JA 3050 magazine en entier juin 2019

Page 1

EXCLUSIF

Les milliards envolés de l’Asecna

CÔTE D’IVOIRE Que prépare Gbagbo ?

ALGÉRIE Kamel Daoud : « Il faut juger Bouteflika »

En vingt ans, le président Ismaïl Omar Guelleh a profondément transformé son petit pays, même s’il reste encore du chemin à parcourir pour parvenir à l’émergence. Emploi, logement, éducation, niveau d’endettement : les grands chantiers du quinquennat sont plus que jamais ouverts. Spécial 16 pages

.

.

.

.

.

.

.

. . .

.

.

.

.

.

.

. .

.

.

. .

France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 € Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 5 € Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 7 FS Tunisie 4 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2 000 F CFA ISSN 1950-1285

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 3050 DU 23 AU 29 JUIN 2019

DJIBOUTI

Nouveaux défis


QUAND L’ELEGANCE EUROPEENNE RENCONTRE LE LUXE ORIENTAL Découvrez Djibouti, « la corne de l’Afrique », une destination pleine de surprises ! Pour votre plaisir ou vos affaires, séjourner au Djibouti Palace Kempinski, C’est choisir les meilleures conditions de confort pour un séjour accompli. 320 chambres et suites avec vue sur la Mer Rouge, plus bleue que bleue ! 4 bars, 4 restaurants, 2000 M² de salons Tous nos espaces sont équipés des technologies de notre temps, Confiez-nous vos envies ! T +25 3 21 32 5 5 5 5 reser vation.djibouti@kempinski.com ke m p i n s k i . c o m /d j i b o u t i


Béchir Ben Yahmed bby@jeuneafrique.com

Samedi 22 juin

«Lepardonn’estpasl’oubli»

M

ohandas Gandhi, Yitzhak Rabin, Nelson Mandela : trois grandes figures politiques qui ont marqué de leur empreinte le XXe siècle. Des femmes ou des hommes de cette envergure manquent cruellement à ce XXIe siècle arrivé à l’orée de sa vingtième année et qui n’a, pour le moment, à se mettre sous la dent qu’un Donald Trump qui s’agite sur la scène internationale. Gandhi, Rabin, Mandela ont marqué l’histoire récente du monde. Ils ne sont ni de la même religion, ni de la même couleur, ni du même continent. Les deux premiers ont été assassinés par un de leurs concitoyens, représentatif d’une partie de l’opinion de leur pays. Le troisième a passé près de la moitié de sa vie en détention, sur décision de la minorité qui avait accaparé le pouvoir. Chacun d’eux a cependant réussi à se faire l’apôtre d’une idée qui le dépasse et à entrer dans l’Histoire. Tous trois ont été des êtres d’exception. Gandhi. Son titre honorifique est le Mahatma, c’est-à-dire la

grande âme. Une dignité largement méritée. Le 2 octobre prochain, on célébrera le 150e anniversaire de la naissance de cet homme exceptionnel. Avocat de son état et formé à Londres, il a inventé l’arme de la non-violence, dont il s’est servi sans jamais la dénaturer pour libérer son pays – un demi-continent – de la domination séculaire des Britanniques. Le Mahatma Gandhi s’est en outre battu pacifiquement pour que la majorité hindoue et la minorité musulmane cohabitent en bonne intelligence dans le même pays ; il a été assassiné en 1948, quelques mois après l’indépendance de l’Inde, par Nathuram Godse, un Hindou viscéralement hostile à sa politique d’entente avec les musulmans. Sa non-violence et sa contribution à la démocratie indienne, moderne, pluraliste et multiconfessionnelle sont connues et reconnues dans le monde entier ; Martin Luther King, aux États-Unis, et Nelson Mandela, en Afrique du Sud, l’ont pris en exemple. Rabin est un général israélien qui a exercé les fonctions de chef d’état-major de l’armée. Entré

en politique au sein du Parti travailliste, il a été ambassadeur à Washington, puis Premier ministre. L e Premier ministre de l’État hébreu a été assassiné le 4 novembre 1995, en pleine rue, par un Israélien ultranationaliste, Yigal Amir. Son meurtrier est encore en prison, mais les idées qui ont motivé son geste sont au pouvoir depuis une dizaine d’années avec Netanyahou: la droite israélienne reproche à Yitzhak Rabin d’avoir signé les accords d’Oslo en septembre 1993 avec l’Autorité palestinienne. Au nom d’Israël, il s’engageait dans ces accords à faire la paix avec les Palestiniens et à leur permettre d’édifier un État quasi indépendant à côté de l’État hébreu. Une politique novatrice et audacieuse assassinée avec lui deux ans après avoir été envisagée. Patriote israélien, Rabin avait estimé que les accords d’Oslo allaient dans l’intérêt de son jeune pays et qu’ils constituaient un préalable à la conclusion de la paix avec le monde arabe. Mandela. L’an dernier, le jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

3


Ce que je crois

HUMOUR, SAILLIES ET SAGESSE 18 juillet 2018, on a célébré le 100e anniversaire de sa naissance. Et l’on sait qu’après avoir passé près de trente ans en prison il en est sorti intact et suffisamment fort pour négocier, avec ses geôliers, la fin de l’apartheid. Il a été élu à la présidence de l’Afrique du Sud, mais n’a exercé la fonction que pendant cinq ans. Il s’en est retiré volontairement au profit de l’un de ses cadets, désigné par leur parti, l’ANC. Dans Le Courage de pardonner, son petit-fils rapporte ce que Mandela lui a dit : « J’ai étudié l’afrikaans quand j’étais à l’école. Quand j’étais à la prison de Robben Island, je l’écrivais et le parlais mieux que mes gardiens de prison blancs. Ils ont commencé à me demander de les aider, pour traduire et transcrire des lettres et des documents. « Si tu apprends la langue de ton ennemi, tu as beaucoup de pouvoir sur lui. Pour vaincre ton ennemi, tu dois travailler avec lui. Il devient ton partenaire. Parfois même ton ami. « Pour moi, la non-violence n’était pas un principe moral mais une stratégie. « J’ai observé ce qui se passait en Ouganda, au Zimbabwe et au Nigeria. Ces pays ont conquis leur indépendance et ont aussitôt mis les Blancs dehors ; une fois leurs ennemis partis, les peuples se sont retournés les uns contre les autres. « Le pardon n’implique pas l’oubli; c’est une composante majeure de la réconciliation, seule voie d’avenir pour toute société. « Nous, Sud-Africains noirs, nous devons surprendre les SudAfricains blancs par notre modération et notre générosité. » Le XXe siècle s’est achevé il y a 4

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

près de vingt ans. Et avec lui, l’ère des Gandhi, Rabin et Mandela. En Inde, avec Narendra Modi, s’est installée au pouvoir une frange radicale d’Hindous qui pense que Gandhi l’a trahie et qu’il convient de réduire les musulmans au rang de citoyens de seconde zone. En Israël, on observe la même évolution depuis dix ans. Et en Afrique du Sud, elle commence à s’esquisser et pourrait, avec le temps, finir par prévaloir. Dans les trois pays, mais ailleurs aussi, sont désormais au pouvoir des durs, des partisans de la force et de la coercition. Ils ne voient en l’Autre qu’un ennemi irréductible qui ne comprend que le langage de la force. Gandhi, Rabin et Mandela ont donc été des exceptions, et leur œuvre aura été un moment de l’Histoire. Les hommes sont malheureusement enclins à écouter les va-t-en-guerre, qui emportent aisément l’adhésion de la majorité. La psychologie humaine est ainsi faite qu’elle penche vers la dureté. Nous surestimons notre force, magnifions nos atouts ; nous écoutons les optimistes autosatisfaits, et même ceux qui prennent leurs désirs pour la réalité. Tout cela conduit à l’affrontement et au désastre. Cela s’appelle l’illusion de la maîtrise ou la démesure : on pense avoir plus de contrôle sur les événements et de marge de manœuvre pour l’emporter que l’on n’en a réellement. C’est le cas de Donald Trump depuis deux ans. S’il parvient à se faire réélire, lui et ses émules latino-américains et européens auront l’impression que le monde est à eux.

Pour vous faire sourire, grincer des dents – ou réfléchir –, ici, chaque semaine, une sélection subjective, la mienne, de ce qui a été dit ou écrit au cours des siècles par des hommes et des femmes qui avaient des choses intéressantes ou drôles à nous dire. B.B.Y. Il faut faire en sorte de pouvoir, en toutes circonstances, choisir sa vie. Jean-Paul Sartre

Le plus dur pour les hommes politiques, c’est d’avoir la mémoire qu’il faut pour se souvenir de ce qu’il ne faut pas dire. Coluche Quand on aime, il semble que l’on ait une tout autre âme que quand on n’aime pas ! Blaise Pascal

Attends d’avoir traversé la rivière pour dire au crocodile qu’il a une bosse sur le nez. Proverbe africain

Soyez polis. Écrivez diplomatiquement. Même une déclaration de guerre doit observer les règles de la politesse. Otto von Bismarck

L’homme vieillit, il meurt, et il est remplacé par un jeune, c’est pareil pour les bagnoles.

Le Grand Café des brèves de comptoir

Le meilleur moyen de rester en bonne santé, c’est de manger ce que vous ne voulez pas manger, de boire ce que vous ne voulez pas boire, et de faire des choses que vous n’aimez pas faire. Mark Twain

Le bonheur parfait est quelque chose de très proche de la tristesse. Charlie Chaplin



ÉDITORIAL

Tant que Bamako respire, le Mali vit e reviens de Bamako. Hormis les barrages nocturnes et les lourdes chicanes de métal qui encagent hôtels et restaurants dans la capitale malienne, rien ou presque n’indique que nous sommes ici au cœur d’un pays en état de guerre. Dans le hall climatisé du Sheraton, dernier-né impersonnel des établissements de luxe bamakois, une délégation du FMI venue de Washington croise la troupe bodybuildée du chanteur franco-ivoirien Vegedream et de la rappeuse belgo-congolaise Shay, prêts à enflammer le Palais des sports. Tout juste descendu de sa suite, le ministre burkinabé de la Sécurité, le très sankariste colonel Ousseini Compaoré, se rend à son audience avec le président Ibrahim Boubacar Keïta, suivi de peu sur la colline de Koulouba par son collègue algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum. Dehors, sous la chaleur épaisse annonciatrice des premières pluies de l’hivernage, la procession des mototaxis forme une chenille incessante le long des trois ponts qui enjambent le fleuve. Sur un mur du quartier de Hamdallaye, une affiche enjoint aux Aigles du Mali de « ramener à la maison » la Coupe d’Afrique de football, qui s’ouvre ce 21 juin en

J

Égypte. Le soir, Novelas, Bollywood et – pour ceux qui la captent – la série sénégalaise Maîtresse d’un homme marié scotchent les téléphages devant leurs écrans. Bamako, la ville aux trois caïmans, c’est Africa as usual…

Scalpel

Politesse du désespoir? Il faut un peu de temps au Premier ministre, Boubou Cissé, que je rencontre dans son bureau de la cité ministérielle offerte par Kadhafi à l’époque de sa splendeur, pour aborder l’extrême gravité de la situation sécuritaire de son pays. Ce docteur en économie de 45 ans, ancien delaBanquemondiale, né d’un père peul et époux d’une fille de notable touareg du Niger, est un cas rare au Mali. Que ce soit en 2013, quand IBK l’a appelé à ses côtés ou en avril dernier, lorsque ce dernier l’a nommé à la primature, il n’a rien demandé, on est venu le chercher. Succéder dans des circonstances complexes à l’un des animaux politiques les plus doués (et les plus redoutés) du Mali, l’inoxydable Soumeylou Boubèye Maïga, à qui il voue une réelle admiration, n’est pas tâche aisée pour ce technocrate. Archétype de la nouvelle génération de hauts responsables maliens, Boubou Cissé devrait pourtant apporter au régime la capacité

Prompts à embraser toutes les frustrations, les pyromanes de la « ruecratie » recrutent à visage découvert

6

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

d’anticipation qui lui faisait défaut. Il pourra en cela compter sur quelques personnalités marquantes au sein d’un gouvernement largement renouvelé au début de mai: le magistrat Malick Coulibaly, profilé droits de l’homme (Justice), l’ancien patron d’Onusida pendant dix ans Michel Sidibé (Santé) et bien sûr Tiébilé Dramé aux Affaires étrangères. Opposant migrateur à la faveur de l’accord politique de gouvernance conclu en avril et déjà critiqué pour cela par d’ex-ministres ayant pris le chemin inverse, tels Mountaga Tall et Choguel Maïga, Dramé est l’un des plus fins connaisseurs des problématiques du Nord et du Centre malien. C’est dans un salon de l’aéroport Modibo-Keïta de Bamako qu’entre deux avions l’ancien bras droit de Soumaïla Cissé dissèque au scalpel le maquis des milices, des groupes jihadistes et des factions séparatistes. Avec, en arrière-fond, l’odeur de brûlé des villages martyrs, les couleurs du drapeau malien flottant depuis peu sur Kidal et ce dialogue national inclusif prévu pour septembre dont la coordination a été confiée par IBK à l’ancien haut fonctionnaire onusien Cheikh Sidi Diarra – frère cadet de l’astrophysicien Modibo Diarra –, dialogue en lequel il n’est pas interdit de percevoir une lueur de sortie de crise.

Maestria

Abordera-t-on, au cours de cette vaste concertation, la question que tout Bamako se pose, celle de l’ouverture de canaux de négociation avec les jihadistes ? Attablé dans un petit hôtel-restaurant de la rive gauche du Niger, mon interlocuteur l’ignore mais se demande, comme moi, ce qu’il y a à négocier avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa: la laïcité? La forme républicaine de l’État? L’application de la charia? La liquidation des élites maliennes « apostates » ? Il faut dire


Sommaire 3 Ce que je crois par Béchir Ben Yahmed 6 Éditorial par François Soudan

PROJECTEURS

VOTRE JOURNAL 22

Une charte pour briser le plafond de verre

AFRIQUE SUBSAHARIENNE

PHOTOS DE COUVERTURE : ÉDITION INTERNATIONALE ET BURKINA : PETER DEJONG/ANP/AFP, FERHAT BOUDA/AGENCE VU ; ÉDITION MAGHREB & MOYEN-ORIENT : JOEL SAGET/AFP, PATRICK ROBERT ; ÉDITION AFRIQUE DE L’OUEST ET AFRIQUE CENTRALE : DR/MONTAGE JA, ICC-CPI ; ÉDITION AFRIQUE DE L’EST : PATRICK ROBERT, ICC-CPI

que Mahamat Saleh Annadif, chef de la Mission des Nations unies au Mali, sait de quoi il parle. À 62 ans, cet Arabe tchadien a connu les maquis, les maroquins ministériels, les lambris de l’Africa Hall et même la case prison avant de diriger avec maestria depuis quatre ans la plus létale des opérations de paix de l’ONU. Cent cinquante casques bleus tués à ce jour (dix fois plus que les pertes françaises de l’opération Barkhane), 1,2 milliard de dollars par an, près de six mille hommes déployés à travers le Mali – y compris dans les régions de Mopti et de Ségou, épicentres des massacres. Ce diplomate tout-terrain, ex-directeur de cabinet d’Idriss Déby Itno, avait réussi l’exploit de réunir secrètement chez lui en pleine crise postélectorale de 2018, le Premier ministre Boubèye Maïga et le candidat de l’opposition Soumaïla Cissé pour un tête-à-tête qui permit sans doute d’éviter le pire. Alors, quand des leaders d’opinion embrasent les rues de Bamako en mettant en doute la volonté de ses soldats (et du contingent français) à prendre de vrais risques pour protéger les civils, il s’insurge contre les adeptes pyromanes de la « ruecratie », prompts à manipuler toutes les frustrations. Nul n’ignore en effet que les racines du mal malien plongent dans un océan d’inassouvissement au sein duquel terroristes, petits seigneurs de milice, narcotrafiquants et entrepreneurs en religion puisent à loisir. Parmi les milliers de cadets sociaux qui alimentent les rangs de la nébuleuse jihadiste malienne, rares sont ceux dont la motivation n’est pas avant tout alimentaire. S’il veut, à l’issue de son second et dernier mandat, tordre le cou aux cassandres qui se multiplient et sortir de l’Histoire par la grande porte, IBK n’a pas d’autre option que de dissoudre dans le développement la violence quotidienne.

8 Confidentiel 12 L’homme de la semaine Abdel Fattah al-Sissi 14 10 choses à savoir sur… Masai Ujiri 16 Comme le temps passe… 18 Le match Mathias Eric Owona Nguini vs Patrice Nganang 20 Esprits libres

24 Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo, le goût de la (semi-) liberté 29 Tribune Chine-Angola : remariage de raison 30 Bénin Talon peut-il se réconcilier avec le Nord ? 32 Gabon Interview de Julien Nkoghe Bekale, Premier ministre 36 RD Congo Gérard Mulumba, enfin parmi les siens

59 Têtes d’affiche 60 Électricité Les centrales flottantes du turc Karpowership changent la donne 62 Hydrocarbures Le sénégalais Locafrique s’offre la SAR 64 Affaires déclassées 66 Débats Interview de Carlos Lopes, économiste

CULTURE(S) 68 73 74 76 77 78

Arts plastiques Venise l’Africaine Littérature Fantasy nigériane Tendance Pâtisseries « healthy » Gastronomie Le resto qui rend (presque) végan Littérature Et il est comment le dernier… Mahi Binebine ? Musique En vogue

GRAND FORMAT 81

Djibouti La métamorphose

VOUS & NOUS

113 Le courrier des lecteurs 114 Post-scriptum

MAGHREB & MOYEN-ORIENT

Abonnez-vousà

40 Algérie Rencontre avec Kamel Daoud, écrivain et journaliste 45 Tribune La preuve par trois 46 Libye De guerre lasse 49 Tunisie Itinéraire de Férid Ben Tanfous 50 Liban « Madame Sécurité » 52 Maroc À qui appartient la gazelle aux œufs d’or ?

Découvrez toutes nos offres d’abonnement sur

jeuneafrique.com

ÉCONOMIE

ou contactez-nous au +33 (0)1 44 70 14 74

54 Exclusif Les milliards envolés de l’Asecna

Fondateur : Béchir Ben Yahmed, le 17 octobre 1960 à Tunis bby@jeuneafrique.com Édité par Jeune Afrique Media Group Siège social : 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 Paris Tél. : +33 (0)1 44 30 19 60 Fax : +33 (0)1 45 20 09 69 Courriel : redaction @jeuneafrique.com Directeur général : Amir Ben Yahmed Vice-présidents : Danielle Ben Yahmed, François Soudan

Directeur de la publication : Marwane Ben Yahmed Directeur de la rédaction : François Soudan f.soudan@ jeuneafrique.com La rédaction et l’équipe de Jeune Afrique sont à retrouver sur www.jeuneafrique.com/ qui-sommes-nous/

Diffusion et abonnements

Ventes : +33 (0)1 44 30 18 23

Abonnements : Service Abonnements Jeune Afrique, 56, rue du Rocher 75008 Paris Tél. : +33 (0)1 44 70 14 74 Courriel : abonnement-ja @jeuneafrique.com

57 bis, rue d’Auteuil 75016 Paris Tél. : +33 (0)1 44 30 19 60 Fax : +33 (0)1 45 20 08 23 +33 (0)1 44 30 19 86 Courriel : regie@ jeuneafrique.com

Communication et publicité

DIFCOM (Agence internationale pour la diffusion de la communication) S.A. au capital de 1,3 million d’euros Régie publicitaire centrale de Jeune Afrique Media Group

Imprimeur : Siep – France Commission paritaire : 1021c80822 Dépôt légal : à parution ISSN 1950-1285

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

7


PROJECTEURS CONFIDENTIEL Politique L’hôtel Radisson Blu, dans la capitale nigérienne.

DNT GROUP

RD CONGO L’IRE DE TSHISEKEDI

SOMMET DE L’UA

Niamey (presque) prêt À quelques jours du sommet de l’UA (4-8 juillet), Niamey est en effervescence. Le centre de conférences Mahatma-Gandhi ne sera pas achevé à temps, en raison de retards dans l’acheminement des matériaux. Les débats se dérouleront donc au Palais des congrès. À quelques encablures, l’hôtel Radisson, construit par le turc Summa et inauguré le 11 juin par Mahamadou Issoufou, est quasiment terminé. Les chefs d’État logeront dans cet établissement, ou bien au Gaweye (qui abritera le centre d’accréditation), au Bravia ou dans les villas du Conseil de l’entente. À l’heure où nous mettions sous presse, quatorze d’entre eux avaient confirmé leur venue et accompli les formalités d’usage, dont les demandes d’autorisation de port d’armes pour leur service de sécurité. Les Nigériens, qui espèrent la présence d’une trentaine de dirigeants, comptent en particulier sur celle des 24 qui ont ratifié le traité sur la Zone de libre-échange continentale africaine, dont le coup d’envoi sera un temps fort

8

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

du sommet. Sans surprise, certaines rencontres bilatérales et multilatérales porteront sur la situation au Soudan et au Sahel. En prévision de l’événement, les mesures de sécurité, coordonnées par l’état-major de l’armée et le Conseil de sécurité (rattaché à la présidence), ont été renforcées à Niamey et dans ses environs. L’attaque perpétrée dans la nuit du 18 au 19 juin aux portes de la capitale et au cours de laquelle deux policiers ont été tués n’inquiète pas les autorités, l’enquête s’orientant vers la piste du simple banditisme. L’armée a néanmoins envoyé des renforts dans la zone des trois frontières (Mali, Burkina, Niger), autour de Bankilaré (région de Tillabéri), où Kalla Moutari, le ministre de la Défense, s’est rendu le 20 juin. À cette date, Mahamadou Issoufou se trouvait à Paris, d’où il devait rentrer le 22, après neuf jours de « visite d’amitié et de travail ». Le chef de l’État, en visite privée, prenait un peu de repos avant le sommet.

Félix Tshisekedi n’a pas caché son mécontentement à Benoît Lwamba, le président de la Cour constitutionnelle, qu’il a reçu le 17 juin à la Cité de l’UA. Les deux hommes ont évoqué le cas d’une vingtaine de députés de la coalition Lamuka (opposition), dont l’élection a été invalidée par la Cour, pour l’essentiel au profit de membres du Front commun pour le Congo, de Joseph Kabila. Selon nos informations, le chef de l’État a montré à Lwamba des preuves de la corruption de plusieurs juges de la Cour. Résultat: les invalidations seront réexaminées.

CÔTE D’IVOIRE BIENVENUE AU RHDP !

Deux mois et demi après la date prévue, Alassane Ouattara a décidé que l’organigramme du RHDP, calqué sur celui du RDR, serait dévoilé cette semaine. Les transfuges du PDCI y auront une place de choix. Jeannot Ahoussou-Kouadio, le président du Sénat, Charles Koffi Diby et Patrick Achi seront vice-présidents. Les ministres Paulin Claude Danho et Amédé Koffi Kouakou siégeront au directoire, que préside Amadou Gon Coulibaly. Sous l’autorité du Premier ministre, une direction exécutive d’une trentaine de personnes sera nommée. Kandia Camara ne la dirigera pas, alors qu’elle occupait une fonction similaire au RDR.


BURKINA COMPAORÉ JOUE LES ARBITRES

SONATRACHSNC-LAVALIN DE L’EAU DANS LE GAZ

La Cour suprême algérienne a demandé à la nouvelle direction de Sonatrach de porter plainte contre le canadien SNC-Lavalin. Elle envisage ensuite d’enquêter sur les conditions dans lesquelles ce groupe a obtenu un marché en juin 2009. Le contrat, d’un montant de

1,1 milliard de dollars, portait sur la construction d’installations destinées au traitement du gaz dans la région de Rhourde Nouss (Sud). En juin 2013 déjà, les activités de SNC-Lavalin avaient fait l’objet d’une enquête. La justice algérienne soupçonnait alors les Canadiens d’avoir sollicité les services d’un intermédiaire pour obtenir plusieurs contrats

Depuis que la justice a annulé son congrès extraordinaire, qui était prévu pour le 16 juin, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) est déchiré par des luttes intestines de plus en plus virulentes, portant sur la désignation d’un candidat à la magistrature suprême. Afin de trouver une solution, Blaise Compaoré, l’ancien chef de l’État (par ailleurs président d’honneur du CDP) a reçu la semaine dernière, à Abidjan, plusieurs cadres du mouvement, dont Raymond Papi Dagba, membre de son bureau exécutif national.

FRANCE-CAMEROUN CITOYEN D’HONNEUR

Le 29 juin, Michel Thierry Atangana (MTA) sera fait citoyen d’honneur de Saint-Pol-de-Léon. C’est dans cette petite ville bretonne qu’étudiant de 17 ans il fut accueilli par René et Catherine Grall. Lorsque Atangana, ingénieur financier au Cameroun, fut arrêté, ce couple mobilisa les élus locaux et les autorités françaises. Et continua à le faire pendant les dix-sept années d’incarcération de MTA dans une cellule du secrétariat d’État camerounais à la Défense. Jusqu’à sa libération, en février 2014, sous la pression du président François Hollande.

dans des conditions douteuses. L’affaire avait été classée sans suite.

BURKINA JIHADISTES SQUATTEURS Les services de renseignement burkinabè estiment que certains jihadistes se servent des camps de réfugiés du Nord comme refuges temporaires. Ils se fondent notamment sur l’analyse des

O U R N I E R /JA

Désigné par le PNDS (au pouvoir) pour concourir sous ses couleurs à la présidentielle de 2021, Mohamed Bazoum mobilise ses troupes. Premier objectif : mettre le parti, qu’il préside, en ordre de marche, et s’assurer le soutien d’un bureau national dont une fraction lui aurait, il y a encore quelques mois, préféré Hassoumi Massaoudou, l’ex-ministre des Finances. Limogé le 31 janvier 2018 après avoir trop clairement affiché ses Le ministre nigérien de l’Intérieur. ambitions, ce dernier fréquente à nouveau les réunions du parti, ce qui permet à l’équipe de Bazoum (que dirige Abderahmane Mohamed Ben Hamaye, son conseiller en communication) de se féliciter de cette unité retrouvée. Second objectif: apparaître comme le successeur naturel de Mahamadou Issoufou. Bazoum a demandé aux secrétaires nationaux du PNDS de travailler sur trois thèmes: réforme de l’éducation, emploi des jeunes, bonne gouvernance. Un programme qui, selon nos sources, s’inscrit dans la continuité de celui qui avait assuré la réélection d’Issoufou en 2016. Enfin, si l’opposition l’a appelé à démissionner de son poste de ministre de l’Intérieur, le candidat n’a pas l’intention d’obtempérer. D’après nos informations, il devrait rester au gouvernement jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle valide les dossiers de candidature, au début de 2021, un mois avant le scrutin.

VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE

Comment Bazoum se prépare

V. F

NIGER

téléphones (appels, données GPS, photos…) de suspects surveillés ou interpellés. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui gère ces camps, se dit « informé » de ces « accusations » sans toutefois en avoir reçu aucune preuve. Une réunion de ses représentants avec le ministre de la Sécurité doit avoir lieu à la fin de juin.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

9


PROJECTEURS

CONFIDENTIEL Diplomatie & réseaux

BÉNIN

Alors que la situation politique est passablement confuse en Tunisie, la proximité d’Olivier Poivre d’Arvor, l’ambassadeur de France, avec Youssef Chahed, le chef du gouvernement, qu’il décrit comme un « nouveau Macron », lui vaut d’être taxé d’ingérence. Le diplomate, dont la mission a été prolongée d’un an, a été appelé par Paris à plus de retenue.

FRANCE-INDE DUO EN AFRIQUE ?

Lors de sa visite à New Delhi, le 10 juin, Jean-Baptiste Lemoyne, le secrétaire d’État français aux Affaires étrangères, s’est entretenu avec son homologue, Shri V. Muraleedharan, qui lui a fait part de la volonté de l’Inde de mener en Afrique des projets conjoints avec la France. Le premier pourrait être la centrale solaire de Djermaya, au Tchad, que Proparco, filiale de l’AFD, doit en principe financer en partie. Paris souhaiterait que les Indiens mettent la main à la poche. L’entreprise Bharat Heavy Electricals Limited serait bien placée pour obtenir le marché de la construction.

10

Talon tente une « opération déminage » D’habitude peu friand des réunions continentales, Patrice Talon participera au sommet ordinaire des chefs d’État de la Cedeao, le 29 juin à Abuja. La crise politique au Bénin y sera abordée lors d’un huis clos, sauf si le bras de fer qui oppose le président béninois à Thomas Boni Yayi, son prédécesseur, venait à prendre fin d’ici-là. Alassane Ouattara (qui dirige en ce moment l’Uemoa) et Muhammadu Buhari (président en exercice de la Cedeao) ont chacun proposé leur médiation. Talon s’est d’ailleurs rendu chez son homologue nigérian le 20 juin. Le président béninois assistera également au sommet de l’UA, les 7 et 8 juillet, à Niamey, avant

DR

TUNISIE-FRANCE POIVRE IRRITE

Patrice Talon et Muhammadu Buhari, à Abuja, le 20 juin.

de s’envoler pour Paris, où il séjournera jusqu’au 12 juillet, pour ce qui ressemble fort à une opération de déminage. Le 19 juin, Jean-Baptiste Lemoyne, le secrétaire d’État français aux Affaires étrangères, s’est en effet

dit « préoccupé par la situation au Bénin ». Un entretien avec Emmanuel Macron n’est pour le moment pas à l’ordre du jour, mais Talon prévoit notamment de rencontrer des représentants de la presse française.

FRANCOPHONIE

Qui veut départager Soro et Soumahoro ? Un appel à une candidature non ivoirienne à la présidence de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) a été lancé au sein de l’institution. Au lendemain du sommet régional de Rabat (14 au 16 juin), marqué par le bras de fer entre Guillaume Soro et Amadou Soumahoro, seuls ces deux hommes avaient postulé, faisant courir le risque d’une crise. En tant que premier vice-président de l’APF, Soro avait vocation à en devenir le président. Mais il n’a pu faire porter sa candidature par une section nationale, ce qui est un prérequis. Les médiations, y compris celle du Sénégalais Moustapha Niasse, ont échoué, les rivaux ayant refusé de se rencontrer. Le prochain président de l’APF doit être choisi le 9 juillet à Abidjan, où les organisateurs redoutent que lestensions, déjà vives, ne soient décuplées.Une mission d’évaluation a été dépêchée sur place à la dernière minute afin d’évaluer le risque et d’envisager, le cas échéant, de changer le lieu et la date de la réunion.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019


CENTRAFRIQUE-FRANCE

Kolingba perd à nouveau

Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) depuis six mois, l’ex-ministre rwandaise des Affaires étrangères a choisi une équipe paritaire, soucieuse de sa communication, soutenue par Paris… et par Kigali. DÉSIRÉ NYARUHIRIRA Son conseiller spécial. A quitté le ministère rwandais des Affaires étrangères pour l’épauler avenue Bosquet, tout comme Oria K. Vande weghe, qui est restée sa porte-parole. Tous deux avaient déjà grandement contribué à sa campagne. CATHERINE CANO Administratrice. Le Canada ayant retiré son soutien à Michaëlle Jean à Erevan, il était convenu que ce poste de numéro deux reviendrait à ce pays. Mais aux profils de diplomates Mushikiwabo a préféré celui de la dirigeante de la Chaîne d’affaires publiques par câble, sise à Ottawa.

BRUNO LEVY POUR JA ; DR ; STEPHANE DANNA

Le 6 juin, la justice française a une nouvelle fois débouté Désiré Kolingba. L’homme politique centrafricain avait déposé un recours contre la société WP+, du communicant français William Perkins, en vue d’éviter une saisie à son domicile d’Orléans, qui est au nom de son épouse. La cour a estimé qu’il n’avait pas formulé ses observations dans les temps. Perkins,quiavaitconseilléKolingba lors de la présidentielle de 2015, se plaint de ne pas avoir été rémunéré. Il avait obtenu gain de cause auprès du tribunal de grande instance d’Orléans en 2016, puis de la cour d’appel en 2017, qui avaient condamné le fils de l’ancien président centrafricain à lui verser 282490 euros.

LOUISE MUSHIKIWABO

NICOLAS GRÖPER Est-ce pour remercier Paris d’avoir très vite soutenu sa candidature que la Rwandaise a nommé ce haut fonctionnaire français directeur de cabinet ? Énarque, il est passé par la Cour des comptes et les ambassades de France au Niger, au Tchad et au Burkina. VANESSA LAMOTHE MATIGNON Conseillère chargée de la stratégie et des instances. Travaille à la réforme de l’OIF, dont elle est une bonne connaisseuse. A été durant sept ans ambassadrice d’Haïti en France. Cousine de Laurent Lamothe, l’ancien Premier ministre haïtien.

TUNISIE SORTIE DE LA LISTE NOIRE ?

Le Groupe d’action financière (Gafi) mènera une mission d’observation en Tunisie à partir du 15 septembre. Les membres de cet organisme intergouvernemental se rendront à la Commission tunisienne des analyses financières (Actaf), à la Bourse et auprès des corps de métiers concernés (experts comptables, agents immobiliers, avocats). Le but : vérifier que les réformes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme sont correctement appliquées. Le pays s’était engagé à renforcer son arsenal législatif pour sortir de la liste noire du Gafi. Le 20 juin, l’institution a reconnu que des progrès avaient été accomplis. Elle statuera définitivement à l’occasion de sa prochaine assemblée plénière, entre le 13 et le 18 octobre.

CÔTE D’IVOIRE-FRANCE BOUAKÉ, L’ULTIME RECOURS

Jean Balan, l’avocat des familles des neuf victimes françaises du bombardement de Bouaké (2004) envisage de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Cette juridiction est l’ultime recours après que la commission des requêtes de la Cour de justice de la République a décidé de ne pas juger les anciens ministres Dominique de Villepin (Intérieur), Michèle Alliot-Marie (Défense) et Michel Barnier (Affaires étrangères). Une décision qui allait à l’encontre de la volonté de la juge d’instruction Sabine Kheris, mais qui suit l’avis de François Molins, le procureur général de la Cour de cassation. Ce dernier est aussi l’ex-directeur de cabinet de Michèle Alliot-Marie.

FORUM ÉCONOMIQUE AFRIQUE-EN-PROVENCE

L’universitaire français Jean-Hervé Lorenzi a convié plusieurs personnalités africaines aux 19e Rencontres économiques d’Aix-enProvence (5-7 juillet). Parmi elles, Abdourahmane Cissé, le ministre ivoirien du Pétrole ; Jean-Louis Billon, l’ex-ministre ivoirien du Commerce ; Nezha Hayat, présidente de l’Autorité marocaine du marché des capitaux ; Cheikh Kanté, le ministre chargé du plan Sénégal Émergent ; Mohamed Soual, économiste en chef à l’OCP, et le Malgache Hassanein Hiridjee, PDG d’Axian.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

11


PROJECTEURS

LES GENS

L’HOMME DE LA SEMAINE

Abdel Fattah al-Sissi, le début des soucis ?

« Des journalistes ont disparu après avoir été emmenés par les forces de sécurité. Des journaux et des radios sont fermés, les blogueurs, les gens qui postent des messages sur WhatsApp sont visés. » Tundu Lissu, opposant tanzanien

KARSTEN MORAN/NYT-REDUX-REA

Les circonstances de la mort de l’ancien président Mohamed Morsi ont jeté une lumière crue sur la répression de l’opposition depuis 2013.

« Aux États-Unis, les chefs de file démocrates sont Joe Biden, 76 ans, Bernie Sanders, 77 ans, et Elizabeth Warren, 69 ans. C’est quelque chose que vous ne verrez jamais en Afrique. Personne ne veut devenir président à l’âge de 70 ans puisque tous prévoient de rester au pouvoir pendant quarante ans. » Trevor Noah, humoriste sud-africain

JIHÂD GILLON

« Les bonnes nouvelles aussi volent en escadrille. » C’est ce que devait se dire le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, depuis le début de l’année 2019. D’abord, son pays s’était vu attribuer, le 9 janvier, l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), qui s’est ouverte le 21 juin. À la tête de l’Égypte depuis six ans, le chef de l’État avait ensuite – et comme prévu – pris la tête de l’Union africaine (UA), à la mi-février. L’avancée concomitante dans la région libyenne du Fezzan de son favori, le maréchal Khalifa

Haftar, s’annonçait quant à elle sous les meilleurs auspices. Pour ne rien gâcher, le président soudanais Omar el-Béchir, avec qui les relations ont souvent été tendues, faisait dans le même temps face à une contestation populaire inédite. Sans oublier bien sûr la réforme constitutionnelle approuvée en avril, qui permettra à Abdel Fattah al-Sissi de briguer un troisième mandat et de rester probablement au pouvoir jusqu’en 2030. Mais voilà que la mort, le 17 juin, de Mohamed Morsi, l’ancien président issu des Frères musulmans, a soudainement fait retomber ce

« Ahmed Gaïd Salah ne peut pas gérer l’Algérie comme une caserne, il ne peut pas empêcher les Algériens de s’exprimer librement. » Salah Dabouz, avocat algérien « Nous ne réussirons pas à mettre fin [aux problèmes sécuritaires] sur le continent tant que nous ne travaillerons pas ensemble. [Les aides] venues de l’extérieur peuvent parfois compliquer encore plus les problèmes. » Paul Kagame, président du Rwanda

GEAI LAURENCE/SIPA

« Je mesure – et je dis ça pour tous les présidents – ce qui leur tombe sur les épaules. C’est Atlas, ce dieu qui porte la voûte terrestre. » Brigitte Macron, première dame française En avril, il a fait réviser la Constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat.

12

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019


Le décès dans ces conditions du seul président égyptien démocratiquement élu ne fera-t-il pas de lui un martyr ? C’est la crainte du pouvoir. D’autant que même les milieux libéraux, qui avaient vu d’un bon œil la reprise en main de l’armée en 2013, dénoncent le traitement inéquitable infligé à Mohamed Morsi. Ce dernier a d’ailleurs été rapidement et discrètement enterré, à huis clos, de nuit, en la seule présence de quelques membres de sa famille. Les forces de l’ordre du gouvernorat de Charkiya, d’où était originaire Morsi, ont été mises en état d’alerte après l’annonce de sa mort. Il y a peu de risque que le

PAUL GROVER/REX/SIPA E.SCAGNETTI/REPORTERS-REA DR VIANNEY LE CAER/AP/SIPA

À Alger comme à Khartoum, le modèle militaire fait désormais office de repoussoir.

FATMA SAMOURA

La Sénégalaise, secrétaire générale de la Fifa, sera pendant six mois déléguée générale pour l’Afrique d’une CAF en pleine crise, afin de contribuer à accélérer les « réformes nécessaires ».

DIONCOUNDA TRAORÉ

L’ancien chef de l’État par intérim du Mali a été nommé haut représentant du président de la République pour le Centre. La région traverse actuellement une période de grande insécurité et d’urgence humanitaire.

NABIL AJROUD

Conseiller chargé des affaires juridiques à la présidence tunisienne depuis mai 2016, ce haut fonctionnaire discret vient d’être promu directeur de cabinet de Béji Caïd Essebsi. Il succède à Salma Elloumi Rekkik.

DR

Reprise en main

président se trouve confronté à un soulèvement populaire, tant la croissance égyptienne paraît dynamique. Mais ce décès survient dans le pire des contextes régionaux pour le pouvoir. En Algérie comme au Soudan, une vague de mobilisation populaire a finalement conduit au départ d’Abdelaziz Bouteflika et d’Omar el-Béchir, et, dans ces deux pays, se joue aujourd’hui une transition pilotée par l’armée, à l’image de l’Égypte post-Moubarak. Le problème, c’est qu’à Alger comme à Khartoum les militaires n’ont plus le beau rôle. Le modèle égyptien d’une institution militaire garante de l’État a perdu de son attrait et fait dorénavant office de repoussoir pour une partie des Algériens et des Soudanais. Au début de juin, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a d’ailleurs suspendu le Soudan, alors que le Conseil militaire de transition, soutenu par Le Caire, venait de réprimer dans le sang des manifestations réclamant l’instauration d’un État civil, faisant plus d’une centaine de morts. Difficile de ne pas y voir de la part de l’institution panafricaine une forme de désaveu du président égyptien. Sans compter que la mort de Morsi attire également l’attention internationale sur la répression massive des opposants Frères musulmans, assimilés sans distinction aux jihadistes et dont plusieurs dizaines de milliers de sympathisants croupiraient dans les geôles égyptiennes. L’ONU a d’ailleurs réclamé une enquête « minutieuse et indépendante » sur le décès de l’ex-président. Si l’image d’un Sissi populaire et rempart à la menace islamiste a un temps convaincu ses partenaires occidentaux, cette petite chanson risque d’être moins audible aujourd’hui.

JAMEL DEBBOUZE

L’humoriste franco-marocain va mettre sa carrière entre parenthèses après un show largement décrit comme raté. Selon le maire d’Ivry-sur-Seine (France), l’artiste reversera une partie de son cachet à la ville.

MAHAMAT NOURI

Le chef rebelle tchadien a été placé en garde à vue en France dans le cadre d’une enquête ouverte depuis 2017 sur de potentiels crimes contre l’humanité commis au Tchad et au Soudan entre 2005 et 2010. NEWPRESS/SIPA

vent favorable. Quasiment oublié du monde dans sa cellule, l’exchef de l’État égyptien, renversé en 2013 par celui qu’il avait nommé ministre de la Défense un an plus tôt, est vraisemblablement décédé des suites d’une crise cardiaque. Détenu depuis six ans, il a perdu connaissance en plein tribunal alors qu’il comparaissait pour une affaire d’espionnage au profit du Hamas palestinien. Âgé de 67 ans, diabétique, déjà condamné à vingt ans de prison pour la répression de manifestations en 2012, l’éphémère président n’avait que peu de chances de survivre à ses conditions de détention – isolement total, refus des soins médicaux et des visites familiales –, dénoncées en mars 2018 par une commission parlementaire britannique. Et aujourd’hui, le sort de Mohamed Morsi laisse une irrésistible impression de justice partiale. D’autant que l’ancien président Hosni Moubarak, condamné à perpétuité en 2012, a été lui tout bonnement relaxé en 2017.

LOUISA HANOUNE

Le tribunal militaire de Blida, en Algérie, a ordonné le maintien en détention de la secrétaire générale du Parti des travailleurs. L’opposante de gauche a été incarcérée le 9 mai pour « complot contre l’État ».

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

13


PROJECTEURS

LES GENS

Masai Ujiri

Il préside les Raptors de Toronto, qui ont remporté le championnat nord-américain de basket-ball. Une première en NBA pour un Africain. NIGÉRIAN

DÉNICHEUR DE TALENTS

Il est né le 7 juillet 1970 à Bournemouth, en Angleterre, de parents nigérians. Un an plus tard, sa famille déménage à Zaria, dans l’État de Kaduna (nord du Nigeria). D abord att Nigeria) D’abord attiré ppar le football, il ne s’intéresse au basket qu’à partir de l’âge de 13 ans. Son modèle ? Hakeem Abdul Olajuwon, son compatriote, qui, en 1994, fut le premier étranger élu meilleur joueur de la NBA.

Après avoir renoncé à son rêve de jouer en NBA, il se lance dans la détection de talents. De retour au Nigeria, il dirige le programme Basketball

14

Il obtient son premier contrat de recruteur chez les Nuggets de Denver. Il y reste quatre ans avant de s’installer à Toronto, au Canada, où il occupe les mêmes fonctions. En 2010, il revient dans le Colorado et devient le premier Africain à diriger un club de la NBA.

En 2011, il fait sensation en échangeant Carmelo Anthony, l’une des vedettes du championnat, contre quatre rookies (« débutants »), réalisant malgré tout une bonne saison. L’année suivante, la NBA lui décerne le titre de meilleur président de club.

Déterminé à mener une carrière professionnelle, il s’installe à Seattle, dans une famille nigériane, et pratique le basket au niveau scolaire. Il intègre le championnat universitaire dans le Dakota du Nord, puis dans le Montana.

PARI RISQUÉ

STEVE RUSSELL/TORONTO STAR VIA GETTY IMAGES

C’est finalement en Europe (Angleterre, Belgique, Allemagne, Finlande et Danemark) qu’il jouera pendant six ans. Il met un terme à sa carrière en 2002, à seulement 32 ans.

NUGGETS

TRANSFERT

RÊVE AMÉRICAIN

CARRIÈRE EUROPÉENNE

Without Borders de la NBA et travaille en tant que recruteur bénévole pour le Magic d’Orlando.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

Il a récidivé cette saison. En juillet 2018, contre l’avis des fans, il s’est séparé de l’une des stars des Raptors, DeMar DeRozan, et attaché les services de Kawhi Leonard. Un pari fou qui a payé: Leonard, auteur d’une fin de saison de haut niveau, a été sacré meilleur joueur de la finale.

GÉANT

Fondateur en 2003 du programme de formation Giants of Africa, destiné au Ghana, au Nigeria, au Kenya et au Rwanda, Ujiri continue de promouvoir les talents africains. Une politique qu’il applique à son propre club, où évoluent le Congolo-Espagnol Serge Ibaka et le Camerounais Pascal Siakam.

« PAYS DE MERDE »

En janvier 2018, après que Donald Trump eut traité plusieurs États africains de « pays de merde », il avait dénoncé des propos « injustes ». « Quel espoir donnons-nous aux gens quand on qualifie l’endroit où ils vivent ou dont ils sont originaires de “pays de merde” ? », s’était-il indigné lors d’une interview.

OBAMA

Il est proche de Barack Obama : ce dernier a assisté au deuxième match de la finale de la NBA, l’a aidé à mettre sur pied l’un de ses centres de formation au Kenya et, en 2015, l’avait convié au dîner des correspondants, à la Maison-Blanche. L’ancien président serait à la manœuvre pour faciliter son transfert du club des Raptors vers celui des Wizards de Washington. ROMAIN GRAS



PROJECTEURS

LES GENS

Il avait une vingtaine d’années lorsque le Maroc recouvra son indépendance. Dans la jeunesse estudiantine, le nom d’Abdelouahed Radi, 84 ans, est pourtant toujours connu, puisqu’il cofonda l’Union nationale des étudiants du Maroc (Unem). Premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) de 2008 à 2012, il est aujourd’hui le doyen de la Chambre des représentants, qu’il présida de 1997 à 2007. En 2016, il a entamé son dixième mandat de député de Sidi Slimane (Nord-Ouest). S’il n’est plus au bureau politique de l’USFP, il siège au sein d’un comité de sages, moins formel, qui statue sur des questions d’éthique et rend des arbitrages. L’ancien ministre de la Justice est perçu comme un médiateur, capable, par exemple, de soutenir Driss Lachgar, l’actuel patron de l’USFP, pour maintenir l’unité du parti alors même qu’il ne l’apprécierait guère… Comme son camarade Mohamed El Yazghi, né la même année que lui et qui le précéda à la tête de l’USFP, Radi a écrit un ouvrage autobiographique, Al Maghrib alladi aichthou (« Le Maroc que j’ai vécu »), en 2017. Il y revient longuement sur les rapports entre la gauche marocaine et Hassan II, ainsi que sur la personnalité d’Abderrahim Bouabid, figure du socialisme maghrébin.

L’année 2020 commence dans cent quatre-vingt-dix jours, et, pourtant, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales des États d’Afrique de l’Ouest ne désespèrent pas d’atteindre à cette échéance un objectif fixé par la Cedeao en 1983: instaurer une monnaie unique, qui remplacerait le franc CFA. Réunis à Abidjan les 17 et 18 juin, ces responsables issus de quinze pays africains ont estimé que l’« “eco” n’est plus une utopie technocratique ». Reste à choisir son régime de change et un modèle de banque centrale.

16

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

RAPHAËL KATEBE KATOTO

Sa dernière apparition publique aux côtés de Joseph Kabila remonte à août 2018. Raphaël Katebe Katoto avait ensuite fait campagne pour Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin du président sortant. Presque un an plus tard, le demi-frère de l’opposant Moïse Katumbi reste membre du Front commun pour le Congo (FCC), participe aux réunions de la coalition et compte toujours parmi les soutiens de Kabila. Au début de 2017, après la signature des accords de la Saint-Sylvestre, il avait préconisé que Bruno Tshibala soit nommé Premier ministre plutôt que Félix Tshisekedi. Rentré définitivement au pays en décembre de cette même année, il est, depuis, logé à Kinshasa aux frais du gouvernement. Il s’est lancé dans la construction de logements sociaux dans l’est de la capitale mais, aujourd’hui, faute de financements, le projet piétine. En mars dernier, il a fait partie des candidats qui se sont retirés de la course des sénatoriales pour dénoncer les conditions opaques dans lesquelles allait se dérouler le scrutin. Sa fille, Leila Katebe Lulu, a, elle, été nommée commissaire aux Sports, avec rang de ministre, au sein du gouvernement provincial du Haut-Katanga.

THOMAS KOEHLER/PHOTOTHEK/GETTY IMAGES ; DR/KATEBE KATOTO FACEBOOK

ABDELOUAHED RADI


PUBLI-INFORMATION

Le GROUPE D’AFFAIRES FRANCE-DJIBOUTI est un groupement d’hommes et femmes d’affaires français et djiboutiens créé en novembre 2017. Il réunit déjà une trentaine d’entreprises françaises et djiboutiennes ayant pour ambition de mieux interagir ensemble et avec la France. Ce groupement représente un chiffre d’affaire de près de 400 millions d’Euros et quelques 3000 salariés. Cette initiative est donc un lieu naturel d’échange et de collaboration entre entreprises françaises et djiboutiennes opérant dans les domaines de la Construction, de l’Énergie, la Logistique, le Numérique, du Pharmaceutique ainsi que de l’Industrie et de la grande Distribution et autres. L’objectif est de développer les relations économiques bilatérales à travers une plus forte collaboration commune et faire en sorte que les opportunités d’affaires sur la place de Djibouti soient mieux connues et valorisées.

Mme KADRA DOUKSIEH, Quelles ont été les actions menées depuis la création du Groupe d’Affaire ? En ma qualité de presidente du Groupe d’Affaire France Djibouti, je peux temoigner que notre regroupement a déjà permis la mise en lien de plusieurs grandes entreprises françaises avec des partenaires locaux. Ainsi, plusieurs appels d’offres émanant de grands groupes français tels Vinci, Eiffage, Engie...etc, ont aboutis dernièrement. Le GAFD également, compte apporter sa modeste contribution au niveau social en accordant des bourses d’études aux meilleurs lauréats du système éducatif djiboutien ou en appuyant des initiatives sur le plan sportif comme ce fut le cas dernièrement, dans le cadre du déplacements en France de très jeunes footballeurs djiboutiens ayant participé au mondial de football des moins de 13 ans. Sur proposition du GAFD enfin, un premier lien fut créé entre incubateurs des deux pays via une visite organisée au sein d’un incubateur parisien à savoir, la Station F, qui est le plus grand Campus de Startups au monde. C’est l’essence même du GAFD, que d’avoir su fédérer ce monde franco-djiboutien des affaires dans le but de nous préparer à réagir à de nouveaux défis tout en appuyant et encourageant toutes les initiatives naissantes et à venir allant dans ce sens.

M. REMON, la place de Djibouti s’ouvre de plus en plus sur le monde, quels est dans ce contexte, le poids et l’apport des entreprises Françaises ? Les entreprises françaises, leurs produits et services ainsi que les technologies et la qualité Made in France, sont reconnus et appréciés par les entreprises et les consommateurs djiboutiens. Les liens culturels et affectifs unissant nos deux pays y contribuent pour beaucoup. Cette présence s’exprime à tous les niveaux, des grands noms du CAC 40 aux PME audacieuses sachant exploiter certaines niches de marchés disponibles. Le 28 mai 2019, un protocole d’entente (MoU) vient d’être signé entre le gouvernement djiboutien et le groupe français ENGIE pour développer la première Centrale solaire photovoltaïque située dans la région sud d’Ali-Sabieh et d’une capacité de 30MW. Par ailleurs, des grands groupes Français comme Eiffage ou Vinci réalisent actuellement des grands projets d’infrastructures de première importance, d’autres sont présents sur les transports, l’énergie, les assurances et la logistique (Air France, Bolloré, Rubis, BRED, CMA CGM,...), ou représentés en partenariat par de nombreuses et dynamiques sociétés djiboutiennes. M. Stéphane Rémon,

Mme Kadra Abdi Douksieh,

Directrice-Générale de Nomade-Com Institution financière spécialisée dans la monnaie électronique Gérante de MEDIAGROUPE SARL Distributeur officiel de Canal Plus en République de Djibouti. Présidente du Groupe d’Affaires France-Djibouti (GAFD)

GAFD, rue de Genève, B.P. 660 - Républlique de Djibouti - Tél. : (+253) 21 348 525

Directeur Général du Groupe Coubèche Djibouti Industrie : Coca-Cola Bottler et Glace hydrique Grande Distribution : Partenariats régionaux de représentation et distribution. Magasins sous enseignes du Groupe Casino France. Conseiller du Commerce Extérieur de la France Vice-Président du Groupe d’affaires France-Djibouti

www.gafd.org

JAMG /© D.R.

Le GAFD se veut donc un outil destiné à favoriser et encourager les investissements français à Djibouti, considéré désormais comme la porte d’entrée de l’Afrique. L’idée consiste aussi à permettre aux entreprises djiboutiennes d’emprunter via la France, le chemin du marché européen. Le GAFD également, compte apporter sa modeste contribution au niveau social en accordant des bourses d’études aux meilleurs lauréats du système éducatif djiboutien ou en appuyant des initiatives sur le plan sportif.


PROJECTEURS

LES GENS

MEROUN A C Patrice Nganang

Mathias Eric Owona Nguini

’on ne sait toujours pas pourquoi, dans ses posts, Mathias Eric Owona met une majuscule à la première lettre de chacun de ses mots. Ni davantage pourquoi Patrice Nganang commence chacune de ses journées, sur Facebook, par quelques lignes d’autoportrait. Où ces professeurs d’université trouvent-ils le temps de tenir en haleine les réseaux sociaux ? C’est à peu près leur seul point commun. Pour le reste, tous deux ne sont que les acteurs d’une rivalité qui les dépasse et dont les relents nauséabonds empoisonnent le Cameroun. Leur rhétorique ethnocentrée a marqué la campagne présidentielle d’octobre 2018. Résultat, les débats ont bien moins porté sur des idées que sur la prétendue supériorité de tel ou tel groupe ethnique. Comme Paul Biya, Owona, cinquante printemps, est un Fang-Béti-Bulu. Il appartient donc à ce groupe qui détient le pouvoir depuis trente-sept ans et que ses adversaires soupçonnent de vouloir conserver, quand bien même le chef de l’État ne serait plus là. Nganang, d’un an son cadet, est un Bamiléké de l’Ouest, comme l’opposant Maurice Kamto. Arrivé en deuxième position à la présidentielle, puis, en janvier, emprisonné pour « trouble à l’ordre public », ce dernier n’en estime pas moins que l’on tente de délégitimer son Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) en le présentant comme un parti pro-Bamiléké. C’est peu dire qu’Owona Nguini et Nganang ne s’apprécient pas. Déjà en 2014, la violence de leurs échanges épistolaires préfigurait la détérioration du climat politique et social. Tout les oppose, à commencer par l’origine sociale. Né à Paris d’une mère haut fonctionnaire et d’un père agrégé de droit, qui fut secrétaire général de la présidence, Owona Nguini a étudié en France, à l’Université Bordeaux-Montesquieu, avant d’enseigner les sciences

L

politiques à Yaoundé-II. Bref, il incarne tout ce que Nganang exècre. Issu d’une famille modeste, celui-ci a grandi dans un quartier populaire de Yaoundé. Il a bénéficié d’une bourse d’études en Allemagne avant de s’installer à New York, où il enseigne la littérature.

Valeurs du progressisme en partage

L’autre raison du conflit tient à l’histoire. Owona Nguini est l’un de ces fiers Ekang (Fang-Béti-Bulu), que l’anthropologue Philippe Laburthe-Tolra a dépeint dans son essai Les Seigneurs de la forêt. Nganang, lui, n’a pas été élevé dans la fierté de ses origines bamilékés : dans les années 1970, raconte-t-il, ses proches ont été obligés de faire profil bas après que les autorités ont fusillé Ernest Ouandié et maté les dernières poches de résistance des maquisards. Ce sentiment d’être un citoyen dont on se méfie a nourri sa révolte. À la fin de 2017, à la suite de la publication sur le site de JA d’un texte sur la crise anglophone, il a été arrêté puis expulsé du Cameroun, ce qui l’a encore radicalisé. Il appuie les sécessionnistes, participe aux collectes de fonds pour soutenir les rebelles anglophones, s’en prend aux modérés et se complaît dans l’invective, au point d’embarrasser Maurice Kamto, qui, dans un communiqué, a pris ses distances. Avant leur clash de 2014, Owona et Nganang auraient pu se rassembler autour des valeurs du progressisme, dont tous deux se réclament. Voir Owona critiquer un régime dont son père fut l’un des architectes avait quelque chose d’œdipien qui plaisait à l’opposition. Voir Nganang se dire attaché à l’idée de construire un pays où la réussite n’est pas déterminée par la naissance aurait pu transcender les clivages politiques. Pourtant, pour le moment, le poison du tribalisme les conduit à s’opposer dangereusement.

Ces deux professeurs d’université se jettent leurs origines à la figure.

18

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

BAUBOUIN MOUNDA POUR JA ; LINA PALLOTTA POUR JA ;

GEORGES DOUGUELI


© DR CANAL+ INTERNATIONAL S.A.S AU CAPITAL DE 3 912 064 € 592.033.401 RCS NANTERRE

PROFITEZ DE TOUTE LA CAN TOTAL, ÉGYPTE 2019 EN HD SUR

CANALPLUSAFRIQUE.COM E

PTE 201 GY

9

Pour vous abonner : Côte d’Ivoire : 13 13* - Sénégal : 201 555* - RDC : 444 555* Cameroun : 85 56*- Gabon : 86 00* - Burkina Faso: 30 75* - Congo: 06 877 92 92* Benin: 70 55* - Togo: 22 22 65 65* - Mali: 36 555* - Niger: 94 24 11 11* Madagascar : 20 22 39 4 73* - Guinée Bissau : 96 900 55 55* Guinée Équatoriale : 222 101 444* – Mauritanie : 45 25 25 44* Tchad : 99 09 89 89* - RCA : 77 32 88 88* - Autres pays : +33(0)1 41 22 11 55** *Coût d’un appel local –**Coût d’un appel international en vigueur de votre opérateur


PROJECTEURS

ESPRITS LIBRES

Et si les terroristes prenaient la mer ? Oswald Padonou Docteur en sciences politiques, enseignant et chercheur en relations internationales et études de sécurité magine-t-on l’impact de l’attaque d’un port ou d’une infrastructure dans les eaux du golfe de Guinée ? De bateaux piégés voguant au large des côtes ? Ou même de charges explosives introduites dans un navire ? Avons-nous conscience des nombreuses victimes que ces attaques pourraient causer ? Prend-on la mesure de la catastrophe économique qui en découlerait? Au-delà des actes de piraterie à but pécuniaire, la perspective d’attaques terroristes maritimes est malheureusement réelle au large de ces 5 700 km de côtes, qui s’étendent du Sénégal à l’Angola sur 17 pays. Si les attentats du 11 septembre 2001 à New York, perpétrés grâce à des avions civils détournés, ont fortement marqué les esprits, on oublie souvent que précédemment, en octobre 2000, Al-Qaïda avait ciblé l’USS Cole dans le port d’Aden, au Yémen. L’organisation terroriste avait lancé un attentat-suicide contre ce navire militaire américain, tuant 17 marins et en blessant 39 autres. Traquée et parfois contrainte à reculer sur terre, la nébuleuse islamiste pourrait faire de la mer son nouveau terrain d’action privilégié, compte tenu de la vulnérabilité des espaces maritimes africains. Certes, les États d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale ont pris des mesures de sûreté et de sécurité, tout comme les compagnies qui opèrent dans la zone. Les gouvernements du Bénin, du Togo, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire ont investi d’importants moyens

I

20

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

dans le renouvellement de leurs flottes. Le Togo, le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont ainsi acheté des patrouilleurs RPB 33 auprès de la société française Ufast pour leurs marines respectives. Mais ces moyens de contrôle sont encore en deçà du niveau de risque potentiel. Même avec ses trois patrouilleurs acquis auprès de la société française Ocea en 2012 et deux autres offerts par la Chine en 2017, le Bénin n’est pas encore capable d’assurer une présence en haute mer de façon autonome pendant plusieurs semaines consécutives.

Drones sous-marins

Sans dériver vers une surenchère sécuritaire et sans accumuler des moyens militaires qui seraient impossibles à exploiter et à entretenir sur le long terme, il apparaît nécessaire de doter les marines d’avions de surveillance maritime et d’intervention ainsi que de les équiper en drones aériens, marins et sous-marins pour faciliter la collecte de renseignements et améliorer leurs capacités opérationnelles. Il serait aussi nécessaire de développer le secteur aéronaval en équipant les forces en présence d’hélicoptères. Seul le Nigeria, où se trouve l’épicentre de la menace, possède aujourd’hui de telles capacités dans la région.

Le golfe de Guinée est déjà en proie à de nombreux fléaux : pollution des eaux et pêche illégale, piraterie (avec une augmentation de près de 76 % des attaques armées contre des bateaux entre 2015 et 2016), trafics d’hydrocarbures, de drogues et d’armes. En 2017, les forces maritimes de 31 pays ont participé à des manœuvres organisées par le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom) dans la zone afin de lutter contre ces activités criminelles. En novembre 2018, la France a également encadré une série d’exercices avec 14 pays côtiers africains. Mais l’enjeu pour les États africains concernés est de pouvoir répondre avec leurs moyens propres. Ceux-ci ne doivent pas abandonner aux mains des seules puissances étrangères la responsabilité de réguler cet espace géostratégique. C’est un secret de polichinelle. Le golfe de Guinée recèle d’importantes ressources énergétiques, et notamment 4,5 % des réserves pétrolières mondiales. Les États de la région dégagent des recettes de plus en plus importantes grâce à l’exploitation offshore. Et ce n’est qu’un début : des découvertes significatives de réserves de pétrole et de gaz ont été récemment réalisées en Mauritanie, en Guinée, au Sénégal… Une grande partie de cette production est exportée et contribue à la diversification des

Traqués sur terre, les jihadistes de la bande sahélienne pourraient se coordonner avec les pirates.


De l’odeur des Noirs Hervé Mahicka Essayiste, consultant spécialisé dans l’économie du développement et de la gouvernance sources d’approvisionnement pour l’Europe, la Chine et, dans une certaine mesure, les États-Unis. Le golfe de Guinée et son hinterland constituent, par ailleurs, des marchés en croissance pour les industries d’Asie, d’Europe et d’Amérique. Les principales puissances mondiales y consentent de lourds investissements. Toute entreprise terroriste ciblant l’écosystème maritime et portuaire est donc tout à fait à redouter, aussi bien pour les pays africains que pour leurs partenaires internationaux.

Difficiles à identifier

Reste que les différents groupes armés sont difficiles à identifier, que leurs modes opératoires sont en continuelle mutation et qu’ils s’adaptent en permanence aux mesures de sécurité prises par les États pour conserver des avantages tactiques… et même stratégiques. En 2016, au faîte de sa puissance, Daesh avait ainsi profité du chaos libyen pour s’emparer de la région de Syrte et ainsi conquérir une façade maritime de 200 km sur la Méditerranée, en face des côtes européennes. Le groupe terroriste n’en avait été délogé que quelques mois plus tard. Il faut se préparer à la déportation du champ des attaques terroristes du ciel et de la terre vers la mer. Et prendre en compte un risque encore plus grand : la jonction et la coordination possibles entre les groupes jihadistes opérant dans la bande sahélienne et les organisations criminelles qui multiplient attaques et prises d’otages au large de ses côtes.

e parquet de Metz, en France, a ouvert une enquête sur les propos racistes d’étudiants de l’université de Lorraine au sujet de l’odeur – insupportable, selon eux – de leurs camarades africains. L’un des trois clichés les plus persistants sur les Noirs, avec le crétinisme congénital et la boulimie sexuelle. Étant lié à l’école doctorale de cette université, je me suis intéressé au bien-fondé de cette accusation. En mars, le magazine Ça m’intéresse expliquait dans un article que les glandes sudoripares apocrines, situées sous les aisselles, dans l’aine et autour de l’anus favorisent la production de grandes sueurs qui, au contact des bactéries, produisent ces effluves. Or les Noirs en seraient plus dotés que les Blancs. Des scientifiques sérieux comme Roland Salesse, directeur de recherche dans l’unité de neurobiologie de l’olfaction de l’Inra, confortent cette thèse, s’appuyant sur une étude publiée en 2006 dans la revue Nature montrant qu’un gène responsable du transport des acides gras et des protéines dans les glandes sudoripares est présent en surnombre chez les Subsahariens. Ces lectures auraient pu me faire acquitter les étudiants de Metz. Mais il eut fallu alors oublier que j’avais, jadis, moi-même remarqué chez les Blancs une odeur. Dans Anthropologie générale, Melville Jacobs et Bernhard Stern

L

reconnaissent que chaque « race » trouve une odeur particulière aux autres. J’ai aussi découvert une étude qu’avait menée le professeur Otto Klineberg: à la sortie d’un gymnase, la sueur d’étudiants blancs et d’étudiants noirs avait été recueillie, puis classée par des juges blancs en fonction de leurs préférences olfactives. Or les échantillons qu’on a considérés l’un comme le plus agréable et l’autre comme le plus désagréable provenaient tous deux de Blancs. Des travaux publiés par le Journal of Genetic Psychology (éd. de 1950), menés avec plus de 700 juges, ont aussi démontré que la distinction entre l’odeur des Blancs et celle des Noirs est impossible à établir à l’aveugle.

C’est d’abord notre culture qui détermine le fait qu’un effluve nous plaise ou nous dégoûte.

Apprendre à se connaître

L’anthropologue Gilles Boëtsch affirme quant à lui que, si la physiologie « raciale » joue un rôle déclencheur, l’hygiène, l’alimentation et surtout la culture déterminent qu’un effluve plaise, indiffère ou dégoûte. Les brassages de populations allant s’intensifiant, l’humanité doit apprendre à se supporter. Et les sensibles du nez doivent savoir qu’ils puent autant pour ceux qu’ils ostracisent. Quant à nos étudiants, il ne me semble pas meilleur verdict que de les condamner à professer auprès d’autres jeunes les résultats de ces tests sur les senteurs du corps humain.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

21


FRANÇOIS GRIVELET / AWIB 2019 POUR JA

VOTRE JOURNAL

Une charte pour briser le plafond de verre

Des participantes lors d’un atelier sur l’importance des rôles-modèles féminins animé par Gladys Agwai (au centre).

Mixité dans le recrutement et le management, équité salariale… Lors de la deuxième édition de l’Africa CEO Forum Women in Business Meeting, les 17 et 18 juin à Paris, le texte pour la diversité du genre élaboré par Jeune Afrique Media Group a convaincu nombre d’entreprises. NELLY FUALDES

J

«

’ai eu beaucoup de chance. C’est ce que j’ai entendu durant des années, à chacun de mes succès. » Cette petite phrase, pro noncée par la spécialiste tunisienne de l’intelligence artificielle Nozha Boujemaa à l’occasion de la deuxième édition du forum Women in Business Meeting, organisé par Jeune Afrique Media Group les 17 et 18 juin à Paris, n’a pas manqué de rappeler des souvenirs aux quelque 250 participantes venues de 31 pays – preuve que l’expérience était partagée. Pourtant, « les entreprises qui ont le mieux résisté à la crise financière de 2008 sont celles qui comptent des femmes

22

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

dans leur conseil d’administration », assure la Marocaine Fathia Bennis, ex-directrice générale de la Bourse de Casablanca, aujourd’hui à la tête de Maroclear, le dépositaire central des valeurs mobilières du royaume. Mais si les effets positifs de la présence des femmes au sein des instances dirigeantes des entreprises, soulignés notamment par les rapports « Women Matter » (« les femmes comptent ») réalisés annuellement par McKinsey, semblent évidents aux yeux des participantes, les « panélistes » ont insisté sur le chemin qui reste à parcourir. Selon le cabinet de conseil, en 2017, en moyenne 5 % des postes de direction générale en Afrique étaient occupés par des femmes, tandis qu’elles étaient 9 % dans les conseils d’administration des

entreprises d’Afrique du Nord (contre 11 % en Afrique de l’Ouest, 16 % en Afrique de l’Est et 20 % en Afrique australe). Des chiffres qui ne sont pas plus mauvais que ceux affichés par d’autres pays, comme l’Inde (12 %), la Chine (10 %) ou le Brésil (7,2 %), mais que l’initiative Women in Business s’est promis de contribuer à améliorer.

Un combat sur le long terme

Les blocages psychologiques, le manque de volonté de certains gouvernements, des programmes éducatifs à la traîne… Autant de freins identifiés, et qui doivent être dépassés, estime Sandrine Wamy, directrice des systèmes d’information de Bolloré Transport & Logistics (BTL, 7,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017). « Sinon, on se retrouvera


Kamissa Camara, ministre malienne de l’Économie numérique (2e à g.), entourée (de g. à dr.) de Sandra Locoh-Donou, de Lendable ; Marie-Andrée Gamache, de Merck Group ; Yvonne Bettkober, de Microsoft ; et Ngozi Madueke-Dozie, de Kwesé Iflix.

FRANÇOIS GRIVELET / AWIB 2019 POUR JA

LES SCIENCES, LES FEMMES ET L’AFRIQUE

d’année en année avec le même discours. C’est un combat sur le long terme que nous devons prendre à bras-le-corps, notamment en faisant pression sur les entreprises, les gouvernements et les administrations avec lesquels nous échangeons, la société civile… », a-t-elle lancé. La Charte de la diversité du genre, élaborée en partenariat avec Deloitte lors d’un atelier stratégique à l’occasion de l’Africa CEO Forum, les 25 et 26 mars à Kigali, est l’un des engagements proposés lors du forum, avec la mission pour les participantes de convaincre leurs entreprises d’en devenir signataires. Parmi les entreprises représentées figuraient des banques (Merryll Lynch, Ecobank), le géant pharmaceutique Pfizer et les

cabinets de conseil Deloitte et KPMG, ainsi que la CDC tunisienne. « Cette charte repose sur quatre principes : mixité dans le recrutement, équité de rémunération, mixité du management et mixité du conseil d’administration », résume Emna Kharouf, associée chez Deloitte, qui assure avoir déjà reçu des manifestations d’intérêt de la part d’une quarantaine d’entreprises.

Politique de quotas

Le texte laisse toute latitude aux signataires quant à la définition de leurs objectifs et de leurs modes d’action, mais implique qu’ils communiquent chaque année leurs indicateurs sur ces quatre principes clés, les prochaines éditions du Women in Business Meeting devant en mesurer l’évolution. Si Emna Kharouf table sur l’engagement des signataires pour faire évoluer la situation dans les entreprises concernées, elle estime qu’à grande échelle « une politique de quotas est Le résultat du vote proposé en fin de rencontre sur quasiment incontournable ». C’est le lieu du prochain Women in Business Meeting a été notamment ce qu’a fait le Rwanda, sans appel: le prochain forum doit être organisé sur le où les femmes doivent représencontinent. La question d’y associer des participants ter au moins 30 % des effectifs à masculins a, elle, été amplement débattue. « Condition tous les niveaux de l’administranécessaire à la progression de la représentation des tion et jusqu’au gouvernement, et femmes » pour certaines, cette question est « sans doute encore prématurée », selon une majorité qu’applique également Nathalie de participantes, qui préfère voir se Munyampenda, directrice généconsolider d’abord le fonctionnement rale du Next Einstein Forum, le rendu forum et du réseau qui lui dez-vous bisannuel de la communauté est associé.

PROCHAINE ÉDITION SUR LE CONTINENT ?

Dans le domaine des sciences et technologies, thème central de cette deuxième édition du Women in Business Meeting, la place des femmes, mais aussi de l’Afrique dans son ensemble, reste marginale. « 2,4 % des chercheurs se trouvent sur le continent. 30 % d’entre eux sont des femmes, avec un fort déséquilibre entre les pays. Plus nombreuses en Tunisie et en Afrique du Sud, elles ne sont que 4 % au Tchad », souligne Alexandra Palt, directrice générale de la Fondation L’Oréal. Plus globalement, la participation du continent et de sa jeunesse à la révolution digitale en cours est un « enjeu de survie », estime Brenda Mbathi, directrice générale pour l’Afrique de l’Est de General Electric. Si, pour Emna Kharouf, associée chez Deloitte, les entreprises familiales auront sans doute plus de mal que les grosses entreprises qui ont les moyens d’allier innovation et expérience, pour Yves Biyah, directeur général adjoint de Jeune Afrique Media Group, ces efforts sont indispensables, car « le développement de l’Afrique sera technologique ou ne sera pas ». N.F.

scientifique panafricaine. « Avec un tel système, on ne peut plus nous servir le discours habituel sur l’absence de femmes spécialistes de tel ou tel domaine ou ayant les compétences requises pour recevoir tel ou tel prix. Et la présence de femmes devenant visible, les plus jeunes sont tentées de suivre leur exemple. Il y a quelques années, j’ai dû prendre mon téléphone pour convaincre des chercheuses de postuler aux programmes de bourses du Next Einstein Forum. Pour la dernière édition, les candidates spontanées ont été particulièrement nombreuses », assure-t-elle.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

23


AFRIQUE SUBSAHARIENNE

29 Tribune Chine-Angola: remariage de raison

CÔTE D’IVOIRE

Laurent

Legoûtdela (semi-)liberté Depuis Bruxelles, l’ancien président a repris les rênes du FPI et rêve du jour où il pourra enfin rentrer au pays. Sans rancœur, mais avec un vrai désir de revanche.

À La Haye, aux Pays-Bas, en janvier 2016.

24

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019


30 Bénin Talon peut-il se réconcilier avec le Nord?

32 Gabon Interview de Julien Nkoghe Bekale, Premier ministre

36 RD Congo Gérard Mulumba enfin parmi les siens

PETER DEJONG/AP/SIPA

Gbagbo bo

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

25


Afrique subsaharienne CÔTE D’IVOIRE

ANNA SYLVESTRE-TREINER

L

aurent Gbagbo ne sort pas beaucoup, mais aujourd’hui, c’est différent : c’est son anniversaire. Pour la première fois depuis huit ans, la fête a lieu hors d’une prison, alors l’ancien président ivoirien a eu envie de petits plaisirs. Rien de clinquant. Non, ce 31 mai, il a simplement rassemblé de vieux copains. Ils ne sont pas si nombreux, ceux qui ne l’ont jamais lâché, qui ont continué à lui rendre visite lorsqu’il n’était plus rien. En matière d’amitié, les épreuves de la vie se chargent de faire le tri. Autour de lui et de Nady Bamba, sa seconde épouse, il y a les Français Albert Bourgi et Guy Labertit, des amis de cinquante ans, l’Ivoirien Roland Sinsin, resté jusqu’au bout à ses côtés dans le sous-sol du palais présidentiel bombardé, le 11 avril 2011, Demba Traoré, l’un des vice-présidents du Front populaire ivoirien (FPI), Narcisse Kuyo Téa, son ancien chef de cabinet, ou l’avocate franco-ivoirienne Habiba Touré. Pour ses 74 ans, ils ont déjeuné ensemble dans une chic brasserie de la banlieue de Bruxelles, où ils ont leurs habitudes. Puis la petite bande est partie grimper la colline de Waterloo. Il fait beau et doux ce vendredi. Il y a 226 marches à gravir et, peu à peu, le vaste champ de bataille apparaît. Il faut s’imaginer sur cette plaine en 1815, se représenter les milliers de soldats français faisant face aux troupes anglo-hollandaises et prussiennes. L’impitoyable affrontement et, à la fin, la déroute de Napoléon. L’ancien président ivoirien sait que tout en haut il trouvera un lion, qui se dresse là depuis près de deux siècles. L’animal de pierre a la gueule ouverte, la tête tournée vers la France: il rugit sa victoire. Laurent Gbagbo est un historien, il connaît cela par cœur. Et, ce 31 mai, le vieux lion, c’est un peu lui. En un demi-siècle de combats, cet animal politique en a connu, des revers et des rebondissements, mais cette fois-ci, il a sans doute obtenu sa plus belle revanche. Accusé de crimes contre l’humanité depuis la crise postélectorale de 2011, lui qui s’érige en victime d’un complot ourdi par les anciens colonisateurs a été acquitté par la Cour pénale internationale (CPI) en janvier dernier. « Cette victoire lui donne un sacré coup de boost, assure l’un des membres de sa famille, il est en pleine forme. » « Il a très bonne mine. Drôle, jovial, il est comme d’habitude », renchérit un politique ivoirien. « Il n’y a aucune trace de ce qu’il a vécu ces dernières années. Je retrouve le Gbagbo que j’ai toujours connu », raconte le professeur Albert Bourgi.

Bobos et cicatrices

Pas de son, pas d’image : depuis sa libération, Laurent Gbagbo est aussi muet qu’invisible sur la scène publique. Il n’y a pas d’autre choix que de s’en remettre à des témoignages de proches. À l’heure des réseaux sociaux et de la communication à outrance, même ses intimes ne prennent pas de photos avec lui, de peur que cela finisse par fuiter. « C’est son côté mafieux! » rit l’un d’eux. Avec cet opposant de toujours, rompu à la clandestinité, tout est verrouillé. « C’est un peu de prudence: l’affaire devant la CPI n’est pas soldée. Et puis il n’a pas besoin de cela pour que tout le monde pense à lui », explique l’un de ses conseillers. « Sa relation avec les Ivoiriens est de toute façon fusionnelle », renchérit Albert Bourgi. Mais cette absence laisse place aux supputations. L’ancien président a-t-il quelque chose à cacher ? Comment va-t-il ? « Il a les bobos d’un homme de son âge et les cicatrices d’une vie tourmentée, confie un membre de sa famille, mais il n’y a là rien de grave. Il a toute son acuité intellectuelle et sa lucidité. » Resté proche de son médecin personnel, l’Ivoirien Christophe Blé, Laurent Gbagbo est désormais suivi par des praticiens belges. À quoi pensait-il, ce 5 février au soir, derrière les vitres de la berline de la CPI qui quittait La Haye en catimini pour le conduire à Bruxelles? Anticipait-il ses retrouvailles, en homme libre, avec sa femme et leur fils, David al-Raïs? Se remémorait-il son arrivée à la prison de Scheveningen, en novembre 2011, malade et frigorifié?

26

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

SUR QUI PEUT-IL COMPTER ? Les politiques

ASSOA ADOU Secrétaire général du FPI. Indispensable depuis la mort d’Aboudramane Sangaré. LAURENT AKOUN Vice-président et idéologue du parti. ODETTE SAUYET Vice-présidente. Bonne stratège et habile communicante.

Le « shadow cabinet »

NARCISSE KUYO TÉA Conseiller de Gbagbo, chargé de ses visites et de son agenda.

ISSA MALICK COULIBALY Ex-directeur de campagne. En exil en Europe, associé à la stratégie. DEMBA TRAORÉ Vice-président. Très présent auprès de l’ancien chef de l’État. CHRISTOPHE BLÉ Son médecin personnel.

Les amis

EMMANUEL ACKA Ex-ambassadeur au Ghana. A joué un rôle clé dans la tentative de rapprochement avec Affi N’Guessan. ALBERT BOURGI Professeur de droit public. GUY LABERTIT Ex-« Monsieur Afrique » du Parti socialiste français. Adjoint au maire de Vitry-sur-Seine.


SIA KAMBOU/AFP

Le 15 janvier,

à Gagnoa, après Les sept mois d’incarcération à Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire, ont été l’acquittement de si éprouvants qu’il en a gardé les stigmates. « Ils m’ont quand même esquinté », l’ancien président confiait-il il y a peu à un visiteur. Peut-être pensait-il aux soirées de ces sept derpar la CPI. nières années, qu’il passait seul, à lire et à écrire dans sa cellule de 9 m2. Ou bien souriait-il en songeant à tous ceux qui n’hésitaient pas à prédire sa condamnation? Ils ont été nombreux à jurer qu’il ne ressortirait pas vivant de sa cellule… De ces épreuves il ne parle jamais, même à ses plus proches. Laurent Gbagbo est un pudique. « Il n’y a en lui ni triomphalisme, ni rancœur, ni soif de vengeance », assure Assoa Adou, le secrétaire général du FPI. D’ailleurs, il n’évoque pas ses adversaires. Jamais il ne prononce le nom de son grand rival, Alassane Ouattara, l’actuel président. « On ne parle pas de cela. Laurent évoque la politique africaine, l’actualité mondiale, parce que c’est ce qui l’intéresse. Il est dans le présent, pas dans le passé », raconte Albert Bourgi. Quand il ne lit pas (sa grande passion), l’homme passe des heures devant la télé, à regarder documentaires historiques, péplums et bulletins d’information. Depuis sa libération, les demandes de visites affluent, mais il en décline S’il a parlé à son compagnon de beaucoup. « Il est sorti fatigué de prison. Les quinze derniers jours [entre détention congolais Jean-Pierre Bemba, l’annonce de son acquittement et sa libération sous conditions] ont été Laurent Gbagbo n’a pas appelé Charles Blé particulièrement éprouvants », rapporte un membre de sa famille. « Et Goudé, son ancien ministre et camarade puis son agenda est serré! Le matin, tous les créneaux sont pris : il est d’infortune, depuis leur libération. Après des encore au lit », sourit-il. Les premiers temps, il a surtout reçu ses amis et années de promiscuité, l’ex-président ivoirien sa famille. Michel, son fils aîné, chargé de transmettre des messages aux souhaitait mettre de la distance entre eux. proches restés en Côte d’Ivoire, est déjà venu plusieurs fois. La mère de « Blé reste un pion dans son échiquier celui-ci, Jacqueline Chamois, est passée aussi. Tout comme les jumelles politique, mais il n’en fera jamais son qu’il a eues avec Simone Gbagbo, Marie-Laurence et Marie-Patrice. poulain », assure un proche. Puis, rapidement, la politique a rattrapé le woody (« le garçon ») de Mama. La mort d’Aboudramane Sangaré, patron par intérim du parti, à la fin de 2018, l’avait contraint à s’investir directement; être libéré l’a rendu plus président du FPI que jamais. « C’est beaucoup plus simple, on peut l’appeler quand on le souhaite, le voir sans demander d’autorisation », précise un membre du parti. Aucune restriction ne pèse sur ses visites. Il n’est pas entouré de représentants de la CPI et ne bénéficie d’aucune protection. « Il n’a même pas songé à en demander », rapporte l’un de ses conseils. « Toute la stratégie actuelle du FPI, c’est lui », résume Assoa Adou, son homme au sein du parti, qui a multiplié les allers-retours entre Bruxelles et Abidjan. Dans

BLÉ GOUDÉ À BONNE DISTANCE

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

27


Afrique subsaharienne CÔTE D’IVOIRE

le bureau de la vaste maison qu’il occupe avec Nady Bamba et leur fils, l’infatigable combattant reçoit régulièrement sa garde rapprochée. À l’aube de la présidentielle de 2020, tous estiment vivre un moment clé. Dans un parti déchiré et affaibli, il faut remettre de l’ordre. En rencontrant Pascal Affi N’Guessan – une tentative finalement avortée –, Laurent Gbagbo espérait faire revenir les tenants de l’autre aile du FPI. « Il nous donne ses consignes. Ensemble, on réfléchit à la stratégie du parti. Les discussions avec le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire), c’est entièrement sous son impulsion », témoigne l’un des vice-présidents du FPI. Après qu’Henri Konan Bédié a dénoncé son alliance avec Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo a choisi d’entamer un rapprochement avec lui. Il a reçu une délégation conduite par Maurice Kakou Guikahué, puis a donné mandat à Assoa Adou pour qu’il se rende auprès du Sphinx de Daoukro. Le symbole est fort, mais aucun pacte n’est sur le point d’être scellé. « Trop tôt, selon des membres de l’état-major du FPI. Chacun utilise l’autre, mais Gbagbo n’a pas oublié qui était Bédié. S’ils posent ensemble sur un cliché, cela sera juste pour piquer Ouattara! »

Résurrection

Simone Gbagbo pourrait accepter de divorcer, elle n’a en revanche pas l’intention de perdre sa place au FPI.

SIA KAMBOU/AFP

Pour la présidentielle, seule une chose est actée: le FPI y participera. « Gbagbo est décidé. Cette fois, nous irons aux élections », dit l’un de ses bras droits. L’ancien chef de l’État pourrait-il en être le candidat? À cette question il n’a jamais esquissé de réponse. « Je n’ose même pas lui demander directement, confie un homme qui en est pourtant très proche. Celui qui dit qu’il sait ce que Gbagbo fera ment. » L’enfant de Mama ne doute pas que ses partisans rêvent de son retour. Depuis sa chute, ils se sentent orphelins et le parti n’a jamais su se relever. Aucun dauphin n’a émergé depuis que Pascal Affi N’Guessan, le seul ayant été un jour préparé à prendre la suite, a « trahi ». S’il veut sauver le FPI, Laurent Gbagbo n’a peut-être pas le choix. Mais en a-t-il encore la force? Pour l’instant, les conditions posées par la CPI lui évitent d’avoir à se décider. Bien qu’acquitté, il n’a pas le droit de sortir de la région de Bruxelles. Une « semi-liberté » qui pourrait durer des mois, voire des années. « Il a toujours autant d’espoir et n’a jamais douté qu’un jour il rentrerait en Côte d’Ivoire. Après avoir tout perdu, Laurent Gbagbo vit son acquittement comme une résurrection », estime un membre de sa famille. Le vieux lion, qui a aussi connu les geôles d’Houphouët-Boigny, est convaincu qu’il a un destin. « Quand on s’appelle Laurent Gbagbo, on ne prend pas sa retraite, croit savoir Assoa Adou. La politique, on en fait sa vie – et on meurt au combat. »

DIVORCE OU CHAMBRE À PART Laurent et Simone en ont-ils parlé lors des rares conversations téléphoniques qu’ils ont eues depuis la libération de l’ancien président, en janvier ? Leurs proches plaident l’ignorance et laissent s’installer le silence sitôt le sujet abordé. Si personne n’en parle, c’est pourtant bien le secret auquel tout le monde pense. Après quarante-trois ans de route commune, le couple le plus célèbre de Côte d’Ivoire en est-il toujours un ? Quand

28

il s’agit d’un duo qui a lié son destin personnel à celui du pays, les sujets intimes deviennent publics. L’ancienne première dame l’a toujours vigoureusement démenti, pourtant, d’après plusieurs sources, Laurent Gbagbo lui a bien signifié par le biais de l’un de ses conseils sa volonté de divorcer à l’amiable. Avant d’accepter, Simone Gbagbo souhaiterait s’assurer de conserver une place de premier plan au sein du parti. Deuxième

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

vice-présidente depuis août 2018, elle a vu son influence se réduire à la libération de son mari. « Il fallait qu’il reprenne la main, qu’il remette de l’ordre et réaffirme son autorité », estime l’un de ses conseillers. Trop présente, trop bigote, trop ambitieuse, selon certains des plus proches de Laurent, Simone dérangeait. Alors que l’entourage de la « Dame de fer » laisse entendre qu’elle pourrait rêver d’une candidature à la

présidentielle de 2020, beaucoup assurent que ce serait sans l’appui de son mari. « Il estime qu’un président par famille et par siècle, c’est amplement suffisant », commente un proche. Les ponts entre les deux époux ne sont pas coupés, mais s’il réussit à rentrer en Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo ne s’installera pas dans la maison familiale, à la Riviera. Simone y est déjà. A.S.-T.


CHINE-ANGOLA TRIBUNE

Remariage de raison E

n 2002, au sortir de vingt-sept années de guerre civile, les instances du pouvoir l’admettent est un signe qui ne l’Angola se tourne vers la Chine afin d’assurer sa reconstrompe pas. truction. Faute d’avoir obtenu des Occidentaux et des insCe mécontentement se double de considérations plus titutions financières internationales le soutien sollicité, le géostratégiques. Comme une partie du continent, l’Anpays s’engage dans un mariage de raison et noue avec Pékin gola est devenu un terrain d’affrontement entre Chinois et ces « relations mutuellement avantageuses, sans précondiAméricains. Et Washington a manifestement l’oreille du prétions politiques », dont parlait le président José Eduardo sident Lourenço, qui a bien compris qu’un rapprochement dos Santos en juin 2006, à l’occasion de la visite du Premier avec les États-Unis présentait un intérêt vital pour son pays. ministre chinois à Luanda. Des officiels et autres conseillers américains interviennent L’Angola permet ainsi à l’empire du Milieu de dévelopdéjà auprès d’un certain nombre d’organismes angolais, per son modèle de « coopération » fondé à commencer par le bureau de récupération sur l’équation « ressources minérales contre des fonds illicitement transférés. Par ailleurs, la infrastructures ». Une approche qu’il étendra présence d’institutions internationales implanbientôt à d’autres pays africains sous l’appeltées aux États-Unis – FMI, Banque mondiale lation de « modèle angolais ». On estime que, et bientôt la Société financière internationale depuis 2002, plus de 60 milliards de dollars (IFC) – ne peut que renforcer une sensibilité de financements chinois ont ainsi été injectés plus occidentale. dans l’économie angolaise. La chute du prix du pétrole, en 2014, touche e changement n’a pas échappé aux Chinois, de plein fouet l’économie angolaise et affecte qui se disent néanmoins prêts à nouer un Daniel Ribant naturellement le « partenariat gagnantnouveau type de partenariat. Fidèle à son Conseiller gagnant » noué entre les deux pays. Mais approche pragmatique et équilibrée en matière en diplomatie si celui-ci est aujourd’hui remis en question, de politique étrangère, l’Angola ne rompra pas économique c’est aussi en raison des choix politiques du son union avec la Chine. D’ailleurs, le pourrait-il président João Lourenço. En faisant de la vraiment alors que sa dette envers celle-ci s’élève lutte anticorruption l’axe central de son proà plus de 23 milliards de dollars, qu’une bonne gramme, le chef de l’État questionne forcépartie de son infrastructure est made in China et ment les pratiques peu transparentes de son prédécesseur que plus de 250000 travailleurs chinois sont toujours présents et de sa garde rapprochée, qui avaient trouvé certains avandans le pays ? Sans oublier qu’à plus de 65 % sa production tages dans le mode opératoire des lignes de crédit chinoises. pétrolière sert à rembourser la dette contractée, ce qui laisse Le président a d’ailleurs annoncé récemment qu’il n’était peu de marge pour les finances publiques nationales. Pas de plus question de gager les revenus pétroliers afin d’obtenir divorce donc, mais l’Angola va très certainement renégocier des financements. les clauses du contrat. La Chine a accepté de financer l’Angola à un moment où ette distanciation est sans doute la conséquence de deux ce pays n’était guère « fréquentable ». L’énorme besoin de évolutions récentes, très significatives. Au niveau interne, ressources minérales de l’un a rencontré la soif de reconsil apparaît de plus en plus évident que les Chinois n’ont pas truction de l’autre. Ce mariage de raison a fait son temps, livré un travail de qualité et qu’ils n’ont pas utilisé la mainet un nouveau partenariat devra nécessairement le remplad’œuvre locale comme préalablement agréé. Beaucoup cer. Ses contours sont flous et dépendront sans doute de ce d’argent a été dépensé pour des infrastructures qui, après que la fiancée occidentale pourra apporter. Être « fréquendix ans d’utilisation, montrent déjà des signes évidents de table » est une chose, mais encore faut-il que la dot soit fatigue. Cette constatation n’est pas neuve, mais le fait que intéressante !

C

C

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

29


Afrique subsaharienne

BÉNIN

Talon peut-il se réconcilier avec le Nord ? Élu en grande partie grâce aux régions du Sud, dont il est originaire, le chef de l’État ne parvient pas à convaincre l’autre moitié du pays, toujours acquise à son prédécesseur, Thomas Boni Yayi.

VINCENT DUHEM

e 12 novembre 2016, à Sèmèrè, une ville du département de la Donga, dans le nord du Bénin, Patrice Talon fend la foule dans une tunique au blanc scintillant. Abdoulaye Bio-Tchané, son ministre du Développement, un enfant du pays, se tient à ses côtés. Les notables de la région se sont déplacés. Des cavaliers en tenue d’apparat leur font une haie d’honneur. Investi quelques mois plus tôt, le chef de l’État effectue ce jour-là son premier déplacement dans le Nord depuis son élection. « Je suis arrivé à Sèmèrè à l’occasion de notre réconciliation. Je dis “notre” car tout ce qui divise la communauté divise forcément une partie du pays », déclare alors Patrice Talon. S’il fait, à ce moment précis, référence à la crise qu’a récemment connue la ville lors de la désignation du nouvel imam central (des affrontements ont fait plusieurs morts), ses propos trouvent un écho beaucoup plus large tant sa visite est symbolique. Originaire du Sud, le nouveau président sait qu’il doit gagner les cœurs des populations du Nord. Largement élu, avec 64 % des suffrages, il a construit l’essentiel de sa victoire dans le Sud et a réalisé des résultats bien moins convaincants dans

C

le septentrion. Y compris dans le bassin cotonnier, où il a bâti une partie de son empire lorsqu’il était un homme d’affaires à plein temps, ne s’imposant face à Lionel Zinsou, son adversaire au second tour, que dans deux départements : l’Atacora, fief de feu le président Mathieu Kérékou, et la Donga, bastion de Bio-Tchané. Fort du soutien de Thomas Boni Yayi, Zinsou avait, de son côté, réalisé de très bons scores dans le Borgou, l’Alibori et les Collines, ce dernier département faisant la jonction entre le Nord et le Sud. Plus de deux ans après son élection, Patrice Talon n’a toujours pas réussi à s’imposer dans le Nord. Pis, le rejet de sa personne s’y exprime désormais violemment. Lors des législatives du 28 avril, alors qu’une majorité de Béninois avait décidé de ne pas se rendre aux urnes (le taux de participation fut de 22,99 %), le vote a été perturbé dans plusieurs villes et villages. À Parakou, le maire a été contraint de fuir son domicile. Dans une autre localité, un commissaire a été séquestré de longues heures. À Kandi, l’une des principales usines de coton du pays a été incendiée et des heurts entre des manifestants et l’armée ont fait plusieurs morts. Enfin, l’arrestation, le 9 juin, à Tchaourou, de trois personnes suspectées d’avoir pris part aux accrochages a déclenché cinq jours de nouvelles violences sur place et dans la ville voisine, Savé. Situées dans le centre du Bénin, ces deux cités sont traditionnellement considérées comme

SES RELAIS SUR LE TERRAIN Lors de la campagne pour la présidentielle de 2016, Patrice Talon s’était appuyé dans le Nord sur des personnalités comme Sacca Lafia, l’actuel ministre de l’Intérieur, Akibou Yaya, le maire de Sinendé, Charles Toko, celui de Parakou, le député Jacques Yempabou ou encore l’actuel ministre des Infrastructures et des Transports, Alassane

30

Seidou. « Malgré cela, et même si le ralliement d’Abdoulaye Bio-Tchané et du général Robert Gbian au second tour a eu un impact, il a été déçu par les résultats obtenus dans ces régions », raconte un intime du pouvoir. Après son élection, le chef de l’État a donc décidé de réaménager son dispositif en faisant émerger de

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

nouvelles têtes. On remarque notamment les députés Issa Salifou, Rachidi Gbadamassi, Affo Obo Amed Tidjani et Adam Bagoudou (l’ancien intendant de la présidence sous Boni Yayi). À signaler également Samou Seidou Adambi, nommé ministre de l’Eau et des Mines, ainsi que le patron de presse Malick

Gomina. Le président s’est par ailleurs rapproché du controversé Barthélémy Kassa. Un temps soupçonné de détournement de fonds, cet ancien ministre de Thomas Boni Yayi avait été contraint de démissionner en 2015. Très influent dans l’Atacora, il a finalement bénéficié d’un non-lieu en mai 2017. V.D.


BLONDET ELIOT-POOL/SIPA

Au palais de l’Élysée, à Paris le 5 mars 2018.

faisant partie du Nord. Tchaourou est la ville natale de Thomas Boni Yayi. Depuis le début de mai, l’ancien président est retranché dans son domicile de Cotonou, encerclé par la police. Malgré la détérioration de son état de santé, les autorités souhaitent coûte que coûte qu’il s’explique devant la justice sur son rôle présumé lors des violences postélectorales. Le dispositif sécuritaire autour la maison de Yayi devrait toutefois bientôt être allégé. Au-delà des critiques émises sur le mode de gouvernance de Patrice Talon, Boni Yayi semble être le principal responsable des difficultés du chef de l’État dans le Nord. Lors de la présidentielle, il avait tout fait pour empêcher la victoire de son ennemi juré. Dans les dernières semaines de la campagne, constatant que les sondages n’étaient pas favorables à son candidat, Lionel Zinsou, il avait établi son camp de base à Parakou, se rendant tous les jours dans des localités des quatre départements du Nord. Aux populations du septentrion il adressait un discours tantôt victimaire, tantôt prophétique. « Talon a voulu me tuer. S’il vient, il s’en prendra à moi », répétait-il. Depuis, l’activisme de Boni Yayi n’a jamais cessé. Au sein du pouvoir, certains

TRÈS CRITIQUÉ À LA FIN DE SON DEUXIÈME MANDAT, « PAPA BONHEUR » SEMBLE AVOIR CAPITALISÉ SUR LES DÉBOIRES DE SON SUCCESSEUR À LA PRÉSIDENCE.

l’accusent même de jouer sur la fibre régionaliste. « Le jour des législatives, sa stratégie était de provoquer des exactions en ciblant les ressortissants du Sud installés dans le Nord, de diffuser les images sur les réseaux sociaux pour provoquer la panique », affirme un proche de Talon. Des accusations démenties par l’entourage de Yayi. Dans l’esprit du chef de l’État, la réforme du système politique et le regroupement des partis en grands blocs nationaux devaient prévenir l’émergence de leaders régionaux et, par ricochet, mettre fin à la toute-puissance de Boni Yayi dans le Nord. Nagot par son père, Peul et Bariba du côté de sa mère, l’ex-président en demeure la personnalité la plus emblématique et n’a aucune envie que cela change. Très critiqué à la fin de son deuxième mandat, « papa bonheur » semble même avoir capitalisé sur les déboires de son successeur et regagné en popularité.

Ethno-régionalisme

Le différend entre les deux hommes risquet-il de raviver la rivalité entre le Nord et le Sud? La situation pourrait-elle dégénérer si l’ancien chef de l’État venait à être arrêté? « L’appartenance régionale est une réalité au Bénin comme partout, nuance Gilles Yabi, fondateur du think tank Wathi. Mais la crise actuelle va bien au-delà du simple fait ethno-régionaliste. Elle est politique et traverse l’ensemble du pays. » « Depuis Kérékou, il n’y a plus de vrai clivage NordSud, ajoute un observateur de la vie politique béninoise. Après l’indépendance, les grands leaders s’étaient construits autour du régionalisme et il était difficile pour quelqu’un du Nord de venir faire campagne dans le Sud, et vice versa. Dans les années 1960 et 1970, certains politiciens avaient même fait miroiter l’idée d’une sécession du Nord, qui à l’époque était considérablement moins développé que le Sud. Kérékou a mis fin à tout cela en instaurant une sorte d’équilibre dans le partage des postes. » Depuis, même s’il n’y a jamais eu de règle formelle sur la question, cet équilibre a été respecté. Jusqu’à ce que Patrice Talon y mette fin. Et l’élection du nouveau président de l’Assemblée nationale ne va pas rétablir l’ordre ancien: c’est Louis Vlavonou, un sudiste originaire de la région de PortoNovo, qui a été désigné.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

31


Afrique subsaharienne

GABON

Julien Nkoghe Bekale

« Les choses se passent normalement avec le président » Nommé en janvier, le Premier ministre défend les réformes menées depuis la convalescence d’Ali Bongo Ondimba : réduction des dépenses, diversification de l’économie, lutte contre l’inflation… Propos recueillis par GEORGES DOUGUELI, envoyé spécial à Libreville

ulien Nkoghe Bekale est aussi pragmatique que diplomate. Alors qu’il reçoit, le 18 juin, plusieurs des ministres remerciés quelques jours plus tôt lors du dernier remaniement, il s’efforce de détendre l’atmosphère et prend soin d’avoir un mot aimable pour chacun. L’important, ce magistrat de 57 ans en a bien conscience, c’est de préserver la cohésion de la famille politique. Baron du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) à Ntoum, dans l’Estuaire, cet ex-ministre du Pétrole est, depuis le 12 janvier, le Premier ministre d’un pays dont le président se relève d’un AVC. Les temps sont compliqués, et Julien Nkoghe Bekale se sait épié. Il choisit soigneusement ses mots tandis qu’il explique l’action de son gouvernement.

J

Jeune Afrique : Quand vous avez été nommé, le président était en indisponibilité temporaire. Comment fonctionne l’exécutif avec un chef convalescent ? Julien Nkoghe Bekale : L’état de santé

du président de la République s’est nettement amélioré, et il a repris ses activités. Ses homologues africains qui sont venus lui rendre visite ces dernières semaines, ainsi que les très nombreux Gabonais qui ont été reçus au palais, peuvent en témoigner. Le fonctionnement de l’exécutif est donc tout à fait conforme à ce que les textes et la pratique indiquent. Le chef de l’État préside, et le Premier ministre que je suis applique ses orientations avec l’ensemble du gouvernement et de l’administration. En un mot, les choses se passent le plus normalement possible.

32

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

Mais comment procédez-vous lorsqu’un dossier nécessite un arbitrage présidentiel, d’autant que, pour l’instant, le chef de l’État travaille en se ménageant…

Je procède comme le Premier ministre doit procéder en pareil cas. Je demande à rencontrer le chef de l’État et je soumets à son appréciation le dossier en question. Les arbitrages sont aussi rendus lors des Conseils des ministres, puisque le président Ali Bongo Ondimba a repris ses activités.

Vous avez opéré, le 10 juin, un remaniement qui a réduit la taille du gouvernement. Celui-ci compte désormais 28 ministres, contre 38 auparavant. Pourquoi ?

Le chef de l’État voulait un gouvernement restreint, exemplaire, composé d’hommes et de femmes engagés et déterminés à accélérer les réformes. Ali Bongo Ondimba veut une équipe capable de répondre aux préoccupations des Gabonaises et des Gabonais en matière d’infrastructures routières, d’accessibilité à l’eau et à l’électricité, capable aussi d’améliorer le taux d’employabilité des jeunes par une meilleure offre d’éducation et de formation professionnelle. LesministèresdelaJusticeetdel’Intérieur ont fusionné. N’est-ce pas une violation du principe de la séparation des pouvoirs ?

Non, puisqu’ils font tous deux partie de l’exécutif. Ce principe de séparation s’applique aux trois pouvoirs que sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Et le

Le 18 juin, à Libreville.


Une affaire dite du kévazingo a récemment défrayé la chronique au Gabon. Comment un tel dysfonctionnement a-t-il été possible ?

Tout exploitant forestier doit aménager de manière durable ses concessions. Or certains opérateurs enfreignent les lois et règlements en vigueur, parfois même avec la complicité d’agents de l’État. S’agissant du kévazingo, le gouvernement le considère comme un trésor national dont l’exploitation et l’exportation doivent être soumises à des conditions strictes. Toutes les responsabilités ont-elles été établies ?

FRANÇOIS ZIMA POUR JA

Le chef de l’État a montré sa volonté de sanctionner tous les contrevenants, quels qu’ils soient.

Gabon n’est pas le premier pays à créer un tel ministère. Juges, parquetiers et policiers n’ayant qu’un seul chef, faut-il s’inquiéter d’éventuelles atteintes aux libertés publiques ?

Je peux entendre certaines des inquiétudes exprimées ici et là. Mais ce qu’il faut, c’est que nous renforcions les politiques publiques en matière de protection des libertés et de sécurité des biens et des personnes. La fusion des deux ministères répond à cet objectif. Votre équipe a déjà été modifiée à deux reprises. Est-ce qu’il faut s’attendre à d’autres changements ?

Il ne faut pas y voir une forme d’instabilité, mais plutôt une dynamique dictée par l’exigence de résultat. Les contingences sociales, économiques et politiques nous amènent à nous adapter sans cesse. Comment juger de la performance des gouvernements que vous constituez ?

Leurs membres seront évalués. Ils seront soumis à une triple exigence en matière d’éthique, de reddition des comptes et de don de soi.

DANS L’AFFAIRE DU KÉVAZINGO, TOUS LES CONTREVENANTS SERONT SANCTIONNÉS, QUELS QU’ILS SOIENT.

Dans son discours du 8 juin, Ali Bongo Ondimba a, une nouvelle fois, dénoncé la corruption. Comment mieux lutter contre ce fléau ?

La corruption est un mal qui nuit gravement au développement de nos pays. C’est pour cela que le président a décidé de créer un ministère consacré à la promotion de la bonne gouvernance et à la lutte contre ce fléau. Ce portefeuille a été confié à un homme de loi, un avocat reconnu pour son intégrité. Le gouvernement sanctionnera sans états d’âme ceux qui s’écarteront des principes de bonne gouvernance. La pression du FMI pour obtenir plus de réformes semble ne pas se relâcher…

Nos relations avec le FMI sont excellentes. Nous poursuivons notre programme de relance économique, et l’institution estime que nous sommes très courageux dans la mesure où nous appliquons les réformes souhaitées. Sa dernière mission à Libreville a été concluante, et nous préparons maintenant la troisième revue. Parmi les recommandations émises, il y avait la fusion de la Société gabonaise de raffinage [Sogara] avec la Société nationale des hydrocarbures [GOC]. C’est chose faite. De même, nous avons réduit les effectifs du gouvernement, et cela aussi va dans le sens souhaité par nos partenaires puisque, ce faisant, nous poursuivons nos efforts de réduction des dépenses publiques et d’accroissement de nos recettes fiscales.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

33


Afrique subsaharienne GABON

Alors que le pays traverse une passe délicate sur le plan économique, des dossiers urgents sont en attente. Quelles sont vos priorités?

Je les ai déclinées lors de ma déclaration de politique générale, le 26 février. Il s’agit principalement de la maîtrise de nos dépenses, qui sont devenues abyssales, notamment en ce qui concerne la masse salariale, les effectifs de la fonction publique et les missions à l’étranger. Il y a aussi la diversification de l’économie, ainsi que l’assainissement des finances publiques. Après les fastes de l’État providence, voici venu le temps de la rationalisation et de l’autoajustement. Le Gabon a bouclé l’année 2018 avec un taux de croissance inférieur à ce qui avait été anticipé. Pour 2019, les prévisions sont de 3 %. Cette promesse sera-t-elle tenue?

La prévision était de 3,6 % et elle a été révisée à 2,9 %. L’une des grandes incertitudes demeure le comportement du secteur pétrolier, mais mon gouvernement met tout en œuvre pour atteindre cet objectif. C’est une question de crédibilité pour notre économie, pour les opérateurs et pour nos partenaires. Nous restons convaincus qu’avec la relance, avec les réformes structurelles en cours, le taux de croissance nécessaire sera là dans quelque temps. On a observé une augmentation des prix de plusde4,5 %audeuxièmetrimestrede2018… Qu’envisagez-vouspouraider les ménages?

Au deuxième trimestre de 2018, il y a effectivement eu une remontée de l’inflation. Malgré tout, sur l’année, la tendance haussière a été maîtrisée. Nous allons poursuivre nos efforts, car un retour de l’inflation au-dessous du seuil communautaire de 3 % reste notre but. Et puis le mécanisme de défiscalisation de certains produits alimentaires, instauré en 2012, reste en vigueur. Le ministère de l’Économie vient de le renouveler pour six mois, et il concerne cinquante-huit produits, dont la volaille, le riz et le lait. Grâce à cela, les prix de ces produits resteront bloqués malgré leur envolée sur les marchés internationaux. Pour réduire le train de vie de l’État, vous avez annoncé le gel des recrutements dans la fonction publique. Est-ce que, dans le même temps, vous prévoyez un dispositif

34

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

pour aider les entreprises à recruter plus de jeunes?

Le gel des recrutements dans la fonction publique était non seulement temporaire mais également partiel. Le gouvernement a commencé, dans le même temps, à régulariser les situations administratives, et donc à recruter des milliers de jeunes dont les dossiers étaient en instance dans l’éducation, la santé ou les forces de sécurité. Plus globalement, nous nous sommes attelés à lancer une importante réforme de l’éducation et de la formation qui doit nous conduire à un véritable changement de paradigme. Nous allons passer d’un système produisant des diplômés – beau-

APRÈS LES FASTES DE L’ÉTAT PROVIDENCE, VOICI VENU LE TEMPS DE LA RATIONALISATION ET DE L’AUTOAJUSTEMENT. coup de diplômés – aptes surtout à émarger à la fonction publique, à un système qui mettra sur le marché du travail des jeunes dont la formation sera en adéquation avec la demande. Nous allons donc prioriser les cursus professionnalisants susceptibles d’améliorer l’employabilité de nos jeunes. Vous avez créé un ministère de la Promotion des investissements. Que dites-vous à ceux qui souhaitent savoir si le risque Gabon est toujours un bon risque ?

Bien sûr que le Gabon reste une bonne destination pour investir ! Plusieurs réformes ont déjà été conduites pour améliorer et promouvoir les investissements dans le pays. Un dispositif juridique les protégeant a été mis sur pied, et les procédures de création d’entreprise sont désormais plus claires et plus rapides. Aujourd’hui, avec le guichet de l’investissement, une société est créée en quarante-huit heures. Un code des investissements, plus fluide, est également en cours d’élaboration avec le concours de la Banque mondiale. Il prévoit une législation encore plus incitative en matière fiscale et douanière, avec notamment des exonérations accordées aux investissements directs étrangers, en fonction de leur montant, de la filière concernée, mais également des engagements sociaux et de l’employabilité des Gabonais.


En exclusivité sur TV5MONDE Af rique !

, LA NOUVELLE SÉRIE À DÉCOUVRIR DÈS LE MERCREDI 26 JUIN À 18H* © Côte Ouest Audiovisuel

*heure de Dakar. Plus d’infos : tv5monde.com

Bienvenue en Francophonie


Afrique subsaharienne

RD CONGO RENCONTRE AVEC…

Gérard Mulumba Enfin parmi les siens

Longtemps, le prélat a été déchiré entre sa famille biologique, celle des Tshisekedi, et l’Église, à laquelle il a consacré sa vie. Fin mai, son neveu de président l’a nommé à la tête de la Maison civile. Propos recueillis à Kinshasa par PIERRE BOISSELET

P

endant vingt-huit années, Mgr Gérard Mulumba a été l’évêque de Mweka, dans la province reculée du Kasaï. Kinshasa et ses intrigues politiciennes, très peu pour lui. Il s’en est tenu aussi éloigné que possible. Pas facile lorsque l’on est à la fois frère du principal opposant du pays, Étienne Tshisekedi, et membre de la très influente Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco). Mais on n’échappe pas à son destin. Après la mort d’Étienne, le 1er février 2017 à Bruxelles, c’est à lui, l’aîné des frères du défunt, que sa famille a confié le soin d’organiser les obsèques. Mulumba a donc quitté son cher Kasaï, où il venait d’être relevé de ses fonctions en raison de son âge vénérable (79 ans, à l’époque), pour s’installer dans la capitale congolaise. Une période « pénible » de sa vie s’est alors ouverte, faite d’interminables – et infructueuses – négociations avec le conseiller spécial de Joseph Kabila en matière de sécurité, Jean Mbuyu. « Je n’ai pas réussi [à obtenir le rapatriement du corps], reconnaît-il d’une voix lente et grave. Le gouvernement n’avait pas du tout envie de l’enterrer. Il avait sans doute peur de la foule, qui risquait de se révolter. » Une inhumation au Kasaï, région

36

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

d’origine de la famille, est un temps envisagée. Mais Marthe Tshisekedi, la veuve, est contre, de même que les militants du parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), cette fameuse « base » qui n’a cessé de se mobiliser pour faire prévaloir son point de vue. Depuis, les choses ont bien changé. Félix, le fils d’Étienne, est devenu président de la République en janvier dernier. Gérard Mulumba, lui, a été nommé chef de la Maison civile du chef de l’État, le 21 mai. À ce titre, il doit gérer les affaires privées de son neveu et ses relations avec le reste de sa famille, très étendue (Étienne avait huit frères et sœurs). Le prélat revendique aussi un rôle de « conseiller spirituel », bien que

À LA MORT D’ÉTIENNE, C’EST LUI QUI A ÉTÉ CHARGÉ DE NÉGOCIER LE RAPATRIEMENT DU CORPS AVEC LE POUVOIR DE JOSEPH KABILA. SANS SUCCÈS.

le président fréquente l’église évangélique du centre missionnaire Philadelphie de Kinshasa. Surtout, le clan a pu enterrer solennellement son patriarche au terme de trois jours d’obsèques nationales, célébrées du 30 mai au 1er juin. C’est donc le cœur plus léger que Gérard Mulumba nous accueille dans sa nouvelle villa à étage, située dans la commune de la Gombe, dans le centre de Kinshasa. Dans la pénombre du salon avec vue sur jardin, il revient sur son parcours et sur la relation tumultueuse qu’ont toujours entretenue ses deux familles : celle de Dieu et celle des Tshisekedi.

Soupçons et calomnies

Cette histoire a commencé avant même sa naissance, en 1937. Ses parents enseignaient tous deux le catéchisme dans le Kasaï, au centre d’un Congo encore belge. Une situation assez enviable, qui a donné à leurs enfants, ballottés au gré de leurs affectations, la passion des études. En 1961, au lendemain de l’indépendance, Étienne Tshisekedi devient le premier Congolais docteur en droit, à l’université Lovanium de Kinshasa. Gérard, lui, en sort diplômé de théologie. Le jeune homme, qui se sent « appelé à servir Dieu », est ordonné prêtre en 1967 et part pour la Belgique,


du maréchal-président Mobutu Sese Seko, prend la tête d’un mouvement de contestation inédit : dans ce régime de parti unique, il ose créer, en 1982, l’UDPS. « Cela a entraîné beaucoup de difficultés pour toute la famille », se souvient Mulumba. Marthe Tshisekedi doit s’exiler en Belgique avec leurs enfants, parmi lesquels le jeune Félix. Étienne, lui, reste au pays contre vents et marées dans ces années 1980. Il participe aux manifestations et est détenu un nombre incalculable de fois. Dans sa lointaine paroisse kasaïenne, Gérard Mulumba mesure l’âpreté de la lutte à la multiplication des agents des services de renseignements qui le filent : « Du fait de l’identité de mon frère, il y a toujours eu des soupçons et des calomnies à mon égard. J’ai été plusieurs fois interpellé ! » Cela n’entrave pas son ascension : il est nommé évêque de Mweka en 1989. À cette époque, l’UDPS et l’Église sont en symbiose, toutes deux farouchement opposées au système Mobutu. Mulumba soutient fermement le bas clergé, qui organise, en 1992, une marche de protestation des chrétiens réprimée dans le sang.

Le religieux a pris sa retraite apostolique en 2017.

COLIN DELFOSSE POUR JEUNE AFRIQUE

Relations tendues

où il étudie la sociologie du développement à l’université de Louvain-la-Neuve. Le plat pays lui plaît peu. « Je suis rentré au Congo dès que j’ai pu, sourit-il. Je ne serais pas resté une semaine de plus dans ce pays si froid. »

C’est pourtant là qu’une grande partie de la famille va bientôt s’installer. En 1978, l’armée massacre des dizaines de mineurs de diamants à Katekelayi, au Kasaï. Étienne Tshisekedi, qui était jusque-là un cadre loyal et influent du pouvoir

Mais ses deux familles vont bientôt s’éloigner. Nous sommes toujours au début des années 1990. L’archevêque de Kisangani, Mgr Laurent Monsengwo, est choisi pour présider la Conférence nationale souveraine, organe de la société civile chargé de démocratiser le pays. Cette assemblée désigne Tshisekedi Premier ministre, qui doit donc cohabiter avec Mobutu. Mais personne ne veut céder un pouce de pouvoir au sein de cet exécutif à deux têtes, et le bras de fer laisse rapidement place au blocage. Monsengwo soutient alors u ne « troisième voie », incarnée par un nouveau Premier ministre: Léon Kengo wa Dondo. « Tshisekedi jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

37


Afrique subsaharienne RD CONGO

a considéré que Monsengwo était un traître à la cause qu’il défendait », se remémore Gérard Mulumba. Étienne charge alors son frère de transmettre un message à Monsengwo: « Dis-lui qu’il s’occupe moins de politique et plus d’évangélisation. » Il faudra attendre l’élection de 2011 pour que les relations entre les deux hommes se détendent – un peu. Tshisekedi se présente contre Joseph

Kabila, alors président sortant. Tandis que ce dernier est déclaré vainqueur, l’archevêque de Kinshasa déclare, dans une formule restée célèbre, que ce résultat n’est conforme « ni à la vérité ni à la justice ». « Le cardinal a montré qu’il savait se mettre à la hauteur de la vérité », se félicite Mulumba. Le répit dure quelques années. Mais en décembre dernier, les

relations entre l’Église et la famille Tshisekedi se tendent à nouveau. La Cenco, qui a mis sur pied une mission d’observation de 40 000 personnes, affirme que le vainqueur du scrutin n’est pas Félix Tshisekedi, comme l’a proclamé la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), mais son rival au sein de l’opposition, Martin Fayulu. Le nouvel archevêque de Kinshasa, Mgr Fridolin Ambongo, le répète à plusieurs reprises. Cette fois, Gérard Mulumba se range du côté de sa famille biologique. « Lorsque l’on est observateur, on ne dispose pas de la totalité des résultats, lâche-t-il. On ne devrait pas aller jusqu’à avancer des tendances, des chiffres ou des noms. On a dépassé les limites. »

Étienne Tshisekedi, à Kinshasa, le 26 novembre 2011.

GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR JA

Vigilance et clémence

QU’EN AURAIT PENSÉ LE PATRIARCHE ? Étienne Tshisekedi aurait-il accepté de partager le pouvoir avec Joseph Kabila, comme le fait aujourd’hui son fils Félix ? Les détracteurs du nouveau président ont tendance à en douter, rappelant que la radicalité était la marque de fabrique paternelle. Et Gérard Mulumba ? « Mon frère n’acceptait pas les solutions qui lui semblaient compromettantes, convient-il.

38

Donc on peut dire que la situation actuelle n’est devenue possible qu’après sa mort. » Mais il tient aussi à rappeler qu’Étienne Tshisekedi s’était quelque peu adouci au crépuscule de sa vie. Il avait en tout cas fait des concessions pour l’accord de la Saint-Sylvestre, signé le 31 décembre 2016 sous l’égide de l’Église catholique – à l’époque, Mgr Mulumba était encore membre

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco). « On lui avait fait comprendre que s’il n’acceptait pas on risquait de ne pas trouver de solution à ce problème. » Dans le cadre de cet accord, Tshisekedi avait accepté le maintien de Joseph Kabila à la présidence malgré l’expiration de son mandat, le temps d’une transition. P.B.

Après l’investiture de Félix Tshisekedi, il est allé trouver Fridolin Ambongo pour lui demander que l’Église catholique congolaise se reprenne en célébrant « officiellement une « action de grâce » pour les élections telles qu’elles se sont passées ». « Il m’a répondu qu’il ne pouvait le faire à ce moment-là car il y avait une certaine division entre les évêques du Kasaï et les autres », regrette-t-il. Un fin de non-recevoir qui n’a pas empêché Ambongo d’être invité à prononcer une « absoute », le 1er juin, à l’occasion des obsèques d’Étienne Tshisekedi au stade des Martyrs, à Kinshasa. S’adressant au fils du défunt, Félix, dans la tribune présidentielle, il a eu cette phrase : « Il vous revient désormais, monsieur. le président de la République, avec vos collaborateurs, de parachever l’idéal sociopolitique de votre illustre père, pour conduire le peuple congolais, dans sa diversité, vers la Terre promise. » L’Église sera vigilante. Mgr Mulumba fera tout pour qu’elle soit aussi clémente.


Bien s’informer, mieux décider INTERVIEW

NABIL KAROUI : « LA TUNISIE, C’EST LE TITANIC »

BURKINA EXCLUUSIF Zida : « Soro, Blaise, B Kaboré et moi »

RETROUVEZ

PALMARÈS

LES 50 AVOCATS D’AFFAIRES LES PLUS INFLUENTS

+ D’INFORMATIONS EXCLUSIVES, + D’ANALYSES, + DE DÉBATS POUR MIEUX COMPRENDRE L’ACTUALITÉ

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 3049 DU 16 AU 22 JUIN 2019

POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE L’AFRIQUE.

UNION AFRICAINE Les confidences de Moussa Faki

OFFRE DIGITALE

1 AN

ACCÈS ILLIMITÉ

aux articles sur le site et l’application jeuneafrique.com

.

.

.

Ce qui doit g changger

1 AN

OFFRE PAPIER

. . .

79,99 €

soit 63,53 € d’économie par rapport au prix de vente unitaire en kiosque numérique

.

. . . .

.

. .

.

+ ACCÈS PREMIUM

à la version numérique de l’hebdo et des hors-séries

.

. .

.

.

. .

France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 € Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 5 € Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 7 FS Tunisie 4 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2000 F CFA ISSN 1950-1285

FOOTBALLL Spécial CAN 2019

14 pages

Abonnez-vous

dès aujourd’hui!

47 NUMÉROS dont 3 numéros doubles et 1 numéro triple

+ 2 HORS-SÉRIES

139€

soit 62,30 € d’économie par rapport au prix de vente unitaire en kiosque

Pour les abonnements entreprises, merci de nous contacter au + 33 (0)1 44 30 19 03

BULLETIN D’ABONNEMENT

à renvoyer avec votre règlement à : Service Abonnements Jeune Afrique 56, rue du Rocher - 75008 Paris - France

Mes coordonnées : Mlle Mme M. Nom* : ............................................................................................................. Prénom* :

..............................................................................................................

Société : ................................................................................................................................................................................................................................................ Adresse* :

............................................................................................................................................................................................................................................

....................................................................................................................................................................................................................................................................

■ 1 an

Accès illimité aux articles sur le site et l’application jeuneafrique.com + accès premium à la version numérique de l’hebdo et des hors-séries

au tarif de 79,99 €

Je m’abonne à l’offre PAPIER ■

1 an 47 numéros + 2 hors-séries

au tarif de 139 € ■ 179 € Europe/Maghreb/Zone CFA ■ 219 € Reste du monde

Code Postal* :

Ville* : ...........................................................................................................................................................

Pays* : ............................................................................................................. Téléphone mobile* : ......................................................................................... E-mail* : ......................................................................................................... @................................................................................................................................. * Champs obligatoires.

Mon règlement : Je règle par : Chèque (joint à l’ordre de SIFIJA)

Date et signature obligatoires

Carte Bancaire

N° CB : Expire fin :

CVV :

3 derniers chiffres inscrits au dos de ma carte bancaire

Virement bancaire : CIC Paris EST Taitbout GCE - 11 bis, Bd Haussmann - 75009 Paris - I BAN FR76 3006 6106 6000 0100 4680 237 Je souhaite recevoir par e-mail des offres de la part de Jeune Afrique Media Group : OUI NON Je souhaite recevoir par e-mail des offres de partenaires de Jeune Afrique Media Group : OUI NON Offre valable jusqu’au 30/06/2019 en France métropolitaine. Les articles peuvent être achetés séparément. Prix de vente au numéro : 3,80 € - Numéro double : 6 € - Hors-série Finance et hors-série 500 entreprises : 6 € - Hors-série État de l’Afrique : 7,90 €. Jeune Afrique est une publication de SIFIJA, S.C.A au capital de 15000000 € au 57 bis, rue d’Auteuil, 75016 Paris, France - SIRET 784 683 484 00025. Conformément à la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès et de rectification aux données vous concernant en écrivant à serviceclient.ja@jeuneafrique.com

www.jeuneafrique.com/abonnements/

+33(0)1 44 70 14 74

abonnement-ja@jeuneafrique.com

Service Abonnements Jeune Afrique

56, rue du Rocher - 75008 Paris - France

CODE : JA3050

Je m’abonne à l’offre DIGITALE


MAGHREB & MOYEN-ORIENT

ALGÉRIE

Kamel Daoud

« Il faut juger Bouteflika » 40

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

45 Tribune La preuve par trois


46 Libye De guerre lasse

49 Tunisie Le banquier tire sa révérence

50 Liban « Madame Sécurité »

52 Maroc Gazelle d’or: à qui appartient le paradis?

Dans sa ville d’Oran.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

FERHAT BOUDA/AGENCE VU

Quatre mois après le début de la révolution, l’écrivain et journaliste fustige la génération des pères fondateurs accrochée au pouvoir, appelle à traduire en justice son chef déchu et esquisse les contours d’une transition démocratique. Interview.

41


Maghreb & Moyen-Orient ALGÉRIE

Propos recueillis par FARID ALILAT

D

ans le salon d’un hôtel parisien, de retour ce début juin d’un séjour en Norvège, où il a fait la promotion de son dernier livre après avoir reçu, à Paris, lors d’une cérémonie très chic, le prix mondial Cino Del Duca 2019, le journaliste et écrivain algérien Kamel Daoud marque une pause pour évoquer l’actualité de son pays. À rebours de ses habitudes, l’un des plus brillants auteurs de sa génération ne voyage pas seul. Il est avec sa femme et deux de ses enfants. L’aîné est resté en Algérie, faute de visa. Quand nous l’avions rencontré en juillet 2017 dans sa coquette villa d’Oran pour une longue interview, Kamel Daoud songeait sérieusement à quitter le pays avec sa famille. Amer et désabusé, il disait que la situation en Algérie, où Bouteflika et son clan régnaient en maîtres, était tellement désespérée qu’il envisageait l’exil. Cette envie de partir est-elle toujours dans un coin de sa tête? La révolution de février 2019, qui a chassé le président et son clan, a tout changé. Le départ, Daoud n’y pense plus. Certes, dit-il, l’impasse politique est réelle après quatre mois de révolution. Mais les Algériens peuvent désormais espérer fonder une nouvelle république. Jeune Afrique : Plus de deux mois après le départ de Bouteflika, le pays se trouve-t-il dans une impasse politique? Kamel Daoud: En Algérie comme à l’étranger, on me pose

souvent cette question : « Qu’adviendra-t-il de ce pays ? » Pour la première fois, nous avons droit à l’inconnu. Ces cinquante dernières années, nous savions qui serait président, avec quel taux de participation et quel pourcentage de suffrages. Pour une fois, rien n’est écrit à l’avance. Et l’inconnu fait peur, il terrorise, il angoisse. Sommesnous cette génération intermédiaire capable d’enterrer les pères ? On reproche au régime d’être conservateur, mais nous le sommes nous aussi quelque part – et cela même chez les élites progressistes –, dans nos vies familiales, nos croyances, nos traditions. Nous tenions au passé parce que nous n’avions pas d’avenir. Parce que ce passé est riche, nous croyons qu’il est notre seule fortune. Nous avons le culte de l’unanimité du groupe, du collégial et du passé. Il est difficile d’avancer avec ça. L’avenir fait peur. « Enterrer les pères »?

Des pères comme Abdelaziz Bouteflika, qui refusent de mourir au sens politique du terme. Quand on refuse la mort, on refuse de transmettre la terre à ceux qui viennent après. Ce

42

L’INDIGNITÉ A ÉTÉ POUSSÉE JUSQU’À L’OUTRAGE. NOUS AVONS ÉTÉ TOUCHÉS DANS L’IMAGE QUE NOUS AVONS DE NOUSMÊMES.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

mouvement exprime une revendication politique de justice, celle d’un nouvel ordre, d’une rupture profonde. Mais au-delà du politique, je crois aussi que la crise est philosophique. L’Algérie est l’un des musées de la décolonisation. Elle est restée figée dans la posture d’un pays à la pointe de l’histoire épique d’une décolonisation, avec une génération de pères « fondateurs » qui refuse la transmission, la transition, la filiation. Ce qui frappe dans cette révolution, c’est la révolte des fils, de la jeune génération. L’aspect démographique est extraordinaire dans ce soulèvement! Les enfants qui se sont soulevés sont ceux à qui l’on refuse le droit de naissance politique et le droit de propriété. En quoi c’est une révolution? Elle n’a pas été concoctée, ni préparée ou anticipée. Personne ne l’attendait. N’est-ce pas aussi une révolution née de l’humiliation et de l’indignation?

Certes, les Algériens se sont soulevés parce qu’ils ont refusé d’être représentés par un « cadre ». Ce n’est pas la cause, mais l’élément déclencheur. L’indignité a été poussée jusqu’à l’outrage, au-delà du scandale. Nous étions d’autant plus humiliés que nous sommes un peuple éduqué à avoir de l’orgueil. On marche avec le nif [littéralement, le « nez »], ce mélange de dignité et d’honneur. Nous avons été touchés dans l’image que nous avons de nous-mêmes. Donc, la révolte contre le « cadre »…

Avant la révolution, les gens n’aimaient pas être photographiés. Certains pouvaient être violents quand on les prenait en photo parce que la photo fige cette image de


ZOHRA BENSEMRA/REUTERS

Manifestation étudiante contre le cinquième mandat, le 19 mars, à Alger.

nous-mêmes que nous refusions. Là, pour une fois, nous sommes fiers d’être photographiés dans une posture honorable. Nous sommes photographiés comme les propriétaires de ce pays. Avant, nous étions photographiés dans notre humiliation, notre écrasement, notre défaite, notre soumission. J’ai interrogé l’un des plus proches collaborateurs du président déchu pour savoir si celui-ci allait se représenter pour un cinquième mandat. Sa réponse: « Mais bien sûr ! » Un autre m’a dit : « Vous savez, on peut même leur faire élire un cheval. » C’était d’un tel mépris! Cette révolution, c’est un peu comme une grossesse arrivée son terme?

Je me souviens d’un jour où il y avait deux marches à Alger. L’une des gardes communaux, l’autre des avocats. Quand les premiers ont terminé leur manifestation, ils ont croisé les seconds, qui s’apprêtaient à marcher. Les éléments pour une révolution étaient là, il nous manquait la synchronisation, quelque chose de commun entre les corporations, les classes, les régions, les catégories sociales, les générations. Le rejet de l’indignité que constituait le cinquième mandat a été le facteur commun. À vous entendre, il semble que cette candidature à un cinquième mandat ait été une bénédiction…

Le cinquième mandat a uni et réuni les Algériens. Avant, les gens protestaient, râlaient ou s’opposaient dans leur coin. Le « cadre » de Bouteflika a été un moment de convergence nationale. On mesure l’ampleur d’une révolution au premier slogan. Si cela va dans tous les sens, alors

le mouvement ira dans tous les sens, vers l’échec, même. Mais quand il a un ou deux slogans puissants et fédérateurs, il sera profond. « Yatna7aw Ga3 » (« Ils dégagent tous »), « FLN dégage » ou encore « Pas de 5e mandat » sont fédérateurs. Adhérez-vous au slogan « Yatna7aw Ga3 »?

Il est magnifique dans sa radicalité, mais impossible dans sa pratique. Je suis contre le « Yatna7aw Ga3 », « On veut un changement total et maintenant ». Ce n’est ni possible ni réalisable. Comme disait le journaliste Adlène Meddi : « Quand les régimes tombent, ils tombent sur nos têtes. » Je ne veux pas d’un effondrement de l’État, d’une dislocation de l’administration. Nous visons l’effondrement du régime, pas celui de l’État. La révolution est belle comme passion, après il faut faire de la politique. De quelle manière?

Il faut aider cette ancienne génération à partir et installer au pouvoir les nouvelles générations. Il faut réussir une transition. Si nous la faisons au moyen d’une rupture radicale et brusque, nous le paierons cher. Le régime risquerait même de se reconstruire en se présentant comme un recours face à l’alternative entre la sécurité et le chaos. En tant que cri, ce slogan est d’autant plus magnifique qu’il s’exprime en arabe algérien. Il a été scandé non pas par un militant, un intellectuel ou un vieux briscard de la politique mais par un citoyen lambda. C’est comme la chanson fétiche de cette révolution La Casa del Mouradia. C’est beau mais ça ne constitue pas un programme politique.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

43


Maghreb & Moyen-Orient ALGÉRIE

Depuis la révolution de 2011 en Tunisie, le pouvoir algérien a manié le chantage, jouant sur la peur du chaos pour se maintenir. Or cette révolution se déroule pour l’heure sans violence. Les millions d’Algériens qui descendent dans la rue sont-ils plus mûrs que leurs dirigeants?

L’échec des révolutions dans les pays arabes nous a servi de leçon. Le 8 mars, j’étais à Oran pour manifester. Au début, nous étions une cinquantaine. J’ai eu peur que le régime ne gagne une fois de plus. Et s’il avait gagné, ça n’aurait pas été seulement un cinquième mandat mais plus d’élections du tout. Et puis j’ai vu un jeune interpeller les gens pour les exhorter à ne pas tomber dans la violence, les affrontements. C’est parce que le régime nous a tellement fait peur qu’il a provoqué le contraire de ce qu’il voulait. La peur a enfanté la révolution. Comment expliquez-vous ces millions de gens dans la rue chaque vendredi sans qu’une seule balle soit tirée, sans casse ni dégradations?

L’excès de propagande a fini par pousser les gens à sortir et à résoudre cette équation : comment revendiquer ses droits sans créer le chaos ? C’était cette contradiction qui nous paralysait. Quand j’ai protesté en 2014 contre le quatrième mandat, des lecteurs me disaient qu’il ne fallait pas, qu’il valait mieux laisser Bouteflika terminer sa vie sur le fauteuil présidentiel, que ce serait le seul moyen d’en finir avec lui une bonne fois pour toutes. Dans la rue, on remarque aussi que les Algériens se sont réconciliés avec leur drapeau…

La révolution d’aujourd’hui fait donc écho à l’indépendance de 1962?

Il fallait refaire et revivre la libération de ce pays. Il fallait un nouveau départ, une nouvelle indépendance. Notre indépendance a été confisquée par les décolonisateurs, dont Bouteflika était l’un des derniers survivants. Eux ne voulaient pas que le temps passe, ils ne voulaient pas de démocratie ni de transition. Bouteflika a incarné cette tragédie avec son corps. C’est un homme qui n’a pas d’enfant. Avec lui, on était dans l’incarnation de l’impossibilité filiale.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

Journaliste au Quotidien d’Oran en 1999, j’accompagnais Bouteflika en tournée électorale. J’ai alors écrit que cet homme était revenu pour lui-même, pas pour les Algériens. Un des actionnaires du journal m’a dit : « Vous êtes jeune. Et pour une fois que nous avons un président civil qui vient de l’Ouest, il faut le respecter et l’aider. » J’ai répondu que je n’étais peut-être pas un grand journaliste, mais que j’avais l’instinct paysan. Cet homme n’est jamais venu pour nous, mais par rancune, par esprit de vengeance. Bouteflika n’avait de lien physique ni avec la terre d’Algérie, ni avec son peuple. D’ailleurs, il a dit une fois qu’il n’était pas chargé de faire le bonheur des Algériens malgré eux et qu’il pouvait bien rentrer chez lui. C’est la preuve que chez lui, ce n’est pas l’Algérie. Faut-il juger Bouteflika?

Oui. Au début de la révolution, j’estimais qu’il ne fallait pas ouvrir de procès pouvant conduire à la mise en place de tribunaux populaires. Dans l’espoir d’une transition non violente, il ne fallait pas en arriver là. Et puis le 3 juin, j’ai pleuré quand j’ai vu le blogueur Abdellah Benaoum sortir de prison après presque trois mois d’incarcération. Sans cette révolution, il y serait resté et aurait même pu y laisser la vie car cet homme avait été condamné à deux ans de réclusion pour outrage au président. Bouteflika a une responsabilité politique et humaine dans ce qui s’est passé en Algérie. Le pire des outrages qu’il nous ait faits? La destruction de la notion de justice. Des criminels se baladent tranquillement dans la rue quand un blogueur se retrouve en prison parce qu’il a osé critiquer le président. Pour construire un État, parce que l’idée n’est pas seulement de régler les comptes avec le régime, il faut instaurer une justice libre, équitable et impartiale, qui rétablisse ce lien brisé entre nos actes et les responsabilités qui en découlent. Le jugement de Bouteflika sera le début de la vraie rupture avec l’ancien système.

LES GENS SE SONT RÉAPPROPRIÉ LEUR CORPS, LA RUE, L’ESPACE PUBLIC, LEURS EMBLÈMES ET LEURS LANGUES.

Ils en avaient été dépossédés. Le drapeau n’appartenait pas au plus légitime mais au plus fort. Les gens se sont réapproprié leur corps, la rue, l’espace public, leurs emblèmes et leurs langues. Les Algériens s’étaient vu interdire d’occuper l’espace public. Ils en sont redevenus propriétaires. Nous avions été spoliés de notre histoire nationale, de notre mémoire, du sigle du FLN et du drapeau. Le régime s’est toujours comporté avec le schéma classique du colonisateur: « Je suis l’arbitre de vos violences, je suis là pour vous chausser, pour vous donner à manger, penser et décider à votre place… »

44

Vous avez écrit dans l’une de vos chroniques que Bouteflika détestait son peuple…

Comment s’assurer qu’un autre Bouteflika ne viendra pas régner pendant vingt ans?

Il faut d’abord sortir du régime hyperprésidentiel, rééquilibrer les pouvoirs, créer un conseil de la magistrature indépendant, une presse libre, libérer les espaces publics, élire de vrais représentants du peuple. Comme en Espagne à la mort de Franco, en 1975, il y a des possibilités d’une transition contrôlée. Il nous faut quelqu’un qui aura le courage de regarder l’avenir sans inaugurer un cycle de tribunaux populaires. Qu’a fait le roi Juan Carlos à la mort de Franco? Il a nommé un jeune politique, Adolfo Suárez, qui a réussi à assurer la transition entre une dictature implacable et la démocratie.


ALGÉRIE TRIBUNE

La preuve par trois I

l en va de l’histoire comme de la science. « Rien ne se perd, Troisième épisode, qui résonne étrangement avec l’actualité rien ne se crée, tout se transforme », établissait le chimiste récente, celui du plan Challe, qui permet à la France de reprendre Antoine Lavoisier. La preuve par trois avec la guerre d’Algérie. l’ascendant sur le terrain entre 1959 et 1961. L’armée coloniale L’un de ses épisodes les plus méconnus est l’opération « Oiseau est indéniablement mieux dotée sur le plan technique. Elle bleu » – ou « Force K », comme « Kabyle » – mise en œuvre inflige de lourdes pertes sur le terrain à l’ALN. Paradoxalement, par la France en 1956 à travers son renseignement extérieur, le désir d’indépendance fait son chemin, inarrêtable. L’image incarné alors par le Service de documentation extérieure et de de la France du général de Gaulle se dégrade jour après jour. contre-espionnage (SDECE). Il s’agissait d’infiltrer la rébellion FLN Lui reconnaît en privé: « Leur propagande est meilleure que la en Kabylie, conduite par Krim Belkacem et Saïd Mohammedi, nôtre. » En métropole, l’opinion publique française se fracture. avec de « faux indépendantistes » acquis à la cause de l’Algérie La guerre d’épuisement menée par les moudjahidine produit française. Ces derniers étaient approvisionnés en armes, munises effets. C’est parce qu’ils connaissent cette histoire que les tions, matériel et argent. À charge pour eux, en Algériens aiment leur armée. Et qu’ils tiennent retour, d’éliminer les combattants nationalistes. tant au 1er novembre 1954 et au 5 juillet 1962. Le Le SDECE espérait reproduire un procédé utilisé 22 février 2019 s’est ajouté à ce palmarès. en Indochine et qui reposait sur les rivalités entre groupes ethniques. uatre mois après la première marche, et La manœuvre se solde par un cuisant échec. malgré l’arrestation d’hommes d’affaires, Bien informé, Krim Belkacem prend immél’incarcération d’hommes politiques et les diatement en main la Force K. Il y impose ses menaces proférées par certains médias, les hommes, ses ordres et son agenda. Mieux : manifestants se mobilisent toujours pour exiger le FLN récupère les armes et les fonds mis à la un changement de régime. « On résiste à l’invaNeïla Latrous disposition des éléments supposément retoursion des chars, on ne résiste pas à l’invasion des rédactrice en nés. Au Gouvernement général, plus tard, le idées », professait Victor Hugo. Le plan Challe chef Maghreb & moudjahid écrira : « Vous avez cru introduire, l’avait oublié. Pas les révolutionnaires algériens. Moyen-Orient avec la Force K, un cheval de Troie au sein de la Depuis le 22 février, certains tentent à leur résistance algérienne. Vous vous êtes trompés. tour de souffler sur les braises des rivalités Ceux que vous avez pris pour des traîtres […] ethniques. Comme un lointain écho à l’Oiseau étaient de purs patriotes qui n’ont jamais cessé bleu… La rue a, chaque fois, répondu sans de lutter pour l’indépendance de leur pays. » ambiguïté : l’arabité n’a pas le monopole du patriotisme. Une première fois le 31 mai, lorsque les manifestants ont es représailles ne se feront pas attendre. À partir de 1957, rendu hommage à Kamel Eddine Fekhar, militant des droits l’armée française engage une gigantesque opération d’inde l’homme mozabite (berbère), décédé en détention. Une filtration et d’intoxication. À travers la « Bleuite », la guerre se deuxième fois en faisant flotter côte à côte drapeau algérien déplace sur le terrain psychologique. Le SDECE dresse de fausses et fanion amazigh après un discours – sans doute surinterprété listes de collaborateurs et les fait parvenir, via différents canaux, – du chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, qui rappelait que jusqu’aux chefs de l’Armée de libération nationale (ALN). Le « l’Algérie a un seul drapeau ». poison du complot et de l’espionnite se propage côté algérien. Le pays doit maintenant contourner l’écueil du complotisme Une purge à grande échelle s’engage, qui se solde par l’élimiet surmonter sa peur panique de l’infiltration. Par le passé, la nation de jeunes intellectuels. Le capitaine français Paul-Alain Bleuite a conduit des Algériens à se saborder en s’amputant de Léger s’en félicitera plus tard. « Si l’ennemi a des dispositions forces vives. Société civile et classe politique doivent pouvoir particulières pour se détruire lui-même, bien coupable serait s’entendre de bonne foi sur une sortie de crise en se focalisant celui qui n’en profiterait pas », écrit-il en 1989 dans Aux carresur ce qui les rassemble plutôt que sur ce qui les sépare. Gare fours de la guerre (éd. Albin Michel). aux purges suicidaires !

Q

L

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

45


Maghreb & Moyen-Orient

LIBYE

De guerre lasse Lancée le 4 avril à l’initiative du maréchal Khalifa Haftar, l’opération Déluge de dignité s’embourbe dans les faubourgs de la capitale. Et ne fait que désespérer un peu plus la population. HERVÉ PUGI, envoyé spécial à Tripoli

Clivage générationnel

rosse fatigue à Tripoli. Difficile de parler de gueule de bois. Pas franchement dans la culture locale. Surtout, près de huit ans après la liesse, l’ivresse a eu le temps de retomber. Les nouveaux combats qui secouent la capitale ne sont pas de nature à apaiser la migraine de tous ceux qui espéraient des lendemains qui chantent après la chute de Mouammar Kadhafi. Il suffit de parler avec Nadia al-Isawa pour s’en convaincre. Cette Tripolitaine, qui s’entasse avec une dizaine de personnes de sa famille dans un trois-pièces à proximité d’Aïn Zara, banlieue sud de Tripoli, lâche un soupir et concède, abattue, qu’elle est « fatiguée… fatiguée… fatiguée… ». Le même sentiment se lit sur le visage de ses proches. Chacun défendrait volontiers ses idées sur l’interminable crise libyenne, mais les divergences se sont tues dès lors que

G

Forces liées au GNA (Gouvernement d’union nationale)

Subratha

Aéroport international de Mitiga

TRIPOLI Zawiya Aéroport international (désaffecté)

Qasr Bin Ghashir

Gharian

46

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

Khalifa Haftar, un libérateur ? La question suscite des grimaces. Le commandant en chef de cette ANL inquiète tout autant que les milices, lesquelles sont toujours promptes « à défendre leurs intérêts bien plus que la cause commune », ose du bout des lèvres la jeune femme de 28 ans. Les clivages ne tardent pas à refaire surface entre le père de famille – qui se demande en bafouillant et en prenant mille précautions « si la poigne d’un Haftar ne serait pas un mal nécessaire » pour le redressement du pays – et sa fille, qui ne voit dans le maréchal qu’un « autre Abdel Fattah al-Sissi désireux de faire en Libye ce que l’autre a fait en Égypte ». Le chemin dont elle rêve s’apparente bien plus à celui suivi par la Tunisie. Deux générations, deux visions. Au pied d’un petit immeuble décrépit de huit étages, deux combattants se

ANL (Armée nationale libyenne)

Mer Méditerranée

les armes ont repris la parole au début d’avril. Les affrontements entre l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) et les milices prétendument pro-Sarraj se déroulent à tout juste quelques kilomètres de là. Depuis, tout le monde vit dans l’angoisse. Surtout ceux qui n’ont d’autre choix que de rester. La famille a ainsi vu ses maigrelettes économies se réduire comme peau de chagrin au fil des jours durant ces dernières années. « On s’en remet à la volonté de Dieu », se résigne le père en allumant une énième cigarette.

Tarhouna

DOS À DOS Le début de l’offensive sur Tripoli, lancée le 4 avril, a vu les troupes de l’ANL atteindre les portes de la capitale et les combats se concentrer autour de la zone de l’aéroport international de Mitiga, dans l’est de Tripoli, à quelques encablures des bâtiments officiels. Mais une contre-offensive fin avril des milices liées au Gouvernement d’union nationale (GNA) a permis

de repousser les troupes fidèles au maréchal Khalifa Haftar hors de la capitale. Depuis, la situation s’est stabilisée : l’ANL s’est fixée dans la zone entre Gharyan et Tarhouna. Le point nodal des combats est l’ancien aéroport international, au sud de Tripoli, et la ville voisine de Qasr Bin Ghashir. Les forces aériennes respectives ont pris le relais. JIHÂD GILLON


MAHMUD TURKIA/AFP

prélassent dans la douceur du début de soirée. Une planque pour snipers que ce bâtiment surpeuplé ? La question amuse. Ahmed et Ameur Torbi sont frères. Ils rentrent du front pour dîner en famille et passer la nuit à la maison. « Ce sont majoritairement des jeunes de Tripoli qui sont sortis pour s’opposer à l’avancée de l’ANL », explique Ahmed, 23 ans. Ameur, tout juste 20 ans, d’ajouter que beaucoup d’entre eux préféreraient « laisser leur peau au combat plutôt que vivre sous la domination d’un autre dictateur ». Bravades épuisées, les frangins partagent ouvertement leurs craintes pour le futur. « Quel est ton avenir lorsque tu as 20 ans en Libye ? lance Ahmed. Tu fais des petits boulots, tu trafiques un peu; les débrouillards réussissent mieux que les diplômés… L’autre truc, c’est d’intégrer une milice et de te faire respecter. C’est encore elles qui paient le mieux. » Ameur de renchérir : « Tu peux te balader en ville et avoir l’impression que tout va bien, mais, si tu écoutes les conversations, ça ne parle que de problèmes! L’ambiance est pesante. Certains s’exilent en Tunisie. Mais pour quoi faire ? D’autres se sont embarqués avec les migrants. Mais pour

Des membres de forces loyales au GNA en plein combat, près de l’ancien aéroport international, au sud de Tripoli, le 25 mai.

aller où ? Personne ne veut de nous ! Je préfère mourir ici plutôt que vivre en étant traité comme un chien en Europe ! » Une voix retentit du haut de l’immeuble. La soupe est prête, et nos guerriers en herbe filent à toute vitesse.

Fatalisme

20 MILLIONS

Selon l’ONU, c’est le nombre d’armes en circulation en Libye, pour une population de 6 millions d’habitants

À quelques mètres de là, depuis le fond de son petit commerce de légumes, la presque octogénaire Fawzia al-Moatassam s’esclaffe : « Grâce à Dieu, je n’ai rien, je suis pauvre. » Le meilleur moyen, selon elle, de se prémunir contre « les bandits qui courent partout ». Elle a tout connu: la colonisation, l’indépendance, la monarchie, la Jamahiriya et maintenant… ça. « Je ne comprends pas pourquoi personne n’arrive à se mettre d’accord. Il y a de la place pour tous et de quoi bien vivre », philosophe-t-elle en garnissant ses étals bancals. L’air déconfit, l’ancienne s’excuse presque de ne pas savoir « qui à tort ou qui a raison ». Cela ne l’intéresse pas vraiment d’ailleurs. Elle sait en revanche une chose : « Nos enfants meurent. Moi j’ai vécu, mais eux… » Veuve, elle évoque la mort de deux neveux lors des événements de 2011 et surtout celle d’un petit-fils lors de la reprise de Syrte

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

47


Maghreb & Moyen-Orient LIBYE

EPA/MAXPPP

« Non au criminel de guerre Khalifa Haftar », peut-on lire sur l’affiche de cette milice de Misrata.

en 2016. « Pourquoi un frère tire sur un autre frère? » demande-t-elle à un client qui acquiesce en tâtant les tomates. « Il y a de quoi perdre espoir », grommelle la vieille dame accablée. Frappes aériennes aveugles, tirs de mortiers hasardeux, combattants s’invitant dans des habitations civiles… Elle évoque pêle-mêle les rumeurs des mille exactions – réelles et fantasmées – commises par le camp d’en face. Son regard ne s’illumine finalement que pour évoquer sa foi, empreinte d’un profond fatalisme: « Il n’y a qu’en Dieu que l’on peut avoir confiance désormais… » « Sous Kadhafi, l’ordre régnait, c’est certain, mais ce n’était guère mieux, relativise le client. À l’époque aussi il y avait des enlèvements, des disparitions. La seule différence, c’est qu’on n’avait pas besoin de les chercher, on savait où ils étaient mais pas si on les reverrait… » Lui ne tient pas à en dire plus sur lui-même ou sur la situation – « On ne sait jamais ! » –, mais évoque un quotidien compliqué. Les enlèvements crapuleux, la corruption, l’envolée des prix, constante, avec cette autre crise qui affecte le pays, celle des liquidités.

Du pareil au même

Khaled Bajbara a participé à de nombreux combats lors du soulèvement de 2011. Retourné à son garage, ce mécanicien

48

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

de 35 ans a la furieuse impression que de Benghazi à Misrata, en passant par Zintan et Tobrouk, on tente de lui confisquer « sa » révolution. Lui aussi renvoie dos à dos chacun des belligérants: « Ce n’est pas pour ça que j’ai risqué ma vie et perdu des amis. » Dans son garage situé à Swani, il entend parfois des explosions et des rafales, mais pas question de reprendre du service pour le moment. « On verra l’évolution », concède-t-il avant d’ironiser sur ce pays « où chacun fait sa petite guerre dans son coin et la fera jusqu’à ce que nous soyons tous morts ». Les Libyens ne veulent plus de ces guéguerres intestines, de ces bandes armées qui luttent côte à côte un jour pour mieux se tirer dessus le lendemain. « La vie a forcément changé depuis le début d’avril, reconnaît Khaled, mais c’est plus dans les têtes. Tout le monde est fatigué. Personne ne voit d’issue. Ceux qui sont honnêtes sont faibles. Ceux qui sont puissants sont malintentionnés… » Le mécano lâche sa clé à molette, essuie ses mains graisseuses sur un torchon et se lance à mi-voix dans une drôle de confession : « Haftar… Sarraj… Beaucoup de gens s’en fichent désormais ! Ce qui intéresse la population, c’est qui va leur donner de l’argent, du pain et la paix. La démocratie, ça n’intéresse plus que ceux qui ont la vie facile… Si un Sarraj ou un Haftar parvient à offrir ce minimum, les gens suivront. »

LES LIBYENS NE VEULENT PLUS DE CES BANDES ARMÉES QUI LUTTENT CÔTE À CÔTE UN JOUR POUR MIEUX SE TIRER DESSUS LE LENDEMAIN.


Maghreb & Moyen-Orient

TUNISIE ITINÉRAIRE

DR

Férid Ben Tanfous

ALEX GALLY

S

a carrière est marquée par les chiffres. Rien que de très normal pour un banquier. Le 18 en particulier. Comme le nombre d’années que Férid Ben Tanfous a passées à l’Arab Tunisian Bank (ATB), dont il vient tout juste de quitter la présidence, à 66 ans, au terme d’un parcours exceptionnel. Rien ne le destinait pourtant à une carrière dans la finance. Titulaire d’un diplôme d’études approfondies (DEA) en droit, ce Djerbien discret et affable se voyait plutôt épouser un destin juridique. C’était compter sans Hamadi Bousbia, son mentor à la Banque centrale de Tunisie (BCT). « Je préfère l’avoir à mes côtés que contre moi », dit de lui l’ancien directeur général de la BCT, qui décide de le prendre sous son aile en 1982. À la BCT, Férid Ben Tanfous enchaîne les postes à responsabilité et restera, là aussi, dix-huit ans. Il fait partie de ceux qui posent les fondamentaux de l’ouverture de l’économie, avec, en 1995, les négociations de l’accord de

libre-échange avec l’Europe, puis la conclusion d’accords financiers avec des pays partenaires de la Tunisie et, avant cela, en 1992, la consécration de la convertibilité courante. Il prend alors la direction du change, du commerce extérieur et des relations financières avec l’étranger. Un tremplin pour l’Union tunisienne des banques (UTB, Paris) – devenue depuis Tunisian Foreign Bank –, dont il développe les activités en tant que PDG au mitan des années 1990.

Par la grande porte

Férid Ben Tanfous prend ensuite les commandes de la Banque économique de développement de Tunisie (BDET), puis celles de la Banque nationale agricole (BNA). Au début des années 2000, l’homme amorce un virage: il quitte le public pour le privé et atterrit à l’Arab Tunisian Bank (ATB). Un défi brillamment relevé. Le déploiement du réseau et l’optimisation des ressources permettent à l’ATB de passer de 3 % à 9 % de part de marché entre 2001 et 2018. Sur la même période, l’établissement multiplie ses dépôts par 5,7 et ses

engagements par 7. Les fonds propres croissent chaque année de 11,1 % en moyenne. En 2010, la certification MSI 20000 propulse l’ATB parmi les banques tunisiennes répondant le mieux aux normes internationales les plus rigoureuses. Sept ans plus tard, l’établissement est le troisième au monde à recevoir la certification ISO 27001 pour les solutions d’e-banking et de mobile banking. Car l’action de Ben Tanfous s’oriente aussi vers la jeunesse, à travers l’innovation bancaire, ou la carte C’Jeune, destinée aux 13-25 ans. Il y a aussi l’ATB Challenge, lancé en 2006, qui récompense les jeunes Tunisiens porteurs d’un projet original et novateur, ou encore le prix Mustapha Azouz, un concours de littérature pour enfants sponsorisé par la banque. C’est que le banquier a la ferme conviction que les entreprises doivent assumer leur responsabilité sociétale. Leurs dirigeants aussi: élu président de l’Association professionnelle des banques tunisiennes (APBT) en 2008, Ben Tanfous tient à transmettre son expérience en enseignant dans des organismes spécialisés, comme l’Institut de financement du développement du Maghreb arabe (Ifid). Un temps pressenti pour devenir gouverneur de la BCT en 2016, Férid Ben Tanfous plaide pour la privatisation des banques publiques. Celui qui fut de nombreuses années consul général honoraire de Suède à Tunis s’est aussi vu élevé au rang de commandeur de l’Ordre royal de l’Étoile polaire par le roi Carl XVI Gustaf. Le banquier a toujours su ménager ses effets. Sa sortie par la grande porte, au firmament de sa carrière, l’atteste. jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

49


Maghreb & Moyen-Orient

LIBAN

« Madame Sécurité » À 52 ans, Raya el-Hassan, ancienne ministre des Finances de Saad Hariri, est la première femme à occuper des fonctions régaliennes dans un pays arabe. Portrait. CHLOÉ DOMAT, à Beyrouth

’image est inédite. Le 7 février 2019, tous les corps de la police libanaise sont en tenue d’apparat pour accueillir leur nouveau ministre de l’Intérieur. Pour la première fois dans un pays arabe, ils se mettent au garde à vous devant une femme : Raya el-Hassan. Elle avance, le regard fixe et les épaules droites. Dans son discours de prise de fonctions, elle évoque son défi: « Il m’appartient de prouver qu’une femme est capable d’assumer un tel portefeuille ministériel. » Raya el-Hassan se retrouve à la tête de 40000 officiers de police et de plusieurs services de sécurité. Parmi les responsabilités qui lui incombent, la sécurité intérieure et la gestion de la menace terroriste, mais aussi les états civils, l’organisation des élections ou encore la sécurité routière. Si le poste en impose, la ministre souhaite désacraliser la fonction. Son ministère, elle le veut ouvert aux citoyens. Alors que son prédécesseur n’avait pas encore réuni ses affaires, elle a fait retirer les dizaines de blocs de béton censés protéger ses bureaux et d’autres bâtiments officiels des attentats. De fait, ils étaient posés en plein milieu de la route et créaient des embouteillages monstres. Les Beyrouthins saluent le geste. Rapidement, Raya el-Hassan s’attaque aux gros dossiers – la coopération entre les services de sécurité, la violence domestique, les conditions de vie en prison. Dynamique, la ministre est sur tous les fronts. Teste les limites… qu’elle finit par toucher. Après seulement quelques jours en poste, elle se prononce pour le mariage civil; au Liban, où cohabitent dix-huit communautés religieuses, seules les unions devant Dieu sont possibles. Levée de boucliers. Le patriarche maronite s’insurge : une « personne chrétienne ne peut pas se marier civilement, parce qu’elle sera en état de péché ». Côté musulman, le grand mufti ajoute que l’union civile est « contraire à l’islam » et

L

50

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

« menace la cohésion familiale ». Raya el-Hassan bat en retraite. Malgré sa modernité affichée, le Liban reste une société patriarcale. Le gouvernement ne compte que quatre femmes sur trente ministres. Le pays est 184e sur 191 au classement des Nations unies de la représentation féminine en politique. « Au Liban, la politique est une affaire d’hommes. Souvent, quand les femmes y participent, c’est qu’il n’y a pas d’héritier mâle. Elles représentent alors un père, un mari, un frère absent », explique Catherine Batruni, historienne à l’Université américaine de Beyrouth et spécialiste des femmes en politique libanaise. Dans ce paysage, Raya el-Hassan, qui n’est pas une héritière, fait figure d’exception. Née dans une famille bourgeoise, elle grandit à Beyrouth durant la guerre civile (1975-1990). Sa mère travaille au ministère du Tourisme. « Je n’avais pas vraiment de rêve quand j’étais petite, on ne pensait pas à ça, nous confie-t-elle. Il y avait des bombardements, notre maison a été touchée plusieurs fois. J’allais à l’école quand même et le soir je faisais mes devoirs à la lueur d’une bougie. »

« Autorité innée »

Le bac en poche, elle étudie les affaires et la finance, puis part terminer son cursus aux États-Unis. À son retour, en 1991, la guerre est terminée, et le Liban à reconstruire. Elle rejoint l’équipe de Fouad Siniora, ministre des Finances. « Il ne restait plus rien de l’ancien ministère, plus de procédures, pas d’ordinateurs, tout avait été détruit. On était quelques conseillers et on a tout refait, on a calculé un premier budget, tous les plans économiques… », se souvient-elle. Pour la jeune diplômée, ce premier boulot est un tremplin. Dans les années 1990-2000, elle enchaîne les missions, conseille le ministre des Finances, celui de l’Économie, travaille pour une banque privée et tâte même le terrain des institutions internationales en

EN 2009, SES DÉTRACTEURS VOYAIENT EN ELLE UN PANTIN DU PREMIER MINISTRE. DEPUIS, ELLE A RÉUSSI À SE FAIRE ENTENDRE ET À S’IMPOSER. SANS SE FAIRE D’ENNEMIS.


déplacées. Fébrile, elle ne laisse à l’époque rien transparaître et redouble d’efforts. « Si vous connaissez vos dossiers, au bout d’un moment, on vous respecte », dit-elle. « Elle a une obsession de la précision. C’est une première de la classe. Elle lit beaucoup, elle a besoin de maîtriser ses dossiers, d’avoir toujours le chiffre exact », complète Asma Andraos. La stratégie paie. Petit à petit, Raya el-Hassan réussit à s’imposer sans se faire d’ennemis.

HASSAN AMMAR/AP/SIPA

Le boulet syrien

pilotant plusieurs projets avec le Pnud et la Banque mondiale. Mais le Liban sombre à nouveau dans la violence. En 2005, le Premier ministre Rafic Hariri est assassiné avec son ministre de l’Économie Bassel Fleihan. L’année suivante, la guerre éclate entre Israël et le Hezbollah. Raya el-Hassan, qui vient d’être mère pour la troisième fois, est membre du cabinet du Premier ministre Fouad Siniora. « Je ne l’ai jamais vue perdre son calme, elle a une forme d’autorité innée. Même en pleine cellule de crise, quand les gens s’emportaient, elle conservait son sang-froid et trouvait la solution », raconte Asma Andraos, alors chargée de communication. L’étape clé arrive en 2009. Saad Hariri, fils du Premier ministre assassiné, devient chef du gouvernement. Il nomme Raya el-Hassan ministre des Finances – une première dans la région. « Quand il me l’a annoncé, cela m’a fait un choc, confiet-elle. Je savais que je pouvais le faire, mais j’avais toujours travaillé dans l’ombre et, là, je me retrouvais sur le devant de la scène, ça n’allait pas de soi. »De fait, elle n’est pas à l’aise. Ses détracteurs voient en elle un pantin du Premier ministre. Les médias guettent la photo qui va faire jaser. Ses collègues députés l’abreuvent de remarques

La ministre de l’Intérieur (au centre), au côté de son prédécesseur, Nohad Machnouk, durant la cérémonie de passation des pouvoirs, le 6 février, à Beyrouth.

Avec le début de la guerre en Syrie voisine, le Liban entre dans une nouvelle période de crise. Le pays est divisé entre pro-régime et pro-révolution. Plusieurs attentats terroristes secouent la capitale. Après la chute du gouvernement Hariri en 2011, Raya el-Hassan quitte le ministère des Finances. En 2013, elle est chargée du développement d’une zone économique spéciale à Tripoli, seconde agglomération du pays. Avec son port maritime, cette ville ambitionne de devenir l’un des points de passage principaux pour la reconstruction syrienne. Mais la guerre pousse plus de 1 million de réfugiés vers le Liban. L’économie, déjà fragile, ne parvient pas à absorber le choc. De retour au gouvernement comme ministre de l’Intérieur, Raya el-Hassan prend les rênes d’un pays en crise. Elle doit aussi composer avec ses adversaires politiques, dont le Hezbollah, le puissant parti chiite engagé militairement en Syrie aux côtés du régime de Bachar al-Assad. « Elle est liée par les alliances du Premier ministre. Le gouvernement compte des membres du Hezbollah », explique Wadih al-Asmar, président du Centre libanais pour les droits de l’homme. Les exemples concrets de ce rapport de force, ne manquent pas. « En tant que ministre de l’Intérieur, Raya el-Hassan chapeaute le Direction de la sûreté générale, le service de sécurité chargé du dossier des réfugiés syriens. Mais son directeur, Abbas Ibrahim, est un proche du Hezbollah et a donc les mains libres sur la question », ajoute-t-il. D’ici à la fin de son mandat, elle aura aussi la charge d’organiser trois élections – présidentielle, législatives et municipales. « S’il y a un héritage que j’aimerais laisser, dit-elle, ce serait un quota de femmes aux élections. Je ne dis pas que je vais réussir, mais je promets d’essayer. »

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

51


Maghreb & Moyen-Orient

MAROC

À qui appartient la gazelle aux œufs d’or ? L’un des plus célèbres hôtels cinq étoiles du royaume est depuis des années au centre d’un conflit judiciaire entre actionnaires. Jugement en juillet. décideurs et potentiels investisseurs. Le Palais règle les nuits de certains hôtes officiellement invités dans le royaume. La comédienne française Catherine Deneuve, habituée du Festival international du film de Marrakech organisé annuellement à 250 km de là, y a séjourné. Les grands noms du CAC 40 connaissent aussi le lieu : on a vu passer Dassault, Lagardère ou encore Pinault. André Azoulay, conseiller du roi, est également un habitué.

JULES CRÉTOIS

ne chute de bougainvilliers, encadrée par des palmiers « Washingtonia », 10 hectares de jardin, une quinzaine de pavillons disposés en arc de cercle. Partout, l’odeur du jasmin. Et du pouvoir. La Gazelle d’or, à quelques minutes des vieux remparts ocre de Taroudant, a longtemps été un lieu prisé par le couple Chirac. L’ancien président français, proche des deux rois du Maroc Hassan II puis Mohammed VI, y avait ses habitudes. Son successeur, Nicolas Sarkozy, ainsi que son ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin, ont eux aussi eu l’occasion de s’en remettre aux bons soins de Rita Bennis, la maîtresse des lieux. Cette ancienne fonctionnaire de la diplomatie marocaine a réussi à conjuguer trente ans durant son entregent avec le climat du Souss. Son créneau : l’entre-soi dans une auberge de charme plus simple que les resorts de luxe que l’on trouve dans la région de Marrakech. Un endroit tout indiqué pour exercer son influence. Les hauts commis de l’État marocain peuvent discrètement y retrouver ambassadeurs, people,

HOMONYME ALGÉRIEN

FA

DEL

S E N N A /A F P

U

Rita Bennis jure qu’elle détient une participation majoritaire.

Si vous tapez « Gazelle d’or » sur un moteur de recherche, la première suggestion qui vous sera faite ne sera pas celle du petit coin de paradis à la sortie de Taroudant, mais de son cousin algérien, tout aussi féerique, en plein désert. Premier point commun entre les deux adresses : le nombre d’étoiles, cinq. Le complexe algérien a ouvert en 2016 et a nécessité un investissement d’environ 10 milliards de dinars (75 millions d’euros). Derrière ce projet gigantesque – l’hôtel compte plus de 70 chambres, trois piscines, un spa… –, l’homme d’affaires Djilali Mehri. Qui présente un point commun avec Rita Bennis : il a lui aussi rencontré Jacques Chirac à plusieurs reprises. J.Cr.

52

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

Imbroglio

Mais, depuis 2013, la quiétude des lieux est troublée par la guerre judiciaire à laquelle se livrent ses actionnaires. D’un côté, Rita Bennis, défendue par Hassan Semlali, avocat influent au sein de la classe politique, puis par Abdelattif Mechbal, qui a défendu les intérêts de la holding Ynna du magnat Miloud Chaabi. De l’autre, les héritiers du Saoudien Kamal Adham, défendus par le cabinet Ouahbi, fondé par Abdellatif Ouahbi, élu et cadre turbulent de la frange progressiste du Parti Authenticité et Modernité (PAM). Rita Bennis vit à Londres et travaille à l’ambassade du Maroc quand elle rencontre Kamal Adham à la fin des années 1970. Le fortuné Saoudien, passé par la direction du renseignement de son pays, accepte sur ses conseils d’acquérir en 1981 une dizaine d’hectares dans le centre du Maroc. Le lieu, ouvert par un Français dans les années 1960, n’est pas encore le cinq-étoiles qu’on connaît. Mais Rita Bennis y voit un petit coin de paradis. À l’époque, ils sont sept actionnaires. On retrouve en effet des fils d’Adham, mais aussi un partenaire de jeu de cartes. Bennis est l’administratrice unique. Le décès d’Adham en 1999 change la donne. Dans les années qui suivent entrent en scène ses héritiers, notamment Mishaal Adham, qui est aujourd’hui celui qui


DR

Entre 2013 et 2015, Rita Bennis a perdu en première instance, en appel et en cassation devant trois cours différentes. Elle ne convainc donc pas et ne parvient pas non plus à faire valoir au moins la prescription. L’entregent de Rita Bennis, les rumeurs sur sa proximité avec le Palais suscitent parfois des jalousies. On ne lui prête pas un caractère facile. Elle est en conflit avec des employés de l’hôtel. Assez vite, certains de ses proches – dont son compagnon – se retournent contre elle. Il ne lui reste qu’une petite ferme, sa résidence, installée sur le terrain de l’auberge. Rita Bennis doit attendre octobre 2017 pour recevoir une première bonne nouvelle. Son avocat a demandé une « rétractation », une procédure particulière à la loi marocaine. La Cour de cassation décide alors de revenir sur une décision qu’elle avait elle-même prononcée deux ans plus tôt. Surtout, les juges « cassent » une décision de 2014 de la cour d’appel de Marrakech qui retirait à Bennis ses droits sur la Gazelle d’or.

DR

Spéculateurs

s’implique le plus. La plupart des autres se sont éloignés du dossier. Le courant ne passe pas entre Bennis et Adham. La situation s’envenime. En 2012, les héritiers déposent une première plainte devant un tribunal de commerce à Agadir. À partir de là, le dossier passe de cour en cour. La pierre d’achoppement? Des assemblées générales tenues dans les années 1990 durant lesquelles des actions sont passées de main en main. Au fil des années, jure Bennis, elle est devenue actionnaire majoritaire avec l’accord de Kamal Adham. Des parts ont même été reversées à ses enfants – elle en a trois. Sa défense ne nie pas que Mishaal Adham possède lui aussi toujours des parts dans l’entreprise. Mais selon ce dernier, Bennis a usurpé l’hôtel. Une source qui suit le dossier concède que « tous les PV et les documents d’époque ne sont pas d’une clarté d’eau de roche… D’une manière générale, au Maroc, en matière de droit des affaires, il y a un avant et un après 2000. Et avant… C’est souvent la pagaille. »

Un aperçu du complexe de 10 hectares.

Aussitôt, elle appelle des équipes de jardiniers pour sauver le plus important à ses yeux, ce qui a fait en grande partie la réputation du lieu: sa végétation. La bambouseraie n’est plus, ou presque. Les cinq mille pieds de roses non plus. En quelques années de bataille judiciaire, la situation s’est considérablement dégradée. L’hôtel fermé, les arriérés d’impôts se seraient accumulés, tout comme les dettes auprès de fournisseurs. En 2016, les employés qui n’ont pas été payés le temps de ces procédures se mettent en grève. « Le lieu a beaucoup perdu de sa valeur. Ce ne sont pas 10 hectares de foncier à Taroudant qui valent de l’argent », explique un proche du dossier. Quelques spéculateurs étrangers auraient montré de l’intérêt: le lieu ne vaudrait pas plus de 5 millions d’euros. Les deux parties se sont retrouvées le 20 juin devant le tribunal de commerce de Casablanca. Seuls les avocats se sont déplacés: Bennis est souvent à Londres et Adham ne réside pas au Maroc. Les juges ont demandé un énième renvoi, le temps d’une dernière expertise sur des signatures de PV de conseils d’administration. Les avocats ont rendez-vous à la mi-juillet, les juges voulant clore le dossier avant les vacances judiciaires.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

53


Têtes d’affiche/Stratégie/Affaires déclassées/Débats

EXCLUSIF

Les milliards envolés de

l’Asecna

PHOTONONSTOP ; PHOTOMONTAGE JA

Les rapports d’audit que JA s’est procurés attestent de la gestion budgétaire catastrophique de l’agence chargée de la sécurité aérienne dans dix-sept pays africains. Depuis six ans, des sommes considérables ont disparu, vraisemblablement détournées. Enquête.

L’Agence gère 25 aéroports internationaux. Ici, celui de Dakar.


L

Absence de contrôle interne et de validation hiérarchique

À la tête de l’Asecna, ils sont les garants de son bon fonctionnement.

LES DIRECTEURS GÉNÉRAUX

Ils sont nommés pour un mandat de quatre ans (renouvelable une fois) par le conseil d’administration de l’Asecna après accord du Conseil des ministres des Transports des pays membres.

Amadou Ousmane Guitteye (2011-2016) Ancien élève de l’École nationale de l’aviation civile (Enac) de Toulouse, le Malien a gravi tous les échelons de l’Asecna, la quittant en 2005 pour l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci) avant d’y revenir en 2010. Cette année-là, « il fait campagne dans les 18 pays de l’Asecna, sur ses fonds propres », écrivait sur lui JA en mai 2012. NE S/P PH . C H RI S TO

Pourtant, de gros nuages noirs s’accumulent au-dessus de la vénérable institution. Une mission d’audit a été commanditée. Elle a permis de découvrir, pour l’exercice 2017, une « fraude relative au détournement de recettes de l’Agence ». La phrase figure noir sur blanc dans plusieurs documents confidentiels émanant de la Commission de vérification des comptes (CVC) de l’Asecna. Ces textes, dont Jeune Afrique a obtenu copie (voir fac-similé p. 57), ont été transmis, le 18 juillet 2018, au président du conseil d’administration, l’ancien ambassadeur de France Jean-François Desmazières, et aux ministres de tutelle. Au vrai, la Commission, présidée depuis 2013 par le Malien Amadou Sangaré, rédige chaque année un

POUVAIENT-ILS NE PAS SAVOIR ?

DR

’homme s e s ouvient des enveloppes qu’un employé de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) venait chaque mois retirer auprès d’un chef d’escale. Des millions de francs CFA, cet ancien responsable d’une compagnie locale en a vu passer beaucoup. Vraiment beaucoup. Rien, estime-t-il, n’aurait été possible sans la complicité du président de sa compagnie. On le croit sur parole. La manœuvre avait le mérite de la simplicité. L’agent de l’Asecna entrait dans l’ordinateur, faisait disparaître certaines opérations et ne facturait qu’une partie des taxes de survol à la compagnie. En échange, il touchait une commission, le transporteur s’estimant heureux de n’avoir pas à régler l’intégralité de son dû. « C’était en somme une commission sur une non-facturation », plaisante notre homme, qui jure que ces pratiques délictueuses n’ont, jusqu’à aujourd’hui, jamais cessé. Et que les acteurs de l’anecdote qu’il vient de nous compter sont toujours en poste. Manifestement, il ne s’agit pas d’un cas isolé, comme semble le confirmer le vent de suspicion qui balaie actuellement plusieurs services et instances de l’Asecna. Créée à Saint-Louis-duSénégal, en 1959, à l’initiative de la France, celle-ci est la plus ancienne organisation africaine de coopération. Ses 6000 agents sont chargés d’assurer la sécurité des espaces aériens de ses dix-sept pays africains membres (tous francophones, à l’exception de la Guinée-Bissau et de la Guinée équatoriale), mais aussi le guidage des avions et la maintenance des équipements. Son siège est à Dakar, mais elle dispose d’une délégation à Paris,

à Montréal et de dix-sept représentations, supervisées par les ministres des Transports de la zone, dont le comité annuel constitue l’organe suprême de l’organisation. Dirigée de 2011 à 2016 par le Malien Amadou Ousmane Guitteye, l’Asecna l’est aujourd’hui par le Nigérien Mohamed Moussa. Elle gère 57 tours de contrôle, 25 aéroports internationaux, 76 aéroports régionaux et nationaux, et 3 centres de formation. Elle dispose en outre de son propre réseau de télécommunications. Sa réputation de sérieux opérationnel est, depuis longtemps, établie. Souvent considérée comme l’un des derniers vestiges de la Françafrique, l’Asecna vit à 83 % de la perception des taxes de survol de sa zone (16 millions de km2, soit 1,5 fois la superficie de l’Europe), le reste provenant des taxes de décollage et d’atterrissage. Ces taxes sont censées financer les prestations fournies aux compagnies aériennes et les infrastructures.

C

RÉMY DARRAS

E

Mohamed Moussa (depuis 2017) Ex-ministre de l’Intérieur et des Transports, le Nigérien a fait presque toute sa carrière au sein de l’Agence, s’est occupé du département maintenance et a dirigé les ressources humaines. … jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

55


Économie EXCLUSIF

… LES PRÉSIDENTS DU CONSEIL D’ADMINISTRATION

DR

Ce sont d’anciens ambassadeurs français nommés pour un mandat de trois ans (renouvelable une fois) par le conseil d’administration de l’Asecna après accord du Conseil des ministres des Transports des pays membres.

DR

Jean-François Thibault (2011-2016) Ancien ambassadeur de France aux Émirats arabes unis, en Mauritanie, puis au Maroc, cet arabisant a aussi travaillé chez Elf Aquitaine à la fin des années 1980 et à la direction des affaires économiques du Quai d’Orsay.

Jean-François Desmazières (depuis 2017) Ex-ambassadeur de France au Gabon et au Cambodge, cet énarque a travaillé au sein de la coopération et de l’action culturelle en Côte d’Ivoire et aux Seychelles. À moins qu’il ne soit candidat à sa reconduction, son mandat se termine cette année.

56

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

rapport de ce type, après analyse des résultats financiers qui lui ont été communiqués chaque 30 avril, et certifie les comptes. Sangaré n’est pas le premier venu. Ancien de PwC, d’EY et de Deloitte en Amérique du Nord et en France, il a été appelé à certifier les comptes des plus grandes sociétés internationales, d’EDF à Glencore, en passant par Areva, L’Oréal, Danone ou Sony. Dans son rapport d’une centaine de pages, la Commission relève d’abord une sensible augmentation du chiffre d’affaires de l’Asecna: de 245 milliards à 302 milliards de F CFA (un peu plus de 300 millions d’euros) entre 2011 et 2017 ; mais aussi de sa trésorerie : 97,8 milliards de F CFA en 2017 après une chute « inquiétante » en 2015 (27 milliards). Ces bons résultats seraient la conséquence d’une hausse des redevances, en même temps que d’une baisse des charges (rémunérations des dirigeants, notamment). Mais la Commission recense aussi, et surtout, une série de graves irrégularités comptables, sans donner les noms d’éventuels bénéficiaires et très peu d’indications quant aux délégations concernées (à l’exception de celle de la Centrafrique) : ordres de paiement et règlements en espèces sans justificatifs ; factures, bons de commande et/ou de livraison manquants… La liste est, hélas, loin d’être exhaustive. Pour la seule année 2017, le coût de ces détournements a atteint, selon nos calculs, la jolie somme de 15,7 milliards de F CFA. La gestion pour le moins archaïque de l’agence, en particulier son informatisation encore très insuffisante, a sans nul doute favorisé ces dérives. L’insuffisance, voire l’absence, de contrôle interne et de validation hiérarchique, aussi. L’Asecna a ainsi démarré l’année 2017 avec, dans ses comptes, 7,2 milliards de F CFA d’opérations anciennes (plus de trois ans) mais qui ne sont toujours pas régularisées. Et les douze mois suivants ont été pires encore! En moyenne, l’agence a versé 11,2 millions de F CFA par jour à des clients « non identifiés et non

rattachés à des factures », relève le rapport de la CVC. Soit 4,1 milliards pendant toute l’année 2017 (en 2016, la somme était de 3,77 milliards de F CFA). S’y ajoutent plus de 1,17 milliard de F CFA de règlements dont l’objet ou la facture font fâcheusement défaut. Autres bizarreries relevées par l’équipe d’Amadou Sangaré : en 2017, plus de 150 transactions figurant dans les comptes de liaison (donc, censés correspondre à des opérations comptables entre entités de l’Agence) ont été « basculées » vers des « comptes débiteurs et créditeurs divers ». Coût: 3,2 milliards de F CFA. Si l’on remonte jusqu’à l’année 2015, on constate, déjà, près de 12,3 milliards de F CFA d’opérations douteuses dans les comptes de l’Asecna.

Du règne des incohérences, aberrations et autres insuffisances…

Les révélations de la CVC ne concernent pas uniquement les dépenses. Bien que le chiffre d’affaires de l’Asecna ait atteint en 2017 son plus haut niveau depuis plus de dix ans, la Commission s’étonne de certaines « incohérences inexpliquées » et en conclut que ledit chiffre d’affaires a sans doute été sous-évalué, compte tenu de la hausse des redevances aéronautiques en juillet 2016 et de l’évolution du trafic en 2017. Selon la CVC, il existe une forte probabilité (de l’ordre de 50 %) que le manque à gagner avoisine 10 milliards de F CFA. Par an, bien sûr. En feuilletant les différents rapports, on tombe sur une aberration comptable presque à chaque page : encaissement de frais médicaux passés en double par la paierie, chèques établis en 2014 et 2015 et qui ne sont toujours pas encaissés en 2017, régisseurs qui sont en même temps agents de facturation… Du coup, les membres de la Commission n’ont donné aucun avis – ni favorable ni défavorable – concernant l’exercice 2017, alors qu’en 2015 et 2016 ils avaient incité le conseil d’administration à délivrer un quitus à l’agent comptable. On peut


À lire dans UN DOCUMENT ACCABLANT

Extraits des résultats de l’audit interne réalisé en juillet 2018 par la Commission de vérification des comptes de l’Asecna sur l’exercice 2017.

Les exclus que vous avez manquées cette semaine

OIL & GAS

Approvisionnement en gaz de la SAR : Serigne Mboup veut résilier le contrat ITOC (Baba Diao)

TRANSPORT AÉRIEN

RAM et Swissport grands vainqueurs des nouveaux contrats de handling au Maroc Wally Andre Ndiaye chapeaute la JV entre AIBD Assistance Services et Air France Industries

CONSEIL

King & Spalding et Miranda, conseils d’Anadarko sur le GNL mozambicain (6 milliards de dollars)

ÉNERGIE

Gas to power : Abderrahim El Hafidi (Onee) discute avec le turc Karpowership Noor Midelt : Mustapha Bakkoury (Masen) écarte Acwa, relance un appel d’offres et espère plus de watts d’EDF

MINES

Burkina : Eramet manifeste son intérêt pour Tambao (900 millions d’euros) www.jeuneafriquebusinessplus.com

Contactez-nous pour tester GRATUITEMENT Jeune Afrique Business+ info@jeuneafriquebusinessplus.com + 33 (0)1 44 30 19 34

Plus que de l’actualité business, de l’intelligence économique

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

57


Économie EXCLUSIF

DES SOUPÇONS DE FRAUDES DÉJÀ RÉVÉLÉS AU SÉNÉGAL ET EN CENTRAFRIQUE

ASECNA

L’an dernier, la presse sénégalaise avait évoqué, en septembre, des détournements de 364 millions de F CFA à Dakar, dont 150 à l’École régionale de la navigation aérienne et du management (Ernam) et, en juin, un détournement de 300 millions de F CFA par un cadre, au travers de fausses factures. En Centrafrique, c’est le ministre des Transports qui a été accusé en septembre 2018 par les médias locaux d’avoir placé sur son compte personnel pendant plusieurs années plus d’une dizaine de millions de francs CFA en provenance de l’Asecna. Des accusations que l’intéressé a démenties.

Le siège de l’Asecna, à Dakar.

d’ailleurs se demander pourquoi, puisque, à en croire les documents en notre possession, le rapport 2016 déplorait l’insuffisance des contrôles de caisse en Mauritanie, au Mali et au Bénin, conséquence de « problèmes de détournement constatés pendant plusieurs années ». Il regrettait aussi le non-remplacement de certains caissiers considérés comme « facteurs de risque ».

R.D.

Des errements dénoncés sans effet depuis des années

Ces errements, la Commission les dénonce chaque année depuis au moins 2013. Sans résultat. Elle est donc revenue à la charge en 2017, en insistant auprès de l’Agence sur la nécessité d’en Comores finir avec « une

17 PAYS, 1,5 FOIS LA SUPERFICIE DE L’EUROPE

Superficie totale de la zone couverte par l’agence (16 millions de km2)

Madagascar

Mauritanie

Mali

Niger

Sénégal Burkina Bénin Côte d’Ivoire

Togo Cameroun Guinée équat. Gabon

58

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

Centrafrique

Congo

SOURCE : ASECNA

GuinéeBissau

Tchad

gestion budgétaire balbutiante, peu lisible et risquée » et de privilégier une approche « moderne et performante ». Où sont passés les milliards de l’Asecna ? Et pourquoi les deux directeurs généraux (statutairement chargés de « mettre en place la structure organisationnelle ainsi que les systèmes et procédures de gestion et de contrôle interne appropriés pour établir des comptes exempts d’inexactitudes significatives »), les agents comptables (« responsables de la fidélité et de la sincérité des comptes »), les contrôleurs financiers et les ministres de la zone, qui tous ont été dûment informés, ontils laissé perdurer cette situation inadmissible ? Par ailleurs, pourquoi l’automatisation de la facturation et la formation des personnels aux nouveaux outils de gestion n’avaient-elles toujours pas été réalisées en 2018 ? Enfin, pourquoi les dirigeants n’ontils pas diligenté une enquête pour identifier les responsables des – probables – détournements et retrouver les fonds ? Cela fait quand même beaucoup de questions. À un an et demi de la fin du mandat de Mohamed Moussa, et alors que la campagne pour sa succession a commencé, il est grand temps que l’ensemble des responsables de l’Asecna, mais aussi les ministres des Transports des dix-sept pays concernés, rendent des comptes. Ils ont toutes les pièces en main. S’ils s’en abstiennent, faudra-t-il considérer leur silence comme un aveu de complicité ?


TÊTES D’AFFICHE

FRANCIS NANA DJOMOU

IGNASI RICOU

PDG de Tagidor

PDG de GB Foods DR

FERNAND

KU I S

SU

PO

UR

Bouillon camerounais

JE

DR

DR

UN

DANIEL KARBOWNIK Accor À 59 ans, ce Français qui a commencé sa carrière dans le tourisme au sein du Club Méditerranée vient d’être nommé directeur général Afrique de l’Ouest et centrale du géant de l’hôtellerie. Titulaire d’un Deug de droit de l’université de Lille-2, il a dirigé le Sofitel d’Essaouira au Maroc avant d’intégrer AccorHotels, en 2013.

OMER MBADI, à Douala

MOSTAFA TERRAB International Fertilizer Association Le PDG du groupe OCP devient le premier dirigeant africain à présider l’association professionnelle. Aux manettes du géant des phosphates depuis 2006, ce Marocain diplômé de l’École nationale des Ponts et Chaussées a travaillé pour Bechtel Civil et Minerals ainsi qu’à la Banque mondiale.

DR

À

Mais rien ne s’est passé comme prévu, Francis Nana Djomou n’ayant pas déboursé, selon GB Foods, la moitié du capital d’AGFI, provoquant l’arrêt du projet. L’argument est balayé par la partie camerounaise, qui impute le divorce à un changement de stratégie du groupe espagnol. Il aurait d’ailleurs récupéré les parts de GB Foods dans AGFI pour un euro symbolique. Francis Nana Djomou conteste également avoir toujours une dette commerciale à l’égard des Espagnols, ces derniers prétendant n’avoir pas récupéré la totalité des quelque 750 millions de F CFA dus. L’affaire aurait été portée devant le tribunal de commerce de Paris; le chef d’entreprise camerounais réclamerait près de 35 milliards de F CFA à son ex-partenaire pour rupture abusive de contrat. Francis Nana Djomou nie avoir intenté une action contre le groupe ibérique mais admet des « pourparlers » pour trouver un accord, bien qu’il refuse d’en dire davantage pour ne pas nuire aux négociations en cours.

la fin de janvier, le groupe barcelonais GB Foods, dirigé par Ignasi Ricou – 318,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en Afrique EA en 2018 –, fermait son bureau du FR IQ UE Cameroun, dans le prolongement de sa décision, quelques mois plus tôt, de mettre un terme à sa relation d’affaires avec Tagidor Premium Investment SA, le holding fondé par Francis Nana Djomou. Le partenariat noué en 2013 avec le conglomérat camerounais regroupant Biopharma et Euro Cosmetics (cosmétiques), Elim Beverages (boissons gazeuses), Tagidor Garden (tourisme et hôtellerie), AGFI (bouillons culinaires) et Foodis (distribution de produits alimentaires) prévoyait la création d’une coentreprise (AGFI) et un investissement de près de 4 milliards de F CFA (6 millions d’euros) pour installer une usine de fabrication de bouillons culinaires à Bekoko, à la sortie ouest de Douala. En attendant sa concrétisation, GB Foods avait mis un stock de bouillons de la marque Jumbo à la disposition de Foodis.

ZUKS RAMASIA South African Airways Diplômée en ressources humaines de l’université de Johannesburg, cette Sud-Africaine possède plus de vingtcinq ans d’expérience dans l’aviation. Arrivée au sein de la compagnie en 2012, elle était jusqu’ici directrice des opérations. Elle remplace Vuyani Jarana, qui a démissionné après deux ans à ce poste. jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

59


Économie

STRATÉGIE

Électricité Les centrales flottantes du turc Karpowership changent la donne En discussion avec l’Onee pour prendre part au mégaprojet Gas-to-Power marocain et déjà fournisseur de six pays africains, le groupe stambouliote bouscule le secteur. JULIEN WAGNER, envoyé spécial à Lisbonne

ous devons convaincre nos clients de changer de manière de penser, assène Zeynep Harezi, la directrice commerciale de Karpowership. Lors de notre rendez-vous avec l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (Onee) en mai, nous avons expliqué que nos centrales électriques offraient des solutions de moyen et long terme sur vingt ans et plus, pas seulement des solutions d’urgence. » Nette, assurée, la nièce d’Orhan Karadeniz, PDG de la maison mère de Karpowership, était présente à l’Africa Energy Forum de Lisbonne, à la mi-juin, pour marteler ce message. Actuellement fournisseur d’électricité dans six pays d’Afrique (Gambie, Ghana, Soudan, Sierra Leone, GuinéeBissau, Mozambique), la filiale est selon les spécialistes un game changer, un acteur qui change la donne. Créée en 2010, elle vend des kilowatt­ heures aux opérateurs électriques nationaux grâce à des centrales duales (gaz et fioul lourd) construites sur des bateaux et « capables de se connecter à n’importe quel réseau électrique et sur n’importe quel pipeline gazier ». En deux mots, des centrales flottantes. Les avantages sont nombreux. Pas de plan de financement. Pas de problème de terrain. Et de l’agilité. Son premier contrat en Afrique, le turc l’a décroché au Ghana, en 2014. D’abord avec une barge munie d’une centrale de 200 MW à Tema (Sud-Est), puis remplacée en décembre 2016

N

«

60

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

par un bateau avec une centrale de 480 MW. Celui-ci doit d’ailleurs se déplacer dans les six mois à venir vers Sekondi-Takoradi (Sud-Ouest) pour profiter d’un gazoduc. Le voyage prendra une semaine. En 2018, Karpowership s’est illustré en multipliant les contrats de courte durée sur le continent. L’entreprise turque a signé un accord de deux ans pour 30 MW en Sierra Leone afin d’alimenter Freetown, un contrat de deux ans et 30 MW pour fournir Banjul, en Gambie, un autre au Mozambique pour fournir 45 MW pendant cinq ans et, enfin, un contrat de trois ans au Soudan portant sur 150 MW.

Déjà près de 850 MW en opération sur le continent

Dans ce dernier cas, l’accord a été signé le 12 mai 2018, et Karpowership a commencé à fournir de l’électricité le 16 mai. « Le bateau était prêt, déjà en route depuis Dubaï, et nous avons eu la chance de trouver facilement une place aux abords de Port-Soudan »,

sourit Zeynep Harezi, 31 ans et déjà numéro trois du groupe turc. En Zambie, pays pourtant enclavé, la compagnie a ajouté 100 MW supplémentaires au réseau entre mars 2016 et mars 2018 par le biais du réseau mozambicain et zimbabwéen. Depuis le début de l’année, l’entreprise a signé deux contrats en Guinée-Bissau, le premier de un an et l’autre de cinq ans pour 17 MW et 30 MW. À ce jour, Karpowership possède près de 850 MW en opération en Afrique – il n’a pas souhaité nous communiquer son chiffre d’affaires. Un total encore faible par rapport à ses concurrents déjà bien installés, mais essentiel pour les pays concernés. La compagnie stambouliote fournit 26 % de l’électricité produite au Ghana, 10 % de celle du Mozambique, 80 % de celle de la Gambie et de la Sierra Leone, et 10 % de l’énergie du Soudan. Elle est aussi présente au Moyen-Orient (en Irak depuis 2010), en Asie (Indonésie) et depuis cette année en Amérique centrale (Cuba).

LE BRITANNIQUE AGGREKO POUSSÉ À SE RÉINVENTER ? « L’offre de Karpowership a clairement bousculé le petit monde de la location et du fast-track, notamment pour Aggreko, commente un connaisseur du secteur. À tel point que le britannique a dû faire évoluer son modèle et propose désormais des solutions

de plus long terme, avec une puissance plus importante. » Interrogé à ce sujet, John Lewis, son directeur Afrique, réfute l’idée. « Nous proposons des solutions sur cinq à dix ans parce que c’est une demande de nos clients. En réalité, Karpowership ne nous

concurrence que sur une partie de nos marchés: les pays qui ont un accès à la mer et disposent d’un port pour alimenter les grandes villes côtières… Dans de nombreux scénarios, ils ne sont pas compétitifs avec nous », estime-t-il. J.W.


KARADENIZSOSYAL/WIKIMEDIA COMMONS

Le bâtiment Osman Khan, d’une capacité de 480 MW, fournit 26 % de l’électricité du Ghana.

Sa flotte est forte de vingt navires à travers le monde, équivalant à 3100 MW. « Vingt autres bateaux pour un total de 5000 MW sont en cours de construction à Istanbul dans quatre chantiers navals différents, dont deux nous appartiennent. Nous discutons en ce moment même avec quinze pays pour ces navires, africains pour la moitié d’entre eux », assure Zeynep Harezi. Marque de la confiance de l’entreprise en son modèle, tous les bateaux sont construits avant même d’être affectés. « Nos clients ne sont définis qu’à la toute dernière minute. […] C’est un très gros pari. Mais c’est un pari sûr. Le monde a besoin d’une électricité propre, pas chère et rapide à injecter. Et c’est ce nous offrons. » Une particularité qui fait jaser. « Comment une compagnie familiale peut-elle immobiliser l’équivalent de 500 millions de dollars sans un soutien extérieur ? » persifle un acteur du secteur sous le couvert de l’anonymat. Il soupçonne les autorités turques de lui accorder des garanties, faisant remarquer : « Karadeniz Holding est souvent du voyage lorsque Recep Tayyip Erdogan se rend sur le continent ». Interrogée à ce propos, Zeynep Harezi réplique : « Oui, nous prenons tous les risques. Et nous sommes capables de les absorber mieux que quiconque, car nos états financiers sont très solides. »

qui envisagent l’importation de gaz Comme la plupart des acteurs du naturel liquéfié, comme le Maroc ou marché, Karpowership n’a pas soul’Afrique du sud. Le royaume chérihaité nous communiquer le prix fien songe justement à diminuer les de vente de son électricité. D’après coûts de financement de son projet Zeynep Harezi, ses solutions sont pharaonique prévu à Jorf Lasfar (éva« systématiquement parmi les moins lué à 4,6 milliards de dollars) grâce chères dans chacun des marchés dans à Karpowership. « À terme, nous lesquels [il opère] ». La compagnie programmons de devenir une vraie déclare, par exemple, avoir permis compagnie Gas-to-Power, expose de réduire les coûts de l’électricité Zeynep Harezi, en convertisde près de 50 % au Ghana. sant toutes nos opérations D’après un tweet de au gaz et en dotant nos juin 2018 du directeur bateaux d’une unité de de la communication regazéification. Nous de la présidence de la allons nous concenSierra Leone, Tanu trer en particulier Jalloh, le prix pour C’est le manque à gagner sur les projets Gasalimenter Freetown moyen estimé de la nonto-Power de petite est de 16,4 cents de livraison d’électricité taille. Beaucoup de dollars le KWH avec en Afrique pays d’Afrique en ont Karpowership, contre besoin, et aucune com19,596 lorsque le fournispagnie n’est capable de seur était Aggreko. Un tarif répondre à ces besoins. C’est ce qui reste trois fois supérieur à marché dont nous voulons devenir celui de certaines nouvelles centrales, les leaders. » Mais pour y parvenir, notamment solaires, aujourd’hui à demeure ce fameux travail de convicl’œuvre en Afrique. tion. Selon Rebecca Major, associée Mais les Stambouliotes voient plus au cabinet d’avocats Herbert Smith loin. De nombreux pays cherchent Freehills: « Il va être intéressant d’obactuellement à ajouter du gaz à leur server comment les gouvernements mix énergétique afin de stabiliser leur vont juger cette offre politiquement. réseau et de pallier l’intermittence des Car elle leur paraît plus instable, plus énergies renouvelables: ceux qui distemporaire. Est-ce une partie de la posent de réserve de gaz, du Sénégal solution ou la solution complète? » au Mozambique, mais aussi ceux

3,5 DOLLARS PAR KWH

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

61


Économie

STRATÉGIE

Hydrocarbures Le sénégalais Locafrique s’offre la SAR AMADOU OURY DIALLO, à Dakar

35 ans, Khadim Bâ est sur le point de remporter son pari après plus d’un an de suspense. À la fin de juin, l’homme d’affaires devrait contrôler 51 % du tour de table (moyennant 70 millions d’euros) de la très stratégique Société africaine de raffinage (SAR). Le montant a déjà été mobilisé, selon le jeune patron, qui a d’ailleurs récemment rencontré Mouhamadou Makhtar Cissé, le nouveau ministre du Pétrole et de l’Énergie pour les derniers réglages du deal. Diplômé de HEC Montréal en management des hydrocarbures, Khadim Bâ s’est fait connaître en redynamisant la société Locafrique, spécialisée dans le crédit-bail agricole. En 2013, l’établissement financier, qui a obtenu son agrément en 1974, a noué un partenariat sur dix ans avec l’initiative Feed the Future, de l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid), afin de mobiliser près de 12 milliards de F CFA (plus de 18 millions d’euros) d’investissements au profit de producteurs, principalement dans la vallée du fleuve Sénégal. Depuis 2015, il participe également, à hauteur de 20 milliards de F CFA au financement des campagnes d’achat de graines de la Sonacos. En août 2017, Khadim Bâ est entré dans le capital du plus ancien raffineur d’Afrique de l’Ouest, créé en 1961, en rachetant 34 % du capital au saoudien Binladen Group, via sa filiale Petroleum, Chemicals & Mining Company (PCMC). Le reste de l’actionnariat se partage entre

À

62

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

Petrosen, Total et le conglomérat international Sahara Group. À l’en croire, tout s’est passé par le plus grand des hasards. « En 2017, alors que nous finalisions le financement de la campagne arachidière, j’ai appris que 34 % de la SAR étaient à vendre avec une option sur les 17 % détenus par Petrosen [bras armé de l’État dans le secteur pétrolier]. Je n’ai pas hésité une seconde », explique-t-il.

Des investissements estimés à 400 milliards de F CFA

Son entrée au tour de table de la raffinerie, implantée à Mbao, à 15 km au sud de Dakar, ne s’est toutefois pas faite sans heurts. Il s’attaque immédiatement aux problèmes de gouvernance et dénonce un contrat de 400 milliards de F CFA, signé sans appel d’offres, en août 2017, avec Oryx Energies, par Oumar Diop, l’ancien directeur général de la SAR, limogé depuis. « Aujourd’hui, toutes les tensions de trésorerie que nous connaissons sont dues à ces anciens contrats et au blocage des prix des produits pétroliers par le gouvernement. C’est dommage, mais nous sommes en train de passer à une nouvelle phase », répond-il, mi-résigné, mi-déterminé à mettre en œuvre son projet industriel.

DÈS SON ARRIVÉE, IL S’EST ATTAQUÉ AUX PROBLÈMES DE GOUVERNANCE ET A DÉNONCÉ UN CONTRAT INDÛMENT SIGNÉ.

YOURI LENQUETTE POUR JA

Entré dans le capital de la Société africaine de raffinage en 2017, Khadim Bâ, patron du spécialiste du crédit-bail, est aujourd’hui en passe d’en prendre le contrôle.

La raffinerie de pétrole de Mbao, à 15 km de Dakar, est la seule du pays.

À cause du choix de Dakar de subventionner les prix des produits pétroliers, l’entreprise traîne une dette d’environ 102 milliards de F CFA. Mais sa direction est en passe de finaliser un accord avec Afreximbank afin de restructurer cette créance, révèle Khadim Bâ, qui vante les avancées enregistrées en matière de gouvernance. L’entreprise dirigée par Serigne Mboup, ancien patron de Petrosen, passe désormais tous ses contrats d’approvisionnement suivant des appels d’offres internationaux. Seul héritage du passé en la matière, un contrat de quatre ans signé avec Itoc pour la fourniture de gaz que la direction essaie de résilier, car il implique, selon elle, un surcoût de 30 dollars par tonne (400000 tonnes métriques). Résultat, le dernier contrat a été remporté par Der Mond Oil and Gas, qui a fourni un crédit de 40 milliards de F CFA. Ce groupe implanté à Abou Dhabi a été fondé en 2016 par Khadidiatou Bâ, sœur de Khadim, passée par la société de services pétroliers Schlumberger. « Nous avons gagné environ 9 millions d’euros par rapport à l’ancien contrat qui nous liait à Addax », se félicite-t-il. Autre gros obstacle sur son chemin lors de son arrivée, le refus de l’ex-ministre sénégalais du Pétrole,


Mansour Elimane Kane, d’appliquer l’accord signé avec Locafrique prévoyant le transfert de 17 % des 45 % du capital du raffineur détenus par Petrosen. En cause, deux visions stratégiques antagonistes pour le futur de la SAR. L’ancien ministre souhaitait la construction immédiate d’une nouvelle raffinerie, quand le patron de Locafrique optait pour une extension de sa capacité de traitement (de 1,2 million à 2 millions de t par an), avant d’envisager une nouvelle infrastructure d’ici à sept ans. Aux yeux de Khadim Bâ, il est impératif que la SAR se modernise afin de

pouvoir jouer pleinement son rôle dans un Sénégal bientôt producteur de pétrole et de gaz. Elle devra raffiner les premiers barils de brut qui seront extraits de l’offshore du pays, à Sangomar, d’ici à 2022. Mais cela implique des investissements qui, seuls, pourront pérenniser l’outil. Ces derniers, estimés à 400 milliards de F CFA, permettront de finaliser la transformation de la raffinerie, qui réalise un chiffre d’affaires annuel de près de 1 000 milliards de F CFA, mais une perte de 1 milliard de F CFA en 2019, selon les prévisions. Ce montant sera financé à hauteur de 20 %

par Locafrique, le reste par ses partenaires bancaires et par le Fonds de sécurisation des importations de produits pétroliers (FSIPP), compte tenu de la mission de service public jouée par la SAR, selon Serigne Mboup. Le top management de la raffinerie suit de très près le projet Gas-toPower de la Senelec, qui cherche à mettre au gaz la plupart de ses centrales électriques. Premier client de la SAR, l’énergéticien public représente environ 200 milliards de F CFA du chiffre d’affaires annuel de cette dernière. « Stratégiquement, il faut que nous participions à ces investissements-là. Nous ne pouvons plus rester uniquement dans l’importation et le raffinage, dont les marges sont minimes », martèle Khadim Bâ. « Ce n’est pas un trader, il a une vraie vision industrielle de la pérennité de l’outil », juge Samuel Sarr, ancien directeur général de la Senelec et ministre de l’Énergie d’Abdoulaye Wade, aujourd’hui administrateur de Locafrique auprès de la SAR. Autre ambition du chef d’entreprise: travailler avec les banques locales et les pousser à participer davantage au financement de l’économie. Par exemple, au cours des huit derniers mois, il s’est associé avec la Banque nationale de développement économique pour financer, à hauteur de 85 milliards de F CFA, ses importations de fioul. Des partenariats de ce type sont en train d’être noués avec Coris Bank et UBA Sénégal.

YOURI LENQUETTE POUR JA

KHADIM BÂ, SEUL AUX COMMANDES Acquis en 2011 par Carrefour Automobiles afin de proposer des solutions de financement aux acheteurs de ses véhicules, Locafrique est aujourd’hui totalement séparé de l’entreprise fondée par Amadou Bâ. Ce dernier, dont la société connaît des difficultés, goûte d’ailleurs peu l’émancipation de son fils Khadim, directeur

général du spécialiste du crédit-bail. Les deux hommes sont en conflit depuis 2017 et ont porté leur différend devant la justice. « Locafrique est mon projet de A à Z », insiste Khadim Bâ. Au départ financée par les banques locales, l’entreprise, très active dans le monde agricole s’est tournée pour se développer

vers les banques internationales et de développement. Elle affiche en 2018 un bilan de 136 milliards de F CFA (207 millions d’euros) et dispose d’une cinquantaine d’agences au Sénégal. L’entreprise est par ailleurs actionnaire d’Afreximbank pour une valeur de 2 millions d’euros, selon son patron. JULIEN CLÉMENÇOT

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

63


Économie STRATÉGIE

AFFAIRES DÉCLASSÉES Retour sur les sujets traités dans Jeune Afrique MOBILE MONEY Inwi ouvre le bal au Maroc

ERANOVE

Durant le MPay Forum de Casablanca, à la mi-juin, Wana Corporate (Inwi) a annoncé le lancement d’ici à quelques semaines de son offre de paiement mobile. Le numéro trois marocain (22 % du marché), que dirige depuis 2015 Nadia Fassi Fehri, deviendra ainsi le premier opérateur de télécoms du royaume à franchir le pas (JA no 2997), dans les pas des acteurs du secteur bancaire tels que BCP et BMCE Bank of Africa ou, plus récemment, Al Barid Bank. Le français Orange, qui contrôle le numéro deux du marché, Médi Télécom (35 %), a lancé en avril Orange Money Maroc. Ce dernier doit encore obtenir son agrément auprès du régulateur. Le leader historique Maroc Telecom (43 %) n’a toujours pas annoncé son offre de m-wallet. La fourniture de solutions de paiement mobile dans le royaume a été autorisée en novembre 2018 par Bank AlMaghrib, la banque centrale, et par l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT), en partenariat avec le spécialiste marocain des services informatiques financiers HPS, fondé et dirigé par Mohamed Horani.

64

SÉNÉGAL Le conflit SDE-Suez devant la Cour suprême La Sénégalaise des eaux (SDE) Concessionnaire de ce contrat a annoncé, le 17 juin, qu’elle depuis 1996, la SDE estime allait saisir la plus haute avoir fait l’offre financière la instance judiciaire du pays. La « moins-disante », face aux filiale du français Eranove français Suez et Veolia. En conteste l’attribution à Suez, en février, l’appel de la SDE devant octobre 2018, du marché de la le Comité de règlement des distribution d’eau dans le pays, différends de l’Autorité de remis en concurrence l’an régulation des marchés publics dernier (JA no 2997). (ARMP) contre la victoire (temporaire) de Suez avait été validé, entraînant un nouvel examen des offres. Finalement, le contrat a été à nouveau attribué à Suez en avril. Un nouvel appel devant l’ARMP a été déclaré infructueux, à la fin de mai, d’où le recours annoncé devant la Cour suprême. jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

MAROC Fin de la lune de miel avec Acwa Power Après avoir remporté, depuis 2010, les appels d’offres des projets électriques Noor I, Noor II, Noor III et Noor IV (JA no 2998), Acwa Power vient de perdre celui de Noor Midelt dans des conditions étonnantes. Dernier candidat en lice aux côtés d’EDF Renouvelables, le groupe saoudien n’a finalement pas été retenu, alors que deux centrales étaient initialement prévues pour deux développeurs différents. En cause, le prix du kilowattheure proposé, trop élevé pour l’opérateur public Masen, et les retards importants dans la livraison de Noor III. Mais, selon certaines sources, des raisons politiques sont également venues ternir la belle entente passée. Depuis la mi-2017, les motifs de conflit entre Rabat et Riyad se sont multipliés: du blocus du Qatar à l’attribution aux États-Unis de la Coupe du monde 2026 en passant par la guerre au Yémen.


HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL

NIGERIA Un eldorado à conquérir coûte ût que coûte

HORS-SÉRIE NO 50

PALMARÈS AGRO-INDUSTRIE L’ivoirien Sifca met le cap sur l’aval

ÉNERGIE Comment Elsewedy est devenu un géant des câbles électriques

MANAGERS Ces pionniers de d la transformattion numérique

2019

20e édition

Hors-série n° 50 156 pages

De g. à dr., Ahmed El Sewedy, Elsewedy Electric ; Pierre Billon, Sifca ; Rob Shuter, MTN ; Mostafa Terrab, OCP ; Youssef Omaïs, Patisen ; Bella Disu, Globacom.

LES

premières entreprises africaines France 6 € Algérie 360 DA Allemagne 8 € Autriche 8 € Belgique 7 € Canada 11,99 $ CAN DOM 8 € Éthiopie 95 birrs Italie 8 € Maroc 45 DH Mauritanie 1 800 MRO Norvège 75 NOK Portugal 8 € Suisse 14 FS Tunisie 6,50 DT Zone CFA 3 200 F CFA ISSN 1959-1683

. . .

. . .

20e ÉDITION Palmarès exclusif 2019 .

Suisse 14 FS Tunisie 6,50 DT Zone CFA 3 200 F CFA ISSN 1959-1683

. .

.

.

Éthiopie 95 birrs Italie 8 € Maroc 45 DH Mauritanie 1 800 MRO Norvège 75 NOK Poortugal 8 €

.

.

.

France 6 € Algérie 360 DA Allemagne 8 € Autriche 8 € Belgique 7 € Canada 11,99 $ CAAN DOM 8 €

R Ret t to o ou u ure e en n f o r c e EN NV VENTE ENTE D DÈS ÈS M MAINTENANT MAIN MAINT AIN ÉDITION GÉNÉRALE

Ils symbbollisentt le dynamiisme rettrouvéé du sectteur financiier affri ricaiin. Une embbelllie durabble ? ont été au cœur de deux des plus grosses opérattions de l’année. L capiital-i Le i invest i tisseur ti i S Sofiane L Lahma ar et ar et l’assureur Jean Kacou Diagou

CHEZ VOTRE MARCHA AND DE JOURNAUX ET EN ÉDITION N DIGITALE www.jeuneafrique.com


Économie

DÉBATS

Interview Carlos Lopes, économiste

« Il n’y a plus de tolérance pour l’inefficacité »

Démocratie, respect de la diversité, industrialisation, relations avec la Chine… Le BissaoGuinéen analyse les défis que l’Afrique doit relever pour accélérer son développement. Propos recueillis par JULIEN CLÉMENÇOT

Vous dites que l’Afrique peut tolérer un peu d’autoritarisme, mais pas l’inefficacité. C’est le sens des soulèvements au Soudan et en Algérie ?

rofesseur à l’université du Cap, Carlos Lopes est l’un des économistes vedettes du continent. Ancien secrétaire général de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, il conseille aujourd’hui plusieurs États, comme le Rwanda et le Togo, et institutions, telles la BAD ou l’UA. Dans son dernier ouvrage, Africa in Transformation : Economic Development in the Age of Doubt, il livre un plaidoyer en faveur de l’industrialisation des économies comme pivot de leur transformation structurelle en dénonçant les États rentiers. DAVIDE BELLUCCA

P

Jeune Afrique : Le développement peut-il exister sans la démocratie ? Carlos Lopes : Le débat est ouvert

en Afrique. D’une manière un peu provocante, on peut le résumer avec la formule suivante : faut-il une démocratisation de l’Afrique ou une africanisation de la démocratie ? Africaniser la démocratie signifie permettre aux États de ne pas seulement copier un modèle mais de participer à ce débat très dynamique. Le point crucial est le respect des diversités, c’est-à-dire la sauvegarde des intérêts des minorités et des populations non représentées. De mon point de vue, cela définit plus que toute autre dimension la qualité d’une démocratie. Un pays peut avoir des institutions qui en matière de procédures électorales ou d’accès à l’information ne correspondent pas aux standards occidentaux, mais si elles assurent une bonne intégration des diversités, je donne une note positive au pays.

66

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

SANS SYSTÈME INCLUSIF, ON NE PEUT PAS OBTENIR DE TRANSFORMATION STRUCTURELLE DES ÉCONOMIES. Pour quelle raison ?

Le respect de la diversité est la condition sine qua non à l’inclusion. Quand cette question n’est pas réglée, elle polarise l’attention, aboutit à des conflits et fait donc peser des menaces sur l’établissement d’un système démocratique. Et vous ne pouvez pas obtenir de transformation structurelle des économies sans un système inclusif et démocratique.

Effectivement. Je pense qu’en raison de la transition démographique il n’y a plus de tolérance pour l’inefficacité, pour un État rentier qui ne viserait pas la transformation structurelle de son économie, mais aussi l’épanouissement des nouvelles générations. On peut tolérer un peu d’autoritarisme – je ne le défends pas – mais, encore une fois, si on ne respecte pas la diversité, même si on a de la croissance et une transformation structurelle, cela risque d’être remis en question par des conflits ethniques inacceptables. L’Éthiopie connaissait une croissance soutenue – tous les observateurs faisaient l’éloge de sa politique –, mais la machine s’est grippée à cause de l’absence d’intégration de la diversité. L’arrivée au pouvoir du Premier ministre Abiy Ahmed en 2018 montre que le régime éthiopien l’a compris. C’est ce qui se passe au Bénin, dont le FMI apprécie les réformes, mais qui fait face à de fortes tensions internes entre le pouvoir et les partisans de l’ex-président Thomas Boni Yayi.

Tout à fait. Des pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Ghana peuvent connaître ces problèmes parce qu’existe cette difficulté à assimiler la diversité dans les instances du pouvoir. Le recul du multilatéralisme observé depuis quelques années peut-il jouer en faveur des pays africains ?

En apparence car les États auront des interlocuteurs avec des intérêts


différents. Mais le retour du bilatéralisme va entraîner une guerre de juridiction. L’extraterritorialité des législations est très dangereuse. Elle permet, par exemple, aux États-Unis d’infliger une amende à BNP Paribas parce que cette banque travaille au Soudan et de priver ce pays d’un accès aux relations bancaires internationales. C’est d’autant plus négatif que Washington considère l’Afrique sous deux aspects: la sécurité et la compétition avec la Chine. On risque une nouvelle version de la guerre froide dans laquelle les pays devront s’aligner sur les intérêts de l’un ou de l’autre. Selon vous, c’est la relation de l’Afrique avec la Chine qui définira la place que va occuper le continent dans le monde ?

Oui. Et pour y parvenir, les États africains doivent mieux connaître l’importance du continent pour la Chine. Qui, par certains aspects, est relativement modeste : environ 4 % des investissements chinois à l’étranger. Mais en matière d’intérêt politique et d’opportunités futures, c’est d’une importance majeure. La Chine est par ailleurs un partenaire qui a des difficultés à améliorer sa réputation. Cette dimension à ce stade est centrale. Cela donne aux pays africains beaucoup de pouvoir pour mieux négocier. En Algérie, au Maroc, en Éthiopie, à Djibouti, vous ne voyez pas de petites entreprises chinoises concurrencer les Africains parce que l’État a su porter sa relation avec la Chine à un niveau stratégique. Vous insistez sur l’importance de l’industrialisation. Pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps pour en faire un point cardinal du développement du continent ?

Presque toutes les expériences d’industrialisation des années 1970 ont échoué et contribué à faire exploser l’endettement des États, même en Afrique du Nord. Ensuite, les institutions internationales ont estimé que l’Afrique avait raté le train, que ce soit pour mettre en place un

LE CONTINENT RISQUE D’ÊTRE LE THÉÂTRE D’UNE GUERRE FROIDE NEWLOOK ENTRE PÉKIN ET WASHINGTON. modèle de substitution aux importations ou pour créer une industrie tournée vers l’exportation. Le travail de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique et celui de l’UA, avec la promulgation de l’agenda 2063, ont permis d’inverser la tendance. Les spécialistes du développement ont-ils reconsidéré leur approche ?

Cela évolue lentement. Ils préfèrent encore insister sur la diversification des économies. Quand on parle de politique industrielle, on donne un rôle beaucoup plus grand à l’État. Il faut protéger des industries naissantes, réformer l’administration pour les accompagner, organiser des chaînes de valeur en créant des liens avec la production locale. Depuis quelques années, les décideurs africains sont, eux, de plus en plus convaincus de cette démarche. Ils veulent imiter le Maroc, le Rwanda, Maurice ou l’Éthiopie. L’opinion commence à comprendre qu’amener un pays à l’ère industrielle c’est plus que protéger des usines.

sur le pétrole. La transition démographique concentre des gens dans les villes et fait d’eux des consommateurs. Ce sont d’énormes opportunités, y compris dans les pays où l’on pense que les conditions ne sont pas favorables. Seulement 9 % de l’agriculture africaine est irriguée. Il y a beaucoup d’endroits dans le monde où cela permet d’atteindre des productivités inimaginables sur le continent. Vous êtes relativement critique concernant l’aide au développement. L’Afrique pourrait-elle s’en passer ?

Je n’y suis pas opposé, même si en effet l’Afrique pourrait s’en passer. Il suffirait d’augmenter la pression fiscale de 1 point, de 17 % à 18 %, pour collecter plus d’argent. Mais cette aide a un rôle qui va au-delà des financements, dans l’apport de connaissances, de méthodologies. L’aide devrait être centrée sur l’amélioration de la qualité de la gestion. Appliqué à la politique fiscale, cela aurait un effet multiplicateur gigantesque. Dans votre livre, vous plaidez pour un nouveau contrat social entre les pays jeunes et les pays vieillissants?

C’est une façon d’aborder le débat sur l’immigration. La transition démographique en Afrique est un cas unique dans l’humanité au moment où beaucoup de pays dans les autres régions du monde voient leur population vieillir. Je plaide pour faire de la jeunesse du continent un bien public global plutôt que de la considérer comme un problème Avec quelle approche ? En Africa in africain. Quant aux misant sur les matières Transformation, populistes européens premières ? Economic Development qui craignent l’arrivée À mon avis, l’entrée in the Age of Doubt massive d’Africains, il la plus simple dans une Palgrave Macmillan suffit de leur opposer les industrialisation accélé164 pages statistiques : seulement rée, c’est l’agrobusiness. 6 % des migrants venant Y compris dans des pays du continent arrivent illégalement. pétroliers. L’avenir de l’Angola et du Ce n’est pas insurmontable, metNigeria repose davantage sur l’intons-nous au travail des deux côtés. dustrialisation de l’agriculture que

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

67


Littérature/Tendance/Gastronomie/Musique Autoportraits de la militante LGBT sud-africaine Zanele Muholi, à l’Arsenal.

NICOLAS MICHEL POUR JA

Arts plastiques

Venise l’Afr


Avec de nouveaux pavillons nationaux et une grande visibilité dans les expositions internationales, le continent est présent en force à la plus importante biennale d’art contemporain. Et impose ses thématiques. NICOLAS MICHEL, envoyé spécial à Venise

U « May You Live in Interesting Times », à Venise, du 11 mai au 24 novembre 2019

icaine

ne bonne biennale de Venise ne saurait exister sans un suave parfum de scandale titillant les narines des amateurs d’art attablés devant leur spritz, quelque part entre l’Arsenal et les Giardini, à l’extrémité est de la cité des doges. Cette année n’échappe pas à la règle, et c’est l’installation Barca Nostra, de l’artiste suisso-islandais Christoph Büchel, qui a cette fois suscité les hauts cris. L’œuvre? La carcasse rouillée d’un gros bateau de pêche – 50 tonnes, près de 23 mètres de long – installée sur le quai de l’Arsenal, juste à côté de la buvette où les visiteurs de la 58e biennale d’art contemporain, titrée « May You Live in Interesting Times », se rafraîchissent au sortir des salles d’exposition. Mais cette barque n’est pas n’importe quelle barque: le 18 avril 2015, dans le détroit de Sicile, elle a chaviré avec les 700 à 1 000 migrants subsahariens qu’elle transportait depuis les côtes libyennes vers l’Europe. Seuls 28 d’entre eux purent être sauvés lors de ce drame, l’un des pires de ces dernières années en Méditerranée… Cosa Nostra, Mare Nostrum, provocation gratuite ou engagement fort d’un artiste qui avait déjà installé une mosquée dans une ancienne église vénitienne, à chacun d’en juger. Mais quel que soit le point de vue adopté sur les œuvres du grand raout de l’art contemporain, celui-ci mérite le détour : d’abord parce que Venise demeure une ville sublime, ensuite parce que depuis la cuvée 2015 concoctée par le commissaire d’exposition nigérian Okwui Enwezor, décédé cette année, les plasticiens du continent y sont de mieux en mieux représentés. Fini les polémiques autour d’un « pavillon africain » que le Camerounais


Barthélémy Toguo avait qualifié de « ghetto » en 2007, les œuvres des artistes africains sont nombreuses au sein de l’exposition internationale, et les pavillons nationaux se multiplient (Madagascar, Mozambique, Côte d’Ivoire, Zimbabwe, Seychelles, Ghana, Afrique du Sud…), avec plus ou moins de réussite. Voici notre sélection, à voir jusqu’au 24 novembre 2019.

Le pavillon du Ghana

Avec un pavillon signé de l’architecte star Sir David Adjaye, un conseiller stratégique nommé Okwui Enwezor et un commissariat assuré par l’écrivaine, historienne de l’art et réalisatrice Nana Oforiatta Ayim, le Ghana montre qu’il ne prend pas l’art contemporain à la légère. D’ailleurs, le pays aligne trois de ses artistes les plus célèbres pour ce grand rendez-vous. Lion d’or d’honneur de la Biennale en 2015, El Anatsui est aujourd’hui, à 75 ans, l’un des artistes les plus cotés du continent. Ses œuvres, d’immenses draperies de métal constituées de bouchons pliés et reliés entre eux par des fils de cuivre, suscitent même d’innombrables imitations. À Venise, il présente trois réalisations monumentales qui le montrent au sommet de son art: Yaw Berko,

NICOLAS MICHEL POUR JA

Arts plastiques

Les œuvres de la Nigériane Njideka Akunyili Crosby mêlent peinture, collages et transferts de photos.

Nocturnes, un triptyque filmé presque aussi puissant que Vertigo Sea, qu’il avait présenté à la biennale de Venise de 2015. En mêlant sur trois écrans des images d’archives, de nature et des éléments d’une fiction relative aux migrations, le réalisateur propulse le spectateur dans la chair palpitante du monde, au point de lui en faire ressentir physiquement toute la beauté, mais aussi toute la violence. L’exposition de ce premier pavillon national à Venise, inauguré par la première dame, Rebecca AkufoAddo, a pour titre Ghana Freedom, en référence à la chanson d’E.T. Mensah. Accueillant aussi les artistes Felicia Abban, Lynette Yiadom-Boakye et Selasi Awusi Sosu, les salles de forme elliptique aux murs crépis de terre ghanéenne rappellent les habitats traditionnels d’Afrique de l’Ouest. Une belle réussite, dont devraient sans doute s’inspirer la Côte d’Ivoire ou l’Égypte, qui, malgré la richesse de leur patrimoine artistique passé comme contemporain, n’ont pas offert cette année à leurs artistes des pavillons dignes d’eux.

Opening of Time et Earth Shedding Its Skin. D’un beau jaune, cette dernière évoque les ravages causés par la recherche effrénée de l’or dans un pays qui s’appelait autrefois la Côte de l’or (« Gold Coast »). Non loin de là, avec A Straight Line Through the Carcass of History, Ibrahim Mahama a bâti une sorte de bunker avec des cages grillagées servant habituellement à fumer du poisson, où il a placé des cahiers d’écoliers ou des cartes: une manière très personnelle et sensuelle de raconter l’histoire d’un pays qui fut l’un des premiers à obtenir son indépendance. Autre star de l’art contemporain, John Akomfrah propose, lui, avec Four

ANTONIO CALANNI/AP/SIPA

Nana Oforiatta Ayim, commissaire du pavillon ghanéen, devant Earth Shedding Its Skin, d’El Anatsui.

70

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

May You Live in Interesting Times Sous le commissariat de Ralph Rugoff, la 58e exposition internationale d’art fait la part belle aux artistes africains et à ceux


NICOLAS MICHEL POUR JA

Jovian Swirl, de la Zimbabwéenne Kudzanai-Violet Hwami.

de la diaspora, sans insister spécifiquement sur leur origine géographique: les œuvres sont présentées d’abord pour leurs qualités plastiques et intellectuelles. Dès l’entrée, de grands autoportraits de l’artiste sud-africaine Zanele Muholi accueillent le visiteur. Déjà présenté aux rencontres de la photo d’Arles, le travail engagé de cette militante de la cause LGBT donne le ton d’une exposition ouverte et généreuse. Parmi les valeurs sûres et reconnues de l’art contemporain africain, l’Éthiopienne Julie Mehretu, le Sud-Africain Kemang Wa Lehulere, la Nigériane Otobong Nkanga, l’Africain-Américain Henry Taylor ou le Franco-Algérien Neïl Beloufa. Le parcours, riche, permet de comprendre que la peinture est loin d’être un mode d’expression dépassé. Avec ses toiles suturées et saturées de couleurs, le Kényan

Michael Armitage livre de vastes compositions inspirées de l’histoire, récente ou plus ancienne, de son pays. Réalisées sur du lubugo, une écorce utilisée comme tissu en Ouganda, ses œuvres lyriques rejouent des scènes mouvementées où la violence sourd tout en revêtant une dimension carnavalesque et fantasmagorique. Avec une palette à la Gauguin, l’artiste redonne chair et vie à la campagne électorale de 2017: loin du flux de pixels de l’imagerie sur écran, la violence redevient paradoxalement réelle une fois peinte à l’huile. Si les nouvelles œuvres de Julie Mehretu peinent à convaincre, le travail de la Nigériane Njideka Akunyili Crosby, 36 ans, montre à la fois une grande maturité et une virtuosité technique remarquable. Mêlant peinture, collages, transferts de photos, cette admiratrice

de la Kényane Wangechi Mutu traduit avec subtilité son expérience de Nigériane vivant aux États-Unis. Ses portraits épurés, presque monochromes, tranchent avec la riche texture de ses grands tableaux, mais restent empreints de tendre nostalgie. Un portrait de femme noire, entre Kerry James Marshall et réminiscences de Johannes Vermeer, prouve que Crosby sait saisir l’âme sous la peau. La question de la représentation du corps féminin noir est aussi au cœur du travail de la Norvégienne Frida Orupabo. À travers ses montages vidéo et ses découpages-collages, la jeune femme interroge la sexualité, le colonialisme, et plus généralement la manière dont les femmes noires sont regardées, photographiées, représentées. Les questions liées au racisme et à la place des Noirs dans la société représentent de fait un axe essentiel de cette biennale. Deux artistes américains abordent le sujet frontalement, en vidéo: Kahlil Joseph, avec sa « chaîne d’informations noires » BLKNWS (pour « Black News »), et surtout Arthur Jafa et son dérangeant White Album. Un film qui explore la question raciale aux États-Unis, jouant de toute la gamme des nuances, entre amour et violence extrême. Une œuvre qui lui a valu de remporter le Lion d’or de cette édition.

Le pavillon malgache

Comme le Ghana, mais dans un registre totalement différent, Madagascar s’est offert cette année son premier pavillon national. Ou, pour être plus précis, c’est l’artiste Joël Andrianomearisoa qui l’a offert à son pays natal. « Le ministre de la Culture m’a dit tout de suite: « Oui, et ce sera avec vous », raconte l’intéressé. Le problème, c’est que la biennale n’y croyait pas et que je me suis retrouvé à argumenter pour porter un projet politique, administratif, juridique, financier, et finalement artistique! » Même s’il assure qu’il ne le fera

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

71


Arts plastiques

pavillon des Kiribati, dans le même bâtiment, où une fenêtre ouverte sous les eaux évoque un autre tsunami: celui qui noiera ces petites îles du Pacifique si rien ne vient enrayer le réchauffement climatique.

Pavillon du Mozambique. Sculptures de Gonçalo Mabunda et portraits de Filipe Branquinho.

pas une seconde fois, l’artiste a eu le dessus et réussi à imposer sa vision, très personnelle, qui ne cède en rien à l’exotique ou au touristique. « J’ai toujours dit que je resterais moi-même, affirme-t-il. Je n’allais pas représenter Madagascar à travers ses clichés. Voilà : Madagascar, j’allais l’oublier pour mieux la raconter. » Proche de la Revue noire, habitué des circuits artistiques internationaux depuis Africa Remix, Joël Andrianomearisoa est connu pour un travail sensible jouant du noir et du blanc pour « matérialiser les émotions ». Avec I Have Forgotten The Night, l’œuvre unique qui occupe tout le pavillon malgache sans en toucher les murs, le plasticien invite le visiteur à l’intérieur d’une installation de 50000 feuilles de papier de soie exprimant d’infinies nuances de noir. « Je ne donne jamais de réponses, je ne donne jamais d’indications claires », précise-t-il. Mais dans ces nuances froissées suspendues au plafond, chacun trouvera ses propres réponses. Certains y verront l’architecture malgache en bois brûlé du rova d’Ilafy, garçonnière du roi Radama II, d’autres un immense livre s’effeuillant dans la brise, ou bien la nuit sans électricité de Tana, ou encore la mélancolie malgache… Mais

72

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

ce qui restera, sans doute, c’est ce jeu entre l’ombre et la lumière, le passage du crépuscule à la nuit et de l’aube au jour.

Le European Cultural Center

Passer par le Palazzo Mora, dans le Cannaregio, permet de visiter plusieurs expositions en une, dans l’un des quartiers les plus sympathiques de la ville. « Personal Structures – Identities », proposée par le European Cultural Center, rassemble des artistes divers qu’on ne cherchera pas à relier artificiellement. Mais le Palazzo accueille aussi le pavillon du Mozambique, où l’on peut voir des œuvres de l’incontournable Gonçalo Mabunda, qui s’est fait connaître avec des sculptures métalliques faites d’armes recyclées. Plus surprenants, les portraits réalisés par Filipe Branquinho, qui, en mêlant dessins et photographies, propose une vision grinçante de la société mozambicaine. Un peu plus haut dans les étages, le pavillon des Seychelles dévoile un dialogue entre les artistes George Camille et Daniel Dodin sous le titre Drift. Le premier, notamment, emporte le visiteur avec un tsunami de signes gaufrés dans de vastes rouleaux de papier à aquarelle… Poétique, l’installation fait écho à celle du

NICOLAS MICHEL POUR JA

Le pavillon du Zimbabwe

Le pavillon du Zimbabwe est une petite gourmandise qu’il convient de ne pas négliger. Il est en effet possible d’y admirer le travail de deux femmes: Georgina Maxim et Kudzanai-Violet Hwami, nées respectivement en 1980 et 1993. Les broderies de la première sont le fruit d’un long et patient travail de couture à partir de vêtements déjà portés, déconstruits et reconstitués de manière à évoquer l’histoire de celle qui les a portés. Hwami, quant à elle, utilise des photos glanées sur internet pour construire des images où le corps noir reste central, cherchant dans la peinture un certain empâtement (« impasto ») et un contraste avec des couleurs vives. Ses trois grands tableaux, Hole in Heaven, Jovian Swirl et By The Fruits You Will Know Them lient présent et passé et démontrent, si besoin était, que la peinture a toujours quelque chose à dire à propos des images. Star montante, Kudzanai-Violet Hwami sera exposée du 19 septembre au 15 décembre à Gaswoks (Londres).

PAUSE GOURMANDE Il serait bien dommage d’aller à Venise sans goûter à ses spécialités culinaires. Entre l’Arsenal et les Giardini, le restaurant Nevodi, au numéro 1788 de la via Giuseppe-Garibaldi, est l’endroit parfait pour cela. Il est conseillé de réserver! +39 041 241 1136


Littérature

Fantasy nigériane

presque 600, mais l’on peut tout de même dire qu’il s’agit de la quête d’une jeune fille dont la mère a été assassinée par les gardes de l’implacable roi Saran, seigneur et maître de la terre d’Orïsha. Et cette quête devient, au fond, celle de tous ceux qui étaient autrefois capables de magie, désormais qualifiés de « cafards » par le pouvoir en place. Leur puissance était en effet telle que le souverain a tout fait pour l’éradiquer, notamment en exterminant les adultes des dix « clans Maji » d’Orïsha… Zélie, accompagnée de sa fidèle lionaire (une sorte de lion à cornes), de son frère Tzain et de la propre fille de Saran, Amari, parviendra-telle à récupérer ses pouvoirs et à ressusciter la magie? Ou trouvera-t-elle sur son chemin tous les sbires de Saran, montés sur leurs léopardaires des neiges, et Inan, son fils… son si beau fils ?

De sang et de rage, de Tomi Adeyemi, donne une heroïne africaine à un genre prisé des adolescents et ignoré jusquelà par les auteurs du continent.

C

hildren of Blood and Bone: avant même sa sortie américaine, le premier livre de la Nigériane Tomi Adeyemi faisait déjà parler de lui. En février 2018, une tenture géante reprenant la couverture du roman, à paraître en mars, recouvrait la façade du musée de cire de Madame Tussauds, sur le Walk of Fame de Hollywood. Aspirant à la célébrité, un visage de femme noire coupé au niveau du nez y arborait une incandescente chevelure blanche. Les mieux informés dans le monde de l’édition pouvaient lui donner un nom: Zélie Adebola, première héroïne à la peau ébène d’un cycle de heroic fantasy. Une Hermione Granger africaine – comme le soulignaient nombre de journalistes, en référence à la série à succès des Harry Potter. Déjà, les rumeurs allaient bon train : Zélie Adebola était née, en l’espace d’un mois, de l’imagination enfiévrée d’une jeune femme de 23 ans. Le manuscrit de ses aventures s’était vendu pour une somme « à sept chiffres » à la maison d’édition Henry Holt Books for Young Readers. Un accord était en cours pour l’adaptation cinématographique. Mieux encore, la jeune auteure avait créé son monde et ses personnages en réaction au mouvement Black Lives Matter et en opposition à des posts racistes, sur les réseaux

De sang et de rage, de Tomi Adeyemi, traduit de l’anglais par Sophie Lamotte d’Argy, Nathan, 560 pages, 19 euros

sociaux, à propos d’une scène du film Hunger Games, où une petite fille noire est sauvagement assassinée. Lors d’une interview accordée à Vulture en février 2018, avant la sortie de son livre, Tomi Adeyemi répondait ainsi à ces internautes : « Je vais faire quelque chose d’aussi bon que Hunger games, tous les personnages seront noirs et vous allez devoir aimer cette chose avec tout plein de Noirs! » Depuis, le livre a été publié, puis traduit en français par les éditions Nathan sous le titre De sang et de rage. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’en manque pas. Il serait bien vain de résumer en une page un roman qui en compte

Surmonter la colère

L’auteure a été inspirée par le mouvement Black Lives Matter.

RONKE CHAMPION/EDITIONS NATHAN

NICOLAS MICHEL

Impossible de ne pas se laisser emporter par une intrigue menée bon train, même si l’écriture est parfois poussive et répétitive. Quant à la violence et à l’amour qui suintent de chaque page, ils viennent nous rappeler que la romancière africaine-américaine vit bien dans l’Amérique d’aujourd’hui, et que ce n’est pas toujours beau à voir. « Lorsque j’ai écrit De sang et de rage, je regardais constamment le journal télévisé, écrit-elle dans sa postface. On y voyait des hommes, des femmes et des enfants noirs se faire tirer dessus par la police alors qu’eux-mêmes étaient désarmés. Écrire ce roman a été pour moi la seule façon de surmonter la peur, la colère et l’impuissance qui m’accablaient. »

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

73


Tendance

Jugées souvent trop grasses et sucrées, les gourmandises orientales ont parfois mauvaise presse. À Paris, plusieurs enseignes veulent inverser la tendance en allégeant les recettes. EVA SAUPHIE

E

n marge des établissements historiques comme La Bague de Kenza et La Rose de Tunis fleurissent à Paris des boutiques de pâtisseries orientales au positionnement innovant. Certains chefs ont en effet jugé bon de rééquilibrer les recettes traditionnelles du Maghreb et du Moyen-Orient. Fini les amandes, les dattes ou les graines de sésame noyées dans le miel et le glucose. Place à des douceurs allégées en saccharose, végans, sans gluten, sans arômes artificiels… Mais peut-on mettre ces mignardises à la diète sans faire l’impasse sur la gourmandise ? JA a testé ces adresses parisiennes.

Diamande

« Le sucre est le liant qui fait tenir l’ensemble de la préparation », rappelle Boucherit Fayçal, cofondateur de ce petit, mais non moins soigné, salon de thé installé depuis 2011 près de la place de la Bastille. Mais, chez Diamande, il est remisé au second plan! Pour la dziriette, « la plus sucrée des pâtisseries les moins sucrées de l’enseigne », s’amuse le patron, le chef a réduit la dose de 200 g. « Pour cette recette proche du macaron, on met habituellement 500 g de sucre pour 500 g d’amandes », précise-t-il. Un ajustement qui permet de mieux révéler les saveurs. Ces petits bijoux

74

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

algériens à base d’amandes d’exception, achetées chez un fournisseur tenu secret, sont réalisés sur place. Parmi la cinquantaine de créations différentes, 10 % sont sans gluten. D’autres sont même véganes. « Travailler sans beurre, ni œufs, ni farine nous permet d’obtenir un jeu de textures intéressant », explique le gérant. Pari réussi. Aux côtés des signatures créatives (épicées, florales…), le classique cigare dévoile une fine feuille de brik croustillante et une farce fondante équilibrée. Diamande, c’est aussi le respect des saisons, le fruit (purée de banane fraîche, dattes, abricots…) étant l’ingrédient star de la maison. Des gammes gustatives bien accordées à des prix très doux (comptez 1,30 euro la pâtisserie). 4, rue Sedaine, 75011 Paris

Parmi la cinquantaine de créations de Diamande, des gâteaux végans et sans gluten.

Maison gazelle

Est-ce une parfumerie de luxe? Le doute plane une fois franchi le seuil de ce salon de thé inauguré à la mi-mai, en plein ramadan. Comme son nom l’indique, le concept de la Maison gazelle tourne autour d'un seul produit, la fameuse pâtisserie marocaine en forme de petit croissant. Situé dans le quartier bobo de Charonne, l’établissement promet un voyage sensoriel. Et ce avant même la dégustation, avec un rituel quasi cosmétique consistant à se rafraîchir les mains avec de l’eau de fleur d’oranger. La « collection » de cornes de gazelle à déguster en plusieurs temps fait son entrée sur un plateau or et blanc, escorté d’un service à thé au design contemporain. Venir à bout de cinq pâtisseries orientales sans frôler l’hyper­ glycémie est désormais chose aisée! D’une délicatesse extrême, ces douceurs à l’amande et à la fleur d’oranger, à la rose saupoudrée de pétales, au citron, aux graines de sésame torréfiées ou au cacao et à la bergamote ont été travaillées avec un taux de

DR

Pâtisseries « healthy »


DR

sucre et de beurre divisé par deux, voire trois. « Nous utilisons trois variétés d’amandes issues du Rif, au nord du Maroc, du Haut Atlas et du Moyen Atlas. Ce sont des produits naturellement gras, on n’a donc pas besoin d’en rajouter », confie la fondatrice, Sara Boukhaled, qui collabore en tant que traiteur avec des restaurants étoilés et des palaces comme le Spoon, d’Alain Ducasse, et le Shirvan. La jeune femme de 26 ans, originaire de Casablanca et d’Agadir, sait de quoi elle parle: elle a été consultante en produits d’exception français auprès des plus grands du secteur. Un véritable raffinement à la marocaine, pour 2,50 euros l’unité. 2, rue Jean-Macé, 75011 Paris

Laouz

Cornet au thé macha, trèfle au yuzu-gingembre, kaab au piment d’Espelette… Les créations originales (aux extraits naturels biologiques) de Laouz ont de quoi susciter envie et curiosité. D’autant qu’elles promettent 45 % de sucre et 50 % de matières grasses en moins. Avec déjà

Dans les douceurs de la Maison gazelle, la dose de sucre et de beurre est divisée par deux, voire trois.

quatre adresses implantées à Paris depuis l’ouverture de la première maison, en 2016, rue Saint-Honoré, l’enseigne fondée par Rachid Sellali a tout de la success story. Devanture immaculée façon « Alger la blanche », personnel en chemise et tablier, ambiance sophistiquée, Laouz s’impose, tant par la décoration que par les prix pratiqués (2,30 euros pièce), comme le Ladurée algérien. Hélas, la comparaison s’arrête là. Si l’exécution est maîtrisée, l’esthétique plutôt réussie, la promesse d’une pâtisserie équilibrée (et fraîche!) n’est pas au rendez-vous. Les amandes l’emportent sur les saveurs venues du Japon, certes tendance, mais plutôt gadget. Le cigare pèse autant en bouche que dans la main. La faute à une pâte globalement trop épaisse. Et, ici, pas de boîte ou de coffret coquet, mais un sachet déniché à la boulangerie du coin… Pas très chic pour une enseigne ambitieuse. 136, rue Saint-Honoré, 75001 Paris

Maison Aleph

Ici, zéro miel. Pourtant, c’est l’un des composants phares de la pâtisserie orientale. Dans cette petite échoppe installée depuis 2017 dans le quartier du Marais, la chef Myriam Sabet, native d’Alep, en Syrie, en a décidé autrement. On ne trouvera pas non plus de gélatine, de colorants et de conservateurs dans ses baklavas ou ses kadaïfs revisités, à 2,50 euros la pièce. Cette entrepreneuse qui a dû fuir la guerre partage ici ses souvenirs d’enfance. À travers l’architecture d’abord : céramique, mosaïque, douces tonalités blanches et bleues, coffrets léchés inspirés des

motifs du sol de l'établissement, ceux d’un palais omeyyade aujourd’hui détruit. Mais aussi via les saveurs levantines : rose de Damas, pistache d’Iran, amande, fleur d’oranger, sésame blanc… Pourtant, d’autres ingrédients créent la surprise, comme le caramel et beurre salé, la noix du Périgord ou la noisette du Piémont. Ce sont donc d’abord « les Français qui trouvent chez Maison Aleph une alternative à la pâtisserie traditionnelle, qu’ils jugent souvent trop sucrée », estime William, le directeur commercial, qui compte parmi sa clientèle autant d’Européens que d’Iraniens ou d’Israéliens. 20, rue de la Verrerie, 75004 Paris

Le Palais des sultans

Loin des beaux quartiers, dans le 19e arrondissement, une institution du genre attire depuis trente ans le Tout-Paris et les touristes du monde entier. Car Karim Khelifi a su renouveler la pâtisserie orientale tout en restant fidèle à la tradition. C’est à ce chef algérois, qui n’est autre que le neveu du patron de La Bague de Kenza, que l’on doit la première réinterprétation du kalb el louz, le célèbre gâteau « cœur d’amande ». « Il a remplacé les amandes par des noisettes! glisse un ami de la maison. Au début, les clients ont été sceptiques. Et maintenant, ils en redemandent. » Mais attention, le sucre est bien au rendez-vous! L’innovation tient au choix des arômes, inattendus mais heureux, comme la violette – clin d’œil à la ville de Toulouse, dont est originaire l’épouse du gérant –, la lavande, le rhum-raisin ou encore l’aloe vera. Des pâtisseries joyeuses et sans prétention aux prix tout aussi modestes (1,20 euro les petits modèles). 38, rue d’Aubervilliers, 75019 Paris

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

75


Gastronomie

Le resto qui rend (presque) végan Inspiré par la cuisine africaine et l’alimentation rasta, Jah Jah by Le Tricycle propose, à Paris, des plats savoureux, copieux et pas chers. LÉO PAJON

A

AT S I M B A ZA F Y P O U

R JA

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

Crudités et mafé

Un coup d’œil sur les prix détend aussitôt mon portefeuille: le bol est à 13 euros sur place (10 euros à emporter) et le burger à 12 euros. J’opte pour le bol. Je suis de bonne volonté mais pas au point de troquer mon steak contre un champignon. Mes expériences douloureuses m’amènent à commander également un petit plat de bananes plantains, juste au cas où. L’assiette arrive. Et un nouveau point en faveur du Jah Jah: elle déborde littéralement de crudités et réserve de très bonnes surprises! Les

carottes sont assaisonnées façon mafé. Le fenouil s’acoquine à l’orange. Une feuille de salade creuse transporte de l’ananas, de la mangue et des fruits de la passion. Et une petite sauce mêlant coco et cacahuète permet aux rolls de faire trempette. Bref, je dévore, je dévore… quand soudain, je n’ai plus faim. L’estomac terrassé par les crudités, je louche vers mes bananes plantains non encore entamées: elles finiront dans un doggy bag. Ce jour-là, la patronne est présente, sa fille de 1 an et demi dans les bras. Pantalon pattes d’eph’, gilet en jean, casquette vissée sur son épaisse chevelure rousse, Coralie Jouhier, 30 ans, a créé Jah Jah by Le Tricycle en mai 2017 avec son compagnon, Daqui Gomis. « Lui a des racines en Guinée, moi en Martinique, et nous avons aussi des origines sénégalaises… On a simplement voulu faire dans un restaurant ce qu’on préparait pour nous, confie-t-elle. Et montrer que ce n’est pas que pour les Blancs. OK, aux États-Unis, c’est dans l’air du temps dans la communauté afro, mais, en Afrique, DIE R

76

Daqui Gomis et Coralie Jouhier ont ouvert cette nouvelle adresse en mai 2017.

E LO

vouons-le, j’y allais à reculons. Jusqu’ici mes tentatives de restos « végé » s’étaient limitées à ingurgiter sous la contrainte des veloutés de chou-fleur vaguement parsemés de graines de sésame ou des briques de courge aussi riquiqui que coûteuses. Bilan de l’opération: une pitance bien maigre et dure à avaler (comme l’addition, d’ailleurs). Le manque de protéines et de lipides m’ayant conduit à me rendre d’urgence dans un kebab pour une remise en forme en mode sauce samouraï. L’établissement Jah Jah by Le Tricycle, malgré son nom biscornu (qu’on comprendra plus tard), m’a rassuré dès sa façade, plantée dans le quartier du Château-d’Eau, bien connu de la communauté afro. Derrière de grandes vitrines apparaissent les produits utilisés par les cuistots: bananes plantains, ananas bio pain de sucre du Bénin, fruits à coque divers. Passé la porte d’entrée, je me suis senti transporté à Kingston (c’est du moins l’idée que je m’en fais). Cette cantine « afro-végane » aux longues tables en formica – 60 couverts – mise sur le rouge-jaune-vert. Drapeaux arborant le Lion de Juda, albums du grand Bob exposés

comme des trophées, fresques représentant Augustus Pablo et Gregory Isaacs… Ne manquait à cette ambiance « Irie » qu’un peu de chanvre indien, en guise de déco, bien sûr. Sur un grand tableau, le menu du jour: succinct (ce qui est bon signe pour la fraîcheur des aliments) et tentant. Il y a notamment un « bol cru » mêlant salade de chou, salade de carotte, fenouil, mangue et rolls (des roulés semblables aux makis japonais… mais sans poisson). Je repère aussi un « burger végan » dans lequel le steak a été remplacé par du portobello (un champignon brun, à la texture très charnue).

Jah Jah by Le Tricycle, 11, rue des PetitesÉcuries, 75010 Paris


Littérature ET IL EST COMMENT LE DERNIER…

ELODIE RATSIMBAZAFY POUR JA

Mahi Binebine ? personne ne se dit: “Tiens, je vais manger végan!” » Le public – plutôt clair de peau – présent lors de ma venue, confirme qu’il va encore falloir prêcher longtemps la bonne parole.

Bientôt en Guinée?

Mais le couple est habitué. Ils ont commencé par pédaler pendant dix-huit mois (d’où le « tricycle » présent dans leur nom), il y a six ans, pour proposer des hot dogs végétariens lors de festivals et de concerts. « À l’époque, les non-végétariens ne voulaient rien savoir… Maintenant ils viennent sans se poser de question. » Il faut dire que leur formule « melting-popote » réinvente les basiques de la cuisine végane en puisant dans des recettes traditionnelles (mafé de légumes, n’dolé au kale) et en misant sur des épices peu connues (piment jamaïcain et piment « végétarien »…). Face au succès de cette deuxième adresse parisienne (la première étant Le Tricycle, rue de Paradis), les amoureux envisagent de créer une succursale en Afrique de l’Ouest: « Un grand lieu où l’on pourrait aussi sensibiliser notre clientèle… En Guinée, ce serait super! Là-bas les noix de cajou ne coûtent rien, et on les utilise beaucoup dans nos recettes! » Vivement.

MABROUCK RACHEDI

A

cheikha Serghinia, dont la joie est vec son précédent le métier, selon l’expression roman, Le Fou du roi, pleine de sous-entendus de Mahi Binebine nous Binebine. avait ouvert les Rue du Pardon est un conte et, portes du palais de comme le veut l’exercice, il Hassan II. C’est une tout autre comporte aussi ses méchants : sorte de cour que l’on découvre les parents de Hayat, donc, et les dans Rue du Pardon. À travers le filles jumelles de Serghinia, Aïda regard de Hayat, 14 ans, on suit la vie dans le lupanar d’un quartier et Sonia, sortes de sorcières populaire de Marrakech. Pour maléfiques qui vont faire échapper à son père, qui abuse basculer l’histoire avec un d’elle avec le silence complice de sortilège… On retrouve le goût de sa mère, la jeune fille fuit chez la l’artiste pour les originaux, les diva Serghinia, qu’elle surnomme marginaux, les laissés-pour« Mamyta ». Elle est fascinée à la compte, qu’il dépeint avec un art fois par la danseuse envoûtante jubilatoire et une infinie et par la patronne à la poigne de tendresse. fer, aussi crainte pour les ragots En un trait de plume désopiqu’elle colporte qu’adulée pour lant, Binebine décrit des situason charme hypnotique. tions cocasses et dresse des Qu’est-ce que la famille, un portraits plus vrais que nature. simple lien génétique ou les Même au cœur du pire, il met en personnes que l’on choisit ? Pour lumière l’espoir. On dit que les répondre à cette question, « cheikhates », femmes de Binebine présente une galerie cabaret, veuves ou divorcées, haute en couleur. Parmi la sont de mauvaise vie. Mais, pour nouvelle famille recomposée de Binebine, elles apportent la vie Hayat, il y a celui que tout court. Ce n’est l’on surnomme pas un hasard si le « grand-père » ou « le prénom Hayat général », inamovible signifie justement portier d’un hôtel de « la vie », en arabe. En luxe, qui reprend son dépeignant ces poste dès le femmes comme des lendemain de sa combattantes en retraite ; la cartolutte avec l’hypomancienne Zahia, crisie de la société, avec ses amulettes Mahi Binebine rend le magiques qui plus beau des terrorisent les gens ; hommages à ces Rue du Pardon, tante Rosalie et son femmes libres, de Mahi Binebine, inséparable servante, fortes, attachantes, Stock, 143 pages, 16,50 euros Hadda, et l’orchestre qui brisent les tabous qui accompagne la et les interdits. jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

77


Musique

En vogue

Porté par un premier album entêtant évoquant ses identités et son vécu, ce DJ et chanteur d’origine camerounaise Kiddy Smile est devenu l’une des figures du voguing en France.

KATIA DANSOKO TOURÉ

F

«

ils d’immigrés, noir et pédé. » Le passage à l’Élysée de Kiddy Smile en tant que DJ, à l’occasion de la fête de la musique, le 21 juin 2018, fera date. Il est alors affublé d’un sweat-shirt portant ce slogan coup de poing, accompagné de danseurs de voguing qui donnent à la cour du palais présidentiel français des airs de boîte de nuit queer à ciel ouvert. Les réactions politiques ne se font pas attendre. Tant et si bien que Kiddy Smile se retrouve à faire le tour des médias. Une aubaine pour celui qui s’apprête à dévoiler son tout premier album, One Trick Pony, journal intime dans lequel il livre, en anglais, des expériences vécues sur fond de sonorités house et techno. Sans compter ses premiers pas au cinéma, dans Climax, le

dernier Gaspar Noé, qui suit la plongée dans l’horreur d’un groupe de danseurs. Trente-deux ans au compteur, paraît-il. Il ne le confirmera pas. « C’est peut-être vrai, c’est peut-être faux. Je ne donne plus mon âge », lance-t-il en mâchant bruyamment son chewing-gum sans une once de retenue. Une posture qui parachève sa nonchalance déconcertante, tout comme son style vestimentaire. Sautoir Chanel clinquant en métal doré autour du cou, grande chemise blanche entrouverte et pantalon pattes d’eph’, bleu ciel à carreaux. Le tout sur un colosse de 1,98 m à la chevelure jaune fluo ! « Je reviens du défilé Chanel », nous expliquera-t-il plus tard. Pierre Hache, n’est-ce pas ? Il ne confirmera pas non plus son véritable nom. « Je n’ai aucune envie de faire la promotion de mon patronyme. » Celui d’un père

DE NEW YORK À PARIS Dans les années 1970, la communauté LGBT afro et latino de New York, victime de racisme au sein des milieux gays, se lance dans l’organisation de ballrooms : des compétitions de voguing, danse de la culture hip-hop. En France, la communauté voguing s’est construite au cours des années 2010, grâce

78

à des personnalités comme Lasseindra Ninja ou Stéphane Mizrahi. Puis les premières houses (équipes) sont nées, se mesurant au cours de balls. « Pour ma part, j’évolue dans la catégorie "runway". Il s’agit de proposer la meilleure démarche, à la façon d’un mannequin », indique Kiddy Smile. Deux

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

documentaires permettent de comprendre cet univers : Paris Is Burning, sur la culture new-yorkaise du ball dans les années 1980 (réalisé par Jennie Livingstone et sorti en 1991) et Paris Is Voguing, sur la ballroom scene parisienne, de Gabrielle Culand (2017). K.D.T.

avec qui il entretient une relation difficile. Aucune importance, assure-t-il. Il en a pourtant fait une chanson, Stuck in The Sory Line, faisant appel à un auteur faute de pouvoir prendre assez de distance avec le sujet. Ce fils d’immigrés camerounais est né en France et a grandi à Rambouillet, dans les Yvelines. « Je n’avais pas à me soucier de grand-chose, si ce n’est d’être jeune », estime-t-il. C’est au sein de la MJC de son quartier qu’il fait ses premiers pas de danse hip-hop, à l’âge de 13 ans. Au gré des compétitions, le futur Kiddy Smile, que l’on surnomme déjà paradoxalement Smiley puisqu’il ne sourit jamais, fait son bonhomme de chemin. Jusqu’à apparaître dans un clip de George Michael.

Tournage sous tension

Et puis, les rencontres se succèdent pour cet amoureux de la mode, styliste et musicien à ses heures perdues. Il fait notamment la rencontre de Beth Ditto. La chanteuse emblématique du groupe de pop américain Gossip l’invite à l’accompagner sur scène au fameux festival Coachella, en Californie. C’est peu après que Kiddy Smile entame une véritable carrière dans la musique. Car avant d’être DJ, le jeune artiste est d’abord chanteur. En 2016, il attire déjà l’attention avec le clip du très électro Let a B!tch Know. Des danseurs de voguing LGBT+, majoritairement noirs, qui livrent leurs performances au beau milieu des barres d’une banlieue… De quoi en agacer plus d’un, assure-t-il quand il en évoque le making-of. « On nous a même jeté des pierres. Mais c’était important d’aller


communauté homosexuelle. » S’il n’est pas retourné au Cameroun depuis dix-huit ans, Kiddy Smile dit entendre l’Afrique partout. Dans la musique qu’il fait par exemple. « Je me suis rendu compte que la house parlait plus à mon mode de vie que le hip-hop. Je considère que c’est de la musique africaine, même si elle a été complètement whitewashed. » Kiddy Smile cite d’ailleurs Frankie Knuckles, Fast Eddie ou Joe Smooth parmi ses influences.

NICO BUSTOS

Lutte permanente

tourner un tel clip dans ce milieu et de montrer une autre image de la banlieue. Nous sommes assez en phase avec nos identités, alors nous avons voulu que ceux qui grandissent dans le ghetto, qui découvrent leur sexualité et s’interrogent, sachent que nous avons vécu la même chose. » Ce « nous », c’est celui des membres de la communauté « voguing » de Paris, inspirée par celle de New York (lire ci-contre) et popularisée par la danseuse Lasseindra Ninja. Kiddy Smile fait la connaissance de cette dernière lors de soirées aux Bains Douches, boîte de nuit parisienne, avant de lui-même participer à des

ballrooms, des compétitions de voguing. « J’ai très vite compris que ce n’était pas seulement une danse. C’est un style de vie avec une forte dimension sociale et politique. Au sein d’une ballroom, ta sexualité, ta couleur de peau ou ton sexe biologique importent peu. Tu peux y être toi-même sans peur d’être jugé. » Noir et « pédé », donc. « Il y a énormément de gens qui ne comprennent pas ce qu’est l’intersectionnalité. Quand on me dit que j’ai été courageux de tourner un clip avec des danseurs LGBT+ dans une cité, j’ai envie de répondre qu’il me faut le même courage pour le faire en tant que personne noire au sein de la

Sur la pochette de One Trick Pony, son premier opus aux sonorités house et techno.

« Parce que je suis ouvertement gay, ma mère ne tient pas forcément à ce que je me rende au Cameroun. Elle a peur pour moi. Mais les cultures africaines m’intéressent beaucoup. » La culture du voguing pourrait-elle se développer sur le continent? « Il faudrait que ce soit vraiment underground alors! Mais je suis sûr d’une chose: si les sociétés africaines rejettent à tel point l’homosexualité, c’est que le colonialisme est passé par là », analyse celui qui a fait son coming out, auprès de sa mère, quand il avait une vingtaine d’années. Le morceau éponyme de son disque One Trick Pony fait écho à ses intimes convictions. « J’y évoque le quotidien de beaucoup de jeunes gens en France, issus de l’immigration. Il faut toujours devoir prouver quelque chose. C’est une lutte permanente pour obtenir la validation des autres », confie-t-il. Lui estime ne plus en être là: « Je crois en la qualité de ce que je fais. Je ne suis pas militant ou le porte-drapeau de quoi que ce soit, mais cet album parle de ma vie. Et force est de constater que mon existence est politique. »

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

79



GRAND FORMAT

DJIBOUTI

PATRICK ROBERT

Pour tout comprendre de l’évolution d’un pays

La métamorphose

En vingt ans, Ismaïl Omar Guelleh a transformé son petit pays en un carrefour géostratégique ouvert aux vents de la mondialisation. Sans toutefois réussir à en résoudre tous les problèmes. jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

81



Olivier Caslin OlivierCaslin

Bras de fer portuaire our réussir en affaires, il faut une bonne dose de confiance entre partenaires et, surtout, la certitude que chacun d’entre eux conserve l’impression d’en faire, des affaires. Force est de constater qu’après une décennie d’intérêts partagés entre Djibouti et l’opérateur portuaire dubaïote, DP World, l’absence de confiance et de bénéfices mutuels menace le contrat qu’ils ont signé en 2000. Les premiers contacts avaient pourtant été prometteurs : le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh (IOG) avait trouvé auprès de Cheikh Rachid Al Maktoum ce qu’il s’était vu refuser par son homologue français Jacques Chirac : le financement d’un port en eau profonde. En plus d’envoyer son fleuron industriel construire un terminal pour quelques centaines de millions de dollars, le futur émir de Dubaï avait accepté de financer un terminal pétrolier dernier cri et le premier hôtel cinq étoiles du pays. Les Émiratis envisageaient même de construire un pont de 29 km au-dessus de la mer Rouge, vers le Yémen. La lune de miel durera, en apparence, jusqu’en 2016. DP World atteint alors les 900 000 conteneurs manutentionnés par an, confirmant que le port de Djibouti est devenu une escale incontournable dans la sous-région. Mais le ver était dans le fruit dès la signature du contrat, paraphé côté djiboutien par Abdourahman Boreh, alors patron du port. Qu’un simple négociant en cigarettes puisse se retrouver à la tête de l’Autorité portuaire constitue déjà une énigme. Qu’il ait pu négocier seul en est une autre. D’autant que certains termes de l’accord se révéleront contraires aux intérêts fondamentaux de son pays. « Ma patience à son égard est certainement l’une de mes plus graves erreurs », reconnaissait IOG en 2016. Et c’est bien Djibouti qui risque de payer

P

84 ENJEUX

Guelleh au milieu du gué

la facture : l’une des clauses attribue à DP World un monopole de trente ans sur le littoral djiboutien. Une telle concession pourrait être acceptable si les deux partenaires y trouvaient leur compte. Mais l’arrogance de l’opérateur, et sa volonté de placer les intérêts de son terminal de Djebel Ali avant ceux de ses autres ports, a érodé leurs relations.

Pires rumeurs

Les autorités djiboutiennes se sont bien rendu compte – mais un peu tard – qu’elles s’étaient fait avoir par Abdourahman Boreh, parti se réfugier à Dubaï dès 2008, puis à Londres. Après avoir tenté, en vain, de renégocier le contrat, elles n’ont eu d’autres choix que de chasser DP World du terminal de Doraleh au début de 2018. Depuis, la situation ne fait qu’empirer. Conforté par la Cour d’arbitrage de Londres, l’opérateur veut récupérer ce qu’il estime être son bien, n’hésitant pas à répandre les pires rumeurs – comme ces épidémies de choléra et de typhus qui auraient dévasté le pays – voire à menacer de poursuites les compagnies maritimes qui veulent s’implanter sur le littoral. Le plus insupportable pour les Dubaïotes est d’entendre que le terminal fonctionne mieux sans eux, comme l’a affirmé, en février, Thomas Waldhauser, chef du commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom). Vexés, ils ont lancé une « guerre des ports » en multipliant les projets concurrents dans la Corne, plutôt que de renouer les fils du dialogue. En visite à Djibouti en mars, Emmanuel Macron a promis de téléphoner à l’émir de Dubaï pour tenter de mettre un terme à ce bras de fer qui empoisonne la sous-région. Avec comme seul préalable à toute discussion, côté djiboutien, la reconnaissance du fait que les ports sont bien la propriété du pays et de lui seul.

88 En débat

Asmara ne répond plus

89 Opposition

En désordre de marche

92 ÉCONOMIE

Les bons comptes…

96 Interview

Aboubaker Omar Hadi Président des ports et des zones franches de Djibouti (DPFZA)

99 Portraits

Pionnières en affaires

102 SOCIÉTÉ

Place aux femmes !

Suivez toute l’actualité de Djibouti sur www.jeuneafrique.com

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

83


Grand format DJIBOUTI

ENJEUX

Guelleh

aumilieudugué L

À mi-mandat, le président est en position de force sur la scène politique. Mais il doit faire face à de nombreux défis sociaux et à des bouleversements géopolitiques majeurs dans la région. 84

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

OLIVIER CASLIN, envoyé spécial à Djibouti

e 8 mai, Ismaïl Omar Guelleh (IOG) a célébré le vingtième anniversaire de son accession au pouvoir. Sans tambour, ni trompette. En deux décennies, Djibouti a troqué son image de petite ville portuaire endormie sous la poussière du désert pour celle de carrefour géostratégique ouvert aux quatre vents de la mondialisation. Mais l’heure n’est pas encore aux célébrations pour le chef de l’État djiboutien. Réélu haut la main en 2016, pour la quatrième fois d’affilée, sur un


programme essentiellement social, ciblant la lutte contre le chômage, il est loin d’avoir terminé sa mission et, à mi-mandat, le moment n’est pas encore venu de regarder dans le rétroviseur. D’autant moins que les situations extérieures et intérieures ont considérablement évolué ces douze derniers mois.

Modèle fragilisé

Ce n’est pas la position du président sur la scène politique nationale, un peu plus d’un an après que son camp a raflé 87 % des sièges au Parlement et alors que

ABOU HALLOYTA

Rencontre avec le président érythréen Issayas Afeworki (à dr.), à Djeddah, le 17 septembre 2018.

l’opposition est portée disparue (lire p. 89), qui est aujourd’hui fragilisée. Mais plutôt son modèle de développement. Si le poids de la dette vis-à-vis de la Chine devrait être moins insurmontable que ne le redoutent les bailleurs de fonds (lire pp. 92-94), l’arrivée d’un nouveau Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, en 2018, dont la priorité semble être de chercher à aplanir les différends avec le frère ennemi érythréen (lire p. 88), et la querelle qui s’envenime chaque jour un peu plus avec DP World (lire pp. 96-98) font peser quelques incertitudes sur le futur économique du pays. Sans compter

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

85


Grand format DJIBOUTI ENJEUX

que les revendications algériennes et soudanaises ont retenu toute l’attention d’une partie de la population djiboutienne, de plus en plus pressée de récolter les fruits d’une croissance économique qu’elle observe, mais dont elle ne profite toujours pas, ou pas assez.

Paradoxe

C’est le principal défi auquel devra faire face Ismaïl Omar Guelleh ces deux prochaines années. Conscient des

attentes de ses compatriotes, il a profité du remaniement ministériel du 5 mai pour leur signifier que les priorités sociales annoncées en 2016 étaient davantage que de simples promesses électorales. Les questions relatives au logement et aux affaires sociales ont été confiées à des ministères à part entière et non plus à des ministres délégués ou à des secrétaires d’État. Bien sûr, le président n’a pas attendu aujourd’hui pour se saisir de ces dossiers. Il a promulgué

Gardienne de l’information À Djibouti, la CNC, ce n’est pas du cinéma. La Commission nationale de la communication a pour mission « d’assurer le pluralisme de l’information et un accès équitable aux médias », explique sa présidente, Ouloufa Ismaïl Abdo, et de veiller à la liberté informatique. Créée en 2016, la commission et les neuf membres qui la composent ont passé leur baptême du feu lors des élections législatives de février 2018. Depuis la mise en place du multipartisme, en 1992, c’était la première fois qu’un organisme était chargé de contrôler le temps de parole des différents candidats dans les journaux de la télévision publique.

La présidente de la Commission nationale de la communication, Ouloufa Ismaïl Abdo.

86

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

PATRICK ROBERT

Indépendance

Et la CNC a exécuté sa tâche « avec succès », estime un an plus tard sa présidente : « La communauté internationale a reconnu notre impartialité et l’opposition, la qualité de notre travail. » La façon dont la commission a su s’imposer face à certains caciques de la majorité présidentielle, peu au fait des nouvelles règles du jeu démocratique, n’a fait que souligner son indépendance, donc sa crédibilité. Pour ce premier test, elle a réussi à maintenir une équité non seulement partisane, mais également géographique, en tenant compte des particularités communautaires et linguistiques de chacune des six régions. Maintenant qu’elle a fait ses preuves, le plus dur commence peutêtre pour la CNC. « À nous de rester vigilants lors de chaque élection », reconnaît Ouloufa Ismaïl Abdo, qui

insiste pour que le gouvernement complète le cadre légal de la commission et surtout étende ses missions à la radio, qui reste le média de référence dans les campagnes. Trois textes sont actuellement en discussion, traitant du pluralisme politique dans les médias, de la déontologie de l’information et de l’attribution de la carte de presse. Car les compétences

de la CNC lui permettent également d’encadrer le secteur journalistique, pour mieux le professionnaliser et l’émanciper du pouvoir politique. Le premier chantier porte sur la réforme de la Radiodiffusion Télévision de Djibouti (RTD), déjà en cours, pour renforcer l’opérateur public avant d’ouvrir, plus tard, le marché à des médias privés.



Grand format DJIBOUTI ENJEUX

EN DÉBAT

l’assurance-maladie universelle dès 2014 et les programmes d’habitat se sont multipliés à travers le pays depuis 2017, décrétée « année du logement » par IOG. Reste que, si la pression est moins forte, « il manque toujours entre 35 000 et 50 000 logements à Djibouti », estime le représentant local d’une grande institution internationale. Sur le front de l’emploi aussi, beaucoup reste à faire. « Djibouti vit un véritable paradoxe, avec un taux de croissance économique proche des 8 % chaque année, pour un chômage qui ne descend pas au-dessous de la barre des 60 % », constate un proche collaborateur du président. Le nombre d’entreprises créées localement augmente chaque année, à mesure que le pays monte dans le classement « Doing Business » de la Banque mondiale, mais pas au point de pouvoir répondre à la demande. Seules les centaines de sociétés internationales que Djibouti espère bien accueillir dans les immenses zones franches portuaires, existantes ou à venir, autour de la capitale pourraient l’absorber.

« Guerre des ports »

Et c’est là que la redéfinition géopolitique en cours dans la sous-région pourrait bien avoir des conséquences inattendues sur la scène intérieure djiboutienne. « L’histoire a offert à Djibouti un monopole portuaire sur le marché éthiopien qui, pendant plus de dix ans, lui a permis de développer ses infrastructures mais est appelé à disparaître dans les toutes prochaines années », analyse un diplomate étranger. Nommé le 2 avril 2018, Abiy Ahmed s’est bien rendu à Djibouti dès le lendemain pour confirmer le lien unique entre les deux pays, mais le rétablissement des relations diplomatiques entre Addis-Abeba et Asmara, en juillet, a changé la donne. Et dans la perspective d’une future « guerre des ports », telles que la prophétisent certains, le président djiboutien peut compter sur DP World pour jeter de l’huile sur le feu. La crise ouverte au début de 2018 avec l’opérateur dubaïote ne semble pas près de se refermer. Elle pourrait même dégénérer un peu plus, à mesure que fleuriront dans la région les nouveaux terminaux sous pavillon DP World, à Berbera d’abord, à Assab et à Massawa ensuite. Djibouti et ses ports vont encore faire la course en tête dans les prochaines années, mais ils devront un jour apprendre à partager – le nord de l’Éthiopie avec les ports érythréens, l’Ogaden avec Berbera. « Cela aura certainement des conséquences en matière d’activité économique, et donc de création d’emplois pour la petite république, dont devra bien entendu tenir compte le président », redoute notre diplomate. Surtout s’il compte être candidat à sa propre succession en 2021, comme de nombreux indices le laissent entendre ces dernières semaines.

88

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

Asmara ne répond plus OLIVIER CASLIN

L

a Corne de l’Afrique a connu un intense ballet diplomatique à la fin de 2018. Aussi soudain qu’inattendu, l’accord signé en juillet entre les frères ennemis d’Asmara et d’Addis-Abeba, après trois décennies de conflits, a fait souffler « un vent de paix sur la région », selon l’expression d’Issayas Afeworki, le président érythréen. Les visites se sont alors succédé entre responsables éthiopiens, érythréens et somaliens. Puis djiboutiens. Inquiète d’être exclue des négociations, la petite république a vite été rassurée quand, au début de septembre, elle a vu atterrir à Ambouli le ministre érythréen des Affaires étrangères. Les deux États, également divisés sur des questions frontalières, n’avaient pas échangé de visite depuis dix ans. Un premier pas largement encouragé par Abiy Ahmed, Premier ministre éthiopien depuis avril 2018 et grand initiateur de cette nouvelle donne. C’est lui qui est à l’origine de la poignée de main historique entre Ismaïl Omar Guelleh (IOG), le président djiboutien, et son homologue érythréen, à Djeddah, le 16 septembre, à l’issue de leur première et unique rencontre. L’occasion « d’avancer dans le processus de normalisation entre nos deux pays », avait alors estimé la diplomatie djiboutienne. Son chef, Mahmoud Ali Youssouf, avait même été convié à se rendre en Érythrée. Mais neuf mois plus tard, il attend toujours. Depuis le 14 novembre et la levée par l’ONU des sanctions qui pesaient sur l’Érythrée depuis 2009, Asmara ne répond plus. Comme si Issayas Afeworki retombait dans ses travers, après avoir obtenu ce qu’il cherchait. « L’Érythrée ne montre aucune volonté de changer les choses, contrairement à ses voisins », confirme un diplomate étranger en poste à Djibouti. À commencer par IOG, qui avait accepté de taire sa méfiance vis-à-vis d’Issayas Afeworki. La déception n’en est que plus grande. Et elle risque bien de faire retomber le « vent de paix ».


OPPOSITION

En désordre de marche Alors que le chef de l’État se prépare déjà pour les échéances électorales de 2021, ses adversaires ne parviennent toujours pas à former un front commun.

OLIVIER CASLIN

epuis la tentative – réussie mais sans lendemain – de l’Union pour le salut national (USN), en 2013, l’opposition djiboutienne n’arrive plus à se conjuguer au singulier. Laminées lors du scrutin présidentiel de 2016, les différentes factions qui la compose n’ont pas su faire front commun, deux ans plus tard, pour les législatives de 2018, une nouvelle fois remportées haut la main par l’Union pour la majorité présidentielle (UMP), du président Ismaïl Omar Guelleh. Et ce n’est pas la « nouvelle » USN, présentée en toute discrétion au début de mars, qui va inverser la tendance. D’abord, parce qu’elle ne regroupe que des partis politiques non reconnus et qu’elle n’a attiré aucun des grands leaders historiques de l’Union première version. Daher Ahmed Farah préfère rester en Belgique, où il a été rejoint, au début d’avril, par Abdourahman Mohamed Guelleh, dit TX, qui s’est dépêché de quitter le pays une fois son passeport récupéré. Ensuite, parce que son retour sur la scène politique est loin de faire l’unanimité parmi les opposants de la nouvelle génération. À commencer par Ilaya Ismaïl Guedi Hared (lire p. 106), tête de liste, lors des dernières législatives, de l’alliance formée par l’Union pour la démocratie et la justice (UDJ), qu’elle dirige, et le Parti

D

LA NOUVELLE UNION POUR LE SALUT NATIONAL N’A ATTIRÉ AUCUN DES GRANDS LEADERS HISTORIQUES DE L’ANCIENNE.

Une coalition sinon rien

Les négociations ouvertes à la fin de 2017 avec l’Alliance républicaine pour le développement (ARD) et le Centre démocrate unifié (CDU) n’avaient pas empêché ces deux partis de partir chacun de leur côté. Pourtant, tous sont d’accord : « sans coalition, l’opposition ne peut exister dans les urnes », résume Mohamed Daoud Chehem. Mais entre ceux qui acceptent les règles démocratiques telles que définies par le pouvoir et ceux qui préfèrent s’abstenir, « pour ne pas faire le jeu de l’UMP », difficile de fédérer autour d’une personnalité « qui reste de toute façon à identifier », rappelle Ilaya Ismaïl Guedi Hared. À un peu moins de deux ans du prochain scrutin présidentiel, le temps est pourtant compté. D’autant que, profitant des atermoiements de ses adversaires, Ismaïl Omar Guelleh semble déjà dans les starting-blocks. Et ce n’est pas une opposition une nouvelle fois divisée qui risque de lui contester sa victoire.

ABOU HALLOYTA

Ismaïl Omar Guelleh recevant les responsables des partis politiques, le 30 janvier, au palais de la République.

djiboutien pour le développement (PDD), et à ce titre chef de l’opposition parlementaire. « L’USN est morte, et le fantasme de sa résurrection empêche aujourd’hui l’opposition de s’imaginer tout autre futur », insiste la présidente de l’UDJ. Son allié du PDD, Mohamed Daoud Chehem, ne dit pas autre chose quand il estime qu’il est temps « de tourner la page ». Le candidat de l’USN au scrutin de 2016 estime même que c’est autour de cette alliance UDJ-PDD, « qui dure », que l’opposition doit aujourd’hui se regrouper.

89



DJIBOUTI TELECOM

...UN OPÉRATEUR INTÉGRÉ

POUR UNE ÉCONOMIE DE SERVICES DE PLUS EN PLUS

DIGITALISÉE

La République de Djibouti a une économie entièrement tournée vers les services. Née le 20 septembre 1999 de la fusion entre l’OPT et la STID, Djibouti Telecom, opérateur national des télécommunications, s’est donné les moyens de se doter d’une infrastructure moderne et performante. Djibouti Telecom est un opérateur global et intégré couvrant quatre secteurs d’activités : la téléphonie mobile, la téléphonie fixe, la vente de capacité et la fourniture d’accès à internet. Sa stratégie est basée sur la satisfaction des besoins de plus en plus croissants en matière de connectivité et de services, pour des administrations et des entreprises connectées et interconnectées avec leurs partenaires locaux et internationaux et une population, avide des nouveaux usages numériques.

DES SERVICES ENTIÈREMENT BASÉS SUR LE TRÈS HAUT DÉBIT LA FIBRE SE GÉNÉRALISE

-75%

des frais d’installation en 2 ans

UN NOUVEAU RÉSEAU 4G+ LE TRÈS HAUT DÉBIT MOBILE

DE L’ADSL AU VDSL 2 LE TRÈS HAUT DÉBIT POUR LES PETITES ENTREPRISES ET LES PARTICULIERS

CENTRAUX NOUVELLE GÉNÉRATION IMS BASÉS SUR LA TECHNOLOGIE IP

POUR LES COMMUNICATIONS LOCALES ET INTERNATIONALES

Avec des frais d’installation divisés par quatre en deux ans, le Très Haut Débit Fixe est une priorité majeure pour Djibouti Telecom grâce à la technologie Fibre Optique, avec comme objectif la démocratisation continue du Très Haut Débit et la mise à disposition pour l’ensemble des clients d’une connexion enrichie avec un débit allant de 100 MBITS/s à 1Go/s.

100%

FIBRE DE BOUT EN BOUT

Liaisons internet Liaisons spécialisées internationales Liaisons FTTH Liaisons point à point

Inaugurée en juin 2018 par le Président de la République SEM Ismaël Omar Guelleh, le nouveau réseau 4G+ de Djibouti Telecom offre une nouvelle expérience aux clients professionnels et permet aux particuliers de développer des nouveaux usages. Ce nouveau réseau vise à améliorer la couverture du réseau mobile, à résorber les zones dites “blanches”, pour in fine réduire la fracture numérique sur l’ensemble du territoire.

L’ADSL lancé il y a plus de 10 ans montre ses limites en matière de débit dans un environnement de plus en plus dominé par les applications digitalisées. Djibouti Telecom déploie en 2019 la première phase d'un nouveau réseau VDSL 2 pour rendre éligible 50 % des clients ADSL en offre VDSL 2 (débit allant de 15 à 50 MBPS) et en 2020 pour la 2e phase afin de remplacer complètement le réseau ADSL existant.

Djibouti Telecom a entièrement renouvelé en fin 2018, son parc de centraux téléphoniques par des centraux nouvelles génération IMS basés sur la technologie IP. Ainsi Djibouti Telecom dispose d’une infrastructure simplifiée, évolutive et puissante capable de faciliter la convergence Fixe/Mobile. LA NC EM EN T DE S OF FR ES

FI N 20 19


Grand format DJIBOUTI

ÉCONOMIE

Les bons com Récusant les conclusions du FMI sur son taux d’endettement, Djibouti met en avant ses progrès en matière de climat des affaires, d’investissement et de diversification. OLIVIER CASLIN

PATRICK ROBERT

G

92

râce à la simple magie de quelques chiffres, l’économie djiboutienne vient de retrouver un peu d’air frais. Montrée du doigt ces dernières années pour son taux d’endettement record, notamment vis-à-vis de la Chine, jugé dangereux pour sa bonne santé financière, la petite république a tenu à mettre les choses au point en rétablissant la réalité comptable. Non, Djibouti n’est pas endetté à hauteur de 104 % de son PIB, comme les experts de FMI l’ont affirmé après leur dernière visite dans le pays, en décembre. « Les statistiques fournies par nos services étaient erronées puisqu’elles ne prenaient pas en compte l’ensemble de nos activités liées au port et aux zones franches », explique Mohamed Skier Kayak, conseiller économique à la présidence. Et c’est loin d’être un détail pour Djibouti, qui a entièrement adossé son développement économique aux infrastructures portuaires et logistiques depuis bientôt deux décennies. Résultat, la production de richesse du pays a bondi, d’un jour à l’autre, de 47 %, pour atteindre 491 milliards de francs djiboutiens (près de 2,5 milliards d’euros). « En conséquence de quoi l’endettement réel est aujourd’hui de 71 % », assure, avec satisfaction, Mohamed Skier Kayak. Bien moins, donc, que le plafond des 75 % « au-dessus desquels les bailleurs de fonds commencent à tirer la sonnette d’alarme », précise un économiste local.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

Djibouti a donc profité de la réunion de printemps du FMI pour dépêcher à Washington, mi-avril, une délégation ministérielle chargée, chiffres à l’appui, de convaincre le Fonds d’organiser une nouvelle mission d’évaluation pour revoir ses calculs. Autre bonne nouvelle pour la dette du pays, la Chine, qui détiendrait à elle seule plus de 60 % des créances extérieures djiboutiennes, semble prête à renégocier les conditions du prêt accordé pour la construction de la ligne ferroviaire entre Djibouti et Addis-Abeba, qualifié de « fardeau » par le président Ismaïl Omar Guelleh lors de l’entretien qu’il a eu à Pékin, le 27 avril, avec Xi Jinping. Les autorités djiboutiennes espèrent obtenir un taux d’emprunt concessionnel moins élevé que le taux commercial actuel, sur une durée de remboursement de vingt-cinq ans, contre quinze ans actuellement.

L’ami chinois

La petite république semble donc en passe d’éviter l’asphyxie financière que tout le monde lui promettait il y a encore peu de temps. D’autant qu’elle n’a pas baissé la garde et poursuit sa politique d’investissements pharaoniques, avec la construction programmée sur le site de Damerjog, au sud de la capitale, d’un second complexe industrialo-portuaire aux proportions identiques à celui qui a été inauguré au nord de la ville en 2018 (lire p. 98). Bien sûr, le pays n’allait pas lui-même décaisser la somme – équivalente à une fois et demie son PIB – nécessaire pour réaliser


ptes‌

Terminal multiservice du port de Doraleh.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

93


Grand format DJIBOUTI ÉCONOMIE

ces nouvelles infrastructures. « La majeure partie du projet est financée par les opérateurs, sous forme d’investissements directs étrangers [IDE] », précise Mohamed Skier Kayak. Mais la baisse drastique de son niveau d’endettement va considérablement rassurer ses partenaires, publics comme privés. À commencer par les Chinois, prêts à contribuer une nouvelle fois, à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars, à ces nouveaux équipements, vitaux pour le développement économique de Djibouti. « Nous n’avons rien à exporter. Les ports et les zones franches sont donc essentiels pour l’équilibre de notre balance commerciale », explique encore le conseiller à la présidence. D’où l’urgence pour le pays de régler une bonne fois pour toutes le différend qui l’oppose depuis plusieurs années à l’opérateur portuaire DP World avant qu’il ne porte vraiment préjudice à sa réputation de place maritime et financière fiable. Ironie de l’histoire, au moment où il décide de chasser les Dubaïotes du terminal de Doraleh, le pays fait un bond sans précédent dans le classement « Doing Business » 2019 de la Banque mondiale, passant de la 154e à la 99e place, grâce notamment aux excellents résultats enregistrés en matière de… protection des investissements. Une bonne nouvelle supplémentaire pour Djibouti, qui, vu la taille de son économie, n’a pas d’autre choix dans l’immédiat que de compter sur les contributions extérieures pour financer son développement.

Reste que le modèle actuel, qui s’appuie sur les secteurs maritime et logistique, a déjà montré ses limites. « Malgré une croissance comprise entre 6 % et 8 % ces dernières années, le chômage reste toujours aussi élevé dans le pays », regrette Mohamed Skier Kayak. Plutôt que d’attendre de pouvoir mesurer l’impact réel, en matière d’emplois, de l’installation en cours de centaines d’entreprises dans les zones franches, le gouvernement a sonné l’heure de la diversification. Le pays a ciblé plusieurs secteurs, comme le tourisme ou les services numériques et financiers, qu’il entend développer selon la même logique de hub régional qui fait actuellement les beaux jours de ses ports.

Poids lourds de l’hôtellerie

La stabilité macroéconomique et monétaire, renforcée par la présence de bases militaires, semble donner confiance aux investisseurs. Quelques grands noms de l’hôtellerie internationale (Onomo, Radisson, Hilton…) répondent déjà présents, alors que les dix câbles sous-marins situés à proximité des côtes commencent à intéresser les opérateurs de data centers et autres plateformes d’appel. Deux projets sont en discussion, avec chaque fois plusieurs centaines d’emplois à la clé. « Il est temps de mettre l’économie au service du social », insiste Mohamed Skier Kayak. Même si le chemin vers le plein-emploi s’annonce encore long, il est pavé de bonnes intentions.


COMMUNIQUÉ

Le secteur bancaire à Djibouti : une place financière sûre, moderne et attractive

La Banque Centrale de Djibouti a pour principales missions de veiller sur la convertibilité de la monnaie nationale, le Franc Djibouti qui a été créé en 1949. Librement convertible et lié au Dollar américain par une parité fixe, le Franc Djibouti puise sa stabilité linéaire qui le caractérise depuis plus de 65 ans dans les fondements de son système d’émission du type « currencyboard ». Son principe de fonctionnement est des plus simples : chaque Franc Djibouti émis doit être entièrement couvert par un dépôt en dollars américains auprès de l’un des correspondants à New-York. C’est ainsi que la Banque Centrale de Djibouti est chargée de la gestion des réserves officielles en devises du pays pour garantir un taux de couverture de son émission largement positif. Quant à l’achat de devises, il est libre et s’effectue contre simple dépôt de Francs Djibouti. Cette absence de contrôle de change et une application stricte et contrôlée des dispositions réglementaires et prudentielles des établissements de crédit, ont fait de Djibouti une place financière dynamique attractive et sécurisante où les opérateurs de la sous-région logent leurs principales opérations. Le secteur financier, profitant largement de la vigueur de la croissance économique du pays depuis plusieurs années, connaît une forte expansion. Le nombre d’opérateurs financiers en activité ne cesse d’augmenter et compte désormais 11 banques commerciales, un Fonds étatique de financement des PME/PMI, 2 institutions de microfinance et 18 bureaux de change et de transfert de fonds. La multiplication d’opérateurs a permis d’enrichir la panoplie de produits et services financiers offerts par la place djiboutienne.

Pour accompagner au mieux ce foisonnement du secteur financier, les autorités nationales ont procédé à une refonte de la législation bancaire et financière en janvier 2011, de sorte à l’adapter aux attentes de la profession.

NOTRE CORRESPONDANT EN EURO • Banque de France CENTRAL BANK OF DJIBOUTI SWIFT : BCDJDJJDXXX IBAN N° FR76 3000 1000 6400 5245 024 BANQUE DE FRANCE SWIFT CODE : BDFEFRPPCCT

NOS CORRESPONDANTS EN DOLLARS US • BNP PARIBAS – New York Branch Central Bank Of Djibouti - SWIFT : BCDJDJJDXXX IBAN N° FR53 3000 4056 5800 0004 1015 D42 BNPPARIBAS – PARIS SWIFT CODE : BNPAFRPPXXX • Federal Reserve Bank of New York CENTRAL BANK OF DJIBOUTI - SWIFT: BCDJDJJDXXX ACCOUNT N° 0210 83 682 FEDERAL RESERVE BANK OF NEW YORK SWIFT CODE : FRNYUS33XXX • Citibank – NA New York CENTRAL BANK OF DJIBOUTISWIFT : BCDJDJJDXXX ACCOUNT N° 36252795 CITIBANK–NA NEW YORK - SWIFT CODE : CITIUS33XXX

Banque Centrale de Djibouti Boulevard Saint-Laurent du Var - BP 2118 - Tél. : (253) 35 27 51 / (253) 31 20 00 Fax : (253) 35 62 88 / (253) 35 12 09 Télex : 5838DJ - SWIFT : BCDJDJJDXXX E-mail : bndj@intnet.dj - www.banque-centrale.dj


Grand format DJIBOUTI ÉCONOMIE

Aboubaker Omar Hadi Président des ports et des zones franches de Djibouti (DPFZA)

ABOU HALLOYTA

« Nous avons vingt ans d’avance sur nos concurrents »

Propos recueillis par OLIVIER CASLIN

hargé des infrastructures portuaires et logistiques de Djibouti depuis 2001, Aboubaker Omar Hadi est le véritable architecte du virage économique pris par son pays il y a plus de vingt ans. Pari réussi pour celui qui, à 62 ans, dirige une entité qui représente à elle seule près d’un tiers du PIB du pays. Sans compter que de nouvelles installations vont venir renforcer le

C

96

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

rôle de hub que compte jouer la petite république dans la sous-région. Jeune Afrique : Le 4 avril, la Cour d’arbitrage international de Londres a fixé à 385 millions de dollars l’indemnisation que devra verser l’État djiboutien à l’émirati DP World pour avoir rompu le contrat du Doraleh Container Terminal (DCT). Comptezvous payer cette somme? AboubakerOmarHadi: Absolument

pas. Nous sommes prêts à ouvrir les

négociations autour de trois options : soit DP World nous rachète les 67 % que nous possédons dans DCT, pour 1,8 milliard de dollars, selon leurs propres estimations, et abandonne ses revendications de monopole sur le littoral djiboutien; soit l’opérateur sort du terminal et nous lui réglons les 33 % qu’il détient dans DCT, soit environ 800 millions de dollars. Ou nous retravaillons ensemble, à condition qu’ils oublient toute exclusivité sur nos côtes. Eux-mêmes avaient proposé


COMMUNIQUÉ


Grand format DJIBOUTI ÉCONOMIE

Tous ces équipements seront financés par les investissements directs étrangers réalisés par les opérateurs eux-mêmes. Et ils sont justifiés par les marchandises que ces infrastructures vont voir passer.

La gare de Nagad, sur la première ligne reliant Djibouti à l’Éthiopie, construite par des groupes chinois.

cette solution quelques jours avant de saisir la Cour de Londres. Et depuis, nous ne nous parlons plus. Les Émiratis auraient demandé 3 milliards de dollars pour rendre son littoral à Djibouti…

Je n’en sais rien, mais ils doivent comprendre que cette crise s’arrêtera quand ils auront accepté qu’ils ne peuvent pas posséder nos côtes. C’est une question de sécurité nationale. Nous ne voulons spolier personne. Nous devons nous parler, même pour discuter d’indemnisations. Mais pour l’instant, les Émiratis veulent faire appliquer le contrat tel qu’il a été signé à l’époque. Ce qui est inacceptable!

Ils semblent s’être laissés intimider, mais nous sommes toujours en contact, ils viendront quand ils seront décidés. Cela ne nous a pas empêchés de confirmer la réalisation du terminal, pour un investissement de 660 millions de dollars, grâce au Fonds souverain d’Oman. Après un temps d’hésitation, le projet de Damerjog, au sud de Djibouti, semble également se confirmer. Pourquoi cette attente ?

La région manque d’infrastructures. Il n’y aura donc pas de guerre des ports, comme certains se plaisent à l’imaginer. Et même si cela arrivait, Djibouti a vingt ans d’avance sur ses éventuels concurrents, en matière d’équipement comme de ressources humaines. Le port de Djibouti est aujourd’hui un outil unique dans la Corne. Et pour longtemps encore.

Nous avons été obligés de redimensionner le projet pour répondre aux demandes importantes constatées en matière de trafic pétrolier et gazier, de bétail et de marchandises. Nous prévoyons donc de réaliser, sur plus de 3 000 hectares, un second complexe logistico-portuaire, après celui ouvert au nord de la ville en 2018. D’importantes installations de stockage pour les vracs liquides seront construites à proximité de deux quais pétroliers pour servir l’Éthiopie, mais aussi une grande partie de l’Afrique de l’Est. Notre objectif est de devenir un hub pétrochimique pour l’ensemble de la sous-région.

Le Français CMA CGM a avoué avoir renoncé à investir dans le second

Necraignez-vouspasdecreuserencore l’endettement du pays avec ce projet?

Ne redoutez-vous pas des représailles de DP World, qui multiplie les projets portuaires dans la région, à Assab et à Berbera, et bientôt à Massawa ?

98

terminal à conteneurs à la suite des menaces de poursuites judiciaires de DP World…

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

PATRICK ROBERT

Pour tant, l’immense Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ), inaugurée en 2018, peine à démarrer. Pour quelles raisons ?

Ce n’est qu’une question de temps. Plus de 60 entreprises s’installent, et des sociétés indiennes et jordaniennes travaillant dans la logistique ou l’industrie légère nous demandent plusieurs centaines d’hectares pour s’implanter. Je suis convaincu que nous remplirons la DIFTZ en 2020. Le train entre Djibouti et AddisAbeba a déraillé en avril à cause de fortes pluies. Cet accident ne vous inquiète-t-il pas ?

Le trafic est reparti à la normale après une semaine. Je ne suis pas inquiet, car c’est un accident isolé. Et je rappelle que c’est la seule liaison ferroviaire de la région. Quatre trains partent chaque jour, deux dans chaque sens, pour transporter un total de 420 conteneurs. C’est-àdire que 20 % des volumes destinés à l’Éthiopie empruntent chaque jour la voie ferroviaire. C’est un résultat encourageant, et nous avons pour objectif de monter à dix trains par jour. Et comment comptez-vous atteindre cette cadence ?

En privatisant les opérations. Les deux gouvernements viennent de se rencontrer à ce sujet pour une privatisation effective à partir de 2020. Le rail restera public, mais le matériel roulant sera apporté par les compagnies privées qui assureront le transport des marchandises. Les études de faisabilité viennent d’être lancées et nous espérons attirer trois opérateurs. Nous comptons démarrer le processus d’appel d’offres avant la fin de cette année. L’idée est d’éviter tout monopole et de donner le choix aux utilisateurs du train.


PORTRAITS

Pionnières en affaires

DR

L’une excelle dans les nouvelles technologies, l’autre dans la mode. Toutes deux incarnent la stratégie de diversification de la petite république.

Kadra Abdi DOUKSIEH

Emely Ahmed ARAITA

Patronne 2.0

Modèle tout-terrain

L

e métier de boulanger mène décidément à tout, même à Djibouti. Dès l’âge de 9 ans, Kadra Abdi Douksieh a commencé à vendre les pains pétris par son père. Jusqu’à « développer une vraie expertise entrepreneuriale », estime-t-elle. À 42 ans, elle se trouve à la tête de plusieurs compagnies à Djibouti, où elle est rentrée en 2005 après avoir étudié en Tunisie, puis en France, où elle s’est spécialisée dans l’e-commerce. Bardée de diplômes et formée aux dernières technologies, elle a apporté à son pays d’origine son premier programme de data mining, qui permet l’extraction des données d’une clientèle pour mieux valoriser les services d’un opérateur. Elle se fait vite recruter par le premier d’entre eux, Djibouti Telecom, mais claque la porte après un an et demi. « La culture “entreprise publique” ne me convenait pas », affirme Kadra, qui a toujours voulu être sa propre patronne. En 2012, elle lance NomadeCom, spécialisé dans les services à valeur ajoutée pour les télécommunications. Sa société travaille notamment pour son ancien employeur: « Djibouti Telecom propose 360 services qu’il lui faut valoriser », explique-t-elle. Mais sa grande histoire du moment, c’est sa plateforme de paiement électronique, lancée en 2017. Kadra Abdi Douksieh a créé, avec sa société mDJF, le premier porte-monnaie électronique de Djibouti. Pour l’instant, le service n’a attiré que quelques milliers d’utilisateurs réguliers, mais Kadra compte bien inverser cette tendance et remédier à ce « déficit de notoriété ».

E

n octobre, la Vancouver Fashion Week accueillera les créations d’une styliste djiboutienne. Une première pour l’événement lui-même ainsi que pour Emely Ahmed Araita, encore peu habituée aux podiums. Cette trentenaire énergique, qui compte ouvrir un pop-up store à Djibouti dans la foulée, a appris son métier au Japon, où elle a rejoint son père, ambassadeur. Avant Tokyo, elle est également passée par la Malaisie. Ce qui ne l’a pas empêchée de conserver ses racines africaines. C’est d’ailleurs pour ses sœurs du continent, qu’elle a pensé puis créé sa marque: Alça [« lune », en afar]. « Je voulais toucher toutes les femmes, avec des styles qui peuvent plaire à celles qui portent le voile comme à celles qui ne le portent pas », explique la modiste. En négociation pour lancer, d’ici à septembre, la production de sa première collection de prêt-àporter, elle consacre également une large partie de son temps à des créations de haute couture. C’est ainsi qu’elle a été repérée, en juin 2018, par une galeriste japonaise qui lui a offert la possibilité d’exposer ses modèles à côté des œuvres de l’artiste local Tsunahisa Ogino. Depuis, les propositions de défilés se sont multipliées au Japon et ailleurs, jusqu’au Canada, donc. « J’ai prévu d’y présenter entre douze et seize créations », explique Emely. La modiste planche encore sur les modèles qu’elle compte montrer durant cet événement, qui pourrait bien donner un coup d’accélérateur à sa carrière.

OLIVIER CASLIN

DR

NELLY FUALDES

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

99


SOCIÉTÉ DE GESTION DU TERMINAL À CONTENEURS DE DORALEH

De nouvelles ambitions Société de Gestion du Terminal à Conteneurs de Doraleh (SGTD) est l’opérateur du Terminal à conteneurs le plus moderne et avancé de l’Afrique de l’Est, leader du commerce régional et de la chaîne d’approvisionnement. Lancé en 2009, il s’agit de l’un des plus grands projets d’infrastructures portuaires impulsé par l’Autorité des Ports et des Zones Franches de Djibouti (DPFZA). Situé en République de Djibouti, à l’entrée de la mer Rouge et sur la deuxième voie maritime la plus fréquentée du monde, le Terminal de Doraleh grâce à sa présence unique au cœur du trafic à conteneurs mondial, se positionne comme le hub régional et est une plaque tournante régionale de transbordement. À travers son accès à plus de 43 ports et villes dans le monde (Afrique, Moyen-Orient, Europe, Asie, Amérique du Nord), le terminal permet également une ouverture exceptionnelle au marché Est-africain constitué de plus de 250 millions d’habitants.

AVEC LA REPRISE DE LA GESTION DU TERMINAL PAR L’AUTORITÉ DES PORTS ET DES ZONES FRANCHES DE DJIBOUTI (DPFZA) DEPUIS FÉVRIER 2018, LE TERMINAL CONNAIT UNE TRANSFORMATION MAJEURE AVEC UNE FORTE CROISSANCE DE SES VOLUMES ET DE SA PRODUCTIVITÉ AUX NAVIRES

Société de Gestion du Terminal à Conteneurs de Doraleh - Djibouti, République de Djibouti - PO Box : 2081 Email : customerservice.dct@dct.dj - Tél. : (+253) 21 317 317

www.sgtd-terminal.com


• Large capacité de passage de volume de conteneurs (1,6M evp) • Portiques de quai (STS) : 8 + 3 en commande • Portiques de parc (RTG) : 30 + 8 en commande • Portiques de station de train (RMG) : 2 • Autres engins de levage (Reachstakers) : 14 RS/ECH • Camions internes (ITV) : 65

ENTRETIEN avec Monsieur Abdillahi Adaweh Sigad CEO de SGTD Le Terminal de Doraleh fait l’objet de beaucoup débats médiatiques contradictoires entre l’ancien opérateur et Djibouti. Quelle est la position de Djibouti sur ce sujet ? Le sujet des débats comprend plusieurs volets : l’importance stratégique du Terminal de Doraleh dans l’environnement économique de Djibouti, la propriété ou « ownership » de l’actif en question (DCT), une gouvernance déséquilibrée au profit d’un actionnaire minoritaire qui régissait le fonctionnement de l’entité DCT et enfin une performance commerciale médiocre au regard d’un marché régional et international dynamique. Les représentants et les juristes de l’État ont compétence à évoquer les sujets de la recomposition de l’actionnariat et les débats concernant le fonctionnement de l’ancienne entité de Doraleh Container Terminal (DCT). En tant que Manager de la nouvelle structure de gestion du Terminal– Société de Gestion du Terminal à Conteneurs de Doraleh (SGTD) – mes réponses à la question se limiteront aux volets économiques, à la performance opérationnelle et commerciale de l’actuelle entité SGTD. Quel poids économique représente le Terminal de Doraleh dans le secteur portuaire et logistique de Djibouti, et dans l’économie du pays ? L’activité de Terminal à Conteneurs de Doraleh représente plus ou moins 60 % de l’activité du secteur portuaire et de la logistique qui lui-même est le principal secteur économique du pays. Ceci rend évident l’intérêt, voire l’intervention de l’État djiboutien dans la conduite du développement de l’activité du Terminal à Conteneurs de Doraleh, d’autant plus que l’État a toujours maintenu une majorité de détention du capital des entités successives ayant conduit l’activité conteneur sur le site de Doraleh (DCT et SGTD). Comment a évolué la performance opérationnelle et commerciale du Terminal depuis le départ de l’ancien opérateur ? La gestion du Terminal par l’ancien opérateur a cessé en février 2018 et la performance opérationnelle du Terminal, dont le principal indicateur clé (KPI) est le nombre de mouvements opérés à l’heure sur un navire, a progressé de 35 % entre 2017 et 2018. Sur le plan de la performance commerciale et notamment le segment de transbordement, secteur à fort potentiel compte tenu du positionnement géographique de Djibouti – sur un axe principal de commerce maritime – le volume de l’activité de transbordement représente actuellement (en mai 2019), 25% du volume global du Terminal contre 7 % durant les derniers mois de gestion de l’ancien opérateur (novembre 2017 à janvier 2018), tout en maintenant la part de marché local (Djibouti) et de l’hinterland (Ethiopie).

JAMG - © SGTD

La SGTD en quelques chiffres


Grand format DJIBOUTI

SOCIÉTÉ

Place aux femmes !

Depuis 2018, un quart des sièges leur sont réservés à l’Assemblée nationale.

102

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019


Depuis vingt ans, les Djiboutiennes gagnent du terrain dans les sphères politique et sociale. Mais il leur reste beaucoup de chemin à parcourir dans le secteur économique. OLIVIER CASLIN

D

epuis très exactement vingt ans, Djibouti semble décidé à faire sauter le plafond de verre qui empêche les femmes d’exercer toutes les responsabilités dans le pays. Plutôt que de le briser net, les responsables politiques de la petite république s’escriment à le faire disparaître progressivement, pour ne pas heurter une société restée par tradition très patriarcale. À la tête de cette croisade d’un nouveau genre: Ismaïl Omar Guelleh (IOG). Depuis son arrivée au pouvoir, en 1999, le chef de l’État n’a en effet cessé d’améliorer la condition de ses concitoyennes. C’est lui qui nomme la première Djiboutienne ministre, déléguée certes, et spécifiquement affectée à la promotion de la femme et de la famille. La détentrice du portefeuille, Hawa Ahmed Youssouf, juriste de formation, saisit l’occasion pour s’engager fortement contre certaines pratiques traditionnelles, des mutilations génitales aux mariages forcés. « Elle a joué un rôle fondamental dans la transformation des mentalités djiboutiennes, tout en s’appuyant toujours sur le Coran », estime l’une de ses héritières déclarées, Fatouma Awaleh Osman, l’actuelle maire de Djibouti-Ville.

ABOU HALLOYTA

Politique de quotas

En 2002, avec le soutien d’IOG, Hawa Ahmed Youssouf dépoussière d’abord le vieux code de la famille, avant de lancer la Stratégie nationale d’intégration de la femme dans le développement, qui permet dans un premier temps « de mesurer la participation réelle des Djiboutiennes dans les sphères politique et économique, dans les secteurs de l’éducation et de la santé », précise Amina Saïd Chiré, chercheuse à l’université de Djibouti. Avant de commencer à leur donner toute la lumière qu’elles méritent. Dès 2003, un premier quota de 10 % leur est réservé dans l’ensemble des administrations ainsi que sur les bancs de l’Assemblée nationale. Le pays découvre alors ses premières femmes députées, ambassadrices, etc. Cette avancée, aussi rapide que spectaculaire sur la scène politique et sociale, se révèle en revanche bien plus compliquée dans les milieux économiques. « Les Djiboutiennes

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

103


Grand format DJIBOUTI SOCIÉTÉ

manquent alors de formation et sont les premières à devoir faire face au chômage et à la pauvreté », explique Amina Saïd Chiré. Principales victimes, aujourd’hui encore, de ces deux fléaux, les Djiboutiennes pourraient bien voir leur situation évoluer à moyen terme. « À Djibouti, plus de 50 % des étudiants sont des étudiantes. Mieux éduquées, elles sont plus présentes dans certaines filières. Elles occupent, par exemple, 70 % des postes dans la magistrature », constate Ouloufa Ismaïl Abdo, juriste investie depuis 2007 dans le cadre de la cellule d’écoute des femmes battues mise en place par l’Union nationale des femmes de Djibouti (UNFD). Une association qui a joué un rôle très important depuis sa création, aux lendemains de l’indépendance, en 1977, « notamment sur certaines questions comme l’excision, mais aussi l’alphabétisation, rappelle notre universitaire. L’urbanisation du pays, en cours depuis plusieurs décennies, a également permis aux femmes de s’affranchir de la cellule familiale où elles étaient jusqu’alors cantonnées par les traditions issa comme afar ».

« Les tribunaux, même religieux, vont de plus en plus dans le sens des femmes », constate encore Amina Saïd Chiré. Un net progrès qui pousse Ouloufa Ismaël Abdou à affirmer que, d’un point de vue juridique, « les Djiboutiennes n’ont aujourd’hui plus grand-chose à revendiquer. Elles doivent juste s’emparer de leurs droits ». Seul bémol, la question de l’héritage. Dans ce domaine, la loi du mâle l’emporte encore pour l’instant. C’est d’ailleurs la question financière de façon plus générale qui continue de limiter le rôle économique des Djiboutiennes. En la matière, elles « font encore l’objet d’une véritable discrimination », regrette Amina Saïd Chiré. Si elles n’ont pas encore réussi à pénétrer le secteur privé, les femmes ont cependant consolidé leurs positions dans le public dans la foulée du Plan national du genre (PNG), adopté en 2009. Leur présence dans les partis politiques n’a également cessé d’augmenter, à mesure que les quotas de femmes au Parlement étaient revus à la hausse – 20 % en 2008 et 25 % depuis mars 2018. Une tendance qui devrait se poursuivre, car les Djiboutiennes semblent bien décidées à ne pas baisser la garde. « L’objectif, c’est la vraie parité », insiste Ouloufa Ismaïl Abdo, qui, comme ses camarades, compte une nouvelle fois sur le volontarisme affiché par IOG pour décrocher les 50 %.

MIEUX ÉDUQUÉES QUE LES HOMMES, ELLES OCCUPENT AUJOURD’HUI 70 % DES POSTES DANS LA MAGISTRATURE.

« Vraie parité »

Au point que ces bouleversements provoquent des crispations chez les hommes, bousculés dans leurs habitudes et plus forcément assurés d’être dans leur bon droit.

Ismahan MAHAMOUD IBRAHIM

Première présidente de la Cour des comptes

104

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

ABOUY HALLOYTA

L

’œil sévère et le discours clair. Pour Ismahan Mahamoud Ibrahim, les bons comptes publics font les bons États. Et depuis sa nomination, en juillet 2017, Mme la présidente de la Cour des comptes de la République de Djibouti n’a de cesse qu’elle n’ait renforcé l’indépendance et la crédibilité de ses services. Elle a réussi le tour de force de réaliser l’an dernier le premier rapport général jamais publié par l’organisme, pourtant créé en 2002. Reste que ses recommandations sont encore loin d’être suivies à la lettre. « Difficile d’asseoir notre mission de contrôle dans la société djiboutienne », reconnaît-elle. Cette experte-comptable de 50 ans a suivi des formations à Dakar et à Bordeaux tout en poursuivant sa carrière au sein du ministère des Finances de son pays. Alors que son mandat prendra fin dans un an, elle estime avoir déjà fait bouger les lignes au sein de son administration, « comme toutes les Djiboutiennes qui aujourd’hui peuvent occuper des responsabilités et changer les choses ».


PUBLI-INFORMATION

LE FINANCEMENT PUBLIC DE L’INITIATIVE PRIVÉE

www.fdeddjibouti.com

L

e fonds de développement de Djibouti, est un établissement public à caractère commercial jouissant d’une large autonomie financière dont le mandat est de promouvoir l’essor et le développement du secteur privé à Djibouti. Il est, en effet, chargé de mettre en œuvre la politique fixée par le Gouvernement destinée à l’essaimage des PME à Djibouti à travers l’octroi de prêts à moyen et à long terme à des conditions incitatives.

Outre le financement des PMI-PME, le FDED contribue particulièrement à la promotion de l’entrepreneuriat féminin et de celui des jeunes en application des priorités définies par le Président de la République, son Excellence Monsieur Ismail Omar Guelleh.

DIFCOM - PHOTOS : ABOU SAUF MENTION

Les ressources financières du FDED proviennent essentiellement des lignes de crédits accordées par les bailleurs de fonds Internationaux.

RÉPARTITION DES PRÊTS PAR SECTEURS D’ACTIVITÉS 2018 Répartition des octrois de prêts par secteurs d’activités Tourisme Service

Primaire 7% 6%

21 %

Petite industrie 14 % 10 %

42 %

Commerce

Transport

Siège social : Angle de l’avenue Georges Clémenceau et de la rue Pierre Curie BP : 520 - Djibouti Email : fded@intnet.dj Tél : (+253) 21 35 33 91 Fax : (+253) 21 35 50 22


Grand format DJIBOUTI SOCIÉTÉ

Ilaya Ismaïl GUEDI HARED

Présidente de l’Union pour la démocratie et la justice (UDJ)

ABOU HALLOYTA

I

smaïl Guedi Hared doit être fier. La fille unique de cette figure historique de l’opposition décédée en septembre 2015 est sortie victorieuse des législatives de février 2018. Également présidente de l’Union pour la démocratie et la justice, le parti qu’il avait créé, Ilaya est même aujourd’hui, à 27 ans, la chef de file de l’opposition sur les bancs de l’Assemblée nationale. « Je suis là où je dois être », estime l’héritière, qui a toujours travaillé avec son père, même lorsqu’elle poursuivait ses études d’économie politique en France. Née à Djeddah, elle ne rentre vraiment vivre à Djibouti qu’en 2015, pour intégrer les services de la Banque centrale et démarrer en parallèle une carrière politique. « Par amour du pays », comme son père, mais surtout « pour mettre un terme à cette société clanique et patriarcale ». Si elle reconnaît une nette amélioration de la condition des Djiboutiennes ces quinze dernières années, elle en veut plus. Et les 25 % de sièges réservés aux députées depuis 2018 ne sont qu’un début pour Ilaya, qui souhaite la parité. Et rêve d’être la première femme à prendre la tête d’un ministère régalien dans son pays.


Concernant cette rubrique, adressez-vous à Fabienne Lefebvre Tél. : 01 44 30 18 76 - Fax : 01 44 30 18 77 - Email : f.lefebvre@jeuneafrique.com DIFCOM Régie publicitaire centrale du Groupe Jeune Afrique 57 bis, rue d’Auteuil 75016 Paris - France

ANNONCES CLASSÉES

SOCIÉTÉ DE GESTION DE L’ÉNERGIE DE MANANTALI (SOGEM) AVIS DE PUBLICITÉ EN VUE D’UNE PRÉ-QUALIFICATION pour la passation d’un contrat de PPP pour l’exploitation et la revente de la capacité excédentaire du Câble de Garde à Fibre Optique de la SOGEM 1. La Société de Gestion de l’Energie de Manantali (la «SOGEM»), avec l’appui de l’Association Internationale de Développement, du Groupe de la Banque Mondiale («AID»), a entrepris de mettre en œuvre un projet de PPP avec accès ouvert ayant pour objet la mise en exploitation de paires de fibres disponibles sur le réseau du Câble de Garde à Fibre Optique (le «Réseau CGFO») dont la gestion, l’exploitation et la maintenance ont été confiées à la SOGEM par l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal («OMVS»). Un opérateur de gros privé (l’ «Opérateur de Gros»), sélectionné sur la base d’un appel d’offres international ouvert et transparent, conclura avec la SOGEM, un contrat de partenariat public-privé (le «Contrat de Partenariat») pour l’exploitation et la commercialisation de la capacité des paires de fibres disponibles du Réseau CGFO dans les Etats membres de l’OMVS (le «Projet»). 2. A cet effet, la SOGEM fait paraître un avis de pré-qualification (l’ «Avis de Pré-qualification») relatif au processus de pré-qualification des candidats intéressés par le Projet (les «Candidats»).

3.1. Critères techniques Le Candidat, ou s’il s’agit d’un groupement, au moins l’un des membres du groupement Candidat (l’ «Opérateur»), doit pouvoir prouver qu’il possède l’expérience et les capacités techniques nécessaires à la réalisation et à la gestion du Projet, en produisant les éléments et en satisfaisant les critères techniques suivants : (i) soumission des références acquises par le Candidat au cours des cinq (5) dernières années, dans le domaine d’activité considéré, en matière de conception, de réalisation et d’exploitation technique et commerciale de réseaux de fibre optique de type backbone pour la fourniture de services en accès ouvert de bande passante SDH et Ethernet, de services d’hébergement et de services de transit IP, avec un minimum d’une (1) référence similaire attestée (PV ou attestation de services faits) dans les cinq (5) dernières années ; (ii) description des capacités techniques et moyens humains dont le Candidat dispose pour assurer l’exploitation, la commercialisation et la continuité de service du Réseau CGFO, objet du Contrat de Partenariat. 3.2. Critères financiers Le Candidat, ou s’il s’agit d’un groupement, l’ensemble des membres pour les critères visés au (i) à (ii) ci-dessous et au moins l’un des membres du groupement Candidat (le «Partenaire Financier») pour le critère visé au (iii) ci-dessous, doit pouvoir prouver qu’il dispose des ressources financières nécessaires à l’accomplissement de ses missions, au titre du Projet, en satisfaisant aux critères financiers suivants : (i) soumission de déclarations concernant le chiffre d’affaires global et le chiffre d’affaires relatif à des prestations similaires à celles, objet du Contrat de Partenariat envisagé au cours des trois (3) derniers exercices clos (ou des derniers exercices réalisés pour les Candidats ou Membres du Groupement dont l’existence est inférieure à trois (3) années) ; (ii) fourniture des bilans et comptes de résultat certifiés par les Commissaires aux Comptes accompagnés des rapports des Commissaires aux comptes correspondant ou par toute autre entité conformément aux pratiques de son pays d’enregistrement pour les trois (3) derniers exercices clos du Candidat (ou des derniers exercices réalisés pour les Candidats ou Membres du Groupement dont l’existence est inférieure à trois (3) années) ; (iii) démonstration de la capacité de mobilisation de financements internes et/ou externes au moins équivalents au montant des investissements envisagés à la charge du Partenaire, au titre du Contrat de Partenariat envisagé, c’est-à-dire au moins égal à un million cinq cent mille euros (1 500 000 €).

4. La SOGEM annonce aux Candidats exprimant le souhait de se pré-qualifier et ayant l’expérience requise, la mise à disposition d’un Dossier de Pré-qualification auprès de la Direction Générale, à Bamako (Mali). Le Dossier de Pré-qualification sera remis physiquement ou électroniquement, au choix du candidat contre remise d’un paiement forfaitaire non remboursable de 200 000 FCFA, ou 300 Euros ou l’équivalent de 200 000 FCFA en toute autre monnaie librement convertible aux Candidats qui se seraient manifestés ainsi qu’à ceux identifiés par la SOGEM et ayant confirmé leur intérêt. Le paiement sera effectué par versement direct sur le compte bancaire N° : 026703016628 Banque : BDM - au nom de la Société de Gestion de l’Énergie de Manantali (SOGEM) - Code Banque : ML016 - Code Guichet : 01201 RIB : 24, ou par paiement en espèces, contre reçu, auprès des services financiers de la SOGEM. 5. Les demandes de communication du Dossier de Pré-qualification pourront être faites par écrit à l’attention du Directeur Général de la SOGEM et à l’adresse indiquée au 9.1 ci-après. Un Candidat souhaitant obtenir des clarifications sur le Dossier de Pré-qualification ou sur le Projet, postérieurement à la publication de l’Avis de Pré-qualification devra transmettre ses questions par écrit à la SOGEM par courrier ou par courriel à l’adresse indiquée au 9.1 ci-après, dans les conditions prévues au Dossier de Pré-qualification. 6. Les Candidats ayant reçu un Dossier de Pré-qualification sont invités à soumettreleursdossiersdecandidature(les«DossiersdeCandidature») dûment complétés et signés, conformément aux dispositions du Dossier de Pré-qualification au plus tard le 26 Juillet 2019 à 11 heures précises (heures de Bamako/Mali) sous pli scellé, portant clairement la mention «PROJET RESEAU CGFO SOGEM» ainsi que le nom et l’adresse du Candidat, dans les conditions prévues au Dossier de Pré-qualification. Les Dossiers de Candidature doivent être remis en main propre, contre signature ou adressés à la SOGEM, à l’adresse indiquée au 9.2 ci-après (seule autorisée pour la remise des candidatures). Les candidatures reçues en retard (hors délais) ne seront pas acceptées, donc retournées non ouvertes. La soumission des candidatures par voie électronique ne sera pas autorisée.

AVIS DE PRÉ-QUALIFICATION

3. Les Candidats intéressés doivent apporter la preuve qu’ils remplissent les critères de qualification techniques, financiers et juridiques suivants, conformément au dossier de pré-qualification (le «Dossier de Pré-qualification»).

3.3. Critères juridiques Le Candidat, ou s’il s’agit d’un groupement, chaque membre du groupement Candidat, devra fournir les documents et attestations démontrant sa capacité juridique à participer à l’appel d’offres et à réaliser le Projet, tels que prévus dans le Dossier de Pré-qualification.

7. Une conférence préalable à la préparation et à la remise des candidatures sera organisée le 18 juillet 2019 à Dakar au Sénégal. 8. Les Candidats réputés pré-qualifiés, suite à l’évaluation des Dossiers de Candidature, par la Commission Ad Hoc, seront invités à participer à la phase d’appel d’offres du Projet. 9. Les adresses autorisées sont les suivantes : 9.1. Pour les demandes de communication du Dossier de Pré-qualification et les demandes de clarification : Monsieur le Directeur Général de la SOGEM ACI 2000 Parcelle N° 2501, 3ème étage BP E-4015 - Bamako - République du Mali Tél. : 00 223 20 23 32 86 / 00 223 20 23 26 57 ; Fax : 00 223 20 23 83 50 Email : spdg@sogem-omvs.org avec copie obligatoire à baye.faye@sogem-omvs.org et seydou.sidibe@sogem-omvs.org, AO-SOGEM@gide.com 9.2. Pourlaremiseuniquementdescandidatures(seuleadresseautorisée): Attention Monsieur le Directeur Général de la SOGEM/Secrétariat de la Direction Générale de la SOGEM, 3ème Étage ACI 2000 Parcelle N° 2501 – Bamako/Mali. 9.3. Pour l’ouverture des candidatures uniquement : Salle de conférence de la Direction Générale de la SOGEM, 3ème Etage ACI 2000 Parcelle N° 2501 – Bamako/Mali. Bamako, le 12 Juin 2019 Le Directeur Général de la SOGEM, Tamsir NDIAYE

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

107


ANNONCES CLASSÉES

AVIS DE REPORT Appel d’Offres N° ASECNA/DETD/1914/2019 L’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) porte à la connaissance des entreprises intéressées par l’appel d’offres International Ouvert relatif à la mise à niveau de l’infrastructure informatique à l’échelle de l’agence (composante IT du DATACENTER) que :

AVIS DE PRÉ-QUALIFICATION APPEL D’OFFRES - RECRUTEMENT

• la date limite de remise des offres à la Direction des Etudes et Projets (ASECNA), Route de la corniche des Almadies - proximité du lieu de pèlerinage des Layènes à Dakar (Sénégal), initialement fixée au 20 juin 2019 à 12 heures, heure locale (GMT), est reportée au 04 juillet 2019 à 12 heures, heure locale (GMT) ; • la date d’ouverture des plis en séance publique devant les soumissionnaires (ou leurs représentants) qui le désirent dans la salle de réunion de la Direction des Etudes et Projets aux Almadies à Dakar – Sénégal, initialement fixée au 20 juin 2019 à 13 heures, heure locale (GMT) est reportée au 04 juillet 2019 à 13 heures, heure locale (GMT). Le reste de l’appel d’offres demeure inchangé. Le Directeur Général

AVIS DE REPORT Appel d’Offres

Banque Islamique de Développement

N° ASECNA/DETD/1909/2019 L’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) porte à la connaissance des entreprises intéressées par l’appel d’offres International Ouvert relatif la fourniture, livraison, installation, essais et mise en service opérationnel des Commutateurs RSFTA/AMHS destinées aux centres d’Abidjan, Bangui, Banjul, Bissau, Douala, Libreville, Malabo et Moroni que : • la date limite de remise des offres à la Direction des Etudes et Projets (ASECNA), Route de la corniche des Almadies - proximité du lieu de pèlerinage des Layènes à Dakar (Sénégal), initialement fixée au 18 juin 2019 à 12 heures, heure locale (GMT), est reportée au 18 juillet 2019 à 12 heures, heure locale (GMT) ; • la date d’ouverture des plis en séance publique devant les soumissionnaires (ou leurs représentants) qui le désirent dans la salle de réunion de la Direction des Etudes et Projets aux Almadies à Dakar – Sénégal, initialement fixée au 18 juin 2019 à 13 heures, heure locale (GMT) est reportée au 18 juillet 2019 à 13 heures, heure locale (GMT). Le reste de l’appel d’offres demeure inchangé. Le Directeur Général

108

Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

AVIS D’APPEL D’OFFRES INTERNATIONAL (ADDITIF) CÔTE D’IVOIRE PROJET D’AMÉLIORATION DES SERVICES DE CARDIOLOGIE DE BOUAKÉ EN CÔTE D’IVOIRE

ACQUISITION, INSTALLATION ET MISE EN SERVICE DES ÉQUIPEMENTS MÉDICAUX DE L’INSTITUT DE CARDIOLOGIE DE BOUAKÉ

Mode de financement : ACCORD DE VENTE À TEMPÉRAMENT Financement Projet N° 2 IVC 0022 - Prêt BID N° 2IVC 0021 du 22 novembre 2012

Adresse : Unité de Gestion du Projet (UGP) sise à Bouaké, quartier Kennedy, Ilot n° 09, Lot 83, derrière les anciens bureau de l’UNICEF 01 BP 166 Bouaké 01 - Côte d’Ivoire Mobile : +225 79 36 19 73 ou +225 89 93 67 63 ou + 225 07 98 76 50 ou +225 49 27 39 44 ; Tél. : +225 31 64 02 00 E-mail : ugp.pascab@gmail.com.


ANNONCES CLASSÉES

RÉPUBLIQUE DU NIGER MINISTÈRE DE LA SANTÉ PUBLIQUE SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DIRECTION DES ÉTUDES ET DE LA PROGRAMMATION PROJET DE SOUTIEN AU PROGRAMME NATIONAL DE PRÉVENTION ET DE CONTRÔLE DES MALADIES AU NIGER

AVIS D’APPEL D’OFFRES INTERNATIONAL (AOI/PM) Acquisition et installation de matériels et accessoires médicaux pour l’unité de soins bucco-dentaire de Tillabéri, le programme de soins bucco- dentaire de Niamey et le programme national santé mentale Mode de financement : conforme à la Shari’ah - Financement n° : 2NIR 134-135 Contrat / Bid : selon le plan d’achat - Date : 24 juin 2019 AOI/PM N° : 02/2019/MSP/SG/DEP/Projet 2NIR 134-135

2.Le Gouvernement de la République du Niger a reçu un financement de la Banque Islamique de Développement (BID) pour couvrir le coût du Projet de Soutien au Programme National de Prévention et de Contrôle des Maladies au Niger, et a l’intention d’utiliser une partie des fonds pour effectuer des paiements au titre du Marché pour Acquisition et installation de matériels et accessoires médicaux pour l’unité de soins bucco- dentaire de Tillabéri, le programme de soins bucco- dentaire de Niamey et le programme national santé mentale. Le Ministère de la Santé Publique invite maintenant les offres scellées de soumissionnaires éligibles pour fournir et installer de matériels et accessoires médicaux pour l’unité de soins bucco- dentaire de Tillabéri et les unités de santé mentale d’Agadez, Diffa, Dosso, Maradi, Tahoua et Tillabéri. 3.Lot 1 : Fourniture et Installation d’Equipement médical et fourniture pour l’unité de soins bucco- dentaire de Tillabéri ; Lot 2 : Fourniture et Installation d’Equipements médicaux et de fourniture pour le programme national santé mentale ; Lot 3 : Fourniture de matériel informatique pour l’unité bucco- dentaire de Tillabéri, et les programmes nationaux Bucco- dentaire et santé mentale ; Lot 4 : Fourniture de mobiliers pour l’unité bucco- dentaire de Tillabéri, et les programmes nationaux Buccodentaire et santé mentale. La période de livraison est de cinq (5) mois à compter de la date de notification du procès-verbal de la validation des calculs fiscaux de la Direction Générale des Douanes (Commission Technique chargée d’examiner la validité des calculs fiscaux). L’évaluation se fera par lot. Les lots sont indivisibles. Les soumissionnaires peuvent soumissionner pour un lot, plusieurs ou l’ensemble des lots. Le nombre de lots à attribuer par soumissionnaire n’est pas limitatif. 4. La sélection se déroulera conformément aux procédures spécifiées dans les Directives de la Banque Islamique de Développement (BID) de mai 2009 révisée en février 2012 pour l’acquisition des biens et travaux sous financement de la Banque Islamique de Développement, et est ouverte à

tous les soumissionnaires éligibles tels que définis dans la Section V du Dossier d’Appel d’Offres. 5. Les soumissionnaires intéressés peuvent obtenir des informations supplémentaires et examiner les documents d’appel d’offres au niveau de : Ministère de la Santé Publique Unité de gestion du projet à l’adresse ci- dessous pendant les heures de bureau du lundi au jeudi de 8h à 13h et de 14h30 à 17h30, et le vendredi de 8h à 13h heure locale (GMT+1). Un ensemble complet de documents d’appel d’offres en langue française peut être acheté par les soumissionnaires intéressés sur la présentation d’une demande écrite à l’adresse ci-dessous et sur paiement d’un montant non remboursable de Cent Mille (100 000) francs CFA (ou équivalent dans une monnaie librement convertible) en liquide ou en chèque certifié. Le document d’Appel d’offres est à retirer directement par le fournisseur auprès de l’acheteur ou le dossier d’appel d’offres pourra sur demande être envoyé par courrier express et après payement en avance des frais d’acquisition et d’expédition. 6. Toutes les offres doivent être accompagnées d’une garantie de soumission de : Lot 1 : Trois Millions (3 000 000) de francs CFA ; Lot 2 : Un Million (1 000 000) de francs CFA ; Lot 3 : Un Million (1 000 000) de francs CFA ; Lot 4 : Un Million (1 000 000) de francs CFA.

AVIS DE PRÉ-QUALIFICATION APPEL D’OFFRES - RECRUTEMENT

1.Le présent avis d’appel d’offres fait suite à l’Avis Général de Passation des Marchés du projet paru dans le sahel quotidien n° 9267 en date du 24 janvier 2017 et sahel dimanche n° 1725 du 3 février 2017 ainsi que dans le Plan de Passation des marchés publics du Ministère de la Santé Publique au titre de l’année 2019 paru dans le sahel quotidien n°9657 du 21 janvier 2019.

(ou un montant équivalent dans une monnaie librement convertible). Les offres devront être soumises à l’adresse ci-dessous au plus tard le 22 Août à 09h30 heure locale (GMT + 1). Elles seront ouvertes immédiatement après, en présence des représentants des soumissionnaires qui souhaitent y assister, à l’adresse ci-dessous. Les offres tardives seront rejetées et retournées non décachetées. Ministère de la Santé Publique Unité de Gestion du Projet Quartier plateau boulevard Mali Béro/ Avenue des Amirou (à côté de la Direction Générale de Niger Télécoms) À l’attention : M. Daouda DJINGAREY Coordonnateur du projet BP : 623 Niamey- NIGER Tél : (227) 96 96 86 79 / 90 21 26 35 Courriel : djingareydaouda@yahoo.fr M. Daouda DJINGAREY

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

109


ANNONCES CLASSÉES

depuis 2001

Présent dans + de 48 pays dont 20 pays africains

€ 0€ 00€ 400 40 04 m²² | 30 00m 200m 200 120 ~ 12 *

A CFA 95M F CF ,95 9,,9 19 OT 0’ OT 0’ 40 ur 4 eur eu ne ten ntte nte on co 1 con

*Prix HT déjà *Prix dé à remiisé d déj é pour lla a gamme mme Galvaba l b t®, lvabat® t® du d rée é limitée. ité Taux Taux de de conversio i n au 1 18/06/2 8/06/2019. 8/06/2 019. 9 Le coût ût du ût d ttranspo anspor s t ett les les plans pla l ns express ex ress ne sont exp sont p pas ass éligibl ligibl lig gibles à la p promotio m motion . Phot Pho Ph toss no non contr c actuelles. actuel elles les. le e Sauf uf er erreur reur eur o ou u om omis omissions sions. ions..

00352 621 355 134 commercial@batimentsmoinschers.com 20 20 10 10 www.afrique.batimentsmoinschers.com q

Tél : 00352

Retrouvez COMMUNIQUÉ - DIVERS

toutes nos annonces sur le site : www.jeuneafrique.com

République Démocratique du Congo

COMMUNIQUÉ

Ministère des Finances Cellule d’Exécution des financements en faveur des Etats Fragiles - « La CFEF »

LA FIRME STRATEGOS GROUP A ÉTÉ SÉLECTIONNÉE EN QUALITÉ D’AMÉNAGEUR DE LA ZONE ÉCONOMIQUE SPÉCIALE PILOTE DE MALUKU

Au terme d’un processus compétitif, la Cellule d’Exécution des Financements en faveur des Etats Fragiles a finalisé la sélection de la firme STRATEGOS Group, en qualité d’Aménageur de la Zone Economique Spéciale (ZES) pilote de Maluku, dans le cadre de la mise en oeuvre de la composante 2 du Projet de Développement des Pôles de Croissance Ouest, financé par la Banque mondiale. Le recrutement a bénéficié de l’appui d’un conseil en transactions de réputation internationale. STRATEGOS Group devient ainsi, un partenaire privé du Gouvernement de la République Démocratique du Congo, qui devra, par ses activités attirer des investisseurs privés sur la Zone, en vue de soutenir la croissance économique et la création d’emplois. A cet effet, il devra aménager les infrastructures physiques et fournir des services mutualisables, dans un espace foncier sécurisé de 211 hectares, bénéficiant d’un cadre légal attractif et des procédures administratives simplifiées. Il assurera l’animation managériale de la Zone notamment, par la commercialisation de droits d’occupation des différents terrains parcellisés auprès d’opérateurs économiques souhaitant s’y implanter pour développer leurs activités économiques et par la fourniture de différents services aux opérateurs économiques y installés. La Zone Economique Spéciale pilote de Maluku a été créée par Décret n°12/021 du 16 juillet 2012. Le site est situé à environ 70 km au nordest de Kinshasa, en bordure du fleuve Congo, et à proximité du couloir routier Kinshasa-Kikwit. Le périmètre total de la Zone Économique Spéciale de Maluku englobe des terrains existants autour d’une

110

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

ancienne aciérie appartenant à une entreprise publique dénommée la Société Sidérurgique de Maluku « SOSIDER ». Grâce à sa position multimodale sur le couloir Kinshasa-Kikwit, la ZES sera un élément moteur du projet de pôles de croissance. Fondée en 2005, STRATEGOS Group est une holding internationale de droit colombien dont les entreprises membres opèrent dans des domaines diversifiés d’activités notamment, la finance, la santé, l’énergie, les infrastructures, l’agro-industrie, les mines et les technologies de l’information. La Holding a son siège social à Bogota en Colombie. STRATEGOS Group mettra en place une structure juridique ad hoc sous la forme d’une société commerciale de droit congolais, qui dans le cadre d’un Special Purpose Vehicle (SPV), sera dédiée au développement du projet. La régulation des Zones Economiques Spéciales est assurée par l’Agence des Zones Économiques Spéciales « AZES », conformément au Décret n°15/007 du 14 avril 2015, tel que modifié et complété à ce jour. Ainsi, pour le démarrage de ses activités, STRATEGOS Group signera avec cet établissement public un contrat d’aménagement dans le cadre d’un Partenariat Public-Privé, conformément à l’article 12 de la Loi n°14/022 du 7 juillet 2014 fixant le régime des zones économiques spéciales en République Démocratique du Congo. Kinshasa, le juin 2019 Le Coordonnateur National, Alain LUNGUNGU KISOSO


ANNONCES CLASSÉES

CALL FOR EXPRESSION OF INTEREST FOR THE PROVISION OF ENGLISH TO FRENCH FREELANCE TRANSLATION SERVICES GLOBAL CORPORATE SOLUTIONS TRANSLATION AND INTERPRETATION UNIT (GCSTI) THE WORLD BANK Expression of interest is hereby invited from English to French translators to provide French freelance translation services for the Global Corporate Solutions Translation and Interpretation Unit (GCSTI) of the World Bank. Unit issuing the invitation: Global Corporate Solutions Translation and Interpretation Brief description of the assignment: Individual French translation service providers (freelancers”) Place of assignment: Home-based Commencement date: August 1, 2019 For more info send email to: translation@worldbank.org 2. Administration The vendors shall work with the French Team Client Service Representatives as their interface for administrative matters and with inhouse revisors for translation-related issues such as queries, terminology, harmonization, guidance, etc.

The French Translation Program of GCSTI is seeking to strengthen its vendor capacity with reliable seasoned self-revised translators from across the world. French translation vendors are expected to provide high quality self-revised translations in accordance with World Bank terminology and translation style guide and requiring very little or no revision.

4. Qualifications and Experience Required Prospective vendors shall possess the following qualifications and skills: • At least a Master’s degree or equivalent qualification/experience in translation; • Relevant experience of at least ten (10) years in translation in, or regularly with, a development finance institution, an international organization or a similar body; • Excellent writing skills in English and French; • Ability to work reliably, independently and effectively, including under pressure, and to meet agreed deadlines; • Adequate knowledge of the core business, activities and operations of the World Bank; • Experience working for the World Bank and/or other development finance institutions, national and international financial institutions and relevant national ministries and agencies or international organizations; • Computer literacy and familiarity with standard software as well as with computer-assisted translation (CAT) tools, especially SDL Studio and GroupShare, and similar software will be an added advantage; • Ability to work in a multicultural and multilingual setting; and • Ability to work in a team and to communicate effectively.

1. Objectives and Scope of the Assignment • GCSTI will use the services of the selected vendors, as and when needed, to meet the institution’s French translation needs throughout the duration of their contract; • The vendors shall be paid for the services effectively provided based on GCSTI rates, which are competitive and in line with international standards; • The vendors will be required to submit quality translations requiring very little revision (during a probationary period to be determined by GCSTI) or no revision (after the probationary period); • Documents to be translated shall be related, but not be limited, to project documents, policy and strategy documents, reports, memos, legal and research papers, and communication materials; • For each assignment, the parties (vendor and GCSTI) shall agree on the duration, completion date and cost of the service to be provided. • The costs shall be based on defined rates set by GCSTI and considering international standards; • The payment of vendors, continuation and subsequent renewal of contracts, shall be contingent upon satisfactory periodic and annual performance reviews.

3. Duration of the assignment A framework contract shall be signed with GCSTI for a duration of one year. It shall commence on August 1, 2019 and end on July 31, 2020. The contract shall be renewed each year by GCSTI subject to satisfactory assessment of the performance of the vendor over the preceding year.

MANIFESTATION D’INTÉRÊT

Background The Global Corporate Solutions Translation and Interpretation Unit (GCSTI) is one of the units comprising the Global Corporate Solutions Corporate Services (GCSCS) of the World Bank. It provides a wide range of language services to other World Bank Group units on a chargeback basis. Its highly trained in-house language professionals, ranging from interpreters, revisers, translators and editors to proofreaders, transcriptionists and desktop publishers located both at headquarters in Washington DC and in regional country offices are supplemented by a network of external vendors (or “freelancers”), who account for approximately 80% of the Unit’s capacity.

5. How to apply Interested English to French translators are hereby invited to electronically submit (i) a letter of expression of interest, (ii) a resume, and (iii) two letters of recommendation, no later than July 22, 2019, to the following email address translation@worldbank.org stating “Call for Expression of Interest – FRENCH” in the subject line.

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

111


ANNONCES CLASSÉES

AVIS À MANIFESTATION D’INTÉRÊT POUR LA SÉLECTION D’UN CONSULTANT INDIVIDUEL CHARGÉ D’ANIMER UNE FORMATION EN PILOTAGE DE LA PERFORMANCE GLOBALE ET RATING DES SYSTÈMES FINANCIERS DÉCENTRALISÉS

AVIS DE PRÉ-QUALIFICATION MANIFESTATION D’INTÉRÊT - RECRUTEMENT

La Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a reçu un don du Groupe de la Banque Africaine de Développement afin de couvrir le coût du Projet de mise en œuvre de la Stratégie régionale d’inclusion financière dans l’UEMOA, et a l’intention d’utiliser une partie des sommes accordées au titre de ce don pour financer le contrat d’un Consultant individuel national pour le renforcement des capacités du secteur de la microfinance dans chaque pays de l’Union. Les services prévus au titre de ce contrat comprennent la réalisation, au niveau national, d’une formation en « Pilotage de la performance globale et rating des SFD » ainsi que la mise à disposition d’outils pertinents en la matière. D’une durée de trois jours, cette formation de consolidation, conduite par un Consultant spécialiste, ayant une grande expérience dans les domaines de la performance et de l’évaluation (rating) des institutions financières, sera illustrée par des études de cas. Cette formation sera, par la suite, transférée et inscrite au programme annuel de formation de l’Association Professionnelle des SFD de chaque pays de l’Union, au profit des agents des SFD. La BCEAO invite les Consultants à manifester leur intérêt, en vue de fournir les services décrits ci-dessus en transmettant leur CV. Les consultants Individuels intéressés doivent produire les informations sur leur qualification et expérience démontrant qu’ils ont les compétences requises

Les critères d’éligibilité, l’établissement de la liste restreinte et la procédure de sélection seront conformes aux « Règles et Procédures pour l’utilisation des Consultants » de la Banque Africaine de Développement, octobre 2015, qui sont disponibles sur le site web de la Banque à l’adresse : http://www.afdb.org. Les consultants intéressés peuvent obtenir des informations supplémentaires à l’adresse mentionnée ci-dessous. Les expressions d’intérêt doivent être déposées à l’adresse mentionnée ci-dessous au plus tard le mardi 02 juillet 2019 à 17h00 et porter expressément la mention « SRIF – [Pays] – Appel à manifestation d’intérêt pour la réalisation d’une formation en Pilotage de la performance globale et rating des SFD - DOSSIER DIF0024J19 ». Direction de l’Inclusion Financière À l’attention : Directeur de l’Inclusion Financière BCEAO - SIÈGE Avenue Abdoulaye FADIGA, Dakar - Sénégal Fax : +221 33 823 42 71 Std : +221 33 839 05 00 - Poste : 4196 E-mail : courrier.ZDIF@bceao.int

AVIS À MANIFESTATION D’INTÉRÊT POUR LA SÉLECTION D’UN CONSULTANT INDIVIDUEL CHARGÉ DE LA RÉALISATION D’UNE FORMATION EN CONTRÔLE INTERNE, GESTION DES RISQUES ET SURVEILLANCE FINANCIÈRE DES SYSTÈMES FINANCIERS DÉCENTRALISÉS

La Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a reçu un don du Groupe de la Banque Africaine de Développement afin de couvrir le coût du Projet de mise en œuvre de la Stratégie régionale d’inclusion financière dans l’UEMOA, et a l’intention d’utiliser une partie des sommes accordées au titre de ce don pour financer le contrat d’un Consultant individuel national pour le renforcement des capacités du secteur de la microfinance dans chaque pays de l’Union.

pour réaliser les prestations (documentation, référence de prestations similaires, expérience dans des missions comparables… etc.).

Les services prévus au titre de ce contrat comprennent la réalisation, au niveau national, d’une formation en « contrôle interne, gestion des risques et surveillance financière des Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) » ainsi que la mise à disposition d’outils pertinents en la matière. D’une durée de trois jours, cette formation de consolidation, conduite par un Consultant spécialiste, ayant une grande expérience dans les domaines de la surveillance financière, de la gestion des risques et du contrôle interne, sera illustrée par des études de cas.

Les consultants intéressés peuvent obtenir des informations supplémentaires à l’adresse mentionnée ci-dessous.

Cette formation sera, par la suite, transférée et inscrite au programme annuel de formation de l’Association Professionnelle des SFD de chaque pays de l’Union, au profit des agents des SFD. La BCEAO invite les Consultants à manifester leur intérêt, en vue de fournir les services décrits ci-dessus en transmettant leur CV. Les consultants Individuels intéressés doivent produire les informations sur leur qualification et expérience démontrant qu’ils ont les compétences requises

112

pour réaliser les prestations (documentation, référence de prestations similaires, expérience dans des missions comparables… etc.).

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

Les critères d’éligibilité, l’établissement de la liste restreinte et la procédure de sélection seront conformes aux « Règles et Procédures pour l’utilisation des Consultants » de la Banque Africaine de Développement, octobre 2015, qui sont disponibles sur le site web de la Banque à l’adresse : http://www.afdb.org.

Les expressions d’intérêt doivent être déposées à l’adresse mentionnée ci-dessous au plus tard le mardi 02 juillet 2019 à 17h00 et porter expressément la mention « SRIF – [Pays] – Appel à manifestation d’intérêt pour la réalisation d’une formation en contrôle interne, gestion des risques et surveillance financière des Systèmes Financiers Décentralisés - DOSSIER DIF0024J19 ». Direction de l’Inclusion Financière À l’attention : Directeur de l’Inclusion Financière BCEAO - SIÈGE Avenue Abdoulaye FADIGA, Dakar - Sénégal Fax : +221 33 823 42 71 Std : +221 33 839 05 00 - Poste : 4196 E-mail : courrier.ZDIF@bceao.int


LE COURRIER DES LECTEURS Envoyez-nous vos réactions, vos réflexions, vos coups de gueule ou de cœur à courrier@jeuneafrique.com ou au 57 bis, rue d’Auteuil, 75016 Paris CÔTE D’IVOIRE

Tidjane Thiam, candidat masqué?

La ville suisse de Montreux abritait, du 30 mai au 2 juin 2019, la 67e conférence annuelle du groupe de Bilderberg. Quelque 130 personnalités parmi les plus influentes d’Europe et des États-Unis y ont participé. Seule sommité africaine conviée, Tidjane Thiam, PDG du Crédit Suisse, qui y prenait part en tant que citoyen helvétique. Le groupe de Bilderberg, l’un des cercles les plus fermés du monde, est considéré – à tort ou à raison – comme le club de ceux qui dirigent la planète. Un

détail et une présence qui ne devraient pas être pris à la légère. Pendant ce temps, à Abidjan, chaque camp affûte ses armes. Guillaume Soro énumère sur les réseaux sociaux les complots du président Ouattara et de ses séides contre sa personne. Amadou Gon Coulibaly opère des castings pour s’entourer d’hommes de confiance quand le moment sera venu… En 2018, dans un communiqué publié par sa banque, Tidjane Thiam avait exclu l’idée de se présenter à l’élection présidentielle de 2020. S’il venait à changer d’avis, les réseaux de Bilderberg lui

‫ ﻣﻨﺘﺪى اﻟﻤﺘﻮﺳﻂ‬،‫ﻣﺆﺗﻤﺮ ﻗﻤﺔ ﺿﻔﺘَﻲ اﻟﻤﺘﻮﺳﻂ‬ SUMMIT OF THE TWO SHORES, MEDITERRANEAN FORUM

seraient bien utiles. Soro et Gon Coulibaly auraient alors du mal à se départir d’un adversaire si « internationalement » introduit. HUGUES MBALA MANGA, Douala, Cameroun

DÉMOGRAPHIE AFRICAINE

Limiter les naissances ne réglera rien

À propos de l’éditorial de François Soudan paru sous le titre « Le ventre des femmes africaines » (JA no 3048, du 9 au 15 juin). Si l’augmentation de la population mondiale est liée en grande partie aux naissances, il convient d’y associer la baisse non négligeable de la mortalité

infantile et l’augmentation de l’espérance de vie au niveau planétaire. Ainsi, le Burkina Faso a vu son espérance de vie passer de 51 à 61 ans en quelques années. J’en suis autant persuadé que vous: limiter les naissances ne réglera rien. C’est l’accès au développement qui freinera cette tendance démographique. De même, une aide au développement bien conduite évitera aux populations la tentation migratoire, avec les risques inhérents à ce déracinement. JEAN-MICHEL PRATICO, médecin et responsable associatif, Montpellier, France


POST-SCRIPTUM Fawzia Zouari

Les petits revenants ’est la grande question du moment : que faut-il faire des enfants dont les parents jihadistes sont morts ou sont emprisonnés en Irak et en Syrie? Faut-il les autoriser à rentrer au pays de naissance de leurs parents ou les laisser sur place ? La France n’est pas le seul État confronté à un tel casse-tête. La Tunisie s’est trouvée face à ce dilemme dès 2013. Abasourdie, elle avait alors entendu Habib Ellouze, député du parti islamiste Ennahdha, recommander à ses compatriotes d’adopter tout simplement les enfants des mères célibataires conçus dans les zones de conflits. Après moult tergiversations, la France s’est résolue à rapatrier quelques mineurs isolés ou orphelins lors de deux opérations effectuées en mars et en juin. Un sondage paru à la fin de février indiquait que 67 % des Français préféraient laisser les autorités syriennes et irakiennes s’occuper de ces enfants. Ils estimaient que, vulnérables, ces derniers risquaient de garder des souvenirs de la guerre et d’en vouloir à la France pour le sort fait à leurs parents. L’ancien procureur de la République de Paris, François Molins, jeta de l’huile sur le feu en les comparant à des « bombes à retardement », ce qui sous-entendait qu’ils pourraient former le contingent de futurs jihadistes. Côté opposé, on a vu s’intensifier la mobilisation des familles pour obtenir le retour des enfants. Des grandsparents sont montés au créneau,

C

114

jeuneafrique no 3050 du 23 au 29 juin 2019

réclamant leurs descendants, arguant de l’amour qu’ils leur portent, et de l’existence de structures d’accueil destinées à en faire de bons petits Français, notamment en les aidant à surmonter leurs traumatismes. « Il ne faut pas délirer, ont-ils martelé. En face, il y a des enfants et non des enfants soldats ; ils ne sont pas responsables de l’idéologie de leurs parents, et il est de l’intérêt de la société française de leur donner l’occasion de se reconstruire. Il s’agit d’une “mission d’intérêt général”, ni plus ni moins. »

Insertion

pratiquée sur les gamins pour s’assurer qu’ils ne portent pas des puces électroniques ; déshabillés donc, les chérubins, auscultés, lavés, pourvus d’autres vêtements, peluches, poupées et tétines de France. Avant de passer par les structures administratives, les rendez-vous chez le psy, la surveillance en vue de détecter les signaux d’alerte ou les conduites à risque. À tel point qu’on se demande si pareil déploiement de bonne volonté ne nuira pas gravement à la santé mentale de ces gamins qui, après tout, s’ils n’ont pas choisi de partir, n’ont pas choisi de revenir non plus. Deuxième constat : les islamistes ont résolu le problème en attribuant un statut aux descendants directs des jihadistes. Ainsi, tandis que la France s’inquiète de leur insertion présente dans la société, les religieux leur ont déjà assuré un avenir en leur accordant l’immunité ici-bas et même le rang de « martyr » obtenu par leurs parents. À l’instar de ces derniers, les petits revenants sont considérés comme des « soldats sacrifiés à la cause d’Allah », « le paradis leur étant d’ores et déjà acquis ». C’est plus simple, non ? Et périlleux à la fois.

Pour 67 % des Français, la Syrie et l’Irak doivent s’occuper des orphelins de jihadistes.

Au milieu, les sceptiques, lesquels soutiennent que ces mômes n’ont jamais vu leurs grands-parents et pourraient avoir entendu le pire à leur sujet. Comment, dans ces conditions, pourront-ils s’approprier leur histoire familiale perturbée, comprendre et clarifier leur filiation, réagir aux conditions de décès de leur papa ou de leur maman? Je ne veux être ni juge ni partie. Je constate seulement deux faits. D’abord, les mesures exagérées dont la France s’entoure pour des rapatriements qui ressemblent à des opérations commandos : atterrissages incognito, armada de médecins, urgentistes, infirmiers, psychiatres et policiers. Puis les séances de fouille

Abonnez-vousà Découvrez toutes nos offres d’abonnement sur

jeuneafrique.com ou contactez-nous au +33 (0) 1 44 70 14 74


Bienvenue au Sheraton Djibouti Hotel Valeurs traditionnelles, normes Internationales

Le Sheraton Djibouti Hotel est idéalement situé sur le golfe de Tadjourah, à distance de marche du centre-ville et à 10 minutes de l'aéroport. Avec 185 chambres et suites élégantes, restaurant ouvert toute la journée, bar dans le hall d'accueil, piscine extérieure avec bar, plage privée, centre de remise en forme, centre d'affaires et salon club à l’étage supérieur avec vue sur la mer, nous nous engageons à faire de votre séjour un moment agréable et mémorable. Soyez notre invité et profitez de la véritable hospitalité Djiboutienne. Sheratondjibouti

SHERATON DJIBOUTI HOTEL Plateau du Serpent P.O. Box: 1924, Djibouti T +253 21 328 000 F +253 21 356 500 sheratondjibouti.com Operated by Constellation Hospitality Group

Sheratondjiboutihotel MEMBER OF

©2019 Marriott International, Inc. All Rights Reserved. All names, marks and logos are the trademarks of Marriott International, Inc., or its affiliates.



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.