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En finir avec les douleurs digestives

70 % des coureurs ont vu leurs performances altérées par des troubles digestifs. Les avancées scientifiques récentes et la notion d’hyperperméabilité intestinale ont permis de mettre en place des stratégies préventives beaucoup plus efficaces. Ce cas clinique authentique l’illustre parfaitement.

Par le docteur StéPhane caScua, médecin du SPort et nutritionniSte du SPort

Franck est triathlète professionnel. Depuis plusieurs mois, pendant la course à pied, il est terrassé par de violentes douleurs digestives ! Pendant la natation et le vélo, il colle au groupe de tête avec aisance. Mais, à l’issue de la seconde transition, les secousses des premières foulées déclenchent des spasmes intestinaux insoutenables. Il est contraint de ralentir et voit les meilleurs concurrents s’éloigner inexorablement ! Sur certaines compétitions, il est pris de diarrhées profuses et il est contraint de faire une pause ! Cette fois, des pelotons plus nombreux parviennent à le doubler ! Il a essayé tous les traitements classiques : antidiarrhéiques, antispasmodiques, argiles. Il a une alimentation variée et équilibrée. Il respecte de façon scrupuleuse les règles nutritionnelles en vigueur à l’approche de la compétition. Son ravitaillement est particulièrement rigoureux pendant l’épreuve. Rien n’est parvenu à le soulager !

Douleurs Digestives, quelles sont les causes habituelles ?

Lorsque vous faites un effort en endurance, vous ouvrez les vaisseaux qui mènent aux muscles en action, on parle de « vasodilatation ». Parallèlement, vous réduisez le diamètre de ceux qui vont vers les organes moins utiles. Cette fois, il s’agit d’une « vasoconstriction ». Le tube digestif fait partie des territoires sacrifiés. À l’occasion d’un exercice provoquant un essoufflement, il peut perdre jusqu’à 70 % de son apport sanguin. Pourtant, il continue à travailler, notamment pour assimiler votre ravitaillement. Il est d’ailleurs entouré de petits anneaux musculaires qui assurent le transit. À la manière de vos cuisses qui brûlent quand vous grimpez une côte à vélo, votre intestin peut souffrir quand vous lui imposez de travailler alors qu’il manque d’oxygène. De la même manière, il est logique de comparer les crampes qui surviennent dans les mollets aux spasmes du tube digestif. Le revêtement de votre intestin, la muqueuse, est parfois lésée quand vous faites du sport. Irritée, inflammatoire, la muqueuse s’abîme et suinte. Le liquide qui en sort provoque des diarrhées. Les « antidiarrhéiques » agissent souvent à ce niveau. Ils sont dits « antisécrétoires ». Parfois même, par manque d’oxygène, la muqueuse est localement victime de petits infarctus. Ces foyers de nécrose prennent l’aspect de taches brunes millimétriques sur le tapis muqueux. Il s’agit de toutes petites perforations qui ne saignent pas pendant l’exercice puisque le tube digestif est très peu vascularisé. En revanche, dès la réouverture des vaisseaux, elles laissent passer la portion jaune du sang et parfois un peu de globules rouges. De fait, après l’effort, il se produit alors ce que l’on appelle des « diarrhées de reperfusion », souvent douloureuses et parfois sanglantes. Ces phénomènes de réorientation des flux sanguins surviennent lors des activités relativement intenses, au voisinage du seuil de l’essoufflement. Ils se déclenchent aussi à des vitesses inférieures, quand votre volume circulant diminue, lorsque vous êtes déshydraté. Ainsi, la prévention passe-t-elle par la prise de boisson… et par un accroissement du travail digestif : un dilemme pas toujours facile à gérer sur le terrain. Les études montrent que les douleurs abdominales sont plus rares chez les cyclistes. En effet, les chaos de la course à pied participent à l’agression des tissus digestifs. Dans le ventre, l’intestin est suspendu à de gros ligaments appelés « épiploon » ; ces structures sont aussi des porte-vaisseaux. Aussi deux types de mécanismes expliquent-ils la recrudescence des douleurs chez les coureurs. Premièrement, les zones de jonction entre épiploon et intestins sont victimes de microdéchirures. Deuxièmement, les petites artères qui y passent se spasment du fait de secousses. Vous comprenez pourquoi Franck restait performant à l’occasion de la natation et du vélo alors qu’il craquait pendant la course à pied !

Des avancées scientifiques intéressantes

Depuis quelques années, le concept d’hyperperméabilité intestinale est venu enrichir notre compréhension de cette souffrance digestive à l’effort. Ces nouvelles pistes de réflexion sont à l’origine de stratégies thérapeutiques pragmatiques et efficaces. Explications ! Chez le sportif et parfois chez le sédentaire, ces microlésions laissent passer des fragments de protéines mal digérées. Une première partie s’échoue dans la profondeur de la muqueuse, entre les cellules disloquées. La seconde passe dans le sang. Vous le savez, les protéines alimentaires sont normalement digérées et fragmentées en acides aminés, les briques constitutionnelles des grands édifices protidiques. Ainsi coupées, ces unités de base circulent dans le sang et ne tardent pas à reconstituer nos propres protéines. Lorsqu’il persiste de longues chaînes, voire des protéines complètes, elles conservent les caractéristiques de l’espèce dont elles proviennent : des protéines de blé, de lait de vache, de soja, de noisettes, etc. Ainsi, notre immunité constate la présence d’agents étrangers dans l’organisme et particulièrement dans la muqueuse intestinale. Ils répondent à la définition d’« antigènes ». Pour les combattre, notre système immunitaire met en place une inflammation locale et générale. Il enclenche la production d’anticorps appelés « immunoglobulines G » ou « Ig G » qui viennent se fixer sur les antigènes pour tenter de les détruire. C’est alors que se met en place un véritable cercle vicieux. L’irritation de l’intestin accroît sa porosité. Les protéines mal digérées sont plus nombreuses à passer… et l’irritation du tube digestif augmente ! On parle « d’hyperperméabilité intestinale ». Les protéines à l’origine de ces intolérances proviennent souvent du blé ou du lait de vache. Cette constatation semble cohérente avec la notion d’alimentation paléolithique. Cette hypothèse suggère que les céréales et les produits laitiers sont entrés massivement dans notre alimentation au début du néolithique. Une révolution culturelle qui correspond à la période où l’Homme se sédentarise et commence à construire des villages. Il renonce aux grandes migrations, il limite la chasse et la cueillette au profit de l’agriculture et de l’élevage ! Cette transition est survenue il y a environ 10 000 ans. Les paléontologues considèrent ce délai comme dérisoire pour mettre en place des mutations génétiques importantes. Par comparaison, la bipédie aurait débuté il y a environ 6 millions d’années. Ainsi, notre patrimoine enzymatique ne serait pas encore totalement adapté à la digestion d’importantes quantités de céréales ou de produits laitiers. De ce fait, les protéines provenant de ces aliments auraient tendance à être moins fragmentées et plus antigéniques, favorisant alors l’hyperperméabilité intestinale. Bien sûr, ce phénomène serait variable en fonction des individus et des origines.

Des bilans et des traitements ciblés.

Si les céréales et le lait se montrent très souvent impliqués dans le processus, ils ne le sont pas systématiquement. Tous les aliments peuvent être concernés. Ainsi, pour éviter des privations inutiles ou la persistance d’une inflammation, il est opportun de rechercher les anticorps antiprotéines alimentaires dans le sang. J’ai prescrit à Franck un test IMUPRO. Le gluten, la principale protéine du blé, est revenu positif. Au-delà de l’hypothèse paléolithique, les athlètes d’endurance ingèrent souvent d’impressionnantes quantités de pâtes dépassant les capacités enzymatiques moyennes. La caséine du lait de vache laisse aussi des traces dans le bilan immunitaire de Franck. On y trouve également des anticorps dirigés contre les amandes. Voilà qui est logique car il s’agit de l’oléagineux préféré de Franck. Il en mange beaucoup lors de nombreuses collations et même lors de ses sorties vélo. Là encore, les aptitudes digestives de Franck sont probablement limitées d’autant que les amandes contiennent des substances anti enzymes. Normalement, ces dernières ont pour objectif d’éviter l’utilisation des réserves destinées à la germination par les micro-organismes présents dans la terre. Le traitement contient trois stratégies complémentaires : l’alimentation, les compléments nutritionnels et l’entraînement. En priorité, il faut éviter les protéines irritantes. Le blé, les produits laitiers de vache et les amandes doivent quitter la table de Franck. Selon mon expérience, cette éviction n’a pas besoin d’être définitive. Après cicatrisation de l’intestin, à l’issue de 6 à 12 semaines, ces denrées sont à nouveau permises dans les limites du raisonnable et des capacités digestives. Loin d’être frustré, Franck profite de cette mésaventure pour améliorer ses comportements nutritionnels. Il redécouvre des céréales et renoue avec les légumineuses. Il mange désormais du petit épeautre, du quinoa, du sarrasin. Il apprécie à nouveau les châtaignes, les lentilles, les pois chiches, les flageolets et autres haricots. Son alimentation gagne en diversité et en densité nutritionnelle. Elle contient plus de vitamines et de minéraux. Il s’agit de sucres plus lents, à l’index glycémique plus bas, qui rechargent mieux le muscle en glycogène et se transforment moins en graisse. Même s’il diminue un peu sa ration en glucides, Franck est satisfait. Il entraîne son corps à brûler plus de lipides. Il progresse en endurance, il ne subira plus de grosse défaillance lors des sorties longues. Franck substitue aisément les produits laitiers de vache par leurs équivalents de chèvre et de brebis. Quelle que soit sa provenance, il arrête le lait liquide à cause du lactose, le sucre du lait, que beaucoup d’adultes digèrent difficilement. Désormais, il ne mange plus d’amandes et varie les oléagineux. Il s’offre de petits mélanges de noix, de noix de cajou ou de macadamia, de pistaches et d’arachides. Là encore, la multiplicité des acides gras présents enrichit la ration de Franck. Côté compléments, je lui prescris des enzymes qui l’aident à digérer et du psyllium qui nettoie sa muqueuse des reliquats alimentaires irritants. Je lui propose aussi de la curcumine qui apaise puissamment l’inflammation du tube digestif. J’y ajoute des probiotiques, des bactéries bénéfiques qui protègent la paroi intestinale des micro-organismes plus agressifs. Enfin, j’adjoins de la glutamine qui sert de nutriment aux cellules de l’intestin, favorisant ainsi leur cicatrisation et leur multiplication. Concernant le sport, pas question de s’arrêter ! C’est vrai pour les sportifs passionnés de tout niveau. Ça l’est encore plus pour un triathlète professionnel. Mais attention, pendant quelques semaines, il est impératif de ne plus faire souffrir le tube digestif. Pour cela, Franck doit éviter les secousses de la course à pied ! Il doit aussi proscrire tout essoufflement provoquant la fermeture des vaisseaux sanguins menant à l’abdomen. Le triathlon facilite la prise en charge. Franck peut nager et pédaler en aisance respiratoire. Par chance, ces intensités correspondent à la combustion des graisses et contribuent à la réorientation de son métabolisme vers la lipolyse. Concernant la course, il peut faire de l’elliptique dont le mouvement est voisin. À 4 semaines, je lui suggère de faire de la marche en côte sur tapis. La pente limite considérablement l’impact du pas mais sollicite le cœur et les chaînes musculaires de la propulsion. Afin de préserver l’aptitude des muscles à amortir la réception de foulée, son programme inclut de la musculation des jambes en insistant sur le freinage et le redescente de la charge. Deux mois après l’instauration de son traitement, Franck à la gentillesse de m’envoyer un SMS : « Merci doc ! Retour à la compétition aujourd’hui avec un Half IRONMAN. Aucune douleur digestive et… une victoire à la clé ! » ✱

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