MAROC EL OTHMANI
AFRIQUE-FRANCE Alexandre Djouhri se dévoile
« Le roi est satisfait de notre travail » Une interview exclusive du chef du gouvernement HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 3048 DU 9 AU 15 JUIN 2019
TOGO Changement d’horizon Spécial 30 pages
SCIENCES ET TECHNOLOGIES Ces femmes qui brisent le plafond de verre 10 pages
CÔTE D’IVOIRE
GBAGBO, SORO, LA PRISON ET MOI… Les confidences de Charles Blé Goudé .
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France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 € Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 5 € Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 7 FS Tunisie 4 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2 000 F CFA ISSN 1950-1285
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Rebecca Zoro Styliste
BIEN DANS MA BULLE Dans l’intimité de la cabine Premium Economy.
AIRFRANCE.COM
Dossier SCIENCES ET TECHNOLOGIES
17 ET 18 JUIN 2019 PARIS
Les affranchies ELISABETH MORENO
Directrice générale Afrique de HP
FAURE/LEEXTRA VIA LEEMAGE
Cette Franco-Capverdienne de 48 ans, a née de parents analphabètes, a été nom mmée à la tête de HP en Afrique après avvoir travaillé pendant sept ans danss le BTP et dirigé Lenovo France pendant deux ans.
Si elles sont de plus en plus présentes dans la R&D et les nouvelles technologies sur le continent, les femmes sont encore peu nombreuses aux postes de direction. Pourtant, la mixité est bénéfique aux entreprises et institutions scientifiques.
A
nnée 1991. Une jeune fille naît dans un quartier du centre de Yaoundé, au Cameroun. Ses parents font partie de cette classe moyenne qui, malgré un train de vie correct, prévoit d’ores et déjà de nombreux sacrifices pour offrir une éducation de qualité à ses enfants. La fillette grandit, va à l’école, se fait des amis. Année 2009. Après avoir été remarquée à l’école primaire, son aisance naturelle en mathématiques et en sciences se confirme au lycée. Bac en poche, cela devient une évidence : exprimer le monde à travers des formules qui aident à mieux le comprendre est devenu sa raison d’être. Seulement, au fil des années, la jeune femme commence à prendre conscience que son entourage, pétri de coutumes, de traditions et de préjugés bien ancrés, a tendance à vouloir choisir son itinéraire à sa place. Il lui mettra des bâtons dans les roues en entravant son désir de vivre de sa passion. Elle devra se démener pour intégrer une formation scientifique, puis décrocher une thèse, se surpasser pour obtenir un poste en laboratoire de recherche et de développement et se battre encore pour le diriger.
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QUENTIN VELLUET Cette histoire pourrait paraître exagérée. C’est pourtant l’itinéraire d’une majorité de scientifiques africaines. En 2018, 31,3 % des chercheurs d’Afrique subsaharienne étaient des chercheuses. Un nombre supérieur à la moyenne mondiale et en progression par rapport à 2017, selon les derniers chiffres publiés par l’Unesco sur le sujet. Malgré tout, seulement 8 % des laboratoires de recherche d’Afrique de l’Ouest sont actuellement dirigés par des femmes. Des résultats qui font écho au monde des affaires et à sa tendance à freiner les carrières féminines à mesure qu’elles progressent dans la hiérarchie.
Un déficit de confiance qui mène à l’autocensure
Les mécanismes de cette discrimination sont complexes car ils mêlent des considérations psychologiques, culturelles et socio-économiques difficilement identifiables ou quantifiables. Un des aspects psychologiques a été démontré dans le rapport « Women Matter » du cabinet McKinsey sur les carrières des femmes dans les milieux d’affaires. Il conclut que, malgré une ambition bien réelle, les femmes souffrent d’un déficit de confiance qui les empêche d’envisager la possibilité de
Rym KEFI
Tunisie Institut Pasteur de Tunis Elle fait partie de la promotion de 2018 des boursiers du Next Einstein Forum. Cette Tunisienne de 40 ans est chercheuse au laboratoire de génomique biomédicale et oncogénétique à l’Institut Pasteur de Tunis, qu’elle a intégré en 2006. Docteure à seulement 25 ans, elle obtient sa licence à l’université de Tunis-ElManar avant de s’envoler pour le sud de la France et de décrocher un master ainsi qu’un doctorat à l’université Méditerranée Aix-Marseille-II. Si ses travaux actuels portent sur le diabète de type 2, il lui est également arrivé de travailler sur l’ADN d’ossements humains vieux de six à quinze mille ans et de contribuer aux progrès des tests de paternité et à l’amélioration de l’identification médico-légale. Malgré des propositions de poste en France avant même la fin de ses études, elle décide en 2006 de retourner en Tunisie par patriotisme, quitte à patienter deux ans au chômage avant de décrocher son poste actuel à l’Institut Pasteur de Tunis. jeuneafrique no 3048 du 9 au 15 juin 2019
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briguer un jour un poste de direction. Une autocensure qui résulte en partie d’un conditionnement prenant sa source au sein de la cellule familiale. Selon Francine Ntoumi : « Dans nos cultures, il est encore admis que les femmes doivent se marier et avoir des enfants tôt, ce qui Directrice générale d’Ericsson pour les empêche d’accéder à une vérila région Moyen-Orient et Afrique table éducation », Ingénieure électrique et électronique formée à explique la scienl’université Ain-Shams du Caire, tifique congolaise, l’Égyptienne est à la tête professeure à l’univerde la région Moyen-Orient sité Marien-Ngouabi de Afrique depuis juin Brazzaville et fondatrice de 2019 pour le compte la Fondation congolaise pour la d’Ericsson. recherche médicale. Si le premier combat pour l’émancipation des femmes scientifiques est celui à mener contre elles-mêmes, le suivant concerne les coutumes et représentations liées à la féminité : « Je me souviens d’un workshop à Yaoundé en 2017, sur le montage de panneaux solaires. Je suivais un atelier dont le but était de construire une petite lampe. Parce que j’étais apprêtée et que j’avais des ongles longs, le formateur m’a clairement dit que je n’y arriverais pas, raconte Arielle Kitio Tsamo, 27 ans, doctorante en génie logiciel à l’université de Yaoundé-I et fondatrice de la start-up Caysti, qui édite un logiciel éducatif pour développer la créativité des enfants. Les exemples comme
NORA WAHBY
celui-ci ne manquent pas ! », poursuit-elle. À force d’être vécues ou appliquées au quotidien, les discriminations finissent par être institutionnalisées, comme le déplore Vanessa Moungar, directrice du département genre, femmes et société civile de la Banque africaine de développement (BAD): « Pour les banques, les femmes sont bien souvent considérées comme des investissements risqués à cause des lois sur la transmission du patrimoine qui leur sont défavorables et qui ne leur permettent pas d’avoir de garants. Pourtant, il est prouvé que les femmes qui entreprennent réinvestissent 90 % de ce qu’elles gagnent dans leur famille contre seulement 35 % pour les hommes », explique la dirigeante. En guise de parade, la BAD a développé un fonds de trois milliards de dollars qui lui permet de se porter garante des porteuses de projets.
Un manque de diversité qui entrave l’innovation
Un autre exemple illustre comment la sphère politique tarde à prendre en compte la question des femmes dans le domaine scientifique. En juin 2014, lorsqu’elle adopte sa « Stratégie pour la science, la technologie et l’innovation en Afrique en 2024 », la commission de l’Union africaine n’accorde aucune priorité à la représentation des femmes. Le mot « femme » n’apparaît qu’une seule fois dans le
Clarisse IRIBAGIZA
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Rwanda, fondatrice de DMM.HeHe Ltd
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Pur produit de la politique insistante de Paul Kagame en faveur de l’éducation des femmes au Rwanda, Clarisse Iribagiza a très tôt créé son entreprise. En 2010, alors âgée de 22 ans, elle fonde, en parallèle à ses études d’informatique à l’université du Rwanda, HeHe Labs, un éditeur de logiciels mobiles de gestion pour les entreprises. Diplômée d’un bachelor en 2011 et d’un MBA de l’African Leadership University en 2018, elle est élevée par des parents professeurs et entrepreneurs qui la poussent à suivre sa vocation. Pour démarrer son activité, la jeune femme a profité du programme d’incubation du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT). En 2015, elle est distinguée par le magazine Forbes parmi les entrepreneurs de moins de 30 ans les plus prometteurs. Deux ans plus tard, elle revend sa start-up au groupe japonais DMM. com pour 20 millions de dollars. À cette occasion, HeHe Labs est renommé DMM.HeHe Ltd.
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Arielle KITIO TSAMO
Cameroun, doctorante en génie logiciel, fondatrice de Caysti
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Le goût du code lui est venu par hasard. Après l’obtention de son baccalauréat avec mention à 15 ans, Arielle Kitio Tsamo, camerounaise de 27 ans et fondatrice de la start-up Cameroon Youth School Tech Incubator (Caysti), choisit la filière informatique de l’université Yaoundé-I pour une raison bien précise : c’est la seule qui sélectionne ses étudiants. « L’appétit pour l’informatique a surgi très tôt car il me donnait l’impression d’être une magicienne », raconte en rigolant celle qui, il y a encore quelques semaines, présentait son logiciel éducatif pour le développement de la créativité des enfants à la fine fleur de la tech mondiale lors du Salon VivaTech de Paris. Baptisé « abcCode », son logiciel a été conçu pour familiariser des enfants de 7 à 15 ans au code informatique et à l’intelligence artificielle. Pour qu’ils y parviennent, Arielle Kitio a veillé à ce que l’outil soit accessible dans leur langue naturelle (français, wolof ou haoussa) et sans qu’ils aient besoin d’une connexion internet. Ce tropisme éminemment social dans la conceptiion de son outil lui vaut de nom mbreuses reconnaissances. Outree le prix de la Femme digiitale de l’année décernéee par le département d’ÉÉtat des États-Unis, sa plus réceente récompense est le prixx de l’Innovation dans l’éducation, délivré en février par l’Unesco. « J’estime que la science est un levier d’égalisation sociétale, mais elle demande du courage », affirme-t-elle.
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document explicatif de 54 pages, discrètement placé dans l’avant-propos de Martial De-Paul Ikounga, alors commissaire chargé des ressources humaines, de la science et de la technologie. Qu’ils soient psychologiques, culturels ou institutionnels, ces différents freins font que la science, africaine ou monFondatrice de la Tassah Academy diale, souffre actuellement d’un manque de Ingénieure électrique camerounaise, diversité qui entrave par elle a créé la Tassah Academy à Yaoundé conséquent sa qualité. Le en 2009, une école de code qui cabinet McKinsey (encore enseigne les bases de lui) a démontré dans un rapport l’intelligence artificielle publié en 2017 que la présence des en priorité à des femmes augmente de plus de 8 % la jeunes capacité d’innovation des entreprises. filles. La même année, un article paru dans la revue Science a montré comment l’absence de mixité dans le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle conduit à la mise leadership, à la négociation ou encore au point de logiciels reproduisant ou à la prise de parole. « L’idée est de les amplifiant les stéréotypes, notamaider à aller vers ces postes en leur ment ceux qui sont liés au genre. Il donnant les outils pour contrer les se pourrait donc que les réponses discriminations qu’elles subissent aux enjeux essentiels pour l’Afrique et comprendre les mécanismes du que soulèvent les crises environnesexisme », détaille Alexandra Palt. mentales et leurs conséquences sur l’agriculture, ou encore l’urbanisaDes associations d’entraide tion et l’industrialisation, soient mal entre chercheuses voient le jour conçues dès leur origine, simplement La Fondation L’Oréal a aussi lancé en raison du manque de femmes au une démarche de plaidoyer sur l’imsein des équipes de recherche. portance d’un management féminin « La recherche sans les femmes dans la R&D auprès des pouvoirs est inconcevable », assure Alexandra publics, en parallèle de celles engaPalt, dire ectrice générale de la gées par nombre d’organisations telles Fondattion L’Oréal. Dans le que la BAD. Outre le très médiatique cadre d’un d partenariat noué Next Einstein Forum, qui promeut la en 2010 0 avec l’Unesco, l’insscience africaine et construit depuis titution n, qui dépend du géant 2016 une meilleure collaboration des cossmétiques, a accomentre chercheuses et chercheurs du pagn né 140 chercheuses continent, de nombreuses associa(doctorantes ou postdoctions de chercheuses se sont créées torantes) d’Afrique sur le thème de l’entraide. C’est le subsaharienne. cas de l’association African women Chaque année, in agricultural research and devele programme lopment (Award), présidée par la « Pour les femmes Kényane Wanjiru Kamau-Rutenberg, et la science en qui forme et distribue des bourses à Afrique subsaharienne » des chercheuses, tout en investisdistribue une vingtaine sant dans des projets d’agrobusiness de bourses de recherche et qui prennent en compte la dimenforme leurs bénéficiaires au sion du genre. Cette diplômée de DR
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BIH JANET SHUFOR FOFANG
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Francisca NNEKA OKEKE
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l’université du Minnesota est également à l’origine de l’organisation à but non lucratif Akili Dada, qui forme au leadership de jeunes Africaines issues de milieux défavorisés. D’autres préfèrent rejoindre les plus de 8000 membres de l’Organisation des femmes scientifiques du monde en développement (OWSD), soutenue par l’Unesco et implantée à Trieste, dans les locaux de l’Académie mondiale des sciences (Twas). Enfin, celles qui ont un projet à faire éclore rejoignent le Réseau africain des femmes actives et entrepreneures leaders (Rafael), qui intervient dans la formation et le transfert de savoirfaire, de technologies et de compétences. Carnegie Mellon Afrique Toutes ces orgaMilitante pour l’intégration des femmes dans nisations proposent la science et lauréate 2018 du Next Einstein des mentorats, Forum, cette ingénieure nigérienne plaide une forme de soutien pour une meilleure utilisation des capable de modifier une télécoms dans des secteurs carrière en profondeur. C’est clés pour l’Afrique, au cours de son postdoctorat comme à l’Institut Pasteur que Francine l’agriculNtoumi a trouvé son mentor, Thomas ture. Nchinda, directeur du programme de recherche sur les maladies tropicales de l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) : « Il m’a toujours soutenue dans ma carrière car il a compris très tôt que je devais être un modèle », explique cette mère de famille qui visite régulièrement les collèges et lycées pour « montrer aux jeunes
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Ionosphère. Il aura suffi d’une année de postdoctorat à l’université de Tokyo pour que tout l’intérêt de cette physicienne nigériane de 63 ans se porte sur cette zone du ciel située entre 60 et 1 000 km de la croûte terrestre et qui réagit au moindre de ses mouvements énergétiques. Elle a notamment montré qu’observer l’ionosphère permet de mieux anticiper les éruptions volcaniques ou d’évaluer l’ampleur d’un tsunami, quelques minutes après le début d’un séisme. Engagée dans la promotion de la science auprès des jeunes filles, la lauréate 2013 du prix L’Oréal-Unesco pour les femmes dans la science, catégorie sciences physiques, a contribué à la diffusion de sa matière dans les classes du secondaire et du tertiaire au Nigeria. Mère de six enfants et fille de mathématicien, elle est depuis près de vingt ans professeure et directrice de laboratoire à l’université du Nigeria à Nsukka où elle joue le rôle de mentor pour les étudiantes qu’elle supervise dans le cadre de PhD.
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Nigeria, université du Nigeria à Nsukka
filles le panel de possibilités qui s’offre à elles et aussi leur prouver qu’une femme est capable d’y arriver ».
Des initiatives soutenues aussi par des hommes
Une façon de dire que l’effort pour une meilleure représentation des femmes dans la science doit être davantage partagé par les hommes. La Fondation L’Oréal et l’Unesco mènent ce combat complémentaire et indispensable en lançant une plateforme appelée Men for Women in Science, en 2018, avec le soutien du mathématicien français Cédric Villani et de son compatriote le généticien Axel Kahn. Son objectif: faire signer une charte engageant des décideurs à favoriser la mixité au quotidien. Pour qu’un jour l’itinéraire de toute fillette désireuse de s’accomplir dans une carrière scientifique soit facilité.
CES ORGANISATIONS PROPOSENT DES MENTORATS, UNE FORME DE SOUTIEN CAPABLE DE MODIFIER UNE CARRIÈRE EN PROFONDEUR.
Design, mode et art composent à la galerie Musk and Amber à Tunis des univers inattendus où l’esthétique installe un dialogue entre Orient et Occident où le raffinement du musc et de l’ambre interpelle la modernité. Cheffe d’orchestre de cette partition sans cesse renouvelée, la promotrice de Musk and Amber, Lamia Bousnina Ben Ayed, diplomée en relations internationales et sciences politiques mais passionnée d’art, dévoile son approche et ses projets.
Qu’attendez-vous du Women in Business Annual Leadership Meeting ? Les évolutions et les mutations de l’Afrique m’interpellent particulièrement et je me réjouis de rencontrer des femmes d’influence qui ont la capacité d’impulser des dynamiques dans leur
Lamia Bousnina Ben Ayed
champ d’activité. Ces rencontres créeront certainement des synergies et me permettront d’apprécier les opportunités de développement avec une meilleure connaissance du marché de l’art sur le continent. Cette démarche répond aussi à un besoin d’échange exprimé de manière récurrente par des créateurs et designers maghrébins, dont des jeunes artistes, en quête d’une tête de pont vers l’Afrique connue pour sa créativité et ses talents. L’Afrique inspire l’Europe ; la dernière collection Dior est sur ce thème ; à notre tour d’explorer ce que le continent propose pour susciter des inspirations communes. Permettre
aux savoir-faire et la création en matière de design, mode et art d’engager un dialogue est une approche dans le droit fil de la démarche Musk and Amber. Dans notre domaine, la rencontre est essentielle ; je suis encore plus enthousiaste à la perspective que les femmes puissent être le porte flambeau et les ambassadrices d’initiatives d’ouverture sur un métissage de culture. Comment imaginez-vous demain ? Cantonner les artistes à une région est source de frustration et leur impose un espace restreint qui arrive à saturation. En tant qu’accompagnateur de culture, Il faut contribuer à ouvrir nos créateurs au monde mais aussi les faire connaître. C’est sur ces axes que Musk and Amber entend déployer sa voilure par le biais de partenariats et de création de nouveaux réseaux. La culture au même titre que l’économie est un moteur de développement essentiel.
Musk and Amber Gallery, Angle, Rue Lac Malaren 1053 Les Berges du Lac, Tunis - Tunisie - Tél. : (+216) 71861355 - Contact@muskandambergallery.com
www.muskandambergallery.com
© JAMG - PHOTOS : MUSK AND AMBER GALLERY
Comment est né Musk and Amber ? Cet espace, depuis sa création en 2014, est d’abord un concept. Une galerie qui propose une symbiose entre le design, les arts plastiques et la mode, un écho à notre temps et un lieu d’universalité qui valorise la création avec son authenticité et son originalité. L’assemblage, la composition et le mélange d’œuvres signées par des créateurs de renom mais issus de cultures diverses inscrit la démarche de Musk and Amber dans une contemporanéité évocatrice de l’évolution l’art dans un monde en remaniement constant. Une sorte de dialogue permanent entre les arts mais aussi avec ceux qui s’y intéressent.
Dossier
INNOVATION
Nozha Boujemaa
Cette Franco-Tunisienne, directrice scientifique du groupe d’imagerie médicale Median technologies, est devenue une figure de référence de l’Intelligence artificielle (IA), conseillant notamment la Commission européenne.
« Il faut bâtir une “IA de confiance” » Jeune Afrique : Aujourd’hui, toutes les entreprises, quels que soient leur taille ou leur secteur d’activité, peuvent-elles utiliser l’intelligence artificielle (IA) ? Nozha Boujemaa : Oui. En fait la difficulté ne vient pas de l’IA en elle-même mais des données. Les gens n’ont pas encore compris à quel point leur structuration est importante. Une entreprise qui veut utiliser l’IA doit pouvoir les exploiter même si elles sont multisources, donc elles doivent être structurées. On parle tout le temps des algorithmes, mais l’algorithme n’est que le moteur. Le carburant, ce sont les données. Ensuite, il y a la question des compétences. Pour déployer un système d’IA, un ingénieur logiciel ne suffit pas, il faut vraiment détenir un savoir assez avancé en science des données. Pour illustrer tout cela, quel usage en faites-vous dans votre entreprise, Median Technologies ? Notre secteur, c’est la médecine personnalisée, et plus précisément l’imagerie médicale. Nous extrayons des indicateurs qui permettent aux professionnels d’émettre des pronostics. Nous travaillons avec les radiologues et nous 70
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les aidons dans leurs prises de décision. Concrètement, quand ils ne sont pas complètement sûrs de l’interprétation de leurs données, ils disposent d’un moteur de recherche qui va étudier une masse considérable de cas similaires et leur donner des informations statistiques – dans tel cas, le diagnostic a été le suivant – pour aboutir à une décision. Nous travaillons aussi avec les laboratoires pharmaceutiques. On les aide à économiser du temps et de l’argent grâce à l’innovation thérapeutique et
en leur permettant d’aller chercher des informations pronostiques sur les « patients répondeurs ». C’est très important en immuno-oncologie, où on sait, par exemple, que certains traitements ne sont efficaces que sur 20 % des patients. C’est un outil de plus, une amélioration de celui qui existe ? Ou est-ce vraiment une révolution ? Ce n’est pas une technologie comme les autres, mais elle est indispensable. L’humain n’est pas capable de traiter tout seul la somme des données dont il dispose. Nous devons donc nous adapter, déployer cette technologie tout en gardant la maîtrise sur elle. Le danger, c’est de la survendre. L’IA n’est ni une baguette magique ni quelque chose d’intrusif ou de dangereux en soi. Ce qu’il faut, c’est mettre en place des garde-fous pour bâtir ce qu’on appelle une « IA de confiance » : qui soit robuste, qui respecte des valeurs éthiques, ne dégénère pas vers des formes de discrimination involontaire ou vers de la manipulation politique, comme on a déjà pu le voir. VINCENT FOURNIER/JA
Propos recueillis par OLIVIER MARBOT
Les spécialistes comme vous se posent donc la question de l’acceptation sociale et des mesures d’encadrement de l’IA ?
Va-t-elle détruire des emplois ? Certains le disent, mais je n’y crois pas. Des emplois vont disparaître, mais de nouveaux seront créés. Dans ce domaine aussi l’IA est transformante, et c’est tant mieux : elle va remplacer l’intelligence humaine pour les tâches répétitives et lui permettre de se consacrer à des choses plus importantes. Avez-vous vu émerger des initiatives intéressantes en Afrique, dans ces domaines ? J’ai rencontré des gens extrêmement brillants. Il y a déjà de très bonnes formations sur le continent, et grâce à internet les étudiants ne sont pas limités aux cours disponibles sur place, ils se forment aussi en ligne. Le vivier et les formations sont là, la démographie est favorable. La seule inquiétude que j’ai, c’est que les talents partent à l’étranger. Il faut mettre les moyens pour que les plus brillants aient envie de rester. Quant aux domaines à explorer, j’en ai déjà parlé avec certains collègues africains : il faut qu’ils collectent les données sur les problématiques qui se posent à eux. Les infrastructures, l’eau, l’environnement, l’énergie… Les données, c’est la clé, c’est une richesse, je le répète. Tout ça peut ouvrir de très gros marchés, notamment dans les infrastructures. Mais tout reste à faire.
La Marocaine Lamia Merzouki, pilote du cluster Afrique du Nord du WIB Network.
FRANCOIS GRIVELET POUR JA
Bien sûr. C’est pour cela qu’avant de rejoindre Median j’avais fondé l’institut DataIA, une organisation interdisciplinaire qui mêle des spécialistes des technologies, des sociologues, des philosophes ou des juristes. Sur ces sujets, il y a toujours des débats entre les techno-sceptiques et les enthousiastes qui ne veulent rien réguler. Je pense que la régulation n’est pas la bonne réponse, mais il faut veiller à une certaine transparence, être conscient des responsabilités et vigilant pour la gestion des éventuels risques occasionnés.
Un réseau pour les dirigeantes MADELEINE LANGOT, chef de projet éditorial, Africa CEO Forum
amia Merzouki, directrice générale adjointe de Casablanca Finance City, en est convaincue : « Le Women in Business Network n’est pas qu’un simple réseau de femmes leaders, c’est un espace de partage, de connexion et de développement personnel qui inspire beaucoup de femmes. » Ce réseau panafricain a été lancé officiellement en juillet 2018, lors de la première édition du Women in Business Annual Leadership Meeting, organisée par Jeune Afrique Media Group. Un an plus tard, il a conquis plus de 200 femmes d’affaires, réparties au sein des 6 clusters régionaux. Lamia Merzouki dirige et anime l’un de ces groupes régionaux, alimentant les groupes de discussion, organisant des rencontres et divers événements. À Casablanca, sous son impulsion, l’un de ces événements a rassemblé en février plus de 100 personnes autour de l’accès des femmes aux conseils
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d’administration des grandes entreprises. Sur le même sujet, un mois plus tard, Nicole Sulu, fondatrice du réseau d’affaires Makutano, en RD Congo, a réuni à Kinshasa une centaine de personnes. Depuis le lancement du WIB Network, plus d’une dizaine d’événements formels et informels ont été organisés de Johannesburg à Tunis.
Permettre au mentoring de s’étendre sur tout le continent
En Côte d’Ivoire, le réseau WIB Network a même donné naissance à un programme de mentoring. Lancé par Françoise Remarck, présidente du conseil d’administration de Canal+ Côte d’Ivoire, il accompagne les femmes africaines dans la réalisation de leurs projets professionnels grâce aux conseils et au soutien de dirigeantes plus expérimentées. L’a m b i t i o n d u Wo m e n i n Business Network est désormais de multiplier les événements tout au long de l’année et de permettre au programme de mentoring de franchir les frontières de la Côte d’Ivoire pour devenir panafricain.
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RAWBANK organise la 2e édition du Ladies Brunch à Kinshasa. Devenu un évènement annuel de référence pour la femme entrepreneure congolaise, RAWBANK, à travers son segment Lady’s First, a organisé la 2 e édition du Ladies Brunch à Kinshasa. Cette action qui a clôturé la fin du mois de la femme symbolise l’engagement de la banque pour la promotion de cette dernière. Organisée au sein de l’agence RAWBANK La Couronne, la deuxième édition du Ladies Brunch a accueilli les femmes entrepreneures congolaises œuvrant dans plusieurs domaines en République Démocratique du Congo. Sous un décor bien planté et un programme mettant en avant plusieurs d’entre elles, les différentes invitées, femmes entrepreneures et membres du programme Lady’s First, ont participé à une remise de trophées en marge de leur distinction dans l’exercice de leurs activités. « Tant qu’il y aura des projets portés par les femmes, RAWBANK sera présente pour chacun d’entre eux ; tant qu’il y aura des femmes entrepreneures, Lady’s First sera toujours à leur côté » a déclaré Mme Joëlle KABAYO, Responsable du programme Lady’s First. « Cette rencontre est un rendez-vous annuel où la banque met en avant les femmes de distinction pour deux raisons : La première pour les encourager et la deuxième afin de démontrer notre détermination à les accompagner dans la formalisation de leurs affaires. » a-t-elle surenchéri.
COMMUNIQUÉ
Hormis les certificats remis aux différentes bénéficiaires, un accent particulier a été souligné sur le suivi des formations, le renforcement des capacités managériales dont elles ont bénéficiées tout au long de l’année. « Lors de ma dernière formation au sein du programme, j’ai pu me munir des outils nécessaires pour l’avancement de mes affaires et je profite de cette occasion pour encourager les femmes à se joindre à ce programme si bénéfique et promoteur de l’entrepreneuriat » a souligné Chantal ADJOVI, membre Lady’s First. Nadine TSHILOMBO, membre de la diaspora congolaise a également remercié la banque pour cette initiative louable qui s’inscrit dans le calendrier des activités annuelles de grandes envergures en RDC. Ce fut également une occasion pour la remise du prix spécial à Mme Sukaina RAWJI, membre de la Fondation RAWJI, pour son engagement à apporter des solutions concrètes aux besoins des femmes entrepreneures congolaises. Cette remise de prix s’est suivie d’un cocktail, d’une visite des différents stands et d’un défilé de mode mettant en valeur le pagne africain.
Mme Joelle KABAYO Responsable du programme Lady’s First
Ce qui nous importe le plus, c’est de réussir avec vous.
Pour plus d’informations : 66, Avenue Colonel Lukusa, République Démocratique du Congo.
Tél. : +243 99 60 16 300 / Numéro gratuit : 4488 Rawbank
Rawbank sa - www.rawbank.cd
Dossier
FINANCE
Access Bank donne l’exemple STÉPHANIE WENGER
omment permettre aux femmes africaines de briser le plafond de verre qui les limite dans le monde du travail ? Au Nigeria, Access Bank, qui développe depuis des années une stratégie volontariste en matière d’émancipation des femmes au sein de l’entreprise, pourrait apporter quelques éléments de solution. La banque, présidée par la Nigériane Mosun Belo-Olusoga, a obtenu en 2018, un résultat après impôts de 95 milliards de nairas (227 millions d’euros) pour un total de bilan de 11,8 milliards d’euros. Elle dispose de 350 agences dans sept pays subsahariens et a remporté il y a peu, à Kigali, la distinction de Gender Leader, attribuée par l’Africa CEO Forum. À l’échelle du continent, un bon marqueur des freins qui subsistent est la représentation des femmes dans les instances de direction. Par rapport au reste du monde, le secteur privé africain n’est pas en retrait, mais il colle à la tendance globale: les femmes sont largement sous-représentées dans la hiérarchie du secteur
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privé. Selon « Women Matter » un rapport du cabinet McKinsey publié en 2016, « les femmes détiennent 14 % des sièges dans les organes de direction, contre 13 % au niveau mondial. Plus on s’élève, plus les chiffres sont mauvais: 5 % des directeurs généraux sont des femmes (moyenne mondiale, 4 %). » Pourtant, souligne le cabinet qui a mesuré les performances de 210 entreprises : « Les profits sont en général supérieurs de 20 % dans les groupes où les femmes sont largement représentées. » L’étude ne donne pas d’explication à cette corrélation. Pour Omobolanle VictorLaniyan, directrice du département Développement durable chez Access Bank, il y en aurait pourtant une : « Les femmes apportent un bon équilibre. Dans les faits, elles se révèlent plus attentives aux risques, capables aussi de mieux se concentrer… Dans les instances de direction, elles ont de meilleurs résultats », affirme-t-elle.
La banque centrale du Nigeria a presque un tiers de dirigeantes
Arrivée il y a près de onze ans dans le groupe, Omobolanle a forgé son expertise de ces questions en commençant
ACCÈS AU CRÉDIT Récemment lancée, l’initiative W Power Loan appuie les femmes entrepreneuses qui ont des difficultés d’accès au crédit bancaire, une situation d’autant plus compliquée que beaucoup n’ont pas de compte en banque.
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Depuis juillet 2018, 53 prêts ont été accordés pour un montant de 800 millions de nairas (1,985 million d’euros). Dans la même période plus de 2 millions de femmes ont pu ouvrir un compte dans une des filiales d’Access Bank.
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Des sessions pour former à la comptabilité, aux démarches fiscales et légales ont été organisées et ont profité à plus de 94 000 personnes au Nigeria, mais aussi au Ghana, au Rwanda et en Zambie. S.W.
VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE
Le groupe nigérian a adopté une stratégie volontariste pour promouvoir l’avancement des femmes en son sein et a développé des produits financiers qui leur sont destinés.
Une agence Access Bank à l’Union Trade Center de Kigali, au Rwanda, en mars 2014.
dans le journalisme. Durant trois ans, elle rédige une chronique qui se saisit du sujet dans le quotidien nigérian Punch. Puis elle intègre le groupe agroalimentaire britannique Cadbury, à la tête de la Responsabilité sociale de l’entreprise. L’égalité de genre fait partie de son domaine de compétence. En 2009, elle est recrutée chez Access Bank pour installer le département du développement durable. « Nous avons établi des principes de durabilité, neuf en tout, et le cinquième est consacré à l’émancipation des femmes. Aujourd’hui, ils ont été adoptés par la Banque centrale du Nigeria. » Cette dernière demande notamment que 30 % des membres des organes de direction soient des femmes. D’après une étude du Nigeria’s Wimbiz (Women in Management, Business and Public Service), citée par la BAD, l’objectif est encore loin d’être atteint à l’échelle du pays. En 2014, date butoir posée par la Banque centrale nigériane, l’association
UNE ÉGALITÉ SALARIALE STRICTE ET DES AVANTAGES SOCIAUX NON NÉGLIGEABLES. à la maison. » Pour cela, Access Bank a aussi pris des mesures : une égalité salariale stricte et des avantages sociaux non négligeables. « Cela permet aussi de convaincre l’entourage familial de leur valeur professionnelle », poursuit la dirigeante nigériane.
Éviter les pressions culturelles qui sévissent encore
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un groupe d’hommes qui se consacre établissait que dans les sociétés du à ces questions. Nous voulons créer un secteur financier, dont les banques, environnement qui soit favorable à ce 16 % des sièges dans les instances que les femmes exercent au plus haut de direction étaient occupés par niveau. » Une bonne part des échanges des femmes. Au sein d’Access Bank, et thèmes abordés concerne l’équilibre ce seuil est dépassé puisqu’un tiers entre vie privée et vie professionnelle. de ces sièges sont occupés par des Dans son rapport, McKinsey soulicollaboratrices. gnait qu’il était aussi important de L’établissement a mis en place difréfléchir à des horaires aménagés, et férents dispositifs pour changer la à une possibilité de travailler à la maidonne. Avec l’Access Women Network, son pour alléger le syndrome de la les échanges entre les femmes du « double journée de travail », qui groupe, quelle que soit leur positouche la plupart des femmes. tion, sont encouragés: mise en « Nous vivons dans une réseau, ateliers et tutorat société patriarcale qui pour aider les femmes reste dominée par en début de carrière les hommes, à vraiment expricommente mer leur potenOmobolanle tiel. « Mais Vic tornous avons Laniyan. Pour aussi besoin certains, il n’est d’impliquer les pas évident que la hommes, d’où l’étaplace d’une femme blissement des Male Omobolanle soit au travail et non juste Champions for Women, Victor-Laniyan
Autre point fort : une politique de congé maternité qui accorde six mois aux femmes et deux semaines aux hommes alors que ce n’est pas une obligation légale au Nigeria. Des packages avantageux pour les traitements de fertilité sont aussi proposés à tous les employés. Access Bank finance également des programmes qui permettent aux hôpitaux d’améliorer leurs standards en la matière. « Dans notre société, une femme dont le couple n’arrive pas à avoir d’enfant va subir énormément de pression, notamment venant de sa belle-famille », explique Omobolanle Victor-Laniyan. Cette philosophie qui mise sur l’avancement des femmes concerne aussi les services offerts par la banque: depuis juillet 2014, la W initiative, (W comme woman) regroupe des produits ou programmes spécialement destinés aux femmes, tel que le W Power Loan (lire encadré), qui s’adressent aux besoins spécifiques dans trois domaines clés : carrière, entrepreneuriat et vie de famille, avec, par exemple, des prêts, des cursus de formation, une couverture médicale… « En tant qu’institution financière, nous avons un rôle critique dans la société, basé sur la confiance. Et la confiance doit se gagner », conclut la dirigeante.
jeuneafrique no 3048 du 9 au 15 juin 2019
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