JA 3036 DU 17 AU 23 MARS 2019 GRAND FORMAT MALI

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INTÉGRATION

BOUTEFLIKA L’Algérie sans lui

Des paroles aux actes

Kigali, 25-26 mars 2019

SÉNÉGAL À quoi joue Abdoulaye Wade ?

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 3036 DU 17 AU 23 MARS 2019

Six mois après sa réélection, le président est enfin parvenu à décrisper le climat politique. Pour mener à bien la réforme de la Constitution et des institutions, le moment est donc propice. Enjeu? La relance de la croissance, l’apaisement des tensions sociales et sécuritaires. Et, in fine, son propre bilan. Spécial 26 pages

IBK Seconde chance .

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ÉDITION MALI

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France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 €

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Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 5 € Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 7 FS Tunisie 4 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2000 F CFA ISSN 1950-1285


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GRAND FORMAT

DEAGOSTINI/GETTY IMAGES

Pour tout comprendre de l’évolution d’un pays

MALI

Le sursaut

Fruit d’une prise de conscience collective, une nouvelle dynamique est à l’œuvre au sein de la classe politique, de la société civile et des milieux d’affaires. De quoi enfin engager les réformes institutionnelles et le recentrage économique nécessaires au redressement du pays ? jeuneafrique no 3036 du 17 au 23 mars 2019

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110 ENJEUX

Constitutionnellement vôtre

114 Vie des partis

François Soudan

Nouveaux équilibres

116 Sécurité

Kidal en semi-liberté

118 L’infographie Cartes à rebattre

Planète Mali ’est une année charnière pour Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), celle où se jouera l’héritage qu’il laissera à son peuple à l’issue de son ultime mandat en 2023, celle aussi où se décidera une partie de l’avenir du Mali. Pour la première fois depuis longtemps, un fragile alignement des planètes semble se mettre en place en ce début de 2019. Certes, le front social demeure agité, mais la crise postélectorale est en grande partie digérée, et une sorte de consensus se dessine entre les acteurs politiques pour enfin appliquer les dispositions clés de l’accord de paix signé il y a près de quatre ans à Alger. Au premier rang : la mise en œuvre d’un nouveau cadre institutionnel équilibré, lequel passe par une réforme de la décentralisation d’autant plus délicate à mener qu’il convient absolument d’éviter que des groupes, dont la seule légitimité est d’être armés, s’y taillent la part du lion. Une prise de conscience collective de la nécessité d’une nouvelle loi fondamentale incluant ces modifications, via un référendum qui pourrait être couplé avec les élections législatives avant l’hivernage, était un préalable. C’est désormais (presque) une réalité. Mise à mal par la présidentielle de 2018, la culture du consensus refait son apparition au Mali. La sagesse d’IBK, l’entregent de son Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, et les réflexes d’homme d’État du chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, y sont pour beaucoup. Face à une situation sécuritaire aussi mouvante que préoccupante, ce sursaut de patriotisme est il est vrai indispensable. Malgré les succès tactiques remportés dans l’Est et le Nord par la coalition franco-onusienne, l’opérationnalisation croissante de l’armée malienne dans le Centre et l’entrée en

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121 Tribune

Par Moussa Mara Ancien Premier ministre, président du parti Yelema

scène de la force régionale du G5 (rarement pays aura bénéficié d’un tel appui militaire pour recouvrer sa stabilité), les réseaux du jihadisme armé ne cessent de renaître, de s’étendre et de frapper sans plus se soucier désormais de contrôler des portions de territoire. Mettant à profit des conflits fonciers et communautaires séculaires, ces groupes terroristes « arment littéralement les clivages locaux existants, préalablement exprimés de manière non violente […] Puis les relabellisent en tant que jihad armé », écrit le chercheur Yvan Guichaoua dans une récente tribune publiée sur jeuneafrique.com. Expérimentée dans le Macina malien et désormais exportée avec une inquiétante facilité au cœur du maillon faible burkinabè, cette stratégie conduit les armées nationales du Sahel à s’appuyer sur des milices locales de contre-guérilla aux méthodes souvent expéditives, leurs adversaires jihadistes multipliant de leur côté les échanges logistiques avec les trafiquants de drogue, d’or et de cigarettes.

124 ÉCONOMIE

Pas d’avancée sans le privé

131 Interview

Boubou Cissé Ministre de l’Économie et des Finances

134 Mines

Une filière en or

138 SOCIÉTÉ

Fibre laïque et influence religieuse

144 Entretien avec Adame Ba Konaré Historienne, ancienne première dame

Ce qui pourrait arriver de mieux

Tous les gouvernements qui se sont succédé à la tête du Mali depuis une vingtaine d’années ont leur part de responsabilité dans l’affaissement de l’autorité de l’État. Dès lors, s’obstiner pour des motifs politiciens à faire de celui d’IBK l’unique bouc émissaire et ajouter une crise de légitimité à une crise sécuritaire n’avait guère de sens. Ibrahim Boubacar Keïta est l’hôte du palais de Koulouba pour quatre ans et cinq mois encore. En 2023, assurait-il à JA en juillet dernier, il passera la main « sans hésitation aucune ». Autant dire que la voie est ouverte pour ce qui pourrait arriver de mieux au Mali : un débat politique enfin apaisé et responsable.

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ENJEUX Six mois après le début de son second mandat, IBK relance le projet de révision de la Constitution. Mais si la classe politique s’accorde désormais sur la nécessité d’opérer des changements, des divergences demeurent quant à leurs modalités. AÏSSATOU DIALLO, envoyée spéciale

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n appel manqué et un SMS signé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). C’est ce qu’affiche le téléphone de Soumaïla Cissé, ce 14 février. Le chef de l’État demande au chef de file de l’opposition de le rappeler. Cissé croit d’abord à un canular. Il n’en est rien. IBK le rappelle. Et les deux hommes finissent par décider d’une rencontre en tête-à-tête le 26 février. Une occasion inespérée, pour les protagonistes du second tour de la présidentielle de 2018, de renouer le dialogue. État des lieux politique et sécuritaire, crise sociale, situation économique et financière… L’échange a duré plus de deux heures, comme celui qu’ils ont eu le 5 mars, toujours à Koulouba, ce qui a permis de faire un pas considérable vers la décrispation, à l’heure ou le pays vient d’engager un colossal chantier de réformes constitutionnelles et institutionnelles.

« Nous avons essayé de trouver un mode opératoire pour pouvoir avancer. Nous sommes convaincus qu’il faut un dialogue élargi à l’ensemble des forces vives du pays », a indiqué Soumaïla Cissé. Il s’est d’ailleurs déjà entretenu avec les anciens chefs d’État Moussa Traoré et Dioncounda Traoré. Cissé a également eu un « échange téléphonique très long » avec Amadou Toumani Touré et, le 6 mars, il rencontrait l’ancien président Alpha Oumar Konaré. De son côté, IBK va continuer de recevoir les leaders de partis et anciens Premiers ministres. Dans l’opposition comme dans la majorité, on se réjouit de cette nouvelle dynamique. Mi-2017, IBK avait dû renoncer à son projet de révision de la Constitution face à la pression de la rue. Le texte controversé prévoyait notamment la création d’un Sénat – dont un tiers des membres devaient être nommés par le président de la République et deux autres tiers élus au suffrage

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CAITLIN OCHS/REUTERS

Consultations tous azimuts


En 2017, le chef de l’État avait dû renoncer à réformer le cadre institutionnel sous la pression de l’opposition et de la société civile.

En quête de consensus


Grand format MALI ENJEUX

DAOU BAKARY

Au palais de Koulouba, le 26 février. Premier tête-à-tête entre Ibrahim Boubacar Keïta et Soumaïla Cissé, le chef de file de l’opposition, depuis la présidentielle.

universel indirect. Il instituait également la nomination du président de la Cour constitutionnelle par le chef de l’État et l’interdiction pour les députés de changer de parti en cours de mandat. Cette fois, IBK compte sur une large adhésion au projet. Dans son discours du Nouvel An, le président a insisté sur le caractère « inclusif » des réformes. Par ailleurs, Soumeylou Boubèye Maïga, le Premier ministre (il vient de faire une tournée dans le Nord et le Centre), et Bokary Treta, le chef du Rassemblement pour le Mali (RPM, parti présidentiel) et de la coalition Ensemble pour le Mali (lire pp. 114-115), ont multiplié les rencontres avec les différents protagonistes de la vie politique malienne. Le contexte semble également plus favorable, dans la mesure où les acteurs sont désormais unanimes sur la nécessité d’opérer des changements. Ainsi, majorité comme opposition sont aujourd’hui prêtes à discuter de la mise en place d’un organe unique de gestion des élections (au lieu de trois actuellement) et de la pertinence de le constitutionnaliser. Elles sont également très largement favorables à un changement du mode de scrutin pour les législatives. Sur le plan institutionnel, personne ne remet en question la création d’une Cour des comptes pour se conformer aux exigences de l’Uemoa. Même le principe d’un Sénat (jugé budgétivore et inopportun en 2017) est moins controversé. La création d’une chambre haute est désormais présentée comme l’une des options possibles pour parvenir à représenter les différentes couches de la société, ainsi que le recommande l’accord de paix signé en 2015 entre le gouvernement et les groupes armés de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).

« Fait accompli »

Dans un premier temps, le comité d’experts chargé de proposer un projet de Constitution au gouvernement début avril assure avoir mis l’accent sur « les discussions » et « la transparence ». « Nous échangeons avec les institutions, les partis, la société civile, les légitimités traditionnelles, ainsi que les mouvements signataires de l’accord pour la réconciliation, explique Sidi Diawara, le rapporteur du comité. Nous allons aussi conduire des forums citoyens dans les régions. Nous ne pourrons pas prendre en compte l’opinion de chacun, mais nous étudierons un maximum de contributions. » Un site internet a été mis en place afin de recueillir celles-ci.

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En parallèle, le Premier ministre a créé un cadre national de concertation piloté par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD), qui réunit des représentants du gouvernement, des partis politiques et d’organisations de la société civile. Cette apparente volonté d’inclusion a cependant déjà du plomb dans l’aile, certains soulignant, notamment, que l’avis du cadre national n’est que consultatif. Le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), qui regroupe plusieurs partis d’opposition – dont l’Union pour la République et la démocratie (URD), de Soumaïla Cissé, et le Parti pour la renaissance nationale (Parena), de Tiébilé Dramé –, ainsi que des organisations de la société civile, dans une déclaration du 5 février, « rejette » ce cadre. Il dénonce la création, au contraire « sans concertation », du comité d’experts et évoque une « politique du fait accompli par la mise en place unilatérale » de ce cadre national. Un reproche similaire à celui formulé par l’ancien Premier ministre Moussa Mara, président du parti Yelema (lire p. 121) et membre de la nouvelle Convergence des forces patriotiques (Cofop). « La démarche du gouvernement elle-même est contraire à la concertation, estime-t-il. Il faut d’abord s’entretenir avec ceux qui l’exigent pour en définir les contours. » D’autres, comme Housseini Amion Guindo, président de la Convergence pour le développement du Mali (Codem), s’opposent au projet – présenté par le MATD au sein du cadre national de concertation – de coupler le référendum constitutionnel et le premier tour des législatives, qu’il propose de tenir le 9 juin. Les formations politiques sont également censées donner leur avis sur le découpage territorial (lire pp. 118-119) avant les prochaines élections. « C’est un piège, dénonce Housseini Amion Guindo. Un tel découpage ne peut pas être effectué dans un État aussi fragile. Nous ne voulons pas légitimer un projet aussi décrié. » Dans un pays où le gouvernement par consensus s’est imposé, que vaudront les conclusions d’un comité d’experts et d’un cadre de concertation que l’opposition ne reconnaît pas? « La situation oblige les acteurs à trouver un compromis, qui pourrait être la mise en place d’un gouvernement ouvert à des membres de l’opposition », suggère Mohamed Amara, sociologue à l’université de Bamako et au centre Max Weber de Lyon, auteur de l’essai Le Mali rêvé.

TROIS TENTATIVES AVORTÉES Le 26 mars 1991, Moussa Traoré est renversé par le coup d’État du lieutenantcolonel Amadou Toumani Touré (ATT), qui met en place un Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP). Une conférence nationale élabore un projet de Constitution, laquelle est

adoptée par référendum le 12 janvier 1992. Depuis l’avènement de cette IIIe République, toutes les tentatives pour réviser la loi fondamentale – celles d’Alpha Omar Konaré en 2000, d’ATT en 2011 et d’Ibrahim Boubacar Keïta en 2017 – ont échoué. A.D.


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Un entretien avec Monsieur Lamine Bassirou Niang, Directeur Général de La Malienne de L'Automobile La Malienne de l’Automobile est une société privée, de droit malien, créée en 1996. Nous sommes le distributeur exclusif au Mali des marques automobiles Mitsubishi, Citroën, Kia, Mercedes (voitures particulières, van, camions, bus) et Fuso (camions et camionnettes) ; ainsi que des véhicules deux roues de Suzuki. Par ailleurs, la société a signé un contrat de franchise avec le prestigieux groupe de location Hertz, qui permet de mettre à disposition de nos clients des véhicules neufs, climatisés et sous garantie. Nous sommes le leader de la location automobile au Mali.

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VIE DES PARTIS

Nouveaux équilibres À l’approche des élections législatives, qui pourraient se tenir en juin, l’échiquier politique est en pleine recomposition. AÏSSATOU DIALLO

a présidentielle de juillet 2018 passée et trois mois avant les législatives – dont le premier tour pourrait se tenir le 9 juin 2019 –, force est de constater que les équilibres ont changé. Le Rassemblement pour le Mali (RPM) est en perte de vitesse et, depuis fin 2018, s’est vidé d’une partie de ses élus, dont bon nombre sont allés grossir les rangs de l’Alliance pour la solidarité au Mali-Convergence des forces patriotiques (Asma-CFP), de Soumeylou Boubèye Maïga, le Premier ministre. Cette formation, qui ne comptait que cinq députés à l’issue des législatives de 2013, en dénombre désormais une vingtaine. Les opposants au chef de l’État évoquent aussi une rivalité entre le Premier ministre et le leader du RPM, Bokary Treta, également à la tête de la coalition Ensemble pour le Mali (EPM), qui regroupe les formations ayant soutenu Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à la présidentielle, dont le RPM, l’Asma-CFP, l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ), l’Union malienne du Rassemblement démocratique africain (UM-RDA), l’Union des forces démocratiques (UFD) et l’Union pour la démocratie et le développement (UDD). « Aujourd’hui, la plus forte opposition se trouve au sein même de la majorité », ironise Housseini Amion Guindo, président de la Convergence pour le développement du Mali (Codem), ex-membre de la majorité présidentielle. « Treta n’a aucun ascendant, ni sur les ministres membres

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de son parti ni sur les députés. Tous savent que ce n’est pas lui qui décide », renchérit Moussa Mara, président de Yelema et ancien Premier ministre d’IBK (lire p. 121).

Égalité des genres

« AUJOURD’HUI, LA PLUS FORTE OPPOSITION SE TROUVE AU SEIN MÊME DE LA MAJORITÉ. »

HOUSSEINI AMION GUINDO, président de la Convergence pour le développement du Mali (Codem)

Bokary Treta balaie ces considérations du revers de la main : « Nous avons une lecture claire du rôle de chacun. » En ce qui concerne les départs de députés du RPM vers d’autres partis, Treta estime que ceux-ci découlent d’une « question de gestion interne, au regard du contexte politique de 2018 ». Il explique: « Objectivement, nous avons voulu alléger les listes en fonction des alliances dans les cercles. À Ségou, où nous recensions six députés RPM sur sept élus, nous avons décidé de ne pas aller au-delà de quatre investitures. Nous n’étions pas certains que cette liste remporterait les sièges et ceux dont l’investiture était incertaine se sont naturellement tournés vers d’autres formations. » L’entrée en vigueur de la loi instituant des mesures pour promouvoir l’égalité des genres dans l’accès aux fonctions nominatives et électives change aussi la donne. Elle dispose en effet, dans son article 3, que « les listes de candidatures aux élections locales doivent respecter l’alternance des sexes de la manière suivante: si deux candidatures du même sexe sont inscrites, la troisième doit être de l’autre sexe ».


DAOU BAKARY

Conférence de la Cofop, le 21 octobre 2018, à Bamako.

Des mutations s’observent aussi au sein de l’opposition, ou plutôt des oppositions. Ex-membre de la coalition présidentielle passé à l’opposition en 2017 à la faveur de la contestation de la révision constitutionnelle, l’homme d’affaires Aliou Diallo, qui participait pour la première fois à une présidentielle, est arrivé en troisième position, avec plus de 8 % des suffrages exprimés. De quoi revigorer son jeune parti, l’Alliance démocratique pour la paix (ADPMaliba). Pour le second tour, ce dernier n’avait appelé à voter ni pour IBK ni pour son challenger, Soumaïla Cissé, président de l’Union pour la République et la démocratie (URD) et chef de file de l’opposition. Le 2 février dernier, Bokary Treta a été reçu par l’ADP-Maliba dans le cadre des nouvelles discussions autour des réformes constitutionnelle et institutionnelles. Résultat : les deux partis ont publié un communiqué conjoint et se sont engagés à travailler ensemble. « Le fait de ne pas avoir appelé à voter pour un candidat au second tour nous donne une position confortable. Nous voulions être constructifs, afin que le dialogue soit inclusif », confie Amadou Thiam, député et président de l’ADP-Maliba. Quant à Oumar Mariko, le leader de la Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi), jusqu’alors allié de Thiam, avec lequel il formait un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, il s’est trouvé de nouveaux partenaires

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de circonstance, parmi lesquels Moussa Mara, Housseini Amion Guindo et Moussa Sinko Coulibaly. Avec ces derniers, il forme désormais la Convergence des forces patriotiques (Cofop). Un mouvement qui estime que la prorogation du mandat des députés est anticonstitutionnelle, dans la mesure où les législatives ont été reportées à deux reprises. « Nos profils ne sont pas forcément liés à ceux de l’actuelle opposition. Ce qui nous unit, c’est que nous ne sommes pas d’accord avec la façon de faire du gouvernement », explique Housseini Amion Guindo.

Premier pas vers la décrispation À la suite de l’interdiction de manifestations à Bamako depuis fin 2018, les protestations du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), qui réunit notamment l’URD et le Parti pour la renaissance nationale (Parena), de Tiébilé Dramé, ont été rendues inaudibles. Pour se faire entendre, SoumaïlaCissé peutcomptersurcette phase de dialogue(s) indispensable au succès des réformes voulues par IBK. Les rencontres entre les deux hommes depuis mi-février (lire pp. 110-112) sont d’ores et déjà perçues comme un premier pas vers la décrispation de la vie politique. Quel sera le rôle du chef de file de l’opposition dans les mois à venir? Pourrait-il diriger le cadre de concertation, voire un futur gouvernement?


Grand format MALI ENJEUX

SÉCURITÉ

Kidal en semi-liberté Dans le bastion de la rébellion, les symboles de l’État sont désormais bien présents. Mais l’administration ne fonctionne toujours pas, et les groupes armés font la loi. BABA AHMED, à Bamako

e dernier rapport du secrétaire général de l’ONU pour l’année 2018 sur le Mali révèle que Kidal, bastion de la rébellion dans le nord du pays, est l’une des régions qui ont enregistré le plus faible nombre d’attaques de groupes armés durant le dernier trimestre de 2018, soit un total de 7, contre 24 dans la région de Mopti, 13 à Tombouctou et 12 à Gao. Selon l’ancien Premier ministre Moussa Mara, l’explication est simple : « Ceux qui attaquent et posent les mines sont les

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REBECCA BLACKWELL/AP/SIPA

Au dernier trimestre de 2018, on n’avait enregistré « que » 7 attaques dans la région, contre 12 dans celle de Gao et 24 dans celle de Mopti.

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mêmes qui administrent la ville de Kidal. » Le 27 janvier, lors d’une cérémonie d’hommage aux dix Casques bleus tchadiens tués lors d’une attaque de combattants jihadistes liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) contre un camp de l’ONU à Aguelhok le 20 janvier, Mahamat-Saleh Annadif, le chef de la Minusma, a déploré la responsabilité de certains mouvements armés présents dans la région. « Parmi ceux qui nous combattent, ceux qui commettent ces forfaitures, il y a aussi des gens qui sont parmi nous, qui observent nos faits et gestes… Il est également temps de revisiter notre collaboration et notre coopération avec les mouvements signataires de l’accord [d’Alger, signé en 2015], qui sont présents dans ces régions du Nord », a-t-il conclu.

Charia « light »

Si le diplomate tchadien pointe les groupes armés signataires de l’accord de paix, c’est parce que la région de Kidal est administrée par la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Le 30 janvier, celle-ci a imposé de nouvelles règles dans la ville de Kidal, qui vont de l’interdiction de vendre et de consommer de l’alcool à l’imposition d’un titre de séjour spécial pour les étrangers. Des lois fondées sur l’application de la charia, la loi islamique, alors que le reste du pays vit dans un État laïque (lire pp. 138-143). « Les groupes armés signataires de l’accord de paix sont constitués à 75 % de jihadistes d’Aqmi, les autres essaient d’exister à côté d’eux », affirme Moussa Mara. Le gouverneur de la région de Kidal, Sidi Mohamed Ag Ichrach, dont le rôle est de faire respecter les lois de la République, n’a aucune autorité, et sa sécurité ellemême est assurée par la CMA. « À Kidal, l’État n’assure pas les services sociaux de base, à savoir l’assainissement, l’accès à l’eau potable, les soins de santé ou encore l’éducation, confie un élu régional. Les écoles sont fermées. » Depuis la bataille de mai 2014, au cours de laquelle les rebelles ont réussi à chasser les soldats des Forces armées maliennes (Fama) de la ville, le pouvoir central et son administration ne se sont jamais véritablement réinstallés dans la région. En attendant, la CMA applique la charia, version « light ».


PUBLI-INFORMATION

Nouveau village de Fadougou

B2Gold Mali La société minière en pleine croissance B2Gold Corp est une société minière aurifère canadienne, dont le siège social est situé à Vancouver, en Colombie-Britannique, Canada. La Société exploite cinq mines d’or, notamment Fekola (Mali), Otjikoto (Namibie), La Libertad et El Limon (Nicaragua) et Masbate (Les Philippines). La mine de Fekola est située dans le cercle de Keniéba dans l’ouest du Mali. La mine appartient à Fekola SA, une société malienne dont les actionnaires comprennent B2Gold Corp (80 %) et l’État malien (20 %). La mine de Fekola est une exploitation aurifère de classe mondiale dont la construction a été achevée trois mois plus tôt que prévu et dans les limites du budget, pour un coût total de 570 millions de dollar US. Conséquemment, cet exploit a été réalisé alors que la capacité de production passait de 4 à 5 millions de tonnes par an pendant la phase de construction. La construction a été réalisée en combinant le travail à la fois de l’équipe de construction internationale expérimentée de B2Gold et une main-d’œuvre majoritairement malienne, recrutée parmi la communauté locale et formée sur place. La production commerciale fut atteinte 60 jours suivant la première coulée d’or en Novembre 2017. En 2018, qui a marqué la première année complète de production commerciale à Fekola, produisant un total de 439 068 onces d’or (14,12 t), dépassant la limite supérieure de cumul de sa fourchette de prévision (comprise entre 420 000 et 430 000 onces - 13,5 à 13,8 t). Cette performance exceptionnelle est due au dépassement de la capacité de traitement de l’usine de 12 % (soit 5,6 millions de tonnes) combiné à un taux de récupération de l’usine de 94,7 % contre un budget de 92,7 %. En 2019, la mine de Fekola prévoit de traiter 5,75 millions de tonnes de minerai à une teneur moyenne de 2,44 g/t et un taux de récupération à 94 %. Cela équivaut à 423 142 onces d’or qui devraient être produites en 2019. Les dépenses d’immobilisation, devant être investies en 2019, seront de 48 millions de dollars. Les résultats positifs obtenus, à ce jour, laissent entrevoir une augmentation potentielle du tonnage de production et par conséquent de la production annuelle d’or de Fekola avec des dépenses en capitaux modérées. Une étude d’optimisation est actuellement en cours pour guider l’expansion de Fekola et les résultats sont attendus vers la fin du premier trimestre de 2019. B2Gold s’engage pour une exploitation

minière responsable au Mali. En termes simples, cela signifie faire les choses comme il se doit. Nos décisions commerciales tiennent compte de la santé et de la sécurité des personnes, de la protection de l’environnement et du bien-être de la population. Nous engagerons un dialogue ouvert et respectueux avec les autorités et les parties prenantes de la communauté dans le but d’apporter des contributions significatives et durables au pays et aux communautés dans lesquelles nous travaillons. La mine de Fekola s’est engagée à maximiser les possibilités d’emploi pour les Maliens. Elle emploie actuellement 1 925 maliens, dont la majorité sont issus des communautés locales et du cercle de Keniéba. La société a également lancé un programme de bourses pour aider 10 jeunes maliens à obtenir des diplômes universitaires dans un grand nombre de disciplines. Il est à noter que 50 % des boursiers sont issus du cercle de Keniéba et que 50 % sont des femmes. Le jeudi 31 janvier 2019 restera journée mémorable pour les populations du village de Fadougou (dans le cercle de Kéniéba) et la société minière B2Gold. En effet, c’est ce jour qu’il a été procédé à l’inauguration et à la remise officielle des clés du nouveau village (une cité moderne) de Fadougou construit par B2Gold pour réinstaller les populations de l’ancien Fadougou. Avec ses 4 400 habitants, l’ancien village de Fadougou sera réinstallé dans « une petite ville moderne » avec des commodités qui n’ont rien à envier aux grandes villes du Mali. D’un coût de 20 millions de dollars, le nouveau site de Fadougou a été construit à 2 km de l’ancien village. Le nouveau village comprend des logements de qualité, une mosquée, une école primaire de neuf salles de classes, un marché, un Cscom avec une salle de maternité, un système d’approvisionnement en eau alimenté à l’énergie solaire avec des bornes fontaines dans tout le village et un éclairage public. Mohamed Lamine Diarra Directeur Pays B2Gold Mali

www.b2gold.com


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L’INFOGRAPHIE

Cartes à rebattre AÏSSATOU DIALLO

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révue par l’accord de paix d’Alger de 2015, la réorganisation territoriale a pour objectif de rapprocher l’administration et les services de base (gestion de l’eau, éducation, santé…) des citoyens en transférant aux régions – érigées en collectivités territoriales – des compétences et des ressources financières. Cette réforme a été engagée par la loi no 2012-017 du 2 mars 2012, adoptée sous Amadou Toumani Touré, qui prévoyait d’ores et déjà le passage de 8 régions à 19 et planifiait une réorganisation progressive sur cinq ans. Depuis, seules les régions de Taoudénit et de Ménaka ont été créées, en 2012, et leurs gouverneurs nommés, en 2016, sans qu’elles deviennent réellement opérationnelles pour autant. En octobre 2018, un document présenté comme un avant-projet de loi sur la décentralisation « fuite » sur les réseaux sociaux. Il prévoit le passage de 10 à 19 régions composées de cercles, qui deviennent des « collectivités territoriales de cercle » et dont le nombre passe de 60 à 104. Le district de Bamako conserve son statut particulier et sera, lui, divisé en 10 communes urbaines – au lieu de 6 actuellement. Tollé général. Car si la majorité des Maliens considère que ces réformes sont indispensables, nombreux sont ceux qui demandent à ce qu’un dialogue inclusif leur soit consacré. Les uns dénoncent un redécoupage favorisant les régions du Nord,

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peu peuplées, dont certaines compteraient plus de cercles que celles du Sud. Les autres estiment que la multiplication du nombre de régions et de cercles sera budgétivore et proposent, au contraire, la suppression d’un échelon territorial. Beaucoup s’inquiètent des incidences du redécoupage sur les modes de scrutin et sur le code électoral, en particulier concernant les législatives, pour lesquelles les circonscriptions sont « constituées par les cercles et les communes de district ».

Effectif et superficie

Face à la polémique, le gouvernement, sous la houlette du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD), a organisé des conférences régionales du 13 au 17 novembre 2018. L’avant-projet du texte est actuellement discuté au sein du cadre de concertation nationale entre le ministre de l’Administration territoriale et les représentants des partis et de la société civile (également chargé de discuter du calendrier des consultations référendaire et législatives), avant d’être revu en Conseil des ministres, puis soumis à l’Assemblée nationale. « Nous aimerions combiner l’effectif de la population à la superficie du territoire, faire en sorte que la région soit la circonscription électorale et passer à la proportionnelle afin de permettre une meilleure représentativité. Un cercle ne serait donc plus systématiquement égal à un député », explique Babahamane Maïga, le secrétaire général du MATD.

Le projet de redécoupage LÉGENDE Carte fondée sur les documents étudiés par le cadre de concertation 10 régions déjà existantes 9 nouvelles régions envisagées Cercles

KITA

NIORO

• Kita • Kenieba • Sagabari • Sebekoro • Toukoto

• Nioro • Diema • Sandare • Troungoumbe

KAYES • Kayes • Aourou • Bafoulabe • Yelimane

BOUGOUNI • Bougouni • Garalo • Kolondieba • Koumantou • Ouellebougou • Yanfolila


TAOUDÉNIT • Taoudénit • Achouratt • Al-Ourche • Araouane • Boujbeha • Foum-Elba

KIDAL • Kidal • Abeibara • Achibigho • Anefis • Ikadawatane • Takalott • Tessalitt • Tinessako

GAO

NARA • Nara • Balle • Dilly • Mourdiah

DIOÏLA • Dioïla • Banco • Beleco • Fana • Massigui • Mena

TOMBOUCTOU • Tombouctou • Ber • Diré

• Gargando • Gossi • Goundam

• Gourma-Rharouss • Léré • Niafunké • Tonka

• Gao • Almoustarat • Ansongo • Bamba • Bourem • Djebock • Ersane • Outtagouna • Talataye • Tessit • Tinaouker • Wabaria

MÉNAKA • Ménaka • Anderamboukane • Anouzegrene • Fanfi • Inekar • Tidermene

MOPTI KOULIKORO • Koulikoro • Banamba • Kangaba • Kati • Kolokani • Sanankoroba

DISTRICT DE BAMAKO

10 communes

SÉGOU

• Mopti • Djenné • Tenenkou • Youwarou

DOUENTZA

• Ségou • Baroueli • Macina • Niono

BANDIAGARA SAN • San • Bla • Kimparana • Tominian • Yangasso

SIKASSO • Sikasso • Kadiolo • Kignan • Niena

• Douentza • Diankabou • Hombori • Mondoro

• Bandiagara • Bankass • Kor

KOUTIALA • Koutiala • M'Pessoba • Yorosso • Molobala

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Grand format MALI

TRIBUNE

L’art de mettre la charrue avant les bœufs À

FRANÇOIS GRIVELET POUR JA

la fin de 2018, le gouvernement malien a engagé cercles, etc. ? Il serait plus pertinent de combler les défiune réforme territoriale et administrative fortement cits existants avant de se livrer à la création de circonscontestée dans le pays, sur la forme comme sur le fond. criptions auxquelles on ne pourra pas allouer de moyens Nos autorités doivent aussi être réceptives aux arguments et qui seront sans impact pour les Maliens. qui militent en faveur de sa révision. L’initiative gouvernementale n’est pas soutenable en Parmi les critiques sur la forme, on peut citer principamatière de moyens humains, matériels et financiers. lement l’absence de concertation sur la vision qui porte Actuellement, les effectifs d’administrateurs territoriaux le projet, ainsi que sur les modalités pratiques de sa mise compétents ne suffisent pas à occuper tous les postes en œuvre. Pour un pays comme le Mali, très conservateur existants (gouverneurs, préfets, sous-préfets, adjoints), en matière de gestion territoriale, cela est a fortiori ceux des nouvelles circonscriptions rédhibitoire. On peut aussi déplorer la préque l’on prévoit de créer. En répartissant la cipitation à conduire cet exercice périlleux pénurie entre un plus grand nombre, on ne en quelques mois seulement, alors que ce fera qu’appauvrir davantage les représenchantier n’a pas de précédent dans notre tants de l’État. C’est exactement le contraire histoire. de ce qui a été réclamé pour engager le Quant aux insuffisances sur le fond, elles processus ! sont nombreuses. Tout d’abord, le projet n’a pas de rapport direct avec l’accord de paix, nfin, cette nouvelle stratégie de découcontrairement à ce qu’affirme le gouverpage territorial n’introduit d’équité Moussa MARA nement. En effet, l’accord vise à ce que les ni entre les territoires ni entre les comAncien Premier collectivités, ainsi que le transfert de poumunautés. Elle se traduit par la création ministre, président voirs et de moyens à leur bénéfice, soient de circonscriptions que ne justifient ni le du parti Yelema opérationnelles et à ce que leurs aptitudes à nombre d’habitants ni d’autres critères sociosatisfaire les attentes des populations soient économiques pertinents, ce qui risque d’enrenforcées. Il ne demande pas de multiplier traîner des conflits et des divisions pouvant les circonscriptions administratives. C’est un déstabiliser le pays. On ne peut pas non plus appel à la décentralisation effective du pays et à une plus l’expliquer par la volonté de parvenir à une représentagrande responsabilisation des populations à travers leurs tion équitable des populations et des communautés. représentants élus. Ce n’est pas une incitation à la déconL’actuelle iniquité dans ce domaine repose sur un consencentration et au redéploiement de services relevant, pour sus qui prévaut depuis plus de vingt ans et qui est issu l’essentiel, du pouvoir central. des précédents accords de paix. Le projet du gouvernement accroîtrait cette iniquité et la porterait à un niveau e projet de découpage ne peut être justifié ni par les insupportable pour nos compatriotes. De quoi installer questions de fichier électoral ni par l’ambition de rapun climat propice aux conflits intercommunautaires, qui procher l’administration des citoyens. Les électeurs sont déchirerait davantage le tissu social déjà bien entamé déjà pris en compte dans l’actuel fichier. Et si la créapar les crises que nous vivons depuis quelques années. tion d’une circonscription administrative suffisait pour Le gouvernement doit donc revoir sa copie, intensifier y amener des infrastructures, pourquoi de nombreuses et élargir les concertations, mieux préparer des argucirconscriptions déjà existantes sont-elles encore dénuées ments pertinents en faveur du redécoupage du territoire de tout – absence de gouvernorat à Taoudénit, de centres et, surtout, s’engager encore plus vers une décentralisade santé de référence ou de palais de justice dans certains tion réelle du pays.

E

L

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LE DÉFI DE LA CONFIRMATION DES RÉSULTATS DE LA BMS-SA Depuis décembre 2017, la Banque Malienne De Solidarité est en tête, en terme de total bilan (720 milliards) et d’emploi (648 milliards F CFA) des banques et établissements financiers de la place au Mali. Un élogieux bilan pour une banque née en 2002 pour lutter contre la pauvreté et faciliter l’accès aux services financiers, à la fois pour, les opérateurs économiques et les acteurs du secteur informel. Après la réussite de la fusion Banque Malienne de Solidarité/Banque de l’Habitat du Mali, une phase de consolidation des acquis s’impose à la BMS-SA en 2019. Les efforts sont orientés vers des horizons porteurs de croissances financières et de portefeuille clients.

Le cap est mis sur la maîtrise Ainsi, cap est des dépenses et l’innovation mis sur la maitrise des dédes services.

penses et l’innovation des services de la Banque. En matière d’innovation, l’accent est mis sur une vulgarisation

intense de la monétique et l’offre de nouveaux produits comme BMS MOBILE permettant au client d’avoir accès à sa situation – au propre comme au figuré – son compte en poche. Mais le produit phare reste BMS CASH, très pratique pour les clients. Avec ce produit, ils peuvent s’envoyer et recevoir de l’argent à travers le monde. La réussite de ce nouveau cap assurera la confirmation des bons résultats de 2017 de la Banque Malienne de Solidarité et lui permettra de mieux s’armer pour booster ses résultats dans un environnement concurrentiel féroce.


© ADOBESTOCK.COM

COMMUNIQUÉ

Entretien avec Monsieur Alioune Coulibaly, Directeur Général de la Banque Malienne de Solidarité (BMS SA)

La Banque Malienne de Solidarité (BMS SA) est une véritable banque de développement de par les missions qui lui sont assignées par les autorités maliennes : contribuer à la réduction de la pauvreté et faciliter l‘accès à l’habitat à travers des financements accordés aux particuliers, aux promoteurs immobiliers et aux coopératives d’habitat.

« Nous sommes une banque au service du développement de l’économie et de la société du Mali. »

Le poids dans l’économie malienne peut être apprécié par la hausse de la contribution au financement de celle-ci. Le montant des financements directs à l’économie est passé de 335 milliards de FCFA en 2016 à 395 milliards de FCFA en 2018. Notre part de marché a progressé de pratiquement un point en deux ans puisqu’elle est passée de 15,3 % en 2016 à 16,2 % en 2018.

QUELS SONT LES SECTEURS D’ACTIVITÉS QUI FONT L’OBJET DE FINANCEMENTS DE LA BMS SA ? La BMS SA finance tous les secteurs de l’économie malienne. Compte tenu de leur impact sur l’ensemble de l’activité économique, les infrastructures (routes en particulier), les transports et l’énergie sont prioritaires. Mais la Banque finance également l’agriculture, le commerce, l’import-export, le logement, etc. Elle assure également le refinancement du système financier décentralisé. Il y a une autre priorité qui est de nature transversale : le financement des PME. Celles-ci sont la véritable source de création d’emplois et de richesse. Nous avons mis en place une nouvelle politique de financement des PME, en écho au dispositif de soutien au

financement des PME initié par la BCEAO. Cette politique met l’accent notamment sur le renforcement du partenariat avec les fonds de garantie et vise également à promouvoir un appui conséquent aux PME évoluant dans le secteur industriel.

QUELLE EST VOTRE STRATÉGIE EN MATIÈRE DE DIGITALISATION DES SERVICES DE LA BMS SA ? La BMS SA est pleinement engagée dans la transformation digitale afin d’apporter des solutions opérationnelles à notre clientèle. Nous avons ainsi lancé BMS Mobile qui est un outil de paiement via le téléphone mobile, basé sur la possibilité pour le client d’alimenter son compte OrangeMoney à partir de son compte BMS et vice versa. BMS Kibaru est aussi une solution sur mobile qui permet au client d’être tenu informé instantanément, par des alertes, de toutes opérations pouvant affecter son compte bancaire. Nous sommes à pied d’œuvre pour mettre en place une solution permettant d’effectuer sur mobile une large palette d’opérations bancaires et d’étendre, au-delà du périmètre de notre réseau d’agences, notre solution de transfert rapide d’argent BMSCash. Par ailleurs, nous sommes en train de finaliser notre affiliation à VISA, ce qui nous permettra de mettre à la disposition de notre clientèle des cartes VISA pour leur faciliter les déplacements à l’international. Il y a une très forte demande de digitalisation de la part de notre clientèle et notre objectif est d’y répondre avec efficacité.

Hamdallaye, ACI 2000 BPE 1280 – Bamako, MALI Tél. : (223) 20 29 54 16 / 12/ 08

JAMG - PHOTOS : D.R. SAUF MENTION

QUEL EST LE POIDS DE LA BANQUE MALIENNE DE SOLIDARITÉ DANS L’ÉCONOMIE MALIENNE ?


Grand format MALI

ÉCONOMIE

Pas d’avancée sans le privé


Pour faire décoller la croissance et financer les chantiers indispensables à son essor, l’exécutif en appelle aux chefs d’entreprise. Lesquels répondent pour l’instant présent.

ALAIN FAUJAS, envoyé spécial

L

e FMI n’est pas avare de compliments sur le pilotage économique du pays. « La performance économique du Mali a été globalement positive, déclarait Mitsuhiro Furusawa, son directeur général adjoint, en décembre dernier. La stabilité macroéconomique a été rétablie en dépit de conditions difficiles, marquées par une insécurité persistante, une volatilité des prix des produits de base et des conditions météorologiques défavorables. Les réformes entreprises par les autorités au cours des cinq dernières années ont permis de jeter les bases d’une croissance solide et d’une inflation maîtrisée. Cependant, réduire de manière significative la pauvreté reste un défi. » Et la grogne sociale actuelle le confirme. Tour à tour, magistrats, enseignants, bouchers, boulangers, gardiens de prison ont cessé le travail pour défendre leur pouvoir d’achat. Mi-janvier, le gouvernement a signé un accord avec l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), principal syndicat de fonctionnaires. Il prévoit notamment une harmonisation des grilles indiciaires et de l’âge de départ à la retraite, ainsi que la création de 8 600 emplois pour ces derniers. « Nous sommes satisfaits, commente Yacouba Katile, le secrétaire général de l’UNTM, mais nous allons en surveiller le suivi, car les gouvernements ont souvent traîné les pieds pour appliquer des accords antérieurs. »

Le nouveau programme d’infrastructures prévoit la construction de plus de 8 000 km de routes en dix ans (ici, le troisième pont de Bamako, inauguré en 2011).

XINHUANET/ANDIA.FR

Déficits récurrents

Le gouvernement a beaucoup de mal à satisfaire toutes ces revendications, car les caisses sont vides. Comme toutes les années électorales, 2018 a été une mauvaise année pour les recettes budgétaires de l’État. « Des régions entières ne produisent plus de richesses du fait des troubles, explique Yacouba Katile. Les agents des douanes et des impôts se sont réfugiés à Bamako pour fuir le terrorisme. » Selon le Parti pour la renaissance nationale (Parena, opposition), qui cite des chiffres communiqués par le ministère des Finances, les impôts ont rapporté 32 % de moins que prévu, les douanes 33 % de moins et les domaines 71 %. La croissance économique n’est donc pas aussi « solide » que le dit le FMI. Elle risque de plafonner autour de 5 % dans les prochaines années, et la croissance démographique (3,9 % par an) réduira à peu de chose les bienfaits de la première sur le niveau de vie. D’autre part, elle est fragile puisqu’elle repose sur l’or (lire pp. 134-136) et le coton (lire p. 128), dont les prix mondiaux sont imprévisibles. Quant au budget de l’État, il est amputé de précieux moyens par les déficits récurrents de la compagnie publique Énergie du Mali (EDM), qui vend 97 F CFA (environ 0,15 euro) un kilowattheure qui lui coûte 138 F CFA… La bonne nouvelle est que le gouvernement a pris des mesures pour faciliter la vie des entreprises privées

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Grand format MALI ÉCONOMIE

Éducation, autonomisation des femmes et décentralisation

Manque le capital humain. « C’est une source d’inquiétude car il est très faible, déclare la Sénégalaise Soukeyna Kane, directrice pays du Groupe Banque mondiale pour le Mali, la Guinée, le Niger et le Tchad. Selon les statistiques officielles, les enfants maliens reçoivent 5,6 années d’éducation en moyenne, mais du point de vue de la qualité, la durée de leur scolarité n’est que de 2,7 ans. Autrement dit, s’il y a eu d’importants progrès dans l’accès à la scolarisation, les résultats en matière d’acquisition des connaissances ne sont pas satisfaisants. C’est pourquoi nous travaillons,

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REPÈRES Une croissance stable 17,4

45,9

24,2

9,5

4,9 % (5 %)

14,3

7%

(6,9 %)

7,4 % (7 %)

Sénégal

5,3 % (5,4 %)

Mali

Niger 10,6

5,9 % (6 %)

6%

Burkina Faso

1,5

(6,3 %)

4,5 % (4 %)

5,3

Côte d’Ivoire

Guinée-Bissau

Bénin

4,7 % Togo

(5 %)

Volume du PIB, à prix courants, 2018, en milliards de dollars Évolution du PIB réel, à prix constants, 2018 (projections pour 2019)

Des IDE en berne

Un développement humain faible

(Flux entrants, en millions de dollars)

556

Pour l’année 2017

Nombre d’habitants

398

18 100 000

356 308 275

266

Taux de croissance 3,9 % par an

Espérance de vie

58,5 ans

144

2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Moins de 24 ans

66,5 %

L’agriculture en première ligne Répartition du PIB par secteur, en %

Population urbaine

39,9 %

Primaire

38,3

Secondaire

16,6

Population au-dessous du seuil de pauvreté (1,90 $/jour)

71,4 %

Tertiaire

36,7

Autres

8,4

Indice de développement humain (IDH) 0,427, soit le 46e rang africain et le 181esur 189 pays classés au niveau mondial

SOURCES : AUTORITÉS NATIONALES, FMI, CNUCED, PNUD 2018

maliennes. « Son dialogue avec le secteur privé s’améliore », se félicite Cyril Achcar, directeur général du groupe Achcar Mali Industries (AMI, qui comprend notamment les Grands Moulins du Mali), président de l’Organisation patronale des industries du Mali (Opim) et vice-président du Conseil national du patronat du Mali (CNPM) chargé de l’industrie. « Le gouvernement a accepté l’an dernier qu’une partie de la commande publique aille aux PME et que le taux de TVA appliqué aux produits made in Mali soit réduit de 18 % à 9 %, poursuit-il. Nous avons bon espoir d’aller plus loin. Ce pays dispose de ressources qui pourraient lui valoir des résultats extraordinaires. Par exemple, la production du maïs a bondi, et je l’achète désormais au Mali pour préparer des aliments pour bétail, et non plus en Argentine. » Divine surprise, le 15 février, le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, est venu avec quatorze de ses ministres devant le CNPM annoncer un gigantesque « programme d’infrastructures économiques ». Celui-ci a pour objectif de dépenser, sur dix ans, jusqu’à 15 milliards de F CFA pour construire ou réhabiliter 8700 km de routes et d’autoroutes, six ponts (dont un quatrième, à péage, à Bamako), trois ports secs, une zone économique spéciale à Sikasso et une ville nouvelle dans le Nord. Comme l’État n’a pas les moyens financiers de ses ambitions, le Premier ministre a demandé au patronat de se lancer dans des partenariats public-privé (PPP), grâce au cadre législatif et réglementaire bâti en 2017. « D’accord, a répondu le patron des patrons, Mamadou Sinsy Coulibaly, mais à la condition que vous digitalisiez l’administration, seul moyen de tordre le cou à la corruption, que vous releviez de leurs fonctions 1 600 fonctionnaires inaptes à travailler avec le secteur privé et que vous vous débarrassiez immédiatement de 200 autres, indélicats. » Il n’empêche que le patronat ne boude pas son plaisir. « Nous sommes enfin en présence d’une vision, applaudit Cyril Achcar. Jusqu’à présent, les ministres ne duraient pas, et il était impossible de bâtir quelque chose. Désormais, nous voyons une équipe compétente et soudée autour du Premier ministre et du ministre de l’Économie et des Finances. Elle nous donne un cap, et c’est extraordinairement important pour le secteur privé. »



mobilisation des fonds en leur faveur tout en mettant y compris dans le préscolaire, sur la qualité de l’édul’accent sur le renforcement de leurs capacités », dit-elle. cation, qui peut être assurée notamment par un enseigneSi la situation sécuritaire se dégrade dans le Centre, de ment plus fréquent dans les langues maternelles. » nombreux signes laissent penser que se mettent en place Soukeyna Kane privilégie aussi la question démograles bases d’un redressement économique et social, seule phique. « Elle est incontournable, puisque l’indice synsolution pour arracher les racines du terrorisme et assuthétique de fécondité est de 6,06 enfants par femme, rer un avenir aux 300 000 jeunes arrivant sur le marché un niveau qui nuit au développement, juge-t-elle. Pour du travail chaque année. Rien n’est joué, mais rien n’est accélérer la baisse de cet indice, il est impératif d’invesperdu, dans la course-poursuite à laquelle se livrent le tir massivement dans les services de santé reproductive, désordre et le développement. comme l’ont fait avec succès plusieurs pays, tels le Malawi ou l’Éthiopie. Mais il faut surtout donner une plus grande autonomie aux femmes, Un cadre maîtrisé malgré tout Projections Estimations notamment à travers leur alphabétisa2016 2017 2018 2019 2020 tion, leur scolarisation et le développement de leurs activités rémunératrices. (variation annuelle en %) Il faut aussi s’appuyer sur les chefs reliPIB réel, à prix constants 5,3 2,1 4,9 5,0 4,9 gieux et traditionnels qui, contrairement Inflation moyenne annuelle 0,2 1,4 2,0 2,0 2,1 aux idées reçues, s’investissent de plus (en % du PIB) en plus en faveur de l’autonomisation Solde budgétaire global – 3,4 – 3,6 – 3,5 – 3,0 – 3,0 des filles. Au Mali, et plus généraleTotal des recettes et dons 20,6 20,6 18,9 20,5 21,1 ment au Sahel, plusieurs de nos projets Total des dépenses et prêts nets 24,0 23,9 22,1 23,5 24,1 financent ces approches. » Investissement intérieur brut 20,0 19,6 20,6 20,9 21,6 Pour Soukeyna Kane, la décentralisadont État 9,9 9,5 8,1 8,9 9,6 tion (lire pp. 118-119) permet d’impliquer et de responsabiliser les communauSolde extérieur courant – 8,1 – 6,5 – 7,4 – 7,2 – 7,4 tés dans la gestion des affaires locales. Exportations de biens et services 23,1 22,7 23,1 21,5 19,9 Importations de biens et services 41,2 38,0 38,9 38,1 36,7 « Pour soutenir cette dynamique, il est opportun d’accorder une attention parDette publique totale 31,8 35,9 37,3 37,5 38,1 ticulière au transfert des ressources Dette extérieure 25,3 23,4 24,8 24,2 24 aux collectivités territoriales ou à la

DES MONTAGNES D’OR BLANC

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Le succès de la campagne 2018-2019 ne dépendra pas que du ciel ou des nuisibles. La Chine étant le premier acheteur mondial de coton, on surveillera de près ses démêlés avec les États-Unis. Mais, que les deux pays ouvrent ou non les hostilités commerciales, les 200 000 producteurs maliens recevront une bonne nouvelle : le prix du coton ne devrait pas baisser. Il est même déjà passé de 250 F CFA à 255 F CFA le kg (moins de 0,40 euro). La Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT) a engagé un programme d’investisse-

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PRODUCTION DE COTON-GRAINE

En tonnes, pour la campagne 2017-2018 Mali Burkina Faso Bénin Côte d'Ivoire

728 644 611 759 597 985 413 238

ment industriel, financé à hauteur de 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros) par un pool bancaire national emmené par la Banque de développement du Mali (BMD), qui devrait protéger un peu le pays de la fluctuation des prix. Dans le

SOURCE : PR-PICA

Le Mali devrait demeurer le champion africain du coton, avec une production attendue supérieure à 700 000 tonnes pour la campagne 2018-2019. En dépit des inondations et de la chenille légionnaire, il avait déjà produit plus de 728 600 t de coton-graine (+ 67 % en cinq ans) sur 703 652 ha emblavés (+ 46 %) au cours de la campagne 2017-2018. Ce qui le classe nettement devant son challenger, le Burkina Faso, dont les 612 723 t obtenues à partir de 879 000 ha prouvent qu’il se remet mal de l’abandon du coton OGM.

cadre de ce plan, la société publique a signé en 2016 un contrat avec le français Géocoton pour la modernisation de trois usines d’égrenage (à Dioïla, Koumantou et Sikasso) et la construction de deux nouvelles unités, l’une à Kimparana, dans la région de Ségou, l’autre à Kadiolo, à proximité de la frontière ivoirienne, afin d’augmenter de 100 000 t la capacité nationale. L’usine de Kadiolo (45 000 t), inaugurée en juillet 2018, est la dix-huitième de la CMDT, dont elle a porté la capacité d’égrenage à 620 000 t. ALAIN FAUJAS

SOURCES : AUTORITÉS MALIENNES ET FMI, DÉCEMBRE 2018

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COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERT

Fatoumata SIDIBÉ-DIARRA Avocate Barreau de Paris - Barreau du Mali

Secteur minier, enjeux nationaux et attractivité des investissements : les défis Le continent africain au sous-sol riche en ressources naturelles, s’est progressivement imposé comme une destination minière incontournable. Toutefois cette position, ainsi que le niveau des investissements dans le secteur, ne se traduit pas par les performances économiques attendues. Afin de bénéficier de retombées économiques directes et rapides, les gouvernements ont souvent été tentés par des mesures, prises de manière non inclusive et sans concertation avec les opérateurs privés intervenant dans le secteur, dans un contexte de débat sur le « nationalisme des ressources ». Ces décisions traduisant l’écart entre les attentes des pouvoirs publics et la réalité du secteur. En effet, les États producteurs du continent africain disposent rarement seuls, des capacités financières et techniques nécessaires à l’exploitation de leurs ressources minières. À ce titre, attirer les investisseurs, bien souvent étrangers, est une condition sine qua non du développement du secteur et de facto de retombées positives sur leur économie, en termes de développement et de recul de la pauvreté. Les États ont ainsi privilégiés des mesures dites de « contenu local » pour permettre des retombées concrètes et visibles pour les populations. Les codes miniers ont donc progressivement imposé aux exploitants privés des obligations de recruter et se fournir en biens et services localement ou de recourir à des sous-traitants nationaux. Cependant cela ne s’est pas accompagné de mesures concrètes telles que des politiques incitatives de création de PME en capacité de répondre de manière efficiente et suivant certains standards aux besoins des sociétés minières. D’autre part, l’apport fiscal du secteur minier étant extrêmement important, les États le considèrent bien souvent comme un secteur principalement pourvoyeur de rentrées fiscales et ont parfois mis en place des réformes fiscales pour le moins agressives. Or le secteur minier doit être totalement intégré à l’économie.

D’où la nécessité de concilier les différents intérêts en présence.

Les États ne pourront faire l’économie de certaines mesures impératives afin d’attirer les investissements étrangers, accroître la rentabilité de ceux-ci et leur contribution à la croissance économique. Cela passe par une vision claire, partagée et à long terme du secteur.

Un cadre juridique sûr et incitatif, concourant à un climat des affaires stable, est indispensable. En effet, les projets miniers restent des investissements lourds et risqués, la sécurité juridique reste donc essentielle, notamment via les clauses de stabilisation. La stabilité politique et juridique d’un pays constitue des éléments essenUne approche tiels dans la prise à reconsidérer : avec de décision et le un accent sur le cadre « benchmarking » de l’investisseur. Un autre législatif, la bonne élément essentiel : la gouvernance bonne gouvernance. et le développement Soit une gestion effides infrastructures. cace et transparente des recettes minières ou des titres miniers. Cela doit se traduire par un accent mis sur la formation des ressources humaines, le « renforcement des capacités » des administrations avec une réelle appropriation des enjeux géologiques et économiques et la mise à disposition publique des informations géologiques et minières. En outre, le déficit du continent en matière d’infrastructures de transport, ou encore en matière énergétique, entraîne un surcoût pour les porteurs de projets miniers. Des projets de partenariat public-privé bien pensés devraient contribuer au développement des infrastructures et celle de l’attractivité de l’État concerné. Enfin, ces améliorations ne peuvent être menées qu’en privilégiant la communication et la concertation tant avec les investisseurs qu’avec les populations locales. Le secteur minier sera alors susceptible de répondre aux attentes de développement des populations tout en restant un secteur attractif et rentable pour les investisseurs privés.

FSD CONSEILS Cabinet d’Avocats Bamako – Mali

www.fsdconseils.com


COMMUNIQUÉ

L’ACCÈS À L’ÉNERGIE POUR TOUS EST NOTRE PRIORITÉ L’Agence Malienne pour le Développement de l’Énergie Domestique et de l’Électrification Rurale (AMADER) est un établissement public créé en 2003. Sa mission principale : la maîtrise de la consommation d’énergie domestique et le développement de l’accès à l’électricité en milieu rural et périurbain. Le renforcement de la réglementation du secteur énergétique et des institutions qui y sont liées seront, à ce titre, cruciales.

> ÉLECTRIFICATION RURALE

L’AMADER s'engage dans la promotion de l’accès à l'électricité du milieu rural à travers des partenariats public/privé, notamment par : • Le développement et la réalisation des projets d’électrification rurale sous financement de l’État et de ses partenaires ; • Le suivi du Contrat d’Autorisation et du cahier des charges des opérateurs d’électrification (permissionnaires) rurale ; • L’assistance technique et financière aux Permissionnaires d’électrification rurale.

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> ÉNERGIE DOMESTIQUE Dans sa mission de développement de l’énergie domestique, l’AMADER est chargée de : • Promouvoir la production, la diffusion et l’utilisation des équipements économes en bois-énergie ; • Favoriser l’utilisation d’énergies renouvelables ; • Intensifier la promotion de l’utilisation des combustibles de substitution au bois-énergie (gaz butane, briquettes combustibles…) ; • Communiquer sur l’utilisation des équipements économes d’électricité (lanternes solaires, lampes à basse consommation, rafraîchisseurs d’air par évaporation) ; • Appuyer les Services de Contrôle Forestiers.

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Accroissement du taux d’accès à l’électricité en milieu rural : de 1 % en 2003 à 19 % en 2018 ; Formation de 800 opérateurs d’électrification rurale ; Appui à la production et diffusion des équipements économes d’énergie : 1781338 foyers améliorés ; 1698458 lampes basse consommation ; 129278 réchauds ; Appui à la consommation de gaz butane (subvention de l’État) : 125 138 tonnes, contribuant à la réservation de 563 123 ha de forêt ; Création et réhabilitation de 282 marchés ruraux de bois ; Aménagement de 1 142 000 ha de forêt ; Plus de 6500 lampes solaires certifiées Lighting Africa offertes dans les écoles et centres sociaux communautaires ; Diffusion d’environ 10 000 lampes solaires.

> PROJETS EN COURS L’État malien, la Banque mondiale, l'Agence française de développement (AFD), la BADEA, le Fonds Abou Dhabi pour le développement et l'UEMOA s'engagent dans un vaste projet de remplacement des centrales thermiques en milieu rural par des centrales hybrides solaires. Près de 150 villages bénéficieront de cette mis à niveau. Le Mali, avec ses partenaires de la BID et ONEE Maroc, prévoit également l'électrification de 24 villages, à partir de deux centrales solaires.

Le siège social de l’AMADER à Bamako, Mali

Colline de Badalabougou - Immeuble N°02 de l’ex CRES - BP E 715 Bamako, Mali - Tél. : (+223) 20 23 85 67

Email : amader@amadermali.net - Site internet : www.amader.gouv.ml

JAMG - Photos : D.R.

Avec l’appui des acteurs du secteur de l’énergie, du département de tutelle et du département chargé des finances, les activités de l’AMADER ont permis d’atteindre ces résultats : • Plus de 300 localités électrifiées ; • 34 centrales hybrides solaires réalisées pour une puissance totale solaire installée de 2,84 MWc ;

> LES RÉALISATIONS


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STRATÉGIE

Boubou Cissé

Ministre de l’Économie et des Finances

« Nous continuerons à réduire les impôts des entreprises »

Propos recueillis à Bamako par ALAIN FAUJAS

près trois ans à la tête du ministère de l’Économie, Boubou Cissé, 45 ans, s’est imposé comme l’un des poids lourds du gouvernement. Avec le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, il prépare un recentrage de l’économie afin qu’elle ne dépende plus exclusivement de l’or et du coton. Comme il l’explique à JA, cela suppose un programme d’infrastructures de 15 milliards de F CFA (22,87 millions d’euros). Étant donné que l’État ne peut financer seul cet effort, il convie le secteur privé à un partenariat pour mener à bien ce décollage.

A

Boubou Cissé : Nous avons fait plus en 2014, avec 7 %. Et depuis, notre croissance moyenne annuelle est supérieure à 5 %. C’est une croissance robuste, que nous avons obtenue grâce à des efforts importants en matière de réformes et de consolidation macroéconomique. Nous avons changé la structure de notre budget: jusqu’en 2015, il était pour 80 % consacré à des dépenses de fonctionnement et pour 20 % à des investissements ; depuis, 40 % à 45 % sont destinés à ces dépenses d’investissements. Celles-ci ont été réorientées vers des infrastructures et des filières porteuses. Ainsi, le chef de l’État a décidé d’augmenter de 6 % à 15 % la part de l’agriculture dans notre budget. Nous sommes conscients que pour lutter efficacement contre la pauvreté, il nous faudrait une croissance encore plus forte. Notre plan quinquennal 20192023 devrait nous permettre de la hisser à 7 % puis, à terme, à 10 %. Il doit changer

SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA

Jeune Afrique : Pourquoi la croissance de votre économie ne dépasse-t-elle pas 5 % par an ?

structurellement la base de notre économie, qui dépend trop du secteur primaire, de l’or et du coton, vulnérables aux chocs externes. Nous devons développer notre industrie et l’orienter vers la transformation des produits agricoles, comme le coton, la gomme arabique, l’anacarde et la mangue, pour lesquels nous disposons d’un avantage comparatif.

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Pourquoi les recettes publiques rentrentelles mal ?

De 2014 à 2018, nous avons amélioré chaque année nos recettes budgétaires d’une centaine de milliards de francs CFA. En 2018, nous avons connu un accident de parcours. Bien sûr, l’insécurité a gagné le centre du pays et a fortement contribué à l’augmentation de la fraude, comme le prouve la diminution statistique de nos importations. Le fléchissement de l’économie y a contribué aussi, l’élection présidentielle ayant créé un climat d’expectative. Quels sont les objectifs du programme d’infrastructures économiques 20182023 qu’a annoncé le Premier ministre le 15 février et qui comporte notamment 8 700 km de routes ?

NOMBRE DE FONCTIONNAIRES TROUVENT QUE LEURS SALAIRES NE SUIVENT PAS LE COÛT DE LA VIE. NOUS TÂCHONS DE RÉPONDRE À LEURS DEMANDES SANS METTRE EN DANGER LE BUDGET DE L’ÉTAT.

Sans investissements publics importants, il sera difficile de nous développer au rythme souhaitable. D’autre part, notre vaste pays n’est pas bien « maillé ». Par exemple, il n’y a pas de liaison directe entre Sikasso et Mopti, alors que la seconde est une grande consommatrice des produits de la première. Ce programme facilitera les échanges entre les différentes régions et améliorera notre cohésion sociale. Son exécution coûtera 5 milliards de F CFA [plus de 7,62 millions d’euros] sur cinq ans et 15 milliards sur dix ans. Nous allons décliner ces projets dans une loi de programmation, et ils deviendront une obligation pour l’État. Celui-ci n’a pas les moyens de les financer seul. C’est pourquoi nous nous tournons vers le secteur privé, auquel nous proposons des partenariats public-privé [PPP]. Nous avons voté une loi PPP en 2016, pris ses décrets d’application et créé une unité PPP pour en suivre les résultats. L’État apportera au secteur privé les garanties et le « confort » nécessaires. Depuis deux ans, la confiance est revenue et nous allons tout faire pour la consolider. Il y a deux ans, vous annonciez la fusion de taxes sur les salaires et la baisse de leurs taux. Où en est-on ?

Cela a été réalisé dans la loi de finances 2019. Nous avons fusionné la taxe emploi jeunes avec la taxe pour la formation professionnelle et abaissé leur taux de 5,5 % à 4,5 %. Le privé s’est dit satisfait. Nous allons continuer avec les impôts sur les

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sociétés et sur les bénéfices industriels et commerciaux. Mais, comme ce sont de gros pourvoyeurs de recettes pour l’État, nous menons des études complémentaires pour en mesurer l’impact sur nos finances. Le patronat malien se plaint que la lutte contre la corruption, la mise en place d’un guichet unique et les PPP avancent trop lentement. Êtes-vous d’accord ?

Nous ferons tout ce qui permettra de faciliter la vie du secteur privé, car il contribue à l’intérêt collectif en créant des emplois, en payant des impôts et en investissant. La question de la corruption est l’une de nos préoccupations majeures, comme en témoigne la création de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite. Il nous faut être encore plus performants. Mais cette lutte n’est pas seulement de la responsabilité de l’État. S’il y a corruption, c’est qu’il existe un corrompu et un corrupteur. Il faut que le privé fasse des efforts lui aussi. Pourquoi y a-t-il autant de grèves au Mali ? Comment y répondez-vous ?

Elles portent surtout sur des revendications salariales, car la pauvreté existe dans le pays, elle s’est même aggravée à certains endroits. Une bonne partie des fonctionnaires trouvent que leurs salaires ne suivent pas le coût du panier de la ménagère. Nous tâchons de répondre à leurs demandes sans mettre en danger le budget de l’État. Nous avons accordé des augmentations significatives aux intéressés… et pas du tout insignifiantes pour ledit budget. Quelle est la réforme qui vous tient le plus à cœur pour 2019 ?

C’est la mise en œuvre du plan quinquennal 2019-2023, car il va dessiner l’avenir de notre pays. Nous orientons notre vision vers l’industrialisation, une meilleure gestion des finances publiques et un meilleur maillage du Mali. Ce document est achevé. Ce mois-ci, en mars, nous le soumettrons à une conférence nationale qui réunira l’État, les collectivités locales, les partenaires sociaux et le privé afin qu’ils partagent cette stratégie. En juin ou juillet, nous organiserons un groupe consultatif des bailleurs pour qu’ils s’engagent à nos côtés, afin de réaliser le Mali que nous voulons.


COMMUNIQUÉ

Groupe TOGUNA : Une vision globale & & stratégique du développement TOGUNA SARL : Fondée en 1994, elle évolue dans l’importation et la distribution de produits phytosanitaires, de semences et d’appareils de traitement des cultures. En fin 2018, elle s’est dotée d’une ligne de conditionnement de produits. Phytosanitaires, première réalisation du genre dans la sous-région en partenariat avec BASF, premier groupe mondial de chimie.

TOGUNA MOTORS : Spécialisée dans l’assemblage et la distribution d’équipements agricoles de marque FOTON LOVOL et représentant exclusif des camions SINOTRUK au Mali. Elle assure également un service après-vente de qualité. ACTIVITÉ PRINCIPALE : Agro Business. EMPLOYÉS : Plus de 1 200 salariés.

TOGUNA AGRO INDUSTRIES SA : Société Anonyme fondée en 2006 est la première unité au Mali de production d’engrais NPK de type bulkblending avec une capacité installée de plus de 600 000 tonnes par an. Nos produits sont aujourd’hui distribués dans plusieurs pays de la sous-région à travers la mise en place d’un vaste réseau de distribution. Toujours à l’écoute des préoccupations de son marché, l’entreprise étend ses activités avec le rachat de la SEPT S.A. en 2009 pour exploiter le phosphate naturel de Tilemsi (PNT). Le PNT par sa forte teneur en phosphore (P2O5) de 31% et en calcium (CaO) de 41% est recommandé par la recherche agronomique comme amendement sur des sols acides. TOGUNA MINING CORPORATION SARL : Évolue dans les mines avec l’exploitation d’un gisement de dolérite en fournissant aux professionnels du BTP du gravier de qualité. Elle a élargi ses activités avec l’exploitation du minerai de calcaire (matière première dans la composition du ciment).

Unité de mélange Toguna

CERTIFICATION : ISO 9001-2015. RECHERCHE : Un département R&D et un laboratoire de tests d’analyses physico-chimique. Une collaboration avec les instituts de recherches pour une adaptation et une amélioration continues de la qualité de nos produits. PARTENAIRES : États, Instituts de recherche nationaux & sous régionaux, groupements & associations agricoles, particuliers. TRANSPORT : Parc de plus de 600 camions, engins lourds. FONDATION TOGUNA : Constructions d’écoles et de salles informatique entièrement équipées, de centres de santé, d’infrastructures culturelles à travers tout le pays.


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INDUSTRIES EXTRACTIVES

Une filière en or

Multiplication du nombre d’opérateurs, entrée en exploitation de nouvelles mines, hausse de la production sur plusieurs sites… Le secteur aurifère se porte particulièrement bien. ALAIN FAUJAS

es gouvernements successifs ont beau essayer de diversifier les productions du pays pour éviter de dépendre des fluctuations erratiques des prix mondiaux d’une seule matière première – comme le leur conseillent les bailleurs de fonds depuis des années –, rien n’y fait : l’or conforte année après année

L

sa place de première ressource du Mali. Selon les chiffres officiels, il a été produit 60,8 tonnes (2,14 millions d’onces) du précieux métal en 2018, soit une progression de 20 % par rapport à l’année précédente. L’or continue de représenter les trois quarts des recettes d’exportation, un quart des recettes budgétaires et 8 % du PIB national. Cette production record fait du Mali le troisième producteur d’or du continent

CHIFFRES RECORD mines industrielles actives

11 000 salariés

60,8 t

produites en 2018

75 %

des recettes d’exportation

25 %

du budget de l’État

8% du PIB

Le canadien B2Gold a extrait 439 068 onces de la mine de Fekola en 2018.

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KATIE BROMLEY/B2GOLD

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derrière l’Afrique du Sud et le Ghana. Elle a été obtenue après la mise en exploitation de la mine de Fekola, fin 2017, par le canadien B2Gold – qui a annoncé avoir battu des records de production l’an dernier grâce à ce gisement à ciel ouvert, dont ont été extraites 439 068 onces (12,45 t) en 2018 –, et elle sera plus soutenue encore en 2019 avec la montée en puissance de la mine de Syama, dont l’australien Resolute Mining a lancé l’exploitation en 2018.

Mercure ou cyanure

Installé au Mali depuis une quinzaine d’années, le géant canadien Barrick Gold – devenu numéro un mondial de l’extraction minière de l’or depuis sa fusion avec Randgold Resources début janvier – est satisfait de ses mines de Loulo-Gounkoto (700 000 onces, soit près de 20 t par an) et de celle de Morila, en voie d’épuisement, « où nous prévoyons de céder la place à une installation agro-industrielle après notre départ », explique Mahamadou Samake, directeur régional du groupe

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pour l’Afrique de l’Ouest. « Les coûts sont assez élevés, notamment ceux de l’énergie, qui pèsent pour 30 % à 40 % dans nos frais d’exploitation, mais celle-ci demeure rentable à partir de 1 000 dollars l’once, grâce à des règles rigoureuses de contrôle des coûts », ajoute-t-il. À la fin du mois de février, les cours mondiaux approchaient des 1 300 dollars l’once. Les compagnies minières cohabitent difficilement avec les chercheurs d’or artisanaux, qui empiètent sur leurs concessions et ont souvent recours à des procédés d’extraction dangereux, utilisant le mercure ou le cyanure. « Ils nous font du tort en envahissant nos zones de sondage, poursuit Mahamadou Samake. Nous sommes pourtant prêts à leur céder des couloirs d’orpaillage après étude des placers [dépôts alluvionnaires], à leur apporter de l’eau et à faire des forages à leur profit, mais pas n’importe comment. » Un constat que confirme la Chambre des mines du Mali (CMM). « Des concessions sont squattées, et cela gêne les

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industriels, qui emploient 11 000 salariés, reconnaît le président de l’instance consulaire, Abdoulaye Pona. Mais l’exploitation artisanale existe au Mali depuis le XIIe siècle, et les 350 placers répertoriés sont exploités par 500 000 orpailleurs, qui font vivre des millions de personnes. En fait, les autochtones sont les premiers géologues du Mali. » La production artisanale représenterait 6 t par an. « Mais nous pensons qu’elle dépasse les 20 t », affirme Abdoulaye Pona. Et comme il n’existe au Mali aucune obligation de vendre son or à la Banque centrale – contrairement à d’autres pays voisins –, certains se risquent à avancer le chiffre d’une quarantaine de tonnes, ce qui semble cependant peu vraisemblable.

Dans ce climat d’incertitudes et de frictions entre artisans et industriels, Lelenta Hawa Baba Ba, la ministre des Mines et du Pétrole, tente de mettre un peu d’ordre. Certes, l’avenir s’annonce sous les meilleurs auspices pour l’or malien, puisqu’aux treize mines industrielles exploitées par onze opérateurs – « dont la bonne santé témoigne que le secteur se porte bien », selon la ministre – s’ajouteront bientôt d’autres sites, à commencer par celui de Bagama, dans la région de Kayes, qui doit entrer en production en 2020. « Nous disposons de 900 t de réserves prouvées », ajoute Lelenta Hawa Baba Ba, qui sait ce dont elle parle car elle est ingénieure en géologie et était, avant son entrée au gouvernement, en septembre 2018, directrice nationale de la géologie et des mines. La ministre estime que les disputes entre orpailleurs et industriels « sont un souci, car les premiers sont devenus de petits industriels équipés de matériels plus modernes qu’autrefois. L’État essaie donc d’organiser la filière, en créant pour eux des couloirs d’exploitation – après avoir évalué leurs teneurs en or. Il faut aussi qu’ils parlent aux industriels. » Malgré les efforts de ces derniers pour amadouer les orpailleurs, les conflits ne semblent pas près de cesser : le « métal des dieux » a pour défaut, depuis la nuit des temps, de brouiller la raison des personnes les plus sensées.

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ALAIN FAUJAS

Le projet arrivera un peu tard pour les 498 cheminots maliens de Transrail privés de salaire par la fermeture du chemin de fer BamakoDakar et surtout pour les sept morts que comptent leurs grévistes de la faim, mais il « fait rêver » Abdoulaye Pona, le président de la Chambre des mines du Mali : 4 740 km de nouvelles voies ferrées, dont 3240 au Mali, pour relier Kidal aux ports de Conakry (Guinée), Dakar (Sénégal) et San Pedro (Côte d’Ivoire). « Depuis trois ans, nous travaillons à désenclaver notre pays, qui regorge de matières premières comme l’aluminium, le fer ou l’uranium, assure Abdoulaye Pona. Ces voies ferrées permettraient d’exploiter de nouvelles mines et d’acheminer leur production vers les trois ports, mais aussi de transporter des marchandises et des passagers à 120 km/h. » Pour concrétiser ce « rêve », le 14 février, la Chambre des mines a signé avec le bureau d’étude et de conseil en ingénierie et en recherche appliquée (Cira), de Seydou Coulibaly, une convention confiant à celui-ci des études de préfaisabilité portant sur quatre axes. Le premier irait de Koulikoro à Dakar et desservirait Bamako, Kayes et Diboli. Le second partirait de Bamako et descendrait vers le port de San Pedro, via Bougouni, Kadiolo, Odienné et Man – « ce projet est déjà soutenu par l’Uemoa », rappelle Abdoulaye Pona. Le troisième relierait Bamako à Conakry, via Bougouni et Kankan. Le quatrième irait de Bamako à Kidal, via Ségou, Djenné, Mopti, Tombouctou et Gao. Afin de ne pas dépendre d’un seul pays et de diversifier les ports qui exporteront les minerais, Abdoulaye Pona n’entend sacrifier aucun des quatre projets, et ce malgré leur prix. « Nous cherchons des partenaires privés pour réaliser ces infrastructures, dont le coût est estimé à 14 milliards de dollars. Le retour sur investissement devrait être effectif en moins de vingt ans. Nous ne voulons pas de sociétés chinoises qui imposent leur main-d’œuvre et leur technologie, et nous espérons que les entreprises françaises les plus compétentes se porteront candidates », souligne le président de la chambre consulaire, qui vient de recevoir un premier candidat… Alors que les études de préfaisabilité ne seront bouclées que dans six mois.

EN PROJET

Frictions entre artisans et industriels

Des trains nommés désir


COMMUNIQUÉ

Ministre du Développement Industriel et de la Promotion des Investissements M. Moulaye Ahmed BOUBACAR

INDUSTRIES MALIENNES :

LE «MADE IN MALI» AU CŒUR DE GRANDES RÉFORMES

D

ans sa politique de booster les investissements, le Gouvernement du Mali a fait du développement industriel et de l’amélioration continue de l’environnement des Affaires, une priorité avec d’importantes réformes dans les domaines juridique et réglementaire. Le pays dispose d’un ambitieux programme d’investissements prioritaires pour se hisser à l’horizon 2020 sur la voie de l’émergence économique. La mobilisation significative de capitaux étrangers et nationaux destinés au financement de projets d’investissements structurants jouera un rôle capital dans la valorisation de son immense potentiel économique. Une vision du Président de la République, Chef de l’État SEM Ibrahim Boubacar KEITA, portée par le ministre malien du Développement Industriel et de la Promotion des Investissements.

Le Ministre Moulaye Ahmed BOUBACAR, ambitionne de faire du secteur industriel, le moteur de croissance de l’économie à travers la mobilisation d’investissements conséquents. Son objectif de faire contribuer le secteur privé au développement économique et à l’amélioration des conditions de vie des populations s’est déjà traduit par la mise en œuvre d’importantes réformes législatives et réglementaires en vue de rendre efficient l’environnement des affaires et favoriser l’activité économique. Au premier rang de ces réformes, la modification du Code des Investissements avec comme innovation, le rehaussement du seuil des investissements pour les entreprises éligibles au régime A, faisant passer ce seuil de 12,5 millions à 100 millions de F CFA pour permettre de réduire l’octroi des exonérations dont le montant est actuellement très élevé. Un nouveau dispositif d’élaboration et de contrôle des politiques mis en œuvre en matière de développement des Petites et Moyennes Entreprises est également disponible et sa mise en œuvre est assurée par la Direction Nationale des PME à travers le Programme d’Appui au Développement des PME, assorti de son plan d’action 2019-2023. Le département, suivant la mission qui lui a été assignée par le Gouvernement, travaille sans cesse à la promotion du potentiel économique du pays, à la modernisation et à la valorisation des principales productions brutes des différents secteurs de l’économie.

L’accélération du développement économique dans l’optique de la réduction de la pauvreté passe impérativement par l’industrialisation en vue de tirer le meilleur profit de la transformation locale des matières premières nationales notamment agricoles.

seurs-industriels. La nouvelle loi sur les Partenariats Public intègre la prise en charge des bonnes pratiques internationales et vise à permettre au secteur privé de jouer tout son rôle dans la réalisation des grands chantiers de développement au Mali.

C’est dans ce registre que s’inscrit l’érection du Centre pour le Développement Agro-alimentaire (structure rattachée au département) en Agence, avec comme objectif principal la création d’une masse critique d’entreprises de transformation agroalimentaire formelles et structurées.

Le Guichet Unique Electronique du Commerce et des Transports contribuera à renforcer la collaboration dans un environnement sécurisé entre les services techniques et les opérateurs économiques, de manière rapide.

Promouvoir « la production industrielle locale », suppose mettre en exergue l’admirable génie industriel malien qu’il importe d’encourager et de soutenir par le biais d’une consommation locale accrue et plus soutenue. Aujourd’hui, les efforts sont orientés vers la promotion de la consommation des productions industrielles nationales : le « Made in Mali ». La nouvelle Agence pour le Développement Agro-alimentaire permettra d’accroître les capacités managériales des entreprises agro, de faciliter leur accès au financement et d’améliorer leur compétitivité sur le marché national et sous régional. Des actions d’envergure ont été menées pour faciliter la pratique des affaires notamment le Cercle de Réflexion économique, la création de nouvelles zones industrielles, l’appui aux industries locales de transformation, la rationalisation du cadre de dialogue État - secteur privé, en vue de mieux répondre aux préoccupations majeures du secteur privé et l’organisation très prochaine de la rencontre investis-

Le secteur de la micro finance connaîtra des jours meilleurs avec la mise en œuvre imminente du mécanisme de refinancement des systèmes financiers décentralisés. L’architecture législative sur les Zones Économiques Spéciales (ZES) est en pleine construction et ce dispositif mettra à la disposition des investisseurs, un environnement attractif et sécurisé par l’octroi d’incitations fondées sur les performances économiques, la simplification des procédures administratives, l’amélioration des régimes appliqués aux droits de propriété et un accès ciblé au crédit foncier. Le forum « Invest in Mali » que le département organise en novembre prochain, permettra à notre pays de montrer aux investisseurs nationaux et étrangers, l’immense potentiel dont dis-pose le pays pour l’exploitation duquel toutes ses réformes sont initiées. Le ministre Moulaye Ahmed BOUBACAR est très optimiste, car la mise en œuvre de ces initiatives permettra au Mali de s’inscrire au rang des pays émergents dans un avenir immédiat.


Grand format MALI

SOCIÉTÉ Dans le quartier Faso Kanu, à Bamako.

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Laïcs mais pas trop? jeuneafrique no 3036 du 17 au 23 mars 2019


DR

Près de 60 000 personnes se sont rassemblées le 10 février au stade du 26-Mars de Bamako à l’appel du Haut Conseil islamique du Mali, qui a exigé la démission du Premier ministre.

AÏSSATOU DIALLO et BABA AHMED

EMMANUEL DAOU BAKARY

D Le pays est réputé pour son esprit d’ouverture et sa diversité culturelle. Les partis confessionnels y sont même interdits. Pourtant, associations et dignitaires religieux gagnent en influence.

eux épisodes récents soulignent l’influence des leaders religieux musulmans dans la société malienne. Le 10 février, près de 60 000 personnes sont réunies au stade du 26-Mars de Bamako, à l’appel de Mahmoud Dicko, président du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM, lire pp. 140-141), et de Bouyé Haïdara, le chérif de Nioro. L’imam Dicko dénonce la mauvaise gouvernance et demande le départ du Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga. C’était la première fois dans l’histoire du Mali indépendant qu’un rassemblement de cette ampleur réclamait le départ d’un homme politique. En se posant comme le défenseur « des valeurs sociétales et religieuses », Mahmoud Dicko bénéficie d’un large soutien au sein de la population. Deux mois plus tôt, en décembre, le même Dicko était monté au créneau contre un projet de manuel scolaire d’éducation sexuelle « complète » qui comprenait une approche pédagogique plus tolérante à l’égard de l’homosexualité. Un sujet tabou sur lequel le gouvernement finira par reculer, jusqu’à abandonner l’ensemble du projet. À la suite du meeting du 10 février, les imams du HCIM ont publié un communiqué demandant à l’État de « criminaliser la pratique de l’homosexualité », et le porte-parole de l’organisation, Issa Kao Djim, a annoncé la création d’un mouvement – sous le leadership de l’imam Dicko – pour lutter contre la vente d’alcool, la prostitution et toutes les autres pratiques interdites par l’islam.

Idéologie wahhabite

Un autre événement vient illustrer l’influence de certains leaders religieux sur les grandes questions de société. Au matin du 19 janvier, alors qu’il se rend dans sa mosquée de Bamako pour la prière du fajr (« l’aube »), l’imam Abdoul Aziz Yattabaré est poignardé par un jeune homme et succombe à ses blessures quelques heures plus tard. Son assaillant, Moussa Guindo, s’est lui-même rendu à la police. L’assassinat de cet éminent représentant de la

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communauté musulmane (il était directeur de l’institut Mahadi islamique de Missira, une école coranique, et avait conduit la délégation du HCIM à Tombouctou, en 2012, pour discuter avec le chef jihadiste Abou Zeid) a plongé le pays dans l’émoi et provoqué un tollé chez les dignitaires religieux. Depuis, certains d’entre eux réclament l’application de la peine de mort. Même si celle-ci est prévue dans la législation du pays, elle est extrêmement rarement prononcée, et la dernière exécution d’un condamné à mort remonte à 1980. Si les leaders religieux musulmans sont aussi influents, c’est que plus de 90 % des Maliens se revendiquent de cette confession. Ils pratiquent un islam malékite, l’une des écoles du droit musulman sunnite majoritaire en Afrique de l’Ouest qui prend notamment en compte la coutume locale lorsqu’elle n’est pas contraire à la religion. Ce qui – jusqu’à présent tout du moins – permettait une relative cohésion entre la religion et la culture des ethnies du pays. De plus, jusqu’à la crise de 2012, le dialogue interreligieux fonctionnait. Mais le saccage d’églises et l’enlèvement d’une religieuse dans le centre du pays – revendiqué par le Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin (JNIM, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, dirigé par Iyad Ag Ghaly) montre que la religion musulmane au Mali a pris pour certains un tournant wahhabite plutôt extrémiste. « Ce phénomène de glissement vers un islam plus radical s’est fait progressivement, depuis une trentaine d’années », analyse Bréma Ely Dicko, chef du département sociologie et anthropologie à l’université de Bamako.

Mahmoud Dicko

Président du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM)

Quel était le rôle initial du HCIM et le joue-t-il encore ? Le HCIM fait office d’interface entre les pouvoirs publics et la communauté musulmane. C’est son rôle et c’est ce que nous faisons. S’il y a un problème sociétal, c’est à nous d’alerter 140

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les autorités. Si ces dernières ont un message pour la population, elles se tournent vers nous pour le relayer. Peut-on parler de la montée d’un islam politique au Mali ? Que signifie islam politique ? Je ne connais

EMMANUEL DAOU BAKARY POUR JA

« Nos gouvernants pensent que nous n’avons pas d’opinion »


DR

Plus de 90 % des Maliens se disent musulmans.

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Au Mali, lorsqu’il s’agit des droits des femmes, il y a un flou entre religion et cultures. Quand un mari bat sa femme, on dit à celle-ci: “Si tu es frappée, ton enfant aura la baraka.” Pourtant ce n’est écrit nulle part dans le Coran. Cela découle de la coutume dans certaines ethnies. Lorsqu’une nouvelle mariée va s’installer chez son époux, il y a dans son trousseau un fouet. Le message est clair: “Si tu fais une bêtise, ton mari a le droit de te frapper.” Cette confusion entre religion et cultures a encore de beaux jours devant elle tant que tout le monde n’en prend pas conscience, et étant donné que ce sont les hommes qui sont aux postes de décision. Ce sont encore eux qui font les prêches dans les mosquées et en sont les premiers bénéficiaires.

qu’un islam. Lorsqu’un musulman s’intéresse à la vie de son pays, est-ce qu’il fait de sa religion une religion politique ? On peut parler de leaders religieux musulmans politiques, mais il n’y a pas d’islam politique. Êtes-vous un leader religieux politique ? Je ne suis pas un politique, mais je suis un leader et j’ai des opinions. Si cela est politique, je suis politique.

Certains estiment que le Mali va vers un islam de plus en plus rigoriste. Partagez-vous ce constat ? Je ne vois pas les choses comme cela. L’islam du Mali, qui est un pays musulman à plus de 90 %, a toujours été tolérant. Les gens confondent l’islam et la société malienne, ce qui est une erreur. C’est cette société qui, ellemême, devient exigeante, qui pense que la gouvernance doit être améliorée. Selon vous, pourquoi la crise sécuritaire dans

DIAKITÉ KADIDIA FOFANA Porte-parole du Collectif des amazones contre les violences faites aux femmes

le Nord et le Centre s’aggrave-t-elle ? Quand les dirigeants gouvernent seuls, cela ne peut pas marcher. Ils nous traitent comme les Occidentaux nous traitaient en leur temps. Souvenez-vous de l’article 13 de la charte de l’impérialisme : « Les pays du Tiers Monde n’ont ni culture ni civilisation qui ne se réfèrent à la civilisation occidentale. » Nos gouvernants pensent que nous n’avons pas d’opinion. Aujourd’hui, nous sommes dans un carcan où

c’est la communauté internationale qui vient voir si nos élections se sont bien passées. Il est temps que nos dirigeants s’assument ! Ce système de démocratie représentative qu’on nous impose ne fonctionne pas chez nous. Les peuples africains doivent se dire qu’il serait temps d’essayer autre chose. La démocratie est universelle, mais, chaque pays et chaque peuple ayant sa spécificité, elle doit s’appuyer sur nos valeurs sociétales et religieuses.

Propos recueillis par A.D.

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Depuis la sécheresse qui a frappé le Sahel dans les années 1970-1980 et les programmes d’ajustements structurels, les ONG financées par les pays du Golfe ont multiplié leurs bons offices humanitaires. « Dans certaines parties du pays, ce sont les organisations islamiques, soutenues pour la plupart par l’Arabie saoudite, qui remplacent l’État dans ses fonctions régaliennes. Partout où il y a une mosquée, il y a en général une médersa, un puits et de plus en plus souvent un centre de santé, poursuit le sociologue. Les mosquées mettent également en place des associations de femmes, de jeunes et d’hommes, avec des prêches et des activités au quotidien. Ce qui permet

de mieux diffuser l’idéologie wahhabite. » En plus de l’appareil militaire abîmé, celui de la justice est souvent pointé pour sa corruption. « On n’a jamais vu quelqu’un possédant plus de 50 millions de F CFA [76 224 euros] se faire mettre en prison, déplore un ancien général de la police malienne. Tout le monde est corrompu, du juge au ministre, en passant par les agents de l’État ! » Le rapport annuel publié par le bureau du vérificateur général constate que des dizaines de milliards de F CFA sont détournés ou perdus pour cause de mauvaise gestion ou de corruption. Sans que cela donne lieu à des actions au pénal. Aussi le sentiment d’injustice grandit-il, de même

Quand la musique est bonne

EMMANUEL DAOU BAKARY POUR JA

Sur la scène de Radio libre, le 14 février.

Franchir les portes de Radio libre, c’est entrer dans un temple du reggae. Et venir partager l’amour des Maliens pour la musique, loin du rigorisme de certains. En 2005, le chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly a ouvert cet espace de musique live dans le quartier populaire de Niamakoro, à Bamako. Son image est fortement associée au club, dont les murs sont tapissés de portraits de « Tiken », de son compatriote Ismaël Isaac et du chanteur sud-africain Lucky Dube, ainsi que de célèbres

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rastafaris ou leaders révolutionnaires tels que Thomas Sankara et Haïlé Sélassié. Les couleurs panafricaines et maliennes (le rouge, le jaune et le vert) sont également à l’honneur. Pour 2000 F CFA (3 euros), tous les jours sauf le lundi, les mélomanes peuvent assister à des concerts dès 23 heures. La programmation mixe stars et jeunes talents. « Au départ, nous faisions surtout du reggae, mais on a ouvert la scène à la musique mandingue pour séduire plus de Bamakois. Radio libre fait

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salle comble, surtout lorsque Tiken s’y produit. Il est attaché au lieu et y vient en général une fois par mois », explique Aboukary Napo, gérant du bar. Pour Lamine Traoré, un jeune client, ce qui fait son succès, « c’est qu’il est accessible et permet de se défouler ». Depuis le début de l’année, Radio libre a engagé des travaux d’aménagement. En plus du bar-club et du restaurant sur le toit de l’immeuble, une boîte de nuit sera créée au rez-dechaussée, afin d’attirer une

clientèle plus jeune. Quant au studio de radio, qui a donné son nom à l’établissement, il devrait bientôt être opérationnel lui aussi.

Un succès qui fait des émules

À l’affiche en ce moment, le samedi soir : Rokia Koné, chanteuse très en vue de la scène musicale malienne et par ailleurs membre du collectif les Amazones d’Afrique, aux côtés d’artistes comme Mamani Keïta, Angélique Kidjo, Mariam Koné et Kandia Kouyaté. Ce samedi de la mi-février, une centaine de spectateurs sont installés dans des fauteuils disposés en demicercle autour de la scène. Ils sirotent leurs boissons et discutent en attendant l’arrivée de l’artiste, de ses musiciens et des quelques danseurs qui les accompagnent. Entre deux titres, Rokia Koné échange avec le public, pendant qu’un petit groupe, près de la scène, esquisse quelques pas au rythme de la musique mandingue. Le succès de ce concept a inspiré la création d’autres bars à Bamako. AÏSSATOU DIALLO


que le nombre de ceux qui souhaitent l’instauration de la charia au-delà du mariage et du baptême. Lors de l’occupation de la ville de Douentza (à l’est de Mopti) par le Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), en 2012, des habitants ont d’ailleurs témoigné des restrictions imposées par les jihadistes, tout en reconnaissant « l’équité » de « leur » justice. « Lorsqu’il y avait un litige entre deux personnes, chacun venait avec ses témoins, et la justice était rendue en quarante-huit heures au maximum, raconte un homme. Il y avait ensuite un suivi du jugement rendu et une mise en garde adressée à celui qui perdait pour éviter toute récidive. Le nombre de vols avait diminué. » Cette charia reste cependant moins violente dans sa pratique que celle mise en œuvre à Gao, par exemple, où les islamistes avaient procédé à des amputations en 2012. Selon Mahmoud Dicko, l’islam du Mali demeure tolérant : « C’est la société malienne elle-même qui devient plus exigeante en matière de gouvernance », assure-t-il. Investis de cette adhésion populaire, certains leaders religieux ont démontré leur capacité de mobilisation à des fins politiques et n’hésitent plus à défier l’État. Comme l’a déjà illustré le bras de fer qu’ils ont tenu, de 2009 à 2011, contre le code de la famille (lire encadré ci-contre), et qu’ils ont fini par gagner.

UN CODE DES PERSONNES ET DE LA FAMILLE EXPURGÉ En 2009, l’Assemblée nationale du Mali avait adopté un code des personnes et de la famille progressiste qui a irrité les islamistes et contraint les parlementaires et le gouvernement à reculer. Le texte ne sera promulgué qu’en décembre 2011, après avoir été renvoyé en seconde lecture, soigneusement expurgé de ses mesures phares pour les droits des femmes. Celles qui prévoyaient que le mariage civil soit le seul retenu comme légal, que l’âge minimal d’une

jeune fille pour se marier soit porté à 18 ans et que la sœur hérite à part égale avec ses frères. Celles qui stipulaient que la femme est l’égale de l’homme ou que les époux se doivent mutuellement fidélité, protection, secours et assistance. Et, plutôt que de disposer que la loi « assure la protection de la femme et de l’enfant », le nouveau code a préféré affirmer qu’elle « assure la protection de la personne humaine et de la famille ». BABA AHMED

AZALAÏ 25 ANS D’HOSPITALITE ET DE SAVOIR-FAIRE AU SERVICE DE L’AFRIQUE

BAMAKO - OUAGADOUGOU - BISSAU - COTONOU - NOUAKCHOTT - ABIDJAN and soon in DAKAR, NIAMEY, CONAKRY & DOUALA.

25 ans

AZALAÏ DEPUIS 1994

www.azalai.com


Grand format MALI SOCIÉTÉ

LIVRES

Adame Ba Konaré

Historienne, ancienne première dame du Mali

« Le griot évolue avec son temps » Propos recueillis par BENJAMIN ROGER

istorienne et femme de lettres, l’ancienne première dame du Mali vient de publier Le griot m’a raconté… Ferdinand Duranton, le prince français du Khasso, biographie d’un colon français qui, au début du XIXe siècle, épousa la princesse Sadioba Diallo, fille du roi du Khasso (une région du HautSénégal correspondant à l’actuel Ouest malien). Marraine de l’association Tabital Pulaaku International, pour la promotion de la culture et de la langue peule, Adame Ba Konaré s’alarme par ailleurs des conflits intercommunautaires qui agitent le centre du pays.

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Jeune Afrique : Pourquoi avoir consacré un livre au personnage de Ferdinand Duranton ? Adame Ba Konaré : Quand je travaillais

sur mon Dictionnaire des femmes célèbres du Mali, je suis tombée sur une princesse, Sadioba Diallo, qui était la fille du roi du Khasso. Elle avait épousé un Français du nom de Ferdinand Duranton en 1825. Cela m’a paru assez étrange, donc j’ai fait des recherches sur ce personnage. Qui était cet homme qui, au début du XIXe siècle, avait épousé une princesse malienne ? Je suis remontée à ses origines, à ce qu’il avait fait… Et ce Duranton m’a paru déterminant dans l’histoire de la région. Il ne croyait pas aux négociations et avait développé une théorie en faveur de la guerre. À l’époque, il y avait des conflits interminables entre les rois locaux. Tout ce qui intéressait la France était le commerce, notamment celui de la gomme. Les chefs de Duranton, qui avait été envoyé dans le haut fleuve Sénégal pour nouer des relations amicales avec ces rois, estimaient qu’il fallait avancer prudemment et gagner leurs faveurs. Duranton, lui,

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pensait au contraire qu’il fallait intervenir militairement. Il est le père de l’interventionnisme militaire français dans cette région. Il est aussi celui de l’ingérence : il disait qu’il fallait être au plus près des rois qui servaient les intérêts français. Pour le reste, l’historienne que je suis ne s’encombre pas de considérations politiciennes sur son statut [de colon]. Je m’accroche aux faits. Pourquoi avez-vous raconté sa vie à travers la rencontre entre son descendant, Nicolas Duranton, et le griot djeli Madi Kouyaté ?

Utiliser ces personnages romanesques était une façon de faire d’une pierre deux coups. Je voulais raconter l’histoire de Duranton et revaloriser la fonction du griot. Le griot est un historien. Son savoir est fondé sur la transmission orale, l’écoute, la mémorisation, la récitation… Il se transmet de bouche à oreille. Les historiens africains de ma génération ont abondamment utilisé la tradition griotique comme source d’information. Les griots sont formés dans des écoles spécialisées, ils apprennent leur métier. Ils sont incontournables. Dans les années 1960, les historiens ont institutionnalisé la tradition orale et en ont fait une source aussi valable que les documents écrits.

Le 12 février, à Bamako, au Musée de la femme Muso Kunda, dont l’ancienne première dame est la présidente et fondatrice.

Les griots ont-ils autant de poids dans la culture contemporaine ?

Le griot occupe toujours la même fonction sociale et continue de jouer son rôle, mais sa fonction change. Ce n’est pas un personnage statique et figé ; il évolue avec son temps, avec la technologie. Il a conscience qu’il peut améliorer son savoir grâce aux outils informatiques et aux technologies de l’information: smartphones, WhatsApp, réseaux sociaux… Toutes ces facilités dont nous bénéficions aujourd’hui, le griot les utilise également.

Le griot m’a raconté… Ferdinand Duranton, le prince français du Khasso (1797-1838) Adame Ba Konaré Éditions Présence africaine 2018, 248 pages, 18 euros


NICOLAS RÉMÉNÉ POUR JA

Que faire pour rétablir la paix entre communautés peules et dogons dans le Centre ?

On a parfois l’impression que le griot est un personnage moyenâgeux figé sur ses codes et ses règles. C’est faux. Le griot s’adresse d’abord aux vivants, il mobilise la mémoire des anciens pour sécher les larmes des vivants. Il ne rappelle les morts que lorsqu’ils peuvent servir d’exemples. Les gens ont toujours besoin de lui. Toutes les grandes familles ont leur griot. Les partis politiques et leurs dirigeants aussi. Le griotisme est né avec les hommes de pouvoir et continue à les servir. Vous êtes la marraine de Tabital Pulaaku International. Dans une récente tribune, vous avez dénoncé les crimes commis contrelacommunautépeuledansleCentre et demandé à l’État de « désamorcer la bombe de la polarisation ethnique ». Avezvous le sentiment d’avoir été entendue?

Nous assistons à une crise grave avec ce Centre qui s’embrase. Malheureusement, ces guerres intercommunautaires font craindre le risque d’explosion de la nation et courir la menace d’une guerre civile. Des appels comme le mien peuvent mettre la pression, mais il faut surtout engager rapidement un processus de dialogue inclusif. Il faut mobiliser l’ensemble des Maliens pour réfléchir à ce problème et le prendre à bras-le-corps. Sinon cela risque d’être fatal à l’avenir et à l’unité de notre pays.

Il faut d’abord rétablir le dialogue. L’État a le rôle et le devoir régalien d’assurer la sécurité des citoyens. C’est sa mission première. Dogons et Peuls ont toujours cohabité, il est dommage que cette cohésion vole en éclats de la sorte. Il n’y a pas d’autre solution que d’instaurer un débat national, qui rassemble l’ensemble des Maliens. Il faut prendre la parole, expliquer, inviter chacun à débattre et mettre les moyens pour calmer le jeu. Il y a beaucoup de solutions, mais, encore une fois, les plus essentielles résident dans les mains des tenants du pouvoir, c’est-à-dire de nos gouvernants. IBK et son gouvernement font-ils assez sur cette question ?

Je ne veux pas indexer quelqu’un en particulier, mais j’attends plus de l’exécutif. L’État doit faire davantage et mettre tous les moyens pour obtenir la paix. Le constat est là et malheureusement il est amer. Il faut vite éteindre le feu de la guerre intercommunautaire.

Pourquoi aviez-vous écrit une lettre ouverte à Emmanuel Macron après son élection, en mai 2017 ?

Quand il a été élu, j’ai vu en lui un président jeune, qui se voulait au-dessus des partis. Je me suis dit qu’il allait renouveler le discours sur le continent et que la France allait enfin avoir une bonne politique africaine. Je pensais qu’il allait renouveler les règles du jeu. L’a-t-il fait ?

NOUS ASSISTONS DANS LE CENTRE À UNE CRISE GRAVE ENTRE DOGONS ET PEULS. IL FAUT MOBILISER L’ENSEMBLE DES MALIENS POUR RÉTABLIR LA PAIX.

Il n’a pas fini son mandat, donc je ne peux pas apprécier son œuvre dans son intégralité, mais, honnêtement, je trouve qu’il n’y a pas eu de changement radical avec la politique de ses prédécesseurs. Comment va votre mari ?

Mon mari va bien. Il est à Bamako.

SesrapportsavecIBKsesont-ilsaméliorés?

[Rires] Allez leur poser la question ! Moi, je suis une personne indépendante, je ne me mêle pas des affaires des autres. Quand j’ai des problèmes, je les résous directement.

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