PRÉSIDENTIELLE 2019
MAROC Migrants : pourquoi Rabat hausse le ton
SÉNÉGAL
Macky Sall, la voie royale ?
GRAND FORMAT Afrique-France, un autre regard 10 pages
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 3014 DU 14 AU 20 OCTOBRE 2018
Récompensé par le Nobel de la paix pour son action en faveur des femmes violées dans l’est de son pays, le célèbre gynécologue et obstétricien ne se mêle pas des querelles politiciennes mais juge sévèrement le maintien au pouvoir de Joseph Kabila et critique le processus électoral.
DOSSIER Pétrole & gaz Spécial 10 pages
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Denisi Mukwege « Ce prix est une manière d’interpeller les Congolais » ÉDITION INTERNATIONALE ET AFRIQUE CENTRALE
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GRAND FORMAT
AFRIQUE-FRANCE
Un autre regard
’Afrique est partagée au sujet d’Emmanuel Macron. Elle envie sa jeunesse, qui tranche avec l’âge moyen de ses chefs d’État. Elle applaudit le milliard d’euros de dons supplémentaires inscrits au budget 2019 de l'Agence française de développement (AFD). Mais elle s’agace quand le président français lui dit crûment ses vérités. Quand il constate que « des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ». Ou quand il demande à un étudiant de n’avoir pas « une approche bêtement post-coloniale ou anti-impérialiste » au sujet du franc CFA. C’est là le style un brin provocateur que le président français adopte
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aussi avec ses compatriotes. Pour lui, il n’y a ni tabou, ni politiquement correct, ni prudence diplomatique d’un autre âge à respecter. Il faudra s’y faire car, sous son impulsion, le regard français sur l’Afrique et celui de l’Afrique sur la France changent par touches successives. L’approche naguère misérabiliste laisse la place à une démarche qui se veut respectueuse. Les méfaits de la colonisation sont reconnus. La coopération, vieux et beau mot relégué au magasin des souvenirs, semble enfin à l’ordre du jour sous l’appellation de « partenariat ». Mais on en est encore aux symboles, ce qui n’est pas rien, et aux mots, ce qui n’est pas tout. Un nouveau type de relations doit encore naître entre la
France et le continent qui lui fait face au sud de la Méditerranée. Les politiques ne seront pas les seuls à installer ce nouveau climat qui permettra à l’Afrique et à la France « d’inventer les grands équilibres du monde de demain », selon le vœu d’Emmanuel Macron. Les entreprises françaises, séduites par l'irruption d’une classe moyenne africaine, y contribueront. Les PME africaines, qui ont un besoin urgent de capitaux et de savoir-faire venus du Nord, y apporteront leur pierre. Les diasporas, qui ont fait souche de Toulouse à Montreuil et de Marseille à Évry, devront y avoir une place et pas seulement en envoyant de l'argent au bled. Rien n’est joué. Rien n’est perdu. Tout est à faire. ALAIN FAUJAS
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La rupture à pas comptés Par plusieurs gestes hautement symboliques en direction du continent, le président français montre qu’il veut changer de paradigme. Sans pour autant renoncer à ses positions stratégiques. CHRISTOPHE BOISBOUVIER
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n allant rendre visite, le 13 septembre dernier, à Josette Audin, la veuve du militant communiste torturé à mort par l’armée française en juin 1957, pendant la guerre d’Algérie, Emmanuel Macron a marqué une rupture. Pour la première fois, un président français a reconnu un « système de torture institué alors en Algérie par la France ». Et au-delà des mots, le chef de l’État français a annoncé l’ouverture des archives concernant les innombrables disparus algériens et français pendant le conflit. Déjà, le 28 novembre 2017, lors de son discours devant des étudiants à Ouagadougou, au Burkina Faso, il avait promis la déclassification de tous les documents français concernant
Visite officielle d’Emmanuel Macron au Sénégal, en février. Ici, à Saint-Louis, entouré de son homologue, Macky Sall, et du maire de la ville, Mansour Faye.
l’assassinat de Thomas Sankara, en octobre 1987. Autre geste éminemment symbolique: le projet de restituer aux ex-pays colonisés par la France tout ou partie de leurs biens culturels (lire p. 92). Fin novembre 2018, la mission d’expertise conduite par Bénédicte Savoy et l’écrivain sénégalais Felwine Sarr rendra son rapport sur les modalités de ces restitutions. Comme le dit Felwine Sarr, « Macron est en mouvement dans l’espace symbolique ». Après sa visite très médiatique, le 3 juillet dernier, au Shrine, salle de concert créée par Fela Kuti à Lagos, au Nigeria, il est clair que le jeune président français veut se distinguer de ses prédécesseurs en valorisant la culture africaine. Le 27 août, lors de la conférence des ambassadeurs à Paris, il a lancé, à propos des relations franco-africaines: « Ce que nous construisons touche par touche, c’est en quelque sorte la conversion d’un regard réciproque, […] un nouvel imaginaire entre la France et le continent africain. »
DENIS/REA
Joueur d’échecs
Au-delà des champs mémoriel et culturel, Emmanuel Macron est-il aussi prêt à marquer une rupture dans le domaine politique ? Au vu de son nouveau partenariat avec Kigali, oui. En février, quand il a suscité la candidature de la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), le chef de l’État français a choisi sciemment, comme dit l’un de ses proches, un pays « qu’on ne peut pas soupçonner d’allégeance à l’égard de la France ». Soutenir une Rwandaise, c’est rompre avec la Françafrique… tout en espérant un « effet collatéral » en faveur d’un rapprochement entre Paris et Kigali. Rupture oui, mais non sans realpolitik. Jusqu’où peut aller cette rupture ? Comparant Macron à « un joueur d’échecs qui avance masqué en Afrique pour défendre, à fronts renversés, les intérêts de la France », l’essayiste Antoine Glaser, dans une préface inédite de la version poche de son livre Arrogant comme un Français en Afrique (éditions Pluriel), suggère au président de nommer à la Banque de France l’économiste togolais Kako Nubukpo, « le plus acerbe et affûté critique du franc CFA ». Pas sûr que le locataire de l’Élysée aille jusque-là. « Avec Macron, je vois des inflexions, des additions, notamment grâce à l’augmentation de l’aide publique au développement, mais pas de changements », affirme un proche de l’ex-président François Hollande. « Dans sa défense des intérêts économiques et des positions militaires de la France, Macron est davantage dans la continuité qu’il ne le croit », glisse un conseiller de l’ex-président Nicolas Sarkozy. Sur le terrain de la lutte contre les jihadistes du Sahel, le Macron impétueux de 2017 a évolué. Le 13 décembre 2017, lors d’une réunion sur le G5 Sahel à la Celle-Saint-Cloud, près de Paris, il se fixait publiquement un objectif militaire: « Avoir des victoires au premier semestre 2018. » Le 29 juin, le premier semestre s’est terminé… par une attaque jihadiste contre le quartier général de cette force conjointe,
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EN DÉBAT
Des grandes annonces aux actes OLIVIER CASLIN
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marche forcée ou en marche arrière ? Tout occupé à vouloir se différencier de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron s’est aventuré sur un terrain glissant en déclarant vouloir restituer son patrimoine à l’Afrique, lors de son discours de novembre 2017 au Burkina Faso. Les promesses n’engagent peutêtre que ceux « qui les entendent »,
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mais vu l’écho recueilli par celle-ci, elle pourrait bien empoisonner les relations d’un nouveau genre que le président français cherche à tisser avec l’Afrique, s’il venait à ne pas tenir parole. Un an après cette annonce, le continent attend toujours ses premières restitutions. Les crânes des résistants algériens continuent à
prendre la poussière au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Les trésors royaux d’Abomey scintillent encore sous les lumières du Musée du quai Branly, malgré la demande très officielle de restitution déposée par le gouvernement béninois en juillet 2016. Il sera difficile au président français d’aller au-delà des mots, tant les forces de l’immobilisme semblent puissantes. Sur la question de la restitution comme sur beaucoup d’autres, il ne s’agit pas d’annoncer une « rupture historique » pour qu’elle ait lieu. Au nom de cet « imaginaire commun » qu’il n’a cessé de mettre en avant lors de son voyage en Afrique fin 2017, Emmanuel Macron va devoir s’impliquer personnellement, si « la mise en valeur du patrimoine africain à Dakar, Lagos, Cotonou… » est effectivement l’une de ses priorités. S’impliquer auprès des multiples institutions françaises concernées, inévitablement rétives à voir partir des œuvres qu’elles ne récupéreront certainement jamais. Auprès des autorités africaines, pour qu’elles puissent prendre toutes les mesures nécessaires à la conservation des œuvres, sans forcément reproduire sous les tropiques le système muséal français. Il ne pourra pas se retrancher bien longtemps derrière les principes « d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité » qui protègent les collections publiques. Nicolas Sarkozy avait bien su contourner la loi, fin 2010, pour rendre 287 manuscrits royaux à la Corée du Sud. Dons, prêts, échanges… La France semble prête à réfléchir à diverses solutions. Elle aurait pu le faire dans le cadre de comités mixtes, comme certains gouvernements africains le souhaitaient. Paris a préféré nommer en mars deux experts, Bénédicte Savoy, membre du Collège de France, et l’écrivain sénégalais Felwine Sarr, pour réfléchir aux modalités de cette restitution. Leurs premières propositions, très attendues, seront connues fin novembre.
à Sévaré, dans le centre du Mali. Depuis, ces locaux ont été prudemment relocalisés à Bamako, dans le Sud, et le président français, qui mesure désormais l’ampleur de la tâche, multiplie les efforts pour que les quelque 5000 soldats africains du G5 Sahel se lancent dans des engagements plus robustes et plus réguliers. En attendant, les 4500 soldats français de l’opération Barkhane restent sur le pied de guerre, au risque de s’enliser. Dans son discours anti-Trump à l’ONU, le 25 septembre à New York, Emmanuel Macron ne s’est pas contenté de dénoncer « la loi du plus fort » et l’unilatéralisme du président américain. Il a plaidé pour une « nouvelle Alliance avec l’Afrique », autour des thèmes du multilatéralisme, de l’intégration régionale et de la démocratie. Dans son agenda, trois rendez-vousqui se dérouleront dans l’Hexagone et qu’il veut voir réussir : le sommet du G7, à la mi-2019, à Biarritz – « la lutte contre les inégalités sera la priorité de la présidence française du G7 », déclare-t-il –, le sommet Afrique-France et la Saison des cultures africaines, tous deux programmés pour 2020. Seront-ils synonymes de rupture ou de continuité ? Emmanuel Macron veut avant tout défendre les positions politiques et économiques de la France, au moment où celles-ci sont sérieusement malmenées.
CONSEILLERS SANS FILTRE Quelques mois après son élection, Emmanuel Macron a complété le dispositif élyséen destiné à l’Afrique en créant, en août 2017, le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), dont la coordination a été confiée au Franco-Béninois Jules-Armand Aniambossou. Pour la plupart trentenaires et en majorité binationaux, francophones ou anglophones, ses membres sont issus de la société civile ou du monde de l’entrepreneuriat et sont « en prise directe avec la réalité du continent », comme le résume Vanessa Moungar, directrice chargée du genre et des femmes à la BAD, et qui travaille sur ces mêmes questions pour le CPA. En contact permanent, chaque sous-groupe se réunit une fois par semaine. Et le conseil se retrouve au complet, autour d’Emmanuel Macron, tous les trois mois. À eux alors de souffler – sans filtre et sans concession – à l’oreille du président les petites indications et les grandes inflexions qui l’aideront à établir sa nouvelle relation avec l’Afrique. Certaines intonations du discours de Ouagadougou sont ainsi directement sorties du CPA. « Ce n’est pas un simple effet cosmétique, affirme Vanessa Moungar. C’est un réel engagement de sa part. » Et de la part des membres du CPA, puisque leur mission s’appuie uniquement sur le volontariat. O.C.
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Carlos Lopes
Ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA)
« Face à la Chine et aux États-Unis, les Européens prennent du retard » Propos recueillis par JULIEN CLÉMENÇOT
n juillet, Carlos Lopes a été nommé haut représentant de l’Union africaine dans le cadre des négociations pour de nouveaux accords avec l’Union européenne après la fin de ceux de Cotonou, en 2020. Avec les ministres africains des Affaires étrangères, l’ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA) a ainsi la lourde tâche de créer un nouveau cadre de coopération par-delà la Méditerranée. Fin connaisseur de la France et de ses institutions, il livre son analyse sur l’évolution de la relation qu’entretient Paris avec le continent.
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une tentative du chef de l’État, dans l’approche et dans le discours, pour décomplexer cette relation. Il n’hésite pas à se rapprocher d’institutions, de secteurs, d’acteurs de la société civile, y compris hors du pré carré français. Il l’a montré au Burkina Faso, lors de son dialogue avec les jeunes à l’université de Ouagadougou, mais aussi au Nigeria, en mettant en avant sa relation personnelle avec le pays. Le fait qu’il ait choisi de soutenir la candidate rwandaise à la présidence de l’OIF [Louise Mushikiwabo] est également significatif. Le discours est aussi davantage centré sur l’avenir de l’Afrique, sur son potentiel. Ce changement est incarné par le
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VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE-R
Jeune Afrique : L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir provoque-t-elle une évolution de la relation entre l’Afrique et la France? Carlos Lopes : Il y a incontestablement
L’Afrique attend-elle encore beaucoup de la France ? Il y a un soft power français très important, au-delà des pays francophones. Les leaders africains veulent toujours être reconnus par Paris, être invités à l’Élysée. La France n’en profite pas assez parce que les pays du continent représentent peu pour son économie. Si elle pouvait leur apporter des capitaux, comme le fait la Chine, je suis sûr que les dirigeants africains privilégieraient cette relation.
nouveau directeur général de l’AFD, Rémy Rioux, dont la vision dépasse la simple aide au développement. Mais cela n’exclut pas une certaine continuité. Sur l’aspect sécuritaire, la France poursuit ses interventions militaires, suivant un processus pas totalement consultatif, en présentant son rôle comme indispensable dans la lutte contre le terrorisme. Et elle est toujours aussi peu présente sur les questions de mobilité humaine, contrairement à ce qu’elle prétend. Paris ne prend d’ailleurs pas vraiment ses distances avec l’opinion publique européenne antimigrants. Débutseptembre,l’Afriques’estdonné rendez-vous à Pékin pour un sommet avec la Chine. La France a-t-elle encore les moyens d’existersurlecontinentfaceàlapuissance financière de Pékin?
S’il y a un changement d’approche, la France n’a pas vraiment encore évolué sur le fond. Elle commence à peine à reconnaître que le continent a besoin d’une transformation structurelle de son économie, d’une industrialisation nécessaire à la création d’emplois. La baisse des investissements français, concentrés sur le secteur pétrolier, en est la parfaite illustration. Le problème vient en partie de la politique européenne, sur laquelle la France a un rôle à jouer. Dans le secteur bancaire, les règles prudentielles très strictes imposées par la BCE obligent les établissements français à surévaluer les risques africains. Ils se retirent in fine du continent. Face à la Chine, mais aussi aux États-Unis, avec leur nouvelle agence de développement, les Européens et la France risquent de prendre du retard. Dernier point important, il faut absolument faire évoluer le franc CFA. Le statu quo n’est bon pour personne.
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Échangeur du pont Henri-Konan-Bédié, dans le quartier de Marcory, à Abidjan.
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Rééquilibrage
Pour Emmanuel Macron, la France doit travailler sur un pied d’égalité avec le continent. Elle se montrera plus généreuse mais n’en restera pas moins pragmatique. ALAIN FAUJAS
as un mois ne passe sans qu’une délégation patronale du Medef ne prenne le chemin d’un pays africain, ou sans qu’un forum à Paris ne tente de persuader les investisseurs que le continent est le nouvel Eldorado. Ses 5 % à 10 % de croissance annuelle depuis les années 2000 et le tam-tam médiatique sur l’apparition de « lions africains » ont fini par les convaincre qu’une classe moyenne urbaine est en train d’y naître, avec des besoins de consommation croissants. Les Chinois, puis les Brésiliens et les Indiens se sont mis à labourer le continent, à bâtir routes et barrages pour le plus grand profit de leurs entreprises et de leurs volumes d’exportation. Les entrepreneurs français, en revanche, commencent tout juste à
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considérer d’un autre œil une Afrique longtemps jugée trop risquée malgré ses taux élevés de profitabilité. Et ils sont encore loin de se bousculer au portillon d’un continent sur lequel ils hésitent encore à miser. Les investissements directs (IDE) français en Afrique, pour l’année 2016, représentent moins de 1 % du total des investissements tricolores dans le monde. Certes, en 2015, ce pourcentage a atteint 14 %, mais, en 2014, il traduisait une baisse… Des déséquilibres qui trahissent un manque d’engouement. Les fonds d’investissement français consacrés à l’Afrique se comptent sur les doigts d’une main, quand ceux en provenance des pays anglo-saxons sont légion.
Exit le paternalisme
ON NE PARLE DÉSORMAIS PLUS D’AIDE AU DÉVELOPPEMENT, UN TERME TROP LIMITATIF, MAIS D’INVESTISSEMENTS SOLIDAIRES.
Le président Macron s’évertue à changer le regard de la France sur l’Afrique depuis le discours de Ouagadougou en novembre 2017. Fini la posture paternaliste et les conseils de bonne gestion, plus ou moins comminatoires, qui servaient à huiler les rouages de la « Françafrique ». Le chef de l’État parle désormais de « partenariat » avec une Afrique qui doit devenir « notre alliée pour inventer les grands équilibres du monde de demain » et fait de l’AFD l’acteur financier et technique chargé de renouveler les liens de la France avec l’ensemble du continent.
Ce renouvellement porte d’abord sur les mots. Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, et Rémy Rioux, directeur général de l’AFD, ne parlent plus d’« aide au développement » – un terme devenu trop limitatif –, mais « d’investissement solidaire ». « Si l’on veut remplir les objectifs du développement durable arrêtés par l’ONU, qui comportent des investissements massifs en faveur du climat, l’aide publique au développement est insuffisante, affirme Rémy Rioux. Il va falloir que le secteur privé participe aussi. Nous sommes en train de passer de l’aide à quelque chose d’autre. » Dès 2019, l’AFD quadruplera le montant de ses dons – son budget augmentera d’un milliard d’euros – et continuera à les concentrer sur le continent. « L’AFD est en train de se transformer pour se mettre à l’écoute de demandes de plus en plus diversifiées », ajoute Rémy Rioux. Comme par le passé, l’Agence coopérera avec les gouvernements, mais également et de plus en plus avec la société civile, les ONG, les collectivités locales et le secteur privé.
Intérêts assumés
Concernant ce dernier, Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans les investissements destinés aux entreprises, est en première ligne. Les deux tiers des moyens budgétaires supplémentaires consacrés au développement d’ici à 2022 seront réservés à l’aide bilatérale, ce qui doit être vu comme un encouragement aux entreprises françaises qui veulent prendre des risques sur le continent et y investir à long terme. « Il faut que nous amenions en Afrique les partenaires compétents dont elle a besoin », souligne le directeur général. Dans l’esprit d’Emmanuel Macron, développer une relation d’égal à égal avec les pays africains suppose d’instaurer un dialogue où chacun exprimera ses intérêts de façon assumée. La France épaulera l’Afrique. Mais elle fera aussi en sorte que
BUSINESS FRANCE À LA RELANCE Le 22 et le 23 octobre prochain, l’agence Business France organise pour la première fois un forum baptisé Ambition Africa 2018, au ministère de l’Économie et des Finances, à Paris (lire page 99). Objectif : renforcer la présence française en Afrique et ainsi mettre en œuvre la stratégie souhaitée l’an dernier par Emmanuel Macron dans son discours de Ouagadougou. Certes, on ne part pas de rien : la France demeure l’un des tout premiers partenaires commerciaux de l’Afrique, et 38 000 de ses entreprises y ont exporté pour plus de 53 milliards d’euros en 2017. Un volume d’investissements qui a été multiplié par sept depuis 2002. Mais il est possible de mieux faire. Afin de renforcer échanges et
partenariats, de contribuer à apporter à l’Afrique – dont la population devrait doubler dans les vingt prochaines années – des outils économiques, financiers et techniques pour accompagner son développement, plus de 3 000 rendez-vous entre entreprises africaines et françaises seront organisés. En parallèle, on parlera climat des affaires, formation professionnelle et financements des entreprises en Afrique au cours de nombreux ateliers. Les besoins des secteurs où se sont positionnées les entreprises françaises, petites et grandes – santé, numérique, transports urbains, accès à l’eau, déchets, agro-industrie – seront également analysés en détail. A.F.
ses entreprises y trouvent leur compte et espère bien enregistrer des résultats en matière d’exportations et d’emploi. Une orientation qui suscite un sentiment partagé parmi les ONG françaises. Philippe Jahshan, président de Coordination Sud, qui fédère ces organisations, applaudit la fin du discours « misérabiliste » sur l’Afrique, mais s’interroge sur le fait de savoir « si la politique de la France sera solidaire ou seulement pro-business ». Pour lui, deux marqueurs permettront de trancher : l’appui à la gouvernance démocratique et la lutte contre l’évasion fiscale. En ce qui concerne cette dernière, dit-il, « il faut avoir recours à l’impôt pour donner plus de moyens aux administrations africaines. L’apport de fonds privés est certes nécessaire, mais, si la capacité d’intervention publique n’est pas renforcée, le développement ne sera pas au rendez-vous ».
Grand format AFRIQUE-FRANCE
Christophe Lecourtier
Directeur général de Business France
« Il faut convaincre les entreprises de passer à l’acte » Propos recueillis par ALAIN FAUJAS
GILLES CRAMPES
Quelle place occupe l’Afrique dans la stratégie de Business France ? Les temps sont propices pour adopter une attitude volontariste vis-à-vis de l’Afrique et promouvoir un grand nombre de partenariats économiques et commerciaux entre entreprises africaines et françaises. Ces dernières manifestent un intérêt de plus en plus prononcé pour le continent. Notre rôle est de favoriser leur passage à l’acte, entre cet intérêt de principe et la réalisation d’un projet. Nous le faisons en accompagnant les entreprises sur le terrain, afin qu’elles rencontrent les bons interlocuteurs et nouent des partenariats. L’enjeu est de donner à un plus grand nombre d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) et de PME, après une préparation adaptée, toutes les chances de réussir, pour faire de l’Afrique un marché croissant pour leurs exportations et leurs investissements. La stratégie des équipes Business France-Chambre de commerce et d’industrie consiste à identifier les entreprises dont l’activité correspond à certains besoins en Afrique, à les convaincre de se lancer dans l’aventure, à les y préparer et à les accompagner. Business France appuie aussi les initiatives de codéveloppement et de croissance partagée : Club
Ville durable, à Abidjan, Security Day, à Dakar, avec les acteurs de l’écosystème africain du numérique, French Tech Hub, en Côte d’Ivoire et en Afrique du Sud. L’Afrique représente 15 % de la programmation événementielle de notre agence, et 15 % des entreprises qui font appel à nous sont intéressées par l’Afrique. Comment travaillez-vous ? Ces cinq dernières années, Business France a considérablement renforcé son maillage du continent africain.
L’Agence n’avait que trois bureaux en 2012 (Johannesburg, Alger et Tunis), sept autres ont ouvert (Lagos, Nairobi, Luanda, Abidjan, Douala, Dakar et Addis-Abeba). Aujourd’hui, 75 collaborateurs présents sur dix sites couvrent 26 pays grâce à l’appui des ambassades et à celui d’un réseau de correspondants privés dont nous garantissons la qualité des prestations. Nos équipes en France et en Afrique décident chaque année, en concertation avec les partenaires institutionnels et les organisations professionnelles, d’un programme de rencontres. En 2019, 90 événements sont d’ores et déjà prévus sur le continent dans des secteurs porteurs comme l’énergie, la ville durable, les transports urbains et ferroviaires, la santé, l’agriculture, l’e-paiement, l’e-commerce, l’e-éducation, la sécurité industrielle, le machinisme agricole, l’emballage alimentaire, les cosmétiques et le sport. Combien d’entreprises se lancent effectivement dans l’aventure ? En 2017, 41 % des entreprises accompagnées par Business France et interrogées par Ipsos-GFK ont conclu un contrat ou prévu d’en conclure un, et ce pourcentage est même passé à 47 % au premier semestre de 2018. C’est un excellent signe! jeuneafrique no 3014 du 14 au 20 octobre 2018
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