Pdf ja 2998 du 24 au 30 juin 2018 dossier agrobusiness

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CÔTE D’IVOIRE

SÉNÉGAL Aliou Sall sort de l’ombre

MAURITANIE Aziz sans Aziz ? Spécial 20 pages

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 2998 DU 24 AU 30 JUIN 2018

MALI PRÉSIDENTIELLE 2018

Soumaïla Cissé « Moi ou le chaos » Une interview du chef de file de l’opposition, candidat à l’élection du 29 juillet. ÉDITION INTERNATIONALE ET AFRIQUE SUBSAHARIENNE

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France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 €

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Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 4,80 €

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Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 7 FS Tunisie 3,50 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2 000 F CFA ISSN 1950-1285



SAVE THE DATE

Le rendez-vous des LeaderEs de demain

SOFITEL ABIDJAN HÔTEL IVOIRE, CÔTE D’IVOIRE

25 SEPTEMBRE 2018

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Dossier Agrobusiness

ISSAM ZEJLY POUR JA

Le géant américain du fast-food KFC s’est implanté en Tunisie, en Côte d’Ivoire (ici à Abidjan) et, cette année, au Sénégal.

EXPORT

La filière avicole prend son envol Grâce à une hausse de la demande et à des investissements massifs, le secteur a vu émerger des champions nationaux qui doivent développer leurs circuits de distribution. 68

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JULIEN WAGNER

L

La grippe aviaire, une occasion de limiter les importations

Oui, il pousse bien des ailes aux groupes avicoles africains. En particulier dans l’Ouest, où le Sénégal, leader de la zone avec plus de 62000 tonnes de viande de volaille produites en 2016, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), et la Côte d’Ivoire – près de 47 000 tonnes – font figure de locomotives, quand le Maroc, lui, avec 681000 t, a déjà valeur de modèle. Ces nouveaux investissements industriels ne sont pas de trop, tant s’en faut. En 2013, selon le cabinet de conseil américain Dalberg, le continent importait près de 1,6 million de tonnes de poulets congelés pour

compenser son déficit. Dans son ensemble, l’Afrique de l’Ouest n’a ainsi produit en 2016 qu’un peu plus de 620000 t de viande de volaille. Un chiffre bien faible si on le compare au poids lourd du continent, l’Afrique du Sud (1,84 million de t), mais en constante augmentation : + 8 % par rapport à 2015, + 38 % par rapport à 2006. Le moteur principal de cet accroissement est avant tout la consommation. En Côte d’Ivoire par exemple, la consommation de volaille par habitant et par an est passée de 0,43 kg en 2006 à 1,99 kg en 2015, selon l’Interprofession avicole ivoirienne (Ipravi). Une moyenne encore très loin des standards internationaux cependant, comme chez la grande majorité des Africains d’ailleurs, pour qui manger du poulet est encore trop souvent un luxe. Comme le note la Banque mondiale, un Africain ne consomme en moyenne que 3,3 kg de volaille en une année, quand un Français en mange 28 kg et que la moyenne mondiale est à 14 kg. Mais cet appétit pour les protéines animales n’est pas la seule raison de la croissance du secteur. Comme plus d’une dizaine de pays africains, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Maroc ont choisi de protéger leur marché. D’abord par nécessité puis par opportunisme. En effet, en 2005, « profitant » de la crise de la grippe aviaire, les gouvernements sénégalais et ivoirien ont drastiquement limité leurs importations. Depuis, la Côte d’Ivoire applique un droit de douane de 1000 F CFA/kg, quand le Sénégal a carrément décidé de geler ses importations. Des mesures qui ont petit à petit changé la donne en permettant l’essor de champions nationaux comme Sedima au Sénégal et Sipra en Côte d’Ivoire. « Forcément, reconnaît sans peine Sylvain Gotta, directeur général de Sipra depuis 2011, ces mesures nous ont donné une meilleure visibilité et une plus grande confiance, cela nous a permis d’investir dans la production locale. » Depuis la sortie de

LES ROIS DU POULET (chiffre d’affaires)

JEAN-MARIE ACKAH Sipra (Côte d’Ivoire)

106,8

millions d’euros (2016)

BABACAR NGOM Sedima (Sénégal)

48,8

millions d’euros (2016)

ALI BERBICH Zalar (Maroc)

420

millions d’euros (2016)

ABDELWAHAB BEN AYED Poulina (Tunisie)

276,7

millions d’euros* (2017)

* CA de l’activité avicole.

SYDONIE GHAYEB POUR JA ; DR ; DR ; ONS ABID POUR JA

«

e potentiel est très grand en Côte d’Ivoire. C’est un marché important et protégé où la consommation de volaille par habitant augmente tout en restant très loin des standards mondiaux. C’est vraiment le bon moment pour investir. » Cet entrepreneur français qui cherche des financements pour lancer son projet avicole à Abidjan résume assez bien l’engouement actuel pour la filière en Afrique. Hautement symbolique, l’implantation du géant américain du fast-food KFC en Tunisie, en Côte d’Ivoire et cette année au Sénégal avait déjà souligné que le secteur était de plus en plus attractif et de mieux en mieux structuré. En effet, la filière n’a pas attendu les investisseurs « hors-zone » pour croire en elle-même. Depuis quelques années, les acteurs africains multiplient les opérations. En 2016, les Ivoiriens de Société ivoirienne de productions animales (Sipra) ont choisi de s’implanter au Burkina Faso. L’an dernier, les Sénégalais de Sedima ont choisi d’investir près de 7 milliards de F CFA (près de 10,7 millions d’euros) au Mali. Et cette année, le groupe marocain Zalar Holding a concrétisé son installation au Sénégal.

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Dossier Agrobusiness

la crise politique en Côte d’Ivoire, Sipra a augmenté son chiffre d’affaires de près de 10 % par an. En 2017, elle a flirté avec les 100 millions d’euros de revenus, selon son directeur. Et depuis 2011, « toute la filière s’est développée et modernisée, avec près de 100 milliards de F CFA d’investissements », témoigne celui qui préside l’Ipravi depuis janvier.

L’APPROCHE PARFAITE

Maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur, une clé de la réussite

Ces investissements ont permis de construire une filière de plus en plus intégrée. Une nécessité dans un secteur où la maîtrise de l’ensemble de la chaîne de valeur constitue l’une des clés de la réussite. Sipra, par exemple, possède plusieurs marques: aliments pour bétail (Ivograin), poussins d’un jour (Ivoire Poussins), viande et produits à base de volaille (Coqivoire), restauration (la Sares, créée en parte-

EN CÔTE D’IVOIRE, LA BRANCHE S’EST MODERNISÉE, AVEC PRÈS DE 100 MILLIARDS DE F CFA D’INVESTISSEMENTS DEPUIS 2011. nariat avec le pétrolier Total pour lancer la chaîne de restauration Tweat) ainsi qu’une meunerie, Les Moulins de Côte d’Ivoire. Elle est même en train de monter un projet de production de maïs en propre. Pour être compétitifs, les industriels n’ont pas d’autre choix. Notamment parce que l’alimentation des volailles représente en moyenne dans le monde un peu plus de 70 % du prix de revient d’un poulet. Quand Sedima (50 millions d’euros de chiffre d’affaires), dirigé par Anta Babacar Ngom depuis 2016, a choisi de s’installer au Mali, c’était pour y développer des fermes, une usine d’aliments et un couvoir. En Guinée équatoriale, le groupe

LA MEILLEURE CHARGE UTILE DU MARCHÉ Charge jusqu’à 20 tonnes sur le véhicule 6x4 grace à la robustesse de son chassis

MOBILITÉ NON-STOP Une plus grande autonomie grâce au moteur Cursor qui permet de réduire la consommation de carburant

TCO EXCEPTIONNEL Consommation de carburant réduite de 11,2% sur le Nouveau Stralis (certification TÜV), grâce à une chaine cinématique optimisée et à des freins à disques

GAMME MODULAIRE AXÉE SUR LE TYPE DE MISSION Nouvel essieu avant (off-road) qui garantit une meilleure adhérence Châssis robuste pour des missions off-road légères

EXCELLENCE SUR ROUTE. ENDURANCE HORS ROUTE.


Dossier Agrobusiness EXPORT

LA SOMDIAA PASSE À L’OFFENSIVE EN AFRIQUE CENTRALE « complètement autonome » dans la filière avicole. « Nous mettons en place des maïseries d’où sortiront d’un côté du gritz, que nous vendrons à notre partenaire Castel pour la brasserie, et de l’autre de l’aliment pour

projette de réaliser les mêmes installations avec, en plus, une unité d’abattage. Et quand il choisit d’investir au Congo, c’est pour y implanter tout à la fois des fermes, une usine d’aliments, un couvoir, une minoterie et un abattoir.

Le Maroc, un modèle en crise de surproduction

Une stratégie que le Maroc a développée en créant, dès 1995, la Fédération interprofessionnelle du secteur avicole (Fisa), première association de ce type dans le royaume. « C’est par l’intermédiaire de la Fisa que les opérateurs ont compris la nécessité d’intégration dans la chaîne de valeur, se félicite Youssef Alaoui, son président. Nous avons créé un écosystème en facilitant l’accès des éleveurs aux aliments pour bétail et aux poussins d’un jour et en permettant l’émergence de groupes en filière intégrée. » L’interprofession est même parvenue à ce que les droits de douane à l’importation de certains intrants comme le soja ou le maïs soient complètement supprimés. Un modèle reproduit dans les autres filières agricoles marocaines et sur le continent en général. Avec une production de plus de 550 000 t de poulet, de 90 000 t de dinde ou encore de 9,4 millions de poussins de chair, et une consommation annuelle de viande de volaille par habitant proche de 20 kg, le Maroc a remporté une partie de son pari. Mais si le royaume, qui applique encore près de 20 % de droits de douane sur les poulets importés (sauf accords commerciaux spécifiques, comme avec l’Union européenne), a valeur d’exemple, les problèmes qu’il

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bétail pour les agriculteurs locaux, révèle Alexandre Vilgrain. Parallèlement, nous voulons produire des poussins d’un jour et des poulettes pondeuses, là aussi à destination des éleveurs. » Au Cameroun

traverse actuellement doivent aussi être médités. « Depuis deux ans, nous faisons face à une crise de surproduction, regrette Youssef Alaoui. Le bât blesse au niveau de la distribution. Les clients finaux regardent encore les poulets se faire abattre, et seuls 10 % d’entre eux passent par les grandes ou moyennes surfaces. C’est peu. Si on passait plus à travers le circuit des abattoirs, les éleveurs produiraient davantage en fonction de la demande. L’abattoir permet de réguler le marché. Actuellement, les éleveurs produisent sans savoir à qui ils vont vendre et se retrouvent parfois obligés de casser les prix. » D’autant que les exportations vers l’Afrique de l’Ouest sont rendues difficiles par les coûts de transport et l’actualité sanitaire des pays de la zone. Résultat, « la période actuelle est très difficile pour les éleveurs marocains. Ils ont dû vendre à plusieurs reprises au-dessous du prix de revient ». La solution envisagée aujourd’hui, outre l’amélioration des circuits de distribution, est une montée en gamme, soit à travers la diversification vers d’autres types de volailles, comme la dinde, soit vers l’agriculture biologique. Mais la Côte d’Ivoire n’en est pas encore là. « On travaille en priorité à l’amélioration de la productivité, concède Sylvain Gotta. Avant toute chose, nous devons former les éleveurs, améliorer leur professionnalisme et leur connaissance des bonnes pratiques en matière sanitaire. » Un autre point à résoudre est celui du financement. « Le fait est que les opérateurs ont tendance à surréagir, notamment à cause du manque de planification et de visibilité. Cela

comme au Congo, le PDG de la Somdiaa n’exclut pas « de se lancer ensuite dans l’activité d’abattage en rachetant aux éleveurs les poulets arrivés à maturité ». Et la boucle sera bouclée. J.W.

provoque une grande amplitude de la demande, et le secteur est sujet aux soubresauts. Du coup, on sent une réticence du secteur bancaire face aux risques. » Des défis à relever au plus vite. Au Sénégal, la ministre de l’Élevage, Aminata Mbengue Ndiaye, a averti fin mars que les frontières du pays ne pouvaient « être fermées éternellement aux vendeurs de poulets étrangers ». En Côte d’Ivoire, la levée des barrières tarifaires sur les poulets importés doit être réexaminée à partir de 2019.

EXPLOSION DE LA PRODUCTION DE VIANDE DE VOLAILLE En tonnes

Maroc

510 000

2010

640 000

2017

Sénégal 2012

56 700 62 000

2016

Côte d’Ivoire 2011 2016

22 500 47 000

SOURCE : FAO

Déjà présente au Gabon depuis près de dix ans dans la production de poussins d’un jour et d’œufs (40 millions par an), la filiale de Castel a lancé au Cameroun et au Congo un « concept global » et


L’A B U S

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Dossier Agrobusiness

INTERVIEW

Slim Othmani

Comment Rouiba s’en sort-elle?

Nous sommes de ceux qui s’en sortent, mais cela a un coût élevé. Depuis septembre 2017, nous menons un programme d’optimisation de nos opérations, avec réduction des frais et licenciement, pour garantir la survie de notre entreprise et de nos fournisseurs. Fin juin, lors de la publication de nos résultats, vous pourrez mesurer l’ampleur des dégâts qu’a infligés à notre activité la réduction volontaire de la dynamique économique impulsée par le gouvernement.

Président du conseil d’administration de NCA Rouiba

« Nous n’avons pas besoin de protections douanières » Pour le patron-fondateur de l’un des leaders algériens du jus de fruits, les restrictions à l’importation ont des effets néfastes sur l’activité économique nationale. Propos recueillis par SAÏD AÏT-HATRIT

lim Othmani, le président du conseil d’administration de NCA Rouiba, l’un des leaders algériens du jus de fruits, évoque pour JA ses ambitions propres et celles qu’il nourrit pour son secteur, en Algérie et en Afrique, de même que les opportunités et barrières qu’il rencontre.

S

Jeune Afrique : L’Algérie a émis au début de l’année une liste de produits interdits à l’importation pour booster la production locale. Cela a-t-il eu un impact sur le secteur des boissons ?

Slim Othmani : Notre secteur a bénéficié ces vingt dernières années de l’ouverture à la concurrence et il a su se mettre au niveau des standards internationaux, avec l’arrivée de majors. Près de 90 % de notre marché est approvisionné localement, et nous n’avons donc pas besoin de protections douanières. En revanche, l’interdiction d’importation de certains arômes, que les acteurs locaux ne sont pas encore en mesure de fournir, a amené des entreprises à arrêter leur activité plusieurs semaines. Heureusement, l’Association des producteurs algériens de boissons (Apab) a pu obtenir que la liste soit revue. Ce qui est désolant, c’est que les pouvoirs publics ont le sentiment que les industriels sont attachés au fait d’importer afin de pouvoir surfacturer. Il

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faut dire également que ce processus d’interdiction a entraîné, qu’on le veuille ou non, une baisse de l’activité économique, qui a elle-même eu une répercussion sur le pouvoir d’achat, laquelle nous a affectés.

Rouiba utilise des intrants achetés sur le marché international. La transformation de produits locaux est-elle pour autant un enjeu pour vous?

Historiquement, Rouiba ne travaillait qu’avec des intrants locaux. Mais à partir du début des années 1990, l’entreprise a mixé des approvisionnements locaux et internationaux, avant de se tourner complètement Le marché algérien des jus est-il en vers l’étranger en 2000. Cette évolusurcapacité ? tion a été dictée par une nouvelle taxe La politique d’investissement des pouvoirs publics a longtemps été trop sur les produits agricoles locaux, par notre propre croissance, qui nécesgénéraliste. Des secteurs comme la sitait des volumes impossibles à minoterie, les boissons, les cimenteobtenir localement, ainsi que par la ries ont reçu tant d’investissements compétitivité et la qualité qu’ils se sont retrouvés en insuffisante des intrants surcapacité. Dans les boislocaux. Il faut savoir que sons, quand on compile millions la chaîne de valeur montoutes les lignes installées, on atteint plus de quarante diale des jus de fruits a d’euros de été décomposée et que les fois la taille du marché. Le chiffre d’affaires intrants que les fabricants système financier, celui (en 2016) pour la utilisent sont standardisés des banques publiques société familiale, – au niveau de la qualité, surtout, a soutenu ces créée en 1966 du goût et des couleurs – investissements pour par des transformateurs accompagner la politique dont c’est le métier. En des pouvoirs publics sans s’assurer de la situation du marché 2004, nous avons recommencé à regarder à l’échelle locale en essayant et de la viabilité des projets. Quant de convaincre certains opérateurs aux nouveaux entrants, ils cassent d’être plus actifs dans la transformales prix et vendent sans facture tion. Nous nous approvisionnons grâce aux avantages fiscaux dont ils aujourd’hui en citrons (100 %) et abribénéficient pendant leurs premières cots (100 %) de qualité, mais la quanannées de fonctionnement, quitte à tité manque parfois, et il est presque faire faillite ensuite. Cette politique a été corrigée l’année dernière pour les impossible d’être compétitif face à l’orange du Brésil. Il existe deux ou boissons, mais ça n’empêchera pas trois transformateurs en Algérie, et il plusieurs entreprises de faire faillite en faudrait peut-être un quatrième, dans les dix-huit à vingt-quatre mois, ainsi que des alliances internationales y compris dans d’autres secteurs.

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DE LA DIFFICULTÉ DE MUTUALISER L’OUTIL INDUSTRIEL

SIDALI DJENIDI POUR JA

« Un opérateur qui voudrait mettre à disposition ses capacités industrielles oisives est aujourd’hui découragé, car l’activité de service est lourdement taxée, explique Slim Othmani. Pourtant, la production pour compte est généralisée auprès des grandes marques mondiales, qui économisent ainsi l’amortissement d’équipements lourds. Ce n’est pas encore dans l’état d’esprit algérien, mais nous essayons avec l’Association des producteurs algériens de boissons de promouvoir cette idée. » Cevital a-t-il pu acheter les parts d’AfricInvest dans Rouiba via la Bourse d’Alger, alors que l’opération avait été interrompue en 2014?

« Depuis 2017, nous menons un programme d’optimisation de nos opérations. »

pour améliorer la qualité des produits agricoles. Votre projet lancé en 2014 pour produire des jus au Bénin et exporter, notamment au Nigeria, est-il stoppé?

La Banque d’Algérie nous a fait savoir qu’elle ne pouvait pas répondre favorablement dans l’immédiat à notre demande de devises, alors que le gouvernement béninois a mis ce projet en stand-by, sans justification. Nous allons voir avec un partenaire local comment reprendre la piste de la production en même temps que l’installation d’une plateforme logistique régionale. Nous pourrions éviter le transfert de capital en mettant notre savoir-faire dans la balance. La Banque d’Algérie n’est-elle pas en contradiction avec les ambitions africaines du gouvernement?

Les pouvoirs publics n’ont pas de stratégie claire. Or l’export ne s’improvise pas et nécessite la disponibilité

de fonds. Certains opérateurs réussissent, peut-être disposent-ils d’argent sur leurs comptes en devises, encore que l’utilisation libre de ces derniers soit remise en question, comme on l’a vu avec les projets de Cevital à l’étranger. Peut-être aussi notre secteur n’est-il pas jugé stratégique et propre à faire la fierté d’un gouvernement, comme le sont ceux des médicaments, de l’électroménager ou de l’automobile…

LA BOURSE D’ALGER A UN RÉEL POTENTIEL, MAIS QUI NE S’EXPRIME PAS, PUISQUE LES ENTREPRISES SONT DISSUADÉES D’Y ENTRER.

Après trois ans et demi d’attente, le ministère de l’Industrie a instruit la Bourse d’autoriser AfricInvest à vendre… mais à un seul actionnaire, moi-même. C’est ubuesque, mais la Bourse d’Alger n’en est pas à une étrangeté près. J’ai joué le jeu en y entrant en 2013, car je suis optimiste. Cette place a un réel potentiel, mais qui ne s’exprime pas puisque les entreprises sont dissuadées d’y entrer. Je propose de la dynamiser. Mais si elle reste le reflet d’un environnement où le statu quo est érigé en valeur, il faut la fermer. Que pensez-vous des difficultés rencontrées par Cevital pour débarquer ses équipements à Béjaïa?

C’est terrible pour Cevital, mais aussi pour l’Algérie. Je n’ai réagi que lorsque le directeur du port s’est mêlé des décisions d’investissement de Cevital. Il a déclaré qu’il ne débarquerait pas les équipements, car l’assiette foncière dévolue au projet, pourtant située en dehors du port, n’était pas appropriée. C’est de la science-fiction… Il vient d’être nommé à la tête des infrastructures portuaires nationales: c’est un message négatif envoyé au monde des affaires. Pourquoi faire cela à l’Algérie?

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Dossier Agrobusiness

CACAO

Koné Dossongui veut doper l’industrie locale Pour concurrencer les géants Barry Callebaut et Cargill, le magnat ivoirien investit plus de 136 millions d’euros dans deux unités de traitement de la fève, à San Pedro et Kribi. OMER MBADI, à Yaoundé

es t ro i s b â t i m e n t s d e l’usine d’Atlantic Cocoa Corporation (ACC) prennent progressivement corps dans la zone industrielle du port en eau profonde de Kribi. En cette matinée ensoleillée du 9 juin, une poignée d’ouvriers – parmi les 230 employés du site – s’attellent, à l’aide de motopompes, à évacuer les eaux ayant inondé le bâtiment du milieu, conséquence de l’abondante pluie de la veille. D’autres coulent une épaisse couche de béton sur le sol, sous un gigantesque échafaudage métallique. « Nous devons tenir les délais. Les premières machines doivent être installées dans deux semaines, et les premiers essais interviendront dès septembre », insiste Pierre Ouattara, le directeur du projet.

FERNAND KUISSU

L

L’usine d’Atlantic Cocoa Corporation, à Kribi.

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C ons cient de la Depuis plus d’un vague d’implantaan, cet ingénieur en tions ou d’extensions g é n i e m é c a n i q u e, de capacités entamée qui cumule dix-huit depuis quelque temps années d’expérience dans ces pays par des dans le cacao, alterne (production 2016-2017) cadors du secteur tels les séjours dans la CÔTE D’IVOIRE que Barry Callebaut cité balnéaire du sud et Cargill, suivis par du Cameroun et à des entrepreneurs San Pedro, en Côte chinois, libanais et d’Ivoire, pour concrémillions de tonnes même locaux, le patron tiser la nouvelle aspiouest-africain entend ration de Bernard Koné CAMEROUN bien être de la fête. Dossongui. Une tendance lancée Aprè s avoi r fa it aussi par les gouvernefortune dans les télétonnes ments: la Côte d’Ivoire communications, la veut porter son taux de banque et l’assurance, transformation de 35 à 50 % en 2020, le magnat ivoirien a décidé d’invesquand le Cameroun envisage de doutir plus de 136 millions d’euros pour bler son niveau actuel (20 %) à cet horitransformer la fève dans les deux zon. « Ces promoteurs veulent profiter pays. Il s’agira de produire de la des incitations instaurées par les diriliqueur, du beurre, du tourteau et de geants pour booster la transformation la poudre de cacao. locale », note un expert du Conseil interprofessionnel du cacao et du café (CICC) camerounais. Par exemple, la redevance sur la fève transformée a été ramenée à 75 F CFA (0,11 euro) le kilogramme, soit la moitié du montant de la fève exportée. Le projet, orienté essentiellement vers l’export, intègre également des déclinaisons halal et cashers de ces produits pour s’inscrire dans une logique de niche. Les deux sites industriels, comprenant chacun une unité de stockage, une unité de transformation et une dernière dévolue aux produits finis, doivent broyer 96 000 tonnes de fèves chaque année, un volume extensible à 160000 t, puisque le marché est fortement demandeur. Les deux filiales ont pour ce faire été regroupées dans le holding

DEUX PAYS MAÎTRES DE L’OR BRUN

2,015

232 000


COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERT

Delphine MOREAU

Chargée d’affaires Senior Référente agro-industrie à Proparco

En représentant 15 % du PIB du continent et 60 % des emplois, le secteur de l’agro-industrie est central dans le développement économique et social de l’Afrique. Les acteurs du secteur développent une chaine de valeur locale et améliorent l’accès aux biens de première nécessité, se substituant aux importations. Cela permet de baisser les prix et de renforcer l’autosuffisance alimentaire des pays. Les acteurs privés participent aussi au développement des infrastructures (écoles, centres de santé) dans des zones rurales et enclavées. Mais le développement de l’agriculture nécessite des investissements massifs, supérieurs à ce que les États peuvent mobiliser. Le rôle des institutions de développement, comme Proparco, est d’accompagner Notre valeur ce secteur vital. Notre valeur ajoutée est ajoutée est de venir en comde venir en plément de l’offre bancaire complément de locale en apportant aux entreprises locales des prêts l’offre bancaire à long terme ou des fonds locale propres. Au fil des projets, Proparco conseille ses clients sur la structuration financière afin d’attirer d’autres investisseurs à ses côtés. Aujourd’hui, le défi à relever est d’accompagner le développement d’une agro-industrie durable. Avec un doublement de la population attendu d’ici 2050, la sécurité alimentaire est un enjeu majeur pour le continent. Mais on ne peut y répondre sans prendre en compte les enjeux climatiques ou les écosystèmes, sans intégrer les petits exploitants agricoles - qui représentent 80 % de la production- dans la chaine d’approvisionnement ou respecter les droits des travailleurs et les droits fonciers coutumiers par exemple.

Au-delà du soutien financier, notre rôle d’institution de développement est donc d’assurer la diffusion de meilleures pratiques environnementales et sociales. Proparco travaille avec des entreprises qui souhaitent réellement améliorer leurs praNotre rôle est tiques et déved’assurer la loppe avec elles diffusion de des plans d’acmeilleures tions exigeants. pratiques Ces plans les engagent à une environnementales meilleure gestion et sociales environnementale (eaux usées, émissions atmosphériques, gestion des déchets), à une meilleure prise en compte de leur environnement naturel (protection de la biodiversité) et de leur environnement social (santé et sécurité au travail, non-discrimination, soutien au développement communautaire…). C’est ce que Proparco fait par exemple avec des acteurs tels que SIFCA en Afrique de l’Ouest ou SCOUL en Ouganda. Un engagement que nous poursuivrons pour accompagner les acteurs privés africains vers une agriculture durable.

151, rue Saint-Honoré 75001 Paris | FRANCE Tél. : (+33) 1 53 44 47 32 www.proparco.fr1Twitter:@Proparco1LinkedIn http://blog.secteur-prive-developpement.fr

Crédit Photo : Romain De Oliveira/Proparco

Développer une agro-industrie durable : un enjeu vital pour le continent


Dossier Agrobusiness COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERT

Nicolas DESCRAQUES, Responsable RSE SOMDIAA

Démarche RSE – de la responsabilité à la conformité Depuis septembre 2013, le Groupe SOMDIAA, qui produit en Afrique du sucre, de la farine, des œufs et de l’alimentation animale est engagé dans une démarche de développement durable. L’engagement RSE de SOMDIAA se base sur des valeurs et un engagement sincère. Il a été formalisé suite à un diagnostic des différentes filiales et une analyse des attentes de nos parties prenantes. Nous avons décidé de prioriser l’efficacité énergétique, de tendre vers une agriculture raisonnée, de rehausser nos exigences de santé et sécurité au travail, d’améliorer la qualité du dialogue social et la communication avec nos parties prenantes externes, de contribuer au développement local et d’accompagner nos sous-traitants dans une démarche de conformité. Chaque filiale du Groupe a agi sur ces 7 points d’engagement par des actions concrètes. Quand on regarde bien, ces actions sont liées à la profitabilité économique, elles permettent aussi d’éviter les coûts de ce qu’on peut appeler la « non RSE » : baisses de production, mouvements sociaux, contestation sociétale, … Notre démarche RSE permet de poursuivre notre développement, de rassurer nos actionnaires, nos investisseurs, nos clients et d’envisager le futur, durablement. Actuellement, nous traitons des sujets transversaux : devoir de vigilance vis-à-vis des droits humains, de la santé et sécurité et de l’environnement ainsi que la lutte contre la corruption. Nous travaillons également sur la certification sociale et environnementale du sucre avec Bonsucro. Désormais, la RSE intègre les activités de conformité et nous prenons ces sujets très au sérieux. Ils permettent aussi de rassurer nos clients industriels et nos consommateurs sur les conditions sociales, sociétales et environnementales de notre production.

Groupe SOMDIAA 39 rue Jean-Jacques Rousseau - 75001 Paris www.somdiaa.com

Atlantic Cocoa Plantation (ACP), piloté par le fidèle Georges Wilson. Plus avancée, l’usine de Kribi, bâtie sur 6 ha, nécessite 39,3 milliards de F CFA (près de 60 millions d’euros) d’investissement, dont 50 % du montant est prêté par BGFIBank Cameroun. Elle a conclu dans un premier temps des contrats d’approvisionnement avec des coopératives paysannes et des intermédiaires. La seconde phase du projet, cette fois agricole, consistera à planter des cacaoyers sur 25 000 ha, dont 5 000 sont déjà disponibles dans la zone de Bafia, au centre du pays. En Côte d’Ivoire, le volet agricole est certes encore à l’étude, mais l’unité de San Pedro, qui occupe 9 ha et doit créer 200 emplois directs et 500 emplois indirects une fois entrée en exploitation, démarrera ses activités en fin d’année si le closing financier, estimé à plus de 76 millions d’euros, intervient entre-temps. Les discussions avec une banque ivoirienne devant prendre en charge une partie du financement sont avancées. En outre, Bernard Koné Dossongui n’écarte pas la possibilité de valoriser du café. Une option pour le moment à l’étude à Abidjan.

EN FINIR AVEC LA DÉPENDANCE VIS-À-VIS DU SOJA ÉTRANGER

Yves Kolo Atangana et Raymond Diffo se sont fixé un but : rendre le Cameroun moins dépendant des importations de soja. Depuis 2006, ils encadrent près de 16 000 paysans dans le Septentrion en leur fournissant des intrants. En contrepartie, la Soybeans Processing Industry of Cameroon (Soproicam), qu’ils ont fondée, leur rachète leur production. Laquelle est transformée en huile et tourteaux dans l’usine située à la sortie ouest de Douala, qui produit aussi de l’huile de palme. Un investissement global de plus de 10 milliards de F CFA (15,2 millions d’euros) à ce jour, pour un chiffre d’affaires annuel moyen de plus de 12 milliards de F CFA. Et une part de marché se situant autour de 15 %. Bridée par une offre de matière première insuffisante, l’entreprise peine à accroître l’activité de son unité, qui tourne autour de 32 % de ses capacités. « Nous espérons trouver un partenaire en mesure de nous aider à augmenter la production pour atteindre une part de marché de 80 % à terme », explique Yves Kolo Atangana. O.M.


« Le développement de la filière viande est un facteur d’indépendance agroalimentaire et crée de la richesse »

UN ENTRETIEN AVEC

RAPHAËL ORTEGA COSTE DIRECTEUR GÉNÉRAL DE IECSA

L’émergence d’une classe moyenne africaine modifie les habitudes alimentaires de la région et accroît fortement les importations de produits carnés en provenance d’Amérique du sud et d’Europe. Or les sorties de devises correspondantes ne garantissent pas toujours l’accès à des produits de qualité en absence de contrôles sanitaires stricts. C’est pourquoi le développement d’une filière viande de qualité apporte des réponses sociales et économiques concrètes en échange d’un investissement raisonnable.

> Quels en sont les avantages ? Le principal avantage est humain car il bénéficie en premier lieu aux éleveurs, pour qui la vente d’animaux sur pieds aux frontières de leurs pays se fait aujourd’hui au prix de longues distances parcourues ce qui impacte lourdement les bêtes et réduit leur prix. Au niveau des consommateurs, ceux-ci auront désormais accès à une viande contrôlée et certifiée produite dans leur région. La création d’emplois qualifiés ne se limite pas au simple périmètre de l’abattoir, puisque la mise en valeur des sous-produits contribue au développement de l’artisanat du cuir, à la commercialisation de protéines destinées à l’aviculture et à la pisciculture ainsi que celle de graisses industrielles. Le second avantage est d’ordre financier. La substitution progressive des importations par une production nationale aura un impact sur la balance des paiements de la région. La commercialisation de la production sera facilitée au sein des zones économiques intégrées telle que la CEMAC ainsi que vers d’autres pays africains, ou du moyen orient, dont la proximité réduit les coûts de distribution par rapport aux flux transatlantiques de produits similaires. Enfin nous ne pouvons omettre le facteur du bienêtre animal. En effet la région souffre d’un manque de contrôles vétérinaires accentué par le phénomène de transhumance et par la commercialisation illégale. Une bête affaiblie, malade et stressée perd beaucoup de sa valeur. C’est pourquoi la filière viande à largement intérêt à imposer et faire respecter les normes favorisant le bien-être des animaux. Les abattoirs modernes prennent en compte ce facteur dès leur conception.

IECSA

> Quelle est votre offre ? IECSA est une entreprise d’ingénierie espagnole filiale du groupe français SFEH. Elle développe des projets agro-industriels EPC clés en mains. Pour cela notre équipe d’ingénieurs assure à nos clients un engagement responsable et une assistance efficace depuis la conception d’un projet jusqu’à sa complète réalisation. IECSA a un vrai savoir faire dans la filière viande et s’appuie en particulier sur sa filiale Argentine qui compte sur les meilleurs experts et références du continent sud-américain.

> Pouvez-vous nous donner un exemple de contrat obtenu ? Après avoir terminé la réalisation d’un abattoir en Angola, notre société construit actuellement une unité industrielle d’une capacité de 20 000 Tonnes à Moundou (République du Tchad) qui traitera bovins et petits ruminants. C’est un projet important à plus d’un titre. Le Tchad dispose d’un important cheptel bovin d’excellente réputation que le gouvernement entend valoriser. Notre projet est situé près des frontières avec le Cameroun, le Nigéria et la RCA. L’objectif est en premier lieu de satisfaire la demande tchadienne et d’exporter de la viande congelée vers les pays de la région. Notre projet inclut un important volet de formation du personnel et transfert de savoir-faire. Une équipe de formateurs argentins s’installera sur place pendant 6 mois afin d’accompagner les professionnels tchadiens et leur fournir une assistance à la gestion des opérations. Ce projet est inscrit dans le Plan de Développement National conçu et impulsé par le Président de la République, Monsieur Idriss DEBY. Le Tchad aborde la mise en valeur des ressources animales de manière pragmatique et réaliste. Nous espérons que d’autres pays suivront cet exemple.

La future unité industrielle de Moundou (République du Tchad).

IECSA - Internacional de Equipos Científicos, S.A. c/ Velázquez, 114 - 3º Dcha. 28006 - Madrid, ESPAÑA Tél. : +34 91 310 52 30

proyectos@iecsa.net

PUBLI-INFORMATION

DIFCOM - PHOTOS : DR.

> En quoi la situation actuelle du marché de la viande en Afrique n’est pas satisfaisante ?


Dossier Agrobusiness

Les décryptages du

Comment gagner le pari de la compétitivité

Développer des financements agricoles inédits, mieux accompagner les petits exploitants, s’appuyer sur des technologies innovantes… Six experts présentent les solutions qui permettront au secteur de s’épanouir.

E

n 2016, la facture des importations africaines de produits alimentaires s’élevait à 65,8 milliards de dollars (62,4 milliards d’euros). Si rien n’est fait pour changer la donne en matière de compétitivité, ce montant pourrait atteindre 110 milliards de dollars d’ici à 2025. Les investissements privés ont beau prendre de l’ampleur en Afrique, le secteur reste confronté à la concurrence internationale. En ne contribuant qu’à moins d’un quart du PIB continental, il est loin d’avoir atteint son plein potentiel. Difficultés d’accès aux financements, absence de prise en compte des petits exploitants, prix des intrants… La plupart des pays africains peinent à trouver le modèle qui leur permettra d’augmenter leur productivité et, in fine, de transformer l’agriculture en une activité commerciale répondant aux standards internationaux. Le premier problème à surmonter, d’après Alassane Doumbia, président du conseil d’administration du groupe agro-industriel ivoirien Sifca, est celui des financements privés. « Aucune banque n’est prête à financer un planteur seul. Dans nombre de cas, nous avons été obligés de nous en charger directement. » Deux solutions complémentaires ont été avancées pour résoudre cette problématique. La première, émise

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par Sérgio Pimenta, vice-président Moyen-Orient et Afrique de l’IFC (Société financière internationale, groupe Banque mondiale), consiste à élaborer des financements agricoles novateurs. Des outils mixtes (blended finance) combinant acteurs publics et privés seront spécifiquement adaptés aux petits exploitants, qui représentent 80 % des agriculteurs du continent.

Aider les producteurs à augmenter leurs rendements

Dans cette configuration, l’acteur public accompagne l’investisseur privé pour qu’il ne supporte pas seul les risques en cas d’échec. Un système à l’origine du succès du fonds nigérian Sahel Capital, selon Yana Kakar, associée gérante monde du cabinet de conseil Dalberg. Monté en 2010, Sahel Capital est parvenu à lever plus de 30 millions de dollars auprès des gouvernements nigérian et allemand pour l’assistance technique des PME du secteur agricole nigérian. D’après la Banque africaine de développement (BAD), l’identification de nouvelles sources de financement pourrait générer entre 110 et 125 milliards de dollars de revenus d’ici à 2025. La deuxième solution consiste en la mise en place, par les bailleurs, de programmes d’assistance technique afin d’aider les producteurs à augmenter leurs rendements. Car le

continent reste à la traîne. « Si l’on prend l’exemple de la production de céréales sur les cinquante dernières années, l’Amérique du Sud et l’Asie ont respectivement accru leurs rendements de 50 % et 40 %, alors que l’Afrique n’a pas dépassé les 25 % », rappelle Yana Kakar. Mais quelles méthodes utiliser pour améliorer la productivité? Selon Karim Senhadji, directeur général d’OCP Afrique, « il existe une corrélation très forte entre taux d’utilisation des engrais et taux de rendement agricole ». Or l’exploitant africain, pour des raisons de distance, de coûts de transport, de communication ou de financement, dispose d’un accès limité aux engrais. « Pour surmonter ces difficultés, la seule solution est de construire un écosystème autour du fermier », assure Karim Senhadji. C’est ce qui a été réalisé en Guinée, où l’ensemble des parties prenantes se sont réunies en task force dans le but de livrer en temps et en heure près de quinze types d’engrais différents, réduisant ainsi de 40 % leur coût d’acheminement. Une fois cette question réglée, « iI faut apprendre au fermier à utiliser avec la plus grande efficacité possible les technologies auxquelles il a accès », poursuit Karim Senhadji. Un volet formation auquel Alassane Doumbia est lui aussi très attaché:


Le secteur concentre plus de 51 % des emplois du continent. La demande alimentaire en Afrique devrait doubler d’ici à 2050.

… PAS ENCORE EXPLOITÉ

28 % d’augmentation annuelle moyenne des importations de produits manufacturés chinois, passées de 4,4 milliards de dollars en 2000 à 86,7 milliards de dollars en 2013. Une exploitation plus intensive produirait 100 millions de t de graines supplémentaires.

SOURCES : AGRA, BAD, ECOFIN

JACQUES TORREGANO/CEO FORUM/JA

UN VRAI POTENTIEL…

Lors du Africa CEO Forum, en mars, à Abidjan (de g. à dr. : Julien Wagner, journaliste à Jeune Afrique, Sérgio Pimenta, vice-président Afrique et Moyen-Orient d’IFC, Venkataramani Srivathsan, directeur régional d’Olam pour l’Afrique et le Moyen-Orient, Christiane Laibach, directrice générale de la DEG, Alassane Doumbia, président du conseil d’administration de Sifca, et Karim Senhadji, directeur général d’OCP Afrique).

« En Côte d’Ivoire, nous encadrons un bassin de palmiers à huile de plus de 120000 hectares cultivé par de petits planteurs. Le rendement de ces plantations est de l’ordre de 5 à 7 tonnes par hectare alors qu’il est de 18 t pour les industriels. Avec des équipes mieux formées, il serait possible de l’accroître de manière exponentielle. » Mais ce ne sont pas les seules pistes. Sérgio Pimenta, lui, a choisi de mettre en avant ce qu’on appelle « l’agriculture intelligente ». Un concept déjà développé par OCP en Éthiopie, où, depuis cinq ans, le leader mondial des phosphates a collaboré avec des institutions agricoles locales afin d’élaborer une « carte de fertilité » permettant d’adapter la composition des engrais à la nature des sols. Pour y parvenir, une vaste collecte de données in situ et par l’intermédiaire

d’outils satellitaires a été nécessaire. « Grâce à ce travail, l’Éthiopie a augmenté sa productivité dans la culture du maïs de 37 % en utilisant un nouvel engrais, à la fois plus économique et plus efficace », affirme Karim Senhadji.

Des infrastructures logistiques fiables et en nombre suffisant

Et les technologies ont encore d’autres vertus. « Les nouveaux outils de collecte de données agricoles favorisent une meilleure anticipation des rendements », fait valoir Venkataramani Srivathsan, directeur régional d’Olam pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Plusieurs pays sont sur la bonne voie. En Éthiopie, un fort soutien du gouvernement a permis de développer considérablement la floriculture: en moins de vingt ans, les

exportations de fleurs ont généré 550 millions de dollars de revenus. De même, au Nigeria, la transformation du système de distribution d’intrants réalisée au cours des dix dernières années a permis de tripler la production de cassave tout en économisant environ 100 millions de dollars en importations par an. Reste que, malgré tout, pour véritablement gagner le pari de la compétitivité, une meilleure productivité ne suffit pas. Encore faut-il « disposer d’infrastructures logistiques fiables et en nombre suffisant telles que lignes ferroviaires, ports ou routes, pour entrer en compétition avec le reste du monde », rappelle Karim Senhadji. Des outils dont la mise en place, inévitablement, prend du temps. Compte rendu réalisé par CAMILLE LU-DAC, du Africa CEO Forum

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