JA 3014 du 14/10/18

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PRÉSIDENTIELLE 2019

MAROC Migrants : pourquoi Rabat hausse le ton

SÉNÉGAL

Macky Sall, la voie royale ?

GRAND FORMAT Afrique-France, un autre regard 10 pages

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 3014 DU 14 AU 20 OCTOBRE 2018

Récompensé par le Nobel de la paix pour son action en faveur des femmes violées dans l’est de son pays, le célèbre gynécologue et obstétricien ne se mêle pas des querelles politiciennes mais juge sévèrement le maintien au pouvoir de Joseph Kabila et critique le processus électoral.

DOSSIER Pétrole & gaz Spécial 10 pages

RD Congo

Denisi Mukwege « Ce prix est une manière d’interpeller les Congolais » ÉDITION INTERNATIONALE ET AFRIQUE CENTRALE

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France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 €

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Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 7 FS Tunisie 3,50 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2000 F CFA ISSN 1950-1285


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Béchir Ben Yahmed bby@jeuneafrique.com

Samedi 13 octobre

L’année des surprises

C

ela étonnera beaucoup d’entre vous. Mais je vais vous parler cette semaine de l’Angola. Si je n’ai jamais, jusqu’ici, consacré ne fût-ce qu’une partie de cette chronique hebdomadaire à ce grand et infortuné pays africain, c’est qu’il était paralysé depuis plus d’une génération.

Dès son indépendance, acquise en 1975 à l’issue d’une lutte mémorable, il s’est trouvé happé par une guerre civile inexpiable. Elle ne s’est achevée qu’en 2002 par la mort violente, en rase campagne et les armes à la main, de Jonas Savimbi, l’un de ses principaux protagonistes. Le chef de l’Unita avait été soutenu jusqu’à sa mort par la CIA (américaine), la DGSE (française) et l’ensemble de l’Occident, ainsi que par plusieurs chefs d’État africains (Mobutu et Blaise Compaoré notamment). Mais en septembre 1979 – il y a près de quarante ans! –, à la mort d’Agostinho Neto, premier président de l’Angola, José Eduardo dos Santos et sa clique ont accaparé la totalité du pouvoir. Lui, sa famille, les hommes et les femmes dont il s’est entouré

ont dirigé le parti (MPLA) et l’État jusqu’en septembre 2017. Pendant trente-huit longues années, ces anciens communistes ont mis en coupe réglée un grand pays africain au riche sous-sol (diamant, cuivre, fer, manganèse, uranium…). Devenu le deuxième producteur de pétrole du continent, l’Angola a été littéralement pillé par ses dirigeants: un millier de personnes se sont partagé, au cours de ces vingt dernières années, le produit de l’exploitation de l’or noir, soit près de 40 milliards de dollars. Et ont laissé le peuple en guenilles. L’argent qu’ils ont volé a été en partie gaspillé. Et l’on l’estime à 30 milliards de dollars ce qu’ils ont sorti d’Angola et d’Afrique pour le mettre sur des comptes à leur nom, dans des banques étrangères. L’Angola que José Eduardo dos Santos a laissé derrière lui en septembre 2017 a 28 millions d’habitants; il pointe à la 150e place sur 188 dans le classement de l’indice de développement humain (IDH) du Pnud. Endetté, il mendie le soutien financier du FMI, son fonds

souverain ne disposant que d’une petite dizaine de milliards de dollars. José Eduardo dos Santos est l’organisateur en chef et le premier responsable de cet énorme gâchis. Sa famille, ceux qui se sont fait les complices de ce hold-up ne sont que des exécutants intéressés. Il s’est marié trois fois, a eu six enfants de ces trois unions et des enfants hors mariage. L’âge et surtout la maladie l’ont obligé à passer la main: il s’y est résolu il y a un an. Après avoir longuement passé en revue les apparatchiks de son parti dont il avait fait ses adjoints, il a choisi, pour lui déléguer la gestion de l’État, le plus fidèle et le plus docile de ses compagnons, un général à la retraite de 64 ans, qui ne s’exprime presque jamais, João Lourenço, alors ministre de la Défense. À ce compagnon blanchi sous le harnais, il a transmis la présidence de la République, conservant celle du parti, et a pris soin, par des décrets qu’il a signés et des lois qu’il a fait voter, de tout verrouiller. – La composition du haut commandement de l’armée ne pourra jeuneafrique no 3014 du 14 au 20 octobre 2018

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Ce que je crois

HUMOUR, SAILLIES ET SAGESSE être modifiée après son départ. – La Sonangol, société nationale pétrolière et vache à lait du régime, était déjà dirigée par sa fille Isabel dos Santos, considérée, à 40 ans, comme la femme la plus riche d’Afrique. Elle avait été nommée par son père à ce poste lucratif dès 2016. – La gestion du fonds souverain où étaient déposées les économies de l’État, une poire pour la soif, a été confiée par dos Santos à son fils, José Filomeno. – La présidence du parti restera aux mains du parrain: dos Santos lui-même. Ainsi ligoté, le général João Lourenço a été intronisé président de la République avec pour mission de maintenir l’édifice, de protéger dos Santos et sa famille, de ne rien changer à l’héritage qui lui était confié. Ayant ficelé sa succession politique, dos Santos a passé la main en septembre 2017 et, l’âme en paix, est parti se faire soigner au Portugal. Mais l’année 2018 a été émaillée d’énormes surprises. Ce général Lourenço, docile et taiseux, a en effet rapidement constaté qu’il pouvait se libérer de ses chaînes. Il y a vu son intérêt et l’a fait dès le début de 2018. Il a démis de leurs hautes fonctions la fille puis le fils de l’homme qui l’avait nommé, et a même fait incarcérer José Filomeno. En septembre 2018, il a éjecté le père en personne et a pris sa place à la tête du parti, accaparant, à son tour, la totalité du pouvoir. Continuant sur sa lancée, il s’est ensuite mué en redresseur de torts et s’est posé comme le champion de la lutte contre la corruption. 4

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Le voici, fin 2018, populaire en Angola et en Afrique, considéré dans les principales chancelleries du monde comme un grand réformateur, l’homme d’un « miracle économique » qu’il a (imprudemment) annoncé. N’a-t-il pas engagé le combat contre la corruption, écarté des voleurs patentés que le peuple détestait en silence ? Les opposants ne pouvaient qu’applaudir ce justicier que dos Santos, par mégarde, avait installé à sa place et qui sera peut-être la chance du peuple angolais. Lourenço sera-t-il à l’Angola ce que Gorbatchev a été au communisme et à l’URSS? Je rappelle que Mikhaïl Gorbatchev, issu lui aussi de la hiérarchie du parti, a cassé le communisme en voulant le réformer et fait voler en éclats l’Union soviétique en tentant de la moderniser. Mais ne nous trompons pas sur ce général-président, ne soyons pas dupes de ses premières initiatives. N’oublions jamais qu’il a su leurrer celui qui l’a nommé et attendons de voir ce qu’il fera en 2019 en gardant à l’esprit ce proverbe arabe: « Qui a été mordu par un serpent se méfie des cordes. » Devenu à son tour « camarade numéro un », ne risque-t-il pas de remplacer des voleurs avérés par des voleurs potentiels qu’il aura installés dans les mêmes fauteuils? Son âge lui permet-il, si tant est qu’il le souhaite, de donner à ses compatriotes en cinq ou dix ans une autre République? L’Histoire africaine et celle des autres continents nous démontrent plutôt le contraire : ce n’est pas en utilisant les mêmes casseroles et les mêmes ingrédients qu’on nourrit mieux un peuple.

Pour vous faire sourire, grincer des dents – ou réfléchir –, ici, chaque semaine, une sélection subjective, la mienne, de ce qui a été dit ou écrit au cours des siècles par des hommes et des femmes qui avaient des choses intéressantes ou drôles à nous dire. B.B.Y. La réflexion est une arme à deux tranchants. Naguib Mahfouz

On devrait pouvoir dire qu’il n’arrive aux hommes que ce qu’ils veulent qu’il leur arrive. Maurice Maeterlinck

Bah oui, c’est la crise, c’est-à-dire qu’il va falloir que vous vous passiez de trucs dont vos parents n’avaient pas besoin ! Coluche

Si quelqu’un veut mentir, il éloignera d’abord le témoin. Proverbe sénégalais

La science est un danger public. Elle est aussi dangereuse qu’elle a été bienfaisante. Aldous Huxley

Ce qu’il y a de scandaleux dans le scandale, c’est qu’on s’y habitue. Simone de Beauvoir

Connaître, c’est comprendre toute chose au mieux de nos intérêts. Friedrich Nietzsche

C’est pas en mettant plus de flics qu’on aura plus de sécurité, c’est en mettant moins de gangsters. Brèves de comptoir

Pour séduire, les hommes se montrent sous leur meilleur jour, les femmes sous leur meilleure nuit. Grégoire Lacroix La violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec. Jean-Paul Sartre



ÉDITORIAL

De Conakry à Yaoundé, via Erevan Mardi 9 octobre.

Dîner avec Alpha Condé au palais de Sékhoutoureya, à Conakry. Le menu est frugal, les plats défilent vite : riz, gambas, fonio, riz encore, eau minérale, tisane. C’est lorsqu’il voyage que ce président se lâche un peu côté gastronomie. Ici, il n’a pas le temps. À sa table, en ce début de semaine: le chef de l’opposition d’un pays de la région, un homme d’affaires et investisseur sénégalais aussi fortuné que discret, un banquier camerounais. On parle par bribes. Télécommande en main, le maître des lieux zappe du JT local à Euronews, de la BBC à Missouri Breaks – western avec l’acteur Marlon Brando, qu’il affectionne. Dimanche soir, c’était PSGLyon : inutile de préciser laquelle des deux équipes supporte celui qui fut parisien pendant trois décennies. La célébration – grandiose – du soixantième anniversaire de l’indépendance de la Guinée en présence de dix chefs d’État, le 2 octobre, alimente encore les conversations. Notre hôte n’en est pas peu fier. Pour la première fois, ses forces spéciales, avec à leur tête un ancien légionnaire de l’armée française, ont défilé. Ses pairs se sont extasiés devant sa forme olympique – à 80 ans, comment fait-il pour rester debout des heures durant et demeurer ce président

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la place à celle des francophiles exigeants, conscients que l’irruption de nouveaux acteurs internationaux a totalement ringardisé le tête-à-tête obligé avec l’ex-puissance coloniale. Après des décennies d’interventionnisme de l’ÉlyLes propos de sée au sein de son pré Macron sur les carré, la distance prise donneurs de par Emmanuel Macron est très loin de leur leçons sont du déplaire, même si elle miel aux oreilles s’accompagne d’une de ses pairs. Et réticence à nouer des relations amicales. du fiel à celles « Personne n’a de leçon de leurs à donner à qui que ce opposants. soit », ou encore, « nous n’avons aucune leçon à nous donner, mais des combats à mener ensemble » : ces phrases extraites du discours du président français à Erevan coulent comme du miel aux oreilles de ses homologues africains, beaucoup Jeudi 11 octobre. moins à celles de leurs opposants. Condé a rejoint le club des chefs L’élection présidentielle malienne a francophones, réunis depuis ce servi de premier test à la non-ingématin à Erevan pour le sommet de rence affichée d’Emmanuel Macron, l’OIF. La génération des francophiles pour qui les vrais problèmes du binaires (tirailleurs ou rebelles) des continent sont ailleurs – migrations, années 1960-2000, quand s’opposer sécurité, démographie, jeunesse, à la France équivalait à risquer son développement, climat. D’autres fauteuil et parfois sa peau, a laissé épreuves ne tarderont pas à suivre…

de tout et de partout ? Quelle est sa potion magique ? Évidemment, il ne le dira pas. Son seul regret : que son vieux camarade Gérard Collomb, annoncé pour les festivités, ne soit pas venu pour cause de démission. Fâché, il l’a appelé pour l’engueuler : « Tu aurais pu être là quand même, ou alors retarder ta démission ! » « Je viendrai à Conakry avant la fin de l’année, en tant que maire de Lyon », lui a promis l’ex-ministre de l’Intérieur. La veille, c’était au tour de Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, d’être amicalement bousculé pour une consultation juridique urgente. Ainsi est Alpha Condé. On ne peut rien lui refuser.


Sommaire 3 6

Ce que je crois par Béchir Ben Yahmed Éditorial par François Soudan

PROJECTEURS

Vendredi 12 octobre…

À commencer par le scrutin qui a eu lieu le 7 octobre au Cameroun et dont on attendait toujours les résultats, à l’heure où ces lignes étaient écrites. Sous le titre « L’automne chaotique d’un patriarche africain », le Financial Times de ce jour qualifie le pays de Paul Biya de « grande tragédie à venir dont personne ne parle ». Ce jugement, directement influencé par le climat de guerre civile qui règne dans les deux provinces anglophones du Cameroun, est sans nul doute exagéré. Mais il est vrai que le Cameroun inquiète. Et l’attitude des principaux opposants, qui, après s’être autoproclamés vainqueurs de la consultation en sollicitent l’annulation totale ou partielle, ne facilite guère la lecture d’un avenir postélectoral qui devrait une fois de plus s’écrire sous la dictée de l’inoxydable maître d’Etoudi. Ici comme hier à Bamako et peut-être demain à Kinshasa, c’est l’incapacité de l’opposition à présenter un candidat unique susceptible de transcender les structurations ponctuelles et opportunistes qui fait en large partie le lit des régimes sortants candidats à leur propre succession. Des deux rives de la ligne de front qui sépare, d’un côté, les pouvoirs atteints par la date de péremption et, de l’autre, les oppositions adeptes de l’autodestruction par la division, l’absence de grands hommes d’État est cruelle. Réduits au rôle de spectateurs de leur propre destin, les citoyens sont de plus en plus nombreux à se démobiliser et à ne plus percevoir le rôle essentiel qui est le leur dans une société démocratique. Pendant, mais aussi avant et après le jour J.

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Confidentiel La femme de la semaine Maryse Condé 14 10 choses à savoir sur… Mustapha Ben Ahmed 16 Comme le temps passe… 18 Le match Sébastien Ajavon vs Gilbert Togbonon 20 Esprits libres

AFRIQUE SUBSAHARIENNE

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RD Congo Entretien avec Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 27 Tribune Lac Tchad et terrorisme : déconstruction d’un mythe 28 Sénégal OK pour un « coup KO » ? 32 Côte d’Ivoire Ouattara Land

MAGHREB & MOYEN-ORIENT

36 Maroc Migrants, pourquoi Rabat hausse le ton 40 Algérie Saïd la fronde 43 Tribune Mauvais scénario 44 Tunisie Profession : agitateurs 49 Infographie Libye : au pays de tous les trafics

56 Télécoms Pourquoi les opérateurs rechignent à coter leurs filiales 58 Eau La SDE se veut confiante avant le verdict de Dakar 59 Affaires déclassées 60 Tribune Le naufrage argentin, un avertissement pour le continent

DOSSIER

62 Pétrole et gaz

CULTURE(S) 76

Musique Les bonnes affaires de Mr Eazi 80 Tendance 40 nuances de peau 84 Gastronomie La première étoile 86 Spectacle S’aimer sous l’apartheid 87 Documentaire Ventes d’armes et droits de l’homme

GRAND FORMAT

89 Afrique-France Un autre regard

VOUS & NOUS

105 Le courrier des lecteurs 106 Post-scriptum

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ÉCONOMIE

50 Interview Roland Pirmez, président de la zone Afrique, Moyen-Orient et Europe de l’Est de Heineken 55 Têtes d’affiche

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Fondateur : Béchir Ben Yahmed, le 17 octobre 1960 à Tunis bby@jeuneafrique.com Édité par SIFIJA Siège social : 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 Paris Tél. : +33 (0)1 44 30 19 60 Fax : +33 (0)1 45 20 09 69 Courriel : redaction @jeuneafrique.com Directeur général : Amir Ben Yahmed Vice-présidents : Danielle Ben Yahmed, François Soudan

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PROJECTEURS CONFIDENTIEL Politique spécial

OIF

FRANCOPHONIE

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Michaëlle Jean et Louise Mushikiwabo, à Erevan (Arménie), le 8 octobre.

à s’en désolidariser le soir même, par communiqué. Ce pays a obtenu la nomination d’un de ses ressortissants

Emmanuel Macron avec Ali Bongo Ondimba (ci-contre) et avec Denis Sassou Nguesso et Jean-Yves Le Drian (ci-dessous).

au poste d’administrateur général de l’OIF et le soutien de l’Afrique en vue de l’élection de nouveaux membres au Conseil de sécurité de l’ONU – ce à quoi se sont engagés Paul Kagame et Moussa Faki Mahamat. En coulisses, Ottawa discutait aussi avec Paris. Objectif des Canadiens : éviter que l’Arabie saoudite, avec qui ils traversent une crise diplomatique, ne soit admise à l’OIF. « Après une discussion privilégiée avec la France et après avoir sondé d’autres pays » (dixit une source diplomatique française), Riyad a jeté l’éponge le 10 octobre. Ce jour-là, Khalid Ibn Mohamed al-Angari, son ambassadeur à Paris, a en effet écrit à Michaëlle Jean pour lui demander de reporter l’examen de sa candidature. Avant de se voir indiquer qu’il fallait s’adresser à la présidence arménienne du sommet…

AFRIQUE-FRANCE

Premières rencontres Les deux chefs d’État s’étaient croisés à New York et à Paris, sans prendre le temps d’un véritable entretien. C’est chose faite. Le 12 octobre au matin, en marge du sommet de l’OIF à Erevan, Denis Sassou Nguesso et Emmanuel Macron ont eu leur première séance de travail en présence de JeanYves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, de BernardRogel, chef d’état-major particulier de Macron, de Rodolphe Adada, ambassadeur du Congo en France, et de la conseillère spéciale Claudia Sassou Nguesso. Sur la table, un gros dossier: celui des relations entre Brazzaville et le FMI, toujours en suspens. Mais aussi la situation en Centrafrique et en RD Congo. Autre première : durant la même matinée, Emmanuel Macron s’est entretenu trente minutes en tête à tête avec Ali Bongo Ondimba.

DR

@PRESIDENCEGA

Avant que Louise Mushikiwabo ne soit élue à la tête de l’OIF le 12 octobre, tout aura été tenté auprès de Michaëlle Jean pour qu’elle retire sa candidature avant le sommet d’Erevan. Fin septembre, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, Xavier Bettel, le Premier ministre luxembourgeois, lui a conseillé de renoncer. On lui a même fait miroiter le poste de directrice de l’ONU Femmes ou celui d’envoyée spéciale du secrétaire général de l’ONU pour la liberté de la presse, qui aurait été créé pour elle. À Erevan, l’eurodéputé belge Louis Michel a plaidé en faveur de sa rivale. Le 9 octobre, Mélanie Joly, la ministre canadienne de la Francophonie, a une nouvelle fois demandé à Michaëlle Jean de se retirer dans l’intérêt d’Ottawa. Le refus de l’intéressée a contraint le Canada

@LMFRANCOPHONIE

Le dernier combat de Michaëlle Jean

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ALGÉRIE BOUTEFLIKA DE SORTIE

Le 5 octobre, deux jours avant la présidentielle, Akere Muna (FDP) a apporté son soutien à Maurice Kamto (MRC). Mais quelques heures plus tôt, à Garoua (Nord), leurs tractations battaient encore leur plein. L’ancien bâtonnier voulait s’assurer que Kamto partageait ses Maurice Kamto et Akere Muna, en meeting à Douala, le 6 octobre. vues au sujet de la résolution de la crise anglophone. Il a donc tenu à faire figurer dans l’accord le principe d’une conférence – au cours de laquelle sera étudié le passage du pays au fédéralisme –, la libération des protestataires, ainsi que la création d’une commission chargée de la reconstruction des villages et de la réinstallation des déplacés. Muna a ensuite appelé à voter Kamto, puis l’a regardé se proclamer vainqueur, le 8 octobre. Persuadé que son destin n’est pas lié au MRC, il s’est déjà tourné vers un autre chantier: celui de maintenir l’union entre ses alliés de la Plateforme pour la Nouvelle République, qui ont pu être déçus par son désistement, afin de créer un parti dans la perspective des législatives de 2019.

RD CONGO LES « L7 » LOUPENT LE COCHE

Les « L7 » n’ont pu organiser leur deuxième réunion, prévue le 10 octobre à Paris. Ces sept leaders de l’opposition – les candidats recalés Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzito d’un côté et, de l’autre, les éligibles Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe, Freddy Matungulu, Martin Fayulu – devaient en profiter pour choisir un

candidat commun à la présidentielle du 23 décembre. « Certains d’entre nous ne pouvaient pas venir faute de visa », confie l’un d’eux. Reportée, la rencontre pourrait être délocalisée dans une ville africaine. Johannesburg est la plus souvent citée.

ANGOLA TEST ADN POUR SAVIMBI

Comme l’a promis João Lourenço, la dépouille de

Jonas Savimbi sera rendue à sa famille d’ici à la fin de 2018. Cette dernière compte demander un test ADN afin de s’assurer que le corps est bien celui du patriarche, tué en 2002 lors d’un assaut du MPLA. Son ADN sera notamment comparé avec celui de Cheya Savimbi, l’un de ses fils. Le leader de l’Unita sera inhumé auprès de ses parents, à Andulo (province de Bié, Centre). Le village devra d’abord être déminé.

VICTOR ZEBAZE

Une coalition, des ambitions

Le 15 novembre, Abdelaziz Bouteflika inaugurera la grande salle de prière de la mosquée d’Alger, dont la réalisation a été confiée à une entreprise chinoise pour 1,2 milliard d’euros. La construction de cet édifice, qui accuse un retard considérable, figure en tête des priorités du gouvernement. À tel point qu’Abdelwahid Temmar, le ministre de l’Habitat, qui supervise le chantier, est l’un des rares a être régulièrement reçu à Zeralda, où réside le président algérien depuis son AVC, en 2013.

BURUNDI NIYONGERE À WASHINGTON

TWITTER

CAMEROUN

Venu à Washington assister à une table ronde sur la nouvelle loi encadrant les ONG au Burundi, l’avocat Armel Niyongere a été reçu le 10 octobre au département d’État, où il s’est entretenu avec Mark S. Dieker, directeur Afrique, chargé de la démocratie et des droits de l’homme. Niyongere a appelé les États-Unis à faire pression sur le gouvernement burundais afin qu’il accepte de discuter avec l’opposition en exil.

GABON QUEL SORT POUR LES VAINCUS ?

Éliminés dès le premier tour des législatives du 6 octobre, Michel Menga M’Essonne (Rassemblement Héritage et Modernité) et Jean De Dieu Moukagni Iwangou (Union et Solidarité), ministres depuis mai, ont peut-être déjà perdu leur portefeuille. Ali Bongo Ondimba et Emmanuel Issoze Ngondet, son Premier ministre, avaient prévenu: ceux qui veulent conserver leur poste seraient bien inspirés de sortir vainqueurs aux élections. À moins qu’ABO n’épargne ces ministres d’ouverture, récemment débauchés de l’opposition.

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PROJECTEURS

CONFIDENTIEL Diplomatie & réseaux

TUNISIE

Le « J’accuse » d’un comité

Dona Jean-Claude Houssou, le ministre béninois de l’Énergie, était à Istanbul du 11 au 13 octobre. Le 13, il est allé avec son épouse prendre le petit déjeuner dans le yali (palais sur le Bosphore) d’Orhan Karadeniz, patron du holding Karadeniz, pionnier pour les navires-centrales fournissant de l’électricité à partir de gaz. Présent dans 16 pays, dont 5 en Afrique, ce groupe turc a notamment pour client le Ghana, dont le Bénin veut s’inspirer. Des devis ont été présentés au ministre en vue de la signature d’un contrat de fourniture d’électricité.

FETHI BELAID/AFP

BÉNIN-TURQUIE NAVIRE-CENTRALE À L’HORIZON

CÔTE D’IVOIRE PROTOCOLE EN CAPILOTADE

Depuis que Patrice Vangah Koffi, jusque-là directeur général du protocole de l’État, a été nommé, en août, ambassadeur de Côte d’Ivoire en Israël, Alassane Ouattara n’a toujours pas désigné son remplaçant. En mars, son adjoint, Lambert Ezoua Aka, était devenu consul général à Lyon. Des conflits de compétence opposaient souvent la direction générale du protocole de l’État (dont Hyppolite Koffi Yeboue, le sous-directeur du cérémonial et de l’événementiel, est l’unique rescapé), logée au ministère des Affaires étrangères, au protocole de la présidence, que dirige l’ambassadeur Éric Taba.

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Chokri Belaïd, figure de la gauche tunisienne, assassiné le 6 février 2013.

Le Comité de défense de Chokri Belaïd et MohamedBrahmi,assassinés en 2013, ne baisse pas la garde. Après avoir dénoncé l’existence d’un « bras armé » d’Ennahdha lors d’une conférence de presse, le 2 octobre à Tunis, ce collectif d’avocats s’apprête à faire de nouvelles révélations à Alger. Certains de ces conseils assurent que, selon les aveux du terroriste tunisien Abou Talha, cette « organisation occulte » du premier parti de l’Assemblée aurait apporté son appui à la conception de

l’attaque du site gazier d’In Amenas, survenue en Algérie en janvier 2013. Toujours selon eux, Sihem Bensedrine, la présidente de l’Instance Vérité et Dignité, par son empressement à vouloir récupérer les archives de la présidence tunisienne lors de l’investiture de Béji Caïd Essebsi, en janvier 2015, visait à mettre la main sur des documents liés à la mort de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi. Si leurs assassins ont été traduits en justice, les commanditaires, eux, n’ont jamais été identifiés.

CÔTE D’IVOIRE

Des pro-Gbagbo rentrent d’exil Sept ans et demi après la chute de Laurent Gbagbo, plusieurs figures du Front populaire ivoirien (FPI) ont décidé de rentrer du Ghana. Émile Guiriéoulou, ancien ministre de l’Intérieur et président de la coordination du FPI en exil, et Justin Koné Katinan, qui fut le porte-parole de l’ex-chef de l’État, accompagnés de plusieurs dizaines de militants, sont attendus à la fin d’octobre en Côte d’Ivoire. Le FPI a envoyé une lettre aux autorités ivoiriennes en vue d’entamer des discussions sur les conditions du retour de ces personnalités et de leur installation. Cette décision, qui divise les exilés, a été prise après qu’Alassane Ouattara a amnistié, en août, des centaines de prisonniers, dont Simone Gbagbo et les anciens ministres Assoa Adou et Lida Kouassi. Depuis sa libération, l’ex-première dame a notamment reçu la visite de quatre de ses filles, qui n’étaient pas rentrées à Abidjan depuis 2011.


Rififi à la Cour ARAB REPUBLIC OF EGYPT KHALED ELFIQI/POOL/AP/SIPA DOUG MILLS/AP/SIPA SENATE OF THE REPUBLIC OF POLAND

Contrairement aux apparences, et à ce qui a été dit un peu rapidement, la destitution par ses pairs de Kèlèfa Sall (photo) de sa charge de président (mais non de membre) de la Cour constitutionnelle, le 12 septembre, n’a pratiquement rien à voir avec son fameux discours de décembre 2015 enjoignant à Alpha Condé d’« éviter les sirènes révisionnistes de la Constitution » – discours dont il n’était d’ailleurs que l’un des coauteurs et pas le plus intransigeant. En conflit avec ses collègues depuis trois ans, Kèlèfa Sall avait déjà fait l’objet de trois procédures de destitution à l’instigation de ces derniers, en janvier et en novembre 2016, puis en mars 2018, toutes refusées par le chef de l’État. Motifs: violations des règles de la Cour, anomalies de gestion, facture impayée à l’hôpital Bichat de Paris (76 000 euros)… Cette fois, les huit conseillers se sont passés de l’avis d’Alpha Condé. Une lecture « ethnique » de ce limogeage n’est pas non plus possible : Sall est un Malinké de Siguiri, fief du parti présidentiel, alors que son successeur, Mohamed Lamine Bangoura, est soussou, et que le nouveau vice-président, Amadou Diallo, peul. En Guinée, le président de la Cour constitutionnelle est élu par les membres de celle-ci et non, comme en France, nommé par le chef de l’État.

ABDEL FATTAH AL-SISSI Réélu en mars, le maréchal devenu président de l’Égypte en 2014 à la suite d’un coup d’État est issu des renseignements militaires: un corps qu’il affectionne, ce qui ne l’a pas empêché d’arrêter l’un de ses anciens supérieurs. Le raïs s’appuie sur des diplomates et des militaires pour contrôler les islamistes et les médias. MOHAMED AL-ASSAR Général, il a participé à trois guerres. Ministre de la Production militaire. Habitué du bureau de Jean-Yves Le Drian à l’époque où ce dernier (qui lui a remis une décoration française) détenait le portefeuille de la Défense. C’est avec lui qu’il a conclu l’achat d’avions de chasse Rafale. ABBAS KAMEL Général lui aussi. A quitté son poste de chef de cabinet du président Sissi cette année après avoir été nommé à la tête du Jihaz Al-Mukhabarat Al-Amma (GIS), les services de renseignements, où il travaillait depuis 2014. Via une entreprise détenue par le GIS, a un pied dans les médias. SAMEH CHOUKRI Ministre des Affaires étrangères depuis 2014. Familier des palais saoudiens et des arcanes de l’administration américaine. Œuvre entre autres au rapprochement de l’Égypte avec Israël et participe à l’offensive anti-qatarie. ENTISSAR AMER Cousine et épouse (depuis 1977) du président. Elle s’attache surtout à élever leurs quatre enfants, complétant ainsi l’image d’un Sissi conservateur. Est sortie de sa discrétion en accueillant Melania Trump, la First Lady américaine, à sa descente d’avion, ce 6 octobre au Caire.

SCIENCES POLITIQUES LA TUNISIE PASSÉE EN REVUE

Enseignant et président de l’Association tunisienne d’études politiques, Hatem M’rad s’apprête à lancer au début de 2019 une revue tunisienne de sciences politiques, en partenariat avec l’éditeur Nirvana. Parmi les chercheurs qui participent à cette aventure semestrielle, Hamid El Amouri, de l’Université Mohammed-V de Rabat, ou Itidel Fadhloun Barboura, de l’Institut d’études politiques de Lyon.

MINURSO UN HÉLICO À LA RESCOUSSE

CELLOU BINANI/AFP

ZUMA PRESS/ZUMA/REA

GUINÉE

En mars, António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, avait exprimé la volonté d’acquérir un troisième hélicoptère pour la Minurso, la mission de la paix de l’ONU au Sahara occidental. La raison ? Une trop grande vulnérabilité des patrouilles terrestres et des convois logistiques à l’est du mur de sable, dans une région désertique de surcroît traversée par des

groupes armés et des trafiquants. Dans son rapport daté du 3 octobre, Guterres annonce que l’Assemblée générale a approuvé les crédits destinés à l’achat de cet appareil en 2019. Cet hélicoptère pourra remplacer certaines patrouilles terrestres trop exposées au danger. Pour l’heure, la Minurso est notamment équipée d’un Mil Mi-8, un modèle soviétique.

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PROJECTEURS

LES GENS

LA FEMME DE LA SEMAINE

Maryse Condé couronnée!

« Les élites ont un culot monstre. Elles disent que la démocratie est en panne simplement parce que le peuple ne vote plus pour elles ! » Steve Bannon Ex-conseiller de Donald Trump

À 81 ans, l’écrivaine guadeloupéenne a remporté le tout premier prix Nobel alternatif de littérature décerné par La Nouvelle Académie, une institution provisoire créée par des intellectuels suédois.

« Oui je suis nigériane, oui je suis femme, oui je suis féministe, oui je suis noire. Mais pourquoi colle-t-on une étiquette identitaire à ceux qui ne sont pas blancs ? Moi, je me reconnais en tant que personne. »

KATIA DANSOKO TOURÉ

ANDREW ESIEBO/PANOS-REA

« Ce prix est une belle et grande marque de reconnaissance pour la voix singulière qu’est celle de la Guadeloupe. » Ce 12 octobre, la romancière Maryse Condé, qui vient de remporter le prix Nobel alternatif de littérature – un succédané de la véritable distinction, dont l’attribution est reportée à 2019 – exulte tout en témoignant sa surprise. La Nouvelle Académie entendait consacrer une écrivaine francophone qui, par son œuvre prolifique, a su dire les maux et

Chimamanda Ngozi Adichie, écrivaine

« La loi antidiscrimination raciale est un moment historique, un tournant pour la Tunisie. J’ai souvent essuyé des propos racistes, comme tous les autres Noirs en Tunisie. Cela n’a fait que renforcer ma détermination à lutter. » Jamila Ksiksi, députée tunisienne

« [Ce qui se passe en Angola] est impressionnant et symboliquement très fort. Mais cette purge vise uniquement les responsables du régime précédent. On pourra parler de véritable changement lorsque de hauts responsables du régime actuel seront visés par des enquêtes. » Didier Péclard, politologue au Global Studies Institute, à Genève

JACQUES TORREGANO POUR JA

« L’Afrique a besoin de rêver, mais l’Afrique a surtout besoin de concrétiser ses rêves. » Omar Ba, peintre sénégalais

À Paris, le 24 avril 2015.

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merveilles d’un monde noir aux prises avec ses multiples identités, suite d’une histoire fragmentée, éclatée, bigarrée. Cet « Atlantique noir », pour reprendre Paul Gilroy, Maryse Condé en est l’une des documentaristes les plus franches. Et ce aussi parce que chacun de ses livres porte l’empreinte d’un morceau de son existence. Elle nous en a conté les péripéties en 2012 dans La Vie sans fards, autobiographie percutante où la romancière – née sur le faubourg Alexandre-Isaac, à Pointe-à-Pitre – n’hésite pas à livrer ses doutes, ses peurs, ses écarts, ses failles, ses tragédies,


Une assurance que l’on retrouve d’ailleurs dans son écriture. Au style ardent, sans une once de fioriture. Celle qui a démarré sa carrière à 41 ans a mis du temps à reconnaître que « sa relation à l’Afrique s’est construite sur un mensonge ». Car, après tout, l’Afrique qu’elle a arpentée en tant qu’institutrice mariée à un comédien guinéen au cours des années 1960, de Conakry à Accra en passant par Abidjan et Dakar, l’a profondément meurtrie tout autant que nourrie. « L’Afrique donne d’une main, blesse de l’autre. La fierté d’être noire, la fierté d’être femme, la fierté d’être ce que je suis, c’est l’Afrique qui me l’a apportée », confiait-elle à JA en 2015. Et elle le répète encore, à l’abri d’une chaleur écrasante,

AP/SIPA YOUTUBE SEALED AIR CORPORATION DR

« Ne plus écrire, c’est un peu la mort. Je me prépare à un vide immense. »

TITO MBOWENI

Ce libéral convaincu est le nouveau ministre des Finances sud-africain. Ministre du Travail sous Mandela, puis gouverneur de la Banque centrale, il a ensuite exercé chez Goldman Sachs et dans une affaire familiale.

CHEIKH OULD BAYA

Le député mauritanien de l’Union pour la République, le parti présidentiel, a été élu président de l’Assemblée nationale avec 118 voix sur 149 face à un concurrent du parti Tawassoul.

ILHAM KADRI

À 49 ans, cette FrancoMarocaine prend la tête du groupe chimique belge Solvay, l’une des plus grandes sociétés industrielles européennes. Elle était jusqu’ici PDG de l’américain Diversey.

MOHAMED AL-AMOUDI

Le tycoon saoudo-éthiopien est poursuivi devant un tribunal britannique par le négociant d’hydrocarbures BB Energy pour la liquidation de la raffinerie marocaine Samir, et lui réclame des dommages et intérêts. TWITTER

Un style ardent

regrettant de ne pas parler un seul dialecte du continent. Preuve, selon elle, de son arrogance envers l’Afrique. Regrettant aussi que l’ylang-ylang, sa Madeleine de Proust, n’ait pas encore trouvé place dans un coin de son verger. Comment ne pas être frappée alors par l’humilité et la franchise de cette femme aussi forte que diminuée ? Cette femme qui aura tant et tout vécu ? Cette femme qui raconte les Noirs d’Afrique, des Antilles et des Amériques depuis près de quarante ans ? Dans les années 1980, elle prend ses fonctions de professeure émérite de français à l’université Columbia de New York, elle s’investit aussi pour faire vivre la mémoire de l’esclavage, pour la culture guadeloupéenne – entre autres missions teintées de militantisme. Maryse Condé a encore tant à dire. Sur la Guadeloupe ? « Un territoire colonisé. » Sur l’Afrique ? Encore et toujours ce qu’elle lui a donné : la fierté d’être noire. Sur la négritude ? Autrefois fidèle de Césaire, la voilà devenue héritière de Fanon. Et en guise de dernier coup de plume sur le monde ? Le Fabuleux et Triste Destin d’Ivan et Ivana, un roman dans lequel elle évoque notamment la radicalisation islamiste naissante dans les Antilles françaises. Ce qui confirme qu’elle est à la fois recluse et bien présente, se débattant avec l’angoisse de vivre sans créer. « Ne plus écrire, c’est un peu la mort. Je me prépare à un vide immense », souffle-t-elle. Son œil est alors un peu moins vif. Mais sa vigueur reste intacte. Gageons que ce Nobel alternatif comblera un peu ce vide. Et cela en couronnant l’œuvre puissante d’une voix qui martèle que « race et identité sont des notions démenties par la vie ».

CAROLYN KASTER/AP/SIPA

ses contradictions, mais aussi ses certitudes. Et, surtout, à dévoiler son rapport à l’Afrique, entaché d’incompréhension. Elle continue à dire un peu d’elle, en 2015, dans Mets et Merveilles. On y découvre une Maryse Condé pour qui cuisine et littérature sont deux passions du même ordre. D’ailleurs, lors d’une rencontre à Gordes, petit nid provençal français où elle s’est retirée avec son deuxième époux, le traducteur Richard Philcox, la romancière offrait de goûter « un plat condéen » : concombres cuits aux épices et graines de maïs. Pour le dessert, direction les Antilles avec un exquis blanc-manger au coco. Ce jour-là, sa soif d’échanger et de parler d’Afrique était telle que l’on en oubliait cette fichue maladie dégénérative qui entrave son élocution et crispe ses membres. L’œil vif, elle est prête à partager ses ressentis, prête à découvrir, prête à d é b a t t r e… M a r y s e Condé, une femme dont la maladie ne saurait entamer l’aplomb.

NURIT GREENGER

Cette journaliste israélienne a fait des déclarations sur la transparence de la présidentielle camerounaise en se faisant passer pour un membre de Transparency International. L’ONG a nié tout lien avec elle.

MELANIA TRUMP

Le salacot, ce casque colonial typique que la First Lady – au look toujours savamment pensé – a arboré lors de sa visite au Kenya, a choqué la presse continentale anglophone.

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PROJECTEURS

LES GENS

Mustapha Ben Ahmed

Passé par la case prison sous Ben Ali, cet ancien syndicaliste a pris la tête, début septembre, du deuxième groupe parlementaire de l’Assemblée nationale tunisienne.

Conflits avec les professeurs, indiscipline… Issu d’un milieu modeste et originaire d’un village de la région de Sousse, il n’aime pas l’école. Exclu du collège, qu’il compare à une « caserne », il arrête sa scolarité à 15 ans.

OUVRIER

Enchaînant les petits boulots, il travaille dans des garages, façonne des pièces de machines agricoles. De 18 à 60 ans, il sera employé à la Régie nationale des tabacs et des allumettes, une institution en Tunisie.

AUTODIDACTE

Certains lui reprochent son absence de diplômes. Lui s’estime chanceux : « La vie m’a appris que l’école n’est pas le seul chemin du savoir. » Durant sa jeunesse, il lisait un livre par jour.

CENTRISTE

Il fréquente la gauche tunisienne et se retrouve « coincé dans ses interminables conflits idéologiques ». Il s’émancipe alors du communisme et dit défendre des valeurs centristes contre « l’ultralibéralisme sauvage ».

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CINÉPHILE

De la fin des années 1970 au milieu des années 1980, il fréquente assidûment les ciné-clubs : à l’en croire, l’une des expériences les plus intéressantes de sa vie. Lieux de débats entre intellectuels, ces sas de décompression étaient tolérés sous Bourguiba.

SANCTION

En 1978, il intègre l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et y crée une section pour « répandre les idées ouvrières ». Il est temporairement suspendu en 1984 pour avoir contesté la légitimité de la direction centrale, qu’il accuse d’être noyautée par le pouvoir. Quelques années plus tard, il accédera au bureau exécutif et à des postes de direction.

BRUTALISÉ

En 1987, quand Ben Ali s’empare du pouvoir, ses activités syndicales lui valent d’être arrêté pour appartenance à une organisation illégale et pour trouble à l’ordre public. Il est détenu dans les caves tristement célèbres du ministère de l’Intérieur. S’il a été brutalisé,

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DÉPUTÉ

il précise qu’il n’a pas subi de tortures comparables à celles qui étaient infligées aux islamistes.

ONS ABID POUR JA

CANCRE

Dès 2012, il soutient Nidaa Tounes et devient membre de son bureau exécutif. Il claque la porte quatre ans plus tard pour protester contre la mainmise de Hafedh Caïd Essebsi, le fils du chef de l’État, sur l’appareil du parti. Passé par Machrou Tounes, qu’ont créé des transfuges de Nidaa, il fait partie des premiers fondateurs de la Coalition nationale.

FRANC-PARLER

Depuis ce 7 septembre, il dirige cette Coalition, deuxième groupe parlementaire à l’Assemblée, derrière les islamistes d’Ennahdha et devant Nidaa Tounes. Ses proches louent son expérience, sa détermination et son franc-parler.

ÉCRIVAIN

Il y a un an, il a terminé un roman commencé dans les années 1990. Allégorie des désillusions d’un jeune gauchiste après la chute du mur de Berlin, Les derniers rêveurs dans une ville qui se meurt a été publié en arabe. Aujourd’hui âgé de 64 ans, il dit rédiger chaque nuit des poèmes, qu’il partage sur sa page Facebook. CAMILLE LAFRANCE



PROJECTEURS

LES GENS

KHALED NEZZAR

SAMIR SID

Selon l’Organisation internationale pour les migrations, l’Algérie aurait, depuis janvier, expulsé douze mille Nigériens. Huit mille autres Africains, dont des parents d’enfants nés et scolarisés en Algérie, auraient subi le même sort depuis septembre 2017. À l’issue d’une mission au Niger, du 1er au 8 octobre, Felipe González Morales, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme des migrants, a appelé Alger « à cesser immédiatement les expulsions » vers ce pays.

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YAHYA JAMMEH

Depuis son retrait forcé de la vie publique en janvier 2017, Yahya Jammeh ne s’est jamais exprimé, respectant à la lettre la consigne de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, le président de la Guinée équatoriale, équatoriale qui suit de près ses activités. L’ancien chef de l’État gambien a mis à profit son exil et n’est pas resté les deux pieds danns le même sabot. Comme il l’avait fait à Kanilaï, dans le sud de la Gambie, il s’est installé dans unee ferme dans la province de Wele-Nzas, dont le chef-lieu est Mongomo, le fief des Nguema. Il mène une vie plus paisible que celle de la plupart de ses fidèles, comme les « Junglers », les membres de ssa milice secrète, qui croupissentt en prison en attendant d’êtree jugés. Yahya Jammeh, lui, nee devrait pas comparaître devant les juges de sitôt : Malabo a promis qu’il ne serait pas extradé.

XINHUA/ZUMA/REA

À la retraite depuis son départ du ministère de la Défense en 1993, le général-major Khaled Nezzar, 80 ans, est resté plutôt actif. Associé à son fils dans le domaine des télécommunications, l’ancien patron de l’armée algérienne s’est aussi reconverti verti dans ll’écriture écriture. Il a ainsi publié plusieurs livres, danss lesquels il narre ses souvenirs du maquis ou de sa carrière militaire. Réputé pour son franc-parler et son ccaractère grognon, Nezzar s’exprimait régulièrement daans la presse nationale avant qu’une loi, adoptéee en juin 2016, militaires retournés n’impose un devoir de réserve aux m à la vie civile. Cette interdiction, que Nezzar avait vivement dénoncée et qualifiée de « grave dérive liberticide », n’empêche pas pour autant ce natif des Aurès (est de l’Algérie), d’achever la rédaction du deuxième tome de ses mémoires, dont la sortie est prévue avant la fin du mois d’octobre.

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PROJECTEURS

LES GENS

BÉNIN Sébastien Ajavon

Gilbert Togbonon

a question agite le tout- Cotonou. L’opposant Sébastien Ajavon, qui séjourne en France depuis plusieurs semaines, va-t-il regagner le Bénin pour se présenter, le 18 octobre, devant les juges de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) ? Convoqué une première fois le 4 octobre, l’homme d’affaires a préféré se faire représenter par ses dix avocats, dont certains font partie du cabinet du célèbre pénaliste français Éric Dupond-Moretti. Mais la Criet, qui siège depuis le 27 août, a refusé de les entendre. Elle exige la comparution de l’accusé, suspecté de « trafic de drogue international à haut risque » – infraction pour laquelle il encourt dix à vingt ans de prison. L’affaire remonte au 28 octobre 2016. Ce jour-là, dans le port de Cotonou, la gendarmerie maritime saisit 18 kg de cocaïne pure entreposée entre 2 400 cartons de gésiers de dinde, dans un conteneur en provenance du Brésil et destiné à Cajaf Comon, une entreprise appartenant à Sébastien Ajavon. L’intéressé crie immédiatement à la machination politique. Interpellé, il est détenu pendant une semaine puis relaxé le 4 novembre suivant « au bénéfice du doute » et pour « insuffisance de preuves ». Reste la question centrale : d’où venait la cocaïne ? Aujourd’hui comme au moment des faits, le pouvoir est convaincu de l’implication directe d’Ajavon, ce que l’intéressé nie depuis le début. « Nos services de renseignement avaient reçu une information très précise de la part d’un pays étranger, faisant état de la présence de drogue dans ce conteneur », affirme un membre de la garde rapprochée de Patrice Talon. Estimant avoir subi un important préjudice, Ajavon avait déposé deux plaintes. L’une contre X, devant le

L

tribunal de première instance de Cotonou, pour « dénonciation calomnieuse tendant à nuire à [sa] réputation » ; l’autre devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) pour des dysfonctionnements dans la procédure. Les juges de la CADHP doivent bientôt rendre leur décision. Quant à la première plainte, « tout a été fait pour que notre démarche n’aboutisse pas », explique un proche de l’homme d’affaires. Pourquoi la justice béninoise décide-t-elle aujourd’hui de rouvrir l’affaire ? Les avocats d’Ajavon estiment que le dossier est clos. « Le procureur général de l’époque avait fait appel. Or la loi portant création de la Criet stipule que les dossiers en cours, relatifs à la drogue, au terrorisme ou aux crimes économiques, doivent lui être transmis », rétorque son président, Gilbert Togbonon.

Un homme d’affaires bardé d’avocats confronté à un procureur coriace.

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Nouveau faux bond ?

Ce jeune magistrat a été nommé sur décision du gouvernement. Selon plusieurs sources, il jouit de la pleine confiance de Patrice Talon. Sur les conseils de Joseph Djogbénou, l’actuel président de la Cour constitutionnelle, le chef de l’État avait insisté pour que ce fervent chrétien soit nommé procureur de la République en octobre 2017. Il s’était alors vu confier plusieurs affaires de corruption ou d’escroquerie, comme celle opposant Mahamadou Bonkoungou, le patron du groupe Ebomaf, à Lionel Zinsou, ancien candidat à la présidentielle. « La Criet est une cour aux ordres. Nous allons nous battre pour contester sa légitimité », lance un intime de Sébastien Ajavon, laissant entendre que celui-ci pourrait une nouvelle fois faire faux bond à la justice. Quitte à être contraint à l’exil…

CHARLES PLACIDE POUR JA ; DR ;

VINCENT DUHEM


MESSAGE

Orange Expo, le premier salon de l’innovation en République démocratique du Congo Le 13 septembre 2018, des milliers de visiteurs ont sillonné les allées d’Orange Expo. Kinshasa est devenue la capitale africaine de l’innovation le temps d’une journée exceptionnelle. Rencontre avec M. Gérard Lokossou, Directeur Général d’Orange RDC, à l’occasion

Inauguration #OrangeExpo2018, 1er salon de l’Innovation dans le secteur des télécommunications en RDC, par le Ministre des PT-NTIC Emery OKUNDJI en présence du DG d’Orange RDC, Gérard LOKOSSOU et de Alioune NDIAYE, DG Orange MEA & Directeur Exécutif Orange Groupe.

du rendez-vous le plus important de l’année sur la thématique des nouvelles technologies et des télécommunications en RDC.

Monsieur le Directeur Général, Orange

dont la venue témoigne de l’importance

de ce forum aussi bien le financement

Expo a été un franc succès. Comment

de la RDC pour le Groupe Orange.

des startups, la mise à disposition des APIs aux développeurs que l’implication

l’expliquez-vous ? Le monde a une forte appétence pour les

Vous avez proposé de nombreux uni-

du Groupe Orange dans le développe-

nouvelles technologies. La République

vers lors d’Orange Expo. Pouvez-vous

ment socio-économique du continent

démocratique du Congo n’est pas en

nous en dire plus ?

avec Mobile 4 Development (La télépho-

reste. C’était donc le moment de présen-

Les visiteurs ont pu découvrir la maison

nie mobile au service du développement).

ter aux consommateurs et abonnés nos

connectée, où tout est commandé à partir

Nous voulions partager notre savoir et

gammes de produits et services ainsi que

d’un smartphone, les différents contenus

notre savoir-faire et notre expérience avec

notre savoir-faire. À travers notre premier

utilitaires et de divertissements, puis la

la communauté des entrepreneurs.

salon de l’innovation, le premier du genre

réalité virtuelle. Un espace était réservé

dans le secteur des télécommunications

aux professionnels pour leur présenter les

Il a été aussi question de la 4G. Où en

en RDC, nous avons présenté au grand

dernières offres B2B. Au stand Orange

êtes-vous depuis l’annonce de l’acqui-

public et aux professionnels les outils

Money, certains visiteurs ont ouvert des

sition de la licence ?

que nous mettons à leur disposition pour

comptes, fait leurs premières transactions

Nous avions déjà l’offre HomeBox, la 4G

améliorer leur quotidien.

ou simplement utilisé le service séance

à la maison ou au bureau, qui a rencon-

tenante. L’espace Mobile 4 dévelopment

tré un franc succès. Nous avons profité

Pour nous, l’innovation n’a de sens que si

présentait les différentes activités en

d’Orange Expo pour annoncer le lance-

elle permet d’impacter positivement l’en-

termes d’appui au développement : Fa-

ment de la 4G+ qui offre une expérience

vironnement dans lequel nous évoluons.

bLab Lisungi, M. Agri, Cycle M, Digital ID,

encore supérieure à celle de la 4G pour

L’affluence lors d’Orange Expo est une

Orange éducation et Orange énergie.

les abonnés mobiles à Kinshasa, Matadi,

Nous saluons la participation à ce salon

Au-delà de l’exposition, vous avez vou-

Désormais, si vous disposez d’une carte

Lubumbashi, Kolwezi, Goma, Bukavu.

réponse positive à notre proposition. de son Excellence Mr le Ministre des PT-

lu rencontrer des acteurs de l’entre-

sim Orange et d’un device compatible 4G,

NTIC Emery OKUNJI, ainsi que du Direc-

prenariat congolais autour d’un forum.

vous pourrez expérimenter notre 4G+.

teur Général Orange MEA et Directeur

Quel était le but de cette rencontre ?

Aussi, vous pouvez swapper votre Sim 3G

Exécutif Orange Groupe, Alioune Ndiaye,

Plusieurs sujets ont été traités au cours

dans nos différentes boutiques. n

www.orange.cd


PROJECTEURS

ESPRITS LIBRES

Lamia Oualalou Journaliste spécialiste de l’Amérique latine, auteure de Jésus t’aime, la déferlante évangélique, aux éditions du Cerf l s’appelait Romualdo Rosário da Costa, mais pour tous, il était Moa, le maître de capoeira, ce mélange de danse et d’art martial introduit au Brésil par les esclaves africains. Dimanche 7 octobre, il a été tué de douze coups de couteau dans un bar de Salvador de Bahia, l’État le plus noir du pays, attaqué par un jeune homme qui ne supportait plus de le voir défendre le candidat de gauche à la présidentielle, Fernando Haddad. L’agresseur a reconnu les faits sans états d’âme : après tout, le résultat du vote lui donnait raison. Près de 50 millions de Brésiliens ont, comme lui, jeté leur dévolu sur Jair Bolsonaro, un ex-capitaine parachutiste connu pour ses diatribes d’extrême droite. Avec 46 % des suffrages, il a failli l’emporter dès le premier tour, sans slogan mais avec un geste fétiche : index et majeur unis en forme de revolver imaginaire tirant sur toutes les « minorités » : les pauvres, « tout juste bons à voter », les femmes, inférieures par définition, les fidèles des religions afro-brésiliennes, inspirés par le démon, les homosexuels, à éradiquer. Quant au racisme à l’égard des Noirs, une réalité longtemps camouflée au sein du pays au nom de la « cordialité brésilienne », il se manifeste désormais à visage découvert. Pour beaucoup d’électeurs de Bolsonaro, il est aujourd’hui normal de dénoncer l’« indolence du Nordeste », la région la plus pauvre et la plus noire, « où personne ne veut travailler, du fait des allocations », ou encore « la chute du niveau » depuis que la discrimination positive instaurée par Lula a fait entrer

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des centaines de milliers de descendants d’Africains à l’université. Moa est mort et, depuis, les agressions, les menaces et les intimidations se sont multipliées, alimentant la peur de voir le pays basculer dans l’indicible. Car il n’y a pas de doute, Jair Bolsonaro est antidémocratique, anti-intellectuel, raciste, misogyne et homophobe, entre autres. Et s’il lui manquait des références en matière de fascisme, il vient d’en acquérir une nouvelle : le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, l’a félicité d’en avoir « fini avec la gauche ». Son élection signifierait un changement de cap radical sur la scène internationale, éloignant le Brésil des autres grands pays du Sud, et d’abord des nations africaines, auxquelles Lula avait tendu la main dans les années 2000. En deux mandats, il avait fait plus pour les relations diplomatiques et commerciales entre son pays et l’Afrique que tous ses prédécesseurs au palais du Planalto. Contrairement à Lula, et comme Michel Temer, Bolsonaro, s’il est élu, n’entreprendra pas de longues tournées sur le sol africain. Pour l’ex-ouvrier métallurgiste, la place du Brésil était à la tête d’un front de pays du Sud. Pas à l’ombre des pays riches.

préférence partisane, les Brésiliens doivent former une alliance politique et sociale. Mais ce ne sera pas assez. Nous l’avons appris à nos dépens: une semaine avant l’élection, à l’appel de groupes féministes, des centaines de milliers de personnes ont battu le pavé dans 60 villes brésiliennes et à l’étranger en criant « Ele não ! Ele nunca ! » (« Lui, non! Lui, jamais »). Deux jours plus tard, Bolsonaro était propulsé dans les sondages. Le soir de l’élection, il a attiré plus de voix encore. Les raisons de ce décalage ? Les grands médias, majoritairement de droite, ont à peine rendu compte des manifestations, laissant à l’équipe de Bolsonaro la possibilité de manipuler l’information via WhatsApp. Les pasteurs des principales églises évangéliques s’en sont donné à cœur joie contre la gauche, désormais présentéecommel’incarnation du diable. Surtout, leverdictdesurnesmontreàquelpoint le discours sur les « valeurs » démocratiques ne touche pas cet électorat, en particulier sa frange populaire. Le vote des pauvres, de la petite classe moyenne, est l’expression d’un désespoir. Si Bolsonaro séduit aussi les plus riches – plus de 50 % d’entre eux lui accordent leur confiance, défendant l’inégalité, puisqu’elle met à leur disposition une main-d’œuvre à bas prix –, c’est aux précaires qu’il faut d’abord s’adresser. À l’étranger, on parle du candidat d’extrême droite, mais au Brésil, c’est le personnage antisystème qui provoque l’adhésion.

Le racisme anti-Noir se manifeste désormais à visage découvert.

Expression d’un désespoir

PourempêcherlavictoiredeBolsonaro et défendre la démocratie ainsi que tous les citoyens, quels que soient leur genre, race, niveau de revenus ou

DR

Peur sur le Brésil


Oswald Padonou

ÉRIC AHOUNOU

Tous contre le palu ! Docteur en sciences politiques, enseignant-chercheur en relations internationales et études de sécurité On ne vote pas pour lui par homophobie, mais contre une caste politique qui, entre errements de la gauche et coup d’État organisé par la droite en 2016, a provoqué une profonde récession, une destruction des fragiles fondations de l’État-providence et une explosion de la violence – laquelle avait déjà atteint un niveau insupportable. Lula incarnait aussi cette révolte contre le système, du fait de ses origines populaires, de son bagou, et du fait qu’il ne se soit jamais personnellement enrichi. En prison, il n’a pu se présenter.

Inverser la dynamique

Il faut expliquer que Bolsonaro, c’est le système. Rappeler qu’il a été député durant plus d’un quart de siècle, offrant des postes aux membres de sa famille, dont des emplois fictifs, qu’il est opposé aux contrats formels pour les employés domestiques et à la journée de repos hebdomadaire des travailleurs ruraux, qu’il estime que les femmes enceintes peuvent être renvoyées, du fait de leur improductivité, qu’il est contre la santé publique, le remboursement des médicaments ou les allocations pour les plus pauvres. Est-il encore temps d’empêcher sa victoire, le 28 octobre ? La tâche est rude, jamais aucun candidat arrivé deuxième au premier tour n’a réussi à inverser la dynamique au Brésil. Mais c’est le pays de tous les possibles, pour le meilleur et pour le pire. Pour arrêter le fascisme, il faut sortir de la bataille des valeurs et revenir à l’essentiel : la bataille quotidienne pour survivre, la santé, l’éducation, les logements et les salaires décents… Bref, revenir à la politique.

i je déclarais à la cantonade : « Le paludisme tue les Africains ! », partout on me répondrait : « On le sait. » Avec un brin de fatalité, les malades, les professionnels de la santé et même les gouvernants s’accommodent de l’existence de cette maladie et de l’interminable « lutte » engagée contre elle. Ils s’en accommodent tellement bien qu’ils oublient que le but ne devrait pas être celui de continuer à « lutter », mais de trouver si ce n’est un vaccin du moins un traitement efficace. La recherche doit rester le levier principal dans l’acte de lutte contre le paludisme… Et chaque médecin, chaque femme et chaque homme, malade avéré ou potentiel, doivent être le relais d’une politique inclusive dans ce domaine. En effet, malgré les succès engrangés (baisse de 25 % des nouveaux cas au niveau mondial ; chute de 42 % des décès liés à la maladie), les spécialistes annoncent que « le parasite responsable a commencé à développer une résistance aux insecticides et aux médicaments disponibles actuellement ». J’en suis l’un des milliers, voire des millions, de témoins vivants: résistance à quatre différents médicaments antipaludiques prescrits en Afrique subsaharienne et traitement efficace – enfin ! – avec un antipaludique venu d’Europe,

S

beaucoup plus onéreux et indisponible sur le marché local.

Chaîne de solidarité

La qualité des médicaments disponibles est en question, mais c’est un autre sujet. Celui qui m’intéresse, c’est le défaut de suivi et de documentation systématique de tous les cas de résistance aux traitements dans les unités de soins, en Afrique de l’Ouest particulièrement. Je n’aurai pas l’outrecuidance de généraliser, mais la prise en charge des patients est souvent devenue une mécanique bien rodée laissant peu de place au dialogue et à la remise en question des remèdes préconisés. Quand le débat tente de s’installer, le réflexe est d’asséner la phrase qui l’annihile : « Ce sont les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé ! » Or celles-ci sont « nourries » à Genève par la recherche, laquelle n’est pas alimentée, comme elle le devrait, par des statistiques collectées auprès de chaque unité de soins et produites à partir d’un protocole de vérification de l’efficacité des traitements prescrits à chaque personne à Abidjan ou à Porto-Novo. Oui, tout ça peut coûter très cher. Mais la facture peut être réduite si le dialogue s’installe, si les instituts de recherche s’appuient sur les praticiens, et ces derniers sur les patients, formant une chaîne de solidarité agissante.

Il faut recenser de manière systématique tous les cas de résistance aux traitements.

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BRUNO LEVY POUR JA

AFRIQUE SUBSAHARIENNE


27 Tribune Lac Tchad et terrorisme : déconstruction d’un mythe

28 Sénégal OK pour un « coup KO » ?

32 Côte d’Ivoire Ouattara Land

RD CONGO

Denis Mukwege

«Depuis deux ans, nos gouvernants défient le peuple » Récompensé par le prix Nobel de la paix, « l’homme qui répare les femmes » milite pour la fin des violences dans l’Est et dit ne pas croire à la transparence des élections du 23 décembre. Propos recueillis par TRÉSOR KIBANGULA

L À Paris, le 10 mars 2016.

e téléphone de son assistant n’arrête pas de sonner. Des médias du monde entier tentent de décrocher un entretien avec l’« homme qui répare les femmes » violées dans l’est de la RD Congo. « Au moins 150 personnes attendent un créneau », nous souffle-t-on avant de nous donner le feu vert. Le 5 octobre, le gynécologue-obstétricien congolais Denis Mukwege a reçu le prix Nobel de la paix aux côtés de l’Irakienne Nadia Murad. « Ma vie n’a pas beaucoup changé », assure-t-il à l’autre bout du fil, depuis Bukavu, cette ville qui l’a vu naître en 1955 et où il a fondé l’hôpital Panzi à la fin des années 1990. On le sent tout de même fatigué, la voix fébrile. Mais les convictions de cet homme, devenu au fil des ans l’un des principaux détracteurs du président Joseph Kabila, sont restées intactes. Nous l’avions rencontré une première fois il y a cinq


ans, à Paris. À l’époque, le docteur Mukwege, qui avait échappé, un soir d’octobre 2012, à une tentative d’assassinat à Bukavu, nous confiait déjà sa lassitude quant à l’impasse dans laquelle se trouvait son pays. Il nous avait dit qu’il opérait à Panzi des jeunes filles violées elles-mêmes nées du viol. « Il n’est plus temps de s’indigner, il est temps d’agir », martelait-il alors. Le Parlement européen ne lui avait pas encore décerné son prix Sakharov (il le fera en 2014), le réalisateur belge Thierry Michel ne lui avait pas encore consacré un documentaire (L’Homme qui répare les femmes. La colère d’Hippocrate, sorti en 2015), mais déjà Denis Mukwege accusait Kinshasa de ne rien faire, ni pour protéger les populations ni pour mettre fin à la multiplication des groupes armés dans l’est du pays. Aujourd’hui nobélisé, Mukwege ne compte pas se taire. Bien au contraire.

À PANZI, J’AI SOIGNÉ 50 000 PERSONNES. JE N’AI AUCUN INTÉRÊT À GONFLER LES CHIFFRES. JE NE VEUX PAS PERDRE MON TEMPS À DISCUTER D’UNE RÉALITÉ QUE CERTAINS CHERCHENT À ESCAMOTER.

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Jeune Afrique : Vous aviez plusieurs fois été pressenti pour le Nobel de la paix. Vous attendiez-vous à l’obtenir cette année? Denis Mukwege : Je n’en ai jamais fait mon

objectif. J’ai travaillé pour restaurer la dignité des femmes. En RD Congo tout d’abord, mais aussi dans d’autres pays, puisque je suis maintenant sollicité en Guinée, en Centrafrique et même en Irak. Je me suis investi pour cette partie de notre humanité qui souffre, sans jamais me préoccuper d’une quelconque récompense. Que représente ce prix pour vous?

C’est d’abord une reconnaissance des souffrances des victimes de violences sexuelles dans les conflits, et cela me touche énormément. Nous pouvons désormais espérer que les femmes obtiendront une réparation juste. Au Congo, beaucoup d’entre elles ont porté plainte et même gagné des procès, mais elles n’ont jamais obtenu réparation. Celle-ci n’est pas forcément individuelle ou matérielle, elle peut aussi être d’ordre moral et symbolique. Rendre justice à ces femmes, ce pourrait être construire des écoles pour leurs enfants, des monuments pour que personne n’oublie ce qui s’est passé et que cela ne se reproduise pas. À travers ce Nobel, la communauté internationale montre aussi qu’elle veut abolir l’usage du viol comme arme de guerre. Le viol, c’est une arme redoutable qui détruit la personne, la famille, la communauté et la nation, et, aujourd’hui encore, des individus gagnent des guerres en imposant à leurs pseudo-ennemis un terrorisme sexuel inacceptable.

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GWENN DUBOURTHOUMIEU

Afrique subsaharienne RD CONGO

Pour les Congolais, ce Nobel sonne aussi comme un rappel de tout ce qui ne va pas dans leur pays depuis plus de deux décennies…

C’est sûr. Me donner ce prix dans le contexte actuel, c’est aussi une manière d’interpeller les Congolais. Maintenant, il va falloir qu’ils se l’approprient et travaillent main dans la main pour imposer une paix durable dans le pays. L’ h ô p i t a l P a n z i , à B u k a v u , c ’e s t « 50 000 femmes réparées en vingt ans », répète-t-on souvent. Mais vos détracteurs et certains médias estiment que ces chiffres sont exagérés. Que vous inspirent ces critiques ?

J’ai toujours refusé d’entrer dans ces débats, que je considère comme infondés. À l’hôpital Panzi, nous réalisons des publications scientifiques. Que celui qui voudrait nous contredire publie une thèse contraire! Et puis on ne peut pas perdre notre temps à discuter d’une réalité que certains veulent escamoter pour nier la souffrance des Congolaises. Je n’ai aucun intérêt à gonfler ces chiffres. J’ai les dossiers des 50 000 personnes que j’ai soignées à Panzi, avec les noms, les villages d’origine et, chaque fois, le lieu du viol… Qui détient ceux des 6 millions de personnes mortes durant les première et deuxième guerres du Congo? Des personnalités du monde entier vous ont appelé pour vous féliciter. Le président Joseph Kabila aussi ?

Celui qui croit que ce prix Nobel de la paix est utile m’a félicité, celui qui pense qu’il ne


Fin 2011, Kwinanika Ngerina, Abiya Gil et Nakambululo Torina ont été violées par plusieurs miliciens. « Il faut rendre justice à ces femmes », insiste Mukwege.

l’est pas ne l’a pas fait. Mais je n’en veux à personne : chacun est libre de ses choix. Qu’allez-vous faire maintenant?

Ce que j’ai toujours fait : soigner celles et ceux qui en ont besoin. Et, partout, je continuerai à dire qu’il faut que la paix revienne en RD Congo. Comment parler de développement quand, dans certaines provinces, une femme qui va au marché, aux champs ou puiser de l’eau court le risque d’être violée ? Quand des civils sont assassinés à Beni ou à Bukavu ? Commençons par reconnaître que nous avons un problème dans ce pays. J’ai l’habitude de raconter l’histoire de cette femme de Fizi à qui j’ai un jour demandé ce que je pouvais faire pour elle. Elle m’a répondu qu’elle n’avait pas besoin d’aide, qu’elle était capable de cultiver, de pêcher et de travailler dur pour gagner sa vie. Que la paix était la seule chose dont elle avait besoin. Desélectionsdoiventavoirlieule23décembre, mais vous avez plusieurs fois dit que ce scrutin n’était pas la solution. Vous militiez en faveur d’une transition à laquelle ne participerait pas Joseph Kabila. Avez-vous changé d’avis, maintenant que les élections approchent?

Non, ma position n’a pas varié. Nous pouvons bien tourner autour du pot, mais ce que nous sommes en train de faire n’est pas constitutionnel. Le second mandat de Joseph Kabila est arrivé à son terme en décembre 2016. Depuis deux ans, nos gouvernants défient le peuple.

Mais l’accord de la Saint-Sylvestre, conclu fin 2016 avec l’opposition, a accordé un délai supplémentaire aux institutions en place…

Moi, j’ai toujours soutenu le respect de la Constitution.

Et celle-ci aurait été violée par l’accord de la Saint-Sylvestre?

Il ne faut pas me faire dire ce que je n’ai pas dit. Mais soyons honnêtes et souvenons-nous que le mandat du président de la République est de cinq ans, renouvelable une seule fois. La Constitution est très claire sur ce point. La classe politique vous paraît-elle capable de trouverunepersonnalitéconsensuelleàmême de diriger la transition que vousappelez de vos vœux et d’organiser des élections crédibles?

La question n’est pas de trouver un nom qui mette tout le monde d’accord, mais de respecter la Constitution. Et puis que croyez-vous qu’il va se passer après le 23 décembre? Que la RD Congo va se réveiller avec un nouveau président que tout le monde va acclamer, alors même que certains candidats auront été exclus de la compétition sur des bases peu convaincantes? Nous avons besoin d’une élection apaisée, transparente et crédible dont les résultats seront unanimement salués. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons construire une nation forte. C’est ça, mon rêve. Mais les ambassadeurs du Conseil de sécurité, qui étaient à Kinshasa il y a peu, ne paraissent plus envisager cette transition…

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Afrique subsaharienne RD CONGO

JE NE SUIS PAS CANDIDAT NI MEMBRE DE L’OPPOSITION. MAIS IL FAUT RESPECTER LA CONSTITUTION.

Il faut que les gens s’habituent à écouter différents sons de cloche. Je respecte le point de vue du Conseil de sécurité. Le mien aussi doit être respecté, d’autant que je ne mène pas un combat pour ou contre quelqu’un. La RD Congo a besoin de construire une paix durable et cela passe par des élections crédibles, pas par l’exclusion d’untel ou untel. Pour le reste, je n’ai aucun pouvoir, et certainement pas celui d’organiser un scrutin. Mais, en tant que citoyen, j’ai le droit de m’exprimer sur ce qui se passe dans mon pays et je n’ai besoin du soutien de personne.

Je ne participe pas à leurs réunions, je ne suis pas candidat et encore moins membre de l’opposition. Mais je soutiens toutes les stratégies qui peuvent amener au retour de l’ordre constitutionnel. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, si l’opposition en est à chercher un candidat unique, c’est parce qu’on a supprimé le second tour de la présidentielle. Si une multitude de candidats participent à un scrutin à un seul tour, on pourrait voir un président élu avec 10 % des suffrages ! C’est inquiétant. C’est donc une bonne chose si l’opposition peut trouver un candidat unique.

Quand vous parlez d’exclusion, vous faites allusion au fait que Jean-Pierre Bemba, Moïse Katumbi et Adolphe Muzito ne pourront pas se présenter?

Bien que vous considériez les élections à venir comme biaisées?

Je ne suis ni juriste ni juge, mais notre pays n’avait pas besoin de ça. Il nous faut de l’inclusivité, marcher main dans la main et regarder plus loin. Continuer avec des conflits interminables et des groupes armés qui poussent comme des champignons, c’est construire une RD Congo chaotique. Mon seul rêve, c’est la paix. Je veux m’occuper de femmes qui viennent accoucher et non plus essayer de réparer celles qui ont été détruites. Ces candidats déclarés inéligibles et ceux qui sont restés dans la course cherchent un candidat commun. Sont-ils sur la bonne voie ?

Oui. Je les encourage à aller jusqu’au bout. La politique de la chaise vide ne servira à rien.

Même si les opposants n’obtiennent pas gain de cause au sujet de la machine à voter, dont ils ne veulent pas, et du fichier électoral, qui comporterait des millions d’anomalies ? Pas de boycott?

Je n’ai pas à décider pour eux, mais je sais que c’est un choix cornélien. Comme s’il fallait choisir entre la peste et le choléra. Ne pas aller aux élections suppose que le pays se retrouvera demain avec les mêmes acteurs, le même système, la même violence. Y aller avec la machine à voter et un fichier électoral corrompu, c’est risquer d’arriver aux mêmes résultats.

ET S’IL SE LANÇAIT EN POLITIQUE ? Les opposants congolais ont peu soutenu l’idée d’une transition sans Kabila. En échange de quelques postes ministériels, beaucoup ont accepté le « glissement » du mandat du chef de l’État, arrivé à son terme fin 2016. Deux ans plus tard, la tenue des élections présidentielle, législatives et provinciales fixées au 23 décembre 2018 n’est pas tout à fait certaine: l’opposition remet en question l’indépendance de la commission électorale, refuse la machine à voter, conteste le fichier électoral et l’exclusion de plusieurs personnalités de la course à la magistrature suprême… D’où la résurgence de l’hypothèse d’une transition sans le président sortant. Cette option a depuis longtemps les faveurs de Denis Mukwege et, à Kinshasa,

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ses détracteurs l’ont accusé de nourrir des ambitions politiques. Le chirurgien le plus connu de la RD Congo s’en défend, mais l’un de ses proches confie: « Si le pays a besoin de lui, il sera prêt à le conduire vers des élections crédibles. » Son « grand ami » Jacques Attali ne verrait pas ce scénario d’un mauvais œil. Les deux hommes en ont de nouveau discuté fin septembre à Paris, comme ils l’avaient fait, il y a un an, en marge de la première édition du Global Positive Forum, manifestation parrainée par l’économiste et écrivain français, proche du président Emmanuel Macron. Mais n’y voyez aucune marque de soutien de Paris: Mukwege est « plus proche de Bruxelles », avance une source diplomatique française. Il entretient de bonnes

relations avec plusieurs personnalités belges, dont Louis Michel, l’ancien commissaire européen au Développement. Mais est-ce suffisant pour propulser l’homme de Panzi au Palais de la nation? « C’est surtout une rêverie de plus de Didier Reynders [ministre belge des Affaires étrangères], tacle un lieutenant de Kabila. Après avoir rêvé que l’Angola ou le Rwanda enverraient des troupes pour nous renverser, il pousse Mukwege vers une voie sans issue. » Et de conclure: « S’il doit un jour y avoir une transition sans Kabila, nous n’accepterons jamais qu’elle soit conduite par le docteur Mukwege, encore moins par le cardinal Laurent Monsengwo. » T.K.


TRIBUNE

Lac Tchad et terrorisme: déconstruction d’un mythe L’

J-C MARMARA/LE FIGARO

affaire semble entendue. Au Sahel, la pression démografallacieux. Ainsi, 1960 n’est pas une bonne année de réféphique, la dégradation de l’environnement et une comrence car elle fut marquée par de fortes inondations : il est pétition accrue pour capter des ressources devenues rares donc assez logique que les niveaux d’eau enregistrés soient provoqueraient de plus en plus de conflits et précipiteraient habituellement inférieurs. Certaines organisations persistent une émigration massive vers les rivages de la Méditerranée néanmoins à mélanger les séquences en utilisant des images et de l’Europe. Peu importe que la très grande majorité des satellites réalisées au moment des saisons sèches ou, au migrants de la zone aille en réalité au sud, vers des pays contraire, humides. Désireuse de donner un semblant de comme la Côte d’Ivoire ou le Nigeria. Peu importe également véracité scientifique à l’argument écolo-sécuritaire, une ONG que les Africains de l’Ouest qui essaient de gagner l’Europe hollandaise, Wetlands International, fait quant à elle réféviennent plutôt des régions du littoral Atlantique et non des rence à des articles académiques qui, en réalité, parlent du pays enclavés du Sahel, qu’ils se contentent « reverdissement » du Sahel et de la difficulté de traverser. Les inquiétudes sur l’afflux de à prouver des liens de causalité entre conflits migrants et l’ampleur de la menace terroriste armés et dégradation de l’environnement. sont telles qu’elles ont tout emporté sur leur La solution semble toute trouvée : construire passage, y compris les analyses scientifiques. un canal qui permettrait de renflouer le lac De façon significative, des lobbies écoloTchad et de faire d’une pierre trois coups en gistes se sont ainsi joints au grand concert réduisant la pauvreté, en luttant contre le tersécuritaire et malthusien pour décrire le Sahel rorisme et en désamorçant les conflits liés aux comme la zone de tous les dangers. Le déroulé ressources. Beaucoup de monde adhère à ce de leur narratif est implacable. À les en croire, projet merveilleux : les entrepreneurs pour le réchauffement climatique aggraverait la gagner de juteux contrats, les gouvernements Marc-Antoine pauvreté et le chômage, exacerberait les tenconcernés pour détourner l’argent de la comPérouse sions entre pasteurs et cultivateurs et pousmunauté internationale, les consultants pour de Montclos serait les jeunes dans les bras des groupes rédiger une énième étude de faisabilité, les Directeur extrémistes : insurgés touaregs dans le nord ONG pour justifier un surcroît d’aide, etc. de recherche du Mali, rebelles peuls dans le delta intérieur à l’Institut du Niger, jihadistes de Boko Haram autour du n réalité, le niveau du lac Tchad a comde recherche pour lac Tchad, etc. mencé à remonter depuis le milieu des le développement Un tel récit sous-estime en l’occurrence la années 1990. Il correspond aujourd’hui à la (IRD), Paris capacité des populations locales à s’adapter moyenne du siècle passé. De son côté, la secte pacifiquement aux défis de l’évolution de leur Boko Haram a été fondée par des citadins et environnement. Mais il est très consensuel, est apparue dans la ville de Maiduguri, au car il permet d’occulter les responsabilités poliNigeria, bien après la grande sécheresse sahétiques dans les problèmes de gouvernance, de corruption, lienne des années 1970-1980. C’est en 2014 que le groupe de répression militaire, d’injustices sociales et d’accès au a dû se replier dans les marécages du lac, bien utiles pour foncier qui, concrètement, sont à l’origine des insurrections échapper au regard des drones. Outre son coût exorbitant, d’aujourd’hui. la construction d’un canal aurait en fait pour inconvénient d’inonder les quartiers pauvres de N’Djamena, de dévase cas du lac Tchad est à cet égard emblématique. Depuis ter l’agriculture locale et de permettre aux jihadistes de se 1960, il aurait perdu plus de 90 % de sa superficie, pourcacher encore plus facilement dans de vastes étendues d’eau centage qui, bizarrement, est repris à l’envi sans avoir évolué qui, historiquement, ont toujours servi d’abri aux rebelles en un demi-siècle. Or les arguments présentés sont souvent de tous bords.

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Afrique subsaharienne

SÉNÉGAL

OK pour un «coup KO»? Principaux rivaux hors jeu, soutien de la puissante coalition Benno Bokk Yakaar… Candidat à sa propre succession en février 2019, le président Macky Sall voit s’ouvrir devant lui une voie royale. Mais l’opposition n’entend pas abdiquer.

auf coup de théâtre, ni l’un ni l’autre ne devrait avoir de bulletin à son nom dans les bureaux de vote sénégalais le 24 février prochain. Pour Karim Wade, l’affaire semble entendue. Son pourvoi en cassation pour contester sa radiation des listes électorales ayant été rejeté, le fils d’Abdoulaye Wade, candidat officiel du Parti démocratique sénégalais (PDS), ne dispose plus d’aucun recours au niveau national. Pour Khalifa Sall, l’espoir est toujours là, mais il est mince. Bien que sa condamnation n’ait pas encore été confirmée par la Cour suprême, l’ex-maire de Dakar ne se fait guère d’illusions. Avec la mise hors jeu de ses deux principaux concurrents, Macky Sall apparaît plus que jamais comme le grand favori de la prochaine présidentielle. Une situation inédite, qui provoque la colère de l’opposition. « Macky Sall est un homme autoritaire, qui s’est assis sur nos libertés, s’emporte El Hadj Amadou Sall, avocat d’Abdoulaye Wade et figure du PDS. Quand ses opposants deviennent des challengers trop sérieux, il les envoie en prison. Il n’y a plus de démocratie au Sénégal! » Comme lui, les autres barons du premier parti d’opposition font désormais monter la pression. Si Karim Wade ne peut pas se présenter, ils assurent qu’ils empêcheront la tenue de l’élection « par tous les moyens ». Une

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ANADOLU AGENCY

BENJAMIN ROGER

Objectif du chef de l’État : l’emporter dès le premier tour pour s’épargner une seconde manche potentiellement risquée.

posture radicale assumée : « La réaction des Sénégalais n’aura pas lieu dans les urnes mais dans la rue, prévient Babacar Gaye, le porte-parole du parti. On pensait que les Burkinabè n’avaient pas les moyens de faire partir Blaise Compaoré, ni les Gambiens, Yahya Jammeh. Nous ne sommes pas à l’abri d’un tel scénario au Sénégal. »

« À vaincre sans péril… »

Aux rodomontades de leurs adversaires, le président et sa garde rapprochée opposent un discours légaliste bien rodé. « Le Sénégal est un État de droit, avec ses règles et ses lois qui s’appliquent à tout le monde. Il n’y a aucune chasse aux sorcières, seulement une justice indépendante qui fait son travail », martèle Aymérou Gningue, député et président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar (BBY) à l’Assemblée nationale. Il n’empêche. Cette situation suscite le malaise. Sous le couvert de l’anonymat, les diplomates occidentaux disent parfois leur gêne quant au sort réservé aux


d’avance, prévient Mamoudou Ibra Kane, journaliste et patron du groupe de presse eMedia Invest. En matière d’élections, gare aux excès de confiance et à l’arrogance. » Après la présidentielle et les législatives de 2012, les locales de 2014, le référendum constitutionnel de 2016 et les législatives de 2017, les partisans de « Macky » sont convaincus que la présidentielle de 2019 ne peut leur échapper et que le chef de l’État s’imposera dès le premier tour, en réussissant le fameux « coup KO » d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire en 2015. Car Macky Sall le sait, et le craint, plus que quiconque : à Dakar, tous les présidents sortants contraints à un deuxième tour ont dû quitter le palais de la République dans la foulée : Abdou Diouf en 2000, Abdoulaye Wade en 2012… Le dirigeant-candidat veut absolument éviter un second round fatal.

Récolte des parrainages

IER P O U R JA

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L’épouse de Macky Sall est réputée influente auprès de son mari. Ses réseaux au sein de la confrérie tidjane, dont elle est une fidèle pratiquante, seront un atout supplémentaire pour le président.

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MARIÈME FAYE SALL

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opposants. Même dans le camp de Macky Sall, certains s’interrogent. « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, ajoute un élu de BBY. Il est regrettable d’organiser une élection sans opposants. Certains pays ont l’habitude de faire ça. Pas le Sénégal. » L’entourage de Macky Sall, lui, insiste sur le fait que le président en campagne n’aura pas de temps à perdre avec les cas personnels de Karim Wade ou de Khalifa Sall et qu’il se concentrera exclusivement sur les sujets de fond. Tous ceux qui, notamment dans la presse ou la société civile, continueront à remettre le sujet sur la table seront priés de passer à autre chose. « Nous n’allons pas nous laisser distraire. Notre priorité est de répondre aux préoccupations des Sénégalais et de travailler sur notre projet de société, pas de répondre aux faux débats », assène El Hadj Hamidou Kassé, ministre chargé de la Communication à la présidence de la République. En avant donc, les yeux tournés vers la campagne à venir. « Rien n’est jamais gagné

Rien n’est donc laissé au hasard. Voilà plusieurs mois que Macky Sall et ses proches se sont mis au travail. Mi-2018, quatre pôles consacrés à l’élaboration du programme, à la mobilisation citoyenne pour les parrainages, au congrès d’investiture et à la communication ont été lancés pour structurer la campagne. Celle-ci a symboliquement démarré le 29 août, au Centre international de conférences Abdou-Diouf (Cicad), avec la cérémonie de lancement de la récolte des parrainages citoyens. Salle entièrement décorée aux couleurs de BBY et à l’effigie de Sall, premiers rangs garnis de ministres et d’alliés, discours flatteurs sur le bilan du mandat qui s’achève : l’événement a rapidement viré à la démonstration de force à six mois de l’élection. D’ici au lancement officiel de la campagne, avec le congrès d’investiture du chef de l’État à la tête de BBY prévu début décembre à Dakar, ses IL équipes sillonneront le pays ÉM à la recherche des précieuses signatures. Il ne fait aucun doute qu’il récoltera les quelque 52 000 parrainages nécessaires pour se présenter, mais cette précampagne présente aussi l’avantage de permettre à ses troupes de commencer à occuper le terrain. « Nous rencontrons beaucoup de gens qui nous font part de leurs préoccupations et de

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TOUT AU LONG DE SON SEPTENNAT, IL A SU CONSERVER L’APPUI DE DEUX PRÉCIEUX ALLIÉS : OUSMANE TANOR DIENG ET MOUSTAPHA NIASSE.

leurs attentes à l’égard du gouvernement », explique Aminata Touré, ancienne Première ministre chargée de conduire la récolte des parrainages. Une fois investi, le président se lancera vraiment dans ce que ses proches appellent le « combat électoral ». Avec deux idées phares : promouvoir le bilan du premier mandat et exposer son projet pour le second. Ses soutiens se montrent déjà intarissables sur les différentes réalisations accomplies depuis 2012. Taux de croissance de 6,5 % et développement des infrastructures, mais aussi montée en puissance de la Senelec, amélioration de l’accès à l’eau potable, rendements accrus dans l’agriculture… Autant de chantiers visibles par la population, en particulier rurale, laquelle constitue l’une des cibles majeures de BBY à la présidentielle. Pour convaincre ses compatriotes de lui renouveler leur confiance, Macky Sall continuera à s’appuyer sur son Plan Sénégal émergent (PSE), sa grande matrice pour le développement économique et social du pays. Nul doute qu’il leur fera aussi miroiter les retombées prometteuses de la manne pétrolière et gazière, attendues à partir de 2021. Selon son entourage, le président sillonnera le Sénégal dans les mois à venir comme il l’avait fait il y a sept ans. Entre 2009 et 2012, il avait parcouru des milliers de kilomètres et visité les 45 départements du pays. Son statut et son emploi du temps ont changé, mais il a l’intention de rééditer ces nombreux déplacements sur le terrain. « Il va visiter toutes les régions, souffle un de ses collaborateurs. Et ce n’est pas juste une histoire de campagne électorale : durant son mandat, il a beaucoup voyagé dans l’ensemble du territoire

SEYLLOU/AFP

Afrique subsaharienne SÉNÉGAL

national, avec les Conseils des ministres délocalisés ou lors de ses tournées économiques régionales. » Ces visites présidentielles seront inévitablement l’occasion, ici et là, d’inaugurer une nouvelle route, un centre de santé, ou encore un nouvel établissement scolaire. Après l’aéroport international Blaise-Diagne (AIBD), opérationnel depuis décembre 2017, d’autres grandes infrastructures symbolisant l’émergence chère à Macky Sall sont censées sortir de terre d’ici à l’élection, comme le projet de train express régional (TER) DakarDiamniadio – un chantier qu’il suit de

CES IRRÉDUCTIBLES BASTIONS DE L’OPPOSITION Grande gagnante des législatives de 2017, la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) l’avait emporté dans quasiment tous les départements du pays. Tous, sauf une poignée de bastions de l’opposition sur lesquels Macky Sall bute toujours et qui font aujourd’hui l’objet de toutes ses attentions, car il sait que chaque voix comptera pour l’emporter dès le premier tour. Le

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département de Mbacké, fief de la confrérie mouride, vote depuis des années pour le Parti démocratique sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade. Le département de l’Europe du Sud (qui regroupe les diasporas d’Italie, d’Espagne et du Portugal) avait aussi porté son choix sur le premier parti d’opposition lors des législatives. Enfin, dans le département de Dakar, BBY

l’avait emporté avec moins de 3 000 voix d’écart sur la coalition Manko Taxawu Senegaal, de Khalifa Sall. La coalition présidentielle avait aussi été talonnée dans les départements de Ziguinchor et d’Oussouye par celle d’Abdoulaye Baldé, député-maire de Zinguinchor qui s’est déclaré candidat à la présidentielle. B.R.


Karim Wade a été radié des listes électorales, tandis que Khalifa Sall a été condamné à cinq ans de prison… L’opposition dénonce une justice aux ordres.

CAMPAGNE 2.0

« très près », selon une source française proche du dossier – ou le futur Musée des civilisations noires, à Dakar.

Outsiders surveillés de près

Pour être réélu, le chef de l’État pourra surtout compter sur l’appui de sa coalition BBY, machine électorale bien huilée et solidement implantée dans tous les départements du pays. Si le président est aujourd’hui en bonne posture, c’est aussi parce qu’il a su maintenir et consolider cette vaste coalition formée autour de lui dans l’entre-deux tours en 2012. Il a notamment gardé l’appui de ses deux principaux alliés durant tout son mandat : Ousmane Tanor Dieng, le secrétaire général du Parti socialiste (PS), et Moustapha Niasse, le président de l’Assemblée nationale et leader de l’Alliance des forces de progrès (AFP). Ces derniers mois, plusieurs responsables politiques sont encore venus grossir les rangs de BBY. Souleymane Ndéné Ndiaye, ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade, Pape Samba Mboup, son ancien chef de cabinet, Modou Diagne Fada, un de ses ex-ministres, Moussa Sy, ex-deuxième adjoint de Khalifa Sall à la mairie de Dakar… « Il est plus facile de compter ceux qui ne sont pas venus

que ceux qui nous ont rejoints », ironise un député de la majorité. À ses futurs ou potentiels alliés, Macky Sall propose des postes ou des arrangements politiques. « Il est très persévérant, raconte l’un de ses nouveaux soutiens. Dès qu’il comprend que vous pouvez basculer dans son camp, il ne vous lâche plus : il vous appelle, vous transmet des messages, vous envoie des émissaires, vous reçoit au palais… » En l’absence de Karim Wade et de Khalifa Sall, plusieurs outsiders vont tenter de contrarier la réélection du président. Ses proches affirment qu’il n’y a pas de « petits » ou de « gros » concurrents, mais plusieurs sont déjà surveillés de près. Le député Ousmane Sonko, nouvelle coqueluche de l’opposition, les anciens Premiers ministres Idrissa Seck et Cheikh Hadjibou Soumaré, l’ancien président de l’Assemblée nationale Pape Diop… Sans oublier Madické Niang, fidèle d’Abdoulaye Wade qui a récemment décidé d’incarner un « plan B » à la candidature compromise de Karim Wade. L’un d’entre eux pourrait-il créer la surprise ? Il est trop tôt pour le dire, mais, si il ou elle parvient à capitaliser sur la rancœur des partisans du PDS et de Khalifa Sall, le match pourrait se révéler bien plus serré qu’annoncé.

Encore plus qu’en 2012, la campagne pour la présidentielle se jouera sur internet et les réseaux sociaux. Des supports de communication incontournables, sur lesquels l’opposition est très active et critique quotidiennement le pouvoir, à l’image des Patriotes, du député Ousmane Sonko. « Nos adversaires sont souvent meilleurs que nous dans ce domaine », estime un cadre de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY). Pour contrer l’influence de ses rivaux, Macky Sall a demandé à ses ministres d’y être plus actifs. Début septembre, il a également lancé le Bureau d’information gouvernementale (BIG), chargé de la communication 2.0. Au sein du pôle communication de Macky Sall, qui est supervisé par son ministre-conseiller El Hadj Hamidou Kassé, l’accent sera aussi mis sur les réseaux sociaux. B.R.

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Afrique subsaharienne

CÔTE D’IVOIRE

Ouattara Land À Kong, capitale d’un empire aujourd’hui disparu, la famille du président règne en maître. Ses membres y remportent toutes les élections. Et gare à ceux qui voudraient sortir du rang. son grand frère, Gaoussou, Alassane en campagne, Alassane en meeting… Kong a des allures de fan-club. Il faut dire que les trois quarts de ses habitants s’appellent Ouattara. À la radio, on a bien entendu qu’un vent de contestation soufflait depuis 2017 sur

ANNA SYLVESTRE-TREINER, envoyée spéciale à Kong

abakary Ouattara se désespère encore du non de ses aïeux. Au début du siècle dernier, « les vieux » ont refusé que le train des colons passe par Kong. C’était trop neuf, trop inconnu. À l’époque, on ne contrariait pas les puissants habitants de la ville : le chemin de fer a donc été construit à 90 km plus à l’ouest, à Ferkessédougou. C’est là désormais que se tient le marché, que se construisent des immeubles, que passent les camions et que s’arrête le bitume. Pour aller à Kong, il faut encore deux bonnes heures sur une piste de latérite cahoteuse. La route est déserte : plus personne, ou presque, ne se rend dans ces confins du grand Nord ivoirien. La capitale de l’ancien empire de Kong est devenue une petite bourgade endormie de quelques milliers d’âmes. Seules ses deux mosquées soudanaises en pisé rappellent sa grandeur passée. Difficile d’imaginer que, au XVIIe siècle, son fondateur, l’intraitable Sekou Ouattara, régnait sur un territoire qui s’étendait jusqu’à l’actuel Burkina Faso et sur une partie du Mali.

F

La bourgade ne compte plus désormais que quelques milliers d’habitants.

La fierté n’a pourtant pas quitté ses habitants : c’est bien un descendant du roi Sekou qui dirige aujourd’hui le pays. « On savait qu’un jour Alassane arriverait à la tête de l’État. Il était fait pour ça. De tout temps, les Ouattara sont nés pour gouverner », assure Fabakary, le chef du village. Sur une affiche de campagne jaunie par le soleil, le président pose en grand format à l’entrée du bourg. Le siège de son parti, le Rassemblement des républicains (RDR), trône au milieu de la rue principale. Il n’y a d’ailleurs pas d’autre formation politique officiellement représentée ici. Chez la plupart des habitants, on trouve une collection de photos : Alassane avec sa femme, Dominique, Alassane avec

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ALAMY STOCK PHOTO

Des allures de fan-club


le pouvoir ivoirien. Il y a eu les mutineries des anciens rebelles intégrés dans l’armée, les grèves de fonctionnaires et, désormais, les difficultés politiques qui s’amoncellent. Après des mois de tensions, Henri Konan Bédié, le patron du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), a choisi de claquer la porte de la coalition présidentielle. Lors des élections municipales et régionales du 13 octobre, la bataille entre les deux anciens alliés a été féroce dans de nombreuses localités. Mais la capitale des Ouattara est à l’abri de ce genre de tempêtes. Il n’y avait qu’une seule liste, évidemment aux couleurs de la majorité et conduite par un proche du président, Berté Abdrahamane Tiémoko. C’est ainsi depuis trente ans, les Ouattara règnent ici en maîtres. Aux législatives de 2016, Téné Birahima Ouattara avait recueilli 99,76 % des suffrages. Lors de la dernière élection présidentielle, en 2015, seuls 15 bulletins sur 14 438 ne désignaient pas Alassane Ouattara. « Recueillir une seule voix contre les Ouattara, c’est déjà un exploit », se félicite Anzoumana Ouattara. Le vieil homme vit à Lassana, un petit village situé à 22 km de Kong. Lui aussi est un descendant du mythique Sekou Ouattara, mais il a

UN TIÉMOKO DANS LE TABLEAU

C’est une petite révolution : pour la première fois, l’édile de Kong n’appartient pas à la famille du président. Après Gaoussou Ouattara (1995-2013) et Téné Birahima Ouattara (2013-2018), le président a choisi de confier la mairie à Berté Abdrahamane Tiémoko. Natif de la ville et très proche du chef de l’État, il est le directeur de l’IPS-CGRAE, la caisse générale de retraite des fonctionnaires.

toujours été un militant du Front populaire ivoirien (FPI), le parti de l’opposant Laurent Gbagbo. « Mille fois, mes parents m’ont demandé de quitter le FPI. Mais que voulez-vous? Je suis socialiste! » expliquet-il. Anzoumana a connu les insultes et les intimidations, les mesquineries et les coups bas, comme lorsqu’on lui a abîmé sa moto il y a quelques années. Il se souvient de la défaite historique de Gaoussou aux législatives de 1990, de Basalia Ouattara, l’homme qui avait créé une éphémère antenne du FPI à Kong dans les mêmes années, ou, plus récemment, de Seydou Ouattara, un autre opposant… Ils sont si peu nombreux. « Dans la région, des gens sont contre le RDR, mais ils ont peur. Les fonctionnaires me disent qu’ils craignent de perdre leur travail, les agriculteurs, qu’ils redoutent les représailles… Je ne parviens pas à les rassurer. »

Souvenir amer

Ni le président Ouattara ni ses frères et sœurs ne sont pourtant nés dans le village paternel. C’est Gaoussou, le grand frère du président, qui, le premier, est revenu sur ces terres. Cadre du PDCI puis fondateur du RDR, ce « baobab » de la politique ivoirienne a été le premier maire de Kong. Sans difficulté, il a fait adouber son petit frère. Ex-haut cadre international marié à une Blanche, Alassane n’était pas vraiment imprégné des coutumes de cette terre empreinte de mysticisme, racontet-on à Kong, mais qu’importe. « On savait bien qu’il n’avait pas grandi là, mais c’est notre enfant. Alors quand, en 1995, Bédié a inventé l’ivoirité et qu’Alassane a été exclu de la présidentielle, c’est comme si on nous avait tous reniés », s’indigne Fabakary. Les habitants de Kong gardent un souvenir amer et quelques rancœurs de ces années de braise. Sous Laurent Gbagbo, ils ont ensuite subi privations et représailles. Les maîtres d’école sont partis, l’eau, l’électricité étaient parfois coupées plusieurs mois d’affilée. « Ils voulaient nous punir, Kong avait été jeté aux oubliettes », poursuit le notable. Alors depuis la victoire d’Alassane, en 2011, Kong revit. Il n’y a rien de grandiose dans le village du président, ni immense demeure ni beau jardin dans cette région aride. Seuls les hommes en armes postés autour du mur de la cour familiale

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Afrique subsaharienne CÔTE D’IVOIRE

TEL FRÈRE, TELLE SŒUR…

Tandis qu’Alassane Ouattara confiait la région paternelle du Tchologo à son jeune frère, il donnait à sa sœur, Aissiata Ouattara, le contrôle de Gbeleban, dans le Nord-Ouest. Le village de leur mère a été érigé en mairie spécialement pour elle, il y a quelques mois. Elle était d’ailleurs la seule candidate.

rappellent qu’un chef d’État est susceptible de passer dans ce coin isolé. Alassane, d’ailleurs, vient très rarement : la dernière fois, c’était en 2015, lors de la campagne. Et il n’a pas dormi ici. Mais avec son arrivée au pouvoir, le président a commencé à transformer la petite ville. Il y a un hôtel, qui appartient à son frère Téné Birahima, un hôpital en lente construction. La petite Kong a été érigée en chef-lieu de département, alors de nouveaux bâtiments ont poussé : préfecture, impôts, douanes ; leurs fonctionnaires sont arrivés. Venus parfois de loin, ils ont des langues plus déliées que celles des vieux habitants de Kong. À La Détente, le seul maquis de la ville, il ne faut que quelques minutes pour que Joseph fasse part de sa lassitude. « Ici, c’est de la folie, la Drogba [grande bière de 1 l] coûte 800 F CFA [1,2 euro], contre seulement 500 à Abidjan. Les loyers, c’est pareil! Tu paies 35 000 F CFA pour un chambresalon, contre 25 000 à Ferkessédougou, et même le bus, c’est 10000 F CFA pour aller à Abidjan. Résultat, on ne bouge jamais et on se morfond », déplore-t-il.

Avec les travaux et le développement, les prix ont tant flambé que les autorités de la ville ont été saisies. Ces derniers mois, elles ont tenté de raisonner les commerçants et de faire taire les mécontents. « Parfois, on aimerait confier la mairie à d’autres. Pourquoi pas à un gars de Guillaume Soro? » lance Joseph. Le président de l’Assemblée nationale, originaire de Ferkessédougou, ne cache pas son soutien à des candidats indépendants, ailleurs dans le pays. « Mais ici, tu n’as pas le choix. Ils sont tous à 100 % avec le président, alors tu dois suivre et te taire. » Dans la loyale Kong, la révolte n’est pas pour demain. À l’ombre d’un manguier centenaire, les notables de la ville sont unanimes. « Le mieux pour la présidentielle de 2020 ? C’est un troisième mandat pour Alassane ! » assure Fabakary, immédiatement appuyé par d’autres membres du conseil municipal. Juste avant l’élection, une route bitumée, qui doit relier le petit bourg du président à la grande Ferkessédougou, doit être terminée. Kong rêve de sortir ainsi de l’oubli et, qui sait, grâce à l’enfant de la ville, de retrouver un jour un peu de sa puissance d’antan.

« Je voudrais dire à Ibrahim que je lui confie Kong. Ibrahim, Kong est entre tes mains ! » Sur la place de la ville, en ce début juillet 2013, le président ivoirien fait monter son jeune frère sur la tribune. Une image rare : le discret Téné Birahima Ouattara n’aime ni la lumière ni les mondanités. Cinq ans après avoir été élu avec 100 % des voix, « Photocopie », comme il est surnommé en raison de sa ressemblance avec son aîné, a choisi de laisser la mairie de Kong – dont il est aussi le député – pour briguer le conseil régional du Tchologo. Objectif: occuper le plus de terrain possible face à

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Guillaume Soro, originaire de Ferkessédougou, la capitale de la région. Toujours membre du parti présidentiel mais en délicatesse avec sa direction, le président de l’Assemblée nationale a en effet laissé plusieurs de ses proches se présenter aux élections locales. Le rival de Téné Birahima Ouattara, Mamadou Coulibaly, ne cachait d’ailleurs pas sa proximité avec les mouvements pro-Soro. Photocopie est depuis toujours l’homme des missions sensibles et secrètes. Fidèle parmi les fidèles du chef de l’État, il a toujours suivi son grand frère. Passé par la Banque

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ATAPOINTE/ABIDJAN.NET

« PHOTOCOPIE » À L’ASSAUT DU TCHOLOGO

Le président Ouattara et son frère (à g.), le 5 juillet 2013, à Kong.

atlantique de Côte d’Ivoire, il a participé à la création du Rassemblement des républicains (RDR), dont il est l’historique trésorier. Resté un grand argentier de l’ombre depuis l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, il est aussi chargé du domaine réservé du chef

de l’État : les services de renseignements et les questions sécuritaires notamment. Ministre des Affaires présidentielles, il occupe un bureau du bâtiment principal du palais d’Abidjan et ne répond qu’à un homme : son frère. A.S.-T.


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MAGHREB & MOYEN-ORIENT

40 Algérie Saïd la fronde

MAROC

MigrantsPourquoi Redevenu un territoire de transit, le royaume veut convaincre l’Europe de prendre sa part dans le contrôle des flux migratoires. FAHD IRAQI, à Casablanca, et JULES CRÉTOIS

R

atissage quotidien des forêts autour des enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla, déplacements de migrants subsahariens vers le sud du pays, tirs de sommation de la marine royale contre les go fast chargés de clandestins, démantèlement de réseaux internationaux de migration clandestine, négociations pour le rapatriement de mineurs clandestins… Depuis l’été, le Maroc multiplie les efforts pour faire figure de bon élève en matière de lutte contre l’immigration illégale. Pays d’origine, de transit et de destination pour les populations migratoires, le royaume a vu cette dernière année ses frontières subir plus de pression en raison des dernières évolutions des cartes migratoires. Le verrouillage des rives de la Méditerranée orientale (Turquie, Grèce) et la fermeture des ports italiens aux navires des ONG qui secourent les migrants en Méditerranée (en partance de Libye ou de Tunisie) font des côtes marocaines le point de départ


43 Tribune Mauvais scénario

44 Tunisie Profession : agitateurs

49 Libye Au pays de tous les trafics

Rabat hausseleton privilégié vers l’Europe. L’Espagne compte de nouveau le plus grand nombre de points d’entrées irrégulières en Europe: 42000 arrivées y ont été enregistrées depuis le début de l’année, dont plus de 27994 migrants depuis le Maroc, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Soit le double du nombre enregistré par la route migratoire libyenne vers l’Europe – 19600 migrants seulement depuis le début 2018, soit une baisse de 80 % par rapport à l’année dernière.

Clandestins secourus, à Algésiras (Espagne), le 1er août.

ORGE GUERRERO/AFP

Responsabilité commune

Depuis plusieurs mois, Rabat ne cesse d’adresser des messages à Bruxelles, où la question migratoire divise les 28 pays membres de l’Union européenne (UE). Et hausse parfois le ton: « On ne peut pas demander au Maroc son aide sur la question migratoire et dans la lutte contre le terrorisme tout en traitant le pays comme un objet […]. Sommesnous un véritable partenaire ou juste un voisin dont on a peur? » s’est interrogé, dans une interview au quotidien autrichien Die Presse, Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, qui plaide pour une relation de « confiance » et « d’égal à égal » en matière de gestion des flux migratoires. De son côté, le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, affirme que « le Maroc ne peut pas supporter seul le poids de la lutte contre la migration illégale » et appelle au « renforcement du niveau d’interaction et de coopération entre les différents intervenants ».


Maghreb & Moyen-Orient MAROC

L’ÉMIGRATION CLANDESTINE EN CHIFFRES

54 000

tentatives d’émigration clandestine mises en échec en 2018

74

réseaux de trafic d’êtres humains démantelés en 2018

22 000

migrants clandestins rapatriés depuis 2004

50 000

étrangers régularisés entre 2014 et 2017 SOURCE : MINISTÈRE MAROCAIN DE L’INTÉRIEUR

Les responsables espagnols sont, par la force des choses, les plus sensibles au plaidoyer marocain. Au début du mois d’octobre, la secrétaire d’État espagnole aux Migrations, Consuelo Rumí Ibáñez, s’est rendue dans le royaume pour réitérer l’engagement de Madrid d’« être la voix du Maroc dans l’Union européenne ». Le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, et la chancelière allemande, Angela Merkel, ont d’ailleurs décidé d’augmenter les fonds d’aide européens au Maroc lors de leur rencontre l’été dernier en Andalousie. Quelques semaines auparavant, la Commission européenne avait approuvé trois nouveaux programmes relatifs à la gestion des frontières et à la migration en Afrique du Nord, pour un montant total de 90,5 millions d’euros, dont une grande partie destinée au Maroc, qui réclame des efforts supplémentaires.

Une aide de plus de 30 millions d’euros

Responsables marocains et européens restent cependant évasifs quant aux montants des aides additionnelles dont devrait bénéficier le royaume. Les négociations avec le club des 28 semblent s’éterniser, d’autant que Rabat résiste à la pression de certains États européens qui veulent conditionner leur aide à la création de Centres d’accueil de migrants sur le sol marocain. « La création de ces centres n’est qu’une tentative d’externaliser le problème migratoire et ne constitue pas une solution », a réaffirmé Mustapha El Khalfi, porte-parole du gouvernement, à l’issue d’un Conseil des ministres, début septembre. « Le Maroc entend exercer un contrôle souverain sur ses frontières, mais il est tout à fait légitime qu’il en appelle à la solidarité internationale pour gérer cette situation », abonde Jean-Paul Cavaliéri, représentant au Maroc du HautCommissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Quoi qu’il en soit, le royaume n’aurait, pour le moment, pas encore vu la couleur de l’aide promise. Selon le quotidien espagnol El Pais, les contacts téléphoniques s’intensifient entre Madrid et les autorités européennes pour accélérer les procédures afin de débloquer une aide « dépassant les 30 millions d’euros pour répondre aux besoins matériels les plus immédiats ». Et pour cause, le premier week-end d’octobre a été assez agité dans le détroit: les services de secours maritimes espagnols ont fait état du sauvetage de 1181 personnes en Méditerranée, au moment où la marine royale portait assistance « à 31 embarcations en difficulté,

FADEL SENNA/AFP

Khalid Zerouali

Directeur de l’immigration et de la surveillance des frontières

« Une nouvelle ère de coopération avec l’UE » Le Maroc et l’Espagne font-ils face à une augmentation des tentatives de traversée de la mer Méditerranée ? Entre 2003 et 2015, nous étions à 32000 tentatives en moyenne d’émigration irrégulière au départ du Maroc avortées chaque année. Depuis 38

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2016, ce nombre a dépassé les 65000. C’est plus du double. Deux raisons expliquent la réorientation des flux de migrants vers le Maroc. D’abord, le renforcement des facteurs d’appel et d’attraction en Europe enregistrés dans le sillage des vagues de migrants et de réfugiés

qu’a connues ce continent. Mais aussi le contexte sécuritaire qui a un impact sur la route migratoire passant par la Libye. Où en est la coopération maroco-espagnole en matière d’immigration ? Les réunions régulières du groupe migratoire

permanent, créé en 2003, ont permis aux deux pays d’harmoniser leurs matrices d’analyse et de coordonner leurs actions, non seulement dans la lutte contre la migration irrégulière mais également dans la promotion des voies légale de la migration


régulière. En ce qui concerne l’Union européenne [UE], les rencontres, ces derniers mois, du ministre de l’Intérieur avec le commissaire européen aux Affaires intérieures, Dimítris Avramópoulos, ont inauguré une nouvelle ère de coopération rénovée entre le Maroc et l’UE dans le domaine des contrôles frontaliers et dans la lutte contre les réseaux. Les contours de cette coopération, que nous voulons durable et pérenne, et non

juste conjoncturelle, sont en cours de finalisation par les experts des deux parties. Le Maroc avait aussi lancé le Processus de Rabat en 2006. Où en est-il ? Est-ce un outil suffisant ? Le Processus de Rabat avait inauguré un chapitre inédit en mettant autour d’une même table les pays d’origine, de transit et de destination. C’est d’ailleurs devenu la référence en matière de nouvelles initiatives régionales et

La chancelière allemande, Angela Merkel, et le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez.

CRISTINA QUICLER/ AFP

transportant 615 candidats à la migration clandestine, qui ont été ramenés tous sains et saufs aux ports marocains ». Pour Saïd Tbel, militant de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), « l’Espagne est ce que les Européens appellent un “premier pays d’entrée”. Comme l’Italie, elle a peur que le reste de l’Europe se montre peu solidaire avec elle ». D’où un rapprochement avec le pays gardien de la frontière sud. Même son de cloche du côté d’Helena Maleno Garzón, militante espagnole de l’ONG Caminando Fronteras, résidant au Maroc, qui pointe « l’expansion d’une économie de la sécurité aux frontières ». En juillet dernier, la société espagnole Indra a ouvert un nouveau bureau à Rabat. Ce géant européen de l’informatique équipe déjà la Guardia Civil espagnole en systèmes de surveillance des frontières. Le volontarisme du royaume en matière de migration n’est plus à prouver. « Le Maroc affirme son statut de partenaire responsable, mais considère que la réponse au phénomène de migration devrait être basée sur le principe de la responsabilité partagée », affirme un diplomate espagnol. La fermeté du Maroc dans le contrôle de ses frontières, notamment à travers les transferts musclés des migrants, lui vaut toutefois les critiques d’ONG. Certaines allant jusqu’à remettre en question la Stratégie nationale de l’immigration et de l’asile, lancée il y a cinq ans. « La reconduite aux frontières, même involontaire, de migrants en situation irrégulière quand elle est effectuée dans le respect de la loi, reste une mesure légitime pour tout pays. C’est une manière aussi de protéger les migrants qui ont choisi de s’installer légalement dans le pays, mais aussi les exilés qui y trouvent refuge », explique le responsable de l’UNHCR, qui recense quelque 5000 réfugiés au Maroc. Les expulsions vers le Maroc d’étrangers non-marocains en situation irrégulière restent quant à elles rares. En octobre 2017, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait statué que l’Espagne avait bafoué les droits de deux migrants africains en les expulsant vers le Maroc, en dépit d’un accord bilatéral conclu il y a vingt-six ans par l’Espagne et le Maroc. Le royaume, qui copréside le Forum mondial sur la migration et le développement, veut désormais se positionner comme le leader africain en la matière. Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, finalisé lors de la dernière assemblée générale de l’ONU, sera formellement adopté à Marrakech, en décembre. Tout un symbole.

internationales. C’est un cadre qui offre une vision globale intégrant des solutions structurelles en amont, notamment à travers des initiatives de développement durable en Afrique. Mais sa mise en œuvre se heurte parfois à la primauté de la logique sécuritaire de certains pays du Nord. L’Europe a proposé l’ouverture de centres de rétention pour les migrants interceptés en mer en dehors de ses frontières.

Rabat a rejeté l’idée. Pourquoi ? Cette solution a déjà montré ses limites en Europe. Nous n’allons donc pas transposer une mesure vouée à l’échec. D’autant plus qu’in fine cette solution ne fera que déplacer un problème sans le résoudre sur le fond. Ce refus est également cohérent avec notre acceptation de la notion de responsabilité partagée. Propos recueillis par J.C.

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Maghreb & Moyen-Orient

SIPA

ALGÉRIE

Saïd la fronde La guerre ouverte opposant la majorité au président de l’Assemblée populaire nationale révèle au grand jour des luttes intestines pour le contrôle de l’État. Décryptage. FARID ALILAT, envoyé spécial à Alger

n quittant ses fonctions l’an dernier, un diplomate étranger en poste à Alger laissait échapper dans un soupir : « C’est une fin de règne difficile… » Comment lui donner tort, au regard de la crise qui paralyse l’Assemblée populaire nationale (APN) depuis fin septembre ? Le drame s’est noué au sein même d’une majorité pourtant acquise corps et âme à Abdelaziz Bouteflika. D’un côté, les députés FLN, RND, TAJ, MPA et les élus indépendants, qui réclament le départ sans conditions de Saïd Bouhadja, président de l’APN depuis mai 2017 et

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troisième personnage de l’État dans l’ordre protocolaire. De l’autre, ce vieux routier de la politique, 80 ans, moudjahid et membre du comité central du FLN, en guerre contre sa propre famille politique et qui jure disposer d’appuis en haut lieu pour se maintenir. Point de départ de cet imbroglio : le sort réservé à un homme inconnu du grand public. Le samedi 22 septembre, de retour d’un séjour médical à Paris, Saïd Bouhadja met fin aux fonctions de Bachir Slimani, secrétaire général de l’APN et cadre de l’ex-parti unique. L’homme, jugé incontrôlable, était dans son viseur depuis des mois. En juin déjà, Bouhadja confiait à

Djamel Ould Abbès (à g.), patron du FLN, et Saïd Bouhadja, qui occupe le perchoir depuis mai 2017.


des parlementaires son mécontentement à l’égard de celui qui distribuerait à loisir voitures et autres privilèges à certains caciques du FLN. Slimani aurait aussi autorisé des recrutements à la pelle au sein de l’institution. « J’aurai sa tête, jure alors Bouhadja. Il ne me manque que l’aval d’en haut. » Avant lui, un autre président de l’APN, Mohamed Larbi Ould Khelifa, lui aussi issu des rangs du FLN, avait limogé Slimani. Mais ce dernier avait été réintégré en moins de vingt-quatre heures sur ordre de la présidence. Et cette fois encore, une personnalité haut placée d’El Mouradia est intervenue pour demander la réintégration de Bachir Slimani. Las! Refus poli mais ferme de Saïd Bouhadja. Il n’en fallait pas plus pour que la direction du FLN, incarnée par Djamel Ould Abbès, exige le retour du secrétaire général de l’APN, ordonnant de surcroît à ses députés de cesser toute collaboration avec Bouhadja.

Desseins inavoués…

Sans l’intervention du Premier ministre et secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, qui a apporté son soutien public à Djamel Ould Abbès, l’affaire aurait pu rester cantonnée au sein du FLN. « C’est une affaire interne au FLN, une décision organique qui ne mérite pas un tel ramdam », expliquait pourtant, dans la matinée du 27 septembre, le chef de file de la deuxième force politique de la majorité à l’un de ses députés. Le soir même, virage à 180 degrés. Ahmed Ouyahia, qui jusque-là ne disait que du bien de Saïd Bouhadja, ordonne au chef du groupe parlementaire du RND de rejoindre le FLN dans sa démarche. Entretemps, le Premier ministre s’était entretenu avec Djamel Ould Abbès au Palais du gouvernement. Ont-ils pris rendez-vous à leur propre initiative ? À la demande du président de la République ? De son frère et conseiller spécial, Saïd Bouteflika ? Les deux hommes n’en diront rien. Toujours est-il qu’à l’issue de la rencontre un pacte est scellé pour obtenir la reddition de Saïd Bouhadja. Lequel se dit, dans un premier temps, prêt à capituler. Dans les prochaines heures. Les prochains jours, tout au plus. Avant de se raviser du tout au tout. « Je ne partirai que si le chef de l’État me le demande », prévient désormais l’ex-commissaire politique du FLN, faisant

le distinguo entre Abdelaziz Bouteflika et ceux qui parlent en son nom. « Ce ne sont pas ces gens qui vont me déstabiliser. J’ai roulé ma bosse dans le système, répète à son entourage le président de l’APN. Mes problèmes ne viennent ni de la présidence ni de l’armée. » Ses visiteurs, nombreux ces jours-ci, découvrent avec étonnement un homme droit dans ses bottes, intransigeant, sûr de lui, peu enclin au compromis. Lui, le vieil apparatchik, ancien maquisard, souvent présenté comme lisse, discipliné, fidèle, loyal, incapable de faire des esclandres. La crise aura ainsi révélé une autre facette de sa personnalité et de son caractère. Une forme de panache. D’intrépidité, presque. Il en faut, pour défier le patron du FLN et le Premier ministre, et les accuser de vouloir provoquer une vacance institutionnelle, voire de comploter contre les intérêts du pays. Bouhadja soupçonne même ces derniers de nourrir des desseins politiques inavoués. En privé, le président de l’APN livre davantage de détails. Et évoque donc l’existence d’un deal secret entre le FLN et le RND pour se répartir la présidence des deux chambres du Parlement. Celle de l’APN échoirait à un proche d’Ahmed Ouyahia. Celle du Conseil de la nation – le Sénat – reviendrait à Djamel Ould Abbès lui-même, dans la foulée du renouvellement partiel des membres de la chambre haute, en décembre prochain. Le poste est occupé depuis 2013 par Abdelkader Bensalah, âgé et gravement malade, qui a signifié à maintes reprises son envie de se reposer.

... et plans sur la comète

La fonction est hautement stratégique. Car en cas d’empêchement ou de vacance du pouvoir au sommet de l’État, l’intérim est assuré par le président du Sénat pendant une période quatre-vingt-dix jours, le temps d’organiser une nouvelle présidentielle. « Djamel Ould Abbès en rêve », glisse un initié du sérail. Sans aller jusque-là, un ancien ministre confirme la piste d’un deal passé entre le FLN et le RND : « Le jeu de chaises musicales que lancerait l’éviction de Bouhadja permettrait aux deux grands partis de l’alliance présidentielle de peser au maximum sur la succession du président Bouteflika, si celui-ci renonçait à un cinquième

ARGUTIES JURIDIQUES

L’article 117 de la Constitution peut offrir à la majorité une voie de sortie. Il indique qu’« est déchu de plein droit de son mandat électif l’élu de l’Assemblée populaire nationale […], affilié à un parti politique, qui aura volontairement changé l’appartenance sous l’égide de laquelle il a été élu ». Le même article indique que la sanction ne peut être appliquée au « député qui aura démissionné de son parti ou en aura été exclu. » Djamel Ould Abbès peut donc arriver à ses fins s’il réussit à démontrer que Saïd Bouhadja a transgressé le règlement intérieur du FLN, annulant de droit sa qualité de membre. Auquel cas il ne serait ni exclu ni démissionnaire. Ce qui cadrerait avec l’article 117. Déchu, Bouhadja ne pourrait plus présider une assemblée. La manœuvre reste toutefois périlleuse: la bataille est aujourd’hui davantage politique que juridique. Sur ce terrain, le statut de moudjahid de Saïd Bouhadja lui confère un avantage certain. NEÏLA LATROUS

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Maghreb & Moyen-Orient ALGÉRIE

Les coups de gueule, coups de griffes et démissions sont légion dans l’histoire du Parlement algérien, même si, à l’évidence, la crise autour de Saïd Bouhadja est d’une ampleur inédite depuis l’indépendance. Le premier à avoir claqué la porte de l’APN est Ferhat Abbas. Président de l’Assemblée constituante en 1962, il démissionne avec fracas onze mois plus tard pour protester contre la « soviétisation » du pouvoir par le chef de l’État, Ahmed Ben Bella. Ce dernier l’exclut du FLN et l’envoie deux ans en prison. Dans son livre L’indépendance confisquée (Éditions Flammarion, 1984), Ferhat Abbas s’explique: « J’ai démissionné de la présidence de l’Assemblée nationale constituante dès le jour où la Constitution fut discutée et adoptée en dehors de l’Assemblée que je présidais et des députés élus pour le faire. La discussion et l’adoption eurent pour cadre une salle de cinéma de la ville, le Majestic. » La deuxième personnalité à jeter l’éponge est également un historique de la guerre. En désaccord avec la politique menée par Chadli Bendjedid, Rabah Bitat renonce au perchoir en octobre 1990, après l’avoir occupé pendant huit ans. Mais sans faire

XINHUA/ZUMA/REA

QUELQUES PRÉCÉDENTS

Le Conseil de la nation, en 2010.

d’esclandre. La réélection de Bouteflika pour un deuxième mandat en avril 2004 débouche, là aussi, sur un départ, celui de Karim Younes, en poste depuis juin 2002. Soutien d’Ali Benflis, l’ex-chef du gouvernement, il tire les conséquences de sa défaite et rend aussitôt son tablier. En revanche, Bachir Boumaza, président du Sénat depuis octobre 1997, refuse de se

mandat. Ou s’il disparaissait avant l’échéance. » « Ouyahia ne veut pas rater le rendez-vous de 2019, confirme l’une de ses connaissances. Il avait déjà raté celui de 1999, quand les décideurs avaient choisi Bouteflika alors qu’il était dans la short list pour succéder à Liamine Zéroual. » Le principal intéressé, lui, ne cesse de réaffirmer sa loyauté envers le président. « On tire des plans sur la comète », s’esclaffe un député FLN, qui jure que, de gré ou de force, le récalcitrant Bouhadja finira par partir. L’hypothèse d’une dissolution de l’APN, qui déboucherait sur des élections législatives anticipées à six mois de la tenue de la présidentielle, a été fermement écartée par Ahmed Ouyahia. Reste l’intervention présidentielle. Délicate, forcément, tant Bouhadja a su mobiliser de puissants réseaux dans les derniers jours. À preuve, la puissante

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soumettre aux ordres d’Abdelaziz Bouteflika, qui lui demande en avril 2001 de céder la place à son ami Mohamed Chérif Messaadia. Boumaaza résiste quelques jours mais finit par plier après la visite de l’ex-patron du renseignement, le général Toufik. Il quitte le Sénat définitivement fâché avec Bouteflika. F.A.

Organisation nationale des moudjahidine (anciens combattants de la guerre de libération), réputée proche de l’armée, le soutient ouvertement contre le FLN et le RND. Surtout, une décision venue d’El Mouradia révélerait au grand jour que le principe de la séparation des pouvoirs relève de la pure chimère. Il y a sans doute plus grave. Que Bouhadja reste ou non, cette crise aura mis en lumière de graves dissensions au sommet de l’État. Le baroud d’honneur du vieux maquisard met en évidence l’existence de centres de décision aussi divers que contradictoires au cœur même du sérail. Et accrédite l’idée que des clans ou des pôles d’intérêts s’affrontent dans et autour des institutions de l’État. À six mois de la présidentielle de 2019, l’incertitude qui entoure la succession du raïs grandit de jour en jour.

L’ORGANISATION NATIONALE DES MOUDJAHIDINE, RÉPUTÉE PROCHE DE L’ARMÉE, SOUTIENT OUVERTEMENT BOUHADJA CONTRE LE FLN ET LE RND.


TRIBUNE

Mauvais scénario «

C

’était comme dans Pulp Fiction. » La comparaison est celle Le leurre n’a convaincu personne. Et Recep Tayyip Erdogan d’un responsable turc cité par le New York Times pour continue de réclamer la preuve que le journaliste est reparti décrire le sort réservé au journaliste saoudien Jamal Khashoggi, sain et sauf. D’autres sources affirment qu’il a été enlevé, porté disparu depuis qu’il a franchi le seuil du consulat d’Arabie emmené à Dubaï puis à Riyad, où il serait détenu. À l’appui saoudite à Istanbul, le 4 octobre. Il devait certainement penser de cette dernière théorie, les conversations de responsables à la scène où Vincent Vega – John Travolta – et Jules Winnfield – saoudiens évoquant l’enlèvement du journaliste, révélées par Samuel Jackson – tuent par erreur un malheureux dans leur voile quotidien The Washington Post, employeur de Khashoggi. ture et appellent à la rescousse Winston Wolfe – Harvey Keitel. Dans cette jungle d’affirmations, et faute de preuves, comment Ce dernier est chargé de faire disparaître toute trace de l’hoséparer le bon grain de l’ivraie? Jamal Khashoggi est-il encore à micide en un temps record, tâche dont il s’acquitte avec brio l’intérieur? Vivant? Mort? Tué à dessein ou par erreur? A-t-il été et autorité. Si l’on en croit le témoignage du quotidien newenlevé? Impossible à ce stade d’avancer la moindre certitude et il yorkais, c’est donc – à quelques détails près – faudra probablement encore quelques semaines ce qui se serait passé le 4 octobre à Istanbul. pour faire toute la lumière sur l’affaire. Faut-il « Khashoggi a été tué dans les deux heures rappeler que le seul élément qui ne fait aucun suivant son arrivée au consulat par une équipe doute dans cette histoire est l’entrée de Jamal d’agents saoudiens qui ont démembré son Khashoggi dans le consulat, même si tout laisse cadavre avec une scie à os apportée dans ce but, à penser qu’il a été tué? précise la même source. L’ordre a été donné par la cour royale saoudienne. » e ce point de vue, l’affaire a tout de même De son côté, le quotidien Sabah, réputé entériné une tendance, lourde depuis proche du pouvoir turc, publie la photo et l’idenquelques années : la prééminence du récit sur Jihâd Gillon tité des membres du commando, qui auraient le fait. La multitude de confidences explosives Journaliste été diligentés en urgence. À leur arrivée à l’aéet contradictoires faites en off – c’est-à-dire sous à JA roport Atatürk d’Istanbul, quinze agents saoule sceau de l’anonymat – interpelle sur les intendiens se seraient engouffrés dans un van noir, tions plus ou moins avouables de ces gorges direction le consulat. Le journal publie là encore profondes. Si les journalistes admettent cette des clichés du véhicule à l’entrée du bâtiment pratique, sans laquelle certaines informations officiel. Les médias turcs diffusent également des images ne leur parviendraient jamais, ne se condamnent-ils pas dans des abords du consulat dans les heures qui suivent. Celles-ci ce type d’affaire à se faire les simples relais de récits qu’ils n’ont révèlent le ballet de voitures du corps diplomatique saoudien, aucun moyen de vérifier ? N’est-ce pas, même indirectement, laissant penser à une panique. donner le beau rôle, celui d’un État soucieux de la sécurité des journalistes étrangers sur son sol, à un pouvoir turc dont les es autorités saoudiennes, notamment par la voix du prince rapports avec la presse sont pour le moins problématiques? A héritier Mohammed Ibn Salman, démentent les accusacontrario, s’en tenir à une stricte prudence et ne parler que de ce tions à leur encontre et assurent que le journaliste est ressorti qui est certain, n’est-ce pas se montrer complaisant avec l’Arabie libre du consulat. Elles n’auraient rien à voir avec sa disparisaoudite, qui se contente de rejeter les accusations comme un tion. Problème : les Saoudiens sont incapables d’en fournir coupable use et abuse de sa présomption d’innocence ? le moindre gage, alors même que l’enceinte est filmée par « À une vérité ténue et plate, je préfère un mensonge pléthore de caméras de surveillance. Un faux grossier cirexaltant », écrivait au XIXe siècle Alexandre Pouchkine. cule même sur les réseaux sociaux où l’on distingue Jamal L’affaire Khashoggi pourrait bien se révéler plus pulpeuse Khashoggi quittant le consulat. Il s’agit en fait de la photo de encore que la fiction à laquelle elle est comparée, mais son entrée dans le bâtiment officiel, retournée sous Photoshop force est de constater que l’époque cultive souvent la même par un graphiste qui s’est sans doute trouvé habile. inclination que le poète russe.

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Maghreb & Moyen-Orient

TUNISIE

Profession : agitateurs La révolution a eu pour effet de libérer la parole, pour le meilleur mais aussi pour le pire. Une brèche dans laquelle se sont engouffrés les provocateurs de tout poil. Tour d’horizon. FRIDA DAHMANI, à Tunis

’Histoire serait, dit-on, un éternel recommencement. Le 24 août 1790, dans une France en proie à l’effervescence révolutionnaire, le comte de Mirabeau, écrivain mais surtout député de la Constituante, défend la thèse suivante : « L’opinion publique a tout détruit : c’est à l’opinion publique à rétablir. On ne peut déterminer l’opinion publique que par des chefs d’opinion. On ne pourra désormais disposer de la multitude que par la popularité de quelques hommes. » Aujourd’hui, les « populaires » sont rebaptisés « bons clients » dans le jargon médiatique. Avec eux, buzz et audience garantis. Maîtres des petites phrases et du clash frontal, ils saturent le débat public. S’invectivent. Lancent ou alimentent les polémiques. Lazhar Akremi, dissident de Nidaa Tounes, accuse ainsi Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif du parti, de « jouer avec la Tunisie comme on joue à la PlayStation », voyant en l’épouse de celui-ci « la vraie nouvelle régente de Carthage ». Tous des snipers ? « Plutôt des francs-tireurs, tempère Larbi Chouikha, politologue et universitaire spécialiste des médias. Ils ne sont pas là pour tuer ni éliminer mais pour déstabiliser. »

LES PORTE-FLINGUES

Déficit de leadership

Khaled Chouket, de Nidaa Tounes, agite, lui, l’idée d’un putsch militaire : « L’irresponsabilité des politiques peut pousser l’armée à intervenir afin de sauver le pays. » Flingueurs de la démocratie ou garants de la liberté d’expression? À un an des élections législatives et présidentielle, leur omniprésence interpelle. « Ils prolifèrent à la faveur du délitement de la classe politique traditionnelle, de la crise de toutes les formations et de l’absence de leadership », analyse Larbi Chouikha. Certains d’entre eux se font les porte-flingues de candidats putatifs, d’autres ne semblent animés que par leur propre agenda, aux contours flous. Tour d’horizon.

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OSNOWYCZ AUDE/SIPA

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Lotfi Zitoun

Ennahdha, 54 ans

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e conseiller politique de Rached Ghannouchi assume des positions modernistes qui tranchent avec le discours conservateur des islamistes. Selon lui, homosexuels et consommateurs de cannabis ne transgressent aucune loi et n’ont pas à être menacés de prison. Il assure que l’islam a accordé à la femme le Smic en matière d’héritage. Passionné de littérature, il commente la crise politique – précipitée par la rupture de l’alliance Nidaa-Ennahdha – avec cette formule : « L’amour à sens unique est une torture. » Et indispose les siens. Dans

son propre camp, le député Mohamed Ben Salem estime que « Zitoun fait cavalier seul et ne représente pas le courant réformiste au sein du mouvement ». Mais certains considèrent que sa mission consiste à dire tout haut ce que Ghannouchi pense tout bas, en particulier sur les dossiers sensibles. Le trublion, spécialiste en sciences politiques et féru d’histoire, s’attire aussi des sympathies lorsqu’il défend ardemment le bilan d’Ennahdha, au pouvoir en 2012-2013, estimant que « le responsable des manquements est celui qui gouverne et non ses prédécesseurs ».


Khaled Chouket

Ancien membre de Nidaa Tounes, 61 ans

ONS ABID

C

est l’histoire d’une ambition contrariée. Journaliste devenu avocat, Lazhar Akremi fait partie des snipers politiques les plus virulents. Ministre délégué chargé des Réformes auprès du ministre de l’Intérieur en 2011, il rejoint Nidaa Tounes en 2012 et en devient le porte-parole. Il fait alors partie du proche entourage de Béji Caïd Essebsi. Élu député en 2014, il retourne au gouvernement et est chargé des Relations avec l’Assemblée. L’expérience tourne court. Remercié après huit mois, il connaît un passage à vide avant de renouer avec les plateaux télévisés, où il tire à boulets rouges sur la famille du président. Les Caïd Essebsi étant devenus sa cible favorite, il a pris logiquement fait et cause pour le chef du gouvernement, Youssef Chahed.

de l’opposition en début d’année ». Si ses volte-face le discréditent parfois, ses propos provoquent souvent le malaise dans la majorité.

Ons Hattab

Nidaa Tounes, 42 ans

M

Lazhar Akremi

Nidaa. Oracle médiatique, il prédit que son parti « sera jugé et pénalisé par l’échec du gouvernement Chahed », et qu’il siégera dans « les rangs

HE

comité directeur de Nidaa Tounes en 2013. Ministre chargé des Relations avec l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et porte-parole du gouvernement en 2016, il embarrasse l’exécutif de Habib Essid lorsqu’il annonce la création de 5000 emplois par localité et se dit favorable au retour de Ben Ali. Aujourd’hui, il fait partie des défenseurs acharnés de Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif de

IC

C

et universitaire, spécialiste de l’islam politique, a roulé sa bosse avant d’atterrir chez Nidaa. Ancien d’Ennahdha et opposant à Ben Ali, il fut de ceux qui prônaient une réconciliation entre les islamistes et l’ancien régime. Après la révolution, il fonde le parti El Majd… avant de migrer vers l’Union patriotique libre (UPL), qu’il abandonne finalement pour intégrer le

HICHEM

Nidaa Tounes, 49 ans

H

R

éputée proche de Hafedh Caïd Essebsi, elle est la porte-parole officielle de Nidaa Tounes. Pourtant, cette docteure en gestion des ONG était inconnue jusqu’à son élection aux législatives de 2014, à Kairouan. Peu assidue à l’Assemblée, elle s’y fait un nom comme pourfendeuse du mouvement syndical. En temps de crise, Ons Hattab n’hésite pas à monter au front et se met en scène sur Facebook, au point d’agacer son camp, qui la prie de tempérer ses prises de parole. Las! Le 8 octobre, elle met les pieds dans le plat, sa spécialité: son communiqué relatant le contenu d’une rencontre en tête à tête entre Béji Caïd Essebsi (BCE) et Rached Ghannouchi suscite l’indignation, la classe politique dénonçant l’extension de son rôle de porte-parole du parti à la présidence. Elle s’en défend en arguant que BCE recevait en sa qualité de fondateur de Nidaa Tounes.

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Karim Baklouti Barketallah Ancien membre de Nidaa Tounes

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hef d’entreprise vivant au Maroc et commentateur de la vie politique, Karim Barketallah est du genre hyperactif et loquace. Ancien PDG d’Aproquem – filiale du groupe Apave en Libye – et ancien blogueur, ce déçu d’Ettakatol puis de Nidaa Tounes affiche des positions tranchées sur les réseaux sociaux. Analyste autoproclamé de la vie politique, volontiers provocateur, l’homme se plaît à allumer des feux. Celui qui a considéré que le congrès d’Ennahdha était celui de la honte est aujourd’hui perçu comme l’un des porte-voix de Youssed Chahed, bien qu’aucun lien direct entre les deux ne soit établi.

Noureddine Bhiri Ennahdha, 60 ans

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estunfidèledeRachedGhannouchi.Undirigeant clé du mouvement, militant très actif du temps où il était étudiant. Avocat, il représente sous l’ère Ben Ali les islamistes pourchassés par le régime. Lors de l’élection de l’Assemblée constituante du 23 octobre 2011, il est élu dans la circonscription de Ben Arous, puis devient ministre de la Justice en 2012. Controversé, il retourne à l’Assemblée s’emparer de la présidence du groupe parlementaire d’Ennahdha. Il s’y fait le porte-voix de la direction du parti et lance des ballons d’essai. Il égratigne l’exécutif lors du limogeage, en septembre, du ministre de l’Énergie, Khaled Kaddour, estimant que « l’État aurait dû traiter autrement le dossier du champ pétrolier ». Politique à sang froid, Noureddine Bhiri sort de ses gonds quand c’est Ennahdha qui est mise en cause. Son adversaire actuel? Le Front populaire, qui accuse le mouvement islamiste, documents à l’appui, de s’être doté d’un département sécuritaire occulte.

Maher Zid Blogueur

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reffier auprès du tribunal de Tunis, l’homme a une longue histoire avec la justice. Celui qui s’est proclamé journaliste d’investigation et expert en affaires sécuritaires a été condamné une première fois en 1990 pour appartenance au mouvement salafiste. En 2011, il bénéficie de l’amnistie générale, mais il est de nouveau interpellé en 2013 lorsqu’il reproche au ministère de l’Intérieur d’être mêlé de près à l’assassinat de Chokri Belaïd. Zid est à l’origine d’innombrables rumeurs sur les dirigeants du corps sécuritaire. L’homme n’est pas avare d’analyses farfelues: il assure par exemple que les jihadistes retranchés dans les montagnes ne sont que des chercheurs de trésor, ce qui lui vaut son surnom de « Maher Trésor ». Il a été condamné en mai dernier à deux ans de prison pour des propos portant atteinte au président de la République, Béji Caïd Essebsi.

FACEBOOK

FACEBOOK

LES ROIS DE L’ÉLUCUBRATION


Membre fondateur de « Ma Galoulnech »

Économiste, 58 ans

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I

l a tutoyé la haute finance lorsqu’il était économiste auprès du Fonds souverain du Koweït (KIA). Ses conseils, il les prodigue aujourd’hui – gracieusement – à la Tunisie. Éternel indigné, le professeur Ounaies est intransigeant dans ses interventions et n’hésite pas à flinguer sans états d’âme les décisions qu’il juge inaptes à relancer la Tunisie. L’homme se veut pédagogue: fort de sa verve et de sa solide culture en la matière, il explique sans relâche – et en dialectal s’il vous plaît – les bases de l’économie. À l’heure où le projet de loi de finances est en débat à l’Assemblée, il est plus que jamais incontournable.

Haythem El Mekki

Chroniqueur, 36 ans

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ttaché à son indépendance,l’homme a milité pour la libéralisation d’internet et a défendu l’open source. Il fait partie de cette génération de cyberactivistes placés sous surveillance du temps de Ben Ali. Depuis 2013, Haythem El Mekki exerce sa liberté de ton sur Mosaïque FM, où il se livre à une lecture satirique de la presse et brocarde

les dérives politiques et sociales. Sur Twitter, fort de plus de 500 000 followers, il s’est imposé comme un leader d’opinion. Ses saillies, pleines d’humour et de bon sens, font toujours mouche. Après avoir subi des pressions dans le secteur audiovisuel, il se lance dans l’investigation et enquête sur des sujets sensibles, comme la pénurie de médicaments.

ONS ABID POUR JA

YOUTUBE

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octeure en architecture et enseignante à l’École nationale d’architecture et d’urbanisme (Enau), à Tunis, mais aussi membre de la campagne Manich Msemah, membre fondateur du collectif Ma Galoulnech et de l’Observatoire tunisien de l’économie : Layla Riahi a une carte de visite fournie. La jeune femme a aussi été chargée de l’organisation de l’élection de la Constituante pour la circonscription du sud de la France, en 2011, tout en étant proche de la mouvance du Congrès pour la République (CPR) et de son fondateur, Moncef Marzouki. Portée aux nues pour son combat pour la reddition des comptes, la militante a depuis perdu de sa superbe. Des analyses économiques erronées ont fini par desservir ses positions. Riahi s’est aussi discréditée en exprimant son mépris pour les anciens opposants à Ben Ali, et plus généralement pour la gauche tunisienne.

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Skander Ounaies

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Layla Riahi

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LES ÉLECTRONS LIBRES

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Maghreb & Moyen-Orient TUNISIE

Yassine Ayari

Y

Hachemi Hamdi

Fondateur du Courant de l’amour, 54 ans

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nclassable. C’est, faute de mieux, le terme qui lui correspond, tant l’homme est difficile à cerner. Milliardaire vivant à Londres, Hachemi Hamdi a été successivement proche d’Ennahdha et de Ben Ali. En 2011, il se lance seul dans les législatives, avec un obscur parti – La Pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement – qui fait campagne sur la chaîne de télévision Al Mustaqilla, fondée par… lui-même. Il joue la carte populiste, multiplie les effets d’annonce, comme lorsqu’il promet des soins et des transports gratuits pour tous. Si le parti effectue une percée inattendue, ses députés peinent à briller dans l’hémicycle. La formation est rebaptisée Tayar Al-Mahaba (Courant de l’amour), et Hamdi se lance dans la présidentielle de 2014. Sans succès. Il mise sur la carte religieuse pour entrer à Carthage en 2019, promettant d’ériger des mosquées sur l’avenue Bourguiba et dans les casernes.

CH

EM

assine Ayari entretient des relations pour le moins houleuses avec la classe politique. Son premier fait d’armes : la manipulation assumée de l’opinion en 2011, lorsqu’il affirme, pour encourager les Tunisiens à manifester, que le général Rachid Ammar refuse d’obéir à l’ordre de Ben Ali de tirer sur les manifestants (il reconnaîtra plus tard que l’ordre n’a jamais existé). Il a aussi été traîné en justice par Hamma Hammami, qu’il avait accusé d’avoir bénéficié des largesses des Émirats arabes unis. Blogueur dopé à l’intox, l’homme a fait son entrée au Parlement en février dernier, plébiscité par des jeunes en quête d’identification. L’ingénieur, ancien exilé à Paris, joue de sa réputation sulfureuse. Se plaît à brouiller les pistes. Fils du lieutenant-colonel Tahar Ayari, l’une des premières victimes du terrorisme en 2011, il laisse entendre un temps qu’il serait proche des islamistes. Mais affiche des positions progressistes, en s’érigeant notamment contre les tests anaux pratiqués sur les homosexuels. Provocateur, toujours, il a refusé récemment de voir s on salaire d’élu reversé aux sinistrés des inondations de Nabeul. HI

ONS ABID

Député, 37 ans

Adel Almi

HICHEM

Le prêcheur en eau trouble

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A

utoproclamé gendarme du halal, Adel Almi nourrit un goût douteux pour le buzz. Après avoir harcelé des artistes et empêché la tenue d’une exposition en 2011, cet ancien maraîcher, qui a fréquenté le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de Ben Ali, traque chaque année durant le ramadan les non-jeûneurs et prend un malin plaisir à les débusquer, à les filmer, avant de les dénoncer sur la Toile. Tête à claques pour certains, baromètre de la vertu pour d’autres, l’homme jouit d’une petite notoriété – popularité? – qui l’incite à caresser le rêve d’une candidature à la présidentielle de 2019, lui qui assure que la relance économique est tributaire de moins de péchés. Il a fondé un parti, Tounes Zaytouna, et préside L’Association centriste pour la sensibilisation et la réforme.


Maghreb & Moyen-Orient

LIBYE INFOGRAPHIE

Au pays de tous les trafics financière à travers la multitude des trafics, même si celui des migrants a sensiblement diminué depuis le début de l’année 2018. Quand le statu quo est si profitable, pourquoi le rompre ? La contrebande est ainsi devenue un obstacle majeur à la résolution de la crise que traverse le pays depuis 2011. Parmi les trafics les plus juteux, celui qui touche les lettres de crédit. Grâce au double taux de change en cours – 1 dollar = 1,39 dinar libyen (taux officiel) et 1 dollar = 6,25 dinars libyens

JIHÂD GILLON

L

a Libye présente aujourd’hui tous les traits d’une dystopie anarchiste. L’État n’est pas seulement divisé entre deux entités, l’une à Tripoli, l’autre en Cyrénaïque. Le territoire est également éclaté en une multitude de zones aux contours flous, à la souveraineté incertaine, sur lesquels règnent des chefs de tribu et de milice. Le désordre institutionnel assure à ces derniers une manne

MIGRANTS (en 2017):

PÉTROLE

20 % à 25 % du PIB libyen, soit

Manque à gagner de 750 millions $ par an, selon la NOC, la compagnie pétrolière nationale.

1,5 milliard de dollars par an.

Un conducteur de minibus touche

125 à 190 $ par trajet de la frontière à Sebha, jusqu'à 3 750 $ s'il possède son

propre véhicule.

Mer Méditerranée

Pétrole Armes Drogues et médicaments

Zouara Zaouïa Sabratha Nalut

ALGÉRIE

Ghadamès

Zintan

Benghazi

Misrata

Tobrouk Ajdabiya

Dirj

Jaghbub

ARMES

175 millions de pastilles

de Tramadol (antidouleur utilisé dans les zones de combat) saisies en novembre 2017.

Brak Shati Swayrif

Stock de 20 millions d'armes dans le pays (6 millions d'habitants).

Sebha

Oubari Mourzouk

Djanet

Umm al-Aranib Tazerbo

Ghat Al Qatrun

Waw

OR

15 kg par jour, pour une valeur de 400 000 $.

DROGUES ET MÉDICAMENTS

Waddan

Compter 9 000 $ pour un système antichar Milan avec 4 missiles.

Zone de transit pour le trafic régional de cocaïne, héroïne, cannabis, méthamphétamine (800 millions $ générés dans la sous-région).

200 km

Rebiana Koufra oasis NIGER

Madama

ÉGYPTE

TCHAD

SOURCE : SÉNAT FRANÇAIS

TUNISIE

Hubs du trafic des migrants Or

(marché noir) –, des importateurs tirent profit des lettres de crédit qui leur sont délivrées par la Banque centrale. L’écart entre les deux taux permet de revendre sur le marché noir la devise étrangère, obtenue au taux officiel, et d’empocher ainsi une substantielle plus-value après remboursement de la banque. Concrètement, il suffit de vendre 310 dollars sur 1 000 dollars prêtés pour rembourser l’établissement et obtenir un bénéfice brut de près de 700 dollars.

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Têtes d’affiche / Stratégie / Affaires déclassées / Débats

La marque néerlandaise, présente en Afrique depuis 1923, y emploie aujourd’hui 13 500 salariés et compte 49 sites de production dans 21 pays.

ARON SUVEG/HEINEKEN

HEINEKEN

« Les monopoles sont devenus des cibles » Roland Pirmez, président de la zone Afrique, Moyen-Orient et Europe de l’Est


Investissements records, conquête de nouveaux marchés, élargissement de l’offre, le dirigeant analyse le passage à l’offensive du brasseur amstellodamois sur le continent et répond aux critiques de ses détracteurs.

Propos recueillis par JULIEN WAGNER

A

u siège de Heineken, à Amsterdam, le terrain est conquis. La marque aux 250 bières est une institution. En témoigne, à quelques dizaines de mètres, « son » musée, dans les murs mêmes de la première brasserie du groupe (1867). Mais ces derniers mois, l’enseigne à l’étoile a quelque peu pâli, surtout dans l’espace francophone. La réédition en français de l’ouvrage du journaliste néerlandais Olivier van Beemen sur les « pratiques » du groupe en Afrique (Heineken en Afrique, une multinationale décomplexée, éditions Rue de l’échiquier) a fait les choux gras de la presse tout le mois de septembre. Accusations de collusion avec les extrémistes Hutus durant le génocide au Rwanda, d’emploi de prostituées au Nigeria, de soutien à Pierre Nkurunziza au Burundi… Une bien mauvaise publicité à l’heure où sévit « la guerre de la bière » sur le continent. Considérée comme la nouvelle frontière par les brasseurs internationaux, compte tenu de la relative faiblesse de sa consommation et d’une croissance démographique galopante, l’Afrique voit converger depuis une dizaine d’années des milliards de dollars d’investissements dans le secteur. Heineken en tête, de l’Éthiopie au Mozambique en passant par l’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire. Présente depuis 1923 sur le continent, elle y emploie aujourd’hui 13500 salariés et compte 49 sites de production dans 21 pays. Chargé de la zone Afrique, MoyenOrient et Europe de l’Est depuis septembre 2015, le Belge Roland Pirmez, vêtu d’un costume vert bouteille, a

accepté de parler avec nous stratégie et concurrence en Afrique… et de répondre aux accusations portées par le livre. Entretien. Ces dernières années, vous avez investi comme jamais en Afrique. Comment a été pensée cette stratégie ?

En 2000, 80 % de nos profits provenaient de régions ou pays matures, c’est-à-dire l’Europe, aujourd’hui encore notre forteresse, et les ÉtatsUnis. Effectivement, depuis, nous avons choisi de nous exposer de plus en plus aux pays émergents dont l’Afrique. Rien que sur les dix dernières années, nous avons investi plus de 3 milliards d’euros sur le continent et fortement étendu notre empreinte en prenant comme critères pour cibler nos marchés : la croissance du PIB et de la population, la consommation par habitant, l’émergence d’une classe moyenne et l’urbanisation. En 2011, nous avons investi en Éthiopie. En 2015, en Afrique du Sud. En 2017, nous avons ouvert notre brasserie en Côte d’Ivoire et, cette année, nous avons lancé la construction d’une brasserie au Mozambique, dont l’exploitation démarrera l’an prochain. Comment se situe l’Afrique en matière de rentabilité par rapport aux autres régions du monde ?

En 2017, la zone Afrique, MoyenOrient et Europe de l’Est (Russie) – dont le continent représente la part la plus importante – a constitué 18 % des revenus du groupe, 14 % des volumes mais seulement 10 % des profits. C’est donc loin d’être la région la plus profitable et ce n’est pas seulement dû au ralentissement

BIÈRE SANS ALCOOL, UN SEGMENT D’AVENIR Pour les brasseurs, une partie de l’avenir sera sans alcool. Le continent n’échappe pas à cette tendance. Entrée en Éthiopie en 2011, Heineken a relancé, en 2016, Sofi, une bière sans alcool dite « maltée ». « Nous y croyons beaucoup, rappelle Roland Pirmez, cela nous permet d’accéder à des consommateurs différents ou à des occasions différentes, comme le déjeuner. » La stratégie du groupe sur le segment dit Low and No Alcohol varie toutefois suivant les marchés. En Éthiopie et en Côte d’Ivoire, il y a du No mais pas de Low, quand c’est l’inverse en Afrique du Sud et que l’on trouve les deux au Nigeria. C’est d’ailleurs dans la première économie du continent que ce segment est le plus florissant. Il représente près de 40 % des volumes vendus avec des marques comme Star Radler, Maltina ou Amstel Malta. Heineken produit également des boissons gazeuses. Il est ainsi l’embouteilleur de Coca-Cola au Congo, en RD Congo, au Rwanda et au Burundi. Dans ces deux derniers pays, ces boissons représentent même plus d’un tiers des volumes. J.W.

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Économie INTERVIEW

UNE IMAGE DE MARQUE GLAMOUR AU NIGERIA Pour la quatrième année consécutive, la multinationale amstellodamoise sera le sponsor numéro un de la désormais nommée Heineken Lagos Fashion Week, qui aura lieu du 24 au 27 octobre. Cet événement est l’un des plus prisés de l’année pour tous les acteurs de la mode africaine. L’an dernier, la marque en avait profité pour dévoiler sa toute première collection de vêtements « inspirée de la culture africaine » et créée en collaboration avec deux créatrices kényanes, Lulu Mutuli et Azra Walji. J.W.

MATIÈRES PREMIÈRES EN MAJORITÉ LOCALES

Au cœur de la politique « durable » du groupe, l’approvisionnement local n’est pas le volet le plus aisé. « Notre objectif est d’atteindre 60 % de matières premières locales d’ici à 2030, ce qui nous prend énormément de temps et d’énergie. Nous devons former les fermiers, organiser la partie commerciale, le stockage… », énumère notamment le président de la zone. Heineken participe ainsi à faire pousser du riz en RD Congo ou de l’orge en Éthiopie. Au Nigeria, où ce type de programme existe depuis vingt-cinq ans, le sorgho produit localement représentait, en 2017, 62 % de ses besoins. J.W.

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économique inter venu ces trois dernières années. L’Asie, par exemple, représente 12,4 % de nos volumes, mais 24 % de nos profits. Q u ’e s t - c e q u i p l o m b e c e t t e rentabilité ?

Le prix des matières premières, du transport, de l’énergie en général… Tous nos coûts sont globalement plus élevés qu’ailleurs. Alors pourquoi y investir autant ?

Nous croyons en l’Afrique sur le long terme. Aujourd’hui, la consommation de bière par an et par habitant y est en moyenne de 13 litres, contre 65 litres en Europe. C’est un pari sur l’avenir qui nous semble évident. Depuis quelques années, on assiste en Afrique à la fin d’une sorte de pacte de non-agression entre grands acteurs du marché et à la remise en cause des prés carrés historiques, comme Heineken au Nigeria, Castel en Côte d’Ivoire, ou Sab Miller (racheté par AB InBev [ABI] en 2015) en Afrique du Sud. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?

Il n’y a jamais eu de « pacte de non-agression ». Si vous refaites l’histoire, il y a trente ans, vous investissiez au Mozambique ou au Vietnam? Nous avions décidé d’investir au Vietnam. Aujourd’hui, nous sommes dans un autre cycle. La croissance se trouve en Afrique. C’est pourquoi vous assistez à une accélération de notre développement et à l’extension de notre empreinte pays. La constitution de prés carrés n’était pas une stratégie, mais le reflet du faible potentiel de ces pays. Aujourd’hui, la donne a changé, et les monopoles sont devenus des cibles car c’est là où les gains de parts de marché sont les plus faciles. Au Mozambique, par exemple, vous avez une population nombreuse, un potentiel de croissance économique important, et vous avez un monopole (ABI). C’était une décision d’investissement évidente pour nous. Le méga rachat de SabMiller, leader en Afrique, par ABI, jusque-là absent

du continent, a-t-il encore renforcé cette accélération ?

ABI est le leader mondial. C’est une grande société pour laquelle nous avons beaucoup de respect. Cependant, dans notre secteur, la concurrence ne s’aborde pas au niveau mondial mais marché par marché. Donc, en réalité, cette opération ne bouleverse pas la donne. C’est un changement de propriétaire et de management. En revanche, vous pouvez noter comme moi qu’ABI a de grandes ambitions en Afrique. Et nous en avons nous-même. Donc, inévitablement, les marchés africains vont devenir de plus en plus concurrentiels. Malgré cela, nous sommes confiants. Nous avons la stratégie, l’expérience, l’empreinte industrielle et, peut-être le plus important, nous avons un portefeuille de marques large, qui couvre les différents consommateurs, de la bière populaire au premium, et du segment des boissons faiblement alcoolisées et sans alcool (lire encadré p. 51) à celui du cidre.

Cette nouvelle concurrence ne semble pas avoir d’impact sur les prix…

Cela reste en effet très ponctuel. En revanche, elle participe fortement à la croissance du marché car elle nous oblige à élargir notre offre. Il y a six ans, notre portefeuille au Nigeria se résumait à la bière Star. Aujourd’hui, nous produisons une vingtaine de marques différentes. Et si Star est actuellement sous pression, la marque Heineken est en progression impressionnante. Même chose en Côte d’Ivoire. En cinq ans, le marché y a radicalement changé en proposant beaucoup plus de choix aux consommateurs.

Votre succès fulgurant en Éthiopie, où vous êtes devenu leader aux dépens de Castel en à peine sept ans, vous a-t-il servi d’expérience pour votre offensive en Côte d’Ivoire, là encore face à Castel ?

La bière est un produit très émotionnel, relié à des spécificités


THE SHOK COMPANY

La consommation annuelle de bière par habitant est en moyenne de 13 litres en Afrique, contre 65 litres en Europe. Ici, un événement organisé par la marque à Lagos.

profondément locales. Les consommateurs sont très différents d’un pays à l’autre. Alors oui, les expériences s’alimentent les unes les autres mais, fondamentalement, les succès en Éthiopie et en Côte d’Ivoire sont le fruit d’une stratégie calibrée en fonction du pays : la construction d’une brasserie, la constitution d’un portefeuille de marques, une offre de qualité, un développement marketing, une stratégie pour accéder au consommateur, le développement d’équipes, les négociations sur les marges des distributeurs… Et à la fin des fins, c’est l’attractivité de votre offre qui fait la différence. Castel a un profil très africain, avec des marchés fortement monopolistiques et, peut-être, une moins grande habitude de la concurrence. Est-ce un hasard si vous avez choisi de vous attaquer à ses marchés ?

Ce qui nous importe n’est pas l’identité de nos concurrents mais plutôt leur nombre. Nous irons toujours sur des marchés à potentiel, peu importe le nom de l’acteur sur place. Si un marché est monopolistique, c’est un critère favorable pour investir, même si ce n’est pas le premier. Dans notre métier, les économies d’échelles sont cruciales, et il est fondamental de parvenir rapidement à devenir un acteur clé d’un marché

donné pour brasser de gros volumes. Or, sur un marché monopolistique, par définition, on devient instantanément numéro deux. Quelle est, aujourd’hui, votre part de marché en Côte d’Ivoire ?

Nous sommes numéro deux.

Comptez-vous réaliser bientôt de nouveaux investissements pour parvenir à devenir numéro un ?

Nous sommes en croissance et nous investirons à nouveau si nécessaire mais, à court terme, non. Nous avons suffisamment investi compte tenu du potentiel du pays.

Votre situation en RD Congo est très compliquée. Vous y perdez de l’argent depuis plusieurs années, vous y avez fermé deux usines en 2016. Avez-vous pensé à partir ?

Non, parce que nous croyons en ce pays sur le long terme et parce qu’on ne peut pas s’amuser à partir et à revenir lorsqu’on a consenti de gros investissements. La RD Congo est sans doute le marché qui représente le plus de défis. C’est un pays complexe, instable, avec un coût de transport élevé et un faible pouvoir d’achat. L’environnement, quelle que soit la définition qu’on en donne, est difficile… Cela étant dit, il est évident qu’il faut être en RD Congo.

La localisation, la taille de la population, le potentiel… mais il faut avoir une vision de long terme. La famille de Jean-Pierre Bemba posséderait 5 % de votre activité en RD Congo. Confirmez-vous cette information ?

Oui, c’est exact. Ces 5 % proviennent de son père, un homme connu et respecté dans le pays qui les avait acquis en 1971 et qui a toujours cru au potentiel de la société. Les enfants, dont Jean-Pierre Bemba, en ont hérité. Cela vous a-t-il posé ou cela vous pose-t-il problème au regard de l’inculpation et de la condamnation de Jean-Pierre Bemba à la CPI ?

Oui, cela nous pose problème, mais les enfants ne sont pas vendeurs. Donc nous n’avons pas de solution.

La réédition en français du livre d’enquête du journaliste néerlandais Olivier van Beemen a fait beaucoup de bruit ces derniers mois. L’une des mises en cause les plus graves concerne le comportement de Heineken durant le génocide au Rwanda entre avril et juillet 1994. Il vous accuse, au travers du témoignage d’un ex-employé, d’avoir continué de produire de la bière à cette période, d’avoir alimenté

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Économie INTERVIEW

CE QUI NOUS IMPORTE N’EST PAS L’IDENTITÉ DE NOS CONCURRENTS MAIS PLUTÔT LEUR NOMBRE.

les milices hutues et d’en avoir tiré profit. Comment réagissez-vous à ces accusations?

Nous les rejetons totalement. Je vais rester calme… Chaque fois que je me rends au Rwanda, je dépose des fleurs sur les tombes de nos employés assassinés. Ce qui s’est passé au Rwanda est un drame colossal. À cette époque, nous y avions deux opérations. Une limonaderie à Kigali, qui a été bombardée, et dont l’activité s’est interrompue rapidement par manque de personnel. Et une brasserie à Gisenyi, dont nous avons perdu le contrôle des opérations quasi immédiatement. L’usine est tombée aux mains d’extrémistes hutus proches de certains de nos managers. Et ce sont eux qui ont fait tourner l’usine. Pourquoi n’avez-vous pas donné l’ordre de stopper l’usine ? Si ce genre d’événements se reproduisait aujourd’hui, ne feriez-vous pas de déclaration officielle?

LE GROUPE PRÉFÈRE JOUER EN SOLO EN TUNISIE Après avoir tenté de s’allier, en 2004, avec la SFBT (filiale de Castel), leader du marché en Tunisie grâce à la fameuse Celtia, la multinationale néerlandaise a créé en 2008 une coentreprise avec le groupe Boujbel (hôtellerie, agroalimentaire). Deuxième acteur du marché grâce à sa marque premium Heineken, la Société nouvelle brasserie (Sonobra) a lancé avec succès en 2014 la marque Berber, devenue rapidement populaire. Début 2018, Heineken rachetait « d’un commun accord » l’ensemble des parts de l’homme d’affaires Saïd Boujbel afin de « capturer une part de profit plus importante ». En juin, Sonobra lançait la bière Mützig, déjà présente en Côte d’Ivoire. J.W.

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Il est clair que s’il y a une chose que nous ferions différemment aujourd’hui, ce serait d’être plus transparents. À l’époque, ce n’était pas dans les pratiques habituelles. Et nous n’avions alors communiqué ni sur ce que nous faisions ni sur ce que nous ne faisions pas. Depuis, nous avons conduit notre propre enquête interne sur cette affaire qui nous a amenés à interroger une vingtaine de témoins directs des événements. La conclusion est claire. Oui, nous étions en communication avec la brasserie de Gisenyi par l’intermédiaire d’une de nos équipes à Goma (RD Congo) afin de tenter de déterminer ce qu’il s’y passait. Mais non, aucune livraison de malt, de levure, de pièces de rechange, ni aucun financement n’ont eu lieu entre le 7 avril 1994 et le 15 juillet 1994. Le livre dit le contraire…

C’e st abs olument faux . L e s comptes de résultat que nous avons consultés sont formels : les volumes se sont effondrés de plus de 60 %, et le profit est passé de 100 à 0. La production de bière s’est en effet

poursuivie grâce aux stocks présents sur place, et de la bière a bien été vendue durant cette période, mais pas sous notre contrôle. L’autre scandale soulevé par le livre, c’est la formation de prostituées et l’existence de hotspots au Nigeria pour promouvoir la marque. Cette pratique a-t-elle eu lieu ? Avez-vous cherché à y mettre fin? Et a-t-elle toujours lieu aujourd’hui ?

Non, non et non. Ce qui est décrit n’a jamais eu lieu. Les allégations d’Olivier van Beemen reposent sur la seule interview d’un cadre de l’époque qui a quitté la société en mauvais termes. Là encore, nous avons mené notre enquête au niveau local auprès de quatre anciens employés présents à l’époque et aucun ne corrobore ces dires. Si tout cela est faux, pourquoi est-ce que vous ne poursuivez pas Olivier van Beemen pour diffamation ?

Nous avons évidemment eu ce débat en interne. À ce stade, nous avons complètement exclu la voie juridique parce qu’elle est longue, fastidieuse, et qu’elle risque plutôt de servir de caisse de résonance. Ce que nous souhaitons, c’est dire notre histoire, en toute transparence.

Est-ce que vous balayez aussi les critiques qui vous sont adressées au sujet du Burundi, où les taxes que vous payez à l’État participent au maintien au pouvoir de Pierre Nkurunziza ? Le président du conseil d’administration de votre filiale est lui-même un proche du président. Quelle est votre position ?

Nous nous posons énormément de questions. Et nous consultons régulièrement les ambassades et les ONG sur place qui nous disent que nous avons un impact plus positif en restant qu’en partant. Nous sommes présents depuis 1951 dans le pays. Heineken représente 1500 emplois directs auxquels il faut ajouter 15 000 agriculteurs qui travaillent indirectement pour nous. C’est plus complexe que le simple paiement de taxes.


TÊTES D’AFFICHE ABDOULAYE MAGASSOUBA

BAO YU

PDG de Chinalco

Ministre guinéen des Mines

JEAN-SÉBASTIEN JACQUES

TTE P

QUE

YO U

STÉPHANE KHALIF SOUMAHORO BVS Distribution Cet Ivoirien tourne la page de treize ans de carrière en tant que directeur général adjoint du pétrolier camerounais Tradex. Il vient d’être nommé à la tête de Boissons, Vins et Spiritueux Distribution, branche distribution de BVS, fondé par Guillaume Sarra et filiale du groupe Castel. Son poste est basé à Douala.

SP

CHRISTOPHE LE BEC

SP

DR

ABDELLATIF HMAM Compagnie des phosphates de Gafsa Diplômé en 1987 de l’ENA, ce Tunisien de 58 ans en était le directeur depuis novembre 2017. Ex-PDG du Centre de promotion des exportations, ancien DG de l’Office du tourisme de Tunisie et secrétaire d’État chargé du Commerce, il vient d’être nommé PDG de la CPG par le ministre de l’Industrie et des PME.

Dernier avertissement

LEN

DR, SP

dirigeants de Rio Tinto et de Chinalco Iron Ore, censée éclaircir le calendrier de développement du gisement et les montants à investir. Suivant un accord annoncé il y a deux ans, c’est en effet Chinalco (actionnaire de Rio Tinto à hauteur de 13,1 %) qui doit poursuivre le projet. Mais, en dépit d’une dizaine de réunions sur le sujet entre les équipes du ministère et les deux compagnies, tant à Conakry qu’à Pékin, la passation de pouvoirs n’est pour le moment pas effective. Chinalco n’est en effet pas pressé d’investir alors que le cours du fer reste bas par rapport à 2010. Faute d’avoir reçu l’aval conjoint de la direction de Chinalco, menée par Bao Yu, et de son holding Chalco, Rio Tinto n’a toujours pas transmis les actions de Simfer, sa filiale guinéenne, à son partenaire chinois. Si, du fait de la valse-hésitation de Chinalco, la menace du ministre est mise à exécution, Rio Tinto, qui a versé 700 millions de dollars pour sécuriser ses droits sur le gisement Simandou, enregistrerait une perte désastreuse.

ici à deux semaine s, Abdoulaye Magassouba, ministre guinéen des Mines, pourrait mettre sa menace à exécution et retirer de manière unilatérale le permis d’exploitation du mont Simandou – le plus grand gisement de fer du continent – au groupe Rio Tinto. Le 10 septembre, le ministre a envoyé une lettre – dont JAB+, le flux d’informations exclusives du groupe JeuneAfrique, a eu connaissance – intimant au PDG du groupe anglo-australien, Jean-Sébastien Jacques, de remplir ses obligations contractuelles sans délai, alors qu’il avait observé un retrait quasi complet des équipes de ce dernier sur le terrain. Pour l’heure, rien n’indique que sa démarche ait permis de débloquer le projet. Les fonds à mobiliser pour exploiter Simandou sont estimés à plus de 20 milliards de dollars, dont plus de la moitié doit permettre de réaliser des infrastructures autour de la mine. Cette missive en forme d’ultimatum a été envoyée peu après l’annulation d’une rencontre prévue début septembre à Pékin entre les autorités guinéennes et les

RI

D

O U R JA

PDG de Rio Tinto

OLAGOKE ALUKO Total Formé à l’université de Lagos et titulaire d’un master en finance de la London School of Economics, ce Nigérian intègre Total en 2000. Après avoir occupé divers postes à Lagos, il devient successivement directeur financier en Éthiopie, en Jamaïque puis en Guinée. Nommé DG de Total Kenya, il était jusqu’ici directeur des opérations du pétrolier au Nigeria. jeuneafrique no 3014 du 14 au 20 octobre 2018

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Économie

STRATÉGIE

Télécoms Pourquoi les opérateurs rechignent à coter leurs filiales JOËL TÉ-LÉSSIA ASSOKO

omparées aux banques, autres piliers du secteur tertiaire, les compagnies de téléphonie sont notoirement sousreprésentées sur les principales places boursières du continent. À l’exception du Caire, qui en compte une demi-dizaine, les mieux loties n’en listent que deux (Abidjan et Johannesburg), voire qu’une seule (Tunis, Casablanca, Nairobi, Accra, Dar es-Salaam…). Le Nigeria, la Namibie, l’Ouganda et Maurice n’en comptent aucune. Fustigeant les opérateurs qui préfèrent s’acquitter d’une amende plutôt que d’obéir à une loi de 2010 imposant la cotation, le président tanzanien, John Magufuli, a ordonné, à la mi-2017, le retrait des licences des récalcitrants: « La direction des impôts ne doit plus imposer d’amendes mais rendre ces compagnies [réticentes] complètement inopérantes. » Si Vodacom Tanzania, leader du marché s’est plié à l’injonction, fin 2017, ni Tigo ni Airtel n’y ont répondu pour l’instant. L’ouverture du capital aux investisseurs locaux est désormais

C

indispensable pour l’obtention d’une licence 4G à Accra. Seul MTN Ghana l’a pour le moment fait. Le Nigeria a imposé en 2016 une introduction à Lagos augéant panafricain MTN– coté à Jo’Burg –, contre une réduction de l’amende de 5,2 milliards de dollars infligée en 2015. Elle n’a toujours pas eu lieu. Ces réticences se manifestent de façon parfois plus subtile, comme le rachat, en avril, par Maroc Télécom de 10 % supplémentaires de sa filiale burkinabè Onatel auprès de l’État pour porter sa participation à 61 %, afin de renforcer son contrôle. Ou encore son opposition, depuis plusieurs années, au projet de cession en Bourse de la participation du Mali dans sa filiale Sotelma. Artisan de l’introduction du sénégalais Sonatel à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), en octobre 1998, Cheikh Tidiane Mbaye, son ancien directeur général (1988-2012), avoue aujourd’hui sa stupéfaction: « Aller à la cote, il y a vingt ans, était courageux. Ce que l’on comprend plus difficilement, c’est que, depuis, seul Onatel a franchi le pas [en 2009]. » Et ce d’autant plus qu’en vingt ans la capitalisation de cette

IL EN VA TOUT AUTREMENT HORS DU CONTINENT

Sonatel n’est pas la seule société du groupe Orange en Bourse. Ses filiales en Pologne et en Belgique sont également cotées. Le groupe français a toutefois retiré de la cote, à la mi-2015, l’espagnol Jazz Telecom, qu’il venait de racheter. L’indien Airtel, présent dans quatorze pays africains, a introduit sur le marché sa filiale dévolue aux infrastructures, Bharti Infratel Ltd. Outre sa filiale panafricaine Vodacom à Joburg, le britannique Vodafone a aussi coté celles du Qatar et de l’Inde. J.T.-L.A.

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BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES

Largement absentes des places financières africaines, les compagnies de téléphonie ne semblent pas disposées à inverser la tendance malgré les pressions des États.

Le projet de cotation de MTN Nigeria a été remis en question par la nouvelle sanction reçue en août.

filiale d’Orange a été multipliée par dix, à près de 2000 milliards de F CFA (3,05 milliards d’euros environ).

La Bourse, un « empêcheur de prise de décision rapide » ?

Moins circonspect, l’analyste Kuda Kadungure, spécialiste du secteur des télécoms à Investec Bank, note que « le premier motif d’une introduction en Bourse est de lever des fonds propres. Or nombre de ces opérateurs peuvent financer leurs investissements à des coûts raisonnables, grâce notamment à l’appui de leurs maisons mères qui sont souvent des multinationales solides et bien notées. » Une situation renforcée par le faible coût actuel du capital sur les marchés internationaux, ce qui obère un autre avantage des places financières locales, décrypte Godefroy Le Mintier, avocat chez Norton Rose. Pour son collègue Alain Malek, associé chargé du bureau de Casablanca, la Bourse peut être perçue par certains opérateurs africains, comme un « empêcheur de prise de décision rapide ». Cela concerne les modifications de participation ou les changements de contrôle, mais également


TRAJECTOIRES OPPOSÉES AU NORD ET AU SUD DU SAHARA Les places financières subsahariennes ont plutôt réussi aux opérateurs de télécoms. Sonatel, présent au Sénégal, au Mali et en Guinée, a vu sa capitalisation multipliée par dix en vingt ans, à Abidjan. En dix ans, celle du kényan Safaricom a quadruplé au Nairobi Stock Exchange. Avant de chuter à la suite de l’amende imposée en 2015 au Nigeria, le titre de MTN Group avait crû de près de 1600 % en une décennie à Jo’Burg. La situation de leurs confrères nord-africains est plus mitigée. Telecom Egypt enchaîne les performances en dents de scie au Caire, depuis 2006. Entre 2008 et 2013 Maroc Telecom a accumulé les mauvaises performances à Casablanca avant de rebondir depuis, grâce à une généreuse politique de dividendes. J.T.-L.A.

des choix opérationnels importants. « Une multinationale peut utiliser les bénéfices réalisés dans un État et les allouer, selon ses propres choix stratégiques, à des investissements dans un autre État. Cet arbitrage est compliqué par une présence sur la place boursière locale, l’opérateur pouvant préférer réinvestir le bénéfice plutôt que de le distribuer aux actionnaires minoritaires », analyse Alain Malek. Un état de fait qui peut expliquer le nouvel engouement de certains États pour une cotation obligatoire, notamment ceux confrontés à des problèmes de change. Par ailleurs, « la faible liquidité de plusieurs des places africaines implique que des difficultés parfois mineures peuvent avoir un impact disproportionné sur la valorisation des filiales, ce qui affecte les comptes consolidés de la maison mère », explique Alain Malek. « Cela donne aussi plus de poids aux facteurs psychologiques » , complète Kuda Kadungure. Le cas de MTN vient à l’esprit. Fin août, la Banque centrale du Nigeria a ordonné au sud-africain de rapatrier 8 milliards de dollars supposément sortis illégalement du pays

entre 2008 et 2015. Cette décision inattendue, vigoureusement contestée par MTN, a non seulement fait perdre un tiers de sa valeur au titre à Johannesburg, mais aussi refroidi les investisseurs d’Accra, qui n’ont souscrit qu’à un tiers des actions MTN Ghana proposées à la cote au même moment. Pour ne rien arranger, la performance récente des titres laisse à désirer. L’indice MSCI EM/Telecom qui couvre le secteur dans les marchés émergents et comprend MTN, l’émirati Etisalat (maison mère de Maroc Telecom) et l’indien Bharti Airtel, indiquait, fin septembre, un recul annuel de – 8,5 %, contre – 0,44 % pour l’indice des marchés émergents. Une situation conjoncturelle, assure Edoh Kossi Amenounve, directeur général de la BRVM, qui l’attribue principalement aux incertitudes sur les conséquences africaines du Brexit et de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, mais aussi à la surperformance de l’économie américaine et du dollar, qui rendent les marchés émergents moins attrayants. « Les avantages d’une cotation locale sont clairs,

en matière de notoriété auprès du grand public, de capacité à lever des ressources substantielles et même dans les relations avec les bailleurs traditionnels », explique le dirigeant, selon qui celle-ci peut entraîner une baisse de deux à trois points du coût de financement bancaire. Même écho chez Anouar Hassoune, administrateur délégué intérimaire de l’agence Wara : « La Bourse demande certes un apprentissage, mais en levant des fonds propres et en émettant des obligations, cela permet à la fois d’être moins tributaire des banques et de faire preuve de transparence vis-à-vis des investisseurs étrangers. » Si ce message semble être reçu par les opérateurs, ceux-ci paraissent plus enclins à la cotation de holdings régionaux, de préférence sur des places internationales. C’est le choix que privilégierait Orange pour ses filiales en Afrique et au MoyenOrient. Mais aussi de Bharti Airtel, qui, selon la presse spécialisée, a désigné en septembre UBS, JP Morgan and Citi pour introduire son holding africain à… Londres. Il semble que les Bourses africaines doivent encore patienter.

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Économie

STRATÉGIE

Eau La SDE se veut confiante avant le verdict de Dakar Dans l’attente du résultat de l’appel d’offres du contrat d’approvisionnement des zones urbaines du pays, la société refuse d’envisager son éviction au profit de Suez ou de Veolia. AMADOU OURY DIALLO, à Dakar

n mai, la Sénégalaise des eaux (SDE) recevait le Water Utility of the Year Award, prix distinguant la meilleure société d’eau de l’année sur le continent. D’aucuns y verraient un heureux présage, au moment où Dakar s’apprête à renouveler le contrat d’affermage pour la production et la distribution d’eau dans les centres urbains du pays. La filiale de la société Eranove (57,8 % du capital) a déjà été reconduite deux fois depuis 1996. Attendu en juillet, le résultat de l’appel d’offres n’a toujours pas été communiqué, faisant monter la pression au sein de l’entreprise. Abdoul Ball, son directeur général, tient néanmoins à afficher son optimisme. « Nous attendons avec sérénité. Sauf cataclysme, le partenariat entre l’État et la SDE va se poursuivre encore longtemps », anticipe-t-il. La SDE affiche, il est vrai, un bon bilan. Si le Sénégal a échoué à atteindre la plupart des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) des Nations unies, le pays n’a pas manqué celui de l’accès à l’eau potable. Entre 1996 et 2017, la part de la population en zone urbaine ayant accès à l’eau est passée de 80 % à 98 %, le nombre de clients de la SDE a triplé, atteignant plus de 7 millions de consommateurs, le rendement du réseau a bondi de 68 % à 81 %, et la production d’eau a plus que doublé avec 185,6 millions de m3. En compétition avec les français Suez et Veolia, la SDE devancerait en outre ses compétiteurs grâce à une offre financière moins-disante, ce qui en théorie suffit à la déclarer

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vainqueur. L’information a été donnée par le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement. Interrogé par JA, ce dernier n’était pas disponible au moment où nous mettions sous presse pour expliquer ce retard.

Un succès dû aux efforts de l’État pour moderniser les infrastructures

Abdoul Ball explique le succès de son entreprise par une expertise « entièrement sénégalaise » et par les importants efforts considérables consentis par l’État et l’opérateur pour moderniser les infrastructures de production et de distribution d’eau. En vertu du contrat d’affermage, c’est la Société nationale des eaux du Sénégal (Sones), société de patrimoine, qui assure l’essentiel des investissements, tant au niveau de la distribution que de la production. Aujourd’hui, la collaboration entre les partenaires n’est, contrairement aux dires de la SDE, pas toujours évidente. Notamment parce qu’un certain retard a été pris pour augmenter la production, comme en témoignent les pénuries d’eau subies dans la capitale et sa grande banlieue. L’agglomération dakaroise mobilise 70 % de l’eau distribuée par la SDE. L e c h e f d u g o uve r n e m e n t , Mahammed Dionne, a d’ailleurs dû monter au créneau en juillet pour calmer la colère des consommateurs. Le déficit de production est

évalué à 12 millions de litres par jour. « Ces pénuries sont occasionnées par un retard d’investissement. Aujourd’hui, il faut passer à la vitesse supérieure, d’où les récents travaux à Keur Momar Sarr (qui avec l’usine de Ngnith produit plus de 40 % de l’approvisionnement de Dakar) », reconnaît Abdoul Ball. Dans l’attente du résultat de l’appel d’offres, le patron de la SDE insiste néanmoins sur la relation équilibrée nouée avec l’État et la Sones. En 2017, le chiffre d’affaires de l’entreprise a atteint 103 milliards de F CFA (157 millions d’euros), et cette dernière a reversé 25 milliards à l’État via la Sones et l’Office national de l’assainissement du Sénégal. Pour répondre à la croissance de la demande, l’État a engagé, avec l’appui de l’AFD, la Banque européenne d’investissement, la Banque islamique de développement, la Banque mondiale et la BAD, d’importants travaux dont la construction d’une troisième usine d’eau sur le lac de Guiers, à Keur Momar Sarr, et celle d’un complexe de dessalement d’eau de mer à Dakar. Pas moins de 385 milliards de F CFA devront y être injectés. Mais en attendant, pour parer au plus pressé, depuis 2014, la SDE met la main à la poche et a préfinancé pour 17 milliards de F CFA trois programmes d’urgence pour l’alimentation en eau de la capitale.

ENTRE 1996 ET 2017, LE NOMBRE DE CLIENTS A TRIPLÉ, LE RENDEMENT DU RÉSEAU A BONDI DE 68 % À 81 %, ET LA PRODUCTION D’EAU A PLUS QUE DOUBLÉ.


AFFAIRES DÉCLASSÉES Retour sur les sujets traités récemment dans Jeune Afrique DIVERSIFICATION Le Gabon doit accélérer La révision à la hausse par Fitch de la notation financière du Gabon – dont la perspective associée à la note B par l’agence est désormais jugée « stable » et non plus « négative » – est une reconnaissance des efforts de Libreville pour contenir son endettement, alors que son économie est toujours très dépendante du pétrole (JA no 2965). Reste que, si l’agence de notation loue la fin des exemptions fiscales, l’annulation de dépenses publiques, la baisse de la masse salariale des fonctionnaires et le soulagement apporté au budget de l’État par le versement le 1er août d’une aide de 100,2 millions de dollars par le FMI, elle s’inquiète toutefois de la faible progression de la diversification de son économie, et de ses « standards médiocres en matière de gouvernance et de statistiques ». Et ce alors que les volumes de brut extraits au Gabon continuent de décroître depuis huit ans (200000 barils par jour en 2017, contre 249000 en 2010).

DANIEL IRUNGU/EPA/MAXPPP

TRANSPORT Taxify passe devant Uber Alors qu’Uber, géant américain des VTC, se renforce au Kenya et en Tanzanie, et prévoit de nouvelles implantations au Rwanda, en Éthiopie ainsi qu’en RD Congo (JA no 2996), son concurrent Taxify est lui aussi à l’offensive. Renforcée par une récente levée de

175 millions de dollars (152 millions d’euros), l’entreprise a étendu ses opérations nigérianes à Ibadan (Sud-Ouest) et à Owerri (Sud-Est), deux centres régionaux de plus de 1 million d’habitants. Même logique en Tanzanie, avec l’ouverture de ses services à Dodoma et à Mwanza, et en Afrique du Sud, à Polokwane et à East London d’ici à la fin du mois. Grâce à cette stratégie d’expansion ne ciblant pas seulement les mégapoles mais également les capitales régionales, Taxify fonctionne désormais dans plus de villes africaines qu’Uber.

ÉNERGIE EDF poursuit son développement à peu de frais En ligne avec son opération reconquête à moindre coût en Afrique (JA no 2981), l’énergéticien français EDF a annoncé le 8 octobre qu’il s’associait, en tant qu’actionnaire minoritaire, à la société d’ingénierie sud-africaine Gibb Engineering and Architecture pour créer Gibb Power (70 % Gibb, 30 % EDF). L’ambition commune est de « devenir une plateforme d’ingénierie de référence, spécialisée dans l’accompagnement des projets énergétiques » en Afrique australe. La nouvelle structure vise notamment le marché prometteur de la déconstruction de centrales à charbon en Afrique du Sud. La nation Arc-en-Ciel a en effet affiché son intention de réduire de 12 GW sa production électrique issue de centrales de ce type d’ici à 2030. Gibb Power s’intéressera également aux projets hydroélectriques, à la construction de réseaux électriques de distribution et de transport, et au développement des énergies éoliennes et solaires. jeuneafrique no 3014 du 14 au 20 octobre 2018

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Économie

DÉBATS TRIBUNE

Le naufrage argentin, un avertissement pour le continent

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AFFOLABY JAMES FRANCK

n juin 2017, l’enthousiasme emporte les marchés finanannées sur les marchés émergents à rapatrier leurs fonds ciers, qui célèbrent le « junk century bond » de l’Argenaux États-Unis. L’appel d’air sera d’autant plus fort que tine. C’est-à-dire une obligation en devise étrangère (ici le Washington va devoir mobiliser plus de capitaux pour dollar) d’une maturité de cent ans (expirant en juin 2117), répondre à l’aggravation des déficits publics creusés par très risquée. Le coupon fixe de cette émission était de les réductions d’impôts offerts aux ménages comme aux 7,125 % avec un rendement d’environ 8 %, pour une levée entreprises et aux répercussions de la « guerre » comtotale de 2,75 milliards de dollars. Les offres d’acquisition merciale avec la Chine. de ces titres avaient atteint environ 10 milliards de dollars. Pour le continent, la situation de l’Argentine doit résonLes investisseurs comptent alors parmi la crème de Wall ner comme un signal. Depuis 2006, et plus encore depuis Street avec Fidelity, BlackRock, Investors PowerShares, 2008, de nombreux États ont choisi de recourir aux obliLazard Asset Management, iShares JP Morgan, etc. gations pour se financer. Et si les échéances des euroÀ l’époque, le succès de cet eurobond était selon les bonds africains étaient de dix ans en moyenne jusqu’en analystes la preuve de la confiance des investisseurs dans 2016, hors Afrique du Sud, leur maturité ne cesse de s’alla politique du président Mauricio Macri et surtout dans longer. Depuis la fin de 2017, on est passés à trente ans son programme de réformes favorables à pour plusieurs d’entre eux, notamment l’économie de marché. Sur la durée totale le Nigeria, l’Égypte, la Côte d’Ivoire, le de l’emprunt, les Argentins devront payer Sénégal, le Kenya, l’Angola et le Ghana. un total de plus de 22 milliards de dollars. Comme pour l’Argentine, cet allonMais patatras, quelques mois après gement a été salué par les marchés. cette levée de fonds, l’Argentine s’est Ce serait la preuve de la confiance des retrouvée obligée de s’adresser au investisseurs vis-à-vis des politiques écoFMI pour demander environ 30 milnomiques des États africains. Et l’agence liards de dollars afin de faire face aux Bloomberg a annoncé fin septembre besoins de son économie. Une fois de qu’Accra, à l’instar de Buenos Aires, Cédric Achille plus, le pays a été rattrapé par ses mauenvisage d’émettre des eurobonds pour Mbeng Mezui vaises habitudes. En deux cents ans, il a cent ans, pour 10 milliards de dollars, Économiste, fait huit fois défaut sur sa dette, bénéficié avant la fin de l’année. spécialiste des de vingt programmes du FMI et connu marchés financiers plusieurs crises de sa monnaie. Cette ous les pays qui ont allongé la matuannée, pour soutenir le peso face à l’enrité de leurs emprunts obligataires ont volée de l’inflation, la Banque centrale a au regard de l’évaluation des risques de relevé ses taux directeurs jusqu’à 60 %. leur solvabilité financière des notes dites Des mesures drastiques auxquelles n’a pas résisté le gouspeculative grade (à risques élevés) similaires à celle de verneur de l’institution, Luis Caputo, démissionnaire fin l’Argentine en 2017. septembre après avoir été nommé en juin. Sans surprise, en analysant la base d’investisseurs de ces eurobonds, on constate une forte participation des t la situation du pays devrait encore s’aggraver, si l’on investisseurs avertis, comme les gestionnaires d’actifs et considère les tendances de l’économie mondiale. La les fonds spéculatifs. Ces derniers sont disposés à prendre remontée des taux directeurs américains entamée depuis plus de risques en fonction du niveau de rendement. décembre 2015 – les rendements des titres américains à L’objectif est essentiellement financier. Dans le cas des cinq, dix et trente ans sont déjà autour de 3 % – devrait économies moins risquées, notées investment grade, inciter beaucoup d’investisseurs présents ces dernières comme l’Afrique du Sud, la Namibie ou le Maroc, il y

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À lire dans

a davantage d’investisseurs institutionnels, comme les assurances et les fonds de pension. Ces derniers acceptent des rendements plus faibles, stables et surtout peu risqués. Si les États africains qui multiplient les émissions obligataires pour se financer ne veulent pas se retrouver dans la situation de l’Argentine, beaucoup devraient davantage surveiller l’évolution de la charge du service de la dette sur les ressources publiques. Que leur restet-il lorsqu’ils ont servi la dette ? Trop souvent, la dette nourrit la dette, et les États empruntent pour faire face aux échéances des emprunts précédents, payer les intérêts de la dette en cours ou assurer le fonctionnement courant, etc. Cela est d’autant plus grave que les taux d’intérêt de ces nouvelles dettes dépassent ceux des emprunts que l’on remplace. L’enjeu est d’éviter que L’ENJEU les eurobonds africains ne deviennent des « euroEST D’ÉVITER bombs ». Pour cela, plusieurs recommandations QUE LES doivent être considérées EUROBONDS par les gouvernements.

AFRICAINS NE DEVIENNENT DES « EUROBOMBS ».

T

out d’abord, il faut consolider la conduite des politiques macroéconomiques et viser l’obtention d’une notation investment grade, qui est le sésame pour mobiliser davantage de ressources à des taux compétitifs. Il convient également d’adopter une gestion active et rigoureuse de l’endettement. Elle doit répondre aux questions suivantes : quels sont les besoins financiers du gouvernement ? Quelles sont les sources de financement envisagées, domestiques ou externes ? Quels sont les instruments financiers à privilégier ? Quelles sont les devises d’emprunt appropriées ? Quelle devrait être la taille cible de l’émission par rapport aux ressources des États? Quelle est l’utilisation programmée des ressources et quelle doit être la structure de remboursement ? etc. L’expertise locale en matière de techniques de financement doit aussi être renforcée. Enfin, il ne faut plus négliger les marchés financiers locaux, mais au contraire favoriser leur approfondissement en élargissant la base d’investisseurs domestiques, notamment grâce aux réformes des caisses de retraite et du marché des assurances.

Les exclus que vous avez manquées cette semaine TÉLÉCOMS

Après un compromis, Malabo a réglé le solde de 50 millions d’euros à Orange le 9 octobre

AGROALIMENTAIRE

Billon et Doumbia (Sifca) boostent Sucrivoire, Palmci, Saph et Grel (caoutchouc) Guerre des nerfs entre Fideca, Saf Cacao et ses banques créancières

ÉNERGIES RENOUVELABLES

Le plan solaire « Essor Access to Electricity » congolais aligne 40 candidatures

BTP & INFRASTRUCTURES

Platinum Power investit près de 370 millions d’euros dans l’hydroélectricité au Maroc

CAPITAL-INVESTISSEMENT

L’investisseur I&P planche sur un fonds dédié à la formation professionnelle

TRANSPORT MARITIME

L’allemand Hapag-Lloyd cible le Sénégal et la Mauritanie avec une nouvelle ligne www.jeuneafriquebusinessplus.com

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Plus que de l’actualité business, de l’intelligence économique

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JACQUES TORREGANO POUR JA

Dossier Pétrole et gaz

TOTAL

« Nous disposons du premier réseau commercial d’Afrique devant Shoprite » Momar Nguer, directeur général marketing et services, et membre du comité exécutif 62

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Le patron sénégalais de l’aval du pétrolier français entend continuer la diversification des produits et services vendus dans ses stations. Et déplore l’interventionnisme des politiques sur les prix à la pompe. Propos recueillis par CHRISTOPHE LE BEC

C

est sans doute le cadre africain le plus haut placé au sein d’une major pétrolière. Né au Sénégal et diplômé de l’Essec, en France, Momar Nguer, 59 ans, est entré en 1984 chez Total et n’en est plus jamais parti, gravissant une à une les marches de l’échelle managériale avant d’être nommé, à la fin de 2016, patron de l’ensemble de la division marketing et services – les réseaux de distribution de carburant et boutiques –, mais aussi membre du comité exécutif du groupe. Une double responsabilité qui a fait de ce passionné du continent – notamment de son art contemporain –, doté d’un redoutable sens commercial, l’un des principaux collaborateurs du PDG, Patrick Pouyanné. Jeune Afrique : Bientôt trente-cinq ans chez Total, c’est une longévité rare chez les dirigeants de haut niveau, même dans l’industrie. Pourquoi êtes-vous resté ? Momar Nguer : Parce qu’à chaque

étape de ma carrière j’ai eu à me renouveler. Quand on m’a nommé la première fois au Cameroun, à mes débuts, je ne connaissais même pas l’Afrique centrale. Au Kenya, où j’ai été directeur de la filiale, j’ai eu, en plus de la responsabilité du réseau de stations-service, à gérer une activité de raffinage que je n’avais

jamais eue auparavant. Et de retour à Paris, nommé patron régional, à la tête de vingt-trois pays et territoires, de l’Éthiopie jusqu’à Tahiti, c’était là encore un sacré challenge ; tout comme quand, par la suite, je suis devenu patron de l’activité aviation du groupe au niveau mondial, expérience au cours de laquelle j’ai dû par exemple gérer les relations avec des syndicats parfois en grève dans les aéroports… Finalement, je ne suis jamais resté plus de cinq ans à un même poste, et à chaque nouvelle nomination j’ai eu à sortir de ma zone de confort. Votre parcours est essentiellement africain, mais dans des régions et à des responsabilités très variées. Le fait d’être africain y a-t-il changé quelque chose ?

Le fait d’être africain a été et est toujours un avantage important dans mes relations sur le continent, du pompiste jusqu’aux ministres et aux présidents. Les gens sur le terrain sont fiers des cadres africains qui ont des responsabilités. Du fait de mes origines sénégalaises, j’ai clairement b é n é f i c i é d ’u n e p l u s g r a n d e proximité avec mes interlocuteurs. Et d’une meilleure compréhension de l’environnement économique et social de mes clients, des pompistes et autres salariés. Comment interprétez-vous votre nomination par Patrick Pouyanné, le PDG de Total, à la tête de toute la

division marketing et services, ainsi qu’en tant que membre du comité exécutif du groupe, il y a deux ans maintenant ?

Quand Patrick Pouyanné m’a proposé ces responsabilités, je lui ai posé la question suivante : “Me nommes-tu parce que je suis africain ou bien pour mes compétences en marketing ?” Et il m’a répondu qu’il me choisissait d’abord pour mes compétences. D’ailleurs, au comité exécutif, nous ne sommes que deux à ne pas être ingénieurs. J’y donne certes mon regard d’Africain, d’origine sénégalaise, mais aussi et surtout de professionnel du marketing. Je m’exprime sur tous les sujets et toutes les géographies.

Dansvotremissionaucomitéexécutif, avez-vous un mandat spécifique en Afrique pour discuter avec les autorités politiques, y compris dans l’exploration-production?

Oui, c’est effectivement l’une de mes missions au sein du comité exécutif. D’ailleurs, quand je voyage sur le continent aujourd’hui, ce n’est pas uniquement pour mes responsabilités de dirigeant de la partie distribution de Total, mais aussi pour certains projets du groupe dans l’exploration-production. J’ai notamment été à plusieurs reprises au Sénégal, où j’ai rencontré le président Macky Sall, en Ouganda, où j’ai dialogué avec le président Yoweri Museveni, et en Côte d’Ivoire, où j’ai discuté avec le Premier ministre

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Dossier Pétrole et gaz INTERVIEW

Amadou Gon Coulibaly. Et j’ai revu le président Uhuru Kenyatta, que je connais depuis longtemps.

HASSAN OUAZZANI POUR JEUNE AFRIQUE

Des découvertes majeures de gaz ont été faites au large des côtes du Sénégal et de la Mauritanie par la junior pétrolière Kosmos Energy, associée à BP pour leur exploitation. Total a également pris des licences d’exploration dans ces deux pays. N’y a-t-il pas des attentes démesurées vis-à-vis de ces gisements ?

UN POIDS LOURD PÉTROLIER EN AFRIQUE (Chiffres au 31 décembre 2017)

Stations-service

4 377

(sur 15 811 dans le monde) Production d’hydrocarbures

654 000

d’équivalents-barils par jour (sur 2,87 millions dans le monde)

10,6 %

des effectifs sur le continent

SOURCE : TOTAL

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Bien sûr, il y a de fortes attentes de la population vis-à-vis du gaz. Mais le président Macky Sall connaît parfaitement les enjeux du secteur extractif. Il est géologue de profession, formé à l’Institut français du pétrole, et il a travaillé au sein de la compagnie nationale Petrosen. Il n’est pas dans la surenchère optimiste sur les revenus futurs du pétrole. D’ailleurs, dans les prévisions budgétaires du Sénégal, le gouvernement sénégalais n’a inscrit aucun revenu prévisionnel tiré du gaz. Et c’est peu ou prou la même chose en Mauritanie avec le président Mohammed Ould Abdelaziz, qui est dans la même logique. Avec les découvertes gazières majeures qui ont été faites, j’en connais beaucoup qui auraient annoncé des mesures imprudentes, telles qu’un revenu minimum de 1000 dollars dans cinq ans ! Êtes-vous optimiste sur la bonne coopération entre deux pays, la Mauritanie et le Sénégal, qui ont par le passé eu des différends politiques ?

Les discussions entre Dakar et Nouakchott à propos des champs gaziers se sont bien passées si l’on compare avec d’autres litiges pétroliers frontaliers, notamment entre le Cameroun et le Nigeria, au sujet de la presqu’île de Bakassi, ou même entre le Ghana et la Côte d’Ivoire. Le Sénégal et la Mauritanie ont pris l’habitude de travailler ensemble, notamment au sein de l’Organisation de mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), qui fonctionne très bien ! Je ne suis pas inquiet, ils ont établi entre eux leurs règles du jeu, et ils s’y tiendront.

Après une période difficile de chute du cours du baril, celui-ci a remonté à quelque 85 dollars ces derniers jours. Qu’est-ce que cela change pour votre réseau de distribution ?

Total est un groupe intégré. Nos résultats dans la distribution de carburant sont moins sensibles aux variations de prix du baril, avec un taux de marge assez stable, ce qui n’est pas le cas de la division exploration et production. Globalement, le groupe se porte mieux à ce niveau des cours plutôt élevé du fait de l’importance de la production. Dans la distribution de carburant, la question qui se pose avec cette remontée est la manière d’ajuster les prix à la pompe, dans des marchés qui sont le plus souvent régulés en Afrique. La tentation est grande pour les dirigeants politiques de ne pas faire bouger les prix, notamment en cas d’échéances électorales. Mais c’est un choix dangereux, d’une part parce que certains États doivent parfois, malgré tout, augmenter les prix en catastrophe à cause de l’endettement généré par le statu quo, devenu insupportable ; et d’autre part, cela laisse croire que le prix du carburant dépend du bon vouloir des politiques, ce qui est faux. Personnellement, je suis partisan de faire évoluer les prix à la pompe une fois par mois. Total détient le premier réseau de stations-service du continent. Comptez-vous sur tout étoffer les services que vous y offrez, notamment en dehors du carburant, où êtes-vous encore dans une recherche d’acquisition ?

Nous avons le premier réseau de distribution de carburant avec 4 500 stations-service, sur lesquelles sont installées 3 000 boutiques. Ces points de vente constituent le premier réseau de distribution commerciale du continent, devant le sud-africain Shoprite ! Pour toucher un public africain le plus large possible, les grands groupes de biens de consommation devraient


penser à Total en premier lieu ! C’est pourquoi nous sommes en pleine discussion avec différents groupes pour nouer des accords de distribution : dans l’entretien des véhicules, la restauration, les produits agroalimentaires, mais aussi les services de banque et d’assurance, ou la réservation d’hôtels. Nous développons de nouveaux services, et notamment le paiement par mobile au travers d’une application disponible dans nos stations, toutes reliées à internet. Élaborée par la start-up sénégalaise In Touch, dans laquelle Total a pris des parts, elle est déjà accessible dans les stations-service de huit pays ouest-africains et a vocation à multiplier les interfaces. À terme, nous souhaitons que l’application d’In Touch soit prochainement disponible sur l’ensemble de notre réseau. Nous souhaitons aussi que la part « non carburant » du chiffre d’affaires de nos stations-service

NOUS SOMMES AUSSI À LA RECHERCHE DE BONNES ACQUISITIONS SUR LE CONTINENT, NOTAMMENT DE PETITS RÉSEAUX NATIONAUX. passe de quelque 15 % actuellement à 30 %. Mais cette stratégie n’est pas exclusive. Nous sommes aussi à la recherche de bonnes acquisitions sur le continent, notamment de petits réseaux nationaux. Aujourd’hui,voustravaillezàl’échelle mondiale, et non plus seulement en Afrique. Pouvez-vous nous donner un exemple d’une démarche issue du continent mise en place ailleurs?

Nous cherchons à étendre ailleurs

le programme « jeune gérant », expérimenté avec succès d’abord en Afrique subsaharienne. Pour gérer nos stations-service, plutôt que de nous associer avec des hommes d’affaires locaux disposant d’un fonds de roulement, Total a préféré former et prêter de l’argent à des jeunes pompistes motivés et instruits. En leur mettant le pied à l’étrier – avec une avance de fonds de quelque 200 000 dollars pour les stations-service des grandes villes africaines –, nous nous sommes dotés d’un réseau mené par des entrepreneurs déterminés et concentrés sur cette seule activité, ce qui fait la différence par rapport à nos concurrents qui sont dans une démarche plus financière que commerciale. Ce succès du programme « jeunes gérants », nous le mettons en œuvre actuellement dans les Caraïbes, à la Jamaïque notamment, où nous comptons une soixantaine de stations-service.


Dossier Pétrole et gaz

PROJETS

Relance de l’exploration

SP

Après avoir puisé dans leurs réserves, les majors reprennent les investissements dans l’industrie pétrolière à la faveur de la hausse du prix du baril.

En décembre 2017, seulement 10 plateformes sur 76 étaient stationnées en mer. TARIK YANMI

’industrie pétrolière africaine, ne dérogeant pas à la tendance mondiale, connaît une embellie avec la reprise des investissements, catalysée par la hausse des prix du brut sur les marchés internationaux. Après les trois contractions annuelles consécutives qui ont réduit les investissements en amont à 432 milliards de dollars en 2016, leur plus bas niveau depuis au moins dix ans, certains observateurs, y compris Khalid Al-Falih, le président d’Aramco, le plus grand pétrolier du monde, avaient formulé l’hypothèse d’une pénurie à moyen terme, en indiquant que les compagnies pétrolières ne cessaient de puiser dans leurs réserves en retardant le renouvellement des stocks. Ce scénario semble maintenant moins plausible. Vu la prépondérance du secteur primaire dans les économies africaines, l’industrie pétrolière et les ressources naturelles sont cruciales pour le continent. La baisse des prix des matières premières ces dernières années a non seulement hypothéqué les équilibres

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macroéconomiques dans plusieurs pays, mais a aussi eu, dans certains cas, des conséquences politiques. Selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA), les investissements en 2017 dans l’industrie de l’énergie, tous secteurs confondus, ont baissé pour la troisième année consécutive, enregistrant un déclin de 2 %, à 1800 milliards de dollars. Cependant, l’année a été marquée par l’inflexion de l’investissement dans l’exploration et la production (E&P), avec une expansion de 4 %, à 450 milliards de dollars. En Afrique, la trentaine de pays producteurs de pétrole fournissait l’année dernière environ 7 millions de barils par jour (b/j), soit 7,2 % des 97,4 millions de b/j extraits dans le monde. Les sept plus grands fournisseurs – tous membres de l’Opep, à l’exception de l’Égypte – comptaient pour 89 % de l’offre, ou 6,3 millions de b/j. Selon l’IEA, la demande africaine en pétrole aura été de 4,3 millions de b/j en 2018, soit 4,3 % des 100 millions produits globalement, laissant ainsi un excédent exportable de plus de 2,8 millions de b/j. Mais le continent reste dépendant des importations

de produits distillés à cause de la faiblesse de l’outil de raffinage.

Des pays qui aspirent à rejoindre le club des producteurs

Le nombre des plateformes actuellement actives dans l’E&P semble confirmer la reprise. Selon les données compilées pour le compte des industriels du secteur par le fournisseur de services Baker Hughes, le nombre de plateformes en Afrique en août avait dépassé le seuil symbolique de 99. Parmi les 103 structures, qui représentent 10,2 % du nombre global, moins de 17 % étaient affectés à des forages offshore. À leur plus bas depuis plus de dix ans en décembre 2017, lorsque le nombre de plateformes n’était que de 76, seulement 10 étaient stationnées en mer, soit 13 %. Parce que les coûts d’exploitation en mer ont tendance à être plus élevés, les pétroliers commencent par remiser les plateformes offshore lorsqu’ils sont acculés à réduire les dépenses en période de crise, nous indique un analyste du secteur. Le taux avait touché son plus haut niveau depuis plus de cinq ans


CERTAINS OBSERVATEURS AVAIENT ÉMIS L’HYPOTHÈSE D’UNE PÉNURIE À MOYEN TERME. UN SCÉNARIO QUI SEMBLE S’ÊTRE ÉLOIGNÉ.

Alors que le continent reste largement excédentaire en pétrole brut, la capacité de production renferme encore des marges d’expansion. En effet, la production actuelle de pétrole, pour la majeure partie, se limite au secteur conventionnel, alors que le segment du pétrole de schistes reste encore globalement inexploré. L’IEA s’attend à ce que la production continentale grimpe à 9 millions de b/j dès 2022.

L’Angola, premier producteur en 2017 1,8 % 2,8 % 3,7 %

10,9 %

Volume (en milliers 9,1 % de barils par jour) 11,8 %

Reprise des opérations de fusions-acquisitions

Pour sa part, Total, qui a budgétisé 30 % de ses investissements en 2017 pour l’Afrique, s’est engagé en février aux côtés de Qatar Petroleum pour explorer le Bloc 11B/12B en Afrique du Sud. À la fin de 2017, les réserves prouvées en Afrique de la société française atteignaient 1,74 milliard de barils équivalent pétrole (bep), soit 15 % des 11,48 milliards de bep agrégés. L’autre signe qui confirme l’inflexion dans l’industrie pétrolière en Afrique est la reprise des opérations de fusions-acquisitions. En février, Total a déboursé 450 millions de dollars pour le rachat de 16,3 % du capital de Marathon Oil Libya, lui procurant l’accès à des réserves dépassant les 500 millions de bep. Cependant, les deux plus grandes transactions ces derniers mois sont celles dans lesquelles ENI était partie prenante. La société milanaise avait racheté les 25 % d’intérêts détenus par ExxonMobil dans la concession gazière Rovuma, au Mozambique, pour 2,8 milliards de dollars, puis a cédé au russe Rosneft 30 % de ses parts dans le champ gazier géant Al Zohr, en Égypte, pour près 1,13 milliard de dollars.

23,3 %

7 050

21,7 %

14,9 % Angola Nigeria Algérie

Libye Égypte Congo

Gabon Guinée équat. Autres

SOURCE : IEA

naturel de plusieurs gisements en fin de cycle dans le plus grand pays pétrolier d’Afrique. Cependant, le lancement en juillet de l’exploitation du nouveau champ offshore Kaombo, dans lequel Total a injecté près de 16 milliards de dollars d’investissements, devrait ajouter une capacité de 115 000 b/j en décembre avant que la cadence n’atteigne à terme un rythme de croisière de 240000 b/j. Les majors continuent de jouer un rôle prépondérant dans l’industrie pétrolière africaine. ExxonMobil est en train d’étendre son exploration en Mauritanie, en Guinée équatoriale et en Afrique du Sud. Au Mozambique, le géant américain compte extraire du gisement Coral, dès 2022, l’équivalent de 3,4 millions de tonnes par an (mta) de GNL, avant de passer à 13 mta en 2024.

En période de crise, les pétroliers remisent en premier les plateformes offshore, dont les coûts d’exploitation sont les plus élevés Plateformes offshore Plateformes continentales XX Total 78 11

103 17

76 10

67

66

Janvier 2017

Décembre 2017

86 SOURCE : BAKER UGHES

en décembre 2014, à 34,6 %, lorsque 136 plateformes étaient en service et que le cours du baril de brut dépassait les 100 dollars. À cette époque, lorsque les pétroliers cherchaient à produire toujours plus pour profiter des prix élevés du brut, les sociétés d’exploration poussaient leurs pions dans de nouvelles contrées à la recherche de plus de réserves. En revanche, la contraction subie par le secteur ces dernières années a recentré l’investissement sur les marchés traditionnels en Afrique, à l’exception des pays où les gouvernements étaient plus agressifs dans leurs efforts à attirer des investisseurs dans le secteur, notamment à travers des cadres réglementaires revus pour réduire les risques des multinationales et offrir de meilleures conditions pécuniaires. Maintenant que la reprise semble se profiler, les pétroliers reprennent le chemin des pays qui aspirent à rejoindre le club des producteurs, en explorant notamment en offshore. Parmi les gisements récemment découverts, Tortue, au large de la Mauritanie et du Sénégal, devrait produire du gaz naturel liquéfié (GNL) d’ici à 2021. Le britannique BP y détient une participation de 61 % aux côtés du fournisseur de services américain Kosmos Energy (29 %), le reste étant entre les mains des gouvernements des deux pays, avec une participation de 5 % chacun à travers Petrosen et SMHPM. Les quatre partenaires sont aussi associés dans deux gisements voisins: Teranga et Yakaar. En Angola, la production a perdu en juillet 200000 b/j sur douze mois, à 1,45 million de b/j, soit une baisse de 12 % principalement due au déclin

Août 2018

L’offshore, toujours minoritaire

14,1 %

13,2 %

16,5 %

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SNPC - Société Nationale des Pétroles du Congo La SNPC, véritable levier du développement économique et énergétique de la République du Congo

Les objectifs de la SNPC pour les prochaines années peuvent être résumés suivant les orientations majeures ci-après : • Améliorer l'action de la SNPC dans le domaine de l’Exploration – Production ; • Améliorer les conditions d’approvisionnement du pays en produits pétroliers ; • Améliorer les performances de la société pour mieux contribuer au budget de l’état ; • Renforcer les capacités de l’ensemble du personnel du Groupe SNPC ; • Améliorer l’image de la société par des actions de Responsabilité Sociétale d’Entreprise. Ainsi, ces objectifs intègrent les aspects Amont, Aval, Finances, Ressources Humaines et Organisation, Communication et Actions Sociétales.


COMMUNIQUÉ

g

Visite de la salle de contrôle des installations de la CORAF

brut et créera des relations avec d’autres grands acteurs du marché afin d’améliorer ses capacités de commercialisation. Les activités de l’Amont et de l’Aval sont soutenues par des filiales (SONAREP, SFP, ILOGS, SNPC D, CORAF) qui ont été confrontées ces dernières années à de nombreuses difficultés suite à la baisse de l’activité. L'objectif consiste à les accompagner par une assistance multiforme afin d’augmenter leur niveau de contribution aux résultats du Groupe.

NOS PROJETS La SNPC a l’ambition d’atteindre une capacité de production pétrolière journalière significative en tant qu’opérateur. Pour ce faire, l'entreprise s'appuiera notamment sur le développement du permis d'exploitation Mengo Kundji Bindi II et sur la mise en valeur du permis d'exploration Mayombe. Quant à ses participations dans les permis opérés par des tiers, l'objectif de la SNPC consiste à augmenter sa part de production et d'améliorer la rentabilité de ces permis par un suivi optimisé et une organisation interne solide.

Les performances financières du groupe SNPC sont menacées par la volatilité de l’environnement économique et financier. Après trois années (2014, 2015 et 2016) de perte, les résultats 2017 et les prévisions 2018 sont positifs grâce à une conjoncture favorable (remontée des cours du baril et augmentation de la production nationale d'hydrocarbures) mais fragile. Aussi, l'amélioration durable des performances financières du Groupe s'appuiera sur le triple plan du contrôle des activités, de la réduction des coûts et de l’optimisation des recettes.

NOTRE POLITIQUE R.H. La politique des ressources humaines du Groupe SNPC est un maillon essentiel de sa stratégie globale. L'objectif est de renforcer l'éthique, la motivation et d'investir durablement dans le capital humain à travers le renforcement des capacités.

NOS ENGAGEMENTS SOCIAUX Elle saisira toute opportunité d’operating lors de l’expiration des permis d’exploitation mâtures. En ce qui concerne le Gaz Naturel, la SNPC saisira aussi les opportunités offertes par les projets gaziers afin d'accompagner l’état dans sa stratégie de valorisation du gaz au Congo.

Afin d’être au plus près des besoins de la population, la SNPC − société citoyenne − poursuivra son engagement sociétal à travers l'optimisation des réalisations antérieures et l'élaboration de nouveaux projets à fort impact sur les populations.

La SNPC entend améliorer les conditions d’approvisionnement du pays en produits pétroliers afin de maintenir la performance de « Zéro Pénurie ». La stratégie consiste à : renforcer le rôle central de la Congolaise de Raffinage (CORAF); augmenter les moyens logistiques existants et relancer le projet du Pipeline Pointe-Noire/Yié/Maloukou ainsi que celui des dépôts de stocks stratégiques et de sécurité. La CORAF devra faire face à de nombreux défis notamment le renouvellement du personnel technique et le financement du remodelage de l’usine existante pour une meilleure valorisation du brut Djéno. La SNPC développera des mécanismes et instruments de couverture contre le risque de volatilité des prix de pétrole

Société Nationale des Pétroles du Congo Tour SNPC -Avenue Denis SASSOU NGUESSO BP: 188 Brazzaville – Congo

www.snpc-group.com

©DIFCOM - PHOTOS : D.R. - ILLUSTRATION : ADOBESTOCK.COM

NOS DÉFIS


Dossier Pétrole et gaz

PRODUCTION

Grand vent de réformes à la Sonangol Sur fond de ralentissement économique et de changements politiques, la restructuration de l’entreprise publique angolaise s’accélère. Objectif: se recentrer pour renouer avec les bénéfices. TARIK YANMI

es enjeux du redressement de la Sonangol sont de taille, alors que le pays de 27 millions d’habitants a requis, en août, et pour la première fois depuis près de dix ans, une aide financière et technique du FMI pour diversifier son économie, largement tributaire d’un secteur dont les ressources devraient s’épuiser en moins de trente ans. Fondée en 1976, la compagnie établie à Luanda a produit, en partenariat avec ses associés, près de 1,6 million de barils par jour (b/j) l’année dernière, soit le plus grand volume en Afrique, contribuant pour près de 40 % au PIB et représentant 95 % des exportations globales du pays. Deux mois après les élections de septembre 2017, le nouveau président, João Lourenço, a choisi Carlos Saturnino pour présider aux destinées de Sonangol, remplaçant la fille du président sortant, José Eduardo dos Santos, qui régnait depuis 1979.

L

Jusqu’au départ d’Isabel, la femme la plus riche du continent, la compagnie s’est aventurée dans plusieurs industries, acquérant pas moins de 90 sociétés positionnées dans les télécoms, l’immobilier et même le transport aérien, diluant ainsi ses ressources et entamant sa rentabilité. Après un bénéfice de près de 3,1 milliards de dollars en 2013, lorsque le prix du baril de brut dépassait les 100 dollars, la profitabilité du groupe, qui emploie près de 22000 collaborateurs, a chuté sous les 100 millions de dollars en 2016.

Vente d’actifs non stratégiques

Pour renouer avec les bénéfices, le plan de restructuration a érigé en priorité la réduction de la dette, qui culminait à près de 14 milliards de dollars en 2015, pour aider à recentrer Sonangol sur ses métiers de base, en se focalisant sur l’établissement d’un groupe pétrolier verticalement intégré. En amont, l’équipe dirigeante

FORTE CROISSANCE POUR LA DISTRIBUTION En aval de la chaîne de valeurs, le stockage, le transport et la distribution des produits distillés et du gaz sont pris en charge par des filiales de l’entreprise publique : Sonangol Logística,

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Sonangol Distribuidora, Sonangol Gas Natural et Sonangol Comercialização Internacional. Selon les derniers chiffres de la compagnie, le segment a contribué

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pour 234 milliards de kwanzas (674 millions d’euros) à l’Ebitda en 2016, en augmentation de 29 % sur un an, et pour 45 % dans la profitabilité agrégée. T.Y.

s’est fixé comme priorité l’augmentation des investissements dans l’exploration et la production (E&P) pour enrayer la chute de la production nationale, précipitée par la maturation dans le cycle de production des gisements actuels. Sur les 3 milliards de dollars d’investissements budgétisés en 2016, plus de 96 % ont été affectés à l’E&P, même si le montant était en retrait annuel de 35 % à cause de la chute des prix du pétrole. Parmi les gisements visés: Mafumeira Sul, Polo Este, Dalia 1, ainsi que Kaombo, qui devrait à lui seul augmenter la capacité de production de 115 000 b/j dès décembre avant d’atteindre, à terme, 240 000 b/j. Le financement des investissements a été facilité par un renflouement public des caisses de la compagnie pour près de 10 milliards de dollars en 2017, ce qui a contribué à réduire la dette à moins de 5 milliards. La vente d’actifs considérés comme non stratégiques devrait aussi contribuer à soulager la trésorerie de l’entreprise. Saturnino indiquait, en février, que des participations dans le transporteur aérien SonAir, ainsi que des parts détenues dans cinq banques locales, notamment les 8,5 % dans Banco Angolano de Investimentos, étaient à vendre. Cependant, les investissements placés à l’étranger ne sont pour l’instant pas concernés. Au Portugal, l’ancienne puissance coloniale de l’Angola, Sonangol détient le tiers du capital de Galp Energia, et


SIMON DAWSON/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES

En 2017, la compagnie a produit 1,6 million de barils par jour, soit le plus grand volume sur le continent.

près de 15 % de la Banco Comercial Português. Dans le segment midstream, Sonangol compte restructurer son outil de raffinage et augmenter sa capacité de production. Sonaref, l’unique raffinerie du pays, fournit moins de 20 % des besoins en produits

distillés à travers son unité de production de 65 000 b/j à Luanda, à l’arrêt depuis le début d’octobre pour deux mois de maintenance. Cependant, les autorités indiquent qu’une nouvelle unité de 200000 b/j devrait entrer en service à Lobito dès 2022.

Épuisement progressif des réserves

Pour faciliter la restructuration de la compagnie et favoriser le développement du secteur des hydrocarbures, le gouvernement s’est engagé à revoir le cadre réglementaire. Diamantino Azevedo, le ministre du Pétrole, a indiqué, en août, que la mission de concessionnaire des champs pétrolifères du pays, actuellement attribuée à Sonangol, sera transférée d’ici à juin 2019 au plus tard à un nouveau régulateur du secteur. Le gouvernement estime que la création de la National Agency of Petroleum and Gas devrait permettre à Sonangol d’être

APRÈS UN BÉNÉFICE DE 3,1 MILLIARDS DE DOLLARS EN 2013, LA PROFITABILITÉ DU GROUPE EST TOMBÉE SOUS LA BARRE DES 100 MILLIONS EN 2016. plus efficiente, en se focalisant sur ses missions principales de production, de raffinage et de distribution. Le temps semble compté pour la restructuration et la pérennisation des ressources du pays. Selon les propres estimations de Sonangol, l’épuisement progressif des réserves devrait tirer la production de pétrole sous la barre du million de b/j dès 2032, après avoir plafonné à près de 2 millions de b/j en 2008. En 2037, le pays ne pourra plus produire plus de 500 000 b/j avant l’extinction des ressources.


Dossier Pétrole et gaz

INVESTISSEMENTS

En Libye, des majors sur la réserve Le chaos qu’a connu le pays en 2013-2017 a fait chuter la production. Et le retour à une relative stabilité n’a pas rassuré les grands opérateurs internationaux. LAURENT DE SAINT PÉRIER

vec la hausse des cours et le tarissement programmé en novembre des exportations iraniennes, les hydrocarbures libyens – de grande qualité, faciles à extraire et géostratégiquement situés – suscitent l’intérêt des traders comme celui des producteurs. Déjà sous-exploités avant la révolution de 2011 (1,65 million de barils par jour, b/j) en raison d’années d’embargo et de sanctions, les pétroliers libyens ont

A

Malgré la situation politique, la production s’équilibre quand même autour de 1 million de b/j depuis un an. Ici, le champ pétrolifère El Sharara, de l’espagnol Repsol.

Benghazi, a ramené une stabilité relative sur le marché libyen. Au début de septembre, Mustapha Sanalla, le patron de la société d’État National Oil Company (NOC), a ainsi annoncé une hausse de 80 % des revenus pétroliers : soit 23 milliards de dollars, contre 13 milliards en 2017. Opérateur majeur en Libye aux côtés de l’italien ENI, du français Total, de l’autrichien OMV et des américains Marathon et ConocoPhillips, l’espagnol Repsol s’est félicité d’avoir repris ses activités, au point mort entre 2013 et 2017. La relance a permis à la major d’annoncer, en février 2018, que ses activités upstream ont généré en 2017 des profits douze fois supérieurs à ceux de 2016, s’élevant à 632 millions d’euros.

Pression de l’Europe et des ÉtatsUnis, fermeté des Nations unies

« Depuis plus d’un an, la production, qui s’équilibre autour de 1 million de b/j, est certes très en deçà des capacités, mais plutôt satisfaisante compte tenu de la situation politique. L’attaque de juin sur le Croissant a toutefois confirmé le diagnostic d’instabilité chronique partagé dans les milieux internationaux », commente Francis Perrin, spécialiste du secteur, chercheur associé à l’OCP Policy Center (Rabat) et directeur de recherche à l’Iris (Paris). La crise de juin-juillet a rappelé les risques qui pèsent sur le secteur en Libye. Le 14 juin, cette zone sous le contrôle du maréchal Haftar était attaquée par le chef de guerre Ibrahim Jadhran et ses « Gardes des installations pétrolières » (GIP). La production s’effondrait à nouveau. À la fin de 2017, le président de la NOC déclarait à Jeune Afrique : « Depuis 2011, la Libye a perdu 180 milliards de dollars à cause des milices. » Il n’a néanmoins fallu que cinq jours au

ALFREDO CALIZ/PANOS-REA

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vu leur production s’effondrer sous les 400 000 b/j durant les années de chaos 2013-2017. Au cœur de l’échiquier politico-milicien, les zones de production, notamment celle du Croissant pétrolier, dans le centre du pays, sont à la fois un enjeu que se disputent les chefs de guerre et un moyen de pression pour les groupes locaux. Mais, depuis septembre 2016, la prise de contrôle de cette zone par le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’autoproclamée Armée de libération nationale qui règne sur l’Est depuis

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Dossier Pétrole et gaz INVESTISSEMENTS

maréchal Haftar pour reprendre le contrôle de la zone. Mais il brouillait la donne politico-économique en décrétant que la branche orientale de la NOC procéderait elle-même à la commercialisation du pétrole des terminaux de l’Est, alors que les revenus étaient auparavant transmis au siège tripolitain, chez ses rivaux du Gouvernement d’union nationale, reconnu par la communauté internationale. Le président américain, Donald Trump, s’étant fendu d’une lettre aux partis libyens, Haftar a restitué le 10 juillet la gestion des terminaux à la NOC Tripoli. « De toute façon, la fermeté des Nations unies et les pressions de l’Europe et des États-Unis, qui ne reconnaissent que la NOC Tripoli, empêchent toute entreprise, sauf quelques négociants peu scrupuleux, de signer avec Benghazi », rappelle Francis Perrin.

Un secteur parapétrolier plus porteur

Face à tant d’incertitudes, les majors se tiennent sur la réserve. Les américains (ExxonMobil, ConocoPhilips, Marathon) ont réduit leur représentation au strict minimum, les européens (l’italien ENI, le français Total, l’autrichien OMV et l’espagnol Repsol) sont plus investis et, tout en restant circonspects, guettent les opportunités. Total (31 000 b/j en 2017, contre 14 000 en 2016 et en 2015) a ainsi annoncé en mars le rachat des 16,33 % des parts détenues par Marathon dans le joint-venture Waha Oil Company,

confirmant un repli américain. Mais la transaction n’a pas plu à Tripoli. « La NOC a émis une objection à ce rachat, les discussions sont toujours en cours. La transaction pose des problèmes légaux, et la NOC avait, en 2012-2013, mené une étude qui estimait cette part à 800 millions d’euros, loin des 450 millions signés, commente en off le représentant libyen d’un parapétrolier européen à Tripoli. Ce qui est aussi préoccupant dans cette affaire, c’est l’absence de coordination entre la NOC et Waha, sa propre filiale. » En Libye, le secteur parapétrolier, dont le service dans le temps est limité au chantier, est en ce moment plus porteur que les investissements dans l’appareil de production, qui demandent d’avoir des certitudes à long terme, rappelle la même source. Dans ce domaine, TechnipFMC (Londres) a raflé la mise en mai 2016, avec un contrat de plus de 1 demi-milliard de dollars pour développer le champ de gaz de Bahr Essalam, au large de Tripoli. Un gigantesque cargo d’habitation a été acheminé pour loger les employés et minimiser les contacts avec la terre : l’offshore reste, en Libye, le meilleur moyen d’échapper au risque sécuritaire. À terre, les enlèvements pour rançons ou autres chantages se sont multipliés, et les entreprises ont appris à composer, financièrement, avec les groupes locaux pour garantir leur sécurité, indique un spécialiste de la sécurité en zone de crise qui assiste sur place des sociétés étrangères. Les

UN POTENTIEL SOUS-EXPLOITÉ Estimées par l’Opep à 48 milliards de barils, les réserves libyennes sont les premières d’Afrique. À la création de la NOC dans la foulée du coup d’État de Kadhafi, en 1969, la Libye produit 3 millions de b/j. Mais de

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nationalisations en embargo et en sanctions, les investissements chutent, ainsi que la production. Dans les années 2000, le retour en grâce de Kadhafi ramène les investisseurs. En 2010, le président de la NOC annonce l’objectif

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de 3 millions de b/j pour 2015. Après sept années de crise, son successeur actuel annonce 2,2 millions de b/j pour 2022, un objectif qui appelle un investissement nécessaire de 18 milliards de dollars. L.S.P.

ENLÈVEMENTS, DEMANDES DE RANÇON… L’OFFSHORE EST LE MEILLEUR MOYEN D’ÉCHAPPER AU RISQUE SÉCURITAIRE. installations réalisées par Technip pour Mellitah Oil, joint-venture entre la NOC et ENI, sur le point d’être mises en service, illustrent un autre potentiel du marché libyen, son gaz, abondant en offshore, peu exploité et moins affecté que le secteur du pétrole par les soubresauts sécuritaires. Avec 1 505 milliards de m 3 de réserves prouvées, la Libye est au 23e rang mondial et au 6e rang africain, avec 14,3 millions de m3 commercialisés annuellement, dont elle n’exporte que le tiers (source : Opep 2017). Mais ses réserves pourraient être bien plus vastes, comme en témoigne la découverte, révélée par ENI en avril 2017, d’une importante poche de gaz et de condensats à 5 km de ses installations de Bahr Essalam.

Les élections conduiront-elles à des jours meilleurs ?

Malgré ces signes positifs, l’insécurité entretient l’incertitude. Le 10 septembre, quelques jours après l’annonce optimiste du patron de la NOC, des hommes masqués ont attaqué son siège à la faveur d’un nouveau chaos milicien dans la capitale. Deux employés ont été tués, vingt-cinq ont été blessés. Le Wall Street Journal y a vu une cause majeure de la hausse de plus de 2 % des cours du brut le lendemain. Prudents face au champ de bataille de Libye, les pétroliers gardent l’œil bien ouvert sur ses champs de pétrole et de gaz, attendant des jours meilleurs. Les élections présidentielle et législatives qu’exige la communauté internationale pour décembre les amèneront-elles ? Chez les géants des hydrocarbures, on voudrait y croire.


COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERTS

1-

Patrick Pallard

Head of Trade Commodity Finance

2-

Antoine Le Blainvaux

Relationship Manager Trade Commodity Finance 1

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Notre ambition est de devenir une banque de référence en Afrique Nous répondons aux besoins de nos clients liés à leur activité de négoce en produits pétroliers et gaziers sur le continent africain.

Les projets auxquels nous croyons concernent principalement :

L’Union de Banques Arabes et Françaises - U.B.A.F. a toujours été présente en Afrique du Nord et tout particulièrement en Algérie, Mauritanie, Libye et Egypte pour ses clients – grands négociants et Majors – à travers le financement des enlèvements de crude oil et des livraisons de produits pétroliers raffinés. Aujourd’hui, l’U.B.A.F. peut s’appuyer sur sa longue expérience, ses équipes spécialisées et son important réseau de banques correspondantes et partenaires.

Les changements géopolitiques en Afrique du Nord ; en Libye ou au Maroc avec la liquidation de la SAMIR, ont imposé à l’U.B.A.F. de nouvelles orientations stratégiques : • •

2011 à 2012 : Déploiement vers l’Afrique Sub-saharienne en s’adossant à notre réseau de banques historiques. 2015 : Focus sur l’Afrique francophone avec un fort développement de la couverture risque banque pour l’ensemble des biens de première nécessité, les produits pétroliers et agroalimentaires.

Depuis 2016, l’U.B.A.F. a fortement augmenté ses lignes de crédit afin de mieux répondre aux besoins de ses clients et de ses 130 correspondants bancaires. Ainsi nous couvrons pour le compte de nos clients négociants les flux de produits raffinés en faveur de pays tels que la Mauritanie, la Libye, la Guinée, le Sénégal, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Nigéria ou le Ghana. Une partie de ces flux étant vendue aux raffineries africaines (la SIR, la SAR, la SONARA, etc.), l’U.B.A.F. s’est intéressée à ces contreparties et est ainsi devenue sponsor de l’African Refiners Association (ARA), association regroupant les acteurs opérant sur l’aval pétrolier. Aujourd’hui notre volonté est d’élargir notre activité en faveur des pays africains anglophones et notamment en Afrique de l’Est.

L’usage grandissant du gaz en particulier le LNG, le butane et le propane Le développement des carburants plus propres avec AFRI 4/5 Le soutien de certains projets d’investissement relatifs aux besoins précités.

La stratégie de l’U.B.A.F. pour accompagner les échanges commerciaux avec le continent africain reste celle que nous avons toujours adoptée sur nos zones géographiques historiques (le Monde Arabe). Elle repose sur l’excellente qualité de notre coopération avec nos banques correspondantes qui sont aussi les banques des importateurs et exportateurs, et avec nos clients négociants et Majors. Forts de cet acquis, nous souhaitons désormais nouer des relations d’affaires directes avec certains grands acteurs locaux, distributeurs ou raffineurs. Le réseau de l’U.B.A.F. (France, Japon, Corée, Singapour, Bangladesh, Algérie, Emirats Arabes Unis, Égypte) permet d’accompagner efficacement ces nouveaux développements commerciaux. En quelques années l’U.B.A.F. a multiplié par dix son enveloppe de lignes de crédit dédiée au continent africain et a multiplié par cinq le nombre de ses correspondants bancaires. Parallèlement nous devons poursuivre notre rôle de conseil auprès de tous les intervenants dans un contexte réglementaire et prudentiel renforcé. La maîtrise complète de cet environnement est indispensable pour accompagner efficacement les acteurs ayant recours aux services et produits de trade finance.

Union de Banques Arabes et Françaises – U.B.A.F. Tour EQHO 2, avenue Gambetta 92066 Paris La Défense Cedex France Tél. : +33(0)1 46 40 61 01

www.ubaf.fr


Musique / Tendance / Gastronomie / Spectacle / Médias

Musique

Les bonnes affaires de

Mr Eazi

Aussi cool que déterminé, le chanteur nigérian de 27 ans a réussi en un temps record à s’imposer comme une star planétaire. LÉO PAJON

O

n nous avait dit que ce serait compliqué, qu’il avait mal au crâne, qu’il ne pourrait nous accorder que cinq minutes d’entretien dans les loges du festival Afropunk, à Paris, en juillet. C’est finalement un Mr Eazi tout sourire qui s’est prêté au jeu de l’interview et de la séance photo pendant une petite heure. L’artiste sait se faire désirer. Sens de la com oblige. Mais, en effet, son regard paraissait fatigué derrière ses petites lunettes à monture métallisée. Sur la scène de La Villette, pendant près d’une heure, seulement accompagnée d’un DJ, la pop star nigériane n’avait pas ménagé ses efforts, bondissant en tous sens, balançant les bras et égrenant ses très nombreux tubes. Parfois seulement

une cinquantaine de secondes d’un hit, vite chassé par le suivant, puis encore un autre, de Leg Over à Property, en passant par Pour Me Water. Soyons honnêtes : sa prestation n’était clairement pas la plus impressionnante du festival, d’autant qu’il succédait à sa saisissante compatriote Nneka. Mais le pyromane de l’afrobeats a bien enflammé la salle parisienne. Des petits cercles se sont formés dans le public, où les spectateurs les plus audacieux rivalisaient de déhanchés en récitant par cœur les paroles, donnant une idée de la popularité et du nombre effarant de tubes d’une idole aux allures de « bon pote ». En entretien aussi, Mr Eazi est la définition du cool. À l’aise dans ses baskets à trois bandes, mufle de lion argenté cerclant son index, tee-shirt et pantalon de survêtement noirs, il affiche un indéfectible sourire. Même quand on lui pose une question un peu


CYRILLE CHOUPAS POUR JA


Musique

grinçante sur le grand vide des lyrics de l’afrobeats (courant axé dancefloor), comparé à son lointain ancêtre, très politique, l’afrobeat de Fela. « Fela était violent, en colère, parce que la société était violente avec lui, estime-t-il. Moi, je ne sais pas si je fais de l’afrobeats, je préfère appeler ça de la pop music et je pense qu’à ma manière je dis quelque chose sur mon pays. » Mais on voulait quand même aller au-delà de la façade bonhomme du personnage. Et savoir si le cool Mr Eazi ne cachait pas un Docteur Business. Comment comprendre sinon le succès fulgurant de ce jeune homme de 27 ans qui a réussi à s’imposer dans son pays, où le marché musical est si compétitif, puis à l’international ? Sa première mixtape, About to Blow, date seulement de juillet 2013, et, en juillet dernier, il signait (ainsi que son confrère et rival Tekno) chez la major Universal Music, qui venait de lancer une division nigériane. Aujourd’hui il revendique une fortune personnelle supérieure à 1 million de dollars. Une phrase anodine, lâchée en tout début d’entretien, résume

bien la clé de son succès : « J’aime faire la fête, mais j’aime aussi faire des affaires ! » Pour lui, la musique est arrivée sur le tard, presque par accident.

Businessman précoce

Oluwatosin Oluwole Ajibade, de son vrai nom, né à Port Harcourt, une énorme cité du sud du Nigeria, est parti à 16 ans dans la ville de Kumasi, à la Kwame Nkrumah University of Science and Technology, pour poursuivre ses études supérieures. Son projet d’alors ? Devenir ingénieur en génie mécanique… Déjà, cet ambitieux visait le million et entendait faire carrière, comme certains membres de sa famille, dans une prospère compagnie pétrolière. Au Ghana, encore étudiant, il montait pas moins de six business différents. Outre l’importation de boissons non alcoolisées et la création d’une plateforme d’e-commerce (entre autres), il lançait une société d’événementiel, Swagger Entertainment, qui organisait des concerts et des soirées privées devenus très populaires. « J’ai commencé dans la musique en étant

promoteur », s’amuse le crooner. Et, de fait, ses premiers pas dans des studios d’enregistrement se sont faits sur invitation de musiciens qui cherchaient à s’attirer ses faveurs!

PA PHOTOS/ABACA

DAVIDO, STRASS ET PAILLETTES

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Le lendemain de son concert à La Villette, Mr Eazi assistait dans la tribune VIP à la prestation de Davido. L’âge (25 ans pour Davido), le style musical, le succès rapprochent les deux artistes nigérians. Mais leurs attitudes diffèrent totalement. Tandis que « Monsieur Zagadat » se révélait accessible,

serein et discret, son compatriote abordait La Villette en conquérant bling-bling. Porsche et Rolls garées près du bâtiment, champagne distribué à l’entourage (qui a évité de justesse une rixe avec le service d’ordre du lieu), montre XXL saturée de diamants encombrant son poignet, Davido, nerveux et

enroué, ne tenait pas en place après son concert. Reste chez les deux hommes un désir partagé d’ancrer leur musique en Afrique. « Même lorsque j’ai collaboré avec les rappeurs américains Rae Sremmurd et Young Thug pour le titre Pere, j’ai chanté en yoruba », nous précisait le bad boy de Lagos. L. P.


MATT CROSSICK/PA PHOTOS/ABACA

En concert à l’O2 Arena de Londres, en septembre.

Parallèlement à ses activités d’entrepreneur, Mr Eazi impose sa voix de basse et son phrasé lancinant sur un nombre croissant de titres dancehall. Son nom est bientôt associé à une signature vocale : « Zagadat ! », lâché en début ou en fin de morceau. Mais aussi à un look : un grand chapeau de raphia – jusque-là porté par les bergers et les mineurs du nord du Ghana –, d’impressionnants colliers et bracelets inspirés de la culture ashantie qui viennent égayer des tenues traditionnelles ou streetwear. Et puis, évidemment, il y a son style : la « banku music », appellation qu’il a imaginée et qui recouvre en fait un large panel de sons mixant des influences ghanéennes, dont le highlife, et des rythmes nigérians… mais pas seulement. « Je peux aussi me rapprocher de la pop ou du reggae. Tout ça, ça reste l’Afrique. » Mr Eazi est devenu une marque qui brasse large. Sa discographie ne compte finalement que deux albums tradition-

nels : en plus de sa mixtape de 2013, un disque, Life Is Eazi, Volume 1, Accra to Lagos, livré l’année dernière. Parfaitement adapté à un marché qui veut consommer toujours plus vite, l’artiste-entrepreneur a produit un nombre considérable de singles, souvent « clipés ».

Marchés francophones

Comme la plupart des superstars nigérianes, il enchaîne aussi aujourd’hui les collaborations avec des artistes étrangers pour « gagner de nouveaux clients ». Et ne s’en cache pas. « Oui, les featurings,

Comme la plupart des grandes vedettes nigérianes, il enchaîne les collaborations pour gagner de nouveaux clients. Et ne s’en cache pas.

c’est une stratégie. Les gens écoutent puis se demandent : “Mais c’est qui, ce mec ?” Certains vont creuser, peut-être aimer mon titre Akwaaba ou un autre. Tout le monde est gagnant. » Cette année, le groupe américain Major Lazer, qui fait vibrer les discothèques du monde entier, lui a offert sa plus belle vitrine avec le hit Let Me Live (10 millions de vues en moins de deux mois sur YouTube). « Une tournée est en discussion avec eux, on veut aller plus loin », révèle-t-il dans un sourire désarmant. Et le chanteur, qui avoue écouter MHD, Niska, Kalash ou encore Stromae, est également de plus en plus attiré par les scènes francophones. « C’est un nouveau marché fabuleux… Quand j’ai fait mon premier concert au Gabon, j’étais très excité ! » Lors de ses concerts en Europe et en Amérique du Nord, l’artiste voit ses efforts payer. « Avant, on n’intéressait que la diaspora africaine. Aujourd’hui, le public est très mixte », se réjouit-il. Tant mieux, car le chanteur se voit à présent comme un « prédicateur » (son propre terme) qui veut fédérer le maximum de monde. « Avant, les gens vibraient sur ma musique… Mais je veux que ce soit encore plus intense, j’ai envie d’“évangéliser” mon public en diffusant des vibrations positives », lâche-t-il cette fois sans sourire. Et la concurrence n’est pas un problème. « Wizkid, Tekno, Tiwa Savage… C’est bien qu’il y ait beaucoup de porte-drapeaux. L’important, c’est qu’on réussisse à réveiller tout le monde. Tout ça va au-delà de moi, de ma trajectoire personnelle : si je disparais, d’autres doivent pouvoir reprendre le flambeau. » On peut s’étonner qu’un chanteur de 27 ans tienne un discours de PDG en fin de vie… Mais l’industrie musicale est aussi une industrie.

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Tendance

40 nuances de peau

Le succès de la marque de maquillage de Rihanna – et ses multiples fonds de teint – a fait réagir les géants du luxe, qui s’intéressent désormais de plus près aux femmes noires. ARNAUD AUBRY

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eptembre 2017, un petit tremblement de terre secoue le monde du maquillage. La chanteuse Rihanna lance sa propre marque de produits de beauté : Fenty Beauty. Sa spécificité ? Sa gamme de fonds de teint dispose de 40 nuances. Du plus clair pour les peaux albinos au plus foncé pour les femmes à la peau ébène. Ça n’a l’air de rien, mais ça change tout. Et c’est un carton sans précédent. Les clientes s’arrachent les produits Fenty Beauty. En particulier les

Naya Leth, lors d’un événement Fenty Beauty au magasin Sephora de Pitt Street, à Sydney, en octobre 2018.

fonds de teint les plus foncés, qui sont épuisés en quelques jours, preuve que la demande était énorme. Pourquoi un tel succès ? Évidemment, il y a un « effet Rihanna », star planétaire très suivie sur les réseaux sociaux. Mais ce n’est pas suffisant pour expliquer un tel engouement. « La promotion de la marque de Rihanna, sa mise en scène, est un point de rupture par rapport aux autres marques, et un coup de génie. On y voit tous les genres de beauté représentés, des peaux les plus claires aux plus foncées. Avec Fenty Beauty, on passe à la vitesse supérieure dans la représentation de la diversité », note avec enthousiasme Pascale Brousse, fondatrice de l’agence de tendances Trend Sourcing. À cette communication qui fait mouche s’ajoute un choix fort : la très grande variété des produits. Quand Rihanna sort sa gamme, trouver autant de nuances est très rare dans le monde des cosmétiques.

Parti pris erroné

CAROLINE MC CREDIE/GETTY IMAGES/AFP

En France, les enseignes du luxe ont pendant des années laissé de côté les clientes à la peau foncée, qui devaient se tourner vers les marques « ethniques », comme Black Up ou Iman, ou professionnelles pour trouver un semblant de bonheur. Le nombre de teintes était très restreint et les obligeait parfois à jouer au « petit

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Rihanna assurant elle-même la promotion de Fenty Beauty.

chimiste » en mélangeant plusieurs produits pour arriver au résultat escompté. Même aux États-Unis, où certaines marques haut de gamme proposent davantage de choix – par exemple Helena Rubinstein, Lancôme ou Estée Lauder –, les femmes à la peau sombre n’avaient jamais accès qu’à 4 ou 5 teintes au maximum. Pourquoi faire l’impasse sur ces clientes pendant si longtemps ? La première explication est économique : les marques considéraient les femmes à la peau noire comme un marché de niche. « Le fond de teint est le produit le plus technique du maquillage, car il est à la frontière avec le soin et doit prendre en compte plusieurs paramètres : la galénique,


CAROLINE MC CREDIE/GETTY IMAGES/AFP

c’est-à-dire sa texture (poudre, semi-liquide, liquide, mousse), les spécificités de la peau (grasse, mixte ou sèche), sans compter, bien sûr, la teinte, dont le spectre est large pour les peaux foncées : jusqu’à 30 carnations différentes. En tout, cela peut donner plus de 200 déclinaisons pour un même produit ! Ce qui représente donc de gros investissements. Or pendant très longtemps, en France notamment, on considérait qu’une femme à la peau foncée, souvent issue de l’immigration, avait un pouvoir d’achat très faible. C’est pour cela que les grandes marques ne développaient pas de gammes pour elles », analyse Stéphanie PrinetMorou, consultante en stratégie et innovation pour

les professionnels du luxe, de la mode et de la beauté. Un parti pris totalement erroné puisque, selon un sondage AK-A, institut spécialisé dans les études de ce genre, « les dépenses annuelles des femmes d’origine afro-caribéenne sont bien supérieures à celles des femmes d’origine caucasienne » : 8 fois plus pour le capillaire, 7 fois plus pour le maquillage, 5 fois plus pour le soin du corps et 5 fois plus pour le soin du visage.

Fini la frilosité

Il existe une autre explication à cette frilosité : « Les marques évitaient de développer des produits « ethniques » par crainte de perdre leur clientèle “caucasienne” ou de créer une confusion pour leurs clientes

Une marque partie à l’assaut de nouveaux marchés.

habituelles », explique Leslie Carombo, consultante cosmétologue et fondatrice de Cosmethnic Consulting. En clair, c’était mauvais pour leur image de proposer du maquillage pour les femmes noires. D’ailleurs, certaines marques qui proposaient des teintes pour peaux noires aux États-Unis ne les exportaient pas vers la France. Bien sûr, il y a eu des précurseurs. Dès 2015, Make Up For Ever proposait 40 nuances de fond de teint. Et, si on remonte encore plus loin, Mac Cosmetics, créé à l’origine pour les professionnels de la mode, a développé de nombreux produits pour les mannequins noirs dans les années 1980. Mais la grande majorité des marques ne s’aventurait pas sur ce marché.

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Les temps ont bien changé. À la suite du succès de Rihanna, toutes les grandes enseignes sortent de nouvelles gammes, avec leur liste de fonds de teint à rallonge, pour ne pas laisser échapper le nouveau filon. Dior a sorti, en juin 2018, une nouvelle gamme, Backstage, qui compte elle aussi 40 teintes.

Clientes fortunées

L’enjeu est colossal. « Toutes les marques cherchent à séduire les Millennials, les moins de 30 ans, pour éviter d’être ringardisées. Elles se

doivent de toucher les influenceuses sur les réseaux sociaux, dont beaucoup sont des jeunes femmes aux carnations métissées et noires. Faire une croix sur la diversité maintenant serait se couper de cette partie de la population et de personnes qui pourraient très bien être les grosses clientes de demain. Les canons de beauté seront ceux-là », explique Pascale Brousse. Sans oublier les marchés au-delà des frontières occidentales, car l’avenir des marques s’y trouve peut-être. « Les clientes

Des produits adaptés à toutes les lèvres.

d’Arabie saoudite, du Qatar, d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud sont des clientes dépensières pour la beauté en général. Ce sont des marchés qui ne sont plus du tout perçus comme de “petits” marchés émergents. Au contraire, ils sont considérés aujourd’hui comme étant à forte progression par les marques, qui veulent dynamiser leurs ventes », conclut Leslie Carombo. Des marchés pour lesquels les 4 ou 5 nuances de fond de teint habituelles ne sont définitivement plus suffisantes.

Balanda Atis

Chef du Multicultural Beauty Lab, chez L’Oréal

« Une nuance de couleur de peau naît chaque jour » Pendant de nombreuses années, très peu de marques ont vendu des maquillages adaptés aux couleurs de peau foncées en France. Quelle était la situation outre-Atlantique ? Une partie de ma famille est française, donc je connais bien cette problématique ! Les difficultés étaient les mêmes : il était très compliqué de trouver du maquillage qui nous aille. Il n’y avait pas beaucoup de marques pour nous, et très peu de nuances. Les couleurs étaient trop rouges, trop noires ou donnaient un aspect grisâtre. J’ai grandi en entendant ma famille et mes amies se plaindre de 82

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ce manque de choix. Quand j’étais petite, j’essayais de mélanger deux ou trois nuances de fond différentes afin de faire en sorte que le résultat corresponde à ma couleur de peau. C’était un sacré défi ! Si bien qu’à un moment je me souviens avoir voulu arrêter de porter du fond de teint… Cette frustration fait partie des raisons qui m’ont poussée à devenir chimiste. Comment avez-vous tenté de changer cette situation chez L’Oréal ? Il y a une dizaine d’années, avec deux autres chimistes, j’ai traversé les États-Unis

et l’Afrique afin de collecter des données sur les différentes carnations. En tout, nous avons réussi à obtenir 20 000 données relatives à des femmes originaires de 57 pays différents. Surprise : nous avons découvert que, plus la peau est sombre, plus elle prend des nuances violettes. Il a donc fallu changer la formulation de certains fonds de teint – en y ajoutant du pigment « ultramarine blue » – pour que nos produits soient mieux adaptés. Toutes les marques sortent des gammes avec 40 couleurs de fond de teint. Comment

percevez-vous cette tendance ? Je pense qu’une nuance de couleur de peau naît chaque jour. Notre population change, elle devient beaucoup plus métissée, donc il faut faire en sorte qu’il y ait une offre toujours plus riche. Propos recueillis par A.A.

SP


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BULLETIN D’ABONNEMENT


Gastronomie

La première étoile Ikoyi, le restaurant ouvert à Londres par le jeune entrepreneur Iré-Hassan Odukale et le chef Jeremy Chan, vient d’être distingué par le Guide Michelin. Nous l’avons testé pour vous.

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« J’ai emmené Jeremy au Nigeria, raconte Odukale. Cela a été un désastre, nous avons tout essayé et nous sommes revenus avec l’estomac à l’envers. Comme nous ne voyions pas l’intérêt de reproduire peu ou prou la gastronomie locale, nous nous sommes plutôt intéressés aux ingrédients eux-mêmes, en essayant d’en magnifier le goût et la présentation. » Ikoyi ne propose donc pas une cuisine

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africaine, mais davantage une cuisine qui célèbre des saveurs africaines sans craindre de les associer à d’autres, en une fusion où les épices sont, tout au long du repas, maintenues sur la ligne de crête d’un juste équilibre. Ni trop ni insuffisamment pimentées, les créations de Jeremy Chan intriguent, étonnent, surprennent et séduisent. Pour 60 livres (68 euros) par personne (95 livres avec le vin), le menu de dégustation propose notamment des tranches de banane plantain drapées de poudre de framboise déshydratée et accompagnées d’une sauce à base de piment Scotch Bonnet. Le riz wolof et le hake banga (poisson grillé) prennent une dimension métisse renversante, les continents se rencontrent entre palais et papilles, le vin porte aux nues. « Je choisis les bouteilles en fonction des épices, explique Odukale, en évitant les vins trop SP

Juste équilibre

Les patrons de l’établissement composent une ode aux saveurs africaines sans copier les recettes traditionnelles du continent.

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es hommages affluent de toutes parts: au Royaume-Uni, Ikoyi est le premier restaurant d’inspiration africaine à recevoir une étoile au Guide Michelin. L’information est tombée le 2 octobre. Pourtant, le 3 au soir, lorsque vous poussez la porte de l’établissement, dans la zone rénovée de Saint James’s Market (Londres), c’est tout de même le maître des lieux, en tenue décontractée, qui vous accueille et vous aide à ôter votre veste. Iré-Hassan Odukale est un jeune homme d’origine nigériane, né en 1986 dans le quartier huppé d’Ikoyi, dans le nord-est d’Obalende, à Lagos. Père patron d’une compagnie d’assurances, mère designer d’intérieur: à 16 ans, l’enfant de bonne famille quitte son pays et intègre une boarding school anglaise où il se lie d’amitié avec Jeremy Chan, aujourd’hui chef du restaurant qu’ils ont imaginé et monté ensemble. Se lancer dans la gastronomie haut de gamme n’est cependant pas venu du jour au lendemain. Diplômé de la très chic London School of Economics (LSE), Odukale travaille d’abord à la City, dans les assurances. « J’avais un niveau de vie tout à fait décent, dit-il en maniant avec habileté l’euphémisme. Mais ce n’était

pas du tout satisfaisant. » Il quitte donc son travail et un revenu confortable sous prétexte de préparer un master: il ne reprendra jamais son poste… La mode le tente un temps, avant qu’il comprenne que ce n’est absolument pas pour lui. Se recentrant sur l’essentiel, il se demande ce qui compte vraiment dans sa vie. La nourriture, passion de toujours, apparaît comme un fil directeur. Demeuré proche de son ami Jeremy Chan, il lui demande de concevoir un menu. « Mais bon, je ne suis pas chef, mon concept n’était pas très élégant… », se souvient Odukale. Il n’empêche, les deux hommes décident de travailler ensemble, sans chercher à recréer des plats authentiquement africains, sans s’appuyer sur la cuisine de l’un des 54 pays qui composent le continent.

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NICOLAS MICHEL, envoyé spécial à Londres


« Nous avons ouvert en juillet 2017, raconte Odukale. Avec des fonds familiaux. Le plus difficile a été de trouver un lieu. Cela nous a pris deux ans. Vous imaginez, deux jeunes hommes qui veulent créer un restaurant dans le cœur de Londres ? Ici, c’est un quartier central, transformé récemment, mais c’est une localisation complexe où il n’est pas simple d’attirer les gens. Cela commence tout juste à changer. »

Année difficile

Un des tout nouveaux plats à la carte : le sot-l’y-laisse de poulet au tamarin.

Lorsqu’il a ouvert, Ikoyi a bénéficié de l’attrait de la nouveauté. Pendant six mois, Jeremy Chan et Iré-Hassan Odukale n’ont pas arrêté, servant jusqu’à 90 couverts par jour. « Après le rush initial, nous nous sommes soudain retrouvés sans

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INFORMATIONS PRATIQUES Adresse : 1 St. James’s Market, Londres Téléphone : + 44 20 3583 4660 Site internet : ikoyilondon.com Menu découverte : 60 livres (68,30 euros), 95 livres avec le vin (108,10 euros) Déjeuner: plats divers entre 5 et 35 livres (entre 5,70 et 40 euros) Cocktails : entre 10 et 12 livres (entre 11 et 14 euros) SP

taniques. Nous avons un bon fournisseur et nous essayons d’être assez aventureux. Pour les ingrédients, nous nous fournissons en produits frais au marché de Peckham, nous importons aussi des ingrédients du Nigeria – parfois avec l’aide d’amis ou de membres de la famille, qui viennent en avion. Le poisson frais est pêché le matin en Cornouailles et cuisiné le soir chez nous. Nous ne conservons rien, privilégiant pour nos clients la qualité. » Servis (un peu trop) rapidement, les plats sont élégamment décrits en quelques mots par un personnel discret, jamais obséquieux, dans une atmosphère épurée qui ne cherche pas un instant à « faire africain » en se drapant de wax ou en diffusant une musique géolocalisable. Peu de temps après l’ouverture, la critique gastronomique Grace Dent, du quotidien The Guardian, écrivait ceci, dans son style bien particulier: « Ikoyi, six mois après avoir ouvert, représente ce qu’il y a de plus accablant pour un restaurant: pas toujours délicieux, évidemment coûteux, mais clairement important. Si la cuisine ouest-africaine est chère à votre cœur, vos frontières seront joliment mises à l’épreuve. Et si, d’autre part, vous avez manqué les trois mille dernières années, il n’y a pas de meilleur endroit où manger que celui-là. » Ce dernier conseil reste tout à fait d’actualité.

personne, poursuit le Nigérian. Nous ne savions pas que c’est assez commun à Londres, et l’année a été très difficile. D’autant que l’été n’a pas arrangé les choses, avec la chaleur favorable aux terrasses et la Coupe du monde de football… » Ce n’est qu’à la rentrée de septembre, avec la création du menu dégustation, qu’Ikoyi a commencé à remonter la pente. « Je suis content que la tendance ait été amorcée avant le début d’octobre, dit Odukale avec un sourire. L’étoile, c’est un plus ! » Pour l’heure, Ikoyi emploie 13 personnes, et ses patrons n’envisagent pas encore d’étendre l’expérience. « Nous ne voyons pas l’intérêt d’ouvrir un autre restaurant pour le moment, nous voulons être excellents et nous ne pouvons pas nous diviser. C’est un travail passionnant et exigeant. » Ce qui n’empêche pas le jeune Nigérian de gérer, depuis trois ans, la restauration du lounge de la foire d’art contemporain africain 1-54, qui se tient tous les ans à Londres, à Somerset House.

Métro : Piccadilly Circus jeuneafrique no 3014 du 14 au 20 octobre 2018

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Spectacle

LENA ROCHE

Blanche ne pouvaient même pas se tenir par la main dans la rue, où toute relation sexuelle entre eux était illégale. Pour conserver la « pureté » de la race. Il fallait aussi rendre crédible l’histoire – plutôt invraisemblable – de ce metteur en scène combatif mais suicidaire, humaniste mais criminel. Un exercice d’équilibriste d’autant plus difficile que six comédiens seulement interprètent trois fois plus de personnages de milieux sociaux et de convictions différentes, restituant la diversité de la société sud-africaine de l’époque. Dans le spectacle, la danse sert d’exutoire à des personnages constamment sous pression.

S’aimer sous l’apartheid

Une adaptation théâtrale du roman d’André Brink, Au plus noir de la nuit, ressuscite l’injustice et la folie du régime de Pretoria en contant l’impossible idylle entre un Noir et une Blanche.

LÉO PAJON

A

u départ, il y a un roman brutal. Au plus noir de la nuit (Kennis van die aand), paru en 1973, a été le premier livre en afrikaans interdit par les autorités sud-africaines pour « pornographie ». Son auteur, André Brink (1935-2015), dut le traduire lui-même en anglais pour lui donner une vie à l’étranger. L’ouvrage raconte l’histoire de Joseph Malan, un acteur noir d’Afrique du Sud qui réussit à partir à Londres, où il devient célèbre. Il décide néanmoins de revenir dans son pays d’origine pour lutter contre l’apartheid en créant une compagnie de théâtre mélangeant Noirs et Blancs. L’issue tragique de son histoire

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est révélée dès le départ : emprisonné, torturé, Malan attend son exécution pour le meurtre de la femme blanche qu’il aimait d’un amour impossible.

Exercice d’équilibriste

L’enjeu pour le metteur en scène Nelson-Rafaell Madel, qui a adapté le roman, semble double. Il fallait d’abord ressusciter l’apartheid, la dureté, l’horreur de ce régime d’exclusion où un Noir et une

Au plus noir de la nuit, d’André Brink, au Théâtre de la tempête jusqu’au 21 octobre

Les couples mixtes étaient interdits, et toute relation sexuelle interraciale, illégale. Pour conserver la « pureté » de la race.

Pas de deux et transe

Le spectacle est convaincant en tous points. Certes, quelques numéros d’acteur non essentiels poussent la bouffonnerie un peu loin et rendent certains passages peu crédibles. Pour le reste, l’interprétation solide (Mexianu Medenou, dans le rôle principal, mais aussi Karine Pedurand et Gilles Nicolas, notamment) nous fait basculer dans le temps et l’espace, et donne à comprendre l’exil, les inégalités, les tensions raciales, la liaison subversive et, même, le choix fatal du héros. S’appuyant sur un dispositif scénique rudimentaire (essentiellement des projecteurs disposés sur le plateau), Nelson-Rafaell Madel, également danseur, mise beaucoup sur les corps pour incarner cette tragédie. Paradoxalement, malgré le texte assez bavard d’André Brink, ce sont les passages où les personnages silencieux exultent en d’impossibles pas de deux ou d’ardents moments de transe qui disent le mieux la violence de l’apartheid.


Documentaire

Ventes d’armes et droits de l’homme MICHAEL PAURON

L

a poignée de main est vigoureuse, les applaudissements nourris: la rencontre entre le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, et son homologue égyptien, sous l’œil satisfait du président Abdel Fattah al-Sissi, en 2015, s’est conclue par une vente record d’armement made in France: chasseurs Rafale, frégate Fremm, corvettes Gowind et véhicules blindés par centaines. « François Hollande, et son gouvernement, plus que tout autre avant lui, a vendu des armes », affirme Anne Poiret dans l’introduction de son nouveau documentaire, Mon pays fabrique des armes. Et de questionner: « À qui est-on prêt à vendre pour préserver des emplois? » Dans cette enquête d’un peu plus d’une heure, la journaliste, Prix Albert-Londres 2007, a voulu « ouvrir le débat sur une industrie taboue, presque entièrement couverte par le secret-défense », ainsi qu’elle l’explique à Jeune Afrique. Même si la France fait « assez bien les choses ». En effet, Paris a signé des traités qui, théoriquement, l’empêchent de vendre des armes aux pays susceptibles d’être accusés de crimes de guerre. Certes, la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), qui réunit notamment les ministères de la Défense, des Finances et des Affaires étrangères, étudie toutes les demandes des

entreprises françaises souhaitant démarcher un client (environ 6000 par an), et rien ne peut se faire sans son aval. Mais certaines décisions posent néanmoins question. Il y a notamment l’Égypte, connue pour réprimer dans le sang les manifestations, mais aussi et surtout l’Arabie saoudite, en guerre au Yémen et accusée, justement, de crimes de guerre. « Pendant des années, la France a vendu des armes à ce pays, qui n’était pas en guerre. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? » s’interroge la réalisatrice. À ce jour, aucun matériel français n’a été retrouvé sur les lieux d’un crime (contrairement à du matériel américain ou britannique). Mais des armes ont bien été identifiées sur le terrain, notamment des canons Caesar, fabriqués à Bourges par Nexter Systems.

Mon pays fabrique des armes, d’Anne Poiret, le 23 octobre, sur France 5, à 20 h 55

« Chantage à l’emploi »

Selon Romain Mielcarek, auteur de Marchands d’armes : enquête sur un business français (Tallandier), l’industrie de l’armement en France fait vivre 160 000 personnes.

La journaliste tente de lever le voile sur une industrie taboue.

Les enjeux sont donc colossaux, et un véritable « chantage à l’emploi » s’opère, poursuit Anne Poiret, comme le montrent certaines séquences tournées dans les territoires (Bourges, Bordeaux…) où cette industrie est de loin le premier employeur. La question éthique est gênante, pour les employés comme pour les élus. « On fait des avions, c’est de l’aéronautique. Après, l’utilisation future, ce n’est pas notre partie », se justifie un salarié de Dassault Aviation devant un Rafale en assemblage. Pour tourner, les obstacles ont été nombreux. « On ne peut quasiment prendre aucune image des usines. Et les politiques n’assument pas », raconte-t-elle. François Hollande, désormais loin de l’Élysée, a refusé d’accorder un entretien. Tout comme l’exécutif actuel, qui n’a pas souhaité s’exprimer. « Il n’y a qu’un scandale qui fera réagir les politiques », témoigne une source au Quai d’Orsay. Il arrivera peut-être le 16 octobre, avec la publication d’un rapport d’Amnesty International sur les transferts de véhicules militaires français vers l’Égypte…

TALWEG PRODUCTION

Dans sa dernière enquête, la réalisatrice Anne Poiret met la France face à ses contradictions les plus criantes.

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COMMUNIQUÉ

PRISME, le nouveau programme de soutien des PME du Groupe AFD Mieux accompagner les petites et moyennes entreprises et start-up, c’est le but du programme PRISME, avec la conviction que ces petites entreprises à fort potentiel contribuent activement à une croissance durable et inclusive dans les pays en développement et émergents. PRISME regroupe dans un programme unique une gamme de produits financiers et techniques adaptés aux besoins des petites et moyennes entreprises à tous les stades clés de leur développement. L’ensemble des outils du Groupe AFD seront mobilisés pour apporter des solutions diversifiées aux PME : > Des financements pour accompagner des institutions financières locales qui souhaitent développer des offres adaptées aux besoins des TPE/PME ; > Des investissements en fonds propres pour soutenir la croissance des entreprises à fort potentiel, en direct ou via des fonds d’investissement partenaires ; > Des investissements en capital-risque pour soutenir des jeunes entreprises innovantes, en direct ou via des fonds d’investissement partenaires ;

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GRAND FORMAT

AFRIQUE-FRANCE

Un autre regard

’Afrique est partagée au sujet d’Emmanuel Macron. Elle envie sa jeunesse, qui tranche avec l’âge moyen de ses chefs d’État. Elle applaudit le milliard d’euros de dons supplémentaires inscrits au budget 2019 de l'Agence française de développement (AFD). Mais elle s’agace quand le président français lui dit crûment ses vérités. Quand il constate que « des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ». Ou quand il demande à un étudiant de n’avoir pas « une approche bêtement post-coloniale ou anti-impérialiste » au sujet du franc CFA. C’est là le style un brin provocateur que le président français adopte

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aussi avec ses compatriotes. Pour lui, il n’y a ni tabou, ni politiquement correct, ni prudence diplomatique d’un autre âge à respecter. Il faudra s’y faire car, sous son impulsion, le regard français sur l’Afrique et celui de l’Afrique sur la France changent par touches successives. L’approche naguère misérabiliste laisse la place à une démarche qui se veut respectueuse. Les méfaits de la colonisation sont reconnus. La coopération, vieux et beau mot relégué au magasin des souvenirs, semble enfin à l’ordre du jour sous l’appellation de « partenariat ». Mais on en est encore aux symboles, ce qui n’est pas rien, et aux mots, ce qui n’est pas tout. Un nouveau type de relations doit encore naître entre la

France et le continent qui lui fait face au sud de la Méditerranée. Les politiques ne seront pas les seuls à installer ce nouveau climat qui permettra à l’Afrique et à la France « d’inventer les grands équilibres du monde de demain », selon le vœu d’Emmanuel Macron. Les entreprises françaises, séduites par l'irruption d’une classe moyenne africaine, y contribueront. Les PME africaines, qui ont un besoin urgent de capitaux et de savoir-faire venus du Nord, y apporteront leur pierre. Les diasporas, qui ont fait souche de Toulouse à Montreuil et de Marseille à Évry, devront y avoir une place et pas seulement en envoyant de l'argent au bled. Rien n’est joué. Rien n’est perdu. Tout est à faire. ALAIN FAUJAS

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Grand format AFRIQUE-FRANCE

La rupture à pas comptés Par plusieurs gestes hautement symboliques en direction du continent, le président français montre qu’il veut changer de paradigme. Sans pour autant renoncer à ses positions stratégiques. CHRISTOPHE BOISBOUVIER

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n allant rendre visite, le 13 septembre dernier, à Josette Audin, la veuve du militant communiste torturé à mort par l’armée française en juin 1957, pendant la guerre d’Algérie, Emmanuel Macron a marqué une rupture. Pour la première fois, un président français a reconnu un « système de torture institué alors en Algérie par la France ». Et au-delà des mots, le chef de l’État français a annoncé l’ouverture des archives concernant les innombrables disparus algériens et français pendant le conflit. Déjà, le 28 novembre 2017, lors de son discours devant des étudiants à Ouagadougou, au Burkina Faso, il avait promis la déclassification de tous les documents français concernant


Visite officielle d’Emmanuel Macron au Sénégal, en février. Ici, à Saint-Louis, entouré de son homologue, Macky Sall, et du maire de la ville, Mansour Faye.

l’assassinat de Thomas Sankara, en octobre 1987. Autre geste éminemment symbolique: le projet de restituer aux ex-pays colonisés par la France tout ou partie de leurs biens culturels (lire p. 92). Fin novembre 2018, la mission d’expertise conduite par Bénédicte Savoy et l’écrivain sénégalais Felwine Sarr rendra son rapport sur les modalités de ces restitutions. Comme le dit Felwine Sarr, « Macron est en mouvement dans l’espace symbolique ». Après sa visite très médiatique, le 3 juillet dernier, au Shrine, salle de concert créée par Fela Kuti à Lagos, au Nigeria, il est clair que le jeune président français veut se distinguer de ses prédécesseurs en valorisant la culture africaine. Le 27 août, lors de la conférence des ambassadeurs à Paris, il a lancé, à propos des relations franco-africaines: « Ce que nous construisons touche par touche, c’est en quelque sorte la conversion d’un regard réciproque, […] un nouvel imaginaire entre la France et le continent africain. »

DENIS/REA

Joueur d’échecs

Au-delà des champs mémoriel et culturel, Emmanuel Macron est-il aussi prêt à marquer une rupture dans le domaine politique ? Au vu de son nouveau partenariat avec Kigali, oui. En février, quand il a suscité la candidature de la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), le chef de l’État français a choisi sciemment, comme dit l’un de ses proches, un pays « qu’on ne peut pas soupçonner d’allégeance à l’égard de la France ». Soutenir une Rwandaise, c’est rompre avec la Françafrique… tout en espérant un « effet collatéral » en faveur d’un rapprochement entre Paris et Kigali. Rupture oui, mais non sans realpolitik. Jusqu’où peut aller cette rupture ? Comparant Macron à « un joueur d’échecs qui avance masqué en Afrique pour défendre, à fronts renversés, les intérêts de la France », l’essayiste Antoine Glaser, dans une préface inédite de la version poche de son livre Arrogant comme un Français en Afrique (éditions Pluriel), suggère au président de nommer à la Banque de France l’économiste togolais Kako Nubukpo, « le plus acerbe et affûté critique du franc CFA ». Pas sûr que le locataire de l’Élysée aille jusque-là. « Avec Macron, je vois des inflexions, des additions, notamment grâce à l’augmentation de l’aide publique au développement, mais pas de changements », affirme un proche de l’ex-président François Hollande. « Dans sa défense des intérêts économiques et des positions militaires de la France, Macron est davantage dans la continuité qu’il ne le croit », glisse un conseiller de l’ex-président Nicolas Sarkozy. Sur le terrain de la lutte contre les jihadistes du Sahel, le Macron impétueux de 2017 a évolué. Le 13 décembre 2017, lors d’une réunion sur le G5 Sahel à la Celle-Saint-Cloud, près de Paris, il se fixait publiquement un objectif militaire: « Avoir des victoires au premier semestre 2018. » Le 29 juin, le premier semestre s’est terminé… par une attaque jihadiste contre le quartier général de cette force conjointe,

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Grand format AFRIQUE-FRANCE

EN DÉBAT

Des grandes annonces aux actes OLIVIER CASLIN

À

marche forcée ou en marche arrière ? Tout occupé à vouloir se différencier de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron s’est aventuré sur un terrain glissant en déclarant vouloir restituer son patrimoine à l’Afrique, lors de son discours de novembre 2017 au Burkina Faso. Les promesses n’engagent peutêtre que ceux « qui les entendent »,

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mais vu l’écho recueilli par celle-ci, elle pourrait bien empoisonner les relations d’un nouveau genre que le président français cherche à tisser avec l’Afrique, s’il venait à ne pas tenir parole. Un an après cette annonce, le continent attend toujours ses premières restitutions. Les crânes des résistants algériens continuent à

prendre la poussière au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Les trésors royaux d’Abomey scintillent encore sous les lumières du Musée du quai Branly, malgré la demande très officielle de restitution déposée par le gouvernement béninois en juillet 2016. Il sera difficile au président français d’aller au-delà des mots, tant les forces de l’immobilisme semblent puissantes. Sur la question de la restitution comme sur beaucoup d’autres, il ne s’agit pas d’annoncer une « rupture historique » pour qu’elle ait lieu. Au nom de cet « imaginaire commun » qu’il n’a cessé de mettre en avant lors de son voyage en Afrique fin 2017, Emmanuel Macron va devoir s’impliquer personnellement, si « la mise en valeur du patrimoine africain à Dakar, Lagos, Cotonou… » est effectivement l’une de ses priorités. S’impliquer auprès des multiples institutions françaises concernées, inévitablement rétives à voir partir des œuvres qu’elles ne récupéreront certainement jamais. Auprès des autorités africaines, pour qu’elles puissent prendre toutes les mesures nécessaires à la conservation des œuvres, sans forcément reproduire sous les tropiques le système muséal français. Il ne pourra pas se retrancher bien longtemps derrière les principes « d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité » qui protègent les collections publiques. Nicolas Sarkozy avait bien su contourner la loi, fin 2010, pour rendre 287 manuscrits royaux à la Corée du Sud. Dons, prêts, échanges… La France semble prête à réfléchir à diverses solutions. Elle aurait pu le faire dans le cadre de comités mixtes, comme certains gouvernements africains le souhaitaient. Paris a préféré nommer en mars deux experts, Bénédicte Savoy, membre du Collège de France, et l’écrivain sénégalais Felwine Sarr, pour réfléchir aux modalités de cette restitution. Leurs premières propositions, très attendues, seront connues fin novembre.


à Sévaré, dans le centre du Mali. Depuis, ces locaux ont été prudemment relocalisés à Bamako, dans le Sud, et le président français, qui mesure désormais l’ampleur de la tâche, multiplie les efforts pour que les quelque 5000 soldats africains du G5 Sahel se lancent dans des engagements plus robustes et plus réguliers. En attendant, les 4500 soldats français de l’opération Barkhane restent sur le pied de guerre, au risque de s’enliser. Dans son discours anti-Trump à l’ONU, le 25 septembre à New York, Emmanuel Macron ne s’est pas contenté de dénoncer « la loi du plus fort » et l’unilatéralisme du président américain. Il a plaidé pour une « nouvelle Alliance avec l’Afrique », autour des thèmes du multilatéralisme, de l’intégration régionale et de la démocratie. Dans son agenda, trois rendez-vousqui se dérouleront dans l’Hexagone et qu’il veut voir réussir : le sommet du G7, à la mi-2019, à Biarritz – « la lutte contre les inégalités sera la priorité de la présidence française du G7 », déclare-t-il –, le sommet Afrique-France et la Saison des cultures africaines, tous deux programmés pour 2020. Seront-ils synonymes de rupture ou de continuité ? Emmanuel Macron veut avant tout défendre les positions politiques et économiques de la France, au moment où celles-ci sont sérieusement malmenées.

CONSEILLERS SANS FILTRE Quelques mois après son élection, Emmanuel Macron a complété le dispositif élyséen destiné à l’Afrique en créant, en août 2017, le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), dont la coordination a été confiée au Franco-Béninois Jules-Armand Aniambossou. Pour la plupart trentenaires et en majorité binationaux, francophones ou anglophones, ses membres sont issus de la société civile ou du monde de l’entrepreneuriat et sont « en prise directe avec la réalité du continent », comme le résume Vanessa Moungar, directrice chargée du genre et des femmes à la BAD, et qui travaille sur ces mêmes questions pour le CPA. En contact permanent, chaque sous-groupe se réunit une fois par semaine. Et le conseil se retrouve au complet, autour d’Emmanuel Macron, tous les trois mois. À eux alors de souffler – sans filtre et sans concession – à l’oreille du président les petites indications et les grandes inflexions qui l’aideront à établir sa nouvelle relation avec l’Afrique. Certaines intonations du discours de Ouagadougou sont ainsi directement sorties du CPA. « Ce n’est pas un simple effet cosmétique, affirme Vanessa Moungar. C’est un réel engagement de sa part. » Et de la part des membres du CPA, puisque leur mission s’appuie uniquement sur le volontariat. O.C.


Grand format AFRIQUE-FRANCE

Carlos Lopes

Ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA)

« Face à la Chine et aux États-Unis, les Européens prennent du retard » Propos recueillis par JULIEN CLÉMENÇOT

n juillet, Carlos Lopes a été nommé haut représentant de l’Union africaine dans le cadre des négociations pour de nouveaux accords avec l’Union européenne après la fin de ceux de Cotonou, en 2020. Avec les ministres africains des Affaires étrangères, l’ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA) a ainsi la lourde tâche de créer un nouveau cadre de coopération par-delà la Méditerranée. Fin connaisseur de la France et de ses institutions, il livre son analyse sur l’évolution de la relation qu’entretient Paris avec le continent.

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une tentative du chef de l’État, dans l’approche et dans le discours, pour décomplexer cette relation. Il n’hésite pas à se rapprocher d’institutions, de secteurs, d’acteurs de la société civile, y compris hors du pré carré français. Il l’a montré au Burkina Faso, lors de son dialogue avec les jeunes à l’université de Ouagadougou, mais aussi au Nigeria, en mettant en avant sa relation personnelle avec le pays. Le fait qu’il ait choisi de soutenir la candidate rwandaise à la présidence de l’OIF [Louise Mushikiwabo] est également significatif. Le discours est aussi davantage centré sur l’avenir de l’Afrique, sur son potentiel. Ce changement est incarné par le

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VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE-R

Jeune Afrique : L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir provoque-t-elle une évolution de la relation entre l’Afrique et la France? Carlos Lopes : Il y a incontestablement

L’Afrique attend-elle encore beaucoup de la France ? Il y a un soft power français très important, au-delà des pays francophones. Les leaders africains veulent toujours être reconnus par Paris, être invités à l’Élysée. La France n’en profite pas assez parce que les pays du continent représentent peu pour son économie. Si elle pouvait leur apporter des capitaux, comme le fait la Chine, je suis sûr que les dirigeants africains privilégieraient cette relation.

nouveau directeur général de l’AFD, Rémy Rioux, dont la vision dépasse la simple aide au développement. Mais cela n’exclut pas une certaine continuité. Sur l’aspect sécuritaire, la France poursuit ses interventions militaires, suivant un processus pas totalement consultatif, en présentant son rôle comme indispensable dans la lutte contre le terrorisme. Et elle est toujours aussi peu présente sur les questions de mobilité humaine, contrairement à ce qu’elle prétend. Paris ne prend d’ailleurs pas vraiment ses distances avec l’opinion publique européenne antimigrants. Débutseptembre,l’Afriques’estdonné rendez-vous à Pékin pour un sommet avec la Chine. La France a-t-elle encore les moyens d’existersurlecontinentfaceàlapuissance financière de Pékin?

S’il y a un changement d’approche, la France n’a pas vraiment encore évolué sur le fond. Elle commence à peine à reconnaître que le continent a besoin d’une transformation structurelle de son économie, d’une industrialisation nécessaire à la création d’emplois. La baisse des investissements français, concentrés sur le secteur pétrolier, en est la parfaite illustration. Le problème vient en partie de la politique européenne, sur laquelle la France a un rôle à jouer. Dans le secteur bancaire, les règles prudentielles très strictes imposées par la BCE obligent les établissements français à surévaluer les risques africains. Ils se retirent in fine du continent. Face à la Chine, mais aussi aux États-Unis, avec leur nouvelle agence de développement, les Européens et la France risquent de prendre du retard. Dernier point important, il faut absolument faire évoluer le franc CFA. Le statu quo n’est bon pour personne.


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Grand format AFRIQUE-FRANCE

JACQUES TORREGANO POUR JA

Échangeur du pont Henri-Konan-Bédié, dans le quartier de Marcory, à Abidjan.

ÉCONOMIE

Rééquilibrage

Pour Emmanuel Macron, la France doit travailler sur un pied d’égalité avec le continent. Elle se montrera plus généreuse mais n’en restera pas moins pragmatique. ALAIN FAUJAS

as un mois ne passe sans qu’une délégation patronale du Medef ne prenne le chemin d’un pays africain, ou sans qu’un forum à Paris ne tente de persuader les investisseurs que le continent est le nouvel Eldorado. Ses 5 % à 10 % de croissance annuelle depuis les années 2000 et le tam-tam médiatique sur l’apparition de « lions africains » ont fini par les convaincre qu’une classe moyenne urbaine est en train d’y naître, avec des besoins de consommation croissants. Les Chinois, puis les Brésiliens et les Indiens se sont mis à labourer le continent, à bâtir routes et barrages pour le plus grand profit de leurs entreprises et de leurs volumes d’exportation. Les entrepreneurs français, en revanche, commencent tout juste à

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considérer d’un autre œil une Afrique longtemps jugée trop risquée malgré ses taux élevés de profitabilité. Et ils sont encore loin de se bousculer au portillon d’un continent sur lequel ils hésitent encore à miser. Les investissements directs (IDE) français en Afrique, pour l’année 2016, représentent moins de 1 % du total des investissements tricolores dans le monde. Certes, en 2015, ce pourcentage a atteint 14 %, mais, en 2014, il traduisait une baisse… Des déséquilibres qui trahissent un manque d’engouement. Les fonds d’investissement français consacrés à l’Afrique se comptent sur les doigts d’une main, quand ceux en provenance des pays anglo-saxons sont légion.

Exit le paternalisme

ON NE PARLE DÉSORMAIS PLUS D’AIDE AU DÉVELOPPEMENT, UN TERME TROP LIMITATIF, MAIS D’INVESTISSEMENTS SOLIDAIRES.

Le président Macron s’évertue à changer le regard de la France sur l’Afrique depuis le discours de Ouagadougou en novembre 2017. Fini la posture paternaliste et les conseils de bonne gestion, plus ou moins comminatoires, qui servaient à huiler les rouages de la « Françafrique ». Le chef de l’État parle désormais de « partenariat » avec une Afrique qui doit devenir « notre alliée pour inventer les grands équilibres du monde de demain » et fait de l’AFD l’acteur financier et technique chargé de renouveler les liens de la France avec l’ensemble du continent.


Ce renouvellement porte d’abord sur les mots. Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, et Rémy Rioux, directeur général de l’AFD, ne parlent plus d’« aide au développement » – un terme devenu trop limitatif –, mais « d’investissement solidaire ». « Si l’on veut remplir les objectifs du développement durable arrêtés par l’ONU, qui comportent des investissements massifs en faveur du climat, l’aide publique au développement est insuffisante, affirme Rémy Rioux. Il va falloir que le secteur privé participe aussi. Nous sommes en train de passer de l’aide à quelque chose d’autre. » Dès 2019, l’AFD quadruplera le montant de ses dons – son budget augmentera d’un milliard d’euros – et continuera à les concentrer sur le continent. « L’AFD est en train de se transformer pour se mettre à l’écoute de demandes de plus en plus diversifiées », ajoute Rémy Rioux. Comme par le passé, l’Agence coopérera avec les gouvernements, mais également et de plus en plus avec la société civile, les ONG, les collectivités locales et le secteur privé.

Intérêts assumés

Concernant ce dernier, Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans les investissements destinés aux entreprises, est en première ligne. Les deux tiers des moyens budgétaires supplémentaires consacrés au développement d’ici à 2022 seront réservés à l’aide bilatérale, ce qui doit être vu comme un encouragement aux entreprises françaises qui veulent prendre des risques sur le continent et y investir à long terme. « Il faut que nous amenions en Afrique les partenaires compétents dont elle a besoin », souligne le directeur général. Dans l’esprit d’Emmanuel Macron, développer une relation d’égal à égal avec les pays africains suppose d’instaurer un dialogue où chacun exprimera ses intérêts de façon assumée. La France épaulera l’Afrique. Mais elle fera aussi en sorte que

BUSINESS FRANCE À LA RELANCE Le 22 et le 23 octobre prochain, l’agence Business France organise pour la première fois un forum baptisé Ambition Africa 2018, au ministère de l’Économie et des Finances, à Paris (lire page 99). Objectif : renforcer la présence française en Afrique et ainsi mettre en œuvre la stratégie souhaitée l’an dernier par Emmanuel Macron dans son discours de Ouagadougou. Certes, on ne part pas de rien : la France demeure l’un des tout premiers partenaires commerciaux de l’Afrique, et 38 000 de ses entreprises y ont exporté pour plus de 53 milliards d’euros en 2017. Un volume d’investissements qui a été multiplié par sept depuis 2002. Mais il est possible de mieux faire. Afin de renforcer échanges et

partenariats, de contribuer à apporter à l’Afrique – dont la population devrait doubler dans les vingt prochaines années – des outils économiques, financiers et techniques pour accompagner son développement, plus de 3 000 rendez-vous entre entreprises africaines et françaises seront organisés. En parallèle, on parlera climat des affaires, formation professionnelle et financements des entreprises en Afrique au cours de nombreux ateliers. Les besoins des secteurs où se sont positionnées les entreprises françaises, petites et grandes – santé, numérique, transports urbains, accès à l’eau, déchets, agro-industrie – seront également analysés en détail. A.F.

ses entreprises y trouvent leur compte et espère bien enregistrer des résultats en matière d’exportations et d’emploi. Une orientation qui suscite un sentiment partagé parmi les ONG françaises. Philippe Jahshan, président de Coordination Sud, qui fédère ces organisations, applaudit la fin du discours « misérabiliste » sur l’Afrique, mais s’interroge sur le fait de savoir « si la politique de la France sera solidaire ou seulement pro-business ». Pour lui, deux marqueurs permettront de trancher : l’appui à la gouvernance démocratique et la lutte contre l’évasion fiscale. En ce qui concerne cette dernière, dit-il, « il faut avoir recours à l’impôt pour donner plus de moyens aux administrations africaines. L’apport de fonds privés est certes nécessaire, mais, si la capacité d’intervention publique n’est pas renforcée, le développement ne sera pas au rendez-vous ».



Grand format AFRIQUE-FRANCE

Christophe Lecourtier

Directeur général de Business France

« Il faut convaincre les entreprises de passer à l’acte » Propos recueillis par ALAIN FAUJAS

GILLES CRAMPES

Quelle place occupe l’Afrique dans la stratégie de Business France ? Les temps sont propices pour adopter une attitude volontariste vis-à-vis de l’Afrique et promouvoir un grand nombre de partenariats économiques et commerciaux entre entreprises africaines et françaises. Ces dernières manifestent un intérêt de plus en plus prononcé pour le continent. Notre rôle est de favoriser leur passage à l’acte, entre cet intérêt de principe et la réalisation d’un projet. Nous le faisons en accompagnant les entreprises sur le terrain, afin qu’elles rencontrent les bons interlocuteurs et nouent des partenariats. L’enjeu est de donner à un plus grand nombre d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) et de PME, après une préparation adaptée, toutes les chances de réussir, pour faire de l’Afrique un marché croissant pour leurs exportations et leurs investissements. La stratégie des équipes Business France-Chambre de commerce et d’industrie consiste à identifier les entreprises dont l’activité correspond à certains besoins en Afrique, à les convaincre de se lancer dans l’aventure, à les y préparer et à les accompagner. Business France appuie aussi les initiatives de codéveloppement et de croissance partagée : Club

Ville durable, à Abidjan, Security Day, à Dakar, avec les acteurs de l’écosystème africain du numérique, French Tech Hub, en Côte d’Ivoire et en Afrique du Sud. L’Afrique représente 15 % de la programmation événementielle de notre agence, et 15 % des entreprises qui font appel à nous sont intéressées par l’Afrique. Comment travaillez-vous ? Ces cinq dernières années, Business France a considérablement renforcé son maillage du continent africain.

L’Agence n’avait que trois bureaux en 2012 (Johannesburg, Alger et Tunis), sept autres ont ouvert (Lagos, Nairobi, Luanda, Abidjan, Douala, Dakar et Addis-Abeba). Aujourd’hui, 75 collaborateurs présents sur dix sites couvrent 26 pays grâce à l’appui des ambassades et à celui d’un réseau de correspondants privés dont nous garantissons la qualité des prestations. Nos équipes en France et en Afrique décident chaque année, en concertation avec les partenaires institutionnels et les organisations professionnelles, d’un programme de rencontres. En 2019, 90 événements sont d’ores et déjà prévus sur le continent dans des secteurs porteurs comme l’énergie, la ville durable, les transports urbains et ferroviaires, la santé, l’agriculture, l’e-paiement, l’e-commerce, l’e-éducation, la sécurité industrielle, le machinisme agricole, l’emballage alimentaire, les cosmétiques et le sport. Combien d’entreprises se lancent effectivement dans l’aventure ? En 2017, 41 % des entreprises accompagnées par Business France et interrogées par Ipsos-GFK ont conclu un contrat ou prévu d’en conclure un, et ce pourcentage est même passé à 47 % au premier semestre de 2018. C’est un excellent signe! jeuneafrique no 3014 du 14 au 20 octobre 2018

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ANNONCES CLASSÉES

Concernant cette rubrique, adressez-vous à Fabienne Lefebvre Tél. : 01 44 30 18 76 - Fax : 01 44 30 18 77 - Email : f.lefebvre@jeuneafrique.com DIFCOM Régie publicitaire centrale du Groupe Jeune Afrique 57 bis, rue d’Auteuil 75016 Paris - France

SHELTER-AFRIQUE - AVIS DE VACANCE DE POSTE

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SHELTER-AFRIQUE est une Institution financière pan-africaine de développement spécialisée dans l’immobilier et dans le développement urbain des pays africains. La société fournit des services de conseil et de gestion de projet pour la réalisation de grands projets de logement abordable, ainsi que des lignes de crédit à des institutions financières pour financer l’accès à un logement abordable dans 44 pays africains. La société invite les candidats de ressortissants de ses pays membres dûment qualifiés à pourvoir le poste de Chef de la gestion des risques d’entreprise, disponible au siège de la société à Nairobi.

APPEL D’OFFRES - RECRUTEMENT

Rôle principal Relevant du directeur général, le Chef de la gestion des risques d’entreprise élaborera et mettra en œuvre un solide cadre de gestion des risques d’entreprise visant à minimiser les risques potentiels et réels; et développer des initiatives appropriées pour gérer efficacement les risques aux niveaux stratégique et opérationnel. Les principales responsabilités comprendront : a) Développer et mettre en œuvre un cadre de risques complet qui guidera les opérations de SHAF ; b) Aligner le cadre de gestion des risques de SHAF, ses programmes de risques sous-jacents et ses processus pour s’assurer que l’organisation se conforme aux meilleures pratiques applicables du secteur et aux directives réglementaires mondiales ; c) Concevoir et mettre en œuvre des programmes visant à améliorer l’identification des risques, l’évaluation des risques, l’appétence au risque et les infrastructures de rapports sur les risques ; d) Diriger des projets spéciaux de GRE, tels que la formation aux risques d’entreprise, l’automatisation des outils de gestion des risques, l’extension des outils d’automatisation des risques, les politiques et la documentation de GRE, et la certification ISO pour faire progresser la responsabilité et la culture des risques ; e) Concevoir des politiques, processus, directives, rapports d’évaluation et de gestion des risques, et surveiller leur mise en œuvre effective ;

f) Développer des initiatives appropriées pour atténuer le niveau d’exposition au risque de l’organisation ; g) Coordonner et superviser la mise en œuvre du cadre de politique de gestion des risques de la société ; Qualifications, aptitudes et compétences minimales a) Maîtrise en administration des affaires, finance / comptabilité, économie, sciences actuarielles, gestion des risques ou dans des domaines connexes ; b) Doit posséder une qualification professionnelle en gestion des risques ou en finance ; c) Au moins dix (10) années d’expérience en gestion des risques ; d) Doit maîtriser la gouvernance, le contrôle et le risque ; e) Doit avoir des normes élevées d’intégrité et de pratique éthique ; f) Doit avoir des compétences en gestion et en leadership ; g) Doit maîtriser l’anglais ou le français et avoir une bonne connaissance pratique de l’autre langue. La maîtrise des deux langues sera un atout supplémentaire. Dossiers de candidatures: Les candidats sont invités à envoyer une lettre d’accompagnement illustrant leur pertinence par rapport aux qualifications listées et à leur curriculum vitae détaillé, ainsi que les noms et adresses des références, à executiveroles@shelterafrique.org Les candidats doivent indiquer le poste recherché en objet dans leur lettre de candidature par courriel. La date limite de soumission est le 21 octobre 2018. Seuls les candidats pré-sélectionnés répondant aux critères ci-dessus seront contactés. Nous vous invitons à en apprendre davantage sur Shelter-Afrique et sur ce poste et une description de poste détaillée en consultant notre site Web : http://www.shelterafrique.org

Avis d’Appel d’Offres International ASECNA/DETD/1822/2018 Dans le cadre de la mise en oeuvre de son Plan des Services et Equipements (PSE) 2018-2022, l’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) lance un Appel d’Offres International Ouvert pour l’Acquisition et remplacement / mise à niveau des systèmes de commutation automatique de messages SMT et postes clients – Mise en oeuvre du système d’information de l’OMM (SIO) Le Dossier d’Appel d’Offres (DAO) peut être consulté sur le site web de l’ASECNA (www.asecna.aero)et retiré à partir du 09 octobre 2018 contre le paiement obligatoire d’une somme non remboursable de Deux Cent Mille (200.000) de Francs CFA, soit Trois Cent Quatre Euros Quatre Vingt Dix Centimes (304,90 €) à la Direction des Etudes et Projets (ASECNA) sis à l’aéroport Léopold Sédar Senghor, BP 8163 Dakar – Yoff, Sénégal, Téléphone : +221 33 869 51 20, à la Délégation de l’ASECNA à Paris, 75 Rue la Boétie – 75008 Paris – France, Téléphone : +33 1 44 95 07 07 ou dans les Représentations de l’ASECNA auprès des Etats membres. La date limite de remise des offres à la Direction des Etudes et Projets (ASECNA) à Dakar, Aéroport Léopold Sédar SENGHOR, Dakar-Yoff (Sénégal) est fixée au 29 novembre 2018 à 12 heures (T.U.). Aucune offre arrivée hors délai ne sera acceptée. Toute offre déposée à tout autre endroit à l’ASECNA, se fera aux risques du soumissionnaire et ne sera pas prise en compte. L’ouverture des offres en séance publique devant les soumissionnaires (ou leurs représentants) qui le désirent, aura lieu le même jour (29 novembre 2018) à 13 heures (T.U.) dans la salle de réunion de la Direction des Etudes et Projets à Dakar-Yoff (Sénégal). Le Directeur Général

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ANNONCES CLASSÉES

Avis d’Appel d’Offres International Limité aux Pays Membres (AAOI/PM)

Mode de Financement : Istisna’a Accord de Financement du 11 octobre 2014 Code Projet : 2 IVC 0032 Date : 14 octobre 2018 - AAO N° T 667/2018

1. Le Gouvernement de la République de Côte d’Ivoire a obtenu un financement d’un montant de 27,75 millions d’Euros de la Banque Islamique de Développement (BID) pour financer le Projet d’approvisionnement en eau potable des villes de l’Est (Bouna, Bondoukou), et a l’intention d’utiliser une partie de ce financement pour effectuer les paiements éligibles au titre du Marché pour : Lot 2.2 : Travaux de fourniture et de pose d’une conduite en fonte ductile (40 km), pièces spéciales de raccordement et robinetteries. Le délai d’exécution des travaux est de Vingt-quatre (24) mois à compter de la date de notification de démarrage des travaux à l’adjudicataire du marché par l’Agence d’exécution dudit projet. 2. Le Ministère de l’Hydraulique à travers l’Office National de l’Eau Potable, Agence d’exécution dudit projet, sollicite des offres sous pli fermé de la part de soumissionnaires éligibles pour exécuter les Travaux de fourniture et de pose d’une conduite en fonte ductile (40 km), pièces spéciales de raccordement et robinetteries. Le marché sera passé sur prix unitaires.

4. Les soumissionnaires intéressés peuvent obtenir le Dossier d’Appel d’Offres complet en formulant une demande écrite à l’adresse mentionnée ci-dessus contre un paiement non remboursable de Cent mille (100.000) Francs CFA. La méthode de paiement sera de l’espèce. 5. L’Appel d’Offres se déroulera conformément aux procédures spécifiées dans les Directives pour la passation des marchés financés par la Banque Islamique de Développement, Édition de Mai 2009 révisée en Février 2012 (version anglaise). Il est ouvert à toutes les entreprises des Pays membres de la BID, excepté ceux régis par la règle du boycott de la clause 1.7 des directives de la banque pour l’acquisition des biens et travaux et la clause 5 des Instructions aux soumissionnaires et la Section V du dossier d’appel d’Offres. 6. Les offres devront être soumises à l’adresse ci-dessus au plus tard le 17/12/2018 à 10 heures GMT. Les offres doivent comprendre une garantie de soumission d’un montant de Cent treize millions (113.000.000) de Francs CFA. 7. Les offres seront ouvertes en présence des représentants des soumissionnaires qui le souhaitent à la Salle de conférence de l’Office National de l’Eau Potable le 17/12/2018 à 10 heures 30 minutes GMT.

Avis d’Appel d’Offres International Limité aux Pays Membres

APPEL D’OFFRES

3. Les soumissionnaires éligibles et intéressés peuvent obtenir des informations et prendre connaissance des documents d’Appel d’offres auprès de l’Office National de l’Eau Potable, Unité de Gestion du Projet (UGP) AEP BID Est CI ; M. KOUADIO Delphin, Deux Plateaux VALLONS,

rue J 93 – ILOT 212 LOT 2470, 04 BP 42 Abidjan 04, Tél. : (+225) 22-51-43-00/22-52-47-16/17, Fax : (+225) 22-41-26-28, k.delphin@onepci.net et kouadiodelfin@yahoo.fr.

(AAOI/PM)

Mode de Financement : Istisna’a Accord de Financement du 11 octobre 2014 Code Projet : 2 IVC 0032 Date : 14 octobre 2018 - AAO N° T 668/2018

1. Le Gouvernement de la République de Côte d’Ivoire a obtenu un financement d’un montant de 27,75 millions d’Euros de la Banque Islamique de Développement (BID) pour financer le Projet d’approvisionnement en eau potable des villes de l’Est (Bouna, Bondoukou), et a l’intention d’utiliser une partie de ce financement pour effectuer les paiements éligibles au titre du Marché pour : Lot 2.3 : Travaux de construction d’un Barrage sur la rivière Kanon pour l’approvisionnement en eau potable de la ville de Bondoukou et localités environnantes. Le délai d’exécution des travaux est de Vingt-quatre (24) mois à compter de la date de notification de démarrage des travaux à l’adjudicataire du marché par l’Agence d’exécution dudit projet. 2. Le Ministère de l’Hydraulique à travers l’Office National de l’Eau Potable, Agence d’exécution dudit projet, sollicite des offres sous pli fermé de la part de soumissionnaires éligibles pour exécuter les Travaux de construction d’un Barrage sur la rivière Kanon pour l’approvisionnement en eau potable de la ville de Bondoukou et localités environnantes. Le marché sera passé sur prix unitaires. 3. Les soumissionnaires éligibles et intéressés peuvent obtenir des informations et prendre connaissance des documents d’Appel d’offres auprès de l’Office National de l’Eau Potable, Unité de Gestion du Projet (UGP) AEP BID Est CI ; M. KOUADIO Delphin, Deux Plateaux VALLONS,

rue J 93 – ILOT 212 LOT 2470, 04 BP 42 Abidjan 04, Tél. : (+225) 22-51-43-00/22-52-47-16/17, Fax : (+225) 22-41-26-28, k.delphin@onepci.net et kouadiodelfin@yahoo.fr. 4. Les soumissionnaires intéressés peuvent obtenir le Dossier d’Appel d’Offres complet en formulant une demande écrite à l’adresse mentionnée ci-dessus contre un paiement non remboursable de Cent mille (100.000) Francs CFA. La méthode de paiement sera de l’espèce. 5. L’Appel d’Offres se déroulera conformément aux procédures spécifiées dans les Directives pour la passation des marchés financés par la Banque Islamique de Développement, Édition de Mai 2009 révisée en Février 2012 (version anglaise). Il est ouvert à toutes les entreprises des Pays membres de la BID, excepté ceux régis par la règle du boycott de la clause 1.7 des directives de la banque pour l’acquisition des biens et travaux et la clause 5 des Instructions aux soumissionnaires et la Section V du dossier d’appel d’Offres. 6. Les offres devront être soumises à l’adresse ci-dessus au plus tard le 18/12/2018 à 10 heures GMT. Les offres doivent comprendre une garantie de soumission d’un montant de Quatre-vingt-onze millions (91.000.000) de Francs CFA. 7. Les offres seront ouvertes en présence des représentants des soumissionnaires qui le souhaitent à la Salle de conférence de l’Office National de l’Eau Potable le 18/12/2018 à 10 heures 30 minutes GMT.

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ANNONCES CLASSÉES

Avis d’Appel d’Offres – Cas sans pré qualification Avis d’appel d’offres international Autorité des Régulations des Télécommunications et des Postes (ARTP) Fourniture d’équipements pour laboratoire d’homologation AO/2018/08/ARTP/DG/DCQ

APPEL D’OFFRES

1. Cet Avis d’appel d’offres fait suite à l’Avis Général de Passation des Marchés paru dans « Le Soleil » du 14326 du 26 février 2018. 2. L’ARTP a obtenu dans le cadre de son budget 2018 des fonds, afin de financer la fourniture d’équipements pour laboratoire d’homologation et à l’intention d’utiliser une partie de ces fonds pour effectuer des paiements au titre du Marché « Fourniture d’équipements pour Laboratoire d’homologation », n° AO/2018/08/ARTP/DG/DCQ.

La formation à prévoir à Dakar concerne un effectif de 5 ingénieurs et de 5 techniciens pour d’une durée de 5 jours ; - La disponibilité des moyens matériels adéquats : outillage d’installation, équipements de tests électroniques, logiciels de configuration ; - Le soumissionnaire doit apporter la preuve que le type de matériel proposé a déjà été commercialisé dans au moins deux (2) pays autres que celui du fabricant. Ce matériel doit avoir fonctionné dans au moins un (1) pays ayant les conditions similaires à celles du Sénégal.

3. L’ARTP sollicite des offres sous pli fermé de la part de candidats éligibles et répondant aux qualifications requises pour fournir des équipements pour un laboratoire d’homologation.

Une marge de préférence applicable à certaines fournitures fabriquées dans les Etats membres de l’UEMOA sera octroyée aux candidats éligibles. Voir le document d’Appel d’offres pour les informations détaillées.

4. La passation du Marché sera conduite par Appel d’offres ouvert tel que défini dans le Code des Marchés publics, et ouvert à tous les candidats éligibles.

7. Les candidats intéressés peuvent obtenir un dossier d’Appel d’offres complet en formulant une demande écrite à l’adresse mentionnée ci-après : l’Autorité de Régulation de Télécommunications et des Postes, Immeuble Thiargane, Rond Point Mermoz, Place OMVS, contre un paiement non remboursable de 25.000 F CFA (vingt-cinq mille). La méthode de paiement sera par chèque certifié au nom de l’ARTP ou en espèces. Le document d’Appel d’offres sera adressé par retrait au niveau de l’ARTP ou téléchargeable sur les sites www.artp.sn ou www.marchespublics.sn. Un exemplaire du dossier sera disponible pour être consulté gratuitement sur place par les candidats qui le souhaitent.

5. Les candidats intéressés peuvent obtenirdes informations auprès de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes auprès de Monsieur Pape Ciré CISSÉ (Email : pc.cisse@artp.sn) ou de Monsieur Léon Pierre SAGNA (Email : leon.sagna@artp.sn) ; et prendre connaissance des documents d’Appel d’offres à l’adresse mentionnée ci-après : Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes, Immeuble Thiargane, Rond-Point OMVS ; ouvert du lundi au jeudi de 8.00 à 17 heures 30 minutes et le vendredi de 8.00 à 13 heures. 6. Les exigences en matière de qualification sont : - La production des états financiers certifiés du candidat pour les années, 2015, 2016 et 2017 ; - La mise à disposition d’avoir en liquidités et/ou de facilités de crédit, nets d’autres engagements contractuels et de toute avance qui serait versée en vertu du Marché, d’un montant au moins équivalent à 100 millions de FCFA ; - La réalisation d’au moins, un (1) marché de nature et de taille similaires durant les cinq (5) dernières années 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017. Le soumissionnaire devra disposer d’une expérience d’au moins cinq (05) ans dans le domaine objet de l’appel d’offres et d’une équipe ayant une bonne connaissance du fonctionnement des réseaux de télécommunications ; - La capacité d’exécuter les obligations contractuelles en matière de formation du personnel en proposant un profil d’ingénieur en Télécommunications ou Electronique ou équivalent ayant un niveau bac+4 et au moins cinq (5) années d’expérience et de solides connaissances dans le domaine objet de l’appel d’offres. Le candidat devra justifier cette capacité en produisant le curriculum vitae du profil proposé et la preuve de l’exécution de la formation ciblée.

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8. Les offres devront être soumises à l’adresse ci-après : Autorité de Régulation de Télécommunications et des Postes, Immeuble Thiargane, Rond Point Mermoz, Place OMVS, 4ème étage au plus tard le 29 novembre 2018 à 10 heures. Les offres soumises après la date et heure limite de dépôt des offres, ne seront pas acceptées. Les offres seront ouvertes en présence des représentants des candidats présents à l’adresse ci-après : ARTP, Immeuble Thiargane, Rond Point Mermoz, Place OMVS le 29 novembre 2018 à 10 heures. Les offres doivent comprendre une garantie de soumission d’un montant de 4 000 000 FCFA. La garantie de soumission doit être délivrée par une banque ou une compagnie d’assurance ou un établissement financier agréé par le Ministère de l’économie, des Finances et du Plan pour les candidats de droit sénégalais. Pour les candidats communautaires et ceux non communautaires, cette garantie doit être délivrée par un organisme équivalent dans l’Etat dont ils sont ressortissants. Les offres demeureront valides pendant une durée de 90 jours à compter de la date limite de soumission. La garantie de soumission demeurera valide pendant 28 jours après l’expiration de la durée de validité des offres. Le Directeur Général


ANNONCES CLASSÉES

RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE DE MAURITANIE Honneur – Fraternité – Justice AUTORITÉ DE RÉGULATION

Avis d’appel d’offres pour l’attribution de licences en vue de l’établissement et l’exploitation de réseaux et services de communications électroniques ouverts au public en Mauritanie La République Islamique de Mauritanie a décidé de procéder à l’attribution de nouvelles licences pour l’établissement et l’exploitation de réseaux et services de communications électroniques en vue de fournir des services de communications électroniques mobiles de deuxième, troisième et quatrième génération ouverts au public (2G/3G/4G) en Mauritanie. Les licences seront attribuées dans le cadre d’un appel d’offres conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur. L’appel d’offres vise deux types de licences : - Des licences dites 4G, permettant d’utiliser les technologies 4G pour la fourniture de services de communications électroniques aux profits des opérateurs détenteurs de licences 2G/3G en Mauritanie ; - Une licence dite 2G/3G/4G à un nouvel opérateur lui permettant d’utiliser les technologies 2G/3G/4G, pour la fourniture de services de communications électroniques en Mauritanie.

- Lot 1 : réservé aux opérateurs disposant d’une licence 2G/3G en Mauritanie. Ce lot comprend trois (3) licences de type 4G. - Lot 2 : réservé aux opérateurs ne disposant pas d’une licence 2G/3G en

Le calendrier de l’appel d’offres est le suivant : - Lancement de l’appel d’offres le 02 octobre 2018 ; - Date limite pour demander des éclaircissements sur le dossier : 20 novembre 2018 à 10h00 (heure de Nouakchott) ; - Remise des dossiers de soumission au plus tard le 5 décembre 2018 à 12h00 (heure de Nouakchott). Les entreprises intéressées sont invitées à retirer le dossier d’appel d’offres auprès de l’Autorité de Régulation contre le versement de la somme de cent mille (100 000) ouguiyas MRU. Contacts : Autorité de Régulation Direction des télécommunications et de la poste Zone résidentielle D Rue 23023 Ksar - BP 4908 Nouakchott- Mauritanie Tél. : (222) 45 29 12 41 - Fax : (222) 45 29 12 79 Email : dtp4g@are.mr Le Président du Conseil National de Régulation Cheikh Ahmed OULD SIDAHMED

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APPEL D’OFFRES - DIVERS

Le nombre maximal de licences susceptibles d’être attribuées au terme de l’appel d’offres est de quatre (4) au total pour les deux types de licences repartis entre les deux lots suivants :

Mauritanie. Ce lot comprend une seule licence 2G/3G/4G.

00352 621 355 134

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AVIS D’APPEL D’OFFRES Pour avoir accès à l’intégralité de cet avis d’appel d’offres, nous vous prions de bien vouloir consulter les sites d’internet : www.bceco.cd ; www.mediacongo. net ; www.armp-rdc.ord et www.dare-dare.net. La date limite de remise des offres est prévue pour le mardi 27 novembre 2018 à 15H00 (TU+1) à l’adresse ci-dessous du BCECO. Les soumissions seront ouvertes physiquement à ladite adresse en présence des soumissionnaires qui souhaitent assister à la séance publique d’ouverture des plis qui aura lieu le même jour à 15H30 (TU+1). Bureau Central de Coordination (BCECO) Avenue Colonel Mondjiba, n° 372 - Complexe Utexafrica - Ngaliema - Kinshasa - R.D.Congo ; Tél. : (+243) 815136729 - Email : bceco@bceco.cd avec cc : dpm@bceco.cd ; bcecooffre@bceco.cd ; dpmoffre@bceco.cd

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LE COURRIER DES LECTEURS Envoyez-nous vos réactions, vos réflexions, vos coups de gueule ou de cœur à courrier@jeuneafrique.com ou au 57 bis, rue d’Auteuil, 75016 Paris CQJC

Non, le Japon ne rejette pas les immigrés !

J’ai soupiré en lisant le début du « CQJC » (JA no 3012, du 30 septembre au 6 octobre) dans lequel BBY affirme que le Japon rejette les immigrés et interdit les mariages mixtes. Il fait sans doute allusion à un récent projet du gouvernement japonais de limiter la durée de séjour des travailleurs étrangers à cinq ans. Le ministre de la Justice qui porte le projet se place dans la droite ligne des prétendus descendants de samouraïs, mais nul ici n’imagine son plan réalisable tel quel. Le Japon était jadis un pays pauvre, exportateur d’immigrés, et ce n’est que très récemment qu’il a commencé à recevoir des travailleurs étrangers. S’il paraît réticent à les

JA no 3012, du 30 septembre au 6 octobre.

accueillir, c’est qu’il n’y est pas habitué. Il procède alors à leur légalisation avec prudence, ne souhaitant pas reproduire les erreurs des autres grands pays. Pour autant, la quête de l’égalité entre les hommes est notre cause, comme le prouve la proposition faite par la délégation japonaise, il y a déjà quatre-vingt-dix-neuf ans, d’inscrire le principe de l’égalité des races dans la charte de la Société des nations. Les Japonais ne prônent ni la pureté ni la

CAMEROUN

Quelque chose a changé

L’élection présidentielle au Cameroun aura été très rassurante pour les citoyens: la sacralisation de la fonction de chef de l’État faisait douter, dans l’imaginaire populaire, de la capacité d’autres compatriotes à l’assumer. Ils ont eu droit à une belle campagne électorale au cours de laquelle les neuf candidats ont tous démontré leur capacité à être président de la République. Au moins huit autres Camerounais peuvent valablement remplacer Paul Biya. L’histoire politique du pays évolue: les prochains présidents auront à rendre des comptes à des citoyens désormais vigilants. Félicitations aux différents candidats pour le sérieux avec lequel ils se sont présentés devant leurs électeurs. PARFAIT ROGER NKOULOU MFOULOU, Douala, Cameroun

noblesse du sang. Quant à la supposée interdiction des mariages mixtes, elle est démentie par le nombre de couples mixtes sur le sol nippon. S’agissant enfin du problème de la natalité, il se résoudra, et le Japon sera plus fort que jamais. YUICHI KASUYA, Kanazawa, Japon

ÉTATS-UNIS

Un ange à l’agonie

On est frappé par la schizophrénie des États-Unis, pays semblable à une créature mi-ange, mi-démon, le corps déchiré par des pulsions et des rêves contraires. Ces deux visages sont si intimement mêlés qu’il est impossible de les distinguer. Jamais un pays n’a été autant mythifié, notamment par la force des images. Ainsi, on parcourt les États-Unis avec un sentiment de déjà-vu ; il imprègne tant nos imaginaires qu’on ne le découvre jamais tout à fait, le mythe précédant toujours la réalité. Et ce mythe a sa part de vérité. L’American Dream, par exemple, n’est pas qu’un fantasme. Un homeless des rues de Chicago m’a affirmé que tout le monde peut réussir ici, alors même qu’il était très critique à l’égard des inégalités économiques et du racisme structurel. Ce ressenti est le même chez de nombreux immigrés arrivés sans le sou mais qui ont pu s’épanouir. Les success-stories ne

manquent pas. Le pays est une vaste machine à créer des rêves qui fédèrent tous les imaginaires. Puis il y a ce mot qui revient dans toutes les conversations avec les Américains: freedom – la liberté d’être, de s’exprimer, de se construire, de s’inventer. La force de cette civilisation tient peut-être justement à ce mot. Freedom. Comme un idéal de tous les instants, tendu au loin, qui génère une incroyable énergie. Mais ce rêve et cette liberté sont embourbés dans les contradictions, entre autres, d’une histoire jonchée de souffrances, celle de l’esclavage notamment, et qui se perpétue dans les structures d’une société inégalitaire. Et l’élection de Trump a mis en exergue la montée de l’extrême droite, du nationalisme blanc, tandis que sa politique économique ultralibérale exacerbe ces inégalités. Le racisme est omniprésent. Les deux visages des États-Unis sont finalement ceux d’un ange à l’agonie, enchaîné à sa monstruosité, écrasé par le poids d’un idéal et subjugué par l’appel du vide. On est surpris par la générosité des uns et des autres, par cette belle âme américaine paradoxalement séduite par les dérives fascisantes. Le corps de ce pays puissant, convulsé, tourmenté, est une métaphore du monde à venir. UMAR TIMOL, Port-Louis, île Maurice

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POST-SCRIPTUM Fouad Laroui

Y a-t-il une grande personne dans la salle ? es Antimémoires de Malraux s’ouvrent sur un dialogue avec un mystérieux « aumônier du Vercors » ou « abbé des Glières » qui, quand le narrateur lui demande ce qu’il a retenu de son long commerce avec les hommes, répond, désabusé: « Le fond de tout, c’est qu’il n’y a pas de grandes personnes. » Quand j’étais petit, je croyais, comme tous les petits, que les grandes personnes savaient tout, qu’elles agissaient avec discernement, qu’elles ne se trompaient jamais. Avec le temps, et les contre-exemples se multipliant, cette notion se modifia quelque peu. Oui, certains « grands » se comportaient parfois comme des enfants. Idi Amin Dada fut pour moi la révélation. Ce gros bébé sanguinaire, qui ruina son pays et devint la risée du monde par ses excentricités (ne se proclama-t-il pas roi d’Écosse?), avait sa place dans la cour de récréation, pas dans les sommets des chefs d’État. Par la suite, la liste des enfants grimés en adultes s’allongea. Kadhafi avait l’âge mental de ceux « qui font les malins », en classe de sixième, pour impressionner les petites filles. Même une figure tragique comme Saddam Hussein ne cachait, sous le masque, qu’un sale gosse sans cervelle. J’appris que Mswati III, roi du Swaziland, collectionnait les voitures de luxe comme les petits garçons les modèles réduits (ah ! les Dinky Toys de notre enfance…). Quand il jouait avec sa nombreuse progéniture, la nurse avait

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sans doute du mal à le distinguer dans la mêlée. Aujourd’hui, le président des Philippines, Rodrigo Duterte, et le crétin illettré qui dirige les États-Unis à coups de tweets me rappellent Hakim et Thierry, les deux brutes miniatures qui nous harcelaient à l’école Charcot d’El Jadida. Heureusement, il restait l’Angleterre. À Cambridge, à Londres, à York, pendant plusieurs années j’eus sous les yeux de quoi contredire, à première vue, l’abbé des Glières. L’ouverture solennelle du Parlement, la City, les ministres affairés, le Foreign Office et ses arabisants distingués, tout cela m’impressionnait grandement. C’était des grandes personnes, et je redevenais enfant à les regarder de loin, sur le petit écran ou sur le trottoir de Whitehall. Ils auraient offert au Maure fluet des bonbons à Hyde Park, je les aurais pris en bredouillant thank you.

professions de foi, l’une en faveur du Brexit, l’autre contre. Il choisit au dernier moment la première, pour favoriser sa carrière. Aucun sens de l’intérêt général. Le Premier ministre, Theresa May, est une ado apeurée qui « surcompense » en singeant (mal) la maîtresse d’école. En face d’elle, Corbyn joue au pirate chaque mercredi pendant le traditionnel « Prime Minister’s Question Time ». Personne, absolument personne, n’avait prévu les conséquences du Brexit. On découvre que le monde n’est pas un conte de fées. Est-on plus adulte ailleurs? Pendant ce temps, la planète étouffe, le plastique envahit les océans, la nature se rabougrit. Mais qu’est-ce qu’on s’amuse en classe, qu’est-ce qu’on chahute, qu’est-ce qu’on fait rager le maître! Mais au fait, il est où, le maître?

Theresa May est une ado apeurée qui « surcompense ».

Où est le maître ?

Et puis, patatras, le Brexit! Deux ans à suivre en direct (vive la BBC!) les péripéties de ce mélodrame politique… La conclusion s’impose : l’abbé avait raison. Il n’y a pas de grandes personnes. Boris Johnson est un garnement qui dit des gros mots en latin. On sait maintenant qu’avant la campagne du référendum il avait rédigé deux

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