50 km
Plateaux
32* communes 6 100 km
2
*Dont 12 pour l’agglomération du Grand-Lomé
Tsévié
(60 000 habitants)
LOMÉ
SELON DONNÉES CNSD ET DGSCN
aspects démographiques des préfectures concernées ». En décembre 2016, un atelier national sur la décentralisation avait été organisé avec l’appui financier du PNUD, auquel ont pris part plus de 200 représentants de partis politiques, du secteur privé, des partenaires techniques et financiers, de la chefferie traditionnelle, des préfets, des délégations spéciales, d’universitaires, de la société civile, etc. L’ex-Premier ministreAgbéyomé Kodjo, président de l’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (Obuts, opposition), reconnaît pour sa part que cette réforme constitue « une étape importante du processus de décentralisation auquel aspire le pays », mais regrette que le texte ait été adopté sans que la majorité cherche un consensus avec l’opposition parlementaire, compte tenu de l’importance du sujet et de l’aspiration de toutes les parties à faire avancer la décentralisation. Il déplore également « le nombre surabondant de communes créées », car cet « empilement des structures communales pourrait, en cette première phase, constituer un millefeuille administratif budgétivore dans la conduite de la politique de décentralisation engagée par le gouvernement ». Il va en effet falloir donner à ces communes et à leurs municipalités, au moins dans un premier temps, les ressources nécessaires pour assurer les compétences dont elles vont avoir la charge sur leur territoire. Sans parler de leur budget de fonctionnement. Or, plus elles sont nombreuses, plus cela sera ardu… D’autant qu’aux 116 conseils municipaux que lesTogolais devraient élire dès l’an prochain s’ajouteront ensuite les 39 conseils de préfectures (équivalents des conseils départementaux) et les conseils régionaux.
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Le Plus de JA Togo
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Jean-Pierre Fabre
Chef de file de l’opposition, président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC)
« Le rapport de force est toujours en faveur du peuple souverain, mobilisé et debout »
D
BAUDOUIN MOUANDA POUR JA
epuis qu’il est officiellement devenu le chef de file de l’opposition, statut qui lui a été conféré fin janvier 2016, le président de l’Alliance nationale pour le changement n’a rien changé à ses habitudes. Attaché à son image d’homme politique proche du peuple,Jean-PierreFabrearefusélavoiture avec chauffeur, l’aide de camp, le personnel de sécurité et les autres avantages y afférents. Il reçoit toujours ses visiteurs dans sa maison de Kodjoviakopé (quartier é té de populaire de Lomé), dont il a hérité mation, son père. Économiste de form l’ex-international de volley-balll fut pendant dix-huit ans le poulaiin del’opposanthistoriqueGilchrisst Olympio : chargé de communidu cation de l’Union des forces d changement [UFC] à sa création, en 1992, puis secrétaire général ndu parti, il remplace son men n tor, qui n’a pas pu déposer son dossier de candidature à cause d’un problème de santé, en tant que candidat de l’alliance de l’opposition à la présidentielle de mars 2010. Deux mois plus tard, la décision unilatérale d’Olympio de rejoindre la majorité débouche n sur la scission du parti et, en de octobre 2010, à la création d l’ANC. Aux législatives de 20013, 3, l’ANC remporte 19 sièges, supplantant l’UFC [3 sièges]. Et, à la présidentielle de 2015, Jean-Pierre Fabre réunit plus de 35 % des suffrages. Avec les membres du Combat pour l’alternance politique (CAP 2015, lire p. 78), depuis juin dernier, à l’approche des prochaines législatives (prévues mi-2018), il a lancé ses militants dans la rue pour exiger les réformes constitutionnelles et institutionnelles. JEUNE AFRIQUE : Que répondez-vous à la proposition de dialogue formulée par Faure Gnassingbé ? JEAN-PIERRE FABRE : J’ai toujours
manifesté à son égard une volonté claire d’évoquer les moyens de sortir de JEUNE AFRIQUE
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Le Plus de JA Togo la crise. Les discussions auxquelles vous faites allusion devraient régler définitivement les modalités relatives aux conditions de son départ effectif du pouvoir. Nous sommes disposés à en convenir avec lui. Fallait-il en arriver là pour que vous vous parliez enfin ?
Mes récentes tentatives pour le rencontrer, notamment mes lettres des 13 janvier 2016 et 13 janvier 2017, sont demeurées sans réponse. À l’époque, je voulais relancer avec lui le processus de réformes constitutionnelles et institutionnelles prévu par l’APG [accord politique global, signé en 2006], qui devait aboutir, entre autres, au rétablissement de la limitation du nombre de mandats présidentiels et à celui d’un scrutin à deux tours. Mais Faure Gnassingbé s’est obstinément enfermé dans son refus de mettre en œuvre ces réformes, sur lesquelles il s’était pourtant engagé depuis 2006.
Lire aussi Gilchrist Olympio se retire de la vie politique et demande à Faure Gnassingbé de ne pas se représenter.
Quelle a été la teneur de vos échanges avec le Guinéen Alpha Condé à Paris, les 21 et 22 novembre [lire pp. 76-78] ?
NousavonsremisauprésidentCondéun mémorandum sur la situation, porté par 14partis.Maisnoséchangessesontsurtout concentrés sur les mesures d’apaisement, dontlamiseenœuvredevraitpermettreaux discussions politiques de se dérouler dans le climat de sérénité qui leur est nécessaire. Ces mesures concernent principalement la libération de tous les prisonniers politiques, aussi bien ceux détenus dans l’affaire des incendies des marchés de Lomé et de Kara [en janvier 2013] que ceux qui ont été arrêtés lors des manifestations publiques pacifiques organisées par les partis d’opposition, y compris l’imam de Sokodé, enlevé à la tombée de la nuit à son domicile [l’imam, qui s’était rapproché du Parti national panafricain de Tikpi Atchadam, a été arrêté le 16 octobre]. Elles comprennent également la levée des inculpations arbitraires et fantaisistes qui
Mes échanges avec Alpha Condé ont porté surtout sur les mesures d’apaisement. Il n’a cessé de recourir à des subterfuges pour tenter de se soustraire à ses engagements, multipliant les ateliers, les commissions et les colloques, en torpillant au passage un projet et deux propositions de loi portant sur lesdites réformes. Résultat: aujourd’hui, excédé par les dérives, exactions et autres atermoiements orchestrés par le régime RPTUnir [l’ex-Rassemblement du peuple togolais, parti présidentiel, étant devenu Union pour la République en 2012], le peuple togolais souverain, massivement mobilisé sur l’ensemble du territoire national et à l’étranger, via la diaspora, descend régulièrement dans les rues pour exiger le retour à la Constitution de 1992, ainsi que le départ du chef de l’État. Cette exigence du retour à la Constitution de 1992 est-elle réaliste ?
C’est une revendication clairement exprimée par l’ensemble des populations togolaises et qui implique le départ de Faure Gnassingbé, lequel, au grand dam de ses concitoyens, perpétue un régime autocratique vieux de plus de cinquante ans. Quand il s’agit de leur liberté, les populations ne peuvent pas avoir de revendications irréalistes ! N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
frappent le chef de file de l’opposition – en l’occurrence moi-même – et toutes les autres personnes abusivement mises en cause dans l’affaire des incendies des marchés, ainsi que la levée de l’état de siège imposé dans certaines villes, comme Sokodé, Bafilo et Mango [où le chef de l’État a par ailleurs ordonné le retrait des militaires], sans oublier le rétablissement du droit à l’organisation, sans restrictions, de manifestations publiques pacifiques sur toute l’étendue du territoire togolais. Ces discussions se feront sans Gilchrist Olympio, votre ex-mentor…
Alors qu’il s’est érigé en fidèle allié du régime RPT-Unir depuis l’accord de gouvernement qu’il a signé en 2010, au prix de sa réputation et de sa popularité, même lui déchante et, aujourd’hui, se rallie aux exigences du peuple souverain en réclamant à son tour, au nom de son parti, l’UFC, le retour à la Constitution de 1992 et le départ de Faure Gnassingbé ! Que pensez-vous de son retrait de la vie politique ?
Qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. Malheureusement, par l’accord qu’il a signé le 26 mai 2010, Gilchrist Olympio
aura fait prendre du retard à la lutte de libération du peuple togolais et à son dénouement, qui s’annonce désormais. Il aura ruiné les efforts et les espoirs de centaines de milliers de nos compatriotes, en particulier ses militants et collaborateurs, qui faisaient sa force et sa notoriété. Aujourd’hui, M. Olympio semble mieux comprendre les objections et les mises en garde de ces derniers, eux qui sont constamment et au quotidien confrontés, sur le terrain, à la majorité et à ses sbires ! L’échec de son accord de gouvernement et la désillusion qu’il assume nous confortent dans notre attitude de fermeté. Alors que les rapports de force étaient en sa faveur, Gilchrist Olympio a tout concédé au pouvoir qui, en retour, l’a complètement dépouillé, affaibli et neutralisé. Je lui souhaite une bonne retraite. Celle des grands politiques, qui ne reviennent pas gêner par leur ombre leurs successeurs. Le rapport de force est-il le seul moyen de faire changer les choses ?
Lerapportdeforceesttoujoursenfaveur du peuple souverain, mobilisé et debout. Aucun pouvoir, fût-il absolu, ne sait lui résister quand il se lève pour prendre son destin en main. L’ampleur de la mobilisation, lors des manifestations de la coalition des forces démocratiques, depuis le mois d’août, montre que nous sommes sur la bonne voie. Naturellement, cette mobilisation se poursuit et doit s’amplifier. Voilà pourquoi nous demandons aux forces démocratiques de rester vigilantes, tant à l’intérieur du pays que dans la diaspora. Quelles sont les perspectives de sortie de crise ?
La crise est profonde. Notre peuple est meurtri, traumatisé, mais il reste debout, massivement mobilisé. Il ne tient qu’au régime en place de prendre en compte, sans louvoyer, l’intérêt général. Nous répétons que l’alternance et le changement favorisent l’instauration de la démocratie,del’Étatdedroitetdelabonne gouvernance, ainsi que la promotion du respect des droits de l’homme… Autant de valeurs dont le déficit est patent dans la gouvernance actuelle du Togo. Une fois ces principes et valeurs intégrés, il suffira de planifier les différentes mesures et actions à mettre en œuvre pour une sortie de crise réelle, significative et durable. C’est tout l’objet des discussions et des négociations attendues. Propos recueillis par GEORGES DOUGUELI JEUNE AFRIQUE
Le Plus de JA Togo DÉCRYPTAGE
Assainir sans étrangler L’inflation est maîtrisée, le déficit budgétaire contenu, la croissance soutenue. Reste à réduire l’énorme dette publique, que les investissements réalisés pour relancer la machine ont fait monter en flèche.
L
’
économie togolaise est à un tournant. Soucieux de redonner vie à un pays congelé par l’ostracisme international qui avait sanctionné son dictateur de père, le président Faure Gnassingbé avait appuyé à fond sur l’accélérateur des investissements publics dans les infrastructures. Les chantiers du port et de l’aéroport de Lomé, et de nouvelles routes, notamment, ont permis d’amortir les aléas conjoncturels liés à la chute des cours des matières premières et au ralentissement de la dynamique sous-régionale. De bonnes récoltes aidant, la croissance ne devrait pas tomber au-dessous des 5 % par an. La contrepartie de cet effort a été la dégradation du déficit budgétaire, qui a tutoyé les 10 % du PIB et, surtout, une montée en flèche de la dette publique. Celle-ci était tombée de 81 % à 17 % du PIB de 2007 à 2010, grâce à son allègement. Dès 2011, elle est repassée à 48,6 % et excède aujourd’hui les 80 %, soit le taux le plus élevé de l’Union
économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), qui en a fixé le maximum à 70 %.
de parvenir à un programme approuvé par le conseil d’administration de l’institution, le 5 mai. En échange d’une facilité de crédit de 241,5 millions d’euros sur trois ans, les autorités togolaises se BANQUEROUTE. L’alerte est d’autant sont engagées à réduire le train de vie plus grave qu’une partie de cette dette de l’État et à annuler ou à reporter les n’apparaissait pas, se dissimulant sous le vocable de « préfinancements ». Ce investissements les moins nécessaires. système triangulaire consistait pour Le budget 2017 tend à l’équilibre. Les « préfinancements » ne sont plus pral’État à accorder, de gré à gré, le marché tiqués et sont même en Dominique Strauss-Kahn verrait bien cours de remboursement. Objectif : réduire le pays redevenir la place financière la dette à 56,4 % du PIB la plus importante de la région. à l’horizon 2022. d’un chantier routier, par exemple. Une banque avançait les fonds à l’entreprise chargée des travaux, et c’était l’État qui remboursait la banque. Or si l’on additionnait la dette officielle, les « préfinancements » et l’importante somme des impayés, le budget togolais devait près de 1 milliard d’euros, et la banqueroute pointait à l’horizon. Le FMI s’en est ému, et les négociations avec le gouvernement ont permis
Tableau de bord macroéconomique Indicateurs
2013
2014
2015
2016
Moyenne 2013-2016
Projections 2017 2018
6,1
5,4
5,3
5,0
5,45
5,0
5,3
3,3
2,6
2,5
2,2
2,65
2,2
2,5
0,6
1,2
2,7
1,7
1,55
1,9
2,0
(En %)
PIB réel PIB réel par habitant Inflation (En % du PIB)
Investissements intérieurs
24,5
25,7
27,0
27,4
26,15
26,1
24,3
dont public
9,3
11,3
13,0
14,0
11,90
11,7
9,5
dont privé
15,3
14,4
14,0
13,4
14,28
14,4
14,8
Solde budgétaire global*
-5,8
-7,9
-7,8
-9,6
-7,78
-9,7
-3,6
Recettes et dons
21,5
20,5
21,9
21,7
21,40
24,7
25,2
Dépenses et prêts nets
26,6
27,3
30,8
31,4
29,02
33,5
27,9
Dette publique totale**
56,4
65,2
75,6
80,8
69,50
81,3
77,3
* À l’exclusion de la recapitalisation des banques ** Dont préfinancements, arriérés de paiement intérieurs et dette intérieure des entreprises publiques N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
SOURCES : AUTORITÉS TOGOLAISES ET FMI, MAI 2017
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EXPÉDIENTS. L’exercice est délicat.
Obliger l’État à se serrer la ceinture – alors que le président a promis de donner la priorité au développement économique et social au cours de son quinquennat (2015-2020) – risque de l’obliger à réduire les moyens qu’il comptait utiliser pour honorer cette promesse. Ce qui peut se révéler contreproductif au moment où des tensions politiques et sociales se multiplient. « Il est vrai que le Togo avait beaucoup investi, analyse Dominique StraussKahn, l’ancien directeur général du FMI, qui conseille le président Faure Gnassingbé. Mais, en renonçant à ces préfinancements et en mettant au point un plan de redressement, il a convaincu le Fonds qu’il était dans la bonne voie. Le Togo va s’en sortir. Évidemment, il disposera de moins d’argent en renonçant aux expédients antérieurs, mais il va recevoir nettement plus des bailleurs nationaux et multilatéraux convaincus de la viabilité de sa dette grâce à l’accord passé avec le FMI. » Banque mondiale (voie ferrée nord-sud), Banque ouest-africaine de développement (irrigation, routes), coopérations allemande, japonaise et française n’attendaient que ce moment pour rouvrir les vannes de leurs « prêts concessionnels » (à conditions bonifiées). Pour sa part, l’AFD pourrait décupler son apport, qui passerait de 8 millions à près de 80 millions d’euros JEUNE AFRIQUE
Sous l’arbre à palabres Initiative
Une belle énergie par an. La remise d’aplomb des comptes publics ne devrait donc pas avoir d’effet récessif. Reste que l’économie togolaise continue de reposer sur l’exportation de produits peu ou pas transformés, et que son agriculture (café, cacao, coton…) fonctionne massivement dans l’informel, de même que sa filière phosphates. Par ailleurs, le port de Lomé – le seul du golfe de Guinée qui soit naturellement en eau profonde – a été handicapé parce que le gouvernement a été l’un des rares de l’Uemoa à appliquer au transport routier une taxe à l’essieu, pénalisant par là même le Togo. « VIBRANT ». Comme dans beaucoup
d’autres pays africains, les moteurs de croissance (hors la dépense publique, en panne) n’existent guère. Il faut donc d’urgence diversifier l’économie et exporter plus de produits à valeur ajoutée. Le chef de l’État réfléchit au moyen d’y parvenir. Trois secteurs semblent prioritaires : l’agriculture, l’énergie et les télécommunications. Dominique Strauss-Kahn verrait bien le Togo redevenir la place financière la plus importante de la région qu’il a été jadis. « Il pourrait être une sorte de Suisse, car il est de l’intérêt de tout le monde que le centre financier régional soit dans un petit pays, cela rassure », déclare-t-il. Ce qui suppose que ledit pays conserve sa stabilité politique, un climat social relativement apaisé et que son climat économique demeure « vibrant », comme le qualifie avec admiration un expert étranger pour lequel « le Togo n’est vraiment plus le même pays qu’il y a dix ans ». Espérons que le budget, consacré à 46,8 % aux dépenses sociales, convaincra les Togolais de prendre patience, bien que la persistance de leur pauvreté et des inégalités commence à leur peser, à bon droit. ALAIN FAUJAS JEUNE AFRIQUE
B
asée à Lomé, Energy Generation œuvre pour que tous les Africains aient accès à l’électricité. Un cheval de bataille qu’ont enfourché moult politico-communicants sans que la situation ait radicalement évolué, diront les incrédules, surtout si l’on s’éloigne des néons (encore souvent vacillants) des quartiers branchés de nos capitales. Loin des projecteurs, l’association est passée à l’action dès sa création, début 2016, sous la houlette de sa présidente et fondatrice, Astria Fataki, 27 ans, Française d’origine congolaise. Son objectif : identifier des porteurs de projets et les soutenir pour qu’ils développent des solutions génératricesd’énergiequi soientabordablesetapplicables à grande échelle.
L’ i m p o s a n te v i l l a loméenne de l’association s’est donc muée en académie pour accueillir sa première promotion de 8 étudiants-entrepreneurs(sélectionnésparmi 40 candidats), venus du Ghana, de Guinée, du Cameroun, du Congo, du Tchad, d’Éthiopie, de Madagascar et du Togo. D’octobre 2016 à août 2017, ils ont suivi des cours pratiques et théoriques intensifs dans les domaines de l’énergie et de l’entrepreneuriat. Ils ont développé leurs prototypes et monté leurs plans d’affaires, sans se soucier du quotidien, leurs frais de logement et
de transports étant pris en charge. Un encadrement et un confort qu’Energy Generation a pu s’offrir grâce aux parrains qui se sont penchés sur son berceau, parmi lesquels la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), l’école d’ingénieurs burkinabè 2iE, le gouvernement togolais, ainsi que des opérateurs privés, dont la fondation Schneider Electric, Saber, GreenWish Partners, Asky, ou encore Solektra et la fondation Akon Lighting Africa, créées par l’homme d’affaires malien Samba Bathily, le chanteur américanosénégalais Akon et son compatriote Thione Niang. Pour motiver ses troupes, l’académie a créé un prix, dont les lauréats ont été désignés, en mai, parmi les étudiants porteurs des meilleurs projets. Hand Crank Power, de l’Éthiopien Abel Kidane (générateur à manivelle rechargeable sans électricité),
EcoDiesel, du Ghanéen Prince Essel (production de carburant à partir de déchets plastiques), et Hydro Power, duTogolais Lalle Nadjagou (groupe électrogène fonctionnant à l’hydrogène), ont ainsi décroché un coup de pouce financier supplémentaire (respectivement de 5 000, 3 000 et 2000 euros). Pourlapromotion20172018,quiafaitsarentréele 23 octobre, seuls 6 candidats ont été retenus, originaires du Bénin, duTogo, du Nigeria, de Zambie et de Côte d’Ivoire. Un numerus clausus qui doit permettre à l’association d’assurer un accompagnement encore plus rapproché de ses étudiants, tout en développant ses activités à l’étranger: elle prépare l’ouverture d’un second centre à Accra (Ghana) et compte en implanter dans d’autres pays subsahariens… De quoi donner de nouvelles chances aux bons génies locaux de mettre le continent en lumière. EDMOND D’ALMEIDA N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
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Moteur de la transformation logistique du Togo Bolloré Transport & Logistics s’engage durablement aux côtés du Togo. Nous investissons dans des infrastructures portuaires de premier plan et de nouvelles solutions logistiques multimodales pour satisfaire les besoins de nos clients et participer au développement économique du pays. NOS PRINCIPALES ACTIVITÉS AU TOGO : Manutention Conteneurs - Manutention conventionnelle - Supply Chain Freight forwarding - Logistiques Coton, Oil & Gas - Transit - Magasinage Transport & Douane - Consignation Maritime - Services Courrier Express Expertise Ferroviaire - Stockage d’énergie (Bluezones)
SC BTL-09/17
NOS FILIALES : BOLLORE TRANSPORT & LOGISTICS TOGO - TOGO TERMINAL - STCM LOME MULTIPURPOSE TERMINAL - SAGA TOGO - TOGOLINE
Tél. : (00228) 22 27 07 20 / 22 23 73 90 - Mail : btltogo@bollore.com - Site : www.bollore-transport-logistics.com
Communiqué
BOLLORÉ TRANSPORT & LOGISTICS
Une confiance durable en l’économie togolaise Les nombreux investissements de Bolloré Transport & Logistics dans des secteurs stratégiques font de lui un partenaire engagé, qui contribue au développement économique du pays.
DES INFRASTRUCTURES PORTUAIRES DE GRANDE QUALITÉ En 2011, Bolloré Transport & Logistics s’est engagé dans un ambitieux projet de modernisation du port de Lomé. Un investissement total de 300 milliards FCFA a été nécessaire pour permettre l’extension du terminal à conteneurs et sa modernisation. Selon Charles Kokouvi Gafan, directeur des activités de Bolloré Transport & Logistics au Togo « le terminal opère suivant les normes du code ISPS et a les meilleurs cadences grâce à un transfert de compétence réussi. Nous misons beaucoup sur les équipements de dernières génération mais aussi sur la compétence de nos équipes ». Le Togo développe ses infrastructures afin de faciliter le transport des marchandises et le transit vers les pays de l’hinterland, notamment le Burkina Faso, le Niger et le Mali. Pour Bolloré Transport & Logistics, l’objectif est d’atteindre assez rapidement un traitement annuel de 1.2 millions de conteneurs 20 pieds. UNE EXPERTISE UNIQUE AU SERVICE DES CLIENTS DU PORT DE LOMÉ ALomé, BolloréTransport & Logistics est présent sur l’ensemble de la chaine logistique. Il dispose d’équipes expérimentées pour le traitement de toutes les marchandises, à l’import comme à l’export. « Nos équipes prennent en charge l’ensemble des expéditions des clients, que ce soit des marchandises conteneurisées ou non. Nous assurons l’ensemble de la logistique et du transport depuis les usines ou magasin jusqu’à la livraison ou destination finale » explique Charles Kokouvi Gafan.
Togo Terminal Manutention Conteneurs Tél. : 00228 22 23 72 50 Mail : info@togo-terminal.com
Le door to door est une offre phare de Bolloré Transport & Logistics qui met son réseau mondial et son implantation dans 105 pays au service de ses clients qui passent par le Port de Lomé. « Notre parfaite connaissance du terrain, notre disponibilité 24h/24, 7j/7, nos engagements et nos process garantissent des prestations de qualité. Chez Bolloré Transport & Logistics, chaque client bénéficie d’une attention particulière et unique. » conclut le patron de Bolloré Transport & Logistics au Togo. ECO-DEVELOPPEMENT ET ENGAGEMENT SOCIAL Le Groupe Bolloré, maison mère de Bolloré Transport & Logistics, contribue au développement des infrastructures du pays, notamment avec le chemin de fer et les Bluezones. Grâce à l’électricité produite par des champs de panneaux photovoltaïques et stockée dans des conteneurs de batteries LMP (Lithium Metal Polymère) les Bluezones sont autonomes en énergie. La première Bluezone érigée à Cacavéli s’est rapidement imposée comme un cadre épanouissant pour la jeunesse. Une seconde Bluezone à Hanoukopé a été entamée à la demande du gouvernement togolais. Sur le plan social, le Groupe Bolloré et Bolloré Transport & Logistics se sont impliqués dans différents projets sociaux au Togo (construction de salles de classes, de hangars de marchés,…) afin de contribuer à l’épanouissement des populations locales.
Lomé Multipurpose Terminal Manutention Conventionnelle Tél. : 00228 22 23 73 50 Mail : infos@lome-multipurposeterminal.com
TOGO TERMINAL
Une fenêtre sur le monde Opérateur de manutention depuis 2001, Togo terminal est la principale porte d’entrée du Togo pour les géants de mer. Filiale de Bolloré Ports, il s’est récemment doté d’un nouveau quai, portant ainsi la longueur totale de quai à 950 mètres.
Opérationnel 24/24, ce terminal respecte les meilleurs standards internationaux et est équipé d’engins de manutention modernes, parmi lesquels des portiques de quai et de parc. Il est aussi doté de pont bascule et de pèse à l’essieu. Pour répondre aux exigences internationales, Togo Terminal s’est doté d’un scanner ultramoderne. Togo Terminal est aujourd’hui positionné comme l’un des plus performants de la sous-région.
Bolloré Transport & Logistics Togo Solutions Logistiques Tél. : + 228 22 27 58 78 Mail : btltogo@bollore.com
STCM Consignation maritime Tél. : + 228 22 27 84 76 Mail : stcm@bollore.com
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Le Plus de JA Togo ENTREPRENEURIAT
Sahouda Gbadamassi Directrice du FAIEJ
« Notre soutien est décisif car il rassure les banques » L’une des missions du Fonds d’appui aux initiatives économiques des jeunes est de donner à ceux qui ont des projets les moyens de les réaliser. Combien en ont profité? Et avec quels résultats?
C
omme tous les pays ouestafricains, le Togo est confronté à des taux de chômage et de sous-emploi élevés, qui touchent massivement les jeunes (lire encadré). Pour tenter de trouver des solutions, le gouvernement a, entre autres, créé le Fonds d’appui aux initiatives économiques des jeunes (FAIEJ). Opérationnel depuis 2013, ce dispositif a pour mission de faciliter leur insertion socio-économique, notamment via l’auto-emploi et la création d’entreprise, en les aidant à bien ficeler leurs plans d’affaires et à décrocher un prêt d’amorçage auprès des banques ou des institutions de microfinance. JEUNE AFRIQUE : Quel bilan faites-vous des activités du FAIEJ ? SAHOUDA GBADAMASSI : L’une
des plus belles réussites du Fonds est
certainement le crédit jeune entrepreneur [CJE]. L’État, à travers le FAIEJ, facilite l’octroi de fonds d’amorçage pour la création d’activités sous forme de CJE, un crédit à 4,5 % conçu et mis en place avec l’appui d’établissements financiers de référence tels que l’Union togolaise
elon les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques et démographiques (Inseed) pour la revue globale à mi-parcours de la Stratégie de croissance accélérée et de promotion de l’emploi (Scape) 2013-2017, le chômage au Togo est passé de 6,5 % en 2011 à 3,4 % en 2015. Un taux étonnement faible, inférieur à celui de référence, de 4 %, fixé par les économistes pour les pays en situation de plein-emploi, ce qui est loin d’être le cas du Togo. N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
Y a-t-il une véritable implication de l’État, notamment budgétaire, en faveur de l’entrepreneuriat des jeunes ?
De 2013 à 2016, 1350 promoteurs ont bénéficié d’un crédit jeune entrepreneur. de banque [UTB], Orabank et des institutions de microfinance, dans chaque région du pays. De 2013 à 2016, le CJE a contribué au financement de 1350 projets de jeunes entrepreneurs – l’objectif est d’en atteindre 1 500 à la fin de 2017 –, pour un volume de 2,3 milliards de F CFA [3,5 millions d’euros], qui ont débouché
SOUS-EMPLOI, LE CÔTÉ OBSCUR DE LA FORCE DE TRAVAIL
S
sur la création de 3 800 emplois. Le guichet technique du FAIEJ accompagne les lanceurs potentiels de microentreprises afin de mesurer et de minorer le risque crédit. Cet encadrement est un élément décisif, car il rassure les établissements financiers partenaires, qui acceptent de financer la microentreprise dès son démarrage. Ce guichet a déjà guidé plus de 9000 jeunes, en les aidant notamment à développer leurs capacités techniques en matière de création d’entreprise, de gestion et de management.
À ce faible taux de chômage il convient en effet d’ajouter une situation de sous-emploi massive, qui touche particulièrement la tranche des 15-34 ans (révolus), lesquels représentent 35 % de la population. Un phénomène d’autant plus inquiétant que, si le taux de chômage a diminué, celui du sous-emploi, lui, a augmenté, passant de 22,8 % en 2011 à 24,9 % en 2015 (toujours d’après l’Inseed). Si on l’ajoute à celui du chômage, on arrive à un taux combiné de 28,3 % de jeunes sans
emploi décent ni revenu régulier… Des « sousemployés » qui travaillent le plus souvent à leur propre compte, vivotant pour la plupart de petites activités de maraîchage, de vente ou de services, à cause d’un manque de formation ou de l’inadéquation de celle-ci avec le marché du travail. L’objectif fixé en 2013 par la Scape et le Plan stratégique national pour l’emploi des jeunes (PSNEJ) est de réduire ce taux combiné à 24,3 % à la fin de cette année. CÉCILE MANCIAUX
L’engagement de l’État sur ce sujet est réel et permanent, aux côtés du FAIEJ mais aussi des autres mécanismes de promotion de l’entrepreneuriat des jeunes [dans le cadre du Programme d’aide au développement à la base, ou Pradeb, de l’Agence nationale de promotion et de garantie de financement des PME-PMI, soit l’ANPGF PME-PMI, du Fonds national de la finance inclusive (FNFI), etc.]. Outre les ressources qu’il accorde à ces dispositifs intervenant dans le soutien aux activités économiques des jeunes, l’État mobilise des bailleurs de fonds tels que la BAD, le Programme des Nations unies pour le développement [Pnud], la Banque mondiale, etc., ce qui, là encore, crée un effet de levier. En ce qui concerne la dotation du FAIEJ, l’État a mobilisé environ 2,8 milliards de F CFA depuis 2013. Quels sont les mécanismes d’intervention du Fonds ?
Ses actions s’articulent autour de trois composantes : l’identification et la structuration de la cible visée par le projet, la facilitation de l’accès au financement et l’accompagnement dans la réalisation dudit projet. Pour cela, le FAIEJ s’appuie sur des opérateurs, experts dans leurs JEUNE AFRIQUE
Sous l’arbre à palabres
APRÉSENT POUR JA
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domaines sur les plans technique et entrepreneurial, qui aident le jeune promoteur à renforcer ses compétences en matière de création d’activité et à structurer son projet d’entreprise, dans le cadre de partenariats public-privé. Ces partenaires privés jouent un rôle prépondérant, est-ce aussi le cas des établissements financiers ?
Le partenariat public-privé est une absolue nécessité dans le cadre de la lutte contre le chômage des jeunes et, plus particulièrement, de notre stratégie de promotion de l’entrepreneuriat, inscrite dans une dynamique de création d’emplois. Les prestataires de services et les centres de référence en qualification métier informent, conseillent, accompagnent le jeune de façon à ce qu’il dispose des compétences techniques
nécessaires dans son secteur d’activité. Les institutions financières partenaires dans l’octroi du CJE apportent aussi leur savoir-faire pour le démarrage de l’activité de ces jeunes dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises [RSE]. Cela constitue un appui supplémentaire aux ressources publiques. Et c’est à cette condition que nous pouvons espérer voir émerger au Togo une nouvelle génération d’entrepreneurs qui, d’ailleurs, constitueront une clientèle privilégiée pour ces établissements financiers dans le futur. Les critères requis pour bénéficier de l’appui du FAIEJ ne sont-ils pas trop contraignants pour la plupart des jeunes chômeurs ?
La contrainte majeure pour le financement d’un microprojet, c’est la rentabilité. Dès l’instant où son projet est « porteur »
[c’est-à-dire réaliste, réalisable et viable], le Fonds accompagne le jeune dans sa création d’activité, la structuration de son projet, l’acquisition des qualifications métier nécessaires et, enfin, l’obtention d’un CJE auprès d’une banque ou d’un organisme de microfinance, qui décide en dernier ressort de financer ou non la microentreprise, le risque crédit étant porté à la fois par le Fonds et par l’institution financière partenaire. Donc, au contraire, le FAIEJ permet de lever nombre de contraintes pour un jeune entrepreneur. Il place justement ce dernier dans une dynamique de « promotion de lui-même » et de son projet… De quoi créer les conditions pour que la créativité et le talent soient valorisés et que les bénéficiaires du Fonds s’épanouissent, socialement et économiquement. Propos recueillis à Lomé par EDMOND D’ALMEIDA
Le Plus de JA Togo
Le jeune patron (en blanc) avec une partie de son équipe.
L’or rouge d’Ismaël Tanko Créé en 2014, Tim Agro a déjà installé sa marque de purée de tomates dans la sous-région et a multiplié son chiffre d’affaires par vingt en deux ans.
À
33ans,IsmaëlTankoaconscience d’être le porte-étendard d’une nouvelle génération d’entrepreneurs. L’heureux promoteur de Tim Agro et de sa petite conserverie spécialisée dans la purée de tomates n’en est pas peu fier. « Nous sommes passés d’un chiffre d’affaires de 400000 F CFA [environ 610 euros] pour 800 bocaux vendus lors de la campagne 2015-2016 à 9,1 millions de F CFA à l’issue de la suivante. Celle de 2017-2018 pourrait atteindre 53,3 millions de F CFA », se félicite Ismaël Tanko. Au vu des activités de distribution que Tim Agro a développées et de ses nouveaux marchés, son avenir est des plus prometteurs. Commercialisée sous la marque Timati, sa purée de tomates fraîches « sans additifs ni conservateurs » est déjà distribuée au Bénin, au Burkina Faso, au Mali, et devrait l’être prochainement en Côte d’Ivoire, au Niger, au Ghana, au Nigeria, au Cameroun et au Rwanda. « Nous voulons implanter des unités de production sur place pour mieux approvisionner nos clients, explique Ismaël Tanko. Notre objectif est d’être commercialement présents dans au moins 24 pays du continent d’ici à la fin de l’année 2019. »
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L’entreprise emploie huit salariés, en plus de soixante saisonniers et, outre sa production, a développé un service de distribution et de crédit alimentaire à travers lequel elle commercialise Timati et des produits de base d’autres marques (farine, lait, huile, conserves de légumes, sauces, pâtes, savons…), avec des formules destinées à trois types de clientèles définis selon leurs ressources (particuliers à revenus irréguliers, artisans et petits commerçants ; salariés et cadres ; responsables d’entreprises, d’institutions, et hôteliers-restaurateurs). PREMIERS PAS. « En 2012, les produc-
teurs de tomates du nord du pays ont été confrontés à des pertes massives de leur production, qu’ils ne réussissaient pas à écouler. J’étais convaincu qu’il fallait trouver un moyen de préserver ces récoltes et d’éviter ce calvaire à nos populations, déjà assez démunies », assure Ismaël Tanko. Alors que, pendant la saison des pluies, favorable aux cultures maraîchères, une bonne partie des récoltes restent sur les bras des producteurs (environ 30 % de la production de tomates chaque année) et que la surproduction entraîne une chute des prix sur les étals des marchés,
le reste de l’année, ce fruit très consommé devient rare et cher… Ismaël Tanko n’a pas hésité longtemps. Il a préparé son projet, financé les installations sur fonds propres et a lancé la production de son unité de conditionnement de pulpe de tomates en mars 2014. Il a bénéficié de crédits bancaires grâce au soutien, fin 2015, du Fonds koweïtien pour le développement (FKD) et, en 2017, du Fonds d’appui aux initiatives économiques des jeunes (FAIEJ, lire pp. 92-93). Mais, pour répondre à l’augmentation très rapide de la demande au Togo et dans la sous-région, l’entrepreneuradûrecouriràdeuxreprises à des financements participatifs, dont la majeure partie est venue de sa famille et de ses amis, que son cursus, son début de carrière et ses premiers pas de patron ont mis en confiance. Titulaire d’une maîtrise de gestion obtenue à l’université de Lomé en 2006 et d’un master en création d’entreprise de l’Université internationale de management des affaires de Sfax (UIMA), en Tunisie, Ismaël Tanko a été adjoint au directeur exécutif de l’Association des grandes entreprises du Togo (Aget, 2009-2012), puis directeur du Club de sport et loisirs de la British SchoolofLomé(ClubBSL)avantdefonder Tim Agro. En 2015, il a en outre bénéficié d’une formation complémentaire de six semaines en business et entrepreneuriat aux États-Unis, dans le cadre de la Young African Leaders Initiative, lancée par l’exprésident Obama. GEORGES DOUGUELI, envoyé spécial JEUNE AFRIQUE
SALIFOU-ÀPRÉSENT POUR JA
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Le Plus de JA Togo SOCIÉTÉ
Figures de style Designer, chef d’entreprise, mannequin, blogueuse… Ces Togolaises illustrent le dynamisme et les nouvelles aspirations de l’univers du textile et de la mode.
I
l suffit d’évoquer les célèbres Nanas Benz et leurs boutiques chargées de wax pour rappeler l’importance économique et culturelle des métiers du textile au Togo. Dans le sillage de ces commerçantes aussi prospères que hautes en couleur, dont le business est aujourd’hui repris par certaines de leurs filles et petites-filles, de nouvelles vocations émergent. « Les stylistes du pays commencent à se singulariser de manière remarquable dans le paysage ouest-africain de la mode », confirme le
journaliste David Baini Djagbavi, alias DBD, organisateur du T des médias (« T » pour la forme du podium), un défilé organisé chaque année depuis 2012 pour la Journée mondiale de la liberté de la presse et dont les mannequins ont pour particularité d’être exclusivement des professionnels des médias. « L’engouement manifesté par le grand public pour les défilés et la mode en général prouve qu’elle est bien ancrée dans la culture et les habitudes des Togolais », estime-t-il.
De leur côté, les professionnels sont parvenus à installer des événements internationaux tels que le festival Elima, dont la cinquième édition s’est tenue à Lomé du 2 au 5 novembre, avec des artistes africains ou européens ainsi qu’un pertinent mélange de jeunes stylistes locaux et de créateurs confirmés, comme la Togolaise Nadiaka ou les Ivoiriens Isabelle Anoh et Stéphane Mambo. Depuis 2016, Lomé a également sa Fashion Week, organisée par le styliste Fall Touré. Du 7 au 13 août, sa deuxième édition a rassemblé une trentaine de stylistes, qui ont mis à l’honneur les tissus africains (batik, kenté, kita, ndop, rafia, etc.) et en particulier la créativité des designers et de la filière textile du pays. Un secteur profondément redynamisé et modernisé, à l’instar de la mode togolaise, comme l’illustrent ces quatre portraits de femmes. EDMOND D’ALMEIDA
Marlène AdanlétéDjondo
38 ans, directrice commerciale de Glory of God
C’
est un flambeau familial qu’a repris, adapté et ranimé Marlène Adanlété-Djondo en rejoignant ses frères à la tête de Glory of God, société spécialisée dans la vente et l’import-export de pagnes. « Un business difficile, mais passionnant », reconnaît-elle. Après l’obtention d’une maîtrise de droit social (université Paris-XI) et d’un master en management des ressources humaines à l’Institut supérieur de gestion du personnel de Paris, Marlène Adanlété-Djondo a été chargée du recrutement des fromageries Bel, puis chasseuse de têtes au sein du cabinet Antenor. En 2010, deux ans après son retour auTogo, elle rejoint l’entreprise familiale en tant que directrice commerciale. En digne petite-fille de Nana Benz, N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
SALIFOU/APRESENT POUR JA
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motivée par sa passion pour le wax et son sens des affaires, elle lance dès 2013 une nouvelle marque de textile, Wina Wax. « Avec mes frères, j’ai souhaité proposer à nos clients, qui sont de plus en plus jeunes, des modèles de pagnes modernes, chics et originaux, dans une vision panafricaine et internationale, et des tissus de haute
qualité », rappelle-t-elle. Les collections de Wina Wax sont dessinées par une équipe de designers auTogo et distribuées dans une dizaine de pays sur le continent, notamment au sein des boutiques de la marque à Lomé et, depuis fin 2016, à Dakar. Faute d’unité de production locale, les pagnes sont produits en Chine, mais,
face au succès de Wina Wax, l’entreprise compte ouvrir un atelier de production dans la capitale togolaise, où elle développera aussi une gamme de prêt-à-porter et d’accessoires. De quoi réagir vite aux tendances et aux demandes d’« un marché aussi turbulent que prometteur ». E.D.A. JEUNE AFRIQUE
Sous l’arbre à palabres
APRESENT POUR JA
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Bezem Kassan 34 ans, designer textile
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lle vivait à Londres depuis des années quand elle a choisi de venir s’installer au Togo, le pays de son père. Et c’est avec l’objectif de « donner une touche particulière à l’univers de la mode auTogo », mais aussi d’approfondir l’approche graphique de ses créations, que la jeune femme a posé ses valises à Lomé début 2016. Née en Russie en 1982 d’une mère française et d’un père médecin psychiatre originaire de la région de Kara (nord duTogo), Bezem Kassan a grandi à Paris, où elle a obtenu son diplôme des JEUNE AFRIQUE
métiers d’arts (université de Paris-Est-Marne-laVallée) et s’est lancée dans la création de costumes historiques pour le cinéma avec sa meilleure amie, Mai Lan Chapiron, métisse franco-vietnamienne. En 2000, elles lancent leur marque, Bezemymailan. Le duo de créatrices confectionne alors nombre de costumes pour le collectif de réalisateurs Kourtrajmé, dont le frère de Mai Lan, Kim Chapiron, est membre. Elles habillent des stars, parmi lesquelles Monica Bellucci, Vincent Cassel et Les Nubians – célèbre
groupe de musique formé par deux sœurs, elles aussi métisses, mais franco-camerounaises –, reçoivent le soutien financier de la société Hermès… Alors que leur griffe est devenue « culte », les deux amies mettent fin à leur collaboration en 2003, Mai Lan souhaitant se consacrer à sa carrière de chanteuse (son dernier album, Vampire, est sorti cette année) et Bezem à la création de costumes. En 2006, celle-ci décroche un contrat avec le Royal National Theatre de Londres, dont elle habille les comédiens pour une importante
production. Elle emménage à Brixton (quartier sud de Londres) et y ouvre un atelier, tout en faisant des séjours de plus en plus fréquents auTogo. Depuis son installation à Lomé, l’hyperactive designer partage ses journées entre les chantiers de ses clients, disséminés un peu partout dans le pays, et son atelier loméen, Ni vu ni connu, qui confectionne des vêtements et des accessoires, mais aussi des éléments de décoration (notamment pour les hôtels), de la literie ou encore des salons, destinés au marché
local et à l’exportation. Ce sont des pièces uniques ou réalisées en séries limitées, caractérisées par des lignes graphiques, un style toujours sophistiqué, très contemporain, et des touches de couleur parfois insolites. « La fusion des traditions africaines et asiatiques donne quelque chose d’assez original », résume Bezem Kassan. La créatrice, qui a beaucoup voyagé, s’inspire d’influences ethniques et culturelles extrêmement diverses, qu’elle a décidément l’art de (mé)tisser comme nulle autre. E.D.A. N 0 2969 • DU 3 AU 9 DÉCEMBRE 2017
Le Plus de JA Togo
Fatima Simpore 19 ans, mannequin
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lle a fait ses premiers pas sur les podiums il y a quatre ans et, depuis, sa passion pour le « T » des podiums va crescendo. Née auTogo de père burkinabè et de mère togolaise, Fatima Simpore jongle entre le lycée et le mannequinat. Mais elle espère devenir top-modèle et n’hésite pas « à faire des sacrifices pour réussir ses études et signer un bon contrat ». Déjà habituée aux spots togolais et béninois, elle a été remarquée par une agence et a défilé au Festival international de la mode africaine (Fima) 2016, au Niger: « Une expérience unique », confie-t-elle. Du haut de son mètre quatre-vingts, sculpturale, la démarche assurée – et modelée par le coach personnel qui l’assiste depuis un an –, la jeune fille séduit les professionnels et les fans de mode. Ni les cachets, d’environ 200 euros par défilé, ni la mauvaise image qui colle au métier dans les milieux conservateurs en Afrique n’entament sa détermination à poursuivre sa carrière, si possible jusqu’au « top ». E.D.A.
Bettina Codjie 23 ans, blogueuse de mode
«
A
u départ j’écrivais pour me détendre, mais vu l’engouement suscité par mon blog, j’ai été obligée de le professionnaliser et
APRESENT POUR JA
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j’ai misé sur les photos pour le rendre plus attrayant », explique Bettina Codjie, étudiante en licence d’expertise comptable à l’École supérieure d’audit
et de management (Esam) de Lomé. Interface dynamique, beaux clichés, rubriques bien organisées… Le Blog de Bettina, qu’elle a mis en ligne en dilettante il y
a un an, rebaptisé Golden Betty, enregistre en moyenne 500 visites par jour. Dès qu’elle aura obtenu son diplôme, la jeune femme compte investir dans « un véritable site professionnel ». Elle n’a pas encore fait assez de bénéfices pour dégager les fonds nécessaires au lancement du projet, qu’elle estime à 1 000 euros. « Les recettes publicitaires sont encore faibles, reconnaît-elle. Et faire une séance photo pour le site coûte cher à l’étudiante que je suis » – statut par ailleurs peu engageant pour les partenaires financiers. Mais Bettina Codjie sait qu’elle peut compter sur quelques stylistes qui lui font confiance pour rentabiliser « très prochainement » son activité. E.D.A.
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JEUNE AFRIQUE