Pdf ja 2987 du 8 au 14 avril 2018 gf tanger tetouan

Page 1

STRATÉGIE

ALGÉRIE Des maux et des remèdes

OCP SANS RIVAL SUR LE CONTINENT ?

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 2987 DU 8 AU 14 AVRIL 2018

Maroc

Le paradoxe du Nord

À l’ouest, Tanger, la perle du détroit, et sa petite sœur Tétouan, symboles d’une mondialisation heureuse. À l’est, Al Hoceima, longtemps grande oubliée du développement. Toutes trois forment désormais une seule région. Enfin un destin commun? Spécial 14 pages

ÉDITION MAGHREB & MOYEN-ORIENT

..

.. . .

. . .. .

. . . . .

.. .

. . .

.. .

France3,80€ Algérie290DA Allemagne4,80€ Autriche4,80€ Belgique3,80€ Canada6,50$CAN Espagne4,30€ Éthiopie67birrs Grèce4,80€ Guadeloupe4,60€ Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mauritanie 1 200 MRO Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 6,50 FS Tunisie 3,50 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2000 F CFA ISSN 1950-1285



Bien s’informer, mieux décider

RETROUVEZ

+ D’INFORMATIONS

EXCLUSIVES, + D’ANALYSES, + DE DÉBATS POUR MIEUX COMPRENDRE L’ACTUALITÉ POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE L’AFRIQUE.

ÉDITION DIGITALE Le magazine chaque semaine en avant-première L’actualité économique et politique du continent, des interviews exclusives et des dossiers sur les sujets-clés

Les hors-séries thématiques inclus Top 500 des entreprises africaines, Spécial Finance, l’État de l’Afrique

Accès illimité aux archives Tous les anciens numéros depuis janvier 2016

Une lecture optimisée sur smartphone, ordinateur et tablette

DÉCOUVREZ NOS FORMULES D’ABONNEMENT POUR LES ENTREPRISES & INSTITUTIONS CONTACTEZ-NOUS +33 (0)1 44 30 19 34 • mkt@jeuneafrique.com



GRAND FORMAT Pour tout comprendre de l’évolution d’un pays

Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larachee Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tangerr Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larachee Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tangerr Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larachee Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tangerr Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larachee Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tangerr Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larachee Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tangerr Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq Tétouan Larache Ouezzane Chefchaouen Al Hoceima Tanger Fahs-Anjra M’diq-Fnideq

MAROC

Le paradoxe du Nord À l’ouest, Tanger et sa petite sœur Tétouan, symboles d’une mondialisation heureuse. À l’est, Al Hoceima, longtemps oubliée du développement. Si toutes trois dorment désormais dans le même lit administratif, les premières finiront-elles par réveiller l’arrière-pays rifain? jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

77



Nadia Lamlili

Tanger-Pékin Express

80 ENJEUX

Quel Rif demain ?

84 Interview

d’Ilyas El Omari

ur la terrasse d’un riad en plein cœur du Grand Socco de Tanger, une jeune femme française, bohème chic, sirote son thé à la menthe. « Je vais installer mon cabinet de coaching personnel ici. Marrakech est devenue trop bling-bling, trop artificielle… Ici, c’est baba cool, mais ça bosse, c’est cosmopolite, et puis il y aura bientôt les Chinois! » À Tanger, cette jeune Française n’est pas la seule à se réjouir de l’arrivée prochaine des ressortissants de l’Empire du milieu. Sur les hauteurs d’Aïn Dalia, à 13 km au sud de la ville, le magnat marocain Othman Benjelloun, patron de BMCE Bank of Africa, a décidé d’édifier le plus grand projet chinois du pays, la Cité Mohammed VI-Tanger Tech, une future « Shanghai marocaine » dont le copromoteur n’est autre que le groupe chinois Haite et qui nécessitera, à terme, pas moins de 10 milliards de dollars d’investissements. Ce projet titanesque – la presse marocaine a émis quelques réserves quant à sa faisabilité – sera situé à proximité des principales zones industrielles de la région, de l’usine Renault-Nissan et du port Tanger Med. Les premiers coups de pioche sont même prévus dès ce troisième trimestre, promet l’homme d’affaires à JA. Ce dernier ajoute avec fierté que le projet devrait contribuer à faire renaître « la route de la soie » (cette initiative chinoise appelée One Belt, One Road qui vise à relier, par de nouvelles infrastructures, l’Asie, l’Europe et l’Afrique) et que cette dernière passerait par Tanger avant de rallier le reste du continent. « Nous prenons ainsi part à un projet d’envergure planétaire aux dimensions économique, commerciale et diplomatique, et nous devenons aussi acteur d’une initiative géopolitique plus globale, fondatrice d’un cadre de mondialisation nouveau que nous espérons plus équitable et bénéfique aux nations qui y participent », fait remarquer

S

celui dont l’histoire d’amour (et de gros sous) avec la Chine mériterait à elle seule tout un chapitre de l’histoire des relations sino-marocaines.

« Mille et Une Nuits »

Un Tanger international, une route du commerce et de la soie. Il n’en fallait pas plus pour déclencher chez les officiels marocains un storytelling digne d’un conte des Mille et Une Nuits, puisé dans une histoire jalonnée de conquêtes et d’épopées maritimes. Au XIVe siècle, alors que le Moyen-Âge obscurcissait encore l’Europe, un explorateur tangérois nommé Abu Abdallah Ibn Battuta fut le premier Marocain à fouler la terre chinoise et aussi, de mémoire d’Arabe, à en décrire les us et coutumes. Il y est arrivé sous la dynastie Yuan, probablement en 1345, après avoir traversé l’Égypte, la péninsule Arabique, l’Iran timouride, puis l’Inde du Nord et les îles de Sumatra et de Java. Dans son livre, Arrihla (« le voyage »), celui qu’on surnomme le Marco Polo musulman décrit, avec moult détails, les habitudes de cette civilisation chinoise où « les mets chauds sont servis dans des plats fins et colorés appelés “porcelaine” » et où « la soie est si abondante qu’elle sert à habiller les religieux pauvres et les mendiants ». Évidemment, ce n’est pas Tanger Tech qui a fait connaître ce globe-trotter. Plusieurs édifices de la ville portent son nom, et un festival, où l’on parle de voyages et de paix, lui a même été consacré. Mais au moment où le monde entier s’apprête à emprunter la route de la soie, l’aventure chinoise d’Ibn Battuta est devenue une sorte de romance que les officiels citent à souhait pour mieux positionner le Maroc quelque part entre l’Europe et l’Afrique. « Tout est parti de Tanger, tout doit repartir de Tanger », résument les Marocains. Non sans raison. Ni hao Tanger!

Président de la région Tanger-TétouanAl Hoceima

86 ÉCONOMIE

Tanger Med lancé à plein régime

90 Innovation

Lamiae Benmakhlouf, directrice générale de la société de gestion du Technopark de Tanger

92 Al Hoceima,

futur « phare de la Méditerranée »

93 En débat

Faut-il autoriser le cannabis à usage thérapeutique ?

Retrouvez nos pages société sur www.jeuneafrique.com

jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

79


Grand format MAROC

ENJEUX

Quel Rif demain? À l’ouest, Tanger, la perle du détroit, et sa petite sœur, Tétouan, riches et adulées. À l’est, Al Hoceima, pauvre et marginalisée. Si toutes trois forment désormais une seule région, elles n’ont clairement pas connu le même destin. Comment les unifier ?


FAHD IRAQI

L

e Rif a deux visages. L’occidental d’abord, symbolisé par sa capitale, Tanger, ville à la fois mythique et moderne. Son passé – multimillénaire, international, cosmopolite, sulfureux et intello – a fait de la « perle du détroit » le lieu de villégiature d’une jet-set internationale moins bling-bling et beaucoup plus « arty » que celle de Marrakech. Les écrivains et les jazzmen continuent de fantasmer le Tanger de la Beat Generation et de s’émerveiller du nouvel éveil économique et culturel de cette belle, endormie pendant plus de vingt ans jusqu’au début des années 2000. Car Tanger ne se coule pas douillettement dans la nostalgie de son histoire. Elle est résolument tournée vers l’avenir. Après l’avènement de Mohammed VI, qui a entamé une réconciliation avec la région – punie par Hassan II après la révolte de 1958-1959 –, la métropole du Nord est devenue le deuxième pôle industriel du royaume après Casablanca, et sa vitrine économique. Depuis 2000, l’État – et surtout le roi – ne lésine pas sur les investissements et les mégaprojets. Entre 2013 et 2017, la ville a bénéficié d’un plan de développement « intégré, équilibré et inclusif », Tanger Métropole, doté d’une enveloppe de 7,5 milliards de dirhams (660 millions d’euros). Et la métamorphose est impressionnante. L’agglomération dispose désormais de zones franches qui attirent chaque année des dizaines d’entreprises (Tanger Med Zones, lire pp. 86-88). Elle héberge la plus grande chaîne de production automobile du continent (celle du français Renault) et le premier parc de production d’énergie éolienne. Son complexe portuaire, Tanger Med, devenu le premier d’Afrique, concurrence directement son voisin espagnol Algésiras et, au port de Tanger-Ville, où mouillent déjà ferries, navires de croisière et de plaisance, la Tanja Marina Bay (la plus importante marina de luxe du pays) abrite ses premiers yachts et voiliers. À partir du mois de juin, une nouvelle aile de la gare de Tanger-Ville accueillera aussi les premiers trains de la ligne à grande vitesse (LGV) qui la reliera à Casablanca en deux heures vingt. Pourtant, le taux de chômage tourne encore autour de 11 % dans la capitale régionale et le dynamisme économique semble peu profiter à la population, en constante augmentation sous l’effet de l’exode rural. D’où la décision fin février du ministre de l’Intérieur marocain, Abdelouafi Laftit, de réfléchir à un programme complémentaire s’inscrivant dans le prolongement des projets de Tanger-Métropole et axé sur la promotion de l’emploi régional.

L’avenue Mohammed-VI, le long de la baie tangéroise.

DUBOIS/ANDIA.FR

Province oubliée

Tanger est en réalité l’arbre qui cache la forêt. En 2015, dans le cadre du nouveau découpage territorial, la région Tanger-Tétouan a fusionné avec la province d’Al Hoceima, l’autre visage du Rif – en l’occurrence le Rif central –, en grande souffrance. Al Hoceima est en quelque sorte le pendant pauvre de la péninsule tingitane (Rif occidental : TangerTétouan-Chefchaouen), la province oubliée. Les mouvements sociaux du Hirak, entre 2016 et 2017, l’ont cruellement montré. Le taux de chômage officiel est de 16,3 %, celui de l’analphabétisme de 39 %. L’accès aux services publics se situe très loin en dessous de la moyenne nationale. Les 399 654 habitants de la province d’Al Hoceima, dont plus de 65,6 % sont des ruraux, ne disposent que de 39 établissements scolaires (dont sept sont privés), de 488 lits d’hôpitaux et n’ont aucune université. En octobre 2015, huit mois après la promulgation de la loi instaurant le nouveau découpage territorial et créant donc la région

jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

81


Grand format MAROC

Tanger-Métropole

La deuxième puissance économique du pays 10 % du PIB

FahsAnjra

94,32 % urbains

million d’habitants

M’diqFnideq

TangerAssilah

Tétouan

TangerTétouanAl Hoceima

72,31 % urbains

34,37 % urbains

550374

habitants

Tétouan

Al Hoceima

19 % des

RabatSaléKenitra

399 654 habitants

30 %

MarrakechSafi

Chefchaouen

des IDE

Plus de 80 % des salariés de l’industrie sont issus d’autres régions

DrâaTafilalet

SoussMassa

Al Hoceima Ouezzane

Oriental

CasablancaSettat Béni MellalKhénifra

exportations Larache

FèsMeknès

GuelmimOued Noun LaayouneSaguia el-Hamra

3,56 millions d’habitants

150 km

Soit 10,2 % de la population du pays DakhlaOued ed-Dahab

Tanger-Tétouan-Al Hoceima, l’État lançait Al Hoceima, phare de la Méditerranée, un plan quinquennal de développement intégré ambitieux qui, jusqu’à ces derniers mois, n’a rien donné. D’où les troubles sociaux et l’ire de Mohammed VI. Des élus ont été limogés et le programme relancé (lire pp. 92-93). Dès l’an prochain, des centres de santé, des routes, des espaces sportifs seront construits et un nouvel essor agricole sera engagé. Mais en attendant, le Rif central souffre toujours. La province est enclavée, marginalisée, gangrenée par la contrebande et le commerce de haschisch – des problèmes sur lesquels les pouvoirs publics n’ont pas lancé de vraies réflexions (lire « En débat », p. 93). Ses habitants sont obsédés par l’idée de partir vivre ailleurs dans le royaume ou en Europe. D’ailleurs, l’économie d’Al Hoceima repose en grande partie sur les transferts d’argent des Marocains résidant à l’étranger.

Besoin de réconciliation

Au-delà des revendications socio-économiques, le Hirak a montré que le Rif central a un besoin viscéral de se réconcilier avec sa propre histoire et ses particularités, non dans une logique séparatiste, mais pour être enfin reconnu. Si les Rifains de l’Est dénoncent les retards du plan Phare de la Méditerranée, ils regrettent surtout que les projets ne soient pas pensés avec eux. Contrairement aux légendes dorées de Tanger, le Rif central, lui, vit encore à travers ses blessures et ses traumatismes. Ceux hérités de l’armée espagnole, lors de la guerre du Rif (1921-1926), dont les bombardements chimiques ont encore un énorme impact sanitaire aujourd’hui (c’est la région marocaine où il y a le plus de cancers). Puis ceux laissés par la répression de Hassan II

82

jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

TANGER-TÉTOUAN-AL HOCEIMA, UN NOUVEAU MODÈLE Aboutissement de la régionalisation avancée portée par Mohammed VI depuis 2000 pour insuffler une nouvelle dynamique de développement et de gouvernance, la loi de février 2015 a modifié l’organisation du Maroc, redécoupé en douze régions au lieu de seize. Conformément à la Constitution de 2011, elles

ont désormais le statut de collectivités territoriales et sont dotées d’un exécutif. Les élections régionales ont eu lieu en 2015. TangerTétouan forme depuis une seule région avec la province d’Al Hoceima – qu’un avant-projet, contesté par la société civile rifaine et par le Parti Authenticité et Modernité, avait d’abord rattachée à l’Oriental.

(1958-1959 puis en 1984) après, déjà, des mouvements de protestation contre la politique de marginalisation et de négligence du nord du royaume. De fait, jusqu’au début des années 2000, la région était abandonnée, livrée à elle-même et à ses champs de cannabis – dont la culture a été relativement tolérée après 1959. Plus généralement, les Rifains réclament aujourd’hui « plus de démocratie locale », ce qui a contribué à faire durer le Hirak en 2017. L’intégration d’Al Hoceima au duo Tanger-Tétouan aurat-elle un impact positif? Un bon signe: l’exécutif régional a été le tout premier du pays à mettre sur pied il y a un an son agence régionale d’exécution des projets (Arep), dotée d’un budget de 580 millions de dirhams. Aux élus de montrer qu’ils seront à la hauteur.

SOURCE : CONSEIL DE RÉGION, POUR 2017

1,07



Grand format MAROC

Interview

Ilyas El Omari

Président de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima

« Nous n’avons pas les mains libres pour développer nos projets »

Propos recueillis à TANGER par NADIA LAMLILI, envoyée spéciale

lyas El Omari reçoit au siège du conseil régional, installé rue des Amoureux à Tanger, dans un ancien local du consulat américain. Il préfère s’asseoir sur le canapé. « Je n’aime pas les bureaux, ni celui-là ni celui que j’ai à Rabat, au siège du PAM [Parti Authenticité et Modernité, dont il est le secrétaire général]. Et je choisis toujours un siège à côté de la porte, cela me rappelle que le pouvoir n’est pas éternel », philosophe le président de région en servant du thé à la menthe dans un service qu’il a acheté « de [sa] propre poche ». Natif d’un petit douar de la province d’Al Hoceima, ancien activiste de l’ultra­ gauche, Ilyas El Omari n’aime pas le pouvoir alors qu’il est au cœur de celui-ci. Homme d’influence auquel on prête de solides amitiés dans l’entourage du Palais, le patron de la première formation de l’opposition et deuxième force politique marocaine est à la fois direct et énigmatique. Facilement enclin à l’autocritique, il n’a pas la langue dans sa poche quand il parle des défaillances de la régionalisation avancée ou des erreurs de gestion du gouvernement, qu’il estime responsable de la crise née à Al Hoceima en 2016-2017.

I

région est devenue la deuxième puissance économique du pays, mais elle souffre de disparités socio-économiques : 34 % de la population est analphabète, 50 % à Chefchaouen. Dans certaines provinces, la

84

jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

HASSAN OUAZZANI POUR JA

Jeune Afrique : D’un côté, la flamboyante Tanger, de l’autre, un arrière-pays et un Rif centralenretard.Commentexpliquez-vous de tels déséquilibres? Ilyas El Omari : Vous avez raison. Notre

Le secrétaire général du Parti Authenticité et Modernité, à Rabat, le 1er avril 2015.


moitié de la population n’a pas accès à l’eau potable et, plus alarmant encore, le taux de chômage des jeunes caracole à 87 % dans certaines zones, comme à Ouezzane et à Al Hoceima. À cause du décrochage scolaire et du manque de formation professionnelle, ces jeunes sont une proie facile pour le jihadisme et l’immigration clandestine. Avant la nouvelle régionalisation, les disparités se situaient entre Rabat-Casa-Kenitra et le reste du pays. Maintenant, elles séparent le centre d’une région (sa capitale) et ses territoires. Ainsi, la province de Fahs-Anjra est restée à 100 % rurale et, alors qu’elle abrite le port de Tanger Med, seuls 1 % de ses jeunes travaillent dans la zone portuaire. Pourquoi ce décalage?

LES CLÉS DU BUDGET

(Plan de développement régional 2017-2022)

13,1 milliards de dirhams (1,15 milliard d’euros)

Pour 45 programmes : 23 relèvent des compétences propres de la région (8,09 milliards de DH) 22 des compétences partagées ou transférées (5,1 milliards de DH)

Lorsqu’il a décrété la création de cette province [en 2003], le gouvernement n’a pas accompagné son projet d’un plan de développement spécifique. Les investissements ont commencé à affluer, mais sans aucun programme de formation qui aide les jeunes locaux à accéder à l’emploi. Autre problème : jusqu’à présent, les provinces ne disposent pas encore d’une identité propre, c’est‑à-dire d’un tableau de bord de leurs potentiels naturel, humain et économique, qui doivent dicter la nature des investissements.

4 domaines d’intervention : Attractivité du territoire (12 programmes, 2,27 milliards de DH)

Que faites-vous pour mieux répartir la richesse?

Développement social (8 programmes, 2,5 milliards de DH)

Nous mettons en place cette identité. Pour créer le développement, il faut définir celle de chaque province. Tanger est une ville industrielle. Larache est surtout un territoire agricole, d’où notre projet d’agropole. Chefchaouen est adaptée au tourisme rural, Ouezzane à un tourisme culturel et spirituel. Tétouan est une ville méditerranéenne réputée pour sa tradition culinaire. Tout comme Al Hoceima, où l’on peut en outre attirer les amateurs de montagne en plus de ceux qui pratiquent la pêche.

Compétitivité économique (6 programmes, 6,62 milliards de DH)

Valorisation du capital matériel et immatériel (9 programmes, 1,8 milliard de DH)

Casablanca. Cette ouverture sur le numérique va nous permettre de construire une cité des médias, un peu comme celle de Dubaï, si ce n’est mieux. Nous avons donc besoin d’attirer les opérateurs téléphoniques, audiovisuels et des sociétés spécialisées dans le numérique. On a identifié un terrain de 30 ha en proche banlieue de Tanger, et les techniciens travaillent sur la maquette. Autre point important: le digital permettra de résoudre le problème de l’enclavement des régions, car il n’a pas besoin de transport terrestre ou maritime – un créneau idéal pour une ville montagneuse comme Al Hoceima. C’est pour cela que le problème ne concerne pas les infrastructures, mais la formation du capital humain. Lors des mouvements de contestation à Al Hoceima, vous avez dit que votre région n’avait pas les mains libres face à l’État. Pourtant, la régionalisation est entrée en vigueur en 2015…

Il y a une grande différence entre décider et appliquer. Le conseil de région n’a pas encore de prérogatives propres. Il n’est même pas membre de la commission régionale d’investissement – dont les projets se décident toujours à Rabat. L’an dernier, nous avons créé notre agence régionale d’exécution des projets qui, comme le veut la loi sur la régionalisation, est censée être le maître d’ouvrage du Plan de développement régional. Mais elle n’a encore aucun pouvoir. Aujourd’hui, en matière de gestion locale, le président d’une commune [maire] a plus de pouvoir que le président d’une région. Il donne des permis de construire, des autorisations d’ouverture de commerces, etc., alors que la région ne signe ni ne cosigne rien, y compris en matière de transport urbain ou de formation professionnelle, qui relèvent pourtant désormais de ses compétences. Alors quels pouvoirs avez-vous?

Tangerestdéjàunpôleautomobile,électronique et portuaire. Pourquoi vouloir aussi en faire une plateforme digitale, sachant que Casa est en avance sur ce créneau?

Le digital est sans frontières, comme Tanger, qui a un passé de ville internationale. C’est d’elle qu’est parti le grand voyageur Ibn Battuta [qui y est né en 1304] pour rejoindre la route de la soie, pas de

Nous n’en avons pas. Pour piloter un projet, nous devons signer une convention avec le département ministériel concerné, qui nous donne le droit d’agir. Dans quelques semaines, nous allons ouvrir un dialogue franc avec ces ministères (Industrie, Emploi, Tourisme, etc.), afin d’avoir enfin les mains libres sur les projets qui concernent notre région.

jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

85


Grand format MAROC

ÉCONOMIE

Tanger Med

lancéàpleinrégime


À la tête de la zone franche la plus dynamique du continent, la région est un véritable moteur de croissance pour le royaume. FAHD IRAQI

T

erritoire autonome en tant que « zone internationale » de 1923 à 1956, Tanger a très tôt bénéficié d’un statut spécial au sein du Maroc indépendant, du moins sur le plan économique. Dès 1963, un dahir (décret royal) lui a accordé un dispositif fiscal spécifique qui, à l’époque déjà, a constitué un levier pour bon nombre d’investissements. L’ouverture de l’économie du royaume, trente ans plus tard, a favorisé la création de la zone franche de Tanger, puis de celle de Tanger Med, alors que la ville n’avait jusque-là pas de véritable port de commerce. Deux projets stratégiques complémentaires engagés en 1999 et qui ont permis à la région Tanger-Tétouan d’effectuer une véritable mutation économique. Regroupées au sein de l’entité Tanger Med Zones (TMZ), cinq plateformes industrielles et logistiques (voir p. 88) constituent le poumon économique du nord du royaume. Outre l’historique Tanger Free Zone (TFZ) et sa petite sœur, Tanger Automotive City (TAC), on compte aussi une zone franche logistique, ainsi que Tétouan Shore, spécialisée dans les services offshore, et Tétouan Park, destinée aux industries légères et aux PME. Sans oublier Renault Tanger Med, également gérée par TMZ mais dont l’usage est exclusivement réservé au constructeur français.

Le complexe portuaire a traité 3,3 millions de conteneurs en 2017.

HOPE PRODUCTION/HEMIS.FR

Carotte fiscale

Plus de 750 entreprises sont installées dans ces zones, représentant un chiffre d’affaires de 5,5 milliards d’euros en 2017 et 65 000 emplois. Dans son classement annuel, la bible des investisseurs FDI Magazine (Groupe Financial Times) a classé TMZ première zone franche du continent et sixième au niveau mondial pour son potentiel et son attractivité. Elle ne manque en effet pas d’atouts. Avec une exonération de l’impôt sur les sociétés pendant les cinq premières années (puis un taux réduit à 8,5 %), en plus de la franchise de la TVA, des droits de douane et des frais de transfert de devises, la carotte fiscale est des plus alléchantes. Il y a surtout l’adossement au plus grand complexe portuaire du pays, Tanger Med, situé à l’intersection de flux maritimes majeurs et à proximité des marchés européens. Connecté directement à 174 ports mondiaux, ce complexe lancé en 2007 peut traiter 9 millions de conteneurs. Il en a géré 3,3 millions en 2017, soit plus de 51,3 millions de tonnes de marchandises (en hausse de 15 % par rapport à 2016). Son trafic passagers augmente aussi (+ 3 %), avec près de 2,83 millions de voyageurs en 2017 (pour une capacité de 7 millions par an).

jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

87


Grand format MAROC Un port et des zones d’activité

Cas d’école

L’attractivité de TMZ est amenée à se renforcer à la faveur d’autres grands projets structurants, à commencer par l’entrée en exploitation, prévue en juin, de la ligne à grande vitesse (LGV) Tanger-Casablanca (lire ci-dessous). L’extension du port, Tanger Med 2, sera entièrement achevée en 2019 et augmentera la capacité du complexe portuaire de deux terminaux à conteneurs et de 2 800 m de quai supplémentaires. Enfin, le projet de Cité Mohammed

Zone franche d’exportation de Tanger TANGER

10km

Zones franches

Complexe portuaire et logistique Tanger Med

Renault Tanger Med

Site exclusif

Tétouan Park

Tanger Automotive City

Tétouan Shore TÉTOUAN

VI-Tanger Tech (lire p. 91), à Aïn Dalia, permettra de développer le tissu industriel dans le sud de l’agglomération. Cette dynamique des zones d’activité de TMZ autour du complexe portuaire a permis à la région de se hisser dans le top trois des plus importants contributeurs au PIB du pays (10,1 %) et, selon le Haut-Commissariat au plan, son apport à la croissance est estimé à 0,8 %, le plus élevé après celui de la région Casablanca-Settat. Tanger Med est un véritable cas d’école d’émergence industrielle, et l’idée est de dupliquer son modèle de plateforme industrialo-portuaire dans d’autres régions du royaume, comme c’est le cas dans l’Oriental avec Nador West Med, à l’autre extrémité de la côte méditerranéenne marocaine, à deux heures de route d’Al Hoceima (lire pp. 92-93).

« Nous sommes en train de construire la ligne à grande vitesse [LGV] aux standards européens la moins chère du monde », se réjouissait Rabie Khlie, le directeur général de l’Office national des chemins de fer (ONCF), au lendemain du lancement de l’ultime série de tests sur la ligne Tanger-RabatCasablanca, prévue pour entrer en exploitation en juin. Ce projet, qu’il pilote depuis une dizaine d’années, n’a dépassé que de 15 % son budget initial, fixé à 20 milliards de dirhams (1,6 milliard d’euros). Pourtant, à quelques mois de l’ouverture de la ligne, l’ONCF n’a pas encore levé le voile sur son offre

88

ONCF

Gros enjeux pour grande vitesse

jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

La durée du trajet entre Tanger et Casablanca devrait passer de 4h45 à 2h20.

commerciale. « Elle est en cours de finalisation et répond à une nouvelle politique de services, un nouveau plan de desserte et un nouveau système d’information des voyageurs », affirme-t-on au sein de la compagnie, qui prépare activement

l’exploitation de cette première LGV. Les enjeux sont de taille. En réduisant le temps de trajet entre Tanger et Casablanca à 2 h 20, contre 4 h 45 aujourd’hui, elle devrait permettre de doubler le nombre de passagers (3 millions

actuellement) d’ici à 2021 – avec une marge d’exploitation supérieure à celle des trains conventionnels. Elle va également accélérer le développement le long du couloir reliant les deux premiers pôles économiques du pays, Casablanca et Tanger. La viabilité du projet à long terme repose aussi sur son extension : la grande vitesse n’ayant de sens que si elle relie des hubs distants de plus de 250 km, l’ONCF prévoit dans son schéma directeur un couloir atlantique TangerAgadir, pour atteindre ensuite les provinces du Sud, ainsi qu’un couloir maghrébin CasablancaOujda. F.I.

SOURCE : TANGER MED ZONES

Les infrastructures offertes par les cinq zones d’activité de TMZ ont incité de grands groupes internationaux à s’y implanter, la plupart entraînant dans leur sillage nombre de sous-traitants. Ainsi, le gigantesque site de Renault (1 milliard d’euros d’investissements) a influencé la création de la zone réservée aux équipementiers automobiles, TAC, qui est actuellement l’une des plus dynamiques de Tanger Med. Lancée en 2014, elle compte déjà une trentaine de compagnies, qui emploient plus de 2000 personnes. L’an dernier, Siemens y a ouvert une unité de fabrication de pales pour éoliennes (un investissement de 100 millions d’euros) et, en février, le groupe français aéronautique Daher, qui a été l’un des premiers à s’implanter à Tanger Med (en 2001), a confirmé son ancrage régional en y lançant un nouveau site de production dans lequel il a investi 15 millions d’euros.


OFFRE SPÉCIALE MAROC

Bien s’informer, mieux décider

RETROUVEZ

+ D’INFORMATIONS EXCLUSIVES, + D’ANALYSES, + DE DÉBATS POUR MIEUX COMPRENDRE

ÉDITION PAPIER

ÉDITION DIGITALE

L’ACTUALITÉ POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE L’AFRIQUE.

Abonnez-vous Ab dès dè aujourd’hui!

1 AN

600 MAD 6 MOIS

400 MAD 1 AN

47 NUMÉROS

945 MAD au lieu de 1 260 MAD, soit 25 % de réduction par rapport au prix de vente unitaire en kiosque

Pour les abonnements entreprises, merci de nous contacter au 0522 39 04 54 à renvoyer avec votre règlement à : SIFIJA - Centre Commercial Paranfa Ain Diab - 20180 Casablanca - Maroc

Je m’abonne à l’édition DIGITALE ■ 1 AN

au tarif privilégié de 600 MAD

■ 6 MOIS

au tarif privilégié de 400 MAD

Je m’abonne à l’édition PAPIER ■ 1 an - 47 numéros

au tarif privilégié de 945 MAD

Mes coordonnées :

Mlle

Mme

M.

Nom* : ............................................................................................................. Prénom* :

.....................................................................................................

Société : ....................................................................................................................................................................................................................................... Adresse* :

...................................................................................................................................................................................................................................

...........................................................................................................................................................................................................................................................

Code Postal* :

Ville* : .......................................................................................................................................

Pays* : ............................................................................................................. Téléphone mobile* : ................................................................................ E-mail* : ......................................................................................................... @........................................................................................................................ * Champs obligatoires.

Mon règlement : Je règle par : Virement bancaire BMCE Bank, Centre d’affaires MAARIF BIR Anzarane 22, Bd. Bir Anzarane, Casablanca, Maroc Compte n° 011780000065210000969945

Date et signature obligatoires

CODE : JA2987

BULLETIN D’ABONNEMENT

Jeune Afrique est une publication de SIFIJA, S.C.A au capital de 15 000 000 € au 57 bis, rue d’Auteuil, 75016 Paris, France - SIRET 784 683 484 00025. Conformément à la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès et de rectification aux données vous concernant en écrivant à abonnements-maroc@jeuneafrique.com

0522 39 04 54

abonnements-maroc@jeuneafrique.com

SIFIJA Centre Commercial Paranfa Ain Diab 20180 Casablanca - Maroc


Grand format MAROC

Lamiae Benmakhlouf

Directrice générale de la société de gestion du Technopark de Tanger

DR

Innovation

« Nous allons enclencher les mêmes dynamiques qu’à Casa » Propos recueillis par FAHD IRAQI

e Technopark est le modèle d’incubateur d’entreprises le plus réussi au Maroc. Après un large succès à Casablanca et à Rabat, sa société de gestion, Moroccan Information Technopark Company (MITC), a ouvert une troisième antenne dans le centre-ville de Tanger, qui héberge 50 compagnies innovantes dans les technologies de l’information et de la communication, de l’économie verte et des industries créatives. Cet incubateur, Lamiae Benmakhlouf le connaît comme sa poche. La « marraine des start-up marocaines » a en effet intégré la MITC en 2002, quelques mois après l’ouverture du Technopark de Casablanca, et y a gravi tous les échelons, tour à tour directrice administrative et financière, de l’opérationnel, et directrice générale adjointe en 2011 aux côtés d’Omar Balafrej, qu’elle a remplacé fin 2016. Elle a donc piloté les premières implantations régionales du Technopark, à Rabat en 2012 et, depuis 2015, à Tanger.

L

Jeune Afrique: Deux ans après sa création, le bilan du Technopark de Tanger est-il satisfaisant ?

Lamiae Benmakhlouf : Il faut le relativiser, car nous avons décidé de relever le défi de rendre opérationnel ce troisième incubateur, alors qu’une bonne partie des 6 500 m2 désormais exploités dans notre bâtiment était encore en chantier. C’est

90

jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

COMMENT LES PME CONTRIBUENTELLES AU DÉVELOPPEMENT RÉGIONAL ?

« Environ 80 % d’entre elles sont actives dans les TIC, les autres dans les technologies vertes ou les industries culturelles. Elles emploient 180 salariés, âgés de 30 ans en moyenne, et la plupart proposent des solutions à des besoins locaux, pour des hôpitaux de la région, des établissements scolaires, etc. C’est ce genre de dynamique que nous voulons développer. »

d’ailleurs depuis la livraison de la deuxième tranche, il y a six mois, que nous sommes passés d’une vingtaine d’entreprises à cinquante. Il nous reste encore 3 000 m2 à récupérer pour exploiter pleinement notre potentiel d’accueil, de 90 à 100 sociétés. Nous avons besoin de cette masse critique pour enclencher les mêmes dynamiques et synergies que celles qui existent à Casa. Travaillent-elles avec les grands opérateurs, notamment ceux installés dans la zone franche ?

À ma connaissance, ce n’est pas encore le cas. Mais nous ne ménageons aucun effort pour que cela se développe. En tant que facilitateur, le Technopark invite régulièrement l’association des sociétés de la zone de Tanger ou les chambres de commerce européennes pour les mettre en relation avec les compagnies qu’il héberge. Ce troisième parc a-t‑il pu tirer profit de l’expérience de ceux de Casablanca et de Rabat ?

Quand nous avons lancé la duplication régionale à Rabat, en 2012, nous disposions déjà de process fonctionnels et efficaces à Casablanca. Nous n’avons jamais cessé de les perfectionner, tout en créant une synergie et des collaborations avec les antennes de Rabat et de Tanger, qui disposent d’une équipe spécialisée dans le service client. Les fonctions de support comme les finances ou les achats restent, en revanche, centralisées à Casablanca.


Le modèle peut-il être dupliqué dans d’autres pays africains ?

Évidemment, d’autant que l’expansion du Technopark sur le continent constitue l’un des axes stratégiques de notre feuille de route 2017-2021. Nous sommes en train de mener notre première expérience du genre en Côte d’Ivoire. Il y a un an, une convention a été signée, en présence du roi Mohammed VI,

portant sur un partage d’expérience et d’accompagnement pour le démarrage du Technopark d’Abidjan. Ce dernier sera exploité par la partie ivoirienne, à laquelle nous apporterons notre expérience concernant les modalités de gestion, les instances de gouvernance et le montage juridique du projet. Nous espérons qu’il sera mis en place d’ici à la fin de l’année.

La cité du futur

Grâce à un partenariat entre BMCE Bank of Africa, la région et le chinois Haite, une ville intelligente va s’élever à Aïn Dalia.

NADIA LAMLILI

FADEL SENNA/AFP

Le 20 mars 2017, le roi du Maroc l a n ç a i t l e p ro j e t d e l a C i té Mohammed VI-Tanger Tech, une ville intelligente située à Aïn Dalia, à une quinzaine de kilomètres au sud de Tanger. Une superficie de 2 000 ha, 300 000 habitants à terme, 100 000 emplois créés (dont 90 000 pour les start-u) par 200 entreprises chinoises, qui investiront 10 milliards de dollars sur dix ans pour leur installation… Les chiffres donnent le tournis. « Il s’agit d’une cité industrielle, moderne, intégrée, durable, intelligente et connectée », explique Othman

Benjelloun, président de BMCE Bank of Africa. La banque du magnat marocain (deuxième fortune du royaume avec 1,7 milliard de dollars [soit près de 1,4 milliard d’euros], selon Forbes) porte le projet, avec le conseil de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima (TTAH) et le conglomérat chinois Haite, spécialisé dans l’aéronautique et l’automobile. À ceux qui doutent encore de la capacité de l’industriel de Chengdu à relever le défi, Othman Benjelloun rétorque que « le groupe Haite est à l’origine de ce projet inspiré des villes industrielles chinoises. Il en est un élément clé et il le restera. Même si un groupe privé ne peut, seul, assumer une telle responsabilité ».

Le roi du Maroc, le 20 mars au palais de Tanger, devant la future Cité Mohammed VI-Tanger Tech.

En décembre 2017, les trois partenaires ont créé la Société de développement Tanger Tech (SDTT), établie à Casablanca et dotée d’un capital de 500 millions de dirhams (44 millions d’euros), dont 100 millions apportés par la région. Dans un esprit de partenariat public-privé national et international, le tour de table de la SDTT sera élargi à d’autres investisseurs marocains et chinois, mais la participation de BMCE Bank of Africa sera maintenue à 20 % du capital – afin de mieux gérer les risques en cas de défaillance de l’un des autres actionnaires.

Route de la soie

Les plans de lotissement et les travaux de viabilisation des terrains (réseaux de voirie, d’électricité, d’eau potable) ont été réalisés, et le programme de la première phase (500 ha), en cours d’élaboration, sera livré fin juin, précise Othman Benjelloun, afin que les investisseurs chinois puissent démarrer les travaux nécessaires à leur installation au troisième trimestre de 2018. Parmi eux, le constructeur BYD, spécialisé dans les véhicules électriques, a signé un protocole d’accord avec le gouvernement le 9 décembre pour réserver 50 ha sur lesquels bâtir quatre usines – une pour les voitures, une pour les bus et camions, une pour les trains électriques et la dernière pour les batteries –, avec à la clé 2500 emplois. D’autres constructeurs ont déjà manifesté leur intérêt, parmi lesquels Dicastal, Giti, Lear et Yazaki. Ce qui est sûr pour le moment, c’est que Tanger-Métropole sera sur la nouvelle route de la soie chinoise.

jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

91


MOHAMED DRISSI K. POUR JA

Grand format MAROC

Le développement d’Al Hoceima doit désenclaver le Rif.

Le « phare de la Méditerranée » sort (enfin) du brouillard près la colère royale, l’heure est au travail. L’institution chargée du plan de développement Al Hoceima, Manarat Al Moutawassit (« Al Hoceima, phare de la Méditerranée »), dont le retard d’exécution avait entraîné le limogeage de plusieurs personnalités publiques en octobre et en novembre 2017, met les bouchées doubles. « Malgré les retards, le plan sera achevé dans les délais, c’est-à-dire en 2019 », assure Mounir El Bouyoussfi, directeur général de l’Agence pour la promotion et le développement du Nord (APDN). Cette agence, créée par Hassan II en 1996 pour désenclaver le Rif, gère directement les projets les plus importants du programme. Sa structure souple et surtout son expertise en matière de maîtrise d’ouvrage lui donnent une

A

92

jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

longueur d’avance sur les départements ministériels, ralentis par une bureaucratie pléthorique. « En un an, nous avons pu rattraper tout le retard constaté dans la réalisation de ce plan signé devant le roi en octobre 2015 », se félicite El Bouyoussfi.

Limogeages royaux

À la fin 2017, 4,6 milliards de dirhams (près de 409 millions d’euros) ont été engagés, sur un montant global de 6,5 milliards prévus. Ils concernent 580 projets, dont 30 % ont bel et bien été achevés. La marina d’Al Hoceima a ainsi vu le jour pour 140 millions de dirhams, ainsi que des terrains de football, des écoles, des routes rurales et des établissements de santé. Les travaux du théâtre et du conservatoire de musique sont également très avancés. De même pour le grand marché sous charpente du

À L’EST, LE RENOUVEAU

(Répartition des fonds alloués au programme) Mise à niveau urbaine et spatiale Environnement et gestion des risques

28 %

Religieux

16 % 1 %

14 %

Axe social

24 %

Infrastructures de base

17 %

Aspect économique

SOURCE : APDN

NADIA LAMLILI


village d’Imzouren, l’un des foyers de la contestation rifaine. Sentant l’épée de Damoclès planer au-dessus de leur tête, tous les élus locaux se sont mis au travail. Ils sont étroitement encadrés par la Cour des comptes – initiatrice de l’audit à l’origine des limogeages royaux – et le ministère de l’Intérieur, qui les convoque régulièrement pour faire le point sur l’avancement du plan de développement d’Al Hoceima. Mais, aussi salutaires soient-elles, ces infrastructures ne pourront désenclaver la région tant que la problématique de l’emploi ne sera pas résolue. À Al Hoceima, le chômage atteint 21,4 % en milieu urbain et 13,6 % en zone rurale selon les données officielles.

Entre les montagnes

Dans la périphérie de la ville, à Aït Kamra, une filiale de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) spécialisée dans l’aménagement, Med Z, a lancé une zone industrielle en 2010. Mais les entreprises qui s’y sont installées, essentiellement des PME (textile, agroalimentaire…), ne travaillent que dans la province et sa périphérie. Contrairement à Tanger, Al Hoceima est une zone entourée de montagnes. Il est donc très difficile d’y mener des projets industriels internationaux capables de combler les attentes en matière d’emploi. L e s re sp onsable s de la ville attendent cependant avec impatience la mise en service du port Nador West Med, un projet de 10 milliards de dirhams censé être opérationnel en 2021 et que les autorités présentent comme le deuxième complexe portuaire intégré après Tanger Med. Il sera édifié à 30 km de Nador, en face des principales routes maritimes estouest empruntées par les conteneurs et les produits pétroliers. Nador, qui relève de la région de l’Oriental, se situe à deux heures de route d’Al Hoceima (126 km). Les activités qui y sont prévues pourraient durablement sortir l’ensemble du Nord de son enclavement et de sa marginalisation économique.

L

e Parti Authenticité et Modernité (PAM, opposition) veut mettre un terme à l’hypocrisie. Le Parti de la justice et du développement (PJD, au pouvoir) dénonce un coup électoraliste. En 2015, des élus du PAM ont déposé une proposition de loi visant à légaliser le cannabis à usage industriel et thérapeutique. Pour affiner et promouvoir leur initiative, ils avaient au préalable effectué une tournée dans le Rif, région productrice et également fief électoral du parti. L’année suivante, Ilyas El Omari (lire pp. 84-85), le secrétaire général du PAM et désormais président de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima, est même parvenu à faire signer à l’université Mohammed-V une convention afin que le prestigieux établissement public réalise une étude sur les utilisations médicales et environnementales du kif. Depuis, la convention est au point mort. De même que la proposition de loi, qui n’a jamais été mise à l’ordre du jour au Parlement. « Le PJD s’y est opposé. Il a fait circuler l’idée saugrenue que nous voulions détruire le pays », déplore Abdelaziz Benazzouz, député PAM, corédacteur de la proposition. « C’est du bluff purement électoraliste, rétorque Abdelaziz Aftati, ex-élu PJD. Le cannabis est une activité de mafieux, s’il avait réellement des bienfaits, le Maroc serait devenu un grand champ de cannabis! » Un haut fonctionnaire proche du ministère de l’Intérieur estime que la légalisation du haschisch à usage industriel et thérapeutique engendrerait une « décontraction sociale » et propose de créer une économie alternative capable de sortir les Rifains de la pauvreté, d’autant que la surface cultivée a baissé de 65 % en dix ans, passant de 134 000 ha en 2003 à 47 196 ha en 2013. Pas de quoi monter une industrie. Le PAM en a désormais fait une question de droits humains et a élaboré une deuxième proposition de loi, NADIA LAMLILI demandant l’amnistie de tous les agriculteurs arrêtés ou en fuite pour avoir cultivé du cannabis – ils seraient 45000, selon le parti. « Les cultivateurs rifains vivent dans la psychose, plaide Benazzouz. Ils encourent de six mois à deux ans de prison. Ceux qui en profitent sont les barons de la drogue. » La légalisation permettrait aux laissés-pour-compte de vendre leurs récoltes en toute tranquillité à une agence nationale chargée de la distribution et de l’export. Pour poser des limites et garder le contrôle de la situation, le kif ne serait autorisé que dans les zones où toute autre culture est impossible.

EN DÉBAT

Haschisch et thérapie

jeuneafrique no 2987 du 8 au 14 avril 2018

93



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.