Pdf ja 2995 du 3 au 9 juin 2018 dossier energies vertes

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MAROC

PÉTROLE L’Afrique va-t-elle profiter de la hausse des cours ?

AU-DELÀ DU BOYCOTT

QATAR Comment l’émirat résiste à l’embargo

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 2995 DU 3 AU 9 JUIN 2018

CÔTE D’IVOIRE

Ouattara : « Je prendrai ma décision en 2020 » Présidentielle et éventuelle candidature, parti unifié, armée, Bédié, Soro, Gbagbo, Macron… Une interview exclusive du chef de l’État. ÉDITION INTERNATIONALE ET AFRIQUE SUBSAHARIENNE

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France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 €

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Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 4,80 €

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Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 7 FS Tunisie 3,50 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2 000 F CFA ISSN 1950-1285




BENOIT DOPPAGNE/BELGA/AFP

Dossier Énergies vertes

MAROC

Un royaume éclairé

Doté d’une vraie stratégie en matière de renouvelable, l’État a fait de l’entreprise publique Masen son bras armé. Objectif: couvrir plus de la moitié des besoins électriques du pays en 2030.

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Miroirs solaires de la centrale Noor, à Ouarzazate.

FAHD IRAQI, à Casablanca

R

êvons le Maroc en 2030. Les panneaux solaires et les éoliennes se fondent dans le paysage. De Tanger à Boujdour en passant par Guercif, Essaouira et Ouarzazate, les décors autrefois champêtres, voire désertiques, sont tapissés d’installations permettant de produire de l’énergie en exploitant des ressources renouvelables. L’électricité verte couvre désormais 52 % des besoins du pays, autrefois exclusivement dépendant des hydrocarbures et dont la facture d’importation grevait substantiellement les finances publiques. Si l’objectif de ce mix énergétique est devenu réalisable, c’est grâce à une stratégie menée à bien au long de deux décennies. Flash-back.

Tout commence le 2 novembre 2009. Hillary Clinton, alors secrétaire d’État dans l’administration Obama, est l’invitée de marque d’une cérémonie royale qui se tient dans la petite ville de Ouarzazate, à 250 km de Marrakech, connue pour son soleil, qui a séduit les plus célèbres cinéastes du monde. La responsable américaine assiste à la présentation, devant Mohammed VI, du plan solaire marocain. Un projet stratosphérique à l’époque, nécessitant des investissements de 9 milliards de dollars (plus de 6 milliards d’euros) et visant la production de 2000 mégawattheures à l’horizon 2020. Sept ans plus tard, c’est une autre femme, la ministre française de l’Écologie Ségolène Royal, qui est l’hôte de Mohammed VI pour l’inauguration de la première installation de ce parc

CROISSANCE EXPONENTIELLE ÉOLIEN

895 MW

installés en 2016

2 000 MW

installés en 2020 SOLAIRE

180 MW

installés en 2016

2 000 MW installés en 2020 SOURCE : MASEN

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Dossier Énergies vertes MAROC

Tanger

3000 MW EN PLUS D’ICI À 2020

Tétouan

100 MW 2019-2020

430 MW 2020

Taza

El Oualidia

150 MW 2018

36 MW 2018

Jbel Lahdid

Midelt

MAROC

200 MW 2020

180 MW 2018 800 MW 2018

Ouarzazate 422 MW 2018

Laayoune 85 MW 2018

ALGÉRIE

300 MW 2019-2020

Éolien Solaire Capacité

Boujdour 100 MW 2019 20 MW 2018

36 MW 2018

MALI

Date d’entrée en fonction

MAURITANIE

L’EXPERTISE DE L’AGENCE ATTIRE DES ACTEURS DE RÉFÉRENCE LORS DE CHAQUE APPEL D’OFFRES TELS ENGIE, ACWA POWER ET SIEMENS. 62

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solaire intégré. Des miroirs géants incurvés dits « cylindro-voltaïques », alignés à perte de vue dans le désert, constituent une première centrale (sur les quatre prévues) d’une capacité de 160 MW. « Mohammed VI a fait des énergies renouvelables l’un des chantiers fondamentaux de son règne, analyse un ancien du département consacré à ce domaine. Et pour le réaliser, il s’est appuyé sur un modèle qui fonctionne : une structure publique dotée de la marge de manœuvre nécessaire pour déployer cette vision stratégique. Plusieurs grands chantiers du royaume ont été menés ainsi : le port de Tanger Med, les plans d’aménagement de la vallée du Bouregreg ou de la lagune de Marchica… » Mohammed VI prend d’ailleurs soin de présider, une à deux fois par an, des réunions de travail restreintes pour suivre l’avancement de cette feuille de route du secteur de l’énergie. Des réunions où c’est le président de Moroccan Agency For Solar

SOURCES : MASEN ET NAREVA

Tiskrad

Energy (Masen), le groupe chargé de piloter les énergies renouvelables dans le royaume, qui rend compte devant le souverain, alors que les autres officiels (ministre de tutelle ou directeurs d’office) se contentent de leur rôle de facilitateurs au service de cette vision royale. Dirigée par Mustapha Bakkoury depuis sa création fin 2009, l’entreprise publique a vu ses attributions élargies en 2016 en devenant l’Agence marocaine des énergies renouvelables, et non plus l’Agence marocaine pour l’énergie solaire seulement. Elle a ainsi récupéré tous les projets d’énergie éolienne ou hydraulique autrefois gérés par l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE). « Cette refonte du cadre institutionnel du secteur offre des avantages certains : elle favorise les synergies entre les différents acteurs et permet d’optimiser la gestion des projets », assure-t-on chez Masen. L’objectif étant d’ajouter à l’horizon 2020 pas moins de 3 000 MW de capacité grâce aux installations déjà exploitées ou en cours de développement aux quatre coins du royaume.

Prix bas record

« Masen a acquis une expertise transversale. Nous disposons de compétences pluridisciplinaires pour accompagner chaque étape: l’identification et la conception des unités de production d’électricité, la réalisation des infrastructures nécessaires au raccordement des sites, la recherche et développement ainsi que le montage financier… », indique l’agence. Une expertise qui attire des acteurs de référence lors de chaque appel d’offres, du français Engie à l’italien Egie en passant par le saoudien Acwa Power ou l’allemand Siemens. Le savoir-faire de l’agence marocaine se répercute aussi sur les prix de sortie du kilowattheure (kWh). « Pour Noor Ouarzazate I, c’est Acwa Power qui a mené le consortium, en offrant un prix bas record de 1,62 dirham/kWh. Ce tarif a été ramené à 1,36 dirham/kWh pour Noor


Un partenaire de long terme pour les besoins énergétiques de l’Afrique

Production d’électricité – solaire, hydroélectrique, biomasse, géothermie, gaz Installations hors réseau et mini-réseaux Services à l’énergie et gestion des installations Infrastructures gazières

www.engie-africa.com


Dossier Énergies vertes MAROC

Ouarzazate II et à 1,42 dirham/ kWh pour Noor Ouarzazate III », explique-t-on, non sans fierté, chez Masen. En ce milieu d’année d’ailleurs, deux autres centrales Noor démarrent leur activité à Ouarzazate, et la dernière unité de ce parc solaire intégré est attendue pour octobre. Mais les investissements du royaume ne s’arrêtent pas à cette ville. À Laayoune comme à Boujdour, des centrales solaires entrent en exploitation dès ce mois de juin et elles connaîtront une seconde phase. Noor (« lumière ») reste également le nom choisi pour un programme d’installations photovoltaïques qui devraient quadriller

le royaume (voir carte). « Plusieurs appels d’offres devraient d’ailleurs être lancés dans les prochains mois », confie une source de Masen.

Don naturel

Si le Maroc s’attelle à transformer ce don naturel qu’est le soleil en force de développement, il n’a pas manqué non plus de mettre à profit le vent qui souffle sur ses 3 500 km de côtes: des parcs éoliens sont disséminés le long du littoral Atlantique et au niveau du détroit de Gibraltar. Que ce soit via des partenariats public-privé ou au travers d’investissements exclusivement privés, de nombreux parcs brassent déjà du vent. Parmi eux,

un projet d’une capacité de 850 MW répartis entre cinq sites pour un investissement global d’environ 12 milliards de dirhams. Un projet qui a traversé bien des turbulences, mais que Masen, justement, a su remettre sur les rails. Un projet qui a aussi connu la soumission d’un des prix de sortie les plus bas au monde (0,3 dirham/kWh). Et enfin un projet dont le chef de file n’est autre qu’une entreprise marocaine, Nareva, une filiale du fonds d’investissement Al Mada (ex-SNI), qui sert de locomotive à la dynamique privée du secteur énergétique. De quoi croire en la réalisation du rêve d’un Maroc vert en 2030.

COMMENT DRAINER PLUS D’INVESTISSEMENTS PRIVÉS ?

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Maintenance d’une éolienne à Tarfaya.

HOPE PRODUCTION/HEMIS.FR

Créée en 2005 par SNI – aujourd’hui Al Mada, holding appartenant à la famille royale –, Nareva s’est très vite imposée comme la chef de file des entreprises marocaines dans le secteur de l’énergie, notamment dans le domaine des éoliennes. La société a non seulement su développer des parcs en propre, mais a également conduit des consortiums qui ont décroché de gros contrats de partenariats public-privé. Outre le mégaprojet éolien de 850 MW, Nareva compte comme partenariat public le parc de Tarfaya, en consortium avec Engie, pour une capacité de 300 MW, pleinement opérationnel. En plus de ce type de contrat où la totalité de la production est destinée à l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), la société a également développé des centrales électriques en

propre. À Tanger, Tarfaya ou encore Laayoune, Nareva fournit de l’électricité à des cimenteries, à des sidérurgistes ou encore à des compagnies minières qui utilisent de la haute ou de la très haute tension. Cela a été rendu possible par une loi introduite en 2009 (no 13-09 relative aux

énergies renouvelables) dans le cadre de laquelle plusieurs autorisations ont été octroyées. II n’empêche que, selon les professionnels, cet arsenal législatif mérite une mise à jour pour drainer encore plus d’investissements. « Le ministère de l’Énergie se penche sur les pistes

d’amélioration de cette loi, et l’ONEE se mobilise pour assurer les meilleures conditions possible afin que les projets puissent être réalisés sans trop perturber le réseau, sachant que c’est l’Office qui assure le transport », explique un responsable de Nareva. F.I.



Dossier Énergies vertes

Les décryptages du

Comment déployer le solaire à grande échelle? Clarification des stratégies publiques, professionnalisation des intervenants, flexibilité dans les processus de sélection… Sept opérateurs livrent leurs recommandations pour résoudre un paradoxe : malgré son potentiel, le secteur n’a pas encore décollé. FRÉDÉRIC MAURY

S

ur le continent, 600 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité, un chiffre qui pourrait grimper à 700 millions d’ici à 2023. Pour remédier à cette situation, l’utilisation d’énergies renouvelables, encore marginale en Afrique, s’est imposée ces dernières années comme une piste sérieuse. Avec quelques premiers succès: dans le solaire, la capacité installée a été multipliée par quatre en deux ans, et les investissements privés dans le secteur par dix entre 2009 et 2014. Plus de 350 projets sont

en développement à travers le continent. « Beaucoup de programmes sont lancés, mais il y a un véritable problème de finalisation », tempère toutefois Abdou Diop, associé chez Mazars. « Il y a un paradoxe, décrypte Bertrand de La Borde, manager senior et responsable infrastructures Afrique à la Société financière internationale (IFC). Les besoins sont immenses, avec une population qui grandit, des économies qui ont besoin d’énergie, un potentiel solaire d’irradiation important, des coûts et des technologies de plus en plus compétitifs. Pourtant, à l’exception de quelques pays, le nombre de projets qui se

matérialisent reste bien faible. » Alors que faire pour permettre un déploiement du solaire beaucoup plus rapide? « Le premier facteur qui bloque ou ralentit son essor, c’est l’absence de stratégie de mix énergétique de la part des États, explique Thierry Déau, fondateur et PDG de Meridiam, leader mondial de l’investissement privé de long terme dans les infrastructures publiques. Il y a aussi des problèmes d’interconnexion. Construire des stations partout, c’est bien, mais il faut les raccorder à des réseaux, et ceux-ci n’ont pas toujours les capacités nécessaires. Tout cela est un peu organisé à l’envers: on commence par

CEO FORUM POUR JA

Lors du Africa CEO Forum, à Abidjan, le 27 mars.

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COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERTS

1. Leïla HUBEAUT,

Partner – Energy/Infrastructures

2. Jean-Marc ALLIX, Partner - Banque/Finance

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Vaincre les difficultés de l’électrification Près des 650 millions d’africains n’ont pas accès à l’électricité alors que l’électrification du continent est primordiale pour son développement. Si le nombre d’africains ayant accès à l’électricité augmente tous les ans, le taux d’accès à l’électricité quant à lui stagne, voire diminue, Si le nombre compte tenu de la croisd’africains ayant sance démographique. accès à l’électricité

augmente tous les ans, le taux d’accès à l’électricité quant à lui stagne, voire diminue, compte tenu de la croissance démographique

Dans un contexte mondial de transition énergétique, le déploiement massif des énergies renouvelables semble être la clé pour inverser cette tendance. Cependant, le nombre de projets financés et construits peinent à décoller malgré quelques réussites comme les centrales récemment mises en exploitation au Sénégal1 ou en Zambie.

Les difficultés sont multiples et les torts partagés.

Les investisseurs étrangers

En l’absence d’acteurs locaux, la plupart des projets sont portés par des investisseurs étrangers. La connaissance nécessaire du terrain et des régimes juridiques applicables font souvent défaut à ces investisseurs. La réticence de certains d’entre eux à recourir à des conseils expérimentés dès le début du processus s’avère extrêmement préjudiciable au bon déroulement des projets.

Les États

Si la plupart des Etats d’Afrique subsaharienne francophone ont réalisé des efforts considérables, notamment en adaptant leur réglementation pour favoriser les énergies renouvelables, les cadres juridiques peuvent être améliorés. Il en va ainsi des problématiques liées à la sécurisation des terrains et de l’absence de coordination des différentes administrations compétentes pour octroyer les permis nécessaires, allongeant d’autant la durée de développement des projets.

Les prêteurs.

La grille de lecture des risques des prêteurs n’est pas toujours adaptée aux caractéristiques des projets d’énergies renouvelables de petite ou moyenne taille. Ils appliquent parfois à ce type de projets le même niveau d’exigence qu’aux grands projets thermiques nécessitant plusieurs centaines de millions d’euros d’investissement. C’est la principale raison pour laquelle les quelques projets d’énergies renouvelables en exploitation ou en construction sont financés par les multilatéraux. Les Seule l’anticipation banques commerpourra permettre ciales régionales et internationales se le développement font rares pour les rapide, à grande financer. échelle et à

moindre coût des

Ces difficultés ne sont projets d’énergies toutefois pas insurrenouvelables montables. Elles nécessitent simplement une anticipation par l’ensemble des parties prenantes dès le lancement des projets. Seule cette approche pourra faire évoluer les pratiques du marché pour permettre le développement rapide, à grande échelle et à moindre coût des projets d’énergies renouvelables dans l’esprit des objectifs fixés lors de l’Accord de Paris sur le climat.

Leïla Hubeaut et son équipe ont assisté Meridiam pour le développement de deux projets photovoltaïques au Sénégal. 1

DENTONS

Dentons Europe,AARPI 5 boulevard Malesherbes, 75008 Paris, France

Leïla HUBEAUT Ligne directe : +33 1 42 68 94 72 Email : leila.hubeaut@dentons.com Jean-Marc ALLIX Ligne directe : +33 1 42 68 91 10 Email : jeanmarc.allix@dentons.com www.dentons.com


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De gré à gré

L’innovation est cruciale, mais la capacité d’adaptation aux contextes locaux l’est aussi. À ce sujet, Mustapha Bakkoury parle même de flexibilité. Les appels d’offres sont-ils une bonne chose? « Oui, mais quand un pays démarre, cette étape n’est pas obligatoire, juge Amadou Hott, vice-président de la BAD. On peut avoir un accord équilibré. Pour 20 MW, 50 MW, 100 MW, on ne va pas passer deux ans en appels d’offres. » « Ce qu’a réalisé GreenWish Partners au Sénégal en douze mois

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DES PROJETS À FOISON…

• Capacités installées multipliées par 4 ces deux dernières années • 10 fois plus d’investissements entre 2009 et 2014 • Plus de 350 projets en développement

… MAIS UNE PART ENCORE MODESTE Biocarburants

48 %

Charbon

14 %

22 %

1%

Géothermique Hydro solaire 1%

et de trier. » Ils permettraient aussi d’industrialiser plus facilement le solaire sur le continent. Cette standardisation forcée pourrait se révéler cruciale pour envisager des techniques financières innovantes dans le domaine, comme la titrisation ou le cofinancement. Pour Amadou Hott, cette standardisation passe aussi par davantage de transparence, à la fois sur les tarifs, les conditions et les coûts de la dette, notamment au niveau international.

Hors réseau

Produits pétroliers SOURCE : WWW.IEA.ORG

faire la centrale avant de réfléchir à la manière de la connecter. » Dans la même veine, Mustapha Bakkoury, président de Masen, l’Agence marocaine des énergies renouvelables, évoque « la nécessité d’un engagement public au plus haut niveau pour que les déploiements s’inscrivent dans la durée ». Trois acteurs jouent un rôle clé, estime Charlotte Aubin-Kalaidjian: « D’abord, il faut des États ayant des politiques et des engagements forts en matière d’énergies renouvelables, ainsi qu’une connaissance technique de leur réseau, sans oublier des capacités légales et contractuelles pour négocier, souligne la fondatrice et directrice générale de GreenWish Partners. Ensuite, le secteur privé doit lui aussi disposer des compétences techniques et légales requises, tout comme des capacités financières. Enfin, les bailleurs de fonds sont indispensables, car il faut des financements à long terme, et, excepté sans doute au Maroc et en Afrique du Sud, seules les banques de développement en proposent. Or celles-ci ont encore des procédures calées sur des projets plus gros et plus lourds, dans l’hydroélectricité, par exemple. Elles mériteraient d’être adaptées. » JeanPascal Pham-Ba, secrétaire général de l’initiative Terrawatt, insiste sur le fait que « l’esprit d’innovation doit être partagé entre ces acteurs. Il faut une bonne organisation des relations entre les différents intervenants ».

Gaz naturel

14 %

n’aurait pas été possible via un appel d’offres, ajoute Charlotte Aubin. Nous avons essuyé les plâtres, cela a permis de reproduire l’opération. Beaucoup d’appels d’offres ne sont accessibles qu’aux acteurs d’une certaine taille, les locaux sont mis à l’écart. » Financier important dans ce secteur, IFC octroie parfois des marchés solaires de gré à gré. Il a notamment procédé ainsi au Mozambique et au Burkina. Agir de gré à gré avec intelligence semble indispensable pour accélérer le mouvement, mais il faut avancer avec précaution. « Le solaire est une activité simple techniquement, donc n’importe quel guignol ayant installé un panneau solaire sur son toit en Europe croit pouvoir venir développer des projets en Afrique, s’amuse Thierry Déau. La qualité des développeurs solaires y est de ce fait très variable. Les appels d’offres permettent de préparer des dossiers

Quant à l’off-grid, il semble clairement incontournable pour satisfaire la demande au plus vite. Successstory des énergies renouvelables en Afrique, le Maroc a très tôt expérimenté l’électricité hors réseau. « Nous avons eu une expérience dans l’électrification rurale dans les années 1990 qui nous a fait passer de 50 % d’électrification à 97 %, rappelle Mustapha Bakkoury. Cent mille ménages avaient été dotés d’équipements photovoltaïques. Faute d’avoir pris en compte certains facteurs sociaux, nous avons été confrontés à un véritable défi: certaines personnes ont refusé ces équipements, car ils les voyaient comme une condamnation à ne jamais être raccordés au réseau. » Pour le dirigeant marocain, le off-grid peut également aider à soulager les réseaux, avec l’eau sanitaire chaude ou l’éclairage public. Amadou Hott, lui, plaide pour que les gouvernements soutiennent davantage les solutions hors réseau: « Ils doivent mettre le off-grid et le non-grid sur le même plan, en adoptant aussi un plan stratégique clair pour le hors-réseau, soutient-il. C’est ce que le Rwanda et l’Éthiopie ont fait. » Pour Mustapha Bakkoury, l’enjeu est immense, plus grand encore que celui auquel on pense: « Le renouvelable doit être employé comme un véritable levier de développement économique, il doit apporter de la puissance, pas seulement de l’électricité. »



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SOLAIRE

Connexions espagnoles Très compétitifs dans le secteur, les producteurs ibériques sont bien implantés en Afrique. Mais mobilisent surtout des ressources internationales.

PIUS UTOMI EKPEI/AFP

Alten Energías Renovables a remporté un contrat de fournisseur d’électricité au Nigeria.

MARK ANDERSON

omparée à ses voisins européens, l’Espagne n’est pas particulièrement réputée pour sa présence en Afrique. Sauf dans le domaine des énergies renouvelables, où elle brille presque partout. « Nous sommes très compétitifs dans ce secteur », souligne Juan Laso, président exécutif d’Alten Energías Renovables, l’un des plus importants producteurs indépendants d’électricité du monde, avec 240 millions d’euros de projets en portefeuille et 257 MW de capacité sur le continent. D’autres acteurs ibériques sont présents en Afrique, telle la multinationale Sener, impliquée dans certains projets de développement de l’emblématique centrale solaire Noor, au Maroc. Le producteur indépendant d’énergie Alten Africa, filiale à 100 % d’Alten Energías Renovables, concentre pour sa part ses efforts au sud du Sahara. Il vise également l’Algérie. D’ici à septembre, Alten Africa commencera ses opérations commerciales dans une centrale solaire récemment construite en Namibie,

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la plus importante du continent. Située dans la région de Hardap, au sud de Windhoek, elle devrait produire 112 gigawattheures d’énergie propre par an. « Nous avons bouclé la partie financière avec Standard Bank et Proparco. Maintenant, nous allons démarrer la phase de mise en œuvre », poursuit Juan Laso. Alten Africa est aussi actif au Nigeria, où il a remporté un contrat en tant que fournisseur d’électricité avec l’opérateur Nigerian Bulk Electricity Trading. Mais ce pays lui cause plus de soucis administratifs que la Namibie. « La garantie apportée par le gouvernement vient d’être révisée, et certaines procédures sont en cours pour stabiliser le secteur électrique

D’ICI À SEPTEMBRE, LA PLUS GRANDE CENTRALE SOLAIRE D’AFRIQUE, EN NAMIBIE, COMMENCERA SES OPÉRATIONS COMMERCIALES.

en vue de renforcer sa solvabilité. » Comme dans beaucoup de juridictions africaines, obtenir les garanties appropriées est essentiel pour accéder aux fonds à long terme. Alten Africa concourt aux programmes de l’Agence multilatérale de garantie des investissements de la Banque mondiale. « Chaque marché a ses propres difficultés, relève le dirigeant. En Namibie, avec NamPower, il n’y a aucune garantie du gouvernement. Mais NamPower a un très bon bilan financier. » Au Nigeria, les garanties requises incluent des clauses sur les pertes dues à la corruption. « La stabilité financière et l’expérience des preneurs de risques sont essentielles pour avoir un meilleur environnement et obtenir un coût moindre. » Alten Energías Renovables investit aussi en Amérique latine, ce qui lui donne une perspective unique.

Cadre réglementaire fragile

Le contraste entre les pays africains et le Mexique est frappant du fait de la taille de l’économie de ce dernier, de la force de sa principale compagnie de fourniture de services et de son cadre réglementaire, récemment révisé. « En Afrique, c’est plus difficile. Les réseaux électriques et le cadre réglementaire sont plus fragiles. Cela nécessite beaucoup de travail. » Juan Laso reste optimiste quant à la capacité d’Alten à trouver des banques nigérianes intéressées, bien que de nombreux établissements locaux se soient brûlé les doigts en prêtant au secteur de l’énergie il y a quelques années. Au Nigeria, l’essentiel du financement sera international. Alten Africa s’est associé avec le fonds d’investissement sud-africain Evolution II « pour apporter un bilan plus important et une plus grande expérience dans son portefeuille de projets verts. L’objectif, d’ici à fin 2022, est de disposer en Afrique subsaharienne de 500 MW de projets dont le financement est bouclé », conclut Laso.



Dossier Énergies vertes

EUGÉNIE BACCOT

MARCHÉ

En Ouganda, Green Bio Energy fabrique des briquettes à partir de peaux de banane ou de cosses de riz.

Des déchets verts pour remplacer le charbon Bien qu’ils soient peu polluants, les biocombustibles produits à partir de végétaux souffrent d’un manque de soutien politique. SAÏD AÏT-HATRIT

e b e d ay e t Ya k a a r a u Sénégal, Green Bio Energy en Ouganda, Eco-Charcoal et Greenchar au Kenya, Habona au Rwanda… De plus en plus d’entreprises et d’associations se lancent dans la fabrication de « charbon vert ». Ce biocombustible produit à base de déchets végétaux dégage peu de fumées et constitue une alternative au charbon de bois et au bois de chauffe, qui rejettent des gaz à effet de serre et nuisent à la santé des utilisateurs tout en contribuant à la déforestation. Malgré ces avantages, ce produit, qui pourrait aussi être utilisé comme complément aux fertilisants (ou biochar), est encore loin de remplacer le charbon de bois, alors que son prix est généralement inférieur (lire encadré). « Le marché existe, si l’on en juge par l’énorme consommation de bois de chauffe et de charbon de bois en Afrique, constate Roméo Enoc Azonhoumon, patron d’Almighty Services Plus, à Abomey-Calavi, au

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Bénin. Nous sommes constamment sollicités et n’arrivons pas à satisfaire la demande. Si nous le pouvions, nous investirions en priorité dans l’amélioration de l’appareil de production et le recrutement de compétences, afin de produire plus et mieux. » Selon la méthode utilisée pour les fabriquer, les bûchettes peuvent être difficiles à allumer ou friables. « Ensuite, poursuit Azonhoumon, nous sécuriserions l’accès à nos matières premières » – des coquilles de noix de coco, d’arachide, des graines de coton ou de la sciure de bois qu’Almighty lie dans son unité artisanale avec de la lignine. Selon Guy Reinaud, président de l’association Pro-Natura, il faut

environ 400000 euros pour créer une usine de charbon vert comme celle qu’a ouverte Faam au Tchad en 2014 – 60 tonnes par jour – avec 300 millions de F CFA (environ 450000 euros) et 2 millions de F CFA pour une unité de production en cogénération avec du biochar et de l’électricité. Son association a mené un projet pilote au Sénégal au début des années 2010, qui a prouvé la rentabilité du charbon vert, mais le secteur souffre selon lui d’un manque de volonté politique. Un patron souligne de son côté les intérêts en jeu dans les marchés du charbon de bois en Afrique.

Nouveau et innovant

Loin de ces 400000 euros, à Douala, Muller Tenkeu Nandou a reçu une subvention de 41 millions de F CFA du ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation dans le cadre du contrat franco-camerounais de désendettement et de développement. Elle lui a permis de monter une unité semi-industrielle de transformation des ordures ménagères en charbon écologique. Avec des machines (carbonisateur, broyeur, compacteurs…) 100 % camerounaises, Kemit Ecology génère chaque mois, à partir de 170 tonnes de déchets végétaux, une trentaine de tonnes de charbon vert, vendues à plus de 400 clients. « Ce n’est pas assez pour que le gouvernement interdise le charbon de bois, dont la demande annuelle se situe autour de 600 000 t [ou de moins de 400 000 t, selon d’autres sources]. Mais c’est un grand résultat pour un produit nouveau et innovant », commente Muller Tenkeu Nandou, qui a recruté quinze personnes et formé des centaines de Camerounais et d’étrangers.

UN RAPPORT QUALITÉ-PRIX FAVORABLE

Almighty Services Plus, au Bénin, vend un sac de 25 kg de charbon vert 4 000 F CFA (6 euros), contre 6 500 F CFA (10 euros) pour 50 kg de charbon de bois, sachant que la combustion du premier est plus longue. « Il faut 250 F CFA de notre charbon vert pour réaliser la même cuisson qu’avec 400 F CFA de charbon de bois », précise Muller Tenkeu Nandou, patron de Kemit Ecology, au Cameroun.


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