ALGÉRIE
CÔTE D’IVOIRE Jusqu’où iront les insoumis du PDCI ?
AHMED OUYAHIA, CONTRE VENTS ET MARÉESS
MAROC L’atout jeunes Spécial 14 pages
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 3003 DU 29 JUILLET AU 4 AOÛT 2018
La Cour pénale internationale a 20 ans. Bemba, Gbagbo, Seif el-Islam Kadhafi… En dépit des vives critiques dont elle est l’objet sur le continent, sa procureure générale défend son bilan bec et ongles. Interview exclusive
Fatou Bensouda « Personne n’échappera à la justice » ÉDITION INTERNATIONALE ET AFRIQUE SUBSAHARIENNE
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France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 €
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Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 7 FS Tunisie 3,50 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2000 F CFA ISSN 1950-1285
GRAND FORMAT
MAROC
HANS BERNHARD HUBER/LAIF-REA
Pour tout comprendre de l’évolution d’un pays
Atout jeunes
Qu’ils soient diplômés ou non, les 15-34 ans sont l’une des principales ressources du royaume. Formation, accès à l’emploi, à la culture: il est temps qu’ils profitent un peu plus de la croissance. jeuneafrique no 3003 du 29 juillet au 4 août 2018
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Fahd Iraqi
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L’âge des possibles
76 Humeur De l’air !
Tranche de vies onservatrice et moderne ; engagée et insouciante ; libre et opprimée ; mondialisée et renfermée ; dorée et désargentée… Au royaume des mille et une contradictions, tous les qualificatifs, mais aussi leurs antonymes, seraient valables pour décrire la situation de la jeunesse. Une tranche d’âge (les 15-34 ans) qui représente un tiers de la population, selon le dernier recensement, et un trésor, selon tous les observateurs, conscients que le principal avantage compétitif d’une économie marocaine dépourvue de ressources naturelles réside dans sa force de travail et repose donc sur l’énergie, ainsi que sur les compétences, de la population. Mais cette jeunesse est aussi perçue comme un gâchis, tant les occasions de faire d’elle un véritable moteur de développement ont été manquées. Pourtant, dans les discours, il y a toujours eu une volonté politique de donner aux jeunes voix au chapitre, de les impliquer davantage dans le processus de prise de décision. Cette volonté n’a malheureusement pas été traduite dans l’action publique, ou du moins ses effets n’ont-ils pas été ressentis. À tel point que des centaines de milliers de jeunes Marocains partagent aujourd’hui ce sentiment qu’ils ne servent que de
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78 ÉCONOMIE
Moumk’in, le nouveau mode d’emplois
83 Stratégie
faire-valoir pour enrober des discours qui se répètent, des mesures qui se succèdent et se ressemblent…
Interview de Salaheddine Mezouar Président de la Confédération générale des entreprises du Maroc
Génération biberonnée au haut débit
86 SOCIÉTÉ
Difficile de leur donner tort alors que le Maroc de 2018 peine encore à installer en bonne et due forme un Conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative, pourtant prévu par la Constitution il y a sept ans. Allez faire gober à cette génération biberonnée au haut débit et aux réseaux sociaux que « la jeunesse est une priorité ». Sans compter que ce fameux Conseil n’est qu’un remake d’une autre institution (le Conseil national de la jeunesse et de l’avenir), créée au début des années 1990 et censée rendre meilleure la vie des jeunes… Lesquels sont devenus parents depuis lors. Heureusement, l’espoir ne s’est pas totalement évanoui. En effet, si la jeunesse actuelle, toutes catégories sociales confondues, s’est résignée à accepter son statut de nouvelle et énième « génération sacrifiée », elle aspire encore à de meilleurs lendemains pour ses propres enfants. Des lendemains où la future génération préférera travailler et développer son pays plutôt que songer au moyen de traverser la Méditerranée.
IL Y A TOUJOURS EU UNE VOLONTÉ D’IMPLIQUER DAVANTAGE LES JEUNES DANS LE PROCESSUS DE PRISE DE DÉCISION, MAIS SES EFFETS N’ONT PAS ÉTÉ RESSENTIS.
Le Boulevard, un festival pas comme les autres
88 Il était une fois… Ringardes, les Dar Chabab ?
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ENJEUX
L’âge des possibles
Acteurs clés du changement, les 15-34 ans représentent un tiers de la population. Si moult rapports ont souligné l’urgence de les placer au cœur des stratégies de développement, la croissance ne leur profite toujours pas. Le royaume peut-il se passer plus longtemps de ce formidable atout qu’est la jeunesse? FAHD IRAQI, à Casablanca
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«
ais attention ! Ne cours pas près du bord, tu risques de glisser ! » Cet avertissement, Aziz, 20 ans, le répète à longueur de journée aux bambins trottinant près de la piscine de la résidence où il officie comme maître-nageur. « Entre ma paie, les pourboires et deux ou trois cours de natation aux enfants, je gagne jusqu’à 300 dirhams (27 euros) les bonnes journées », confie l’étudiant en physique-chimie. Il a décroché ce
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job d’été grâce à son frère, gardien dans cette luxueuse copropriété de Bouznika, à mi-chemin entre Rabat et Mohammedia. « La plupart de mes amis passent leurs journées à fumer des joints au café du village, envoûtés par les images des chaînes musicales arabes, ou, au mieux, à vendre des fruits sur la route côtière pour gagner au bout du compte une centaine de dirhams », poursuit le jeune homme. Aziz est conscient de représenter une hérésie statistique. Selon les derniers chiffres du ministère de la Jeunesse et des Sports, sur les 11,7 millions de Marocains âgés de 15 à 34 ans
(soit un tiers de la population), 82 % n’exercent aucune activité, 50 % ont des revenus qui sont parmi les plus bas du pays et 75 % ne bénéficient d’aucune couverture médicale. Des données qui en disent long sur les problèmes de chômage, de sous-emploi et de précarité dont souffre une bonne partie de cette tranche d’âge, devenue une véritable bombe à retardement.
De l’or changé en plomb
Pourtant, la jeunesse de sa population a souvent été présentée comme un atout pour un royaume quasi dépourvu de ressources naturelles, où
la valeur ajoutée ne se crée que par la force de travail. Depuis une vingtaine d’années, une kyrielle d’études se sont succédé pour souligner tout le potentiel que recèle cette jeunesse. Ainsi, en 2006, le « Rapport du cinquantenaire » (de l’indépendance) appelait déjà à agir sans attendre. « L’enjeu de cette fenêtre d’opportunité démographique est capital pour notre pays, qui devrait en tirer pleinement profit en mettant au travail les cohortes de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi. Si tel n’est pas le cas, la population marocaine vieillira inéluctablement à un rythme plus rapide
que sa capacité à créer de la richesse », soulignait le document, piloté par feu le conseiller royal Abdelaziz Meziane Belfqih. Il faut croire que le royaume est passé à côté de cette « opportunité démographique ». Les stratégies publiques lancées depuis n’ont jusqu’à présent pas produit l’effet escompté. En août 2012, le roi Mohammed VI dressait cet amer constat: « Les performances atteintes ne sont pas à la hauteur des ambitions et des attentes des jeunes. » Il appelait par ailleurs à la mise en place d’une « stratégie globale qui mettrait fin à la
CAMILLE MILLERAND/DIVERGENCE
Étudiants de la faculté Ben M’sik de Casablanca.
dispersion des prestations fournies actuellement à notre jeunesse et à l’adoption d’une politique intégrée qui associe, dans une synergie et une convergence, les différentes actions menées en faveur des jeunes ». Cinq ans plus tard, dans son discours du 20 août 2017, le souverain faisait presque le même constat : « En dépit des efforts consentis, la situation de nos jeunes reste insatisfaisante. » Malgré cet appel royal, les politiques publiques en faveur des jeunes sont encore balbutiantes. Même le fameux Conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative,
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DOM POUR JA
HUMEUR
De l’air ! JULES CRÉTOIS
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i les jeunes Marocains restent prompts à émigrer, ils sont, depuis 2011, un peu moins nombreux qu’auparavant à quitter le royaume pour les pays de l’OCDE – cette année-là, le nombre de départs est passé sous la barre des 100 000. « Depuis la crise de 2008, les pays du Nord paraissent moins attrayants », reconnaît Mohamed Khachani, secrétaire général de l’Association marocaine d’études et de recherches sur les migrations (Amerm). D’où cette inflexion. Le s m o t i va t i o n s
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économiques restent toujours parmi les premières invoquées par les candidats au départ. Ainsi, « quand un chantier structurant et créateur d’emplois s’ouvre dans une région du royaume, o n o b se r ve u n e baisse des départs », relève Mohamed Khachani. Mais un autre motif est apparu au sein d’une frange de la jeunesse : la volonté de s’émanciper. « Il y a un sentiment d’impuissance, l’impression que le pays n’appartient pas à ses citoyens et qu’on ne pourra pas y concrétiser ses
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envies. Beaucoup de nos adhérents ont quitté le Maroc ou ont prolongé leurs études à l’étranger pour cette raison », confirme Mohamed Amine Faiz, vice-président de l’association Tariq Ibnou Ziyad Initiative (Tizi), dont l’ambition est, dit-il, de « réenchanter le monde politique pour les jeunes ». L’a n t h ro p o l o g u e Zoubir Chattou partage ce constat : « La société se libéralise, s’individualise, mais le pays ne propose pas à sa jeunesse de s’accomplir pleinement tout en assumant ses particularités. » Des entreprises qui laissent peu de place à l’initiative, un champ politique verrouillé, une offre culturelle réduite… Autant de sources de frustration pour une jeunesse connectée au monde. Selon Zo u b i r C h a t to u , en plus d’une offre d’emploi qui corresponde à leur niveau d’études, les jeunes de la classe moyenne – dont les contours restent flous – réclament une société civile active et libre, des lieux de débats et d’expression artistique. « Quand tu as l’impression de n’être que de passage chez toi, alors, en effet, tu peux avoir envie de partir à la première occasion », résume Mohamed Amine Faiz.
prévu par la Constitution de 2011, tarde à voir le jour, bloqué dans les méandres du circuit législatif. « De toute façon, ce n’est pas une nouvelle institution qui va régler nos problèmes », remarque Aziz, dont les parents avaient son âge en 1991, quand Hassan II avait instauré un Centre national de la jeunesse et de l’avenir (CNJA) censé, déjà, assurer un meilleur avenir à la nouvelle génération.
Conscience politique
L’échec des initiatives prises par l’État pour tenter de corriger ces dysfonctionnements renforce un sentiment de méfiance vis-à-vis de l’action politique. Actuellement, seulement 1 % des jeunes Marocains adhèrent à un parti. Un désintérêt qui s’explique notamment par la mauvaise expérience vécue par certains nouveaux engagés, au lendemain de la loi électorale de 2012 ayant instauré une liste nationale de 30 sièges pour les moins de 40 ans aux élections législatives. Beaucoup ont déchanté lors du scrutin de 2016. « Dans mon ancien parti, la liste des jeunes avait cette particularité d’être monnayable : jusqu’à 3 millions de dirhams pour être désigné tête de liste », confie un ex-membre actif de l’organisation de jeunesse d’une formation membre du gouvernement. N’être ni militant ni élu d’un parti ne veut pas pour autant dire ne pas avoir de conscience politique ou de volonté de s’engager dans la vie de la nation. D’ailleurs, 15 % des jeunes Marocains sont membres d’une association. Ce n’est pas le cas d’Aziz, qui parvient malgré tout à formuler sa sensibilité politique en trois points: « Oui, je suis pour la campagne de boycott même si je ne bois jamais de Sidi Ali. Oui, j’ai entendu parler du Mouvement du 20-Février et de la manière dont le Makhzen l’a réduit au silence. Et, oui, je pense que les condamnations contre les jeunes du Rif sont injustes, c’est même haram », lance-t-il, avant de s’interrompre pour interpeller une fillette : « Ne cours pas près du bord, tu risques de te faire mal ! » Et, les yeux dans le bleu du bassin, d’ajouter en aparté : « C’est valable aussi pour le bled, non ? »
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ÉCONOMIE
Moumk’in,
moded’emplois Pour endiguer le chômage des jeunes, le gouvernement vient de mettre en place un plan qui préfère être réaliste plutôt que vainement ambitieux. Objectif: remobiliser, en responsabilisant.
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oumk’in, littéralement « possible », est le nom que le gouvernement a choisi de donner à sa charte de mobilisation nationale pour l’autonomisation des jeunes. « C’est un terme qui porte un message positif à destination des jeunes et vise à les responsabiliser, explique Mohamed Yatim, ministre du Travail et de l’Insertion professionnelle. Chaque jeune est capable de réussir son projet professionnel s’il se sent responsable de son avenir, se décide à le construire avec une grande détermination, en tirant profit des outils et des programmes que les pouvoirs publics mettent à sa disposition. » Pendant plus de six mois, le département de l’Emploi a coordonné la mise en place de ce plan, présenté comme innovant. « Contrairement aux anciens programmes, qui
MAP
Le 27 avril, à Rabat, les signataires de la charte autour du chef du gouvernement, Saadeddine El Othmani.
reposaient essentiellement sur les mesures incitatives à l’emploi et sur l’intermédiation, la charte Moumk’in est le fruit d’une démarche participative, globale et intégrée, avec la contribution active de soixante-dix parties prenantes », argumente l’ancien syndicaliste devenu ministre.
Approche volontariste
Signé le 27 avril, ce programme implique quatre ministères, la confédération patronale CGEM (lire pp. 83-85) et l’Association des régions du Maroc (ARM). L’objectif affiché est de créer 1,2 million d’emplois d’ici à 2021, en incluant le potentiel des stratégies et plans sectoriels déjà en cours. « C’est une ambition qui paraît démesurée au vu de la dynamique de croissance au Maroc », nuance Jamal Belahrach. L’ancien vice-président de la CGEM salue néanmoins cette approche volontariste, tout en regrettant qu’elle ne soit pas plus précise sur « les
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réservoir important d’emplois. Il est également quesmesures d’accompagnement des entreprises pour favorition d’ouvrir les appels d’offres publics aux coopératives, ser la création d’emplois ». Au sein du gouvernement, on ainsi que de permettre aux administrations et entreprises n’en démord pas. Pour Mohamed Yatim, le potentiel de publiques de solliciter des autoentrepreneurs – comme création de 1,2 million de postes de travail est bien là, si ces mesures nécessitent un aménagement des procédures, l’on tient compte des différents plans sectoriels. Quitte leur mise en place risque toutefois de prendre du temps. à y inclure certains objectifs qui semblent difficilement Reste que pour tous les acteurs du marché du travail, la réalisables. À titre d’exemple, le programme pour le touformation, et notamment la formation risme baptisé « Vision 2020 » est encore qualifiante, constitue le principal défi à bien loin d’avoir créé les 80 000 emplois Plus de relever car c’est là que le bât blesse. Une attendus. « Dans la pléthore de plans récente étude du Haut-Commissariat stratégiques, très peu figurent parmi les au plan (HCP) révèle que les titulaires bons élèves, remarque un ancien parlede la population active de diplômes de l’enseignement génémentaire membre de la commission des marocaine est au chômage, ral ou de la formation professionnelle Finances. Le seul programme qui s’apsont majoritaires au sein de la popuproche réellement des chiffres annonsoit plus de lation active au chômage : 48,4 % des cés en matière de création d’emplois est demandeurs d’emploi sont diplômés le plan d’accélération industrielle, avec de l’enseignement général, tandis que 58 % des emplois créés sur le demi-milde personnes, 17,4 % ont suivi un cursus de formation lion de postes de travail promis à l’horiprofessionnelle. Ce constat sans équizon 2020. » dont voque illustre la contre-performance D’ailleurs, au ministère du Travail, sont âgées de 15 à 34 ans. du système de formation, dans lequel le on préfère se fixer un objectif raisonpays a pourtant investi des milliards de nable : ramener le taux de chômage à Chez les 15-24 ans, dirhams. Toutefois, plus le diplôme est 8,5 %, alors que celui-ci s’établit actuelce taux atteint élevé, plus le taux de chômage est faible: lement à plus de 10,5 %. « Pour atteindre 18,9 % pour les licenciés; 15,9 % pour les un tel niveau, il faut créer en moyenne titulaires de DEA, DESS ou master ; 7,7 % 200 000 emplois nets par an sur la (SOURCE : HCP) pour les ingénieurs et 3,9 % pour les titupériode 2018-2021, explique Mohamed laires d’une thèse de doctorat. Yatim. Et cela en incluant évidemment « Depuis des années, nous demandons d’accorder tous les emplois, c’est-à-dire dans le formel comme dans une importance capitale aux soft-skills [la personnal’informel, les salariés, les indépendants et même les lité et le savoir-être] dans les cursus de formation, mais emplois non rémunérés. » aussi de favoriser l’apprentissage en entreprise à travers des mesures incitatives pour le recrutement des jeunes diplômés », rappelle Jamal Belahrach. Cette fois-ci, le gouCet objectif paraît nettement plus réaliste, d’autant que vernement semble avoir entendu le message puisque le le programme Moumk’in prévoit le déploiement d’une dispositif Moumk’in entend favoriser la multiplication des batterie de mesures au cours des prochaines années. « Le stages. À l’heure où 370 000 personnes viennent grossir gouvernement va davantage lier les subventions et les chaque année les rangs de la population active marocaine exonérations accordées aux investisseurs dans le cadre de – qui représente déjà 63 % de la population –, il devient la charte d’investissement au nombre effectif d’emplois urgent de rendre les programmes liés à l’emploi enfin efficréés », souligne le ministre, qui promet aussi des mesures caces. de soutien au secteur associatif, considéré comme un
10,5 %
1,2 million
990 700
29,3 %
Le fiasco de la formation
UNE DOSE DE SOCIAL POUR DOPER LE MARCHÉ DU TRAVAIL Afin d’améliorer le fonctionnement du marché du travail, mais aussi d’élargir les droits des salariés, le gouvernement a prévu d’élaborer un pacte social, de faire promulguer la loi sur le droit de grève et d’aller vers une généralisation progressive de la couverture sociale, de façon à ce que les travailleurs indépendants en
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bénéficient. L’Inspection du travail sera par ailleurs renforcée, avec la possibilité, après réalisation d’une étude de faisabilité, de séparer les missions de contrôle de celles de conciliation. Le dispositif d’indemnisation pour perte d’emploi sera simplifié et complété par des mesures visant à faciliter le retour à l’emploi. Enfin,
toujours dans le cadre du plan Moumk’in, il est prévu d’étudier, en vue de leur éventuelle mise en place, des cadres juridiques pour les nouvelles formes de travail – travail à temps partiel, télétravail, etc. – issues des profondes transformations qu’a connues le marché du travail. F.I.
- Ph Photo © woraput p t - Illustration © TThomass Vieille
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L’énergie est notre avenir, économisons-la !
COMMUNIQUÉ
AVIS D’EXPERTS
Marc VEUILLOT, Managing Partner
Maroc : la ruée vers le gaz ? Importateur historique d’énergies fossiles, le Maroc a mis en place une stratégie visant à développer les énergies renouvelables. Les découvertes de gaz dans le sous-sol marocain depuis le début de l’année 2018 vont changer la donne et certainement contribuer à la diversification des approvisionnements en énergie. Quel en sera le cadre juridique ?
Au royaume des énergies renouvelables Le Maroc dispose d’atouts considérables en matière d’énergies renouvelables. Le niveau d’ensoleillement du pays et les 3 500 kilomètres de côtes maritimes, très exposées au vent, en attestent. La programmation des centrales solaires NOOR I et NOOR II et le projet éolien intégré de 850 mégawatts ont conduit à un aménagement juridique avec l’entrée en vigueur d’une loi dédiée aux énergies renouvelables en 2010 et amendée en 2016. Cette loi est importante car elle vise notamment à encourager les initiatives privées en consacrant le droit pour tout investisseur privé de produire de l’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables.
Trois éléments méritent d’être soulignés. Tout d’abord, l’Etat marocain va mettre en place un système de concessions sur 25 ans pour la réalisation et l’exploitation de tout ouvrage gazier. L’octroi des concessions sera mis en place après appel à la concurrence sur la base d’un cahier des charges. Ensuite, l’Etat va attribuer le monopole dans le domaine du transport du gaz à la Société de transport du gaz naturel (STGN). Enfin, des zones de consommation exclusive du gaz produit au Maroc seront définies.
Vers un bouleversement ? Le texte prévoit également que l’importation et l’achat du gaz naturel seront exclusivement réservés à l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) et aux distributeurs. Enfin, la régulation du secteur gazier devrait être assurée par l’Autorité nationale de régulation de l’électricité qui deviendrait l’Autorité nationale de l’énergie. Si ce texte, dont certaines des dispositions sont contestées par les investisseurs, a vocation à être amendé, il convient de rester attentif au développement législatif et réglementaire concernant le secteur gazier au Maroc. Nous pouvons nous attendre à un bouleversement similaire à celui qui a été produit par la loi concernant les énergies renouvelables.
Le gaz, au cœur des enjeux Depuis 2011, le Maroc s’approvisionne en gaz auprès de son voisin algérien notamment dans le cadre des projets « Gas to Power » et « Gas to Energy ». A priori, le contrat d’approvisionnement expirant en 2021 n’a pas vocation à être renouvelé. La découverte récente d’un gisement de gaz naturel dans la province de l’Oriental va très certainement conduire le Maroc à organiser sa législation dans le domaine de l’exploitation du gaz naturel. C’est dans ce contexte qu’un projet de loi relatif
CMS Francis Lefebvre Maroc Conseil juridique et fiscal Résidence Le Yacht 63 boulevard de la Corniche Casablanca 20250 – Maroc Tél. : +212 522 22 86 86 E-mail : marc.veuillot@cms-fl.com
au secteur aval du gaz naturel trace les premières grandes lignes de régulations à venir.
cms.law/fl
Grand format MAROC ÉCONOMIE
STRATÉGIE
Salaheddine Mezouar Président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM)
HASSAN OUAZZANI POUR JA
« Nos jeunes doivent savoir qu’un échec n’est pas une fatalité » doper la création d’emplois, un défi qu’il souhaite voir relevé au niveau régional.
Propos recueillis à Casablanca par EL MEHDI BERRADA
vec plus de 75 % des suffrages, Salaheddine Mezouar, 64 ans, a été élu haut la main, le 22 mai, à la tête de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). La candidature de l’ancien ministre de l’Industrie (2004-2007), des Finances (2007-2012), puis des Affaires étrangères (2013-2017), qui fut président du Rassemblement national des indépendants (RNI) de 2010 à 2016, avait été un temps critiquée. Mais, comme il l’avait annoncé, le nouveau patron des patrons, une fois élu, a démissionné de son parti et promis de garder ses distances avec la politique pour préserver l’indépendance de la CGEM. Alors que son équipe et lui-même sont en train de prendre leurs marques dans les bureaux de l’organisation, à Casablanca, Salaheddine Mezouar apporte quelques précisions sur sa feuille de route et ses objectifs. Notamment pour
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Jeune Afrique : Avez-vous pu rencontrer le chef du gouvernement, Saadeddine El Othmani, depuis votre élection?
Salaheddine Mezouar : Nous avons eu un premier contact avec lui. Ce n’était pas une réunion formelle. Nous avons échangé nos points de vue sur diverses questions. Nous lui avons aussi fait part de notre démarche et de notre feuille de route. Il sait que notre programme a l’ambition, entre autres, de mettre en place le pacte pour la croissance et l’emploi. Notre première rencontre officielle se fera d’ailleurs précisément autour de ce point. Que proposez-vous pour résorber le chômage? Lire aussi « Dix choses à savoir sur Salaheddine Mezouar » www.jeuneafrique.com
Nous avons besoin d’accentuer l’ouverture de notre économie et sa diversification, tout en accompagnant et en
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restructurant ses secteurs historiques. Dans notre programme, nous militons pour que l’ensemble des secteurs profite des mêmes mesures. C’est-à-dire que ce que nous avons accordé aux « nouveaux métiers » doit être généralisé, pour que les autres en bénéficient également. En outre, notre pays dispose d’un potentiel de développement territorial énorme. Nos sources de croissance se trouvent, aussi, dans les régions. Au cours des trois années de notre mandat, nous voulons créer un rapprochement entre le secteur privé et les initiateurs des programmes de développement régional. C’est de cette façon que l’on parviendra à répondre à la problématique de l’insertion des jeunes dans le monde du travail. Il ne faut pas non plus oublier d’accompagner l’innovation et l’entrepreneuriat chez les jeunes, car c’est primordial pour la création d’emplois. Sur l’année écoulée, on recense plus de 8 000 entreprises en défaillance. Un triste record qui n’encourage pas l’entrepreneuriat. Comment rassurer des jeunes qui ont ce chiffre en tête?
C’est un chiffre qui nous interpelle, en effet. Et il nous rappelle qu’il faut instaurer des mesures pour aider ces entreprises en difficulté. Le plus inquiétant est que, derrière chaque défaillance ou faillite, il y a des emplois menacés. Cela dit, il est normal que des entreprises ferment. Il faut aussi que nos jeunes sachent qu’un premier échec n’est pas une fatalité et qu’il faut persévérer. C’est de l’apprentissage, ce chiffre ne doit pas leur faire peur. Généralement, ce sont les difficultés financières qui entraînent ces défaillances. Dans notre programme, nous avons intégré la création d’un fonds de garantie, pour les besoins en fonds de roulement, afin de redonner de l’oxygène à ces entreprises. Quand j’étais au ministère des Finances, j’avais mis en place un fonds similaire qui avait bien fonctionné. Ce type d’instrument doit être créé par le gouvernement mais géré par la Caisse centrale de garantie. De leur côté, les entreprises doivent répondre à un certain nombre de critères afin de pouvoir en bénéficier. Quels enseignements retenir de l’ampleur dumouvementde boycott lancé le20avrilà l’égard de trois marques? Peut-on prévenir ce genre de phénomène?
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La plus grande leçon à en tirer est que l’entreprise doit être beaucoup plus visible et bien plus investie dans son engagement citoyen. C’est ce qui peut réconcilier les consommateurs avec les marques. On aimerait que les règles de régulation fonctionnent et que les instances constitutionnelles qui en ont la charge puissent jouer leur rôle. La réactivation du Conseil de la concurrence est primordiale, et ce qui s’est produit justifie encore plus ce besoin. J’en ai d’ailleurs parlé avec le chef du gouvernement lors de notre rencontre. Et le gouvernement y pense aussi. Quel rôle la CGEM peut-elle jouer face à une telle campagne?
LE BOYCOTT NE DOIT PLUS ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UN PHÉNOMÈNE PASSAGER. LA CGEM PEUT JOUER UN RÔLE DE MÉDIATION AVANT QUE LES CRISES NE PRENNENT UNE TELLE AMPLEUR.
Il faut prendre au sérieux ce mouvement inédit au Maroc. Le boycott est une donnée qu’il faut désormais intégrer, et on ne peut plus le considérer juste comme un phénomène passager. Au sein de la CGEM, il est primordial d’avoir une équipe de veille et de gestion de crise. Une organisation comme la nôtre est tenue de défendre les intérêts des entreprises et, bien évidemment, l’emploi. Elle peut jouer un rôle de médiation pour notamment éviter que, par incompréhension ou par réaction, les crises ne prennent une telle ampleur. L’exécutif va bientôt s’atteler à la préparation de la loi de finances. Qu’allez-vous demander? Et quelles sont les principales attentes des patrons?
L’ancienne équipe avait travaillé sur un certain nombre de mesures qu’elle a adressées à la DGI [Direction générale des impôts], qui, depuis, a eu le temps de les étudier. Nous allons donc en discuter avec ses services très prochainement. Lors de notre tournée pour préparer l’élection à la présidence de la Confédération, nous avons demandé aux entreprises, dans les différentes régions, quels étaient leurs besoins et leurs priorités. Les problématiques qui reviennent le plus souvent sont celles du financement, du remboursement de la TVA et des délais de paiement trop importants [le 10 juillet, le ministre des Finances, Mohamed Boussaid, a d’ailleurs reçu les représentants du secteur privé, dont ceux de la CGEM, pour le lancement officiel de l’Observatoire des délais de paiement, créé fin 2017, NDLR].
Par ailleurs, l’économie marocaine souffre énormément des importations frauduleuses qui perturbent le marché et déstabilisent les entreprises structurées. Nous souhaitons proposer quelques mesures pour y remédier. Vous avez vous-même été chargé du portefeuille des Finances et allez négocier avec MohamedBoussaid,quiaétévotrecollègue au RNI. Est-ce un avantage?
C’est un atout pour nous deux. D’abord parce que nous nous connaissons bien, mais aussi parce que l’on va parler le même langage. Je connais les réalités et les contraintes de l’élaboration d’une loi de finances. Cela dit, aucune de nos requêtes ne sera coûteuse pour le budget de l’État ni ne demandera beaucoup au gouvernement, si ce n’est de garantir une bonne gestion de trésorerie. Mais, pour le moment, nous n’avons pas encore abordé les questions de réforme structurelle. Ce jour-là, il y aura un débat entre nous.
MON PROFIL D’ANCIEN POLITIQUE ? IL VA DONNER AU PATRONAT PLUS DE FORCE, DE CAPACITÉS DE NÉGOCIATION ET D’ANTICIPATION.
On a l’habitude de voir un ancien président de la CGEM sauter le pas pour se lancer dans la politique, jamais le contraire. Votre élection est d’ailleurs une première. Comprenez-vous que certains aient mal perçu votre candidature?
Pour moi, la volonté de mettre l’accent sur l’indépendance de notre Confédération est une chose, rejeter le politique en est une autre. Créer une fracture dans le discours avec le monde politique est en effet dangereux, parce que la CGEM a besoin des politiques et que le contact n’est jamais rompu entre ces derniers et les milieux économiques. Les Marocains doivent aussi savoir que j’étais dans l’entreprise avant de rejoindre la sphère politique [notamment, de 1991 à 2004, au sein du groupe textile espagnol Tavex, dont il a dirigé la filiale à Settat, Settavex, NDLR]. Je pense au contraire que ce profil d’ancien politique, qui colle parfaitement au temps présent, va procurer au patronat davantage de force, de capacités de négociation et d’anticipation.
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Grand format MAROC
SOCIÉTÉ
Le Boulevard
un festival pas comme Du 16 au 25 septembre, Casa accueillera la 18e édition de ce rendez-vous underground qui a permis l’émergence d’une scène alternative nationale.
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oiffures rock, style punk, du heavy metal à fond… C’est un Maroc méconnu que Le Boulevard des jeunes musiciens, communément appelé L’Boulevard, a permis de révéler dès son lancement, à la veille des années 2000, dans le sillage de l’ouverture engagée par Mohammed VI après son accession au trône. Une ambiance de feu qui a rendu imberbes les islamistes de l’époque. « Les conservateurs ont utilisé tous les arguments pour nous combattre quand le festival a commencé à prendre de l’ampleur et à représenter un véritable phénomène de société, mais les choses ont beaucoup changé depuis, car nous-mêmes avons travaillé notre image », résume Mohamed M’ghari, dit Momo, l’un des cofondateurs de l’événement. Au fil des années, L’Boulevard s’est fait une place de choix dans le calendrier
Chaque année, L’Boulevard attire plus de 100 000 spectateurs.
FONDS MAROCAINS POUR FAIRE BOUGER L’ART AFRICAIN C’est dans les locaux du Boultek, à Casablanca, que l’association Afrikayna a vu le jour il y a cinq ans, sous l’impulsion de Ghita Khaldi. La directrice de production du centre de musiques actuelles place la composante africaine de l’identité marocaine au centre des actions de l’association. Avec son équipe, elle prend ainsi le parti de la diversité, de l’échange et du dialogue à travers la création et le soutien de projets artistiques en rapport avec le continent. Afrikayna gère d’ailleurs Africa Art Lines, un fonds marocain pour la mobilité artistique qui soutient des projets communs entre le Maroc et les autres pays africains à travers des bourses de mobilité pour la prise en charge des frais de voyage. L’une des dernières résidences artistiques soutenues par Afrikayna et accueillies au Boultek est actuellement en tournée à travers le continent.
les autres des festivals urbains du continent. D’autant que les censeurs autoproclamés ont dû ronger leur frein à partir de 2009, quand un geste royal est venu cautionner le rendez-vous artistique. Cette année-là, Mohammed VI a débloqué une enveloppe de 2 millions de dirhams (environ 177000 euros), tirés de sa cassette personnelle, pour les allouer à l’hyper active association EAC-L’Boulvart (Éducation artistique et culturelle), porteuse de l’événement, qui rassemble plus de 100 000 jeunes Marocains à chacune de ses éditions. Un geste de soutien que le souverain a réitéré quelques années plus tard, permettant ainsi au petit L’Boulevard de devenir grand et de révéler une culture urbaine marocaine.
Un budget sur la corde raide
Avec l’appui d’autres structures publiques, l’association a inauguré en 2010 une fabrique culturelle: le Boultek. Dans ses trois studios de répétition défilent une soixantaine de
CHADI ILIAS
F.I.
groupes par an, tandis que sa salle de concert programme des événements au moins une fois par semaine. « Entre le Tremplin et L’Boulevard, nous accompagnons chaque année quelque 70 groupes de jeunes musiciens », souligne Momo, qui, au gré des éditions, a vu une nouvelle scène marocaine éclore, se développer et se renouveler. Pour la sociologue Dominique Caubet, auteure d’un ouvrage sur la scène urbaine casablancaise, « EACL’Boulvart a été la structure qui a permis de fédérer le mouvement Nayda [“Debout!”]. Et on a même commencé à parler d’une “Movida” version marocaine, tout en mesurant les limites de la comparaison ». En plus du tremplin des jeunes musiciens et du festival, dont la 18e édition se tiendra du 16 au 25 septembre, EAC-L’Boulvart organise deux événements de street art, l’un à Casablanca et l’autre à Rabat, pour lesquels l’engouement se confirme d’année en année. Une quinzaine de partenariats ont par ailleurs été noués avec des festivals à travers le monde, et les locaux du Boultek accueillent des résidences artistiques (pour une durée moyenne de trois mois), sans compter les dizaines d’ateliers de formation destinés aux enfants. Même s’il continue de grandir et de prendre de l’ampleur, l’événement reste toutefois vulnérable. Chaque année, ses organisateurs sont contraints de tirer le diable par la queue pour boucler les financements. En 2016, par exemple, le festival musical a dû être annulé faute de sponsors, avant de reprendre une année plus tard. « Tout ce que nous gagnons sur L’Boulevard nous sert à faire tourner la fabrique culturelle et à assurer la tenue des autres grands événements que nous portons », explique Momo, qui confie que le budget de l’association se rapproche des 8 millions de dirhams, les meilleures années. Un montant qui ne représente même pas le cachet de certains artistes internationaux que peuvent s’offrir d’autres festivals marocains importants. L’underground a encore du chemin à parcourir avant d’apercevoir le bout du tunnel.
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DOM POUR JA
IL ÉTAIT UNE FOIS…
Ringardes, les Dar Chabab ? FAHD IRAQI
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’est dans les quartiers ouvriers d’un Maroc à peine indépendant que, non sans arrière-pensée politique, ont émergé les Dar Chabab (« maisons des jeunes »). Pendant des décennies, elles ont permis à des centaines de milliers d’enfants et de jeunes de s’initier à différentes formes d’expression artistique – théâtre, musique, danse… – et d’aiguiser leur appétit d’animations culturelles. Véritables pépinières de talents, elles fourniront même le gros du contingent des artistes qui
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ont laissé leur empreinte dans la mémoire collective des cinquante dernières années. L’un des exemples les plus emblématiques est celui de la maison des jeunes de Hay Mohammadi. Construite dans les années 1950 par des activistes de la gauche française, cette Dar Chabab accueille les enfants et les jeunes des quartiers qui composent cet arrondissement populaire de Casablanca. Très vite, la réussite du projet fut totale. Le lieu a notamment permis l’éclosion de groupes de musique légendaires
tels que Nass El Ghiwan, Lemchaheb ou encore Jil Jilala. De son côté, le dramaturge Tayeb Seddiki y a déniché une nouvelle génération d’acteurs avec lesquels il a monté plusieurs pièces passées à la postérité. Dans le centre-ville de Casa, Dar Chabab Zerktouni, autre haut lieu de l’animation culturelle, était, elle, surtout encadrée par les mouvements du scoutisme marocain. Cette hyperactivité socioculturelle a alors fait des émules dans tout le royaume. Peu à peu, d’autres maisons des jeunes ont vu le jour, pilotées cette fois par le ministère de la Jeunesse et des Sports, soucieux d’injecter la culture du kitsch de l’ère de Hassan II dans l’esprit des plus jeunes. Selon les statistiques du ministère de tutelle, on dénombre aujourd’hui 603 maisons des jeunes au Maroc, dont 74 % situées en milieu urbain. Si l’on considère que le pays compte près de 9 millions de jeunes de 15 à 29 ans – tranche d’âge la plus concernée par les Dar Chabab –, il faudrait toutefois en ouvrir au moins le double pour parvenir à répondre aux besoins. En même temps qu’ils ont révolutionné la notion de « socialisation » de la jeunesse, la mondialisation, l’internet et surtout les réseaux sociaux semblent bien avoir mis un terme aux années fastes des Dar Chabab. Certaines sont dans un état de vétusté avancé, d’autres laissées à l’abandon. Et pour ce qui est de dénicher les nouveaux talents, tout au moins ceux du divertissement, les télé-crochets les ont aussi reléguées parmi les vestiges du siècle dernier. Pourtant, en cette année 2018, à l’ère du buzz et de l’ultraconnectivité, le ministère de la Jeunesse vient de lancer un vaste plan visant à réhabiliter ces maisons des jeunes. Sans avoir pour autant défini un projet culturel qui soit dans l’air du temps.