Dorothée Bécart - Book 2013

Page 1

DOROTHéE BéCART Journaliste- rédactrice multimédia 33 ans - carte de presse n° 101674

BOOK Extérieurs Design

Groupe Digicia Média Bimestriel déco/design consacré aux jardins contemporains

Rédactrice en chef (CDI, 2010-2013) Rédactrice en chef adjointe (CDI, 2008-2010)

STUFF

Groupe B&B Média Mensuel masculin dédié aux loisirs numériques

Rédactrice en chef adjointe (CDI, 2006-2008) Critique musicale (CDI, 2005-2008)




l’édito // numéro 32 BL 53 - 14, rue Soleillet - 75020 Paris Tél. : 01 40 33 79 01 Fax : 01 40 33 71 13 Pour contacter la rédaction : redaction@exterieurs-magazine.com RÉDACTION Directeur de la rédaction : Bruno Waraschitz (bw@exterieurs-magazine.com) Directrice adjointe de la rédaction : Nicole Maïon Rédactrice en chef : Dorothée Bécart (db@exterieurs-magazine.com) Rédactrice en chef adjointe : Céline de Almeida (cda@exterieurs-magazine.com) Rédactrice en chef technique adjointe : Marina Hemonet (mh@exterieurs-magazine.com) Rédacteur-réviseur : Philippe Boissaye Ont participé à ce numéro : Charlotte Fauve, Patrick Mioulane Rédacteurs-graphistes : Thomas Ledoux Photographe : Nathalie Pasquel Directeur de la publication : Laurent Lyard PUBLICITÉ Directrice de publicité : Angélique Mermet-Judenne (amermet@digicia.com) Tél. : 01 40 33 79 56 / Fax : 01 40 33 71 13 VENTE AU NUMÉRO (réservé aux dépositaires de presse) Service Diffusion / Olivier Le Potvin Tél. : 01 40 33 82 46 / Fax : 01 40 33 71 13 olepotvin@digicia.com Prix du numéro France : 5,50 € (dont TVA à 2,10 %) ABONNEMENT Extérieurs Design Magazine - Service abonnement 12350 Privezac - France Tél. : 05 65 81 54 86 / Fax : 05 65 81 55 07 abo@digicia.com Abonnement 6 numéros France : 25 € Offre d’abonnement pages 42-43 Distribution kiosque : MLP Imprimeur  : Gestion de fabrication, Créatoprint - Jacques Gouffé. Imprimé par Créatoprint chez Arti Graphiche BOCCIA / Italie. Imprimé en Union européenne. Printed in European Union Commission paritaire : 1012 K 89102 Dépôt légal : à parution ISSN : 1959-6642 Extérieurs Design Magazine est une publication de la société Digicia Média SAS au capital de 58 000 € Siège social : BL 53 - 14, rue Soleillet 75020 Paris - France RCS Paris B 477 572 523 SIRET 477 572 523 00017 Président : Laurent Lyard / Principaux actionnaires : Laurent Lyard, Bruno Waraschitz L’envoi des textes, photos ou documents implique l’acceptation par l’auteur de leur libre publication dans le magazine. Les documents ne sont pas retournés. La loi du 11mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d’autre part, que les analyses et courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants de l’ancien code pénal. Crédits photo et copyrights, tous droits réservés. Les prix indiqués dans les pages de ce magazine sont T.T.C. Ils sont donnés à titre purement indicatif, susceptibles de changements, et ne sont là que pour fournir une indication approximative des prix pratiqués sur le marché. Photo de couverture © MAP / Nathalie Pasquel

TôLERIE FORéZIENNE - banc INTERFéRENCES

Nature humaine

Lieu de connexion avec la nature, le jardin est le théâtre intime des éléments qui forgent le monde : les végétaux respirent à leur façon l’air, qui, dans un souffle, fait courber leurs tiges et leurs branches, onduler en douces vagues les graminées ; l’eau tombée du ciel nourrit les plantes tantôt avec générosité, tantôt avec parcimonie ; le feu du soleil les réchauffe au cœur de l’hiver, couve tendrement les bourgeons aux prémices du printemps ; la terre enfin, la terre surtout, porte en elle tous les germes d’une nature en repos ou prête à éclore. Cette conjonction presque sacrée des quatre éléments est aussi à l’œuvre au cœur de la nature sauvage ; au sein des jardins se greffe un cinquième élément : la main de l’homme. Celle qui discipline en douceur les folles herbacées et les vivaces insoumises pour créer des massifs harmonieux. Celle du designer qui, face à la feuille blanche, trace les premières lignes d’un objet, faisant passer dans son trait précis toutes sortes d’émotions indicibles, une poésie infinie ou un souvenir fugace traduit en courbes inédites. Celle de l’artisan, dont le geste sculpte avec un respect infini la matière brute, laissant ici le bois exprimer ses petits défauts qui rendront l’objet unique, forçant là la corrosion du métal pour le laisser entamer un chaleureux dialogue avec les rayons du soleil… Si inerte soit-il, l’objet, meuble ou accessoire, façonné avec l’amour du travail bien fait, porte en lui ce supplément d’âme qui le rend vivant, bien loin des froides productions standardisées. À vous de les choisir avec soin, pour rendre encore plus vibrante cette grande aventure humaine qu’est votre jardin. dorothée bécart, rédactrice en chef

extérieursdesign

3


colorflore

inspiration[s]

Laboratoire végétal

Elise Fouin se livre à des expériences aussi poussées que poétiques qui réinventent la grammaire formelle des vases.

Est-ce un savant fou ou un fou de poésie qui a donné naissance à cette série de vases inspirés des récipients de laboratoire d’où émergent fleurs en boutons et brumes de graminées, précipités de délicatesse et fumées végétales ? Rien de tout cela : ils sont nés de la rencontre entre Elise Fouin et les étudiants de la section « souffleur de verre » du lycée Dorian, à Paris. La créatrice, venue de l’école Boulle, a sauvé du rebut des objets travaillés par les élèves lors d’ateliers de verrerie scientifique en verre borosilicate. Avec ceux qui les avaient façonnés en premier lieu, elle a défini de nouvelles formes et de nouvelles fonctions ; chaque artefact a été ensuite travaillé au chalumeau. Une expérience artistique et artisanale qui a façonné l’identité de ces vases inspirés de l’univers scientifique – la série est d’ailleurs baptisée « Chimisterie ». Elise Fouin, Chimisterie, pièces uniques, à la Granvillle Gallery.


e

vondom

n vue PORTRAIT DE MARQUE

À chaque saison, Vondom étonne, avec ses créations imaginées par la crème des designers internationaux. Comment la personnalité innovante et impertinente de la jeune marque outdoor s’est-elle imposée dans nos paysages contemporains ? PROPOS RECUEILLIS PAR DOROTHÉE BÉCART

RENCONTRE AVEC…

José Albiñana

P-DG de Vondom

Qu’avez-vous apporté de nouveau sur le marché du mobilier en plastique rotomoulé, en comparaison avec vos concurrents comme Slide ou Qui est Paul ?

JOSÉ ALBIÑANA : Nous avons essayé de nous différencier en donnant une nouvelle destination à ce type de mobilier, en le rendant également plus élégant et en l’imaginant aussi bien pour les collectivités que pour les particuliers, ce qui n’est pas le cas, par exemple, de Slide, davantage tourné vers l’événementiel. J’estime par ailleurs que nous avons environ cinq ans d’avance, en termes de processus de fabrication, sur nos concurrents. Nous travaillons sur des machines à injection qui facilitent le rotomoulage ; nous les améliorons régulièrement ou en créons de nouvelles pour obtenir des formes impossibles, ce qui a par exemple été le cas avec les jardinières de la collection Alma. En nous améliorant, nous pouvons produire des objets aux formes organiques plus risquées tout en conservant la meilleure qualité possible. Notre département de recherche et développement comporte plus de dix personnes, mobilisées dans l’innovation des processus de fabrication. C’est ce qui nous permet de sortir très régulièrement de nouvelles collections. En ce moment, nous développons, en parallèle, une dizaine de gammes pour la prochaine saison !

Depuis la naissance de la marque, vous travaillez avec les plus grands designers internationaux, comme Karim Rashid, Javier Mariscal ou Ramón Esteve. Sur quels critères les choisissez-vous ? Nous essayons de travailler avec des designers effectivement très connus, qui donnent à Vondom une véritable impulsion en termes d’innovation. Nous les sélectionnons pour leur créativité, leur popularité, leur charisme également – comme c’est le cas pour Ora Ito et Fabio Novembre, avec qui nous allons bientôt travailler.

Comment parvenez-vous à les séduire ? Le premier contact se fait par mail ; nous leur envoyons un briefing. J’aime, ensuite, me déplacer pour les rencontrer dans leur studio ou leur

2010

COLLECTION VERTEX n Parmi les stars du design qui ont accepté de collaborer avec Vondom, Karim Rashid, a signé plusieurs collections marquantes pour la marque, dont la complexe et colorée Vertex, expression de sa fantaisie. Design Karim Rashid.

138

extérieursdesign

extérieursdesign

139


e

n vue PORTRAIT DE MARQUE Quelle est votre façon de travailler avec les designers ? Cela dépend de la personne et du contexte. Il arrive que nous ayons besoin d’un objet spécifique ; il arrive également que nous leur laissions carte blanche. Si vous posez trop de limites, au départ, à un designer, cela limite également sa créativité et se ressent dans l’objet final. J’aime les laisser libres. Par exemple, le banc Cloud de Karim Rashid est une expression pure de sa créativité. En réalité, nous n’avons même pas échangé en termes de typologie de produit ; nous avons juste modifié ses dimensions pour le rendre plus confortable en tant que banc, sans en changer le dessin original.

Avez-vous eu souvent un coup de foudre immédiat pour un objet ?

Pouvez-vous en dire plus sur la collection sur laquelle vous travaillez avec Fabio Novembre ? Nous aimerions dévoiler sa collection au Salon de Milan au printemps prochain. Nous savons déjà de quoi il s’agit, mais Fabio, tout comme nous, préfère garder le secret ! Ce sera une collection complète, ultralégère, ultra-slim, avec quelques innovations et un jeu sur les couleurs. Du jamais-vu dans le mobilier en plastique rotomoulé ! Fabio a aimé travailler avec nous, parce que c’est la première fois, à ma connaissance, qu’on lui a demandé de créer une gamme complète de produits. Les autres éditeurs, comme Casamania par exemple (NDLR : pour lequel il a créé les fameux fauteuils Him & Her, aux courbes évoquant des corps masculins et féminins), lui demandent d'imaginer des « pièces » uniques, fauteuils, tables, mais jamais d’en créer des déclinaisons.

Comment assurez-vous une telle fréquence de production, avec une mise sur le marché quasi immédiate des produits que vous présentez pendant les grands salons de décoration internationaux ?

2009

VASES n L’une des premières collections développées par Vondom, et déjà quelques idées d’avance, comme ce dialogue entre l’objet (un banc circulaire faisant également office de jardinière) et le végétal. Design JM Ferrero.

atelier ; c’est lors de ces rencontres que nous pouvons vraiment définir ce que nous avons envie de faire ensemble. Après cette interview, par exemple, je vais voir Ora Ito, que j’ai déjà croisé plusieurs fois ; je ne sais pas de quoi nous allons parler ! Il fourmille d’idées, et il va me présenter la collection qu’il souhaiterait faire pour nous. Je ne sais absolument pas de quoi il s’agira, je suis un peu nerveux ! Il y a toujours une pointe d’appréhension avant qu’un designer me présente un nouveau projet, car il se peut que j’adore, mais il se peut aussi que je déteste ce qu’il va me montrer… Au fil des années, j’ai appris à ne pas donner mon opinion personnelle d’emblée… J’ai besoin de celle de mes collaborateurs, de mes clients, de mes commerciaux, sur un objet donné. Peut-on le produire, techniquement ? Va-t-il plaire ?

140

extérieursdesign

Du dessin à la production, il se passe trois mois. Cela est possible car nous produisons notre mobilier uniquement en Espagne, ce qui nous permet d’être très réactifs. Chacun des objets de la marque Vondom sort de nos usines, à Valence. C’est un choix stratégique, car nous exportons beaucoup en Europe, notamment en France.

Est-ce une stratégie d’être très présent dans les foires internationales, et de présenter à chaque fois de nouveaux produits ? Ce n’est pas vraiment une stratégie : nous aimons tout simplement créer et développer de nouveaux produits ; c’est dans la nature de Vondom. Et comme ces produits se vendent très bien – nous exportons à 80 % nos créations, pour le moment nous ne subissons par conséquent pas trop les effets de la crise en Espagne –, cela nous permet d’investir dans de nouveaux projets à un bon rythme.

À quoi ressemble votre propre jardin ? C’est un jardin très espagnol dans l’esprit : il est grand, mais ne renferme que très peu de végétation. J’aime les jardins nets, j’ai donc choisi d’y mettre beaucoup de meubles mais peu de plantes. J’installe les prototypes dans mon jardin pour tester leur stabilité quand il s’agit d’une assise, pour voir si les plantes poussent bien dans le cas des jardinières… En réalité, mon jardin tient plus du terrain d’expérimentation !

2012

VELA n Selon son designer, Vela est « un système modulaire qui utilise la géométrie prismatique, dont la singularité repose dans l’équilibre des proportions. Ses volumes semblent flotter au-dessus du sol et, illuminés, se muent en architecture de lumière ». Design Ramón Esteve.

RENCONTRE AVEC…

Ramón Esteve designer de la collection Faz QU’APPRÉCIEZVOUS DANS VOTRE TRAVAIL AVEC VONDOM ? C’est une équipe jeune et dynamique avec qui je partage la passion du design et des choses bien faites. Leur maîtrise des technologies du plastique offre de larges possibilités, ce qui est très motivant pour un designer. Aujourd’hui, Vondom est une vraie référence dans le monde du design.

COMMENT DÉCRIRIEZVOUS, PLUS SPÉCIFIQUEMENT, LEUR SAVOIRFAIRE ? C’est une jeune entreprise, certes, mais qui bénéficie de la longue expérience de Plastiken, une autre marque de produits en plastique destinés à la grande distribution. Chez Vondom, il y a

une vraie équipe technique doublée d’une volonté d’innover et de créer de nouveaux produits. Ils sont très à la pointe et utilisent les dernières technologie de design assisté par ordinateur.

COMMENT DÉCRIRIEZ-VOUS VOS LIENS AVEC LA MARQUE ? Nous sommes en total accord avec nos objectifs : créer de nouveaux meubles et objets qui soient à la fois intemporels, innovants et inspirants. Notre lien, c’est le design. Les équipes de Vondom parviennent à comprendre le style de chacun des designers avec qui elles travaillent, et à les aider à concrétiser leurs désirs.

QU’APPRÉCIEZVOUS DANS LA CRÉATION

© JONATHAN SEGADE

Très souvent. Pour certaines collections, le doute n’intervient même pas. Par exemple, Faz, dessiné par Ramón Esteve (voir encadré ci-contre), que j’ai eu envie de produire dès le départ : c’est une collection au potentiel incroyable, qui grandit et est amenée à encore grandir, des canapés aux jardinières, grâce à des formes géométrique très « dures » qui se combinent merveilleusement bien entre elles. À l’opposé de cette démarche, j’aime les collections plus « douces » de Stefano Giovannoni, Pillow, Stones ou Blow, aux formes très organiques

D’OBJETS POUR LE JARDIN ? J’aime créer des espaces contemporains, et travailler à différentes échelles. Nous appliquons les mêmes critères qu’à l’intérieur de la maison pour créer, simplement, des espaces où nous aimerions vivre, ce que je fais pour Vondom mais aussi pour la marque de luminaires Vibia, pour De Castelli ou Gandía Blasco. Et il reste encore de nombreux chemins à explorer dans le domaine du design outdoor…

2011

LAMPES FAZ n La collection Faz exprime la quintessence de ses formes inspirées de l’origami dans ces luminaires en polyéthylène posés sur un piétement en métal et éclairés par des leds colorées. Design Ramón Esteve.

extérieursdesign

141


c ’e s t d e s a i s o n

Pierre Favresse : nouvel Habitat

Directeur artistique d’Habitat depuis son rachat, pour l’Europe continentale, par Cafom, le jeune designer Pierre Favresse réaffirme l’identité de la marque à travers, notamment, une collection outdoor atypique : Butler. propos recueillis par DOROTHÉE BÉCART

Patrick Lazic

Quelle mission vous a été confiée à votre arrivée chez Habitat, fin 2011 ? Y insuffler de nouveau de la création. Depuis sa fondattion en 1964, Habitat est un éditeur et un découvreur de talents, et un acteur de la démocratisation du design. C’était la philosophie de Terence Conran, et c’est par le design que la marque doit continuer à évoluer.

Quelle était votre propre image de l’enseigne ? Pour moi, Habitat est synonyme de douceur et d’élégance à un bon prix. C’est la boutique des architectes et des créatifs. En tant que designer, j’ai une façon de dessiner les choses, je ne peux pas me déguiser ; il m’a fallu quand même décrypter l’ADN d’Habitat : robustesse, qualité, élégance dans les formes, et toujours une petite touche de fantaisie qui fait la différence.

Avec quelle philosophie avez-vous abordé les créations outdoor de la collection 2013, notamment la table Butler, très emblématique ? J’ai essayé de proposer un meuble anti-­réseaux

12

extérieursdesign

sociaux. Je voulais donner la possibilité et l’envie, à travers cette création, de se retrouver, ensemble. C’est de là qu’est née l’idée d’une micro-architecture qui installe une véritable atmosphère. Il s’agit d’une création qui évoque le jardin, mais j’ai d’abord pensé à ceux qui n’en ont pas forcément : Butler permet aussi d’amener un morceau de jardin à l’intérieur.

Pourquoi avoir choisi le chêne et le coton pour la table et sa canopée ? Ce sont des matériaux naturels qui, même s’ils ne sont pas fondamentalement outdoor (bien que le chêne soit compatible avec cet usage grâce à un vernis et que la toile de la canopée soit similaire à celle d’un parasol), évoquent l’extérieur. Dans la nouvelle collection, on trouve beaucoup de matières d’inspiration naturelle, appelant au savoir-faire d’artisans avec lesquels nous travaillons : faïence, grès, porcelaine… Cela participe à ce que chaque produit ait une histoire, qu’il s’agisse de celle de l’artisan ou de celle du designer.

La canopée, en coton, est bleu nuit, une couleur inhabituelle dans l’univers du mobilier outdoor… Cette collection a été créée autour du thème de « l’heure bleue », ce moment où la nuit tombe,

où le ciel se colore d’un bleu très fort, avec un peu d’orange sur la ligne d’horizon, où l’humidité remonte et les senteurs du jardin sont les plus puissantes… ça rejoignait parfaitement l’idée d’un retour à la convivialité, aux dîners entre amis. En tant que directeur artistique, on se doit d’orienter. Et orienter, c’est rêver…


colorstyle

3

9

8 7

2 1

100 % denim

5 4

La célèbre toile denim rhabille les terrasses et jardins trop timorés en version culottée. Tout un état d’esprit, cool et rebelle à la fois, mâtiné de conscience écolo-chic… SÉLECTION DOROTHÉE BÉCART

4

6

// 1 // Icône sixties n Peut-on faire plus sixties que le banc du même nom dans sa déclinaison gris orage (structure aluminium et assise en résine technique haute densité), proche de la teinte des jeans bruts ? Fermob, banquette Sixties, design Frédéric Sofia, H. 72 x 64 x 118 cm, 415 € // 2 // Recyclage rock n Entre 20 et 40 jeans usagés sont nécessaires à la fabrication de ce tabouret récup’ chic, à balader du salon à la terrasse en toute décontraction. Existe également en version kid. Art Terre, pouf Sushi, design Eva Forgacova, H. 40 x diam. 40 cm, 228 € // 3 // Tie & Dye n Ce tapis d’extérieur 100 % PVC bénéficie du savoir-faire et de la créativité de Tai Ping en la matière. Sur un fond bleu jean se détachent des motifs très flower power qui semblent résulter d’un tie & dye habilement maîtrisé. Tai Ping, tapis Desert Snow, diam. 110 cm, 1 070 € // 4 // Baba cool n 456 bouteilles de lait en plastique recyclées ont été nécessaires à la fabrication de cette petite table écolo-chic, déclinée en bleu-gris aspect jean et en sept autres coloris. Loll Designs, table ronde Alfresco, H. 76 cm x diam. 64 cm, 681 € // 5 // Rebel rebel n Pas de total look rebelle sans la bande-son qui va avec. Cette petite radio portable, qui fait également office d’enceinte MP3, donne le la aux terrasses rock’n’roll, avec son habillage couleur denim. Lexon, radio Mezzo, 59 € // 6 // Punk attitudE n Déclinés dans toutes les nuances du denim, délavé ou foncé, ces coussins assument leur look rebelle jusqu’au bout : leur enveloppe est en effet fermée au moyen d’une épingle à nourrice évoquant les grandes heures du punk rock. Schönbuch, coussin Denim, design Apartment 8, à partir de 5 x 35 x 35 cm, à partir de 117 € // 7 // Tout neuf n En bleu soutenu, ce pot en céramique rappelle les teintes des jeans neufs. Habitat, cache-pot Bisbal, 41 x 41

24

extérieursdesign

10

11

12

13

x 40 cm, 39 € // 8 // Leçon d’upcycling n L’ingénieux designer Tobias Juretzek donne une seconde vie aux jeans usagés en les métamorphosant, par un processus de solidification exclusif à base de résine, en chaise à chaque fois unique. À ne promener en terrasse qu’en cas de beau temps. Casamania, chaise Rememberme, design Tobias Juretzek, H. 80 x 52 x 42 cm, chez Made in design, 718 € // 9 // Esprit US n Frappé d’une grosse étoile et décliné en différents coloris dont le bleu jean, ce doux tapis outdoor en fibres PVC, issu d’une fabrication artisanale, résume à lui seul l’esprit US, décontracté et rock’n’roll. Pappelina, tapis Viggo Star, chez Tendance Outdoor, 70 x 150 cm, 115 € // 10 // SANS COMPLEXE n Habillé de toile bleu jean, le transat Chilienne de Fermob invite d’autant plus aux siestes décomplexées… Fermob, transat Chilienne, H. 89 x 53 x 103 cm, 390 € // 11 // Double détente n Véritable icône du farniente, le pouf Fatboy revient dans une version sanglée pour s’adapter à tous

les scénarios de détente imaginables : seul, à plusieurs, allongé ou assis. Et pour encore mieux marquer sa cool attitude, il se décline désormais en coloris jean, dans un tissu résistant aux U.V. Fatboy, Buggle-Up, 289 € // 12 // Soirées relax n Pour habiller les formes rebondies de ce canapé modulable en forme d’invitation à la paresse signé Francesco Rota, la magicienne du textile, Paola Lenti, a choisi un revêtement en jean résistant aux contraintes climatiques. Paola Lenti, Soufflé, design Francesco Rota, prix selon configuration. // 13 // Voile Denim n Récompensée par un label du VIA, cette toile outdoor aspect jean rehaussée d’un dessin tridimensionnel unique habille au choix coussins, paravents ou stores d’extérieur. Dickson, toile Cube, design Clémentine Chambon et Françoise Mamert (Design Percept), prix sur demande.

extérieursdesign

25


portraits

1 2

Entrepreneurs, anciens commerciaux, publicitaires ou décorateurs, ils partagent une passion corrosive pour le métal, qu’ils façonnent avec des savoir-faire chaque fois uniques pour faire naître des objets inédits en dialogue avec la nature. Rencontre avec quatre créateurs qui se sont donné pour mission d’humaniser le métal.

Duet desmétal hommes

// 1 // Hommage pictural n En métal et verre soufflé, ce mobile rend hommage à la folie créatrice de Picasso, dont Jean-Philippe Weimer a mis en lumière le château, à Vauvenargues. Ojos, design Jean-Philippe Weimer. // 2 // Beauté stellaire n Capter la lumière stellaire pour la diffuser en douceur dans le jardin : une idée d’une folle poésie matérialisée dans cette sphère en ferronnerie discrètement éclairée qui vient se confondre avec la végétation, accrochant au passage quelques feuilles de chêne… réelles ou fabriquées par la main de l’homme ? À chacun de le vérifier… Le Preneur d’étoiles, design Jean-Philippe Weimer.

Jean-Philippe Weimer

Poète de la lumière

entretien dorothée bécart

Portrait en clair-obscur d’un amoureux des matières nobles qui met en lumière les plus beaux jardins de l’Hexagone.

photo Christophe Billet

U

112

extérieursdesign

n jour, Jean-Philippe Weimer a vu la lumière. Au sens propre comme au sens figuré. Alors qu’il aménageait, pour un salon, le stand d’un éclairagiste, il a réalisé qu’il touchait du doigt son rêve de concilier un métier technique avec une sensibilité d’artiste. « Je ne peux pas vivre sans créer quelque chose de mes mains », réalise alors cet architecte d’intérieur de formation, qui plaque tout pour recommencer de zéro, en tant que magasinier dans une société d’éclairage architectural. Question de caractère pour celui qui met un point d’honneur à « toujours montrer ce que l’on sait faire avant de demander quoi que ce soit ». « Ne connaissant rien à la lumière, j’ai commencé à la base pour acquérir une meilleure connaissance du marché et de son fonctionnement. » Deux ans durant, Jean-Philippe Weimer observe les acteurs du secteur comme leurs clients, déplorant le manque d’offre du côté des premiers et le manque d’imagination des seconds. Il décide d’aborder l’éclairage comme on aborde la haute couture : en proposant des solutions le plus personnalisées possible. En 1993, il se lance avec un premier luminaire en inox marin et Pyrex. Il se prend rapidement de passion pour le bronze, le laiton, « des matières qui vivent, qui s’oxydent mais ne s’altèrent pas, contrai­

rement aux métaux ferreux ». Puis il tombe amoureux du cuivre. « Il reste souple et résistant ; l’idéal pour servir un design végétal, comme mes collections d’inspiration organique », précise le poète de la lumière, qui aime à laisser ses luminaires emblématiques s’enrouler autour de troncs ou de branches d’arbres, prouvant que formes végétales et jardins contemporains n’ont absolument rien d’antinomique. Si le métal a donné corps à ses rêves de luminaires-lianes, JeanPhilippe Weimer sait s’éloigner de l’un et des autres pour expérimenter d’autres matériaux, comme le verre ou la résine synthétique Hi-Macs, découverte suite à une collaboration avec un architecte, et d’autres formes. « J’ai un coup de crayon désormais identi­ fiable ; mais je veux démontrer que je peux sortir du design végétal et proposer autre chose, de plus en plus sur mesure. » Ses derniers projets ? La mise en lumière d’un château, rien de moins . « Un chantier complètement fou, mais plus on est fou, plus on libère sa créati­ vité », ajoute celui qui s’est véritablement assumé en tant qu’artiste alors qu’il travaillait dans le jardin du château de Pablo Picasso, enterré sur place. « Je me suis fait tout petit, mais, une fois que j’ai trouvé la bonne idée, j’y suis allé à fond. » Une attitude qui n’aurait certainement pas déplu au maître du cubisme… extérieursdesign

113


r uobr rt ri q p a iut es

Éric Ferber

Le métal au cœur

C

1 2 // 1 // Tableau vivant n Conçues comme de véritables tableaux d’extérieur à contempler en plein soleil ou à contre-jour, ces sculptures en deux dimensions donnent une dimension presque spirituelle au jardin. Ferrare, Celesta, design Philippe Blondeau. // 2 // Nouvelle dimension n Philippe Blondeau crée

également des structures monumentales en trois dimensions, toujours en acier rouillé, son matériau de prédilection. L’ensemble de ses créations, réalisées par un ferronnier d’art, sont patinées après découpage et assemblage. Ferrare, assemblages monumentaux, design Philippe Blondeau.

Philippe Blondeau

Entrepreneur et artiste

Quand il ne dirige pas son entreprise familiale, Philippe Blondeau crée des sculptures en acier rouillé ultra-contemporaines pour l’extérieur.

Avenir tracé n À terme, Éric Ferber souhaiterait se consacrer exclusivement à la sculpture. Depuis de nombreuses années déjà, il présente, aux côtés de ses jardinières et fontaines, ses créations aux inspirations diverses, ici réalisées en aluminium, Corten et inox.

114

extérieursdesign

PHOTO Sylvain Pregaldiny

V PHOTO Jean-Pierre Delagarde

’est l’histoire d’une passion endormie à l’origine d’un changement de vie radical, mais réussi. Cette vie, c’est celle d’Éric Ferber, pendant vingt longues années commercial dans un milieu à mille lieues de son univers actuel : celui de la hi-fi. « J’en avais fait le tour et, tout doucement, ma vraie pas­ sion m’est revenue. » Enfant, Éric Ferber se réfugiait souvent dans une ancienne forge voisine, pour observer l’artisan, un fabricant de charpentes métalliques et de serrureries, au travail. « Et puis il m’a laissé expérimen­ ter, il m’a appris les gestes. » Des gestes qui, quelques décennies plus tard, lui reviennent doucement. « Les machines ont évolué, elles sont plus rapides, mais au fond, elles n’ont pas tant changé. J’y suis allé en auto­ didacte, mais j’avais tout de même quelques notions. » Secondé par Grégory Housselstein, formé aux constructions métalliques, il réalise garde-corps et portails, puis jardinières en alu et fontaines qui le font connaître au niveau local, et enfin national : de nombreux paysagistes, séduits par son enthousiasme et sa réactivité, lui confient des projets de plus en plus complexes. « Ils me poussent à expérimenter. Avec des paysagistes comme Didier Danet, c’est devenu un vrai partenariat, un échange primordial. Cela me pousse à la fois à tester des formes nouvelles et à en proposer d’autres. » À la fois humble et sûr du chemin qu’il est en train de tracer, Éric Ferber se tourne aujourd’hui de plus en plus vers la sculpture, en aluminium, en Corten, un matériau qu’il a mis un certain temps à adopter – « Trop salis­ sant », plaisante-t-il pour justifier cette longue réticence –, ou en inox. « À terme, je voudrais m’y consacrer exclusivement, tout en continuant à travailler avec des paysa­ gistes, pour les inciter à retrouver l’audace d’une sculpture en point de mire, qu’ils ont un peu per­ due. » Sculptures aux courbes vertigineuses, ou inspirées des kanji japonais, toutes ont quelque chose d’unique, qui part certainement du cœur de leur créateur. « Je suis toujours un peu triste quand une de mes sculptures s’en va », confie Éric Ferber, en grand sentimental du métal… Éric Ferber exposera au salon Résonance[s] à Strasbourg, du 9 au 12 novembre 2012, www.fremaa.com

PHOTOs Sylvain Pregaldiny

Des garde-corps aux jardinières, des fontaines aux sculptures, Éric Ferber suit son chemin avec passion et détermination.

oix douce et ton mesuré de celui qui a trouvé sa… voie, Philippe Blondeau déroule le fil de sa vie professionnelle, un peu chamboulée depuis quelques mois. À la tête d’une entreprise familiale de produits liquides destinés aux grandes surfaces de bricolage, ce fou d’art contemporain est également... sculpteur d’œuvres en acier rouillé pour le jardin. Une double vie peu banale née d’un choc esthétique ressenti au musée Guggenheim de Bilbao, devant les installations monumentales en métal rouillé de Richard Serra, puis les travaux d’Eduardo Chillida et de Bernar Venet, qui l’ont amené à s’intéresser à la sculpture de jardin. « J’ai commencé par créer des sculptures-tableaux en deux dimensions en débutant par des maquettes en carton, réalisées ensuite par un ferronnier d’art, Pascal Chevaux. » Philippe Blondeau expérimente ensuite de façon à obtenir la patine le plus durable et le plus séduisante possible : « La couleur orange de la rouille est

sublime quand le soleil se pose dessus, tout comme le contre-jour », ajoute-t-il, le ton soudain plus rêveur. Une fois satisfait, il se lance, troquant sa casquette d’artiste contre celle d’entrepreneur. « J’ai créé ma marque, Ferrare, et fait fabriquer une première série de 52 sculptures ; ce sont des séries limi­ tées et numérotées. » Des œuvres en deux dimensions jouant sur les jeux d’ombre et de lumière, ou des assemblages en trois dimensions qui se dévoilent différemment selon le point de vue d’où on les contemple. « L’acier rouillé en appelle à nos origines. Il a un côté ances­ tral et ultra-contemporain à la fois. Il incarne le temps qui passe, le passé comme l’avenir. » Le temps, justement, comment le trouve-t-il ? « J’ai la chance d’avoir une société qui fonc­ tionne, cela m’en libère suffisamment. » Assez, en tout cas, pour vivre pleinement son « aventure humaine » autour du métal… extérieursdesign

115


portraits

1 // 1 // Nouvelles vagues n Le piétement ultra-complexe de ce banc

unique en son genre signé Alexandre Moronnoz a poussé les équipes dans leurs retranchements, valorisant une nouvelle fois un savoir-faire toujours plus en pointe. Tôlerie Forézienne, banc Interférences, design Alexandre Moronnoz. // 2 // Ultrafinesse n Le rêve de la créatrice Cécile Planchais, une assise aérienne confinant à l’épure, s’est matérialisé grâce au savoir-faire, dans le domaine de la tôlerie fine, des équipes de Tôlerie Forézienne. Tôlerie Forézienne, chaise Icila, design Cécile Planchais.

2

Dominique Guichard

La tôle version design

Directeur général de Tôlerie Forézienne, une entreprise née en 1922, Dominique Guichard est l’artisan de sa diversification et de sa conversion au design de mobilier.

Q

u’y a-t-il de commun entre une pièce détachée pour automobile et une chaise ultra-slim ? Entre un panneau d’affichage publicitaire et un banc public ? Deux lettres, TF, pour « Tôlerie Forézienne », et un savoir-faire quasi centenaire dans l’univers assez méconnu de la tôlerie fine. Créée en 1922, cette entreprise familiale s’est spécialisée dans la fabrication de conduits d’évacuation des fumées. À la faveur d’une cession de ses actifs dans les années 1990, elle s’est mise à diversifier ses activités, avec pour but « de faire de “TF” une marque synonyme d’innovation », résume Dominique Guichard, ancien publicitaire devenu directeur général de l’entreprise. Artisan, avec le soutien de son groupe, de cette évolution, il prend contact avec la Biennale du design de Saint-Étienne, puis lance un appel à projets autour de la création de pièces de mobilier urbain. Six designers sont retenus, choisis sur des critères d’humilité, d’acceptation des compromis  ». Et «  pourtant, à voir la complexité des lignes du banc Interférences d’Alexandre Moronnoz ou l’ultra­ finesse de la chaise Icila de Cécile Planchais, on

116

extérieursdesign

i­magine plus volontiers les compromis du côté des ateliers de fabrication. « Certains produits nous poussent à bout, c’est vrai. Mais cela motive nos équipes à se dépasser en utilisant tous les moyens mis à disposition : découpe laser, pliage, poinçonnage… Résultat : nous sommes en pointe sur un certain nombre de techniques », se félicite Dominique Guichard. Au-delà d’un savoir-faire de plus en plus pointu, le directeur général deTôlerie Forézienne cherche à changer les choses dans l’espace public, attaché à l’idée de véritables « salons publics » qui dépasseraient la frilosité des collectivités locales françaises. « Quand on met ce style d’équipement à disposition, les gens se l’attribuent très naturellement. Ils ont besoin de se retrouver ensemble. » Dernière frontière à franchir ? Celle des jardins privés. « Lorsque nous exposons dans des festivals comme “Jardins, jardin”, aux Tuileries, les gens nous disent : “C’est très beau, mais on ne peut pas mettre ça chez nous, puisque c’est du mobilier urbain” », déplore-t-il. « Mais heureusement, la tendance factory est en train de faire tomber des barrières. » Demain, grâce à lui, les amoureux pourraient se bécoter sur des bancs… privés, bien à l’abri des regards !


relooking

Végé-table Dehors ou dedans, la table peut devenir un vrai petit jardin à elle seule, grâce à ces centres de table végétaux... ou à ces objets végétalisés joliment détournés. SÉLECTION DOROTHÉE BÉCART

1

4

5

18

extérieursdesign

2 3

DÉTOURNEMENT VÉGÉTAL ■ Bac à glace ou jardinière ? Le module central de cette table se révèle très futé ! Dedon, table Play, design Philippe Starck, 6 320 €

// 1 // ESQUISSE FLEURIE ■ Ces jolis vases-crayons redessinent les tables des artistes en herbe(s). Y’a pas le feu au lac, soliflore triple Pik, design FX Balléry, 65 € // 2 // MICROPAYSAGE ■ Mets délicieux et succulentes sont faits pour s’entendre, surtout si ces dernières sont joliment mises en scène, comme dans cet aquarium-paysage. Gaia&Gino, Glasscape, design Aruliden, 112 € // 3 // EN BOUTEILLE ■ Parmi les grands millésimes, une petite bouteille aux formes rebondies emplie d’orchidées. Joli clin d’œil ! Sia, arrangement floral sous verre, 149 € // 4 // DU MUR À LA TABLE ■ Ce tableau composé de végétaux stabilisés s’accroche habituellement aux murs mais peut s’improviser en chemin de table des plus originaux ! Flowerbox, tableau Panoramic, 20 x 70 cm, 129 € // 5 // GOURMAND ■ Une décoration haute en couleur et riche en parfums gourmands doublée de la possibilité d’avoir aromates et herbes fraîches à portée de main ! Bacsac, mini Baclong, H. 12 x 40 x 10 cm, 40 €


gourmand LA PÂQUERETTE. CAUCHEMAR DES AMA- simples et ont pour but de mettre en avant le goût TEURS DE PELOUSES IMPECCABLES ou des plantes sauvages, souvent très prononcé. Il fleur préférée des amoureux, qui aiment à l’effeuiller en douce compagnie ? Mieux que cela : un ingrédient étonnant qui transforme une banale salade en expérience gustative inédite, avec sa saveur proche de celle du vinaigre balsamique. L’égopode. Hantise des jardiniers, avec ses racines profondes et nombreuses ? Certes, mais aussi chouchou des cuisiniers inspirés, avec son petit goût entre la carotte et le céleri, aussi bon en gratin qu’en quiche… Les mauvaises herbes seraient-elles, en réalité, délicieuses ? « Sur un total de 12 000 plantes sauvages en Europe, près de 1 600 sont comestibles et entraient jadis dans l’alimentation humaine, rappelle François Couplan, ethnobotaniste. Le vrai régime crétois repose sur la consommation extrême de ces plantes que l’on trouve également dans le sud de la France. » Ce cueilleur globe-trotteur partage avec enthousiasme ses connaissances avec les amateurs curieux comme avec ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances sur ce « garde-manger » généreusement offert par la nature. « En 30 secondes, l’été, on peut cueillir de quoi faire à manger pour dix personnes, s’enthousiasme-t-il. Même dans nos propres jardins, si ceux-ci n’ont pas été traités avec des produits phytosanitaires, on peut trouver son bonheur, pour peu qu’on laisse un peu la nature vivre, en se contentant de retourner la terre de temps à autre pour lever la dormance de certaines graines, comme le mouron. » Rétablir le lien entre la nature et les fourneaux, c’est également le credo de Meret Bissegger, qui, elle aussi, organise régulièrement des sorties ouvertes à tous. « La cueillette reconnecte les gens avec leur terroir. Ils apprennent à regarder et à mieux connaître les plantes sauvages autour d’eux. » Une fois son panier rempli, Meret cuisine en toute simplicité sa récolte du jour dans sa maison-table d’hôtes, la Casa Merogusto. « Toutes mes recettes sont

Appétits sauvages

Tous les goûts sont dans la nature, même les plus inattendus. Sous nos pieds s’étend un formidable garde-manger dans lequel des passionnés des fourneaux puisent pour réveiller nos papilles.

L ET LUI

TEXTE DOROTHÉE BÉCART

112

extérieursdesign

faut les adoucir par l’assaisonnement et leur donner de la consistance. »

De la cueillette à l’assiette Dans ses assiettes, cardamine hirsute, monnaie-du-pape, grande bardane, liondent hispide, renouée bistorte ou mouron des oiseaux occupent le premier rôle. Car les herbes et fleurs sauvages ne sont plus cantonnées à un simple rôle de figuration, purement décoratif. Cédric et Cathy Denaux sont les fondateurs du restaurant L et Lui, situé à Saint-Paul-Trois-Châteaux, au cœur de la Drôme, paradis des cueilleurs. « L » cultive une quarantaine de plantes aromatiques, de fleurs comestibles et de légumes. « Lui » les cuisine, tout en ajoutant des herbes et plantes sauvages cueillies juste avant le service, à dix minutes du restaurant. Ballotine de pintadeau fourrée au melanosporum Tricastine (truffe), tartelette de banane et coings à la menthe aquatique sauvage figurent notamment à sa carte, en ­perpétuelle réinvention. « Je travaille autour de l’hypersaisonnalité, en fonction de mon jardin, du mistral, de la pluie et du gel. Il y a des plantes qui arrivent en même temps que certains légumes, fruits, poissons ou viandes ; parce qu’ils arrivent en même temps, ils doivent pouvoir s’accorder, il suffit de trouver la connexion – c’est le travail du cuisinier. » Et ce passionné du beau et du bon de rêver déjà aux saveurs du printemps, asperges sauvages, fleurs de sureau, d’acacia, alliaire, capucine… « Je préfère toujours sublimer une plante sauvage que de les mélanger toutes. » Une volonté, sans doute, d’éduquer les papilles de ses clients, parfois peu habitués à ces saveurs oubliées… Véritable druide des temps modernes, Stéphane Meyer a écumé dix années durant l’Europe des plantes médicinales sauvages pour le compte de laboratoires. Il a aujourd’hui ses

La recette de Cédric Denaux

Fausse panna cotta, lait de noisette bio, abricots et agastache fenouil Un demi-litre de lait de noisette bio, 75 g de sucre glace, 600 g d’abricots mûrs à point, un petit bouquet d’agastache fenouil, 3 feuilles de gélatine alimentaire ou 2 g d’agar-agar Chauffez le lait de noisette, le sucre glace et l’agar-agar (si vous l’avez choisi, à diluer à froid dans le lait puis à chauffer au-dessus de 85 °C) jusqu’à ébullition, coupez le feu puis plongez les abricots dénoyautés et 20 feuilles d’agastache. Laissez infuser une dizaine de minutes puis mixez le tout de sorte qu’il n’y ait plus de gros morceaux d’abricots ; si vous avez fait le choix de la gélatine alimentaire, ajoutez-la. Versez votre mélange dans les contenants choisis, verres, petits pots… Laissez au froid douze heures au moins, servez avec un sorbet à l’abricot et quelques feuilles d’agastache.

extérieursdesign

113


gourmand entrées dans les cuisines les plus prestigieuses et les plus innovantes de la capitale, parmi lesquelles L’ Astrance de Pascal Barbot et L’ Agapé Substance de David Toutain. « Si l’on met de côté les champignons, les plantes sauvages n’ont pas participé au développement de la gastronomie française, résume-t-il. Aujourd’hui, ces plantes reboostent l’imagination des chefs. » Entre lui et les grandes toques, c’est une histoire de transmission. « Je leur propose entre 60 et 80 plantes différentes. Les consommés, les glaces et les purées sont une façon excellente de les aborder, notamment

parce que c’est quelque chose de plutôt ‘‘habituel’’  à l’œil. » Cuisinier simplement ces saveurs inédites attraperait-il plus facilement les papilles des néophytes ? Peut-être faut-il y voir un clin d’œil à la cuisine de nos ancêtres plus ou moins lointains, simple et généreuse : les soupes d’orties, la cramaillotte franc-comtoise, spécialité, entre le miel et la confiture, préparée à partir des pétales des pissenlits, les paupiettes des Cévennes, où les rosettes de coquelicot remplacent les épinards… « En compilant toutes ces utilisations régionales, on en découvre de nouvelles, analyse Stéphane

Meyer. Mais les chefs finissent par en faire des usages très différents, ce qui amène encore plus de richesse… » Un peu de vie sauvage dans nos assiettes, étoilées ou non, pour mieux réveiller nos instincts gourmands endormis par des repas stéréotypés, voilà qui ouvre de nouveaux horizons, et pas seulement gustatifs ! « Consommer des plantes sauvages nous apporte beaucoup : les saveurs, les nutriments, et puis aussi quelque chose d’autre, qui relève d’une réflexion, d’une compréhension du monde qui nous entoure », conclut François Couplan.

La recette de Meret Bissegger Maïs doux au mouron des oiseaux

1 épi de maïs cuit, ½ piment doux coupé en rondelles, 1 cuiller à soupe d’huile d’olive, 1 gousse d’ail écrasée, 3 poignées de mouron des oiseaux, 1 pincée de sel marin aux herbes, 2 à 3 cuillers à soupe d’huile de noix grillées, 1 poignée de noix hachées. Couper les grains de maïs à l’aide d’un couteau aiguisé. Verser l’huile dans une poêle chaude, puis y faire revenir le maïs et le piment quelques minutes. Ajouter l’ail et faire revenir le tout encore quelques secondes, puis retirer la poêle du feu. Ajouter le mouron et mélanger rapidement. Assaisonner et mélanger avec les noix. Servir aussitôt.

ULTRA-VIOLET n Le goût de la violette n’a pas

encore été totalement oublié par les amateurs de douceurs désuètes… Meret Bissegger prouve, avec cette panna cotta au sirop de violette, qu’en plus d’un haut pouvoir esthétique, les fleurs et plantes sauvages éveillent les papilles.

HANS-PETER SIFFERT

Au cœur de la Suisse italienne, merveilleux garde-manger à ciel ouvert, Meret Bissegger cueille et cuisine les plantes sauvages pour le plaisir des papilles des clients de sa table d’hôtes, la Casa Merogusto. Dans cet ouvrage, elle partage ses connaissances sur une soixantaine de plantes communes comestibles, sublimées en 130 recettes photographiées par HansPeter Siffert. Éditions Ulmer, 320 pages, 32 €

114

extérieursdesign

HANS-PETER SIFFERT

La Cuisine des plantes sauvages

Initiations à la vie sauvage François Couplan organise régulièrement des stages de cueillette, en région parisienne comme en province, au cours de journées ou de courts séjours pendant lesquels il partage ses connaissances et invite ses élèves à cuisiner leur récolte. Trois stages sont organisés en avril : à Massonnens, dans le Valais et en Gruyère, et en Corse. Il a également ouvert un collège pratique d’ethnobotanique, cursus de trois ans ouvert aux étudiants comme aux personnes en reconversion. Plus de renseignements sur le site www.couplan.com Meret Bissegger propose

régulièrement, autour de sa table d’hôtes de Malvaglia, en Suisse italienne, des journées de cueillette suivies de cours de cuisine. Plus de renseignements sur le site www.meretbissegger.ch Cédric Denaux propose des ateliers pour mieux maîtriser les techniques de base de la cuisine, qu’il saupoudre de quelques conseils et improvisations autour des plantes sauvages récoltées en groupe. Plus de renseignements sur le site www.letlui.com ou au 04 75 46 61 14. Frédéric Meyer propose une partie du fruit de ses cueillettes dans la boutique Terroirs d’avenir au 7, rue du Nil, Paris 2e.

Un cours magistral en pleine nature donné par François Couplan, docteur ès sciences (Muséum national d’histoire naturelle).

extérieursdesign

115


déco

cousu main

Alors que l’été approche à grands pas, les terrasses revêtent leur petite laine ; ou plutôt, s’ornent de tapis, poufs et canapés tricotés, crochetés ou ornés de motifs évoquant la dentelle ou le point de croix. Un retour aux sources venu de la mode qui séduit de plus en plus les designers avides de retrouver les gestes simples des artisans. SÉLECTION DOROTHÉE BÉCART

© SERGIO CHIMENTI

1

DOUCEUR DE VIVRE ■ Comme pour répondre à la douceur d’un tapis de gazon entretenu au brin près dans ce jardin du paysagiste Jan Joris, Paola Lenti, avec la complicité de Francesco Rota et de Patricia Urquiola, a tricoté canapés et poufs aux couleurs radieuses. Paola Lenti, collections Ami, Shell et Picot, chez Outside, prix sur demande. BONNETS D’ÉTÉ ■ Ces poufs au nom évocateur réchauffent doublement les extérieurs trop froids dans leurs habits d’été : leur enveloppe « tricotée » en fils acryliques se retire et s’enfile en effet en un clin d’œil. Casalis, poufs Bonnet outdoor, design Liset van der Scheer, à partir de 325 €

2 // 1 // INSPIRATION NAPPERON ■ C’est en souvenir des napperons qui recouvraient en partie les accoudoirs des fauteuils de sa grand-mère qu’Henry Sgourakis a conçu ces fauteuils outdoor crochetés façon XXL. Henry Sgourakis, fauteuil Nook, bientôt disponible. // 2 // TRICOT DE GRAND-MÈRE ■ S’il suscitait l’embarras à l’adolescence, le pull tricoté par Grand-Mère n’a jamais été aussi branché qu’en 2012 : la preuve avec ce fauteuil en iroko massif à l’assise en cordage marin aux mailles travaillées en damier. Wa.De.Be, fauteuil Granny, prix sur demande.

2

extérieursdesign

extérieursdesign

3


déco

cousu main

© SERGIO CHIMENTI

4

// 1 // MAILLE(S) À PARTIR ■ Un souffle d’ailleurs sur les terrasses avec ces poufs imaginés par Francesco Rota et confectionnés par Paola Lenti à partir de corde Rope aux couleurs joliment chamarrées. Paola Lenti, pouf de jardin Shell, design Francesco Rota, H. 25 x diam. 85 cm, 1 973 € // 2 // FLEURS CROCHETÉES ■ Icône outdoor, le fauteuil Crinoline,

avec son assise fleurie semblant avoir été réalisée selon les techniques du crochet, revisite les mythiques fauteuils en rotin des années 70. Doublement seventies ! B & B Italia, fauteuil Crinoline, design Patricia Urquiola, 2 578 € // 3 // NID DOUILLET ■ Comme on aime, l’hiver, se pelotonner dans les mailles d’un pull bien chaud, on se laisse aller, l’été, au confort douillet de ce fauteuil-cocon à la structure tressée de larges mailles. Kenneth Cobonpue, fauteuil Rapunzel, prix sur demande. // 4 // ARTISANAT VÉGÉTAL ■ Avec ses feuilles vert tendre et ses

fleurs tout en explosion de fuchsia et rose soutenu, ce tapis crocheté est une poésie à lui seul. Paola Lenti, tapis Crochet, 8 055 € // 5 // CROISEMENT DES GENRES ■ Pour anoblir encore davantage le végétal, deux jeunes designers se sont amusés à créer des pots ornés de collerettes réalisées à partir des élastiques utilisés habituellement en mercerie. Grégory Marion, Collerettes, design

5

Grégory Marion et Laurianne Lopez, pièces uniques. // 6 // SOUS TOUTES LES COUTURES ■ Virtuose du tressage

appliqué au design outdoor, Kenneth Cobonpue revisite avec humour et élégance les techniques du crochet et de la couture plate pour sa nouvelle collection. Kenneth Cobonpue, collection Cabaret, prix sur demande.

6 1 2

3

4

extérieursdesign

extérieursdesign

5


déco

cousu main

© SERGIO CHIMENTI

4

// 1 // CANOPÉE EN DENTELLE ■ C’est en travaillant avec les manufactures de dentelle de Calais que Chris Kabel a imaginé ce parasol devenu un classique du genre en quelques années. Sywawa, parasol Shadylace, design Chris Kabel, chez Jardin Chic, 257 € // 2 // PULL MARINE ■ Sur une structure

en iroko, le collectif Wa.De.Be a enfilé une marinière, classique incontournable et indémodable du prêt-à-porter, pour des extérieurs forcément dans le vent ! Wa.De.Be, chaise Granny rayée, prix sur demande. // 3 // EN TRANSPARENCE ■ Une structure résumée à l’essentiel, habillée d’une maille polyester crochetée... et les souvenirs d’étés insouciants reviennent par vagues douces lorsqu’on s’abandonne au confort étudié de ce fauteuil so seventies… Area

1

Declic, fauteuil Knit Knot, design Alessandra Pasetti, prix sur demande. // 4 // MASCULIN/FÉMININ ■ C’est de la mode d’hiver masculine que s’inspire le designer Francesco Rota avec ces petits bancs à la structure décorée de larges côtes aux tons neutres pourtant créés pour la plus féminine des griffes outdoor. Paola Lenti, banc

5 2

Frame, design Francesco Rota, chez Outside, 700 € // 5 // POINT DE CROIX ■ Pour Unopiù, le designer Carlo Martino a brodé une collection rafraîchissante, avec sa table métallique ajourée de motifs en points de croix repris sur le coussinage de fauteuils empilables à la structure tubulaire. Unopiù, collection Crochet,

6

design Carlo Martino, coussin, 42 € ; table, 295 € et fauteuil, 160 € // 6 // FESTONS FESTIFS ■ D’un seul tenant, la structure en acrylique ajouré en arabesques de ce fauteuil en fait une pièce unique… en son genre. Acrila, fauteuil dentelle, design Jean-Christophe Bernard, 1060 € // 7 // BRODERIES MÉTALLIQUES ■ La maîtrise

absolue du métal travaillé en finesse permet à Bysteel de concrétiser les rêves des designers les plus exigeants, comme le collectif Ragodesign qui a imaginé cette jardinière-cloison ajourée de motifs en dentelle.

7 3

Bysteel, jardinière Tu, design Ragodesign, chez Tendance Outdoor, 1050 €

6

extérieursdesign

extérieursdesign

7


cityzen

ESPRIT D’OUVERTURE ■ Entre le besoin d’intimité et l’envie de rester connecté à l’une des villes les plus excitantes du monde, Dorothy Bothwell a choisi de ne pas trancher, confiant à Anthony Visco la réalisation d’un claustra ajouré en teck FSC dont un des panneaux, coulissant, permet d’ouvrir et de fermer une fenêtre sur Manhattan.

Dans la ville où tout pousse en hauteur, quoi de plus naturel qu’un extérieur qui tutoie le ciel ? Du jardin au toit-terrasse, dégradé de vert signé Dorothy Bothwell pour le cabinet Nelson Byrd Woltz. TEXTE DOROTHÉE BÉCART ■ PHOTO ASLA / ERIC PIASECKI

2

Fenêtre sur Manhattan extérieursdesign

extérieursdesign

3


cityzen

2

// 1 // TERRASSES EN TRIPLEX ■ Outre le jardinet au rez-de-chaussée, la maison, à l’architecture atypique, comporte trois terrasses réparties sur plusieurs étages et reliées par des escaliers. // 2 // CLASSE VERTE ■ Sur la terrasse qui leur est consacrée, les enfants peuvent jouer au professeur ou dessiner au gré de leur inspiration sur un tableau noir subtilement serti dans le claustra en teck.

Quatre étages au vert COMME LE DIT LA CÉLÈBRE CHANSON, SI ON PEUT LE FAIRE À NEW YORK, ON PEUT LE FAIRE PARTOUT. La ville de tous les

1■

4

extérieursdesign

possibles est un véritable laboratoire d’idées pour les jardins. Improvisés sur les trottoirs, s’agrippant au moindre escalier de secours, débordant des balcons, ils y sont omniprésents ; et c’est, bien sûr, Central Park, poumon vert en plein cœur de Manhattan, qui donne le ton. Dans cette maison de sept étages située à deux « blocs » du paradis des écureuils, Dorothy Bothwell, paysagiste au sein de l’agence Nelson Byrd Woltz, s’est efforcée, tout en jouant avec la configuration étonnante des lieux, de faire le lien avec ce territoire urbain unique en son genre où faune et flore se développent en harmonie. Du jardin en rez-de-chaussée jusqu’au toit-terrasse du dernier étage en passant par les terrasses intermédiaires, la paysagiste a fait le choix

d’une végétation endémique à même d’attirer oiseaux (mésange à tête noire, paruline orangée) et insectes pollinisateurs typiquement new-yorkais. Le but ? Reconnecter une famille de citadins au rythme des saisons et de la nature. De la terrasse qui leur est réservée, au quatrième étage, les enfants peuvent ainsi observer les oiseaux qui nichent dans les Ginkgo Biloba ’sentry’ plantés dans le jardinet au rez-de-chaussée. Et à ces nids de paille et de bouts de laine répondent quatre « nids pour humains », bien plus sophistiqués : un jardinet-cocon aux allures de sous-bois zen, avec ses fougères et sa fontaine, et trois terrasses protégées des regards indiscrets par des claustras en teck ajourés donnant à l’ensemble chaleur et modernité. Bien inscrit dans sa ville, ce jardin en terrasses est un manifeste écolo-chic pour un cocooning urbain version verte. extérieursdesign

5


cityzen

1■ 2■

3

// 1 // COCON VÉGÉTAL ■ Sur le toit-terrasse, tandis que la ville apparaît en filigrane derrière une brume de Calamagrostis stricta, on se laisse chatouiller par les plumets des Veronica longifolia et caresser par les pompons des Liatris spicata. // 2 // EN HAUTEUR ■ De frêles bouleaux (Betula nigra) tentent de concurrencer une tour voisine. // 3 // ZÉNI(D)TUDE ■ À l’ombre des ginkgos on profite de la fraîcheur du jardin-cocon installé en rez-de-chaussée, avec sa fontaine, ses fougères et son lierre de Boston grimpant délicatement au mur mitoyen.

6

extérieursdesign

Si loin, si proche, la ville se fait tantôt oublier, tantôt admirer, de l’intimité absolue du jardinet au toit-terrasse à l’ombre des gratte-ciel. extérieursdesign

7


cityzen

1■

2

// 1 // MUR DES DÉLICES ■ Sur fond de fougères femelles, plantes médicinales et aromatiques (Gaulthiera protubens, sauge, romarin, thym, basilic) côtoient vivaces à fleurs (Iberis sempervirens) et fraises gourmandes. // 2 // RONDEUR DES JOURS ■ Lové dans le canapé cocon Canasta dessiné par Patricia Urquiola pour B&B Italia, on se laisse aller à la douceur de vivre, dans le jardin-écrin zen du rez-de-chaussée... // 3 // BOIS SOPHISTIQUÉ ■ Sobre et élégant, le mobilier en teck de l’éditeur Sutherland Teak fait écho aux claustras fabriqués dans la même essence. Deux lampes de sol YLighting éclairent le versant nocturne de la terrasse.

8

extérieursdesign

3

Avec ses plantes choisies dans une palette végétale endémique, ce jardin s’inscrit dans la toile écologique new-yorkaise et reconnecte ses habitants au rythme de la nature.

extérieursdesign

9


+ VÉGÉTAL PAR PATRICK MIOULANE

PLANTATIONS VERTICALES Dans les murs végétalisés, il faut utiliser des plantes qui demandent peu de soins, résistent à la sécheresse et poussent assez vite sans toutefois devenir envahissantes. Voici notre choix...

+

le déco

2 EUPHORBE DE CORSE ■ Euphorbia myrsinites est une vivace très rustique qui se plaît partout, composant des tapis réguliers de feuilles charnues glauques en forme de cœur. De mai à septembre, les extrémités des tiges se parent de fleurs vert jaunâtre de très belle facture. Hauteur : 10 cm ; largeur : 40 cm.

Chic naturel COMPLÉMENT DÉCO Un écrin de bois au cœur de la ville à recréer avec des objets chaleureux au chic intemporel, avec le bois pour dénominateur commun.

3 HEUCHÈRE ■ Cette vivace au feuillage persistant forme des touffes de 30 à 40 cm de haut et de large. Ses nombreux cultivars offrent une incroyable palette de couleurs.

SÉLECTION DOROTHÉE BÉCART

1 2

extérieursdesign

4

JOUBARBE ■ Parée de son nom botanique, Sempervivum, signifiant « toujours vivant », cette plante ne craint qu’une chose : une trop forte humidité. Plantez-la donc dans la partie haute du mur végétal, dans un peu de sable granuleux. Elle forme vite des touffes denses.

●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●✍ ●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●✍ ●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●●

LE

5

6

7 // 1 // LEÇON D’ÉCOLOGIE ■ Un transat pour enfants sages qui ont bien appris leurs leçons d’écologie : sa structure en bois certifié est habillée en bâche PVC recyclée. Zéro faute ! Reversible, transat Dekocool, H. 160 x 45 x 45 cm, 100 € // 2 // TRÈS EN VUE ■ Indispensables dans les environnements urbains denses, les panneaux d’occultation, à l’image de ce modèle ajouré en Bankiraï, protègent efficacement des regards indiscrets. Leroy Merlin, panneau ajouré Monoï, 180 x 180 cm, 179 € // 3 // DESSERTE IN THE CITY ■ Des lignes épurées, un chaleureux plateau en lattes de teck et une structure montée sur roulettes très pratique : cette table basse a tout pour plaire aux citadins sophistiqués épris de chic naturel. Unopiù, table basse Atlantis, 44 x 111 cm, 540 € // 4 // COUP DOUBLE Malin, ce banc en teck aux lignes sobres fait également office de double jardinière. Un gain de place précieux dans les mégalopoles où le moindre mètre carré compte... Brighton, banc double, chez Truffaut, H. 40 x 200 x 45 cm, 349 € // 5 // SÉQUENCE EN ÉCHO ■ Clin d’œil aux claustras ajourés réalisés par Anthony Visco, ces jardinières en teck FSC constituent un écrin chic pour les plantes et arbustes de ville. Leroy Merlin, bac Dubai, 40 x 40 cm, 99 € // 6 // LIGNES ESSENTIELLES ■ La silhouette tout en angles de ce fauteuil lounge en métal et teck offre un parfait écho à la skyline new-yorkaise ! Viteo, fauteuil Lounge Home, design Wolfgang Pichler, chez Paysage, 830 € // 7 // LOUNGE URBAIN ■ Une touche de naturel dans un environnement urbain est toujours la bienvenue. En frêne rétifié, cet ensemble canapé et méridienne n’en affiche pas moins des lignes à la fois sophistiquées et intemporelles... un résumé du chic new-yorkais ! Gervasoni, canapé in/out, design Paola Navone, chez Saisons, H. 60 x 280 x 106 cm, canapé à partir de 4 583 €, méridienne à partir de 3 029 €

extérieursdesign

3


MORGANE LE GALL

habillage l confidences

Quand ils ne laissent pas la nature s’immiscer entre les quatre murs de la maison, les frères Bouroullec conçoivent des meubles d’extérieur innovants ou étonnants pour de grandes marques comme Magis ou Tectona. Ils évoquent pour nous leur rapport à la nature et au jardin.

Ronan et Erwan Bouroullec

PROPOS RECUEILLIS PAR DOROTHÉE BÉCART

NATURELLEMENT

T

DESIGN rès tôt dans votre carrière, vous avez conçu des meubles destinés à un usage aussi bien indoor qu’outdoor – je pense à la chaise pliable outdoor 2001 conçue pour Ligne Roset. Quelles sont les contraintes rencontrées par le designer lorsqu’il passe le seuil du jardin ? Il y a d’abord la contrainte majeure de la résistance des matériaux à l’extérieur. Ce sont des matériaux plus coûteux et plus compliqués à mettre en œuvre que les matériaux habituels. Or, les consommateurs tendent à considérer que les meubles d’extérieur devraient coûter un peu moins cher que les autres : on doit donc rationaliser leur mise en œuvre. Par ailleurs, quand on dessine des meubles pour l’extérieur, on

48 I extérieurs design

imagine les gens dans un contexte où ils sont un peu plus détendus, ce qui permet d’envisager des assises moins convenues dans leur dimensionnement. Enfin, il y a la contrainte de l’intégration au lieu : entre les quatre murs d’une maison, il est assez rare qu’on ait des choses inattendues. Quand on est à l’extérieur, on a l’avantage de ne plus être cloîtré, mais on se retrouve au cœur d’un paysage changeant. Nous avons dessiné les meubles Tectona en cercle parce que nous cherchions une forme qui s’intègre aussi bien dans un vieux jardin un peu sauvage que dans un cadre plus structuré. Ces grandes assises doivent « fonctionner » visuellement sur une plage avec des rochers de la même façon que devant un vieux chêne.

Quel est votre regard sur les jardins contemporains ? Nous venons de Bretagne, et nous avons passé toute notre enfance à la campagne ; nous avons donc une passion pour la nature sauvage. D’une certaine manière, nous allons plus dans le sens des jardins contemporains un peu abandonnés, avec des herbes laissées en liberté ; ces jardins désordonnés sont ceux qui nous séduisent, bien plus que les parterres bien arrangés et entretenus. Pour vous, le jardin est-il en train de devenir une nouvelle pièce de la maison ? Autrement dit, y a-t-il encore une frontière entre intérieur et extérieur ? Cela participe selon nous d’un mouvement encore


PAUL TAHON

Rideau d’algues ■ Les algues créées par les frères Bouroullec pour la marque Vitra s’inspirent de la nature, qui tend à investir les espaces vides de façon anarchique.


habillage l confidences

Maison sur l’eau ■ Ouverte sur l’extérieur grâce à de grandes baies vitrées, la maison flottante s’intègre parfaitement à l’environnement grâce à la treille recouverte de végétaux qui entoure sa structure.

PAUL TAHON

plus général que la distinction entre intérieur et extérieur : les objets ayant tendance à devenir de plus en plus nomades, il n’y a plus de distinction entre ce qu’est un espace pour travailler, pour manger ou pour dormir. Nous ne sommes pas étonnés que le jardin subisse la même transformation que le living-room. Il devient le support à une nouvelle réflexion et stimule le dessin des meubles. Avec le Pebble, par exemple, on a brouillé les codes et libéré les formes : il n’y a pas de référent clair visuellement ; quand on donne trop de codes visuels, les gens n’osent pas utiliser le meuble d’une autre façon, et souvent la forme même du meuble ne le permet pas. Avec le Pebble, nous avons volontairement mêlé les fonctions d’assise, de table et de rangement.

Galets multifonctionS ■ Tout en rondeur, la collection Pebble joue sur l’ambiguïté des usages : à la fois assises, tables et modules de rangement, ces galets s’adaptent au besoin de liberté que l’on ressent quand on passe le seuil du jardin.

MORGANE LE GALL

« Nous n’avons jamais voulu singer la nature, mais plutôt nous inspirer de sa logique. »

Comment se passe le dialogue avec les éditeurs de meubles ? Nous travaillons avec des sociétés dont nous aimons l’histoire et le savoir-faire, nous les respectons et nous les écoutons énormément. Ellesmêmes sont à l’écoute. Pour ne pas se tromper, il est important de comprendre dans quelle catégorie, avec quel matériau, sur quel support la société avec laquelle on travaille va être performante. Parfois, c’est l’inverse : nous provoquons une société avec des techniques qu’elle a très peu mis en œuvre pour créer une autre forme de dynamique. Arnaud

50 I extérieurs design


MORGANE LE GALL

Brunel, qui dirige Tectona, nous a donné une forme de carte blanche parce qu’il voulait être surpris et donner de nouvelles directions à sa marque : son catalogue était, d’une certaine manière, très classique, et nous avons voulu donner un signe fort de contemporanéité. Vous avez créé un parasol lumineux d’intérieur pour la galerie Kreo. Pourquoi avoir détourné un grand classique du mobilier d’extérieur en usage indoor ? Au départ, nous ne voulions pas faire un pastiche de parasol, mais une grande lampe qui forme une espèce de toit à l’intérieur. Ce luminaire fait toutefois référence au besoin qu’éprouvent les humains de se créer des points de repère dans une surface indéterminée. Le parasol, sur une plage, sert à se protéger du soleil mais aussi, d’une certaine manière, à marquer son territoire : quand on le plante, on plante son drapeau... On se crée une petite maison virtuelle, que les enfants détournent d’ailleurs souvent en cabane. Quand on refait ça à l’intérieur, cela participe du même esprit et délimite une sorte de territoire, un point d’ancrage dans l’espace. Cet objet peut être déplacé, définir l’espace et le recomposer à volonté pour recréer un lieu d’intimité relative. La nature semble influencer la plupart de vos créations. Est-ce une source d’inspiration capitale pour vous ? Nous n’avons jamais voulu singer la nature, mais plutôt nous inspirer de sa logique. Le rideau d’algues que nous avons créé pour Vitra, par exemple, progresse comme le ferait une plante en train de grandir. Cela engendre une certaine versatilité dans l’utilisation : chacun en fait ce qu’il veut. Nous ne savons pas quelle dimension le mur aura ; l’algue, comme les plantes qui poussent dans un bâtiment abandonné, investit l’espace à sa façon. Elle grandit et se déforme dans l’espace qui lui est imparti. Les vases que vous dessinez, comme le vase 2001 de la série Still Life ou le vase Honda, mettent en scène les végétaux par des jeux de lumière et de couleurs. Quel est le message de ces créations ? Nous avons créé ces pièces pour que les gens contemplent ce qu’est une fleur dans ses détails, ses couleurs et ses textures. C’est une façon de dire qu’il est inutile de jouer sur l’abondance de fleurs, qu’il vaut mieux n’en regarder qu’une, mais dans les détails ; on se retrouve par ailleurs face à une fleur très réelle qui se détache sur un fond virtuel. Cela met en scène la dualité basique de notre monde, avec d’un côté l’espace construit et de l’autre la nature, dans toute sa subtilité et sa complexité. Pour Teracrea, vous avez conçu une ligne en terre cuite. Comment êtes-vous parvenus à vous approprier ce matériau extrêmement classique ? La terre cuite est un matériau merveilleux, qui a des propriétés intrinsèques très adaptées pour les plantes : elle est isolante et poreuse à la fois ; sa texture un peu dure rappelle celle de la terre et de la pierre. Elle porte en elle beaucoup d’histoires. Nous

Fond d’écran naturel ■ Créé pour la galerie Kreo, ce vase met en vedette la fleur, isolée sur un fond de couleur uni et lumineux, pour des moments de contemplation zen.

nous la sommes appropriée en cherchant de nouvelles typologies adaptées à nos manières de vivre contemporaines. Avec la treille, nous avons par exemple essayé de proposer une structure qui permette de créer une grande masse végétale suspendue, idéale pour un appartement ou un petit jardin. Vous avez conçu une maison flottante pour un centre d’art contemporain à Chatou. Elle a la particularité d’être très ouverte sur l’extérieur, grâce à de grandes baies vitrées. Pourquoi ce parti pris ? Avec les deux architectes, Jean-Marie Finot, architecte naval spécialisé dans les bateaux de course, et Denis Daversin, un architecte DPLG, nous avons essayé de mettre les gens en contact avec l’eau. Quand nous avons construit la barge, nous avons eu la possibilité de mettre le plancher au niveau de l’eau. Ainsi, quand on marche dans la maison, on a l’impression qu’on est sur l’eau. Nous avons imaginé que l’eau serait, d’une certaine manière, une pelouse qui prolongerait la maison. Et nous nous sommes rendu compte, en y vivant pendant quelques jours, que la rivière était en quelque sorte le jardin parfait : elle est toujours en mouvement ; la lumière bouge, des bateaux viennent l’animer... Cela apporte beaucoup de sérénité. Cette maison est très intéressante du point de vue des sensations qu’elle procure aux gens.

Quelle est la place de l’écologie dans votre processus créatif ? Au quotidien, nous faisons attention à ne pas utiliser trop de matériaux, et à faire en sorte que les choses soient transportables facilement. Cette préoccupation est partagée par les fabricants : si pour être « vert », on doit aller chercher du bois naturel à des milliers de kilomètres, il est peut-être préférable, dans ce cas, de fabriquer un objet en plastique en Allemagne. L’écologie est en réalité une équation assez complexe. Le fabricant doit faire attention à la façon dont il produit, mais le consommateur doit également faire attention à la façon dont il consomme. En rendant les choses mieux faites, les gens vont être plus attachés à ce qu’ils vont acheter et vont éviter de le jeter au bout de quelques années d’utilisation. La grande responsabilité du design, aujourd’hui, c’est de créer des objets de qualité, tant au niveau technique qu’au niveau esthétique. C’est ce que nous avons essayé de faire avec les chaises en plastique que nous avons conçues pour Kartell ou Vitra ; dans l’esprit des gens, c’est un matériau par essence jetable. Nous avons essayé de le rendre particulier, de lui donner une noblesse, et de concevoir de beaux objets. D’ailleurs, à long terme, nous pensons que le mot « design » sera aux meubles ce que le mot « bio » est à l’alimentation. extérieurs design I 51


Naturel l Evasion

Cerisiers impériaux ■ Depuis l’ère Nara (VIIIe siècle), les Japonais ont coutume de célébrer l’éclosion des fleurs de cerisiers. Une tradition toujours aussi vivace, qui amène les familles nippones à se rassembler sous les cerisiers majestueux des parcs publics comme le Kenroku-en, l’un des trois plus beaux jardins de la péninsule. LIEU : Kenroku-en, Kanazawa.

■ PHOTOS ALEX RAMSAY

L’ÉTERNEL NIPPON 80 I extérieurs design

I

l n’y a qu’à arpenter les allées des grands rendez-vous internationaux, comme le prestigieux Chelsea Flower Show, pour s’en convaincre : les jardins japonais sont à la mode. Les plus grands noms du paysage contemporain s’en inspirent ouvertement : le Shisen-Dô de Kyoto hante certaines des créations de Fernando Caruncho ; Christophe Ponceau confesse volontiers son admiration pour la nature maîtrisée du Ryoan-Ji ; d’autres paysagistes, comme Erik Borja, se consacrent entièrement à l’art du jardin japonais. Mais qu’est-ce qui les séduit dans ces jardins de l’autre bout du monde ? L’auteur des Jardins du Japon, invitation au voyage (Synchronique Éditions), Helena Attlee, estime que cette influence dure depuis des siècles. Les jardins japonais ne sont donc pas fondamentalement contemporains ; ils offrent au contraire un charme intemporel, éternel, en opposition

totale avec la versatilité des modes et des tendances qui ont façonné les paysages occidentaux au fil des siècles. Ce monde énigmatique, empreint de symbolisme et de poésie, addition de styles centenaires, se décline en paysages structurés avec rigueur, qui laissent paradoxalement la pensée et les rêves cheminer en toute liberté. Ainsi, les pas japonais, utilisés de façon systématique, presque comme des « gimmicks », dans nos jardins contemporains, servaient, dans les jardins de la période Momoyama (fin XVIe début XVIIe, à contrôler la vitesse du marcheur. Très espacés, ils se resserraient à mesure que le visiteur approchait le pavillon de thé, comme pour préparer son esprit et son corps à ce moment hors du temps. Un exemple parmi tant d’autres de l’extraordinaire richesse des jardins japonais, trésors de sens qui dépassent décidément les notions de mode et de tendance...

© ALEX RAMSAY

Il n’est pas rare de trouver de lointains échos nippons dans nos jardins contemporains. Cette influence majeure des paysagistes modernes est pourtant un art plus que millénaire au Japon, que nous invitent à redécouvrir la journaliste et écrivain Helena Attlee et le photographe Alex Ramsay. TEXTE DOROTHÉE BÉCART

extérieurs design I 81


© ALEX RAMSAY

Naturel l Evasion

2

Sérénité urbaine ■ Difficile de croire qu’à quelques mètres de ce paysage plein de quiétude s’élèvent les gratte-ciel tokyoïtes... le jardin de l’Est du Palais impérial, créé dans les années 60 dans l’enceinte d’une ancienne citadelle de l’ère Edo, est un havre de paix dans lequel viennent volontiers se ressourcer les citadins stressés. L’impression de sérénité qui se dégage de ce lieu doit autant au moutonnement des azalées taillées en topiaires qui se piquent début mai de fleurs roses, qu’à la taille soigneuse des pins et des cerisiers japonais, dont le port majestueux, tout en horizontalité, est un spectacle à lui seul. LIEU : HigashiGyoen, jardin de l’Est du Palais impérial, Tokyo.

© ALEX RAMSAY

3

1

Ouverture culturelle ■ « Où

l’on aime la lecture et l’écriture, la fleur du prunier s’épanouira », dit un antique poème chinois. Situé au cœur du Kairaku-en, jardin des plaisirs partagés où s’ébattent 3 000 pruniers, le Kôbun-Tei est un lieu de culture unique où sont régulièrement organisés lectures de poèmes et concerts. L’architecture de ce pavillon du XIXe siècle témoigne à elle seule des liens indéfectibles entre les Japonais, leurs jardins et la poésie. Ménagées par de sobres shojis, les larges ouvertures sur l’extérieur confèrent à ce lieu une étonnante modernité. L’art de brouiller les frontières entre la maison et le jardin, tendance lourde du paysagisme occidental contemporain, est pratiqué depuis des siècles par les Japonais. LIEU : Kairaku-en, Mito.

2

1

Chef-d’œuvre pictural ■ Créé à la fin de sa vie par l’un des plus grands paysagistes japonais, Adachi Zenko (décédé en 1990), le jardin du musée Adachi se découvre à travers les larges baies vitrées du bâtiment, comme une œuvre grandeur nature voisinant avec les tableaux des peintres de l’ère postMeiji (fin XIXe - début XXe). Conçu comme un kakemono vivant, le parc est divisé en six univers, réinterprétations modernes des grands classiques du jardin japonais : jardin de mousse, jardin sec, jardin de thé, jardin de promenade... pour accentuer l’impression d’espace, le paysagiste a renforcé les perspectives en plantant, sur les collines aux douces courbes, des arbustes à la taille graduée. C’est tout le génie des jardins japonais qui se trouve concentré en ce lieu unique. LIEU : Musée Adachi, Matsue.

1

82 I extérieurs design

© ALEX RAMSAY

© ALEX RAMSAY

3

extérieurs design I 83


3

Le temps de la pensée ■ Le plus court chemin d’un point

© ALEX RAMSAY

à un autre est peut-être la droite : les créateurs des jardins japonais n’en ont cure. Courbes et changements de direction, parfois brutaux comme dans ce chemin bordé d’une clôture de bambou, ralentissent volontairement le rythme du promeneur pour lui imposer des moments de contemplation. Le Kôtô-in, avec sa bambouseraie et ses doux sols de mousse, s’y prête particulièrement. Ainsi, aucun détail ne peut échapper au promeneur. Les limites du jardin sont symbolisées par un décor astucieux, composé de tuiles et de pieux aux extrémités calcinées enfoncés dans le sol, qui confèrent au lieu une grande force graphique et un aspect presque contemporain. LIEU : Kôtô-in, Kyôtô.

1

3

3

© ALEX RAMSAY

1

Sous-bois rêvé ■ Sous nos latitudes, les sous-bois se déclinent en camaïeu de verts, formant des paysages mélancoliques. Ce n’est pas le cas des sous-bois japonais, dont la douce gaieté doit à la fois à la grande variété des mousses employées (dans ce jardin, plus de 48 sortes de mousses ont été utilisées) et aux floraisons tendres des azalées et des camélias. LIEU : Ginkaku-ji, Kyôtô.

2

Helena Attlee

À petits pas ■ Les temples japonais ne sont pas entourés

que de jardins secs, comme en témoigne celui du Tenjû-an, qui se compose de deux étangs. Ceux-ci sont traversés par les traditionnels pas de pierre qui permettent de cheminer en douceur dans ce lieu dédié à la contemplation. LIEU : Tenjû-an, Kyôtô.

2

84 I extérieurs design

Qu’est-ce qui rend les jardins japonais si particuliers ? Le Japon est resté isolé du monde pendant deux siècles, à une époque où les jardins européens étaient en train de changer très rapidement. Chaque aspect d’un jardin japonais est très contrôlé. Au fil des siècles, les jardiniers japonais ont réussi à comprendre les caractéristiques essentielles de certains arbres et de certaines plantes, et ont appris à les domestiquer de sorte qu’elles apparaissent encore plus clairement. Je me réfère tout particulièrement aux arbres des jardins de temples et aux jardins de promenade. Mais les arbres et les buissons des petits jar-

dins privés sont aussi soigneusement taillés. C’est cette notion de contrôle, associée à un usage unique de l’espace, qui fait toute l’originalité des jardins japonais. Ces jardins nippons semblent très liés à la religion, à la poésie, à la peinture. Comment expliquer ces liens ? Le Japon est surtout connu pour ses kare-sansui, des jardins secs faits de rochers et de graviers blancs. Le lien avec la peinture est fort, car les kare-sansui ont été inspirés par les lavis de la dynastie Song représentant des paysages, ramenés de la Chine par les moines zen. Les vides des paysages peints étaient représentés, dans les jardins, par le gravier blanc, et les « montagnes » par des rochers soigneusement choisis. Les temples zen sont souvent entourés de jardins kare-sui, ce qui amène les gens à penser qu’il y a un lien fort entre jardin et religion. Le jardin du temple zen de Daichi-ji, à l’extérieur de Kyoto, est empli de fabuleuses topiaires d’azalées. J’ai demandé à l’abbé s’il utilisait le jardin pour la méditation. Il m’a répondu par la négative, mais m’a confié ceci : « mais je le regarde avec mon cœur ». Toute activité humaine peut devenir une discipline spirituelle dans la pratique zen, et le lien entre le jardin et la vie des moines zen s’est davantage renforcé à travers leur maintenance qu’à travers la

méditation. Pendant l’ère Heian, (794-1185), c’était une tradition de composer des poèmes dans son jardin. La tradition chinoise des concours de poésie (Kyokusi-no-en) a été importée au Japon. Les invités s’asseyaient au bord d’un cours d’eau, tandis qu’une tasse de saké flottait à sa surface : celui qui l’attrapait et la buvait était obligé d’improviser un poème. Comment définiriez-vous la relation des Japonais avec leurs jardins ? Elle est très particulière. En Grande-Bretagne, nous acceptons un certain niveau de chaos naturel dans nos jardins, tandis que les Japonais ne tolèrent pas les feuilles mortes, les eaux troubles, les buissons hirsutes et les graviers en désordre. Ils pratiquent dans leur jardin un très haut degré de maintenance. Un jardin européen entretenu de façon aussi précise pourrait paraître froid, mais au Japon, c’est une part importante de sa beauté. L’architecture japonaise semble très ouverte sur l’extérieur. Le jardin fait-il, au Japon, partie de la maison ? Quand les parois coulissantes qui séparent la maison du jardin sont ouvertes, la maison et le jardin ne font qu’un. De nombreux jardins n’ont pas été conçus pour que l’on s’y promène, mais de façon à ce qu’on les contemple d’un endroit statique, à la façon d’une peinture.

© ALEX RAMSAY

extérieurs design I 85


Naturel l Evasion

1

1

Sur les planches ■ Passionné de nô, le créateur supposé

du jardin du Kôraku-en, Tsuda Nagatada, l’a conçu comme un décor de théâtre. Cette passerelle déconcertante au schéma décalé reconstitue une scène célèbre de l’un des Contes d’Ise. Une preuve supplémentaire de la relation étroite qui persiste, au Japon, entre littérature et jardin. LIEU : Kôraku-en, Okayama.

2

© ALEX RAMSAY

© ALEX RAMSAY

3 L’art de la contemplation ■

4

Ouverture d’esprit ■ Dans ce temple,

La galerie du temple de Kôtô-in s’ouvre sur un paysage tout en camaïeu de verts, du tapis de mousse aux bambous en passant par les érables. Une nature en apparence sauvage, mais en réalité domestiquée avec soin : seule la lanterne trahit une présence humaine. LIEU : Kôtô-in, Kyôtô.

2

Pont décalé ■ Un pont au schéma décalé bordé d’iris : encore un cheminement « contrarié », véritable signature des jardins japonais, comme pour obliger l’esprit à emprunter quelques détours pour mieux se préparer à la contemplation de ces lieux d’exception. LIEU : Tenjû-an, Kyôtô.

l’un des plus importants du Japon, la résidence de l’abbé s’ouvre sur un petit jardin, où l’on retrouve rochers et reliefs couverts de mousse et cascade. Ce lieu dont la richesse extraordinaire accentue l’impression d’espace est un paysage à lui seul, propice aux moments de sérénité. LIEU : Nanzen-ji Hôjô, Kyôtô

À lire

Les Jardins du Japon Invitation au voyage Passionnée de l’histoire des jardins, l’écrivain et journaliste Helena Attlee raconte l’histoire des 28 plus beaux jardins de l’archipel japonais ; un voyage passionnant et richement documenté, illustré par les photographies évocatrices d’Alex Ramsay. Synchronique Éditions, 136 pages, 23 €.

3

86 I extérieurs design

© ALEX RAMSAY

4

extérieurs design I 87


structurE l confidences

À travers ses jardins parfaitement équilibrés, Fernando Caruncho essaie depuis près de trente ans de reconnecter l’homme avec la nature. Rencontre avec un jardinier philosophe. PROPOS RECUEILLIS PAR DOROTHÉE BÉCART

c

reflet fidèle ■ L’Alhambra, avec ses canaux, est une référence évidente pour Fernando Caruncho, comme en atteste ce jardin aquatique.

fonction poétique ■

90 I extérieurs design

FERNANDO CARUNCHO

Au Mas de Les Voltes, en Catalogne, Fernando Caruncho a réalisé un jardin inattendu, où les oliviers, la vigne et le blé, cultures nourricières, expriment des vertus décoratives insoupçonnées.

omment l’étudiant en philosophie que vous étiez est-il devenu jardinier ? Il y a depuis toujours une grande relation entre le jardin et la philosophie. Plus jeune, je l’ignorais ; c’est au hasard de mes études de philosophie et de la découverte des présocratiques que j’ai pris conscience de cette connexion. À l’époque de ces grands philosophes, l’homme était une part substantielle de la création, il ne se sentait pas en dehors. Cette liaison était bien exprimée dans le jardin, le lieu par excellence qui connecte l’homme à la nature. Cela m’avait beaucoup frappé, car l’homme contemporain vit éloigné de la nature, un éloignement qui a commencé à la Renaissance. J’avais bien sûr une expérience des jardins de mon enfance, de la nature avec laquelle j’étais en étroit contact pendant les longs étés que je passais dans la campagne andalouse. C’est un sentiment ancien que mes études et les présocratiques m’ont révélé,

DIETER ZOERN

Fernando Caruncho

comme s’il était soudain arrosé. J’étais le premier jardinier dans la famille ; j’espère que je ne serai pas le dernier !

je ne pense pas à la philosophie, pas du tout ! Je retourne « avant » la philosophie, à un état beaucoup plus primitif.

Agissez-vous toujours en philosophe quand vous concevez un jardin ? Une fois arrivée au jardin, la philosophie est comme un souvenir permanent des choses premières, de ce qu’est la vie, une voie pour arriver à la reconnaissance de la création et de la merveille de la création. On est arrivé au point où toute cette merveille a été oubliée. Cette conscience permanente est très importante pour moi. Ce n’est pas la joie de l’idiot, c’est la joie de l’optimiste, c’est-à-dire quelqu’un qui a conscience de la douleur, de la souffrance, de la faiblesse de l’homme, et en même temps comprend la merveille du monde en nous et en dehors de nous, malgré tout le reste. Le jardin nous enseigne cela. Mais quand je fais le jardinier,

Votre goût pour la géométrie – et les jardins géométriques – a-t-il à voir avec cette formation philosophique ? Platon disait : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre » [NDLR : à propos de l’Académie qu’il avait fondée]. Voici mon interprétation de ces mots mystérieux : la géométrie est le plus ancien langage de l’homme, beaucoup plus ancien que l’écriture, qui a été utilisé pour exprimer des choses importantes. Peu à peu, ce langage est devenu l’expression du mystère. Quand une chose est indicible, on l’exprime avec une autre « écriture ». Il y a des constantes qui restent dans la mémoire de l’homme, même lorsqu’il évolue. Ces constantes exprimées par la géométrie sont l’expression d’un

LA SAGESSE DES JARDINS

magma universel qui appartient à tous les hommes. Quand on commence à s’intéresser à la nature, la géométrie est la voie pour exprimer cette émotion entre l’homme et la nature. La nature doit-elle être selon vous absolument domestiquée ou vous arrive-t-il de la laisser « vivre » dans le jardin ? L’homme et ses créations font partie de la nature, jusqu’à un certain point, là où ses créations commencent à interrompre sa communication avec la nature et à l’éloigner d’elle. Quand je fais un jardin, je pense à la géométrie comme à une partie de la nature. Dans les flocons de neige, il y a des formes géométriques. Se poser la question de savoir si la géométrie est ou non naturelle est absurde : les jardins chinois et japonais sont par exemple pleins de règles de géométrie cachées. Quand je fais un jardin, je ne fais que ce que la nature me dit de faire...

Ainsi, les jardins de Le Nôtre sont pour vous une expression de la nature ? Il y a beaucoup de préjugés sur Le Nôtre, alors que c’était l’un des hommes les plus naturels du monde des jardins. On l’associe à l’Ancien Régime, à Louis XIV, on ne garde de lui que les clichés... il suffit d’aller à Chantilly ou à Vaux-le-Vicomte, faire l’expérience de ses jardins sans juger ni préjuger, en silence, pour comprendre Le Nôtre et le connaître vraiment. Cette connaissance vient de l’intuition : les choses les plus indicibles sont les plus importantes de la vie. J’aime de Le Nôtre ce que j’aime de Bach, d’Homère ou de Cervantes : l’expression de ce magma universel. Ce que je reconnais dans Le Nôtre est le reflet de la grandeur de l’homme. Cela me donne beaucoup de joie, c’est un grand cadeau. Mais je ne le copie pas : je l’admire, c’est différent. La peinture du XIIIe siècle italien, simple et pleine d’humilité, de Giotto à

Cimabue, m’inspire ainsi beaucoup plus que Le Nôtre. Quels sont les jardins et les jardiniers que vous admirez le plus ? Ceux qui ont fait l’Alhambra à Grenade, une géométrie exprimée d’une autre manière, ou le ShisenDô à Kyoto, un jardin sublime. La culture maure semble être pour vous aussi importante que la philosophie antique ? Il ne faut pas oublier que la Méditerranée est un bassin où la même pensée, la même culture, a circulé. Il faut aller à Istanbul et à Cordoue, en Israël et à Rome, à Damas et à Athènes, pour comprendre ce qu’est le monde méditerranéen. Ces lieux fonctionnent en miroir : on ne peut pas comprendre un côté sans comprendre l’autre. J’ai passé les étés de mon enfance en Andalousie. Tout ce monde, reflet d’un extérieurs design I 91


3

1

monde ancien a toujours été important pour moi. Il y a un lien entre ces cultures. La culture arabe, musulmane, a traversé de grands moments de splendeur. Et la dernière grande fleur de cette culture maure, c’est l’Alhambra, qui est un vrai miracle.

Vous pensez qu’on ne peut pas vivre sans jardin ? C’est une des grandes réflexions pour le monde de l’urbanisme et de l’architecture contemporains, en fracas depuis le Bauhaus qui a arraché l’homme à 92 I extérieurs design

NICOLA BROWN

3 JERRY HARPUR

Vous êtes fasciné par les jardins asiatiques... Il y a un jardin, le Shisen-Dô, qui est celui où je rêverais de vivre. Mon premier jardin était celui d’une maison dessinée par Richard Neutra, dont le propriétaire, un de mes oncles, était un grand admirateur de la culture japonaise. Avant qu’il m’en ait fait la commande, on avait parlé ensemble de la peinture et des jardins japonais. J’ai longuement réfléchi à ce que j’allais faire, et une nuit je me suis réveillé en sursaut : j’avais compris quel était le paradigme du jardin que je voulais faire : le jardin de Shisen-Dô. Mon oncle a acquiescé : « Tu as raison, l’esprit de Shisen-Dô peut revenir à ce jardin. » Au final, il n’avait rien à voir avec, mais dans mon cœur, j’avais l’image de ce jardin japonais. Je fonctionne toujours sur ce procédé admiration/imitation, et, surtout, toujours dans la gaieté, qui me pousse et me guide.

NICOLA BROWN

NICOLA BROWN

structurE l confidences

2

la nature. Quitter ce berceau de la vie, c’est quitter la vie, la possibilité de vivre. Neutra et d’autres très grands architectes avaient su donner une réflexion de l’intégration de la nature dans la vie de l’homme, mais l’architecture contemporaine « show off » a fait ces trente dernières années des choses pénibles, qui ont infligé beaucoup de souffrances à l’homme. Et tout le monde applaudit... Ils font des choses très grandes, mais ils ne sont pas grands du tout. Aujourd’hui, on a des maisons froides, éloignées de la nature, qui imposent des manières de vivre inconnues pour l’homme, quasi dictatoriales. C’est prétentieux, mais en fait ça ne prétend rien ! Il faut retourner au jardin pour retrouver la liberté, celle qui est intérieure, échapper au pessimisme...

3

1

symétrie centrale ■ Le jardin privé

de Fernando Caruncho montre son attachement profond à la symétrie, qui selon lui fait partie intégrante de la nature.

2

reflets divins ■ L’eau, qu’il surnomme

« le grand miroir », est une constante dans les réalisations du paysagiste espagnol. Le jardin de Camp Sarch, à Minorque, est constitué de seize bassins qui reflètent la course des nuages.

Pourquoi l’eau tient-elle une place si importante dans vos jardins ? L’eau, c’est le reflet de la vie. C’est le grand miroir, c’est l’origine de la vie où tout se reflète. C’est un miroir qui donne une vibration de lumière très importante dans le monde des jardins. Pourquoi faites-vous le choix d’utiliser une palette de plantes et de couleurs limitée ? Je joue surtout avec la lumière. Une fois que la vibration de lumière est correcte, j’ajoute certaines couleurs pour souligner un moment, mais pas pour faire remonter cette vibration par le biais de la couleur, parce qu’elle peut souligner ou interrompre. Il y a une atmosphère dans mes jardins, mais il n’y a

pas de point focal fort. Il faut les éprouver comme un tout. À côté d’une glycine, je vais mettre des orangers, des citronniers, des jasmins, des choses qui donnent de la couleur, mais surtout du parfum, qui a pour moi un pouvoir d’évocation énorme. Cela fait presque trente ans que vous créez des jardins en Espagne et dans le monde entier. Comment analysez-vous l’évolution du paysage et des jardins ? L’Europe a connu un grand développement du monde des jardins à travers des gens extraordinaires : Kathryn Gustafson, Topher Delaney, Dan Pearson, Gilles Clément, Jacques et Peter Wirtz, Louis Benech, ces gens ont porté avec beaucoup

cathédrale végétale ■ Le jardin du

Pazo de Pegullal, en Galice, est l’un des chefsd’œuvre de Fernando Caruncho. Entre les parterres géométriques, la pergola de glycines aux allures de cathédrale et la perspective quasi surnaturelle sur un chemin bordé de frêles cyprès, on y retrouve tout le génie du paysagiste espagnol.

d’intuition cet esprit de beauté. Le jardinier ne doit pas perdre son humilité, tomber dans la prétention ; il doit essayer de rendre la vie des autres plus heureuse, plus humaine. Tout le monde a un jardinier en lui. Le monde contemporain a énormément besoin des jardiniers. Le jardinier, c’est celui qui aime la nature et veut retourner à elle. Il y a de nombreux chemins pour y arriver. Quand tu plantes un arbre, tu as ta maison. Tu es heureux. Tu es connecté à la nature. C’est une connexion au sacré qui est très importante, fondamentale pour l’homme. Le jardinier doit, avec beaucoup d’humilité, donner l’opportunité de reconnecter l’homme avec cette nature, au mystère de la vie. Il n’y a pas de petits ou de grands jardiniers : il y a des connexions bien ou mal faites. extérieurs design I 93


Tendance l déco

ÉMINENCES

B

2 3

GRISES

Quel est le point commun entre un pont et une table basse ? Un toit et une icône du design outdoor ? Le béton pour l’un, le fibrociment pour l’autre. Au-delà de tous les clichés, ces deux matériaux de construction réputés froids et ingrats passionnent la jeune garde du design. TEXTE DOROTHÉE BÉCART

éton. Ciment. Ces deux mots portent en eux un univers austère et sans imagination. Tout un répertoire d’images négatives assaillent l’esprit : pour le premier, des dalles écrasant de tout leur poids les villes nouvelles et ceux qui y vivent ; pour le second, le spectre d’un des plus grands scandales sanitaires du XXe siècle, celui de l’amiante. Chacun à leur façon, ils ont souffert d’un certain ostracisme, réduits à leurs usages les plus utilitaires : on était bien loin d’imaginer ces vilains petits canards 132 I extérieurs design

flirter avec les cygnes chics et racés du design ! Et pourtant, les voilà qui font leur entrée par la grande porte dans les galeries et les showrooms. Pendant la très sélecte Chic Art Fair parisienne, début octobre, Specimen Editions a présenté une série de vases en béton, tandis qu’aux États-Unis, un artiste, Paul Oglesby, a choisi le ciment pour s’exprimer, au travers de sculptures outdoor ; de leur côté, les jeunes créateurs n’en finissent pas de les décliner sous toutes les formes : pots, luminaires, objets tantôt

GABRIEL DE VIENNE

1

empreints d’humour, comme ce tabouret moulé sur un sac de courses, tantôt servis par des lignes intemporelles qui en font des icônes en puissance. Et c’est le jardin qui profite le plus du retour en grâce de ces matériaux venus du monde de la construction : leurs capacités de résistance aux aléas climatiques, mises à dure épreuve lorsqu’ils sont utilisés dans la construction de ponts ou la pose de toitures, sont autant d’atouts pour s’imposer dans l’univers exigeant du design outdoor.

1

Tout en finesse ■ Côté pile, de douces

ondulations. Côté face, une surface parfaitement lisse. Une double personnalité qui sied au béton, ici utilisé comme plateau et assise pour un ensemble table et banc aérien posé sur une structure en acier inoxydable. The Concrete Haus, ensemble Olithas, 3 435 €

2

Art domestique ■ Uniques en leur

genre, ces sculptures monumentales de Paul Oglesby sont pourtant créées à partir de deux éléments très communs : le ciment, moulé dans des pots de

fleurs récupérés, forme des modules que l’artiste américain prend un malin plaisir à assembler. PCO Designs, sculpture, design Paul Oglesby.

3

Poi(d)s de senteur ■ Le béton

s’acoquine volontiers avec le végétal, pour peu qu’il soit travaillé en finesse et en légèreté ; le designer Decha Archjananun a habilement joué sur l’alternance de vides et de pleins en sertissant ses vases en béton dans un écrin métallique faisant écho à leurs formes. Specimen Editions, vases Weight, design Decha Archjananun, prix sur demande.

4

Double clin d’œil ■ Immortalisé par

5

La fibre design ■ Formant ensemble une

le béton, matériau solide et résistant, le sac de courses jetable prend la forme d’un tabouret à l’épreuve du temps et des modes. Une jolie critique de la société de consommation ! Quinze & Milan, Bag Stool, design Gitta Gschwendtner, prix sur demande.

série de vagues particulièrement cohérentes sur une plage de piscine, ces jardinières en fibrociment tirent parti de la grande flexibilité de ce matériau. Eternit, pot Wave, design Fries & Zumbühl, chez Jardin Chic, 377 €

4 5 extérieurs design I 133


Tendance l déco

Fibrociment Inventé en 1895 par un Autrichien, Ludwig Hatschek, ce matériau hybridait à l’origine le ciment (90 %) et les fibres d’amiante (10 %). Breveté en 1901 sous le nom d’Eternit, il est produit sous licence dans plusieurs pays, la branche suisse étant la seule à s’être frottée à la création de mobilier et de jardinières design. Problème : dans les années 1970, des études pointent les risques de cancers liés à l’exposition prolongée à l’amiante. C’est le façonnage des plaques d’amiante-ciment en atelier qui s’est révélé dangereux, et non les produits finis. Mais le scandale ne manque pas d’éclabousser l’image de la marque. Depuis le début des années 1990, au terme d’un abandon progressif dans les années 1980, Eternit ne fabrique plus de fibrociment à base d’amiante.

ETERNIT / NICOLAS LE MOIGNE

2

1 3

ÉMINENCES GRISES

Histoire d’amour contrariée C’est le fibrociment qui a ouvert la brèche. L’histoire se passe en Suisse, dans les années 1950 : l’entreprise Eternit, spécialisée dans l’isolation et la fabrication de toitures ondulées, demande à Willy Guhl, pionnier du design industriel, de concevoir des jardinières. Pour le designer, enthousiaste, « aucun matériau de construction utilisé de façon si fine ne donne autant de stabilité que l’Eternit ». Il s’essaie aux pots de fleurs et même aux corbeilles à fruits, avant de créer, en 1954, une icône : la chaise de 134 I extérieurs design

plage, encore commercialisée de nos jours. Est-ce le scandale de l’amiante, dans les années 1980, qui a freiné les ambitions d’Eternit dans le domaine du design ? Toujours est-il que c’est à un designer, Nicolas Le Moigne, que le matériau doit son retour en grâce. Pour son projet de fin d’études à l’école cantonale d’Art de Lausanne, le jeune homme a choisi l’Eternit. « Je recherchais une entreprise avec une image forte, ancrée dans l’imaginaire collectif en Suisse. Or, dans chaque jardin, on trouve un objet en fibrociment. Le challenge était de créer une gamme nouvelle aux accents contemporains. » Lors de sa première visite à l’usine, Nicolas Le Moigne est surpris par des processus de fabrication laissant la part belle à la main de l’homme. « L’Eternit se présente sous la forme d’un tissu dont on peut choisir l’épaisseur. Humide et flexible, on peut le mettre sur un moule. Seule cette matière première sort d’une machine : le reste, la découpe et l’assemblage des pièces, est fait main », confirme Richard Braun, chef des exportations chez Swiss e-Form, une structure qui, au sein d’Eternit Suisse, développe les projets design. C’est cet aspect quasi artisanal qui est à l’origine d’une petite révolution culturelle au sein de la marque, à laquelle Nicolas Le Moigne n’est pas tout à fait étranger. Si l’on croise depuis quelques années, dans les

galeries de design les plus hype, des séries limitées, voire des pièces uniques fabriquées en Eternit, c’est parce qu’il les a poussés « à assumer les défauts, à en faire une force donnant de la valeur ajoutée ». Et ce changement a été payant, pour le jeune designer comme pour la marque. C’est sûr : Willy Guhl a trouvé en Nicolas Le Moigne un digne successeur ; la jeune génération de designers s’engage à son tour dans la voie tracée par ces deux Suisses audacieux. Preuve du succès de l’Eternit ? Ce sont les showrooms les plus exigeants qui distribuent des objets que l’on trouvait traditionnellement en jardinerie.

4

(

Des toits aux jardins

1

Ancrage historique ■ Les jardinières

2

Icône absolue ■ Un confort étonnant

Eternit sont ancrées dans les jardins depuis plus d’un siècle, mais c’est sous l’impulsion de Willy Guhl, dans les années 1950, qu’elles ont commencé à adopter des lignes épurées. Eternit, pot Tokyo, chez Jardin Chic, 228 €

grâce à une ergonomie travaillée, une résistance exceptionnelle aux conditions de vie en extérieur : cette chaise de plage créée par Willy Guhl en 1954 reste une icône du design outdoor grâce à la qualité de sa

conception. Toujours éditée, elle est très appréciée des paysagistes, à l’image de Diarmuid Gavin qui l’a mise en vedette dans son jardin lors du festival de Chelsea en mai dernier. Eternit, chaise de plage, design Willy Guhl, 650 €

depuis le début de sa collaboration avec la marque, également suisse, de sensibiliser ses équipes aux charmes des imperfections qui rendent chaque objet unique. Eternit, Trash Cube, design Nicolas Le Moigne, prix sur demande.

3

4

César de la récup’ ■ C’est à la demande

d’Eternit que Nicolas Le Moigne a créé ces tabourets-sculptures à chaque fois uniques, issus de la récupération des déchets de fabrication du fibrociment, qui évoquent les compressions de César. Une victoire pour le jeune designer suisse, qui n’a eu de cesse,

Matière brute ■ En ciment brut seyant particulièrement à ses formes résumées à l’essentiel, cette lampe à poser balise en tout élégance les cheminements ou éclaire discrètement les coins sombres du jardins. Davide Groppi, lampe à poser outdoor Q2, chez Asteri, prix sur demande. extérieurs design I 135


Tendance l déco

Béton(s) Béton ciré, béton fibré ultra-haute performance, Ductal... on s’y perd parmi les multiples déclinaisons de ce matériau. Un historique s’impose : résultant du mélange de granulats naturels et de liant (le plus souvent... du ciment), le béton aurait été déjà utilisé, sous une forme proche, par les Romains. Il fut redécouvert en 1756 par l’ingénieur John Smeaton. Dans la création de mobilier design, ce sont souvent des bétons fibrés ultra-haute performance qui sont employés. Le béton ciré, surtout utilisé dans les travaux de revêtement, mais aussi dans la création de mobilier outdoor, est un béton recouvert d’une couche minérale colorée lissée, poncée et lustrée. D’autres bétons nouvelle génération semblent prometteurs, comme les bétons translucides Litracon et PXL, distribués par Byzance Interiors et incluant des fibres optiques qui conduisent la lumière (voir photo), et le « Concrete Canvas », textile imprégné de béton dont les propriétés le rapprochent de l’Eternit.

BYZANCE INTERIORS / LITRACON

NOTE B / BETON COLORÉ

1

2

ÉMINENCES GRISES

Un pont entre BTP et design Du côté du béton, le glissement vers la création de mobilier et d’accessoires de petite taille prend bien des formes ; il a néanmoins été nettement accéléré par l’apparition des bétons fibrés ultra-haute performance. Ces derniers ont d’abord été conçus pour accroître la résistance des ponts et autres ouvrages d’art dans les régions difficiles, comme les bords de mer ou les régions montagneuses. Nicolas Baldet, cofondateur de Note-B, vient de cet univers BTP très éloigné du design. À la tête d’une entreprise de construction d’ouvrages d’art, il a un jour décidé de jeter un pont sur la rivière qui le séparait de la création de mobilier. « Pour moi, c’était une 136 I extérieurs design

façon de joindre l’utile à l’agréable, le savoir-faire technique à la création. » Les bétons fibrés ultrahaute performance ont des qualités qui les rendent particulièrement adéquats à la création de mobilier outdoor. D’une grande finesse, ils contiennent des microfibres. Le matériau obtenu est beaucoup plus résistant que le béton classique et sa résistance à la flexion permet de fabriquer des épaisseurs très fines, de l’ordre du centimètre, et donc de travailler à plus petite échelle. « Les designers ont une imagination sans limite, souligne Nicolas Baldet. Nous avons mis en place nos propres tests de résistance afin de tester chacune de nos créations. Autant dire qu’il y a eu un peu de casse pour en arriver à ce que nous proposons aujourd’hui », s’amuse le cofondateur de Note- B. Son béton fibré ultra-haute performance, issu d’un mélange maison, épouse parfaitement le moule, ce qui permet de travailler sur la brillance, et de jouer sur les textures et les reliefs, rendant possible des effets « peau de crocodile » ou « bois ». On comprend mieux pourquoi les designers apprécient le béton, notamment pour la création de mobilier outdoor urbain. « C’est à mon sens un matériau qui dispose à la fois de qualités esthétiques et techniques. Son transfert de l’architecture à l’objet permet au design d’aborder d’autres types de problématiques, d’investir l’espace de l’outdoor, privé et public. Le béton est un matériau moderne et

intemporel », s’enthousiasme Marine Peyre. C’est ce qui a conduit cette jeune designer à s’associer avec Urbastyle, un éditeur de mobilier urbain pour fabriquer son système d’assises en béton, B.Flex. Une véritable architecture d’assises également disponible en mousse, et qui affiche des formes tout aussi rebondies dans sa version en béton coloré. « L’idée est de pouvoir prolonger l’espace domestique dans l’espace urbain, et d’y retrouver la convivialité et l’ergonomie d’un mobilier destiné à l’intérieur. L’objet devient une architecture, lorsqu’il établit un rapport entre une qualité technique, un espace et une construction. Avec le béton s’ajoute la notion de pérennité de la matière, le trait d’union est donc évident. »

4

3

(

Modernité intemporelle

1

Négatif/positif ■ L’éditeur suédois

Nola propose une version en béton d’une de ses créations en fils d’acier inoxydables : un peu comme s’il donnait chair à un squelette, avec ses formes pleines tout en courbes généreuses. On est bien loin de l’image inhumaine et froide du béton ! Nola, Grid et Concrete Things, design Komplot, prix sur demande.

2

Champ des possibles ■ Cette table basse aux lignes cassées illustre le champ des

possibilités formelles offertes aux designers par le béton fibré ultra-haute performance. Note-B, table Renata, 1 873 €

3

Cousu main ■ Florian Schmid a créé ces

tabourets « ourlés » à partir d’un béton particulier, le Concrete Canvas ; il s’agit d’un textile imprégné de béton aux propriétés semblables à celles de l’Eternit, très utilisé par l’armée. Le designer a su jouer sur cette intéressante dualité textile/béton en laissant apparaître les « coutures »

de sa création. Outdoorz Gallery, Stitching Concrete, design Florian Schmid, 590 €

4

nouvelle vie ■ Version destinée à un usage

collectif de ses divans modulables en mousse du même nom, les B.Flex Béton ménagent un espace pour les plantes vertes. La coloration du béton coulé qui a servi à leur création est naturelle : elle vient des nuances naturelles du sable utilisé lors de sa fabrication. Urbastyle, B.Flex Béton, design Marine Peyre, le mètre, 1 000 €

extérieurs design I 137


c’est de saison

confidences Entre le salon de Milan et Maison & Objet, Arik Levy nous reçoit dans son atelier de Ménilmontant, une ruche bourdonnante qu’il occupe avec le graphiste Pippo Lionni, pour nous faire partager sa vision du design, entre science et sensibilité.

Tubes à essais ■ Pour Arik Levy, le vase doit se suffire à lui-même, même lorsqu’il ne reçoit pas de fleurs. Illustration avec ces vases en forme de tuyaux, rythmés par des coloris soutenus et par l’alternance des finitions mates et brillantes, qui semblent se dandiner sur une piste de danse… Bitossi, vases Tubes.

DIM

PROPOS RECUEILLIS PAR DOROTHÉE BÉCART

Arik Levy

D

Métal textile ■ Matière de prédilection de l’éditeur italien Emu, le métal est ici percé d’alvéoles plus ou moins denses, à la façon d’un textile ajouré. Une manière d’investir le jardin en toute légèreté. Emu, chaise Pattern.

DESIGNER D’ÉMOTIONS ’où vous vient cette fascination pour les alvéoles de la ruche, un motif que l’on retrouve dans bon nombre de vos créations ? Je travaille d’une façon techno-poétique, avec une approche scientifico-émotionnelle. Je cherche à comprendre l’ADN d’un objet, puis j’injecte mon propre gène pour le rendre différent. La ruche est un simple tremplin vers des imaginaires : celui de l’utilisateur, à qui cela rappelle forcément une structure venue de la nature, les abeilles, le miel, le sucre, le goût, et toutes les sensations qui vont avec. Ensuite se pose la question de ce que je fais avec cet imaginaire. Avec la collection Pattern, pour Emu, j’ai créé une sorte de textile métallique. C’est une chaise en métal, donc résistante, propre à l’usage extérieur à long terme, mais en même temps, elle a une allure légère, comme un tissu ajouré. Le métal étant découpé au laser, on peut personnaliser le produit avec des motifs plus ou moins serrés ; ce nom, Pat26 I extérieurs design

tern, est lié à nos motifs de vie, définis par l’utilisation quotidienne de l’objet. Les Meteor de Serralunga ou les Giant Rocks évoquent des formes minérales brutes. Qu’aimez-vous dans cette nature brute ? Les Rocks ne ressemblent en réalité à aucun rocher que l’on trouverait dans la nature. Mais j’ai réussi à créer une métaphore, à jeter un pont entre l’imaginaire et ce que l’on est habitué à voir. Quand on installe cet objet à l’intérieur, la nature entre dans la maison ; quand on le met à l’extérieur, il prend des allures de météorite tombée de l’espace. La nature crue a une force que les objets finis n’auront jamais. J’essaie de tisser un lien émotionnel entre la pièce et la personne, qui fait appel à l’ergonomie, à la mémoire personnelle et collective. Un immeuble cubique qui ne ressemble à rien d’autre qu’à lui-même, on l’oublie. J’en reviens à la chaise Pattern pour Emu :

si quelqu’un, en voyant la chaise, pense aux abeilles, c’est que j’ai réussi. Si cette personne se dit juste qu’elle est rouge, c’est un échec. À la fin, l’objet luimême devient presque négligeable. C’est un médiateur, un accélérateur d’émotions. C’est ce qu’il y a de fort chez l’être humain, cet imaginaire incontrôlable. Vous avez réalisé pour Planika une cheminée qui fait également office de table basse. Le design doitil être, selon vous, générateur de convivialité ? C’est un aspect très important pour moi, d’autant plus que je viens d’Israël, qui est un pays extrêmement convivial, où les gens passent énormément de temps ensemble : il fait chaud, on est souvent dehors, ensemble. J’aime beaucoup le contact avec les autres. Le monde, ce sont des gens, pas des objets. Je suis content que mes créations aient une place dans la vie sociale des gens. Le vrai objectif, c’est de créer un lien avec la personne et la vie de tous les jours.

«Je travaille d’une façon techno-poétique » Vous avez travaillé le bois, le marbre, le métal, voirele verre… Comment le designer choisit-il ses matériaux ? Ce qui est important, c’est d’employer le bon matériau pour la bonne utilisation. C’est une question de logique. Ensuite, il s’agit d’être créatif avec ce matériau. Le filage du coton est vieux comme le monde. Mais si on le tisse d’une façon intéressante, ça devient innovant, extraordinaire. La manière dont on utilise la matière, sa juxtaposition avec une autre matière, c’est cela qui crée la différence. Je n’ai pas de préférence personnelle, je vais aller vers ce qui me semble adéquat, ce qui va donner la bonne solution à un problème, qui va maintenir la qualité de l’objet à long terme. Les Japonais ont la notion du wabisabi, qui échappe aux Occidentaux : le vécu de l’objet est plus important que l’objet lui-même. Un bois qui prend de l’âge, qui change de couleur, c’est magnifique, c’est vivant… Pour la société occidentale

consumériste, c’est difficile à admettre. Petit à petit, les gens se détachent physiquement et tactilement de l’objet en l’achetant, par exemple, sur Internet ; quand on le reçoit, on réalise qu’il n’est pas adapté à sa morphologie ou à ses habitudes… Pour vous, le lien entre design et artisanat est-il important ? L’artisan met en œuvre mon imagination, mes dessins, mes maquettes, il les traduit avec ses mains, son savoir-faire. Ce sont les artisans qui ont le métier, même si j’ai l’expérience des matériaux ; et puis chaque artisan a sa manière de faire, c’est extraordinaire. Je travaille avec Baccarat et Swarovski, qui ont deux approches opposées de leur métier ; Baccarat pour le côté encore artisanal, fait main ; Swarovski, c’est la technologie, les robots, l’ingénierie… Mais ce qui est surprenant, c’est qu’avec tous les deux, on obtient un résultat émotionnel.

Que représente pour vous l’exercice du vase ? Ça me renvoie à ma mère, qui était fleuriste et s’exprime avec ses fleurs. Notre maison était une jungle de fleurs. Toute ma vie, j’ai baigné dans cet univers. Quand j’étais enfant, cela ne m’intéressait pas du tout, mais je constate, devenu adulte, que cela m’a profondément marqué : admirer le développement d’une fleur, les couleurs de sa floraison… Le vase en lui-même, c’est un objet assez intéressant ; en même temps, la plupart du temps, il ne se suffit pas à luimême, il a besoin de la fleur, sinon les gens le laissent au fond d’une armoire. Si j’arrive à faire un objet qui a sa propre personnalité, qu’il y ait ou non une fleur dedans, cela n’aura aucune importance : le végétal sera une addition, mais il ne sera jamais un manque. Mes vases sont faits pour que les gens y soient liés émotionnellement, qu’ils aient envie de le montrer, de vivre avec lui toute l’année, qu’il y ait ou non des fleurs dedans. Quand j’en crée un, mon défi, extérieurs design I 27


c’est de saison

confidences

1

Feu réinventé ■ Autour de cette table

2

Treille par nature ■ Fasciné par les

basse au centre de laquelle crépite un feu joyeux, les conversations pétillent, les liens se nouent… Une illustration de l’importance de la notion de convivialité chez Arik Levy. Planika, Fire Coffee.

alvéoles des ruches, Arik Levy les utilise pour ses objets destinés au jardin, comme cette treille dessinée pour l’éditeur Flora, sur laquelle, aux propres dires du designer, « les plantes s’éclatent ». Flora, treille Comb-ination.

3

Météorite géante ■ Comme tombée au beau milieu d’un jardin, cette sculpture-météorite géante aux façades en miroir propose de porter un nouveau regard sur la nature alentour. Ldesign, Giant Rock.

4

Nid-d’abeilles ■ Arik Levy a collaboré avec la maison Materialise, qui combine art et high-tech en utilisant une technique de prototypage, la stéréolithographie. À la clé, une liberté de création formelle absolue, comme en témoigne cette coupe à fruits alvéolée. MGX Materialise, coupe à fruits Blackhoney.

1

À quoi ressemble votre propre jardin ? C’est le paradis ! Du moins, mon paradis. J’ai un pin qui a trente ans, un bouleau, deux érables japonais. Quand quelque chose sort du sol, ou que les fleurs éclosent, c’est un vrai feu d’artifice… En hiver comme en été, j’aime prendre des thés à l’extérieur, regarder le ciel, écouter les oiseaux… C’est un endroit magique. Vous avez collaboré à plusieurs reprises avec des éditeurs de mobilier extérieur comme Flora, Emu, ou Serralunga. Qu’est-ce que cela vous a apporté en tant que designer ? Le jardin et l’extérieur ne sont pas un univers nouveau à proprement parler, mais ce qui est intéressant, c’est la façon dont le marché s’est développé : il y a cinq ans, le mobilier d’extérieur était encore un peu ringard, on n’avait pas la même façon de le voir qu’aujourd’hui. L’avènement du mobilier outdoor participe pour moi d’un phénomène plus général : la maison sort à l’extérieur, certes, mais le bureau arrive également à la maison, tandis qu’une partie de la maison voyage en avion… Il y a des interpénétrations constantes entre les univers de vie. Il y a un besoin d’investir les espaces extérieurs, même tout petits, qui n’existait pas auparavant ; cela donne l’occasion de créer de nouvelles façons d’être dans le jardin, d’y vivre… C’est une chance d’expérimenter avec un marché en plein développement, ce qui donne la liberté d’inventer, d’essayer, de tester. 28 I extérieurs design

Vos objets sont souvent d’une grande sobriété, au niveau des couleurs. Que pensez-vous de l’utilisation des couleurs dans le design et, plus particulièrement, au jardin ? La couleur est une chose très importante mais aussi très difficile à gérer. Quand on décline des objets en plusieurs couleurs, certaines plaisent, notamment à la presse, et on ne sait pas pourquoi. On sait très bien que 90 % des ventes concernent le noir et le blanc, et 10 % les couleurs. La couleur est importante pour lancer le produit, mais le public reste conservateur, les gens n’osent pas. Par ailleurs, avoir un objet dans chaque couleur serait invivable ; il faut plutôt privilégier le ton sur ton, avec quelques points d’attraction : bien utilisée, la couleur peut jouer le rôle d’un projecteur, qui va révéler un objet… Dans le jardin, c’est un peu différent. Ce qui est important pour moi, dans la collection Emu, c’est que la chaise ne prend pas beaucoup de place : il y a finalement « plus de trous » que de chaise ; un jardin ne doit pas être envahi par le mobilier, il a besoin de transparence. Dans ces conditions, l’intervention des couleurs peut être un point positif dans les mois d’hiver. Vous vivez en France depuis 1992. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous installer à Paris ? La France est un pays qui a donné beaucoup de place à l’art, et je suis avant tout artiste. J’avais besoin de baigner dans une telle culture, où je n’apparaîtrais pas comme un oiseau étrange, où je n’aurais pas besoin d’abattre tous les arbres pour arriver au fond de la forêt.

©ARIK

c’est que les gens aient envie de le garder visible même lorsqu’il ne porte pas de fleurs.

3

2

4

4

extérieurs design I 29


HABILLAGE l Déco

10 ICÔNES

DOOR OUT

Depuis dix ans, les designers ont choisi le jardin comme nouveau terrain de jeu. Mais quelles sont les créations qui resteront dans l’histoire du design ? La rédaction d’Extérieurs Design en a choisi dix, emblématiques de l’évolution des modes de vie ou de la révolution des formes, et a laissé la parole à leurs créateurs. PROPOS RECUEILLIS PAR DOROTHÉE BÉCART

38 I extérieurs design

extérieurs design I 39


V

HABILLAGE l Déco

WAVE Royal Botania, 2008

« Donner l’impression

CANASTA

ous avez été l’une des premières créatrices de mobilier à travailler sur une collection outdoor pour B&B Italia, qui se lançait alors dans ce secteur. Quelles étaient vos consignes ? B&B Italia voulait lancer une « marque dans la marque », en cohérence avec sa philosophie et ses valeurs originelles. Cela nous a permis de faire d’intéressantes recherches, car nous avons beaucoup expérimenté dans une période de temps assez courte, en poussant les matériaux et les technolo-

de flotter au-dessus du sol »

ERIK NYBERG ■ Lors de sa présentation à Maison & Objet en 2008,

santes utilisant les derniers et les meilleurs matériaux en termes de résistance et de durabilité, réinterprétant l’échelle et la dimension, et recourant d’une manière logique aux techniques artisanales.

B&B Italia, 2007

gies dans leurs retranchements. L’idée maîtresse, c’était de trouver un équilibre entre un niveau de qualité et de résistance nécessaires pour l’extérieur, apportant un « confort psychologique » qui pourrait aller au-delà de l’âpreté des matières, et la spécificité de cette typologie outdoor. Pourquoi avoir choisi de partir d’un tressage plutôt traditionnel, mais surdimensionné ? Je trouve qu’il y a de la place, dans le design de mobilier, pour des recherches formelles intéres-

Pour B&B Italia, vous avez signé des meubles pour l’intérieur et l’extérieur de la maison. En tant que designer, portez-vous un regard différent sur ces deux univers ? Je pense qu’il faut aborder ces deux espaces avec la même sensibilité. Les frontières entre eux sont désormais perméables et on peut mélanger les cartes, en utilisant par exemple des meubles outdoor pour l’intérieur ou en recourant à des matériaux plus doux mais toujours aussi résistants pour l’extérieur ; être à même de créer un espace de transition, en passant progressivement d’une pièce intérieure au jardin via une véranda, sans rupture, que ce soit sur le plan de la perception visuelle, tactile ou le sentiment de confort.

« Aborder intérieur et extérieur avec la même sensibilité »

Wave avait fait grande sensation en révolutionnant les formes classiques du hamac. De nombreux prix l’ont depuis couronné, dont un prestigieux Red Dot Design Award. Objet sculptural réalisé en acier inoxydable et en Batyline, il s’apparente tantôt à un voilier imaginaire, tantôt à un cocon futuriste... Wave a aujourd’hui un petit frère, le hamac Surf, lui aussi édité par Royal Botania.

Q

uelles ont été vos sources d’inspiration lorsque vous avez créé Wave ? C’est un palmier sur la plage de Koh Chang, en Thaïlande, qui m’a donné l’inspiration. J’ai griffonné une esquisse sur une serviette en papier. Je voulais créer une sorte de sculpture fonctionnelle qui donnerait l’impression de flotter tout en étant

40 I extérieurs design

Qu’est-ce qui a poussé Royal Botania à éditer votre projet ? Nous cherchions un fabricant qui répondrait à nos exigences en termes de qualité, Royal Botania s’est naturellement imposé, et nous bénéficions grâce à eux d’une belle visibilité dans de très beaux showrooms disséminés dans le monde entier. La clé du succès !

protégé sous une canopée artificielle. Pour cela, il fallait que la structure touche le sol en un point unique, afin de participer à cette impression de détachement du sol. Nous avons ensuite travaillé, avec mon ami designer Gustav Ström, qui a vraiment mis mes rêves en forme, sur plusieurs prototypes, en bois, en fibre de carbone, avant de nous arrêter sur l’acier inoxydable.

Un succès étonnant pour quelqu’un qui n’est pas designer de formation... C’est tout à fait exact, je ne suis pas designer mais pilote de ballon... et dingue de hamacs ! Pendant mes études d’ingénieur agronome, j’ai commencé à me passionner pour les ballons à air chaud et les hamacs, qui ont pour point commun de flotter dans les airs. J’ai laissé tomber le métier d’ingénieur au profit de deux entreprises que j’avais créées pour le fun, l’une consacrée aux ballons (qui fête ses trente ans cette année) et l’autre aux hamacs. Cela m’a permis de collaborer avec des artistes, des designers comme Monica Förster, ce qui m’a habitué à travailler dans cet univers. Ma spécialité, c’est de mêler l’art et l’ingénierie ; d’ailleurs je considère Wave comme un objet à la croisée de ces deux mondes.

PATRICIA URQUIOLA ■ Un cannage traditionnel magnifié au service de courbes généreuses : tout dans cette création de Patricia Urquiola renvoie à la douceur et à la féminité. Une première incursion réussie de B&B Italia sur le marché du mobilier outdoor. L’éditeur et la créatrice ont depuis poursuivi leur collaboration dans l’univers du jardin, notamment avec la superbe collection Crinoline, alliant elle aussi charme rétro et modernité.

extérieurs design I 41


HABILLAGE l Déco

YIN YANG Dedon, 2006

« Un mélange harmonieux d’art, de nature et de philosophie » NICOLAS THOMKINS ■ En 2006, la fibre tressée, inventée par Dedon

Q

u’est-ce qui vous a conduit à travailler avec Dedon sur cette assise ? Nous avions déjà travaillé ensemble en 2003. Au fil des années, je suis devenu ami avec Bobby Dekeyser. Ensemble, nous avons dessiné quelques icônes de Dedon, dont le Yin Yang, qui a remporté en 2007 un « best of the best » aux Red Dot Design Awards. Pourquoi vous êtes-vous inspiré du symbole taiji ? L’idée était de dessiner un meuble pour les espaces

42 I extérieurs design

quelques années auparavant, commence à investir tous les jardins contemporains. Alors que la plupart des éditeurs, puis les acteurs de la grande distribution, proposent des objets en résine tressée aux formes similaires, Dedon investit dans la recherche formelle, sous l’impulsion de designers comme Frank Ligthart, Richard Frinier ou Nicolas Thomkins, qui frappe un grand coup avec ce double lounger inspiré du Yin-Yang. Une idée toute simple mais fort joliment aboutie, qui fera date sur les terrasses chics.

de détente ou les spas. Un objet qui ne caresse pas que les yeux, mais également le corps de deux personnes à la fois. Dans la philosophie chinoise, deux dynamiques opposées sont unies dans un tout harmonieux qui forme le symbole taiji. La fibre de couleur bronze et platine reflète précisément cette harmonie. Avec Yin Yang, nous avons créé quelque chose de complètement nouveau : nous nous sommes libérés de toutes les conventions du design de mobilier au profit des émotions pures. Pour le designer que je suis, c’est une émotion pure, également liée à ce symbole.

Quelles ont été vos autres inspirations lorsque vous avez dessiné Yin Yang ? Tout était là dès le départ, je n’avais plus qu’à finaliser le design. J’ai pensé ces fauteuils complémentaires comme des éléments laissés au travail de la nature, comme des pierres érodées par l’eau ou des dunes de sable modelées par le vent ; et par-dessus ces formes organiques, j’ai ajouté 4 km de fibre tressée. Changeriez-vous quelque chose à Yin Yang si vous le pouviez ? Quand la philosophie, l’art et la nature se mêlent, naît un sentiment de joie et d’harmonie. Je voudrais qu’il dure toujours. En regardant Yin Yang aujourd’hui, je vois encore la passion et l’amour du détail qui ont guidé notre travail. Et comme le mobilier Dedon est durable, je pense que ce sentiment de joie et d’harmonie est fait pour durer.


A

HABILLAGE l Déco

SAKURA

u premier coup d’œil, difficile de déterminer si Sakura est un mobilier « in » ou « out ». Comment êtes-vous parvenu à créer cet objet entre deux mondes ? Le mobilier d’extérieur est souvent carré, basique, suivant des codes définis en termes de forme et de fonction. Mon idée était de pousser les matériaux outdoor vers les standards de confort, de chaleur et de douceur qui sont plus habituels à l’intérieur de la maison. Expérimenter avec ces matériaux

Sifas, 2009

pour voir ce qui est possible est le meilleur moyen d’arriver à ce résultat. Pourquoi avoir choisi de travailler avec le tissu Hydropass ? Sifas est constamment à la recherche de matériaux innovants et performants, résistant notamment aux conditions météorologiques. Nous avons choisi le revêtement 3D Hydropass parce qu’il est multifonction. Il remplace sans problème

la mousse, les ressorts ou la toile, et surtout il n’absorbe pas l’eau. Pour autant que je sache, c’est la première fois que ce matériau est utilisé pour la conception d’une gamme complète de mobilier indoor/outdoor. Que pensez-vous de la tendance, qui ne se dément pas depuis quelques années, des meubles modulables pour l’extérieur, dont Sakura est une illustration ? Ce mobilier est lié à son utilisation dans des lieux ouverts, ou publics, où l’espace doit être organisé. Les aéroports, les parcs ou les hôtels utilisent ce type de mobilier pour encourager la convivialité, dans des espaces destinés à la détente, à la fête ou aux rendez-vous professionnels. Pour moi, le succès de ce type de mobilier dans différents secteurs montre que l’on accorde de plus en plus d’importance à l’organisation et à l’aménagement des espaces.

MARK ROBSON

« Pousser les matériaux vers les standards de confort de l’intérieur » 44 I extérieurs design

■ Dedans, dehors : depuis quelques années, Sifas entretient savamment l’ambiguïté entre ces deux espaces qui sont longtemps restés cloisonnés. Pionnier dans l’art de créer des véritables « lounges d’extérieur » modulables, l’éditeur français, en partenariat avec le talentueux designer Mark Robson, qui avait déjà signé pour lui la remarquable collection Kolorado, a créé la surprise en 2009 avec Sakura. Cette ligne de mobilier aux formes futuristes intelligemment imbriquées confère une identité forte aux extérieurs – et aux intérieurs – contemporains.


P

HABILLAGE l Déco

CHARIVARI Fermob, 2005

« C’était un vrai pari pour la marque »

SHADYLACE

ourquoi avoir fait le choix d’un design biomorphique ? À l’origine, j’ai réalisé ce projet pour Lille 2004 (NDLR : en 2004, Lille était la Capitale européenne de la culture) au sein du collectif Droog Design. On m’avait proposé de travailler avec des manufactures de dentelle de Calais. Je n’étais pas très excité à cette idée, car pour moi la dentelle est liée à quelque chose de trop féminin, décoratif. Je voulais en faire quelque chose de fonctionnel, tout en restant décoratif. Je me suis alors intéressé à ses

cès du Shadylace, s’est mis à inviter des designers pour imaginer de nouvelles formes pour le parasol. Je suis assez fier d’avoir changé les choses, je dois l’avouer !

Sywawa, 2006

propriétés : ce qui m’a frappé, c’est son côté à la fois transparent et opaque. Et là, j’ai fait l’analogie avec le feuillage d’un arbre. On a, avec ce parasol, qui est une sorte d’arbre artificiel, la même impression que lorsque l’on s’installe au pied d’un arbre. Pensez-vous que ce parasol a changé la perception que l’on peut avoir de cet objet qui a longtemps eu la même forme ? Je pense effectivement qu’il a changé quelque chose, notamment pour Sywawa qui, après le suc-

Avec le recul, comment analysez-vous le succès du Shadylace ? Les premiers parasols ont été produits en Europe, de façon artisanale, et édités par Droog Design. Ceux que l’on trouve aujourd’hui sont fabriqués de manière plus standardisée, avec une vision plus commerciale, par Sywawa. Si je n’avais pas été dans un premier temps en contact avec ces manufactures au savoir-faire bien spécifique et local, je n’aurais sans doute jamais eu l’idée du Shadylace. Je leur dois beaucoup, et d’ailleurs je continue, aujourd’hui, à travailler avec des artisans. Au moment où je vous parle, je suis en route pour rencontrer un artisan qui travaille le bois, et avec lequel j’aimerais collaborer pour un banc que je vais exposer à la galerie Kreo, à Paris...

JULIETTE LIBERMAN ■ Dans l’imaginaire collectif, le banc est lié aux espaces

V

ous êtes ébéniste de formation. Aviez-vous réalisé le prototype de Charivari en bois ou dans un autre matériau ? Je l’ai réalisé pour mon diplôme de l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs (ENSAD) : à la fin de l’année, nous devions montrer un prototype. J’avais effectivement, précédemment, suivi une formation d’ébéniste à l’école Boulle. J’avais une amie charpentière de marine, qui m’avait parlé des charpentes de bateau qu’on ploie à la vapeur, à

46 I extérieurs design

STÉPHANE RAMBAUD

publics. Cette création de Juliette Liberman le replace dans un contexte privé, et l’assise préférée des amoureux du monde entier se mue en véritable sculpture. À la fois pleine de fantaisie et d’une remarquable ergonomie, cette pièce maîtresse attire les regards tout en apportant un contrepoint parfait aux plans rigoureux des jardins contemporains.

partir de bois de frêne et du bois de rose. J’avais préparé des maquettes, un moule. Nous sommes parties à Saint-Malo où un charpentier de marine nous a prêté sa « boîte à vapeur » : on y introduit une lame de bois, on la sort avec des gants parce qu’à ce moment-là le bois est très chaud, et on n’a alors que quelques secondes pour le travailler, mais sa malléabilité est vraiment extraordinaire. Seulement, ce jour-là, notre moule avait fini par exploser...

Comment ce prototype s’est-il retrouvé édité chez Fermob ? Il avait été exposé dans le cadre du VIA des écoles ; Fermob l’avait repéré et fait signer un contrat d’exclusivité. Ils ont ensuite travaillé sur un prototype en métal, ils m’ont demandé de redessiner le piétement pour qu’il soit plus en cohérence avec l’assise. Mais sur l’adaptation de l’assise en métal, je suis restée un peu plus en retrait. Pour eux, c’était un vrai pari, parce que c’est l’un des meubles les plus chers de leur catalogue. Comment voyez-vous aujourd’hui cette création ? Après l’édition d’un prototype, on le laisse vivre, on laisse voguer son meuble. J’ai un banc Charivari couleur vanille dans mon jardin. C’est toujours « mon » meuble, d’ailleurs des amis m’ont un jour interpellée après une visite dans un grand centre commercial de la région parisienne où mon banc était représenté en me disant : « Juliette, on a vu ton meuble ! » J’adore le jardin, le jardinage. J’espère vraiment travailler à nouveau sur la conception de mobilier outdoor : j’ai quelques idées qui me trottent dans la tête !

CHRIS KABEL ■ Avant l’apparition de Shadylace, les parasols se

« Une idée née de traditions et de savoir-faire locaux »

ressemblaient tous, et à vrai dire, on ne les remarquait plus vraiment. L’objet, banalisé, n’intéressait tout simplement pas les designers. Jusqu’à ce que Chris Kabel, drôle d’oiseau du design, décide de le faire sortir de l’ombre, en travaillant une toile ajourée (de la véritable dentelle pour le prototype) à la façon d’un feuillage artificiel. Depuis, l’éditeur de ce parasol unique en son genre, Sywawa, propose chaque année des créations délurées qui réinventent joyeusement le genre.

extérieurs design I 47


HABILLAGE l Déco

Emu, 2008

émotion avec un JEAN-MARIE minimum de matière » MASSAUD ■ Sur la terre comme au ciel... bien ancrée au sol des jardins contemporains, la chaise Heaven de Jean-Marie Massaud semble pourtant prête à s’envoler. Ses lignes aériennes résultent du tressage de fils d’acier, traités ici comme des fils textiles et mis au service de formes voluptueuses et généreuses. Heaven fait partie des collections Advanced d’Emu, série de meubles avantgardistes imaginés par les plus grands designers (on y trouve aussi les créations de Patricia Urquiola, Paola Navone ou, plus récemment, Arik Levy) pour rajeunir l’image du mobilier en métal qui a fait le succès de la marque. Mission accomplie...

C

omment avez-vous été amené à collaborer avec l’éditeur de mobilier italien Emu ? Il y a cinq ou six ans, Emu m’a contacté avec un projet global de collaboration avec différents designers, pour la collection Advanced. L’équipe d’Emu avait déjà défini sa ligne éditoriale, ses ambitions, et sélectionné les designers avec qui travailler. J’ai adhéré à ce projet, car il s’articulait

48 I extérieurs design

nimal de matière et d’énergie, pour produire quelque chose d’élégant, de confortable et donc de compétent. Il s’agit d’un petit cocon de grillage métallique embouti serti par un fil de métal de diamètre 14, qui est le minimum de résistance possible pour ce type d’usage. Au final, cette collection n’exprime en aucun cas de la précarité, même si elle est empilable, même si elle est légère, même si elle est minimale ; on y retrouve au contraire de la volupté, du confort et de l’émotion.

autour d’un savoir-faire, d’une distribution bien structurée et surtout d’une vision qui rejoignait la mienne, à savoir travailler sur des archétypes modernes qui soient dans l’intelligence des enjeux contemporains : intemporalité et légèreté. Quelles techniques ont permis de donner matière à vos rêves ? J’ai essayé de travailler sur la légèreté, l’usage mi-

Viteo, 2009

n quoi Garden Wall était innovant ? Il s’agit d’un paravent qui sépare et optimise les espaces, plutôt que de les diviser. C’est un jardin instantané ET un mur ! Contrairement à d’autres murs végétalisés, il comporte un réservoir d’eau, ce qui le rend utilisable à l’intérieur de la maison. Et les modules s’assemblent pour former des structures de différentes tailles, selon les besoins.

NINA SLAVCHEVA

« Volupté, confort,

E

GARDEN WALL

HEAVEN

Avec le recul, comment définiriez-vous la collection Heaven ? Cette collection avait l’ambition de s’articuler autour de scénarios de vie, à savoir des chaises et des tables mais aussi une cheminée, des tables basses, des plantes, etc. Aujourd’hui, elle se résume plutôt à des assises, des tables et des bacs à fleurs. Mais elle reste dans cette quête d’essentiel, pas au sens du minimum, mais au sens du mieux. Je suis assez satisfait de notre collaboration et de la synergie qui est née pour faire ce produit et je crois qu’il a tout pour continuer à rester un grand produit pendant quelques années.

Avec le recul, que pensez-vous de cette création ? C’est pour moi l’acmé de nombreuses années passées à dessiner du mobilier outdoor pour différents environnements. Devant une demande grandissante de mobilier pour les petits balcons ainsi que les cours urbaines, le concept initial était un siège incorporant des plantes ; une sorte de jardinière nomade... Le design a évolué vers une création plus polyvalente, répondant au simple besoin de

se connecter à la nature. Les personnes qui achètent Garden Wall continuent à lui inventer de nouveaux usages ! Pourquoi avoir fait le choix d’une création hybride , mêlant matériaux artificiels et végétation ? Une grande partie de la population vit dans un environnement urbain. Le besoin de se créer un sanctuaire vert à la maison, propice à l’évasion, se fait criant. Quand je discute avec les clients, j’entends souvent parler du besoin d’intimité et de l’envie de se créer une oasis à domicile. Combiner un meuble extérieur avec des plantes permet aux gens d’emporter un peu de vert avec eux quand ils bougent les modules de Garden Wall ou, tout simplement, les changent de place. Et les plantes et les motifs fonctionnent si bien ensemble que cela améliore même le design de l’objet.

« Le design amélioré avec les plantes »

GORDON TAIT ■ Longtemps, les plantes ont été priées de rester dans leurs pénates. Jardinières, pots ou pleine terre, c’était à peu près tout. Quelques designers amoureux du vert se sont mis à leur imaginer de nouveaux habitats plutôt inattendus : mobilier classique colonisé par les jeunes pousses (voir les créations de Patrick Nadeau) ou structures hybrides leur conférant une véritable utilité, à l’image de ce paravent mi-artificiel, mi-naturel imaginé par Gordon Tait pour Viteo, structure en polypropylène ajouré sur laquelle viennent grimper les plantes pour créer de concert des espaces d’intimité dans le jardin.

extérieurs design I 49


HABILLAGE l Déco

NEUTRA Tribù, 2008

« Réminiscence d’une autre époque avec des technologies d’aujourd’hui » VINCENT VAN DUYSEN ■ Hommage à l’architecte moderniste Richard Neutra, la collection du même nom imaginée par Vincent Van Duysen pour l’éditeur belge Tribù a été l’une des premières incursions du slim design dans l’univers du jardin, où, pendant quelques années, les meubles aux courbes généreuses fabriqués à base de résine tressée ont été la norme. Une audace qui a depuis fait de nombreux émules, ouvrant une ère où la pureté et la légèreté des lignes se retrouvent jusque dans la structure des jardins.

V

ous avez conçu la collection Neutra il y a un peu plus de deux ans pour Tribù. Que gardez-vous de cette expérience ? C’était la première fois que je m’attaquais au mobilier de jardin. J’ai trouvé que c’était un challenge important de passer à une catégorie de meubles à laquelle je n’avais pas encore touché ; et aussi parce que je travaillais pour une firme belge importante, Tribù. On s’est compris mutuellement, à

50 I extérieurs design

dans le milieu du mobilier outdoor. C’était l’époque des meubles très massifs, manquant un peu d’élégance. J’ai toujours été fan du mobilier métallique qui remonte à l’époque du modernisme, peint dans des coloris sobres, du noir au blanc en passant par le vert foncé. C’est une typologie de mobilier de jardin finalement très traditionnelle que les gens semblaient avoir oubliée. Je voulais avec Tribù aller dans cette direction-là, cette réminiscence de collections d’une autre époque, mais exprimée avec des technologies d’aujourd’hui, pour assurer la légèreté et la stabilité du mobilier.

tel point qu’une deuxième collaboration se profile. Nous travaillons actuellement sur une collection en bois, accentuant davantage l’aspect artisanal. Vous avez lancé cette collection à un moment où la tendance était plutôt au mobilier en résine tressée. Avez-vous imposé le choix de l’aluminium et du slim design à Tribù ? Je connaissais effectivement bien les tendances

Rétrospectivement, que pensez-vous de cette collection ? En Belgique, malgré le temps, nous aimons les jardins, et comme beaucoup de pays du nord de l’Europe, nous avons paradoxalement une vraie culture des espaces verts, et du « vivre dehors ». Mon architecture (NDLR : Vincent Van Duysen est également architecte) est d’ailleurs en relation étroite avec la nature. Je voulais créer une collection liée à ma vision de l’architecture. Neutra n’a pas, visuellement, l’identité typique du mobilier de jardin.


Q

HABILLAGE l Déco

MAIA

kettal, 2006

uels étaient les enjeux de votre colla-

boration avec Kettal ? Il s’agissait de réinterpréter l’identité d’une entreprise qui avait une expérience du mobilier extérieur approfondie et technique. Et d’utiliser ce savoir-faire pour raconter une nouvelle histoire. Comment cette collection est-elle devenue l’image de Kettal ?

L’évolution que j’avais en tête était celle que l’entreprise Kettal souhaitait. C’était lié à la fois à une nouvelle façon de présenter leurs produits, et de faire évoluer l’image de l’entreprise. En quoi réside la différence entre cette collection et les autres meubles outdoor en résine tressée qui sont sortis à la même époque ? La recherche portant sur les matériaux est bien sûr primordiale, mais il faudrait que cela reste une

base utilisée au service d’un projet, et non un élément qui laisserait les autres dans l’ombre. Dans cette collection, nous avons fait tout notre possible pour trouver le meilleur équilibre entre ce dont nous avions besoin, et ce que nous souhaitions exprimer. La collection Maia de Kettal a déjà quelques années, mais elle a marqué les esprits. S’agit-il de l’une de vos préoccupations lorsque vous créez du mobilier ? Pour le designer, l’un des exercices fondamentaux consiste à essayer de déchiffrer l’essence de la contemporanéité, puis à l’interpréter, et faire en sorte que l’objet créé dure le plus longtemps possible – si vous êtes chanceux, plus d’une vie – afin qu’il soit utilisé par différentes personnes et de différentes manières. Si vous pouvez en plus créer de l’affectivité autour de cet objet, il devient encore plus durable.

« Créer de l’affectivité rend l’objet plus durable »

PATRICIA URQUIOLA ■ La collection Maia de Patricia Urquiola met la résine synthétique au service d’un tressage empreint de fantaisie, véritablement pensé pour l’extérieur : l’ombre portée de l’objet sur le sol est presque aussi importante que l’objet lui-même ! Cette gamme de mobilier lancée en 2006 a révolutionné l’image de l’éditeur espagnol Kettal, qui multiplie depuis les collaborations avec les plus grands designers comme Marcel Wanders ou Rodolfo Dordoni.

52 I extérieurs design


c’est de saison

confidences Fleurs éternelles ■ Créés par Patricia Urquiola pour Paola Lenti, ces fauteuils aux lignes intemporelles se déclinent aujourd’hui dans de multiples nuances, obtenues à partir de 20 couleurs de base habilement mélangées grâce à une technique de tressage éprouvée. Paola Lenti, fauteuils Nido, design Patricia Urquiola.

V

Paola Lenti

Pionnière dans le design outdoor, Paola Lenti a pris le temps d’imposer sa vision douce, élégante et durable du mobilier, fondée sur l’harmonie des matières, des lignes et des couleurs. PROPOS RECUEILLIS PAR DOROTHÉE BÉCART

LES COULEURS DUTEMPS ous avez débuté votre carrière dans l’univers de la mode. Est-ce de là que vous vient cette « fibre textile » ? J’ai commencé comme graphiste. Un jour, on m’a chargée de mettre en scène le stand d’un créateur de mode. Au fond d’un magasin, presque abandonné, j’ai découvert des rouleaux de feutre, une matière qui n’était pas beaucoup utilisée à l’époque ; elle est pourtant très intéressante, parce qu’on peut la couper sans avoir à en ourler les bords. On peut dire que cette découverte a vraiment changé ma vie ! Après cela, j’ai commencé à produire mes propres tapis. Vous avez également, à cette époque, créé des objets en porcelaine et en verre de Murano. Leur point commun est d’exiger un savoir-faire de haut niveau. Entretenez-vous toujours des liens 34 II extérieurs extérieurs design design 34

aussi forts avec l’univers de l’artisanat ? J’ai en effet travaillé la porcelaine avec quelqu’un qui avait une façon de la produire particulièrement intéressante. C’était une expérience capitale, qui m’a appris que l’on doit toujours aligner l’idée à la façon de produire, et non l’inverse ! Aujourd’hui, nous avons une production industrielle, mais j’essaie le plus possible de garder ce côté artisanal, fait-main, qui apporte une personnalité, une diversité et surtout de la magie aux choses. Produire intégralement nos collections avec des machines offrant un résultat parfait, cela ne donnerait pas l’esprit juste pour nos collections.

souvent convaincue de mes choix, tandis que les personnes en face de moi l’étaient un peu moins. C’était le conflit permanent ! J’ai commencé seule et très « petit », en faisant tout moi-même, jusqu’aux autocollants signalant qu’il s’agissait d’une de mes productions. Concernant le nom, je n’avais personne pour me conseiller à l’époque, et j’ai donc choisi de donner le mien à mon entreprise. La société le porte toujours aujourd’hui, et je n’en suis pas tellement contente. Cela en donne une idée très personnelle qui ne correspond plus à la réalité, car elle s’est beaucoup développée, et c’est aujourd’hui une structure organisée où les choix sont faits par toute l’équipe.

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer votre propre marque, et à lui donner votre nom ? Cela correspondait mieux à mon caractère : j’étais

Quel est votre rôle, aujourd’hui, au sein de la marque ? Il a évolué depuis que ma sœur est entrée en jeu.

La société nous appartient à toutes les deux aujourd’hui. Elle s’occupe de la gestion. La possibilité de travailler avec quelqu’un en qui on a entièrement confiance permet de gagner en liberté. Soulagée des problèmes concrets, je peux imaginer le futur de la société ; je me charge de la vision des produits, de l’image, des catalogues, tout ce qui concerne la direction artistique de la société. Aujourd’hui, on a les personnes appropriées dans chaque secteur de la société : c’est une vraie chance. La recherche de nouvelles matières semble capitale pour vous. Comment avez-vous découvert le Rope et le Filodry, très utilisés dans les créations outdoor de votre marque ? Découvrir de nouvelles matières ne se fait pas sans une vraie collaboration avec le producteur, et c’est un

travail de longue haleine. C’est ce qui s’est passé avec le Rope, en 2003. J’ai trouvé un producteur capable de produire un fil qui résistait vraiment aux conditions de vie en extérieur. Ce fil a depuis évolué, car nous lui avons trouvé des faiblesses. L’aspect reste celui que l’on connaît, mais la société, avec des producteurs et des instituts universitaires, se charge de l’améliorer. La solidité de nos fils fait aujourd’hui la différence. C’est aussi pour cela que nous produisons en Italie. Cela permet de contrôler la production, de multiplier les tests de qualité, de résoudre les problèmes. Aujourd’hui, nous sommes les seuls à utiliser le Rope, et nos équipes de recherche, de production de la fibre et de fabrication du mobilier sont vraiment liées par ce fil. Est-ce pour cela qu’en comparaison avec d’autres éditeurs et fabricants de mobilier outdoor, vous sem-

blez mettre un point d’honneur à ne pas tomber dans la surabondance des collections ? Il est vrai que nous nous posons à chaque fois la question de l’utilité des collections que nous sortons. C’est très important parce qu’il y a déjà beaucoup de choses sur le marché. Nous créons des objets durables, réalisés, comme je vous le disais, à partir de matières solides, écocompatibles. Je voudrais penser que ce que nous vendons aujourd’hui sera transmis aux générations suivantes. Comment se passe le travail avec les designers ? N’étant moi-même pas designer, j’essaie de concentrer mes recherches sur les matières. Je ne dessine que les tapis, ce qui diffère vraiment de la création d’un fauteuil, qui suppose de se projeter en trois dimensions. Le designer se charge de donner la extérieurs design I 35


c’est de saison

confidences

forme, qui est limitée par les possibilités de la matière que l’on lui impose dès le départ. Collaborer avec différents designers nous aide à travailler et penser d’une façon différente. Chaque nouveau designer apporte son lot de questions. Cela nous permet vraiment de grandir, de ne pas camper sur nos positions.

« Les couleurs, je les ressens ; elles arrivent dans mon cœur »

C’est Francesco Rota qui a créé la plupart de vos collections, notamment pour l’extérieur. Qu’est-ce qui vous a séduit chez ce designer ? Nous nous sommes connus très jeunes ; chacun de nous respecte le travail de l’autre. Quand on a le feeling, c’est très facile de travailler ensemble, ce que nous faisons depuis douze ans. Le cœur de la société s’est vraiment fait avec lui.

Le travail sur les couleurs semble très important pour vous. Comment se font les arbitrages pour chaque collection ? J’ai une faculté : les couleurs, je les ressens d’abord, et je les retrouve partout ensuite, comme cela a été le cas avec l’indigo. Elles arrivent dans mon cœur, sans que je doive m’inspirer d’autres univers, comme celui de la mode, par exemple. Nous avons maintenant une gamme immense, avec de multiples possibilités pour chaque couleur. C’est très important car dans un jardin, les fleurs offrent des nuances toujours différentes. Pour compléter notre gamme, nous avons mélangé entre elles les couleurs pré-existantes. Grâce à notre technique de tressage, nous ajoutons, sur un fond uni, des petites touches d’autres couleurs. On conserve la qualité de résistance au soleil de nos couleurs, tout en créant de nouvelles expériences : en regardant de loin nos créations, on voit en effet la somme de ces couleurs.

Vous avez également travaillé avec Patricia Urquiola, quel souvenir gardez-vous de cette association ? C’était une collaboration très amusante, parce que Patricia est quelqu’un de très pétillant, complètement à l’opposé de ma personnalité perfectionniste. C’est une véritable tornade, au sens positif du terme. Elle a eu l’idée intéressante de faire du crochet avec le Rope, alors que j’avais jusque-là une vision du tapis un peu plus orthogonale. Elle a également imaginé le fauteuil Nido. Ses créations se distinguent par leur intemporalité, et sont donc promises à une vie très longue.

L’an dernier, vous avez fait vos premiers pas dans l’architecture des espaces extérieurs, avec

2003 Chauffeuse Sand ■ Création

2004 Collection Island ■ Un

de Francesco Rota, compagnon de route de la marque, ce fauteuil est l’une des premières réalisations de la marque à tirer profit des propriétés de la corde Rope.

fauteuil et des compléments à la topographie affirmée, soulignée par des coloris uniques, toujours sous le crayon de Francesco Rota.

36 I extérieurs design

Cabanne. Êtes-vous de ceux qui pensent qu’un jardin doit être structuré comme une nouvelle pièce de la maison ? Il est difficile de « poser » les choses à l’extérieur. On peut utiliser la nature – par exemple un arbre – pour cela, mais si on n’a pas cette chance, on a besoin de trouver un moyen de structurer davantage l’espace. L’idée de pouvoir faire de l’architecture avec des tissus, des couleurs, des formes différentes à assembler pour créer de petits univers, me plaît beaucoup, et je voudrais vraiment persévérer dans cette direction. À quoi ressemble votre propre jardin, ou votre jardin rêvé ? Je n’ai malheureusement pas de jardin. Si j’en avais un, je voudrais qu’il soit près de l’eau. Au bord d’une rivière, ou de la mer, ou auprès d’une fontaine. Je ne l’imagine pas trop grand, mais j’aimerais y trouver au moins un grand et vieil arbre, une table et un petit fauteuil pour dessiner mes collections près de la nature.

2005

Collection Frame ■ Une nouvelle fois imaginée par Francesco Rota, une structure en aluminium pleine de personnalité rehaussée par un habillage en corde Rope.

Architecture extérieure ■ Depuis 2010, Paola Lenti réfléchit à l’architecture des espaces extérieurs grâce à des structures semiouvertes sur leur environnement, à l’image de cette pergola baptisée Cabanne. Paola Lenti, Cabanne, design Bestetti Associati, et Haven, design Volker Claesson, Eero Koivisto, Ola Rune.

2006

Fauteuil Nido ■ Ce fauteuil tout en rondeur est issu d’une riche collaboration avec la très prolifique Patricia Urquiola, qui a également conçu une série de tapis au crochet à base de corde Rope.

2010

Collection Haven ■ Volker Claesson, Eero Koivisto, Ola Rune – trio connu pour ses expérimentations biomorphiques chez Offecct – signent ce sofa aérien, tout en transparence.

extérieurs design I 37


HABILLAGE l déco

REVIVAL DESIGN

AU JARDIN

Cocon humain ■ Grand classique du design scandinave de la fin des années 50, l’œuf-cocon de Nanna et Jørgen Ditzel passe enfin au jardin troquant le rotin originel contre la fibre polycore. Bonacina Pierantonio, Egg suspendu, design Nanna & Jørgen Ditzel, chez Sabz, 2 037 €

Pendant des années, il fut le grand délaissé de la révolution design. Le jardin a enfin pris sa revanche, et rattrape aujourd’hui son retard en s’habillant de meubles design inspirés des icônes des années 50 à 80. Petit voyage dans le temps en quatre étapes vintage. SÉLECTION DOROTHÉE BÉCART

32 I extérieurs design

extérieurs design I 33


HABILLAGE l déco

GLORIEUSES 50’S

Entre fonctionnalisme et futurisme, la décennie du baby-boom continue d’inspirer les designers, qui habillent aujourd’hui le jardin des lignes graphiques et des couleurs pastel qui faisaient fureur dans les intérieurs des années 50.

5

TEMPS RE-TROUVÉ ■

2

1

Passé arachnéen ■ L’un des plus grands éditeurs des années 50 conjugue sa légende au présent en remettant au goût du jour les structures arachnéennes. Zanotta, canapé Club, design Prospero Rasulo, chez La Suite, à partir de 2 440 €

2

Invasion extraterrestre ■ Les ovni ont colonisé l’imaginaire

collectif des 50’s, mais attendu les années 2000 pour envahir le jardin avec ces arrosoirs. Magis, arrosoir Pipe Dreams, design Jerszy Seymour, chez Sabz, 60 €

3

Esprit BD ■ L’hérédité BD de Leblon-Delienne, spécialiste des figurines, se ressent dans ce canapé in & out en résine sorti d’une planche de Gaston Lagaffe, l’anti-héros de Franquin né à la fin des 50’s. Leblon-Delienne, canapé Clear Line, 1 399 €

4

VERSION fifties ■ Ce fauteuil-icône des années 2000 ne renie pas ses inspirations vintage, de l’Op Art de Vasarely aux structures graphiques des meubles Knoll des années 50. Driade, Meridiana outdoor, design Christophe Pillet, H. 83,5 x 57,5 x 55 cm, chez Made in Design, 326 €

5

6

3

Hommage atomique ■ La structure de ce banc en béton fibré s’inspire

de l’Atomium, clou de l’Exposition universelle de 1958. Compagnie, banc, design Chabaud et Lévêque, H. 80 x 70 x 60 cm, chez Sabz, 705 €

6

EMU

Quand une grande designeuse s’attaque aux meubles de jardin en fer forgé des années 50, cela donne naissance à des formes hybrides mêlant nostalgie et ultra-contemporanéité. Emu, grande jardinière, design Patricia Urquiola, H. 105 x diam. 72 cm, chez État de Siège, 728 €

1

8

Triangles nostalgiques ■ Ces drôles de petites tables en teck

évoquent les mini-guéridons triangulaires en Formica qui faisaient fureur dans les banlieues pastel de l’après-guerre. Kenkoon, tables basses Kurf, prix sur demande.

7

Sur le fil ■ En 1955, Verner Panton créait la chaise Tivoli, dont l’assise en fils tendus continue de faire des émules, comme le prouve cette création outdoor. Roda, fauteuil outdoor bridge Harp, design Rodolfo Dordoni, chez Sabz, 650 €

8

Slim design ■ Les meubles au design aérien inspirés des créations Knoll font leur grand retour, à l’image de cette table et de ces chaises en acier gainé de plastique. Offecct, table et chaises Spline, design Norway Says, prix sur demande.

9

Confort sculptural ■ Lointaine descendante de la chaise longue de Charlotte Perriand et Le Corbusier, ce lounger n’aurait pas déparé le balcon d’un appartement de la Cité radieuse. Vitra, lounger MVS outdoor, design Maarten Van Severen, H. 86,7 x 45,7 x 154 cm, chez Silvera, 1 884 € 34 I extérieurs design

9 4

7 extérieurs design I 35


HABILLAGE l déco

60’S PSYCHÉ-POP

Jamais le mobilier ne se sera autant affranchi des lois de la gravité que dans les années 60. Les icônes psychédéliques d’hier font encore mouche aujourd’hui et restent une référence incontournable pour les jeunes designers.

5

1

1

Enfant-bulle ■ Cette balançoire en rotin a du mal à cacher sa filiation

2

Pureté formelle ■ Ce banc ruban rétro-futuriste signé Christophe Pillet

3

6

4

7 Rocking chair design ■ Les œuvres uniques de Ron Arad en font le digne héritier des designers des années 60, qui tiraient parti de la flexibilité du plastique pour créer des œuvres sculpturales uniques, à l’image de ce spectaculaire rocking-chair en polyéthylène. Driade, rocking chair MT3, design Ron Arad, H. 78 x 80 x 104 cm, chez Sabz, 982 €

avec la célèbre Bubble Chair d’Eero Aarnio. Là où le maître jouait la carte de la transparence, l’élève, Enzo Berti, a choisi de mettre en valeur la structure par un jeu d’arceaux très graphique. Ferlea, fauteuil Kata, design Enzo Berti, chez Cob, à partir de 4 340 €

donne des allures kubrickiennes à une terrasse contemporaine. Serralunga, banc Loop, design Christophe Pillet, H. 40 x 180 x 50 cm, chez Sabz, à partir de 974 €

3

Poufs pop ■ Les créatrices du très hype studio de design espagnol Emiliana ne renient pas leurs influences psyché-pop, comme en témoignent ces poufs en polyuréthane flexible aux couleurs vives. Nanimarquina, fauteuil Tomato, design Ana Mir et Emili Padros, H. 34 x diam. 66 cm, chez Silvera, 705 €

2

4

Créature indéterminée ■ Ce banc luminaire outdoor aux formes

vertigineuses signé Karim Rashid ne déparerait pas dans les environnements psychédéliques créés par Verner Panton à la fin des sixties. Foscarini, Blob XL, design Karim Rashid, H. 50 x 126 cm, chez Sabz, 801 €

Auto-hommage ■ Le créateur le plus inspiré des sixties, Eero Aarnio, perpétue sa légende en revisitant ses classiques. Créée à l’aube des années 2000, la Formula Chair est la descendante de la Tomato Chair… Adelta, Formula Chair, design Eero Aarnio, H. 81 x 128 x 140 cm, chez Silvera, à partir de 2 750 €

5

Anneaux Saturniens ■ « Un seul anneau pour les subjuguer tous »,

7

semble clamer le designer de ces fauteuils colorés en polypropylène sous influence sixties, à qui l’on dit « oui » sans hésiter ! Ferlea, fauteuil Pop, H. 75 x 90 x 92 cm, design Enzo Berti, chez Cob, à partir de 655 €

36 I extérieurs design

6

Art textile ■ En 1965, Yves Saint Laurent créait l’événement en présentant une robe droite imprimée de motifs inspirés des œuvres de Mondrian. Une audace aujourd’hui transposée au jardin grâce à Deborah Sommers. D. Garden, bannière Mondrian 1 et 2, collection Geometric, design Deborah Sommers, 200 x 50 cm, 170 € extérieurs design I 37


HABILLAGE l déco

70’S HIPPIES

Flower power, peace & love : les slogans phares des années 70 se retrouvent dans les créations des designers d’aujourd’hui, qui multiplient les clins d’œil décalés à la décennie des papiers peints à fleurs orange et des moquettes marron.

2

Total revival ■ Cette création des frères Bouroullec se décline dans une palette de coloris très seventies évoquant les flamboiements d’un sublime été indien, tel celui qui embrasa les hit-parades en 1975 ! Kartell, chaise Papyrus, design Ronan & Erwan Bouroullec, chez La Suite, 198 €

Inspiration LIBERTINe ■ Patricia Urquiola aurait-elle été inspirée par le fauteuil d’Emmanuelle ? C’est ce que laissent entendre les courbes libertines de ce fauteuil… B&B Italia, fauteuil Crinoline, design Patricia Urquiola, chez Silvera, 1 233 €

3 5

1

Papier peint ■ Reprenant les coloris automnaux de la décennie des papiers peints extravagants, cette bannière donne le ton en toute élégance dans un jardin vintage. D. Garden, bannière Multi-Stripe, design Deborah Sommers, 200 x 50 cm, 170 €

2

Flower Power ■ Le comble pour un hippie est de ne pas avoir la main

verte. Ces tabourets fleurs permettent, heureusement, d’affirmer son côté Flower Power sans avoir à se plonger dans les manuels d’horticulture ! Offecct, tabouret Flower, design Eero Koivisto, H. 44 x diam. 54 cm, chez Made in Design, 413 €

3

6

Porte-bonheur ■ La chaise porte-bonheur de Ron Arad décline ses feuilles

en nombreux coloris. En orange soutenu, le clin d’œil aux années 70 devient évident. Driade, fauteuil Clover, design Ron Arad, H. 75,50 x 66 x 54 cm, chez Out Door, 483 €

4

Simplement 70’s ■ Ludiques et funky, ces chaises de jardin en métal recouvertes de polyester orange vif résument l’esprit des années 70. Emu, chaises Sporty, design Chiaramonte/Marin, chez Plantes et jardins, les quatre, 396 €

5

Alerte orange ■ Icône de la toute fin des années 60, le tabouret Tam Tam a traversé sans peine les seventies en adoptant les coloris criards de l’époque d’Orange mécanique. Branex, tabouret Tam Tam, design Henry Massonnet, 100 €

6

Fleur d’intérieur ■ Ce fauteuil

Saga Africa ■ Inspirée de l’artisanat africain, cette création 2009 signée

Tord Boontje se décline en coloris vintage qui donnent du pep’s aux jardins. Moroso, fauteuil Shadowy Multired, design Tord Boontje, H. 140 x 98 x 82 cm, chez Made in Design, 1 429 €

38 I extérieurs design

1

4

à l’imprimé 100 % Flower Power apporte un petit vent printanier au salon, l’hiver venu. Kartell, fauteuil Pop Missoni, design Piero Lissoni, chez Made in Design, 1 065 €. Disponible en version outdoor (tissu blanc uni uniquement).

extérieurs design I 39


HABILLAGE l déco

EXTRAVAGANTES 80’S

La décennie de la frime et de la provocation inspire la nouvelle génération de designers, qui osent conjuguer fluo tapageur et formes extravagantes, deux tendances lourdes des années 80.

United Colors of design ■ Dans les années 80, une célèbre marque de prêt-à-porter célébrait la différence à travers un slogan rassembleur qui semble avoir inspiré le designer de ces fauteuils en mousse de toutes les couleurs. Six Inch, fauteuil S3, design Pieter Jamart, H. 76 cm, chez Out Door, 747 €

4

1

1

Translucide extralucide ■ Hanté par l’esprit des eighties, le canapé

Phantom frappe les esprits avec sa coque en PMMA jaune fluo. À utiliser de préférence en intérieur, il peut ponctuellement s’inviter sur une terrasse couverte. Driade, canapé Phantom, design Emrys Robert, H. 73 x 180 x 77 cm, chez Made in Design, 5 733 €

2

ça flashe ! ■ Les formes classiques de ce fauteuil en rotin sont réveillées par un jaune fluo ultra-flashy qui rappelle les surligneurs en vogue dans les cartables des écoliers et des businessmen 80’s. Alinea, fauteuil Stacky, H. 83 x 74 x 66 cm, 99 €

3

Irisation automnale ■ Poétiquement baptisé « Fleur de Novembre »,

4

Acid ludique ■ Cette table dessinée par Karim Rashid n’aurait pas déparé

5

Rainbow warriors ■ L’histoire ne nous dira pas si Patricia Urquiola

2

5

ce prototype affiche un pied arc-en-ciel translucide dans la lignée des logos irisés qui marquèrent le début des années 80. Kartell, table Fleur de Novembre, design Fabio Novembre, H. 72 x diam. 120 cm, prototype.

une discothèque branchée de la fin des eighties, la grande époque des smileys jaunes et de l’Acid Music. Aitali, table K4, design Karim Rashid, prix sur demande.

s’est inspirée de la grande vogue du macramé pour créer ces assises tressées de fils polymères aux coloris néon… Moroso, chaise Tropicalia, design Patricia Urquiola, 1 195 €

7

6 7

Come-Back ■ Grande prêtresse des tendances en matière de mobilier outdoor, Patricia Urquiola préfigurait le come-back du fluo dans le design avec cette chaise présentée au Salon de Milan 2008. Kartell, chaise Frilly, design Patricia Urquiola, H. 80 x 42 x 50 cm, chez La Suite, prix sur demande.

8

Big Boss ■ Toujours éditée dans des versions revues et corrigées par leur

créateur, cette interprétation so eighties du fauteuil Club, à la carrure aussi affirmée qu’une working girl à épaulettes, figure parmi les premières œuvres marquantes du designer israélien Ron Arad. Moroso, fauteuil The Big Easy, design Ron Arad, H. 94 x 133 x 88 cm, chez Silvera, 1 570 €

40 I extérieurs design

PASQUALE FORMISANO

Game over ■ Ces pots à herbes aromatiques dessinés par une jeune créatrice sont fortement inspirés du jeu vidéo culte de la décennie des gros pixels et des premières consoles de jeux. T-pots, Stéphanie Choplin, prototypes.

6

3

8

extérieurs design I 41


HABILLAGE l CONFIDENCES

Son collier de perles le ferait facilement passer pour un doux dingue décalé ; mais chacune de ses créations est le fruit d’une mûre réflexion, conjuguant savoir-faire et modernité raisonnée. Rencontre avec Marcel Wanders, Hollandais volant… au secours du design ! PROPOS RECUEILLIS PAR DOROTHÉE BÉCART

Marcel Wanders

UNE PERLE DE DESIGNER

V

ous avez confié au site Internet Designboom avoir voulu, à l’adolescence, devenir paysagiste. Qu’est-ce qui vous attirait dans ce métier ? À cette époque, j’étais passionné par les plantes – j’avais même mon propre petit jardin où je faisais pousser des carottes – et je savais déjà, par ailleurs, que je voulais m’orienter vers une carrière créative. Le métier de designer n’était pas encore ce qu’il est devenu aujourd’hui, alors devenir paysagiste me semblait être un bon moyen de combiner mes deux aspirations. À quoi ressemblerait le jardin de vos rêves ? Ce serait un jardin à double visage : d’un côté, un havre silencieux ; de l’autre, un endroit où les gens

38 38 II extérieurs extérieurs design design

puissent s’amuser. Autour d’une piscine, j’aménagerais des endroits propices à la fête, où l’on puisse discuter, rire ou écouter de la musique entouré de ses amis, et, un peu plus loin, je créerais un endroit plus isolé, presque onirique, à contempler de préférence lorsque l’on est seul. Avez-vous déjà réalisé des jardins ? J’ai eu l’occasion récemment d’en créer un à Amsterdam, en occultant toutefois le côté végétal, car je n’ai plus la main aussi verte qu’autrefois. J’ai entièrement recouvert le sol de marbre noir et blanc ; sur des treilles recouvertes de plantes artificielles, j’ai apposé les lampes en forme de fleur que j’ai réalisées pour Flos. Et, pour parfaire ce paysage entièrement reconstitué, j’ai ajouté des arbres en plastique blanc. Je suis

très sensible à l’idée du jardin artificiel, que j’aimerais voir se développer. La nature est une illusion totale dès lors qu’elle est domestiquée, comme c’est le cas dans tous les jardins. Dès lors, pourquoi ne pas aller au bout de cette idée ? Dès le début de votre carrière, vous avez travaillé avec le collectif néerlandais Droog Design dont la démarche est plutôt écoconsciente. Les questions environnementales influent-elles sur votre travail de designer ? Droog Design s’est dès le début intéressé au recyclage des matériaux et des objets, certes, mais surtout des idées. Nul besoin de partir d’une feuille blanche : on peut créer du nouveau à partir d’idées préexistantes, qui peuvent faire naître quelque chose


1

1

Atmosphère, atmosphère… ■

2

Simplicité formelle ■ Comme toute

Dans cet îlot sensuel, le vent fait gonfler des rideaux diaphanes dont les motifs, répétés sur la table en fibre de verre moulée et les fauteuils en Jacquartex, sont sublimés par la lumière du soleil. Un hommage nostalgique à un âge d’or perdu où tout n’était que luxe, calme et volupté… Kettal, ligne Atmosphère.

les icônes du design, les tabourets Container affichent une grande simplicité formelle et ne s’embarrassent pas de détails superflus. Une petite exception dans la carrière de Marcel Wanders, qui aime habiller ses créations de motifs inspirés de diverses formes d’artisanat. Moooi, ligne Container.

2

de nouveau. En ce qui me concerne, la durabilité a toujours été la clé de mon travail ; nous vivons dans un monde où l’on jette un peu trop facilement ses possessions parce qu’on a l’impression qu’elles se dégradent plus vite. Mais le problème n’est pas physique, il est psychologique : nous n’acceptons tout simplement pas les objets qui vieillissent. Les designers recherchent toujours la nouveauté et créent des objets qui ont effectivement l’air nouveau ; mais rien ne vieillit aussi vite que la nouveauté. De mon côté, j’essaie de créer des objets qui ont vocation à s’inscrire dans le temps. Vous avez pour habitude de mêler design et traditions ou savoir-faire anciens, comme en témoigne la Knotted Chair réalisée en macramé. Pensez-vous

que le designer est un artisan et que l’artisanat peut être design ? En tant que designers, nous sommes tellement excités par la nouveauté que nous regardons la plupart du temps les traditions de haut. Je tente, depuis quinze ans, de mettre dans chaque objet une innovation, mais aussi un respect pour le passé, pour un monde différent du nôtre. On ne peut pas aller à 100 % vers le futur, on a besoin de garder quelque chose du passé. Avec le modernisme, les choses doivent être totalement neuves, sans histoire, ce qui est une idée stupide. Il y a tellement de choses fabuleuses à tirer du passé… C’est ce dont notre époque a vraiment besoin. Il y a vingt ans, c’est le modernisme qui primait, mais aujourd’hui il ne peut qu’échouer. On peut être moderne tout en respectant les traditions et

les savoir-faire. Inutile d’être des fondamentalistes du design, nous devons être des fondamentalistes de l’humain. Les designers de la nouvelle génération travaillent d’ailleurs avec beaucoup plus de respect pour leur environnement, leur époque et le contexte, et ils ont une plus grande générosité. Vous avez dessiné la balançoire-jardinière Swing With the Plants pour Droog Design. Que pensez-vous de la tendance consistant à végétaliser le mobilier ? Un intérieur, c’est la rencontre de deux extrêmes : l’être humain, d’un côté ; l’architecture, de l’autre. Nos amis modernistes ont suggéré qu’il fallait d’abord penser l’architecture et qu’il suffisait ensuite d’y placer l’humain. Mais les hommes sont des créatures douces, qui ne veulent pas être parquées dans des environneextérieurs design I 39


HABILLAGE l CONFIDENCES

ments froids ; ils ont besoin de quelque chose entre eux et l’architecture : c’est pour ça qu’ont été inventés les meubles, les papiers peints, les rideaux… Ces choses font la transition entre nos corps sensibles et la pierre. De même, à l’extérieur, on est tiraillé entre l’humain et le végétal. On peut être plus près de l’un ou de l’autre. Il y a une infinité de possibilités que le designer doit étudier. Partant de ces deux logiques, il me semble finalement normal de faire des meubles hybridés avec des sources naturelles. Quand vous travaillez avec des marques telles Kettal, Moroso on Slide, essayez-vous d’imposer votre signature ou de vous adapter à leur philosophie ? Je pense que, si les hommes et les femmes pouvaient faire des bébés sans avoir besoin l’un de l’autre, ils le feraient. Mais ils ne le peuvent pas, et c’est une bonne chose parce que cela mènerait imman-

quablement au clonage. Vous ne pouvez pas faire un clone de vous-même, il vous faut donc combiner deux patrimoines génétiques. Si je dessine des objets pour différents éditeurs, ils ne seront jamais semblables, parce que j’apprendrai des forces de chacune de ces marques ; mais ils ne seront jamais totalement différents, parce que j’apporterai mon identité, mes forces dans le patrimoine génétique de chaque objet. Dans chaque cas, nous ne sommes pas obligés de travailler ensemble, on le fait parce qu’il y a une envie des deux côtés de créer quelque chose en commun. Pensez-vous développer une ligne exclusivement outdoor sous votre marque Moooi ? Ce n’est pas dans nos projets. Nous avons la chance de pouvoir travailler avec des éditeurs spécialisés dans l’outdoor, comme Kettal, qui excellent

dans leur domaine. Du côté de Moooi, nous avons déjà fort à faire avec l’indoor, et certains de nos produits emblématiques, comme la Container Table, sont déjà in & out. Quelle impression cela fait d’être exposé au MoMA (ndlr : Marcel Wanders est exposé depuis quelques années au musée d’Art moderne de New York avec sa Knotted Chair) ? Je ne prends pas cela comme le plus grand des accomplissements, de même que, pour moi, ce n’est pas un accomplissement de voir un de mes objets dans une maison. Le vrai accomplissement, c’est d’être dans le cœur des gens, de faire sens auprès d’eux, que ce soit à travers un objet, des paroles ou une œuvre exposée dans un musée. Quand on parvient à toucher les gens, on a vraiment atteint son but.

1

2 40 I extérieurs design

3


5

4 6

« j’essaie de créer des objets qui ont vocation à s’inscrire dans le temps » 1

Déclinaison organique ■ Pour l’éditeur italien Slide, Marcel Wanders a dessiné une déclinaison simple et efficace de sa célèbre Crochet Chair. Dans cette version in & out, la structure ajourée de cette dernière laisse place à des formes pleines et lisses comme un galet. Slide Design, fauteuil et table basse Chubby.

3

joyau design ■ Marcel Wanders a

2

4

Artifice paysager ■ Fidèle à sa première

Pureté virginale ■ La céramique

blanche met en valeur les formes pures de ces vases et de cette petite table. Avec cette collection intemporelle, Marcel Wanders fait une fois de plus sien l’aphorisme d’Oscar Wilde : « Rien n’est plus dangereux que d’être trop moderne ; on risque de devenir soudain ultra-démodé. » B & B Italia, White Collection.

respecté les codes chers à Kartell en réalisant un tabouret ludique, translucide et coloré. Sa surface biseautée, semblable aux facettes d’un diamant, lui confère une forte personnalité, extravagante et précieuse. Kartell, tabouret Stone.

vocation – il voulait, à l’adolescence, devenir paysagiste – Marcel Wanders réalise de temps à autre des jardins. Totalement artificiel, cet extérieur en marbre et en plastique parvient tout de même à évoquer un véritable paysage, figé pour l’éternité. Jardin privé, Amsterdam.

5

Balançoire bucolique ■ C’est

en ayant à l’esprit les jeunes filles en fleurs que Marcel Wanders a imaginé cette balançoire poétique ; sur ses montants courent des plantes grimpantes qui s’épanouissent dans deux mini-jardinières ménagées dans l’assise en polyéthylène. Droog Design, Swing With the Plants.

6

Champignon magique ■ Inspirés d’un champignon japonais surnommé « le banc des elfes », ces tabourets aux formes hallucinantes – grâce à la technique du rotomoulage – sont recouverts de motifs semblables à une jolie broderie réalisée par des doigts de fée… Moroso, tabourets Shiitake. extérieurs design I 41


HABILLAGE l TECHNO

46 I extérieurs design

CORIAN Associé depuis quelques années au design de pointe, le Corian est en passe de conquérir nos extérieurs à travers des objets et des structures durables et haut de gamme. TEXTE DOROTHÉE BÉCART

Terrasse tout-en-un ■ Le Corian permet, en extérieur, de réaliser des lieux à vivre spectaculaires et inédits, à l’image de cette terrasse avant-gardiste d’un seul tenant, dont la structure comprend une table et des bancs. Gavin Jones garden of Corian – Elevations, design Philip Nash, Chelsea (Grande-Bretagne).

MAP/NATHALIE PASQUEL

D

ans les allées des grandes rencontres internationales de design, il est sur toutes les lèvres. À Milan, Paris ou Londres, il crée à chaque fois l’événement ; son nom est à lui seul synonyme d’innovation. Pourtant, le Corian n’est pas né de la dernière pluie : ce matériau très technique a été conçu par les ingénieurs de DuPont de Nemours à la fin des années 60. Il a fallu attendre quarante ans pour qu’un designer visionnaire, Ettore Sottsass, voie en lui une matière première idéale qui se prête à ses délires avant-gardistes. Presque dix ans après son exposition d’objets en Corian, « Exercices with Other Materials », des dizaines de designers, des frères Bouroullec à Arik Levy en passant par Karim Rashid, se sont approprié ce matériau aux qualités exceptionnelles. Composé d’un tiers de minéraux naturels dérivés de la bauxite et de deux tiers de résines acryliques, le Corian est non poreux, hygiénique, durable, malléable et thermoformable. Bref, le rêve de tous les designers depuis la libération des formes dans les années 50 et 60. Mais il possède une qualité peu exploitée jusqu’ici : il est particulièrement adapté à un usage en extérieur. « Le Corian résiste aux intempéries et sa tenue aux rayons UV est garantie dans une gamme de 50 coloris sur les 100 disponibles », précise Béatrice Lalaux, responsable prescription chez Dupont Building Innovations. « Travaillé avec des joints imperceptibles, il permet, par exemple, de réaliser des façades composées de panneaux de plus de 5 mètres. » Ces applications architecturales se retrouvent aujourd’hui dans des jardins dont les murs sont recouverts de Corian quand ce ne sont pas des structures extravagantes qui viennent se mêler à la végétation. Mais cette résistance exceptionnelle pousse également les designers à créer des objets jouant à l’extrême sur l’ambiguïté entre « in » et « out » ; les éditeurs leur emboîtent le pas, créant des gammes mettant en vedette ce matériau miraculeux.

LA RÉVOLUTION

extérieurs design I 47


HABILLAGE l techno

L’Odyssée du jardin

Philip Nash

Séduits par sa durabilité et sa résistance aux conditions climatiques les plus rudes, les architectes et les paysagistes commencent à utiliser le Corian dans des jardins aux allures futuristes.

Le paysagiste britannique Philip Nash a réalisé, pour l’édition 2008 du Chelsea Flower Show, un jardin de Corian.

1

1

Porte ouverte ■ Installations

2

Motifs de satisfaction ■ Entre

2

éphémères, ces portes en Corian dessinées par le designer Pol Quadens sont auréolées de mystère : inspirées du monolithe de 2001 : L’Odyssée de l’espace et des alignements de Stonehenge, elles sont toutes tournées vers le Nord. Le Corian, longtemps cantonné à des usages techniques, est ici le support d’une expression artistique monumentale. Les Portes Louise, design Pol Quadens, Bruxelles (Belgique).

pep’s et poésie, ce jardin décline les usages outdoor du Corian, des plates-formes aux motifs imprimés par sublimation aux tabourets colorés. Les lampes au bord de la pelouse tirent parti de la translucidité du matériau. Corian Garden, design Michael Young et Katrin Petursdottir-Young, Milan (Italie).

3

Nouvelle vague ■ Ce jardin d’exception

est traversé par une immense vague de Corian partiellement gravée de motifs grâce à une technique inspirée des bas-reliefs. Le matériau, durable et résistant, se prête à tous les rêves des paysagistes. Gavin Jones garden of Corian – Elevations, design Philip Nash, Chelsea (Grande-Bretagne).

48 I extérieurs design

3

MAP/NATHALIE PASQUEL

Puits de lumière ■ Ce jardin de ville était auparavant petit et sombre. L’application de plaques de Corian du sol aux murs en fait un véritable puits de lumière qui illumine les espaces intérieurs. Urban Garden, design David Giovannitti, New York (États-Unis).

Qu’est-ce qui vous a amené à concevoir un jardin où le Corian occupe une place prépondérante ? Je me rendais à une exposition de design à Londres et je réfléchissais au jardin que j’allais concevoir pour le festival de Chelsea. Je me demandais quel matériau me permettrait de concevoir une terrasse d’un seul tenant dont le sol se soulèverait pour former une table et des bancs. Des matériaux comme la pierre ou le béton étaient soit trop coûteux, soit trop difficiles à travailler. Le plastique ou la fibre de verre auraient pu convenir, mais je recherchais un matériau durable et crédible en tant qu’alternative aux matériaux habituellement utilisés pour le terrassement. Quand je suis arrivé à cette exposition, j’ai trouvé le matériau de mes rêves, facile à mettre en forme, résistant aux UV et à l’humidité, dur comme la pierre. J’ai rencontré l’agent anglais de DuPont Corian, qui m’a proposé de sponsoriser mon jardin à Chelsea, une façon de montrer une nouvelle application, originale et innovante, de ce matériau. Quelles ont été vos impressions sur le Corian lors de la conception de votre jardin ? Je l’ai trouvé inspirant ! Plus je lui en demandais, plus il m’en donnait. J’ai mesuré tout le potentiel de ce matériau aussi adapté aux murs d’eau qu’aux éléments de mobilier les plus délirants ; j’ai apprécié sa malléabilité et j’ai découvert sa translucidité. Pourrait-il devenir un matériau couramment utilisé par les paysagistes ? Même s’il est de plus en plus présent dans des applications architecturales, il restera un produit haut de gamme et donc peu utilisé.

extérieurs design I 49


HABILLAGE l techno

Matière de rêves

Pol Quadens

Tout comme le plastique débrida la créativité des designers à l’ère psychédélique, le Corian les pousse aujourd’hui à inventer de nouveaux langages formels qui s’incarnent dans des prototypes et des séries limitées durables et haut de gamme, plus que jamais in & out.

Amoureux du Corian, le designer belge Pol Quadens y a trouvé un matériau idéal pour brouiller les frontières entre intérieur et extérieur.

4

1 2

3

5

1

Plage futuriste ■ À quoi ressembleront les bains de soleil des plages du futur ? Sans doute à ces élégantes chaises longues en Corian… Studio Sequoia, chaise longue Bahia, prototype.

2

3

Trapèze floral ■ Le Corian révolutionne les objets les plus quotidiens, à l’image de ces vases suspendus pleins de poésie et d’une délicieuse légèreté visuelle. Cédric Ragot, vase Compose-it, prototype.

Vase aérien ■ Créé pour célébrer en beauté

les quarante ans du matériau, ce vase est constellé d’alvéoles où le végétal se fraye volontiers un chemin. Christian Ghion, vase, prototype en cours d’édition chez Ovo.

50 I extérieurs design

4

Mariage heureux ■ Les designers aiment mêler le Corian au végétal, comme dans cette création de Patrick Nadeau. Il faut dire que ce matériau non poreux et résistant à l’humidité, à l’aspect

minéral, semble l’allié naturel des plantes. Patrick Nadeau, Rocaille, en édition limitée chez Sabz.

5

Séries limitées ■ Le Corian se travaille

comme le bois et possède la longévité de la pierre, ce qui permet de réaliser des pièces uniques et des séries limitées, à l’image de cette table végétalisée et de cette jardinière semblant avoir subi un choc sismique. Pol Quadens, collection Inside outdoors, table Taormina et jardinière Quake, en édition limitée.

Quels sont les avantages du Corian pour un designer ? C’est une sorte de compromis génial entre la souplesse et la résistance de l’acier, la qualité de surface et la légèreté de l’aluminium, la facilité de mise en œuvre du bois… Il a tous les avantages de ces matériaux et pas leurs inconvénients. On peut tirer beaucoup d’avantages de sa blancheur : les plaques se soudent avec une colle spéciale qui a la teinte du Corian. Le blanc, dans le meuble design, est à la mode depuis quelques années, et c’est un aspect qui a fait que ce matériau vieux de quarante ans a pu soudain occuper le devant de la scène. Quel était le message de votre exposition de meubles en Corian Inside Outdoors ? L’intérêt était de montrer que ce matériau imputrescible était particulièrement adapté à un usage en extérieur. Le Corian illustrait également à merveille l’idée directrice de cette exposition, à savoir que les meubles d’extérieur étaient trop typés « jardin », et qu’il fallait brouiller les frontières entre in & out pour mettre le jardin à l’intérieur et, inversement, sortir l’habitation dans le jardin. Est-ce que c’est le matériau dont vous rêviez, en tant que designer ? Ma vie n’a peut-être pas changé, mais depuis deux ans que je travaille le Corian, j’ai une production énorme. Je suis un peu déçu qu’on ne puisse pas encore faire des objets en grande série pour des questions de coût. Aujourd’hui, je fabrique principalement des pièces uniques et des objets en série limitée. J’espère qu’on va arriver à en faire un matériau abordable…

extérieurs design I 51


HABILLAGE l techno

Éditions spéciales

Les frères Sommereux

Après quelques débuts timides, les éditeurs outdoor se lancent peu à peu dans la production de meubles en Corian. Certains s’y consacrent même exclusivement…

Fondateurs d’Ego Paris, les frères Sommereux ont fait le pari du Corian pour doper leurs collections de mobilier outdoor.

1

4

2

3

1

100 % outdoor ■ Le jeune éditeur italien

2

Table délicieuse ■ S’il se prête aux délires

Escho a réalisé toute une gamme d’objets en Corian inspirés du mobilier indoor mais entièrement destinés à l’extérieur, à l’image de cette cheminée aux allures d’Origami. Escho, cheminée et banc, design p.èn.lab.

futuristes des designers, le Corian peut aussi se faire romantique, comme avec ces tables imprimées de motifs floraux délicats imaginés par le designer Tord Boontje. Moroso, table Bon-Bon, design Tord Boontje.

52 I extérieurs design

3

Ludique et nomade ■ Semblant

4

Version Corian ■ Également disponible

6

réalisée d’un seul tenant, cette table d’appoint se transporte facilement avec sa poignée inspirée des canettes de soda. Offecct, table Grip, design Satyendra Pakhalé.

en version teck, la gamme Tandem de l’éditeur Ego Paris tire parti de la résistance du Corian et de ses qualités hygiéniques, qui en font le revêtement idéal, par exemple, pour une table de bar. Ego Paris, collection Tandem code EM3, design Thomas Sauvage, chez Paysage.

5 5

Vase hélicoïdal ■ Corian et végétal

semblent s’enlacer jusqu’à ne faire plus qu’un dans cette élégante valse orchestrée par le designer belge Pol Quadens. Ovo Editions, vase Elix, design Pol Quadens.

6

Plat de résistance ■ Après avoir végétalisé les structures en Corian imaginées par Patrick Nadeau, Vertilignes édite à son tour des objets fabriqués à partir de ce matériau, tel ce plateau végétal. Vertilignes, Central Parc, design Mathieu Jacobs.

Pourquoi avoir choisi de réaliser des versions en Corian de certaines de vos créations ? Nous cherchions une alternative au bois, qui, au-delà de ses qualités esthétiques (c’est un matériau noble, naturel et chaleureux) présente certaines contraintes en termes d’entretien. Nous avons abordé différents matériaux synthétiques mais notre choix s’est finalement porté sur le Corian. C’est un matériau noble de par son aspect et sa composition, et il nous paru tout à fait adapté à notre gamme de mobilier. Contrairement aux autres matériaux synthétiques (résines, plastiques…), il est par ailleurs durable et résistant en extérieur ; il ne subit aucune altération dans le temps. Qu’apporte le Corian à un éditeur, en termes d’image de marque ? La qualité et la longévité du produit, utilisé depuis longtemps en architecture, n’est plus à démontrer. Le Corian est un matériau de luxe, très prisé et reconnu pour ses qualités esthétiques et pratiques. Ce qui pousse de grands noms de l’industrie à le soutenir et à le valoriser. L’utilisation du Corian est donc un gage de fiabilité qui s’associe très bien à nos réalisations, à notre souci d’excellence, et par làmême à notre positionnement. Qu’est-ce qui freine encore les autres éditeurs à s’investir dans le Corian ? Le Corian nécessite une certaine technicité dans sa mise en forme, qui est longue et coûteuse. Son prix le rend d’autre part élitiste ; c’est un produit haut de gamme réservé à des fabrications haut de gamme.

extérieurs design I 53


tendance l techno

LE PLASTIQUE Longtemps associé aux meubles de jardin de moindre qualité, le plastique fait son grand retour en version chic et racée. Mais cela en fait-il un ami de la nature ? Producteurs, designers et éditeurs conjuguent en tout cas leurs efforts pour le rendre plus vert. TEXTE DOROTHÉE BÉCART

Biomorphisme cohérent ■ Amoureux de la nature, les frères Bouroullec s’en sont inspirés pour créer la Vegetal Chair. Sa forme arborescente nécessitait un matériau flexible. Le polyamide teinté a finalement été choisi comme matériau unique, pour permettre un recyclage à 100 %. Vitra, Vegetal Chair, design Ronan & Erwan Bouroullec.

128 I extérieurs design

EST-IL VERT ? D

ans les jardins design, on le retrouve partout : fibre tressée, toiles de parasols, tapis outdoor, garnitures de chaises longues... le plastique est au cœur de toutes les tendances. Sa flexibilité inspire les designers et sa résistance aux intempéries enthousiasme les éditeurs. À tel point qu’il a en quelques années éclipsé le teck, matériauphare des années 80 et 90, dont l’image a été écornée par un pillage excessif des forêts et qui, depuis le sommet de Rio en 1992, fait l’objet d’une exploitation très encadrée. S’il a bénéficié du désamour d’un matériau naturel, le plastique est-il pour autant devenu écologique ? Le simple fait de poser cette question renvoie à l’évolution de l’image de ce matériau-vedette de l’après-guerre. Produit issu d’une industrie pétrochimique en sursis à plus ou moins long terme, souvent montré du doigt par les défenseurs de l’environnement parce qu’associé à une civilisation du jetable, il se retrouve régulièrement au cœur des débats. C’est ce qui a conduit de grands éditeurs de mobilier design, comme Vitra, à s’engager dès les années 80 dans le domaine de l’écologie, conscients de l’image négative véhiculée par le plastique. À sa façon, la griffe helvète a toujours pratiqué un design durable, en s’associant avec des créateurs soucieux de créer des produits intemporels et haut de gamme, quelle que soit la matière utilisée. Ainsi, la Vegetal Chair des frères Bouroullec, éditée en 2008, a des allures de classique instantané. Fruit d’une mûre réflexion des deux designers et de l’éditeur, elle anoblit le plastique en l’inscrivant dans un temps d’utilisation long. Une première façon de rendre le plastique plus vert. Mais cela suffit-il ?

extérieurs design I 129


TENDANCE l techno

L’exemple du Batyline De la production au recyclage, le groupe Ferrari évalue à chaque étape les impacts de son activité sur l’environnement et tente de trouver des solutions pour rendre ses produits plus verts.

B

atyline est un textile à base de polyester et de PVC fabriqué par le groupe Ferrari et utilisé par de nombreux éditeurs outdoor, parmi lesquels Ego Paris, Fermob ou Manutti. Le groupe Ferrari sollicite des organismes indépendants pour effectuer des analyses de cycle de vie (ACV), un outil multicritère qui permet de mesurer efficacement l’impact environnemental de la toile. Consommation des ressources, impact sur le réchauffement climatique, toxicité : tout est passé au crible, de la mise en œuvre au recyclage du produit en fin de vie, assuré pour Batyline par un procédé unique, Texyloop. Romain Ferrari, le PDG du groupe éponyme, rappelle à ce sujet que tout ce qui est recyclable n’est pas recyclé et souligne l’importance d’une démarche globale impli-

deuxième vie ■ La toile Batyline usagée est recyclée à l’usine Texyloop, qui possède une technologie unique permettant de séparer le polyester et le PVC qui constituent la toile. Celle-ci entame alors une seconde vie sous l’appellation Batyline R.

quant éditeurs, designers, fabricants, distributeurs et.. consommateurs. Car c’est le comportement du consommateur final qui permet le succès d’un processus de recyclage. Or, celui-ci, même s’il acquiert un produit de qualité, fabriqué pour durer, a le droit de s’en lasser ; « l’éco-efficacité ne passe pas forcément par une punition, concède Romain Ferrari ; quelques fabricants de mobilier et distributeurs engagés travaillent avec notre groupe sur des solutions de démontage et recyclage de la garniture textile Batyline ainsi que de réentoilage des structures avec un textile neuf ou recyclé ». Un projet qui verra le jour courant 2010, et permettra de changer la couleur de sa chaise longue pour suivre la mode d’une saison à l’autre en faisant moins de mal à la planète.

1

1

recyclage assuré ■ Entièrement

réalisés en polyéthylène rotomoulé, les objets design de l’éditeur Qui est Paul ? sont d’autant plus faciles à recycler. On peut même les amener en déchetterie, où le recyclage de ce matériau est pris en charge. Mais il serait tout de même dommage de se séparer de ces icônes design... Qui est Paul ? Sliced Chair et poufs Translation, design A. Gilles.

2

3

de la bobine au jardin ■ La toile

Batyline habille les créations de nombreux éditeurs de mobilier outdoor. La variété de couleurs proposées par le fabricant du textile permet de suivre les tendances d’une saison à l’autre, ce qui a poussé le groupe Ferrari à créer son propre système de recyclage pour revaloriser les toiles dont les coloris seraient passés de mode. Roland Vlaemynck, chaise longue Neptune en toile Batyline.

3

design durable ■ En aluminium et

Batyline, cette chaise pourra être recyclée dès lors que son acquéreur en fera la démarche, grâce à un démontage aisé de ses différents éléments. Fuera Dentro, fauteuil Cima.

130 I extérieurs design

2

L

2

De la production au recyclage

es sites de production de Vitra recourent aux panneaux photovoltaïques et à la géothermie pour limiter leurs émissions de CO2 et intègrent des installations qui permettent de traiter les eaux usées. Des procédés de fabrication, comme le moulage par injection utilisé pour la Vegetal Chair de Ronan et Erwan Bouroullec, évitent le gâchis de matière première et engendrent une diminution du poids des meubles, facilitant leur transport. Chaque étape de la production est scrupuleusement étudiée en termes d’impact sur l’environnement ; une analyse que le groupe Ferrari, qui fabrique notamment la toile Batyline, pousse encore plus loin en imaginant des scénarios de vie, de la production à l’abandon ou au recyclage, de ses produits (voir encadré). Tous les paramètres sont étudiés pour ajuster les modes de production et opter pour les matériaux et les solutions de recyclage les moins lourds pour l’environnement. L’éditeur

Qui est Paul ?, spécialiste des meubles outdoor en plastique rotomoulé, a ainsi abandonné son projet de fabriquer des meubles à partir de biomatériaux (composés de plastique à 60 % et de matières naturelles comme le chanvre ou le maïs à 40 %) : s’ils avaient l’avantage de provoquer un « feeling » naturel et permettaient de limiter la consommation de pétrole lors de leur conception, ils ne pouvaient pas être recyclés en fin de vie et leur impact sur l’environnement était donc plus négatif que les meubles 100 % polyéthylène de la marque, facilement recyclables en déchetterie. Ces études d’impact et ces ajustements montrent la bonne volonté des éditeurs, mais encore faut-il que leurs clients leur emboîtent le pas en changeant leur façon de consommer. Car, comme le soulignent les 5.5 Designers « l’argument écologique devient caduc quand on achète des objets recyclables pour se donner bonne conscience et qu’on les jette après ». extérieurs design I 131


TENDANCE l techno

3 4

1

L

2

Une seconde vie très design

orsqu’il ne termine pas dans une décharge ou dans les entrailles d’un incinérateur, l’objet en plastique recyclable entame une seconde vie parfois étonnante... sous forme de mobilier design. L’éditeur américain Loll Designs crée ainsi des meubles de jardin chics et colorés à partir de HDPE, un matériau issu du recyclage des bouteilles de lait. Greg Benson, le PDG de cette entreprise qui se veut « green », s’explique : « le plastique n’est certes pas considéré comme un matériau “ vert “. Mais il y a, tout autour de nous, une quantité incroyable de plastique qui peut être réutilisé ou recyclé. Le plastique que nous utilisons l’est à 100% ; nous n’en produisons pas, nous utilisons ce qui existe déjà. » Et ce n’est certainement pas un hasard si l’une des icônes de la marque est une réinterprétation en version plastique de la mythique Adirondack Chair dessinée en 1903 par Thomas Lee et star incontestée des terrasses de café et des jardins depuis plus d’un siècle... en version bois ou teck. Cet anoblissement de rebuts du quotidien, l’éditeur Qui est Paul ? l’a poussé plus loin encore. Tout a commencé le jour où le fils de Stéphane Delimoge, son fondateur, a posé à son 132 I extérieurs design

père cette question toute simple de retour de l’école, après un cours sur le tri sélectif : « Mais papa, on fait quoi, avec le plastique recyclé ? » « En guise de réponse, j’ai contacté l’association Les bouchons d’amour et on a créé un fauteuil fabriqué à partir de bouchons de bouteilles en plastique, se souvient le PDG de Qui est Paul ? ; ceux ci apparaissant volontairement dans la structure du fauteuil pour vraiment montrer le résultat du recyclage. » Présenté à Maison et Objet, ce fauteuil « hors série » a rencontré un tel succès que l’éditeur a fini par le mettre en production. Très engagée dans la préservation de l’environnement, l’entreprise réfléchit à une nouvelle écoconception de ses meubles qui permettraient d’y intégrer 50 % de matières recyclées (dans les parties les moins visibles de ses meubles). Loin de rebuter les designers, le plastique recyclé les inspire donc, comme le montre la Meltdown Chair de Tom Price, fabriquée à partir de cordes marines fondues qui apparaissent à l’état brut dans la structure de l’objet. Plus écologique, plus éthique, moteur de créativité pour les designers et les éditeurs, le plastique « vert » est vraiment fantastique !

1

du bouchon au fauteuil ■ Réalisé

à partir de bouchons de bouteilles en plastique recyclés, ce fauteuil ne renie pas ses origines modestes et les affiche même dans sa structure, où les morceaux de plastique recyclé apparaissent, pour sensibiliser ses acquéreurs aux vertus parfois étonnantes du recyclage. Qui est Paul, fauteuil Translation, collection Kylie, design Alain Gilles.

5

2

illusion totale ■ Il a la structure,

la couleur et la texture d’un meuble en bois peint. Pourtant, ce fauteuil double est... 100 % plastique. Mieux : il est fabriqué à partir de HDPE, un matériau issu du recyclage des bouteilles de lait utilisé notamment aux États-Unis. Loll Designs, fauteuil Picket double.

3

classique revisité ■ Les mythiques

4

corde dans le coup ■ Fabriqué

chaises Adirondack vivent une étonnante seconde vie dans cette version en plastique recyclé. Loll Designs, collection Adirondack.

à partir de cordes marines fondues, ce fauteuil d’extérieur à mi-chemin entre le design et l’art contemporain met en valeur, par sa structure même le recyclage d’éléments du quotidien. Outdoorz Gallery, Meltdown Chair, design Tom Price.

5

recyclage au naturel ■ De ce pot en plastique recyclé émerge une jolie plante. Tout un symbole... Loll Designs, jardinière. extérieurs design I 133



stuff46_076-77

15/10/05

17:09

Page 76

Zoom | Nabaztag

Nabaztag,

SHOW LAPIN On l’a à peine vu sortir de son terrier, en juin dernier. Pourtant, quelques semaines plus tard, on se l’arrachait. Le Nabaztag – petit lapin relié à Internet en Wi-Fi – est un véritable phénomène. Portrait d’une icône high-tech en devenir. Textes : Dorothée Bécart Pour partir à la chasse au Nabaztag, nul besoin de s’envoler vers des contrées hostiles et lointaines. Car notre cyber-lapin est né en plein coeur de Paris, dans les bureaux de la société Violet. Le terrier est accueillant : un véritable petit musée de PDA improvisé sur une étagère attire d’emblée l’oeil du technostalgique ; dans la salle de réunion, des gadgets dernier cri côtoient un Mac première génération et un antique poste de télévision. Au milieu de ces objets hétéroclites, nous remarquons très vite la présence de notre hôte, Bunny. Il s’agit du tout premier Nabaztag jamais produit. « On le garde pour le moment, mais dans quelques années, sur eBay, on pourra en tirer un bon prix », plaisante Jean-François Kitten, l’attaché de presse du petit animal. Il faut dire qu’en quelques mois, la descendance de Bunny a connu un succès fulgurant : les 5 000 premières pièces se sont écoulées en quelques semaines, et le nombre de citations sur Google du terme « Nabaztag » (« lapin » en arménien) a bondi d’une dizaine à 125 000 après la mise sur le marché des petits objets kawaï de chez Violet. En 76 | STUFF

septembre, 10 000 nouveaux spécimens ont été mis en vente dans quelques magasins – essentiellement parisiens – et sur le Net, ce qui a permis à l’objet de se tailler une notoriété mondiale en quelques jours. Le Nabaztag... et comment l’avoir Mais qu’est-ce, au juste, qu’un Nabaztag ? La dernière obsession des adulescents ? Un énième gadget pour geeks ? Ne pas se fier aux apparences : car sous ses allures de cousin à grandes oreilles du petit

d’aucune limitation en mémoire. Une fois votre Nabaztag acquis, il s’agira de le « baptiser » en l’enregistrant sur le site. Vous bénéficierez dès lors d’une dizaine de services : Bunny nous a ainsi accueillis en faisant clignoter ses LED en jaune, nous indiquant qu’il ferait beau toute la journée, puis nous avons entendu sa charmante petite voix nous annoncer que la bourse était en légère baisse, et que le périphérique était fluide. Quelques secondes plus tard, ses oreilles se sont mises à bouger :

Un cyber-lapin à l’ascension irrésistible, né en plein coeur de Paris. chat d’Hello Kitty, l’animal cache une foule de fonctionnalités astucieuses et novatrices. Ses oreilles et les LED lumineuses dispersées sur son corps lui permettent en effet de faire passer de nombreuses informations. La créature est aussi dotée de la voix, mais ici, pas d’expressions pré-enregistrées comme sur le RoboSapiens : chaque Nabaztag est relié en Wi-Fi à un serveur, et le nombre de phrases qu’il peut prononcer n’est donc tributaire

apparemment, l’un de ses copains lapin, à Paris ou à l’autre bout du monde, cherchait à se mettre en contact avec lui. La salle s’est alors emplie des premières notes de Ainsi parlait Zarathustra. Sans doute un ami fan de Kubrick a-t-il voulu faire un clin d’oeil au propriétaire de Bunny. Ce petit objet lisse et à la personnalité volontairement en retrait est donc habité d’une véritable âme. C’est la volonté de son papa,

Olivier Mével. Cet ingénieur de formation, qui fut l’un des pionniers de l’Internet en France, considère son bébé-lapin comme le précurseur de toute une gamme d’objets du quotidien dont nous ne pourrons bientôt plus nous passer. Avec la société Violet, il réfléchit déjà à d’autres applications, dans le monde des jouets comme dans le domaine de l’électro-ménager. Et fidèle à l’esprit libertaire du Web, il a d’ores et déjà mis à disposition des interfaces de programmation pour le Nabaztag, afin d’inciter les utilisateurs à faire évoluer eux-mêmes la bête, et d’ouvrir de nouveaux champs d’investigation aux concepteurs d’objets communicants. Pour le moment, Violet est, avec Ambient Devices, l’une des deux seules entreprises au monde à commercialiser des objets communicants. Mais il y a fort à parier que ses lapins vont faire des petits... Nabaztag, 95 euros, www.nabaztag.com En vente notamment chez Robopolis (et sur le site www.robopolis.com), au Printemps Design, chez Colette et à la Fnac digitale (ainsi que sur le site www.fnac.com)


stuff46_076-77

15/10/05

17:10

Page 77

Nabaztag | Zoom

Trois questions à… Olivier Mével, le papa du Nabaztag

L’avis des éleveurs de lapins Mignon, intriguant et attachant : il n’en fallait pas moins pour que le Nabaztag forme autour de lui une véritable communauté. Ses utilisateurs se sont organisés dans deux forums, l’un proposé par Violet (http://fr.groups.yahoo.com/group/nabaztag_api/), l’autre créé par des fans (http://nabaztag.forumactif.fr/). Ces éleveurs de lapins d’un nouveau genre s’échangent leurs impressions et participent au développement des services liés au Nabaztag par leurs suggestions ; mais ils mettent également la main à la pâte en proposant leurs propres applications. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a autant d’utilisations que de possesseurs de lapins. Stéphane, père de famille, s’en sert comme ange gardien pour sa fille de trois ans : « Le lapin s’endort en même temps qu’elle et la réveille le matin en lumière. Elle sait alors qu’il est l’heure de se lever ». Landry l’utilise surtout pour la notification de mails ; mais les « dialogues d’oreille » – deux lapins « mariés » peuvent communiquer entre eux via leurs oreilles : chaque mouvement effectué par l’un des lapins est transmis à l’autre, qui le reproduit, qu’il se trouve à deux pâtés de maison ou à l’autre bout du monde – lui ont permis de faire connaissance avec un autre primo-possesseur de Nabaztag, auquel il signale sa présence sur un logiciel de messagerie par l’intermédiaire d’un code bien précis. Pour Eric, « au-delà de la météo et du réveil-matin, le Nabaztag me permet de communiquer avec mes proches ; il humanise nos échanges. J’adore recevoir les MP3

de mes amis et voir le lapin bouger les oreilles en rythme. C’est autrement plus chaleureux qu’un SMS ». Mais ce nouveau propriétaire n’entend pas se contenter aux fonctions basiques du lapin : Violet a mis à disposition l’API du Nabaztag, et Eric en a profité pour développer sa propre interface. « L’API est un moyen d’envoyer des événements au lapin sans passer par le serveur mis à disposition. J’ai de fait développé une petite interface en flash assez intuitive qui permet d’envoyer un message ou de faire bouger les oreilles du lapin à distance ». De son côté, Landry a interfacé son lapin avec son site Web : « Il me notifie les visites sur mon site et mes lecteurs ont la possibilité d’être prévenus par ce biais de l’arrivée d’une nouvelle playlist sur mon radioblog ». Et ce fondu des lapins de conclure : « Violet joue vraiment le jeu, et c’est très fair-play de leur part, puisque cela peut concurrencer certains de leurs services payants ». Eric, lui, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : « Toute personne ayant la possibilité de faire tourner une application en permanence depuis un serveur s’offre un monde de possibilités ». Ce sont les fous du lapin qui font vivre la petite bête, et Violet l’a bien compris : il est d’ores et déjà possible possible de partager ses MP3 avec toute la communauté en les proposant sur les Nabshares, ou d’envoyer à tous ses amis à longues oreilles des billets d’humeur en créant sa chaîne « Nabcast » ; certains peoples, comme Emmanuel de Brantes et Guillaume Durand, s’il en trouve le temps, ont déjà proposé de diffuser des chroniques par ce biais. Le Nabaztag serait-il un nouveau média en devenir ?

« Le lapin humanise les échanges avec mes proches »

Quelle est la philosophie à l’origine des objets communicants ? Ça vient d’une frustration par rapport à la puissance de l’Internet, qui est longtemps restée cantonnée à l’ordinateur. Aujourd’hui, il y a un vague post-PC avec les Smartphones, les appareils photo numériques et les iPod, qui sont des sortes de petits ordinateurs spécialisés dans une tâche. Mais ils restent périphériques à l’ordinateur ; nos objets en sont complètement indépendants. Depuis l’apparition du Wi-Fi, on a la possibilité de créer des objets du quotidien et de les relier à Internet. On a commencé avec la lampe DAL, qui changeait de couleur en fonction de diverses informations. Elle a suscité une grande curiosité médiatique, mais son prix restait élevé. Avec Nabaztag, nous avons lancé un produit grand public et plus attachant qu’une lampe. Pourquoi un lapin ? Nabaztag est un messager ; il diffuse des informations classiques, mais aussi des messages envoyés par vos amis. Il fallait donc un support assez neutre, qui ait une âme mais pas une personnalité trop présente, comme ç’aurait été le cas avec un lion ou un singe. Le lapin n’est pas trop marqué, et ses oreilles offraient des possibilités intéressantes. Nous trouvions amusant de personnifier un objet high-tech sous une forme douce et dérisoire ; c’est quand même dingue de se dire que dans cette pièce, le truc le plus high-tech est un lapin ! En plus, il est très attachant, et c’était essentiel pour un objet qui s’inscrit dans le quotidien. Le succès du Nabaztag vous inspire-t-il pour l’avenir ? Nous n’étions pas sûrs que ce lapin séduirait le grand public, ou si son succès se cantonnerait aux ados et aux geeks. Aujourd’hui, nous avons tout un boulevard qui se présente : nous avons fait le premier objet grand public de ce type et il y en aura d’autres. On peut imaginer que les puces Wi-Fi séduiront les utilisateurs d’électro-ménager, ou pourront se retrouver dans des jouets... Mine de rien, nous sommes sur des concepts de domotique, sans le côté angoissant de la chose. Nous le faisons avec une certaine poésie. STUFF | 77


DEMAIN…

QUESTIONS

À

David Jackson

directeur marketing chez E Ink Quelles sont les différentes applications de l’E Ink ? Dans un premier temps, notre technologie se posera en solution alternative aux écrans classiques là où ces derniers pèchent, c’est-à-dire en terme de lisibilité. Cela devrait donner second souffle aux e-books et engendrer le développement des e-newspapers. Mais vous retrouverez notre technologie à votre poignet (N.D.L.R. : Seiko a d’ores et déjà fabriqué sa montre E Ink, la Spectrum, vendue en série limitée au Japon ; voir notre cahier du futur dans le n° 43 de Stuff), sur les panneaux d’affichage, et sur les écrans de vos mobiles. Pourquoi l’E Ink part-il à l’assaut de la presse ? La technologie d’affichage que nous proposons approche, qualitativement, le papier imprimé. Elle le surpasse même en terme de contraste. Par ailleurs, elle n’est pas gourmande en énergie, en tout cas bien moins que les écrans LCD, OLED ou plasma : elle n’utilise qu’1/100 à 1/1000 de l’énergie qu’ils consomment, car elle ne recourt pas au rétro-éclairage, et affiche des images statiques, sans avoir besoin de dispositifs particuliers pour la maintenir comme les écrans « classiques ». Elle offre donc la possibilité de créer des supports de lecture munis de petites batteries, réduisant de fait leur poids et leur taille. Légers, nomades, ils offriront toutes les caractéristiques des journaux, avec en plus un contenu vivant, qui se réactualisera en temps réel. Pour l’instant, l’E Ink n’offre que l’affichage en noir et blanc. À quand la couleur ? Nous sommes en train de développer le Color E Ink, mais il faudra attendre notre annonce officielle pour en savoir plus (N.D.L.R. : un prototype réalisé en partenariat avec la société Toppan a toutefois été présenté au public en octobre 2005, voir page suivante).

E-PAPER

Texte Dorothée Bécart Illustrations : Emmanuelle Neyret / Photos : DR

lejournal de demain C’est peut-être la fin de l’ère Gutenberg : le papier électronique pourrait provoquer, à plus ou moins long terme, la disparition de l’encre et du papier traditionnel. Le point sur une révolution qui va changer en profondeur le visage de la presse.

C’est un rituel auquel Luc se plie tous les matins : principales réticences que les accros au café/clope/ journal du matin opposent à la disparition du papier. à peine sorti du lit, il descend acheter son Et pourtant, le papier électronique, ou e-paper, est quotidien préféré au kiosque du coin et s’accoude l’une de révolutions technologiques les plus attendues. au zinc du café où il a ses habitudes, pour « En fait, le papier électronique ou l’encre électronique commenter l’actualité autour d’un expresso. « Au travail, on m’appelle “Luc les mains noires” » viennent d’un besoin assez ancien, remontant à trente ou quarante ans, d’avoir un papier qui plaisante le jeune trentenaire. Quand on lui parle « L’encre numérique est à la différence du papier traditionnel serait réinscriptible, communiquant » d’un journal électronique, constituée de millions analyse téléchargeable sur un Bruno Rives, fondateur dispositif nomade – et, de l’observatoire Tebaldo, spécialisé de microcapsules. » accessoirement, qui ne salit dans les nouvelles technologies. pas les doigts –, Luc se braque : « Lire sur un écran, Le développement des nanotechnologies a accéléré le mouvement, rendant possible la création d’une encre c’est fatigant. Et puis mon journal, je le plie, je le roule, numérique constituée de millions de microcapsules, de je l’écrase au fond de mon sac à dos si je veux ; l’épaisseur d’un cheveu, dont le comportement varie je n’ai pas envie d’y faire attention comme à mon en fonction des charges électriques qu’on leur applique iPod, je suis assez malade comme ça quand il se prend (voir schéma). Xerox, grand acteur de l’impression, une rayure ». En quelques phrases, Luc a exprimé les

L’encre électronique est composée de millions de microcapsules du diamètre d’un cheveu, emprisonnées dans un film. Chaque capsule contient autant de particules noires que de particules blanches. Quand un courant

négatif leur est appliqué, les particules blanches remontent en surface, se rendant visible. Les particules noires font de même quand un courant positif est appliqué. Avec l’E Ink, « tourner » une page prend une seconde.

82 | www.stuffmag.fr

Stuff56_082-84_Epaper.indd 82

18/09/06 19:04:58


DEMAIN…

www.stuffmag.fr | 83

Stuff56_082-84_Epaper.indd 83

18/09/06 19:05:00


DEMAIN…

QUESTIONS

À Bruno Rives

fondateur de Tebaldo, conseiller des Échos Les Échos est le premier journal français à se lancer dans le papier électronique. Où en sont les tests ? En mars dernier, nous avons montré à quelques abonnés une version des Échos sur le LIBRIé de Sony. Nous avons travaillé sur une maquette, un prototype de ce que pourrait être le quotidien sur un petit format. Nous allons déployer une première offre pour les abonnés des Échos d’ici la fin de l’année. Aucun reader n’a encore été sélectionné, mais il est possible que nous en choisissions plusieurs. Le support flexible de Plastic Logic ne sera hélas pas prêt pour nos tests. Le quotidien économique belge De Tijd n’a pas revu sa mise en page pour son édition en papier électronique. Ce n’est pas l’option choisie par Les Échos. Pourquoi ? C’est assez frustrant de devoir se contenter d’un PDF en format réduit, quand on peut ajouter du son, personnaliser son information en s’abonnant à des flux RSS, alimenter en direct certaines rubriques comme le courrier des lecteurs… Dans le cas des Échos, l’idée est de proposer un média nouveau, en complément du quotidien. Il pourra être lu comme l’édition classique mais proposera d’autres contenus, par exemple l’accès direct à l’annuaire des dirigeants… D’après vous, le papier électronique va-t-il s’imposer rapidement auprès du grand public ? De grands acteurs s’apprêtent à sortir leurs produits. On restera sans doute sur du rigide pendant un certain temps, car les problèmes de fragilité et de stabilité de l’encre n’ont pas été résolus sur les supports flexibles. Pour ce qui est du contenu et de l’engouement du public, je pense qu’il va y avoir un phénomène à la iPod : Google commence à distribuer de la littérature libre de droit, et on trouve aujourd’hui des livres en peer-to-peer, comme autrefois des fichiers audio. À terme, des acteurs du marché qui vendent énormément de livres auront intérêt à ce que vous ayez le lecteur… Il est déjà question d’un reader gratuit.

Europe, offrant à 200 lecteurs la possibilité de tester a présenté un prototype d’écran recourant à une encre une version électronique du journal sur l’iLiad, de cet acabit, le Gyricon, dès la fin des années quatreune tablette développée par iRex, filiale de Philips. vingt-dix. Plus étonnant, Bridgestone, le géant du pneu, En France, Les Échos devrait très prochainement travaille depuis 2002 à l’élaboration d’une poudre ultracommencer ses tests, auprès de 500 à 1 000 abonnés fluide, l’Electronic Liquid Powder. À côté de ces poids lourds, attendus ou non sur ce créneau, la société E Ink, (voir entretien ci-contre). fondée en 1997 par des petits génies du MIT, semble Alors, le journal électronique (ou e-newspaper) avoir pris une longueur d’avance, moins sur le plan va-t-il bientôt arriver dans nos poches ? Les dispendieux technologique que grâce à ses partenariats avec des supports de Sony et de Philips, qui seront les premiers grands noms de l’électronique comme Philips ou Sony, à être commercialisés, résisteront mal au traitement de qui ont développé des readers utilisant l’E Ink (voir choc que Luc fait subir à son canard favori. Et le papier encadré ci-dessous). Chacun électronique flexible, développé semble fourbir ses armes pour « La première affiche e-paper entre autres par Plastic Logic, n’est s’imposer sur le marché tout encore totalement au point. à été dévoilée à Paris pas juste naissant des journaux Sans compter que E Ink, qui équipe électroniques nomades. le 13 septembre dernier. » de nombreux supports, est encore Car si l’encre électronique à l’heure du noir et blanc, bien que commence à s’immiscer dans nos vies quotidiennes le passage à la couleur soit envisagé prochainement. – la première affiche utilisant le papier électronique Malgré tout, le patron d’E Ink Corporation a été dévoilée le 13 septembre dernier, à Paris, tandis reste optimiste ; il prévoit, d’ici 2015, le remplacement que des écrans en e-paper vont bientôt équiper les total des journaux en papier traditionnel par des rames de métro d’Hambourg, en Allemagne, pour e-newspapers. Il faut s’y faire : bientôt, vous ne pourrez diffuser des informations aux voyageurs – elle ne prend plus afficher la Stuffette du mois au mur… pas l’aspect « palpable » d’un bon vieux journal, celui qui salit les doigts de Luc tous les matins. Partout * Tebaldo est un observatoire stratégique des dans le monde, des groupes de presse commencent tendances et usages des nouvelles technologies, pourtant à s’y intéresser de très près. C’est le quotidien qui travaille actuellement à une version en papier économique belge De Tijd qui a ouvert le bal en électronique du quotidien économique Les Échos.

La bataille des readers a commencé Deux géants des loisirs numériques ont placé leur pion sur l’échiquier de l’e-paper. Philips, par le biais de sa filiale iRex, a développé l’iLiad (1), un lecteur basé sur l’E Ink, et choisi par le quotidien belge De Tijd pour ses premiers tests. Commercialisé à 649 euros (!), il permet, outre la lecture de journaux ou d’ouvrages, de prendre des notes, voire de remplir des formulaires à la main avant de les expédier via le Web. Un peu échaudé par le semi-échec de ses eBook, Sony a toutefois tiré profit des avancées offertes par l’E Ink dès 2004 avec la gamme des LIBRIé, sortis uniquement au Japon au prix de 365 euros. Lors du CES 2006, la firme nippone a présenté un reader semblable, cette fois-ci tourné vers le marché américain, et potentiellement européen, le PRS-50 (2) ; mais sa sortie se fait encore attendre, outre-Atlantique comme dans nos contrées… Parmi les projets d’écrans flexibles, on trouve le Gyricon, de Xerox (3), et les essais de la firme britannique Plastic Logic (4). Enfin, les encres électroniques de Bridgestone et E Ink devraient bientôt s’affronter sur le terrain de la couleur : le géant du pneu a présenté, en juin dernier, un prototype d’écran couleur, le QR-LPD (5), tandis que la firme américaine a travaillé avec Toppan sur le prototype Gutenberg (6) présenté il y a un an. Il prend la forme d’un écran 12-bits (83 pixels par pouce).

84 | www.stuffmag.fr

Stuff56_082-84_Epaper.indd 84

18/09/06 19:05:09


?7>C> ?A8=C4AB BD224BB BC>AH

LACIE

4= 1>==4

2><?06=84 Texte DorothĂŠe BĂŠcart Photos IvanoĂŤl Barreto

ÂŤ Les disques durs externes, c’est sexy! Âť Il y a encore quelques annĂŠes, cette phrase aurait fait ricaner‌ Entre-temps, LaCie a dynamitĂŠ le monde austère des pĂŠriphĂŠriques. RĂŠcit d’une ascension‌ made in France!

Les geeks ne sont dĂŠcidĂŠment plus ce qu’ils ĂŠtaient : on les imaginait enchaĂŽnĂŠs Ă de grosses tours beiges, et les voici qui se baladent en costume Armani, Ă peine dĂŠformĂŠ par le disque dur Porsche logĂŠ dans leur poche. Pendant ce temps, les geekettes assortissent leur garde-robe Ă leur Skwarim, sorte de bloc de Post-it rose fluo qui contient‌ 30 Go de donnĂŠes. Une rĂŠvolution est passĂŠe par lĂ : celle de LaCie, fabricant français de pĂŠriphĂŠriques de stockage. L’histoire de LaCie commence au fond d’un bar branchĂŠ, Ă la fin des annĂŠes 1980. Ă€ l’Êpoque, Philippe Spruch, après une courte et brillante carrière dans le nĂŠgoce international, vend des micro-ordinateurs en costume-cravate. Sa clientèle se limite alors aux grandes entreprises françaises, mais le dĂŠbonnaire Alsacien sent que l’informatique est Ă l’aube d’un âge d’or. Il lui reste toutefois Ă trouver sa voie‌ Un Allemand sorti d’une rutilante dĂŠcapotable s’accoude au zinc et le tire de sa rĂŞverie. Il rĂŠvèle Ă Philippe Spruch qu’il est en train de faire fortune avec son partenaire, Formac,

un fabricant de disques durs.  À force de l’entendre m’expliquer à quel point c’Êtait facile à faire, je me suis dit que j’avais enfin trouvÊ le bon crÊneau.  L’ ancêtre  de LaCie, Électronique D2 (pour Disque Dur), dÊmarre en 1989. Bientôt lassÊ d’être entourÊ de grosses boÎtes à chaussures, Philippe Spruch, sur un coup de tête, en expÊdie un carton

ÂŤ Sur un coup de tĂŞte, il expĂŠdie un carton entier de disques durs chez Philippe Starck. Âť entier chez Philippe Starck, avec pour tout accompagnement un mot griffonnĂŠ Ă la hâte (ÂŤ Monsieur Starck, voilĂ la m‌ que nous fabriquons, pouvez-vous nous aider ? Âť), et un numĂŠro de tĂŠlĂŠphone. Ă€ peine une heure plus tard, le designer appelle, croyant d’abord Ă une plaisanterie, puis accepte de relever le dĂŠfi. Et de fort belle manière : le K1

(prononcez CaĂŻn), nommĂŠ ainsi en rĂŠfĂŠrence au gros Ĺ“il bleu qui en orne la façade, est d’emblĂŠe propulsĂŠ au rang d’icĂ´ne informatique. ÂŤ Tous les fabricants de disques durs externes faisaient des boĂŽtes en tĂ´le carrĂŠes, au format exact des Mac de l’Êpoque, se souvient Philippe Spruch. C’Êtait avant tout utilitaire. Avec Starck, nous avons clairement tentĂŠ le diable ! Âť Une audace rĂŠcompensĂŠe puisque, quatre ans plus tard, en 1995, Électronique D2 absorbe LaCie, une sociĂŠtĂŠ amĂŠricaine au positionnement similaire. Si l’entreprise fondĂŠe par Philippe Spruch perd au passage son nom, elle gagne en notoriĂŠtĂŠ sur le continent amĂŠricain tout en conservant une forte identitĂŠ europĂŠenne. La marque multiplie les collaborations avec des designers de renom, de Christophe Pillet Ă Karim Rashid en passant par Ora-Ito, le jeune prodige français qui a rĂŠcemment signĂŠ les disques durs Brick en forme de Lego. LaCie signe ĂŠgalement quelques jolis succès en collaboration avec FA Porsche Design, dont un très classieux lingot en magnĂŠsium

$! k fff bcdUU\PV Ua

052-053-sucess.indd 52

15/05/06 23:14:40


BD224BB

que Philippe Spruch a pensĂŠ, un temps, dorer Ă la feuille d’or pour sĂŠduire les Asiatiques, friands d’objets clinquants. ÂŤ Étant donnĂŠ que nous sommes dix fois moins nombreux qu’eux, on va dire que c’est nous qui avons mauvais goĂťt Âť, plaisante le P.-D.G. de LaCie, rappelant au passage son attachement aux designs simples et ĂŠpurĂŠs des Scandinaves. ÂŤ Philippe part avec des flashs, des idĂŠes, explique Marie, chef de produit. Aux designers de dessiner la boĂŽte autour. Âť En misant gros sur le design, LaCie brise l’image austère des fabricants de hardware. De quoi attirer encore davantage le grand public, qui ne craint plus d’acheter des pĂŠriphĂŠriques depuis l’avènement de l’USB. ÂŤ Quand on conçoit un produit, la première chose que l’on a en tĂŞte, c’est la faisabilitĂŠ technique. La seconde, c’est l’utilisateur final, reconnaĂŽt Gilles, ingĂŠnieur au siège parisien. Dès que quelqu’un nous dit : “ LĂ , je ne comprends pas â€?, nous faisons demi-tour. Âť Et si la marque a autant fait parler d’elle en s’associant avec Porsche, c’est aussi bien grâce au design ĂŠpurĂŠ du boĂŽtier qu’à sa simplicitĂŠ d’utilisation : ÂŤ Nous avons tellement travaillĂŠ l’interface, se souvient Philippe Spruch, que les clients ont cessĂŠ de nous appeler pour demander comment faire fonctionner le produit. Âť L’objet, hype et simple,

se vend comme des petits pains, tandis que le chiffre d’affaires de LaCie double. Depuis, l’entreprise continue son petit bonhomme de chemin, et la stratĂŠgie de Philippe Spruch est claire : ne pas avoir peur de viser des niches de consommateurs dĂŠdaignĂŠes par les autres marques. ÂŤ Lorsque nous faisons un boĂŽtier rose, nous divisons notre marchĂŠ par deux, analyse le P.-D.G. de LaCie. Mais nous allons aussi chercher une clientèle dĂŠlaissĂŠe, que nos concurrents n’arrivent pas Ă toucher. Âť Et cette tactique se rĂŠvèle payante en terme d’image : ÂŤ Si nous ne rĂŠalisons pas des ventes phĂŠnomĂŠnales sur un produit comme le Skwarim, nous faisons tout de mĂŞme parler de nous Âť, remarque Nolwenn, chef de produit. Le prochain dĂŠfi de LaCie sera sans doute le plus complexe Ă relever : la marque se lance en effet dans les disques durs en rĂŠseau, un marchĂŠ que se disputent dĂŠjĂ des gĂŠants comme Seagate, Cisco ou Sony. ÂŤ Au fur et Ă mesure de notre ĂŠvolution, nous sommes passĂŠs de grand parmi les petits, Ă petit parmi les grands, constate Philippe Spruch. Tant mieux : nous allons retrouver la souplesse de nos dĂŠbuts. Âť Tenace et combative, l’Êquipe de LaCie n’est pas près de nous fausser compagnie‌

BC>AH

BRIQUES ET CARTES ORANGE DÊcidÊment, LaCie donne des couleurs aux ternes rayons consacrÊs aux pÊriphÊriques de stockage. Après les briques de construction signÊes Ora-Ito, la marque sort les Skwarim, minidisques durs de 30 et 60 Go, dÊclinÊs en rose fluo et bleu turquoise. Cette crÊation du designer New-Yorkais Karim Rashid devrait faire fureur dans les sacs à main ! Autre nouveautÊ : le LaCie Rugged, disque dur tout-terrain protÊgÊ par une coque antichoc et dessinÊ par Neil Poulton. LaCie propose Êgalement des pÊriphÊriques de stockage plus  lÊgers , comme la Carte Orange, qui renferme 8 Go dans un boÎtier fin comme un nano, mais Êgalement des Êcrans rÊservÊs aux professionnels de la PAO et des graveurs de DVD.

fff bcdUU\PV Ua k $"

052-053-sucess.indd 53

15/05/06 23:14:57


MA VISION ma vision DU du FUTUR futur

Interview Dorothée Bécart Photos D.R.

MA VISION De…

l’internet Le dernier ouvrage du futurologue Joël de Rosnay est consacré à l’Internet. Quelle est sa vision de la Toile à court et long terme ?

Joël de Rosnay Docteur ès Sciences, Préside nt exécutif de Biotics International et Conseiller du Président de la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette dont il a été le Directeur de la Pro spective et de l’Évaluation jusqu’en juillet 2002, Joël de Rosnay a longtemp s été chroniqueur scientifique sur Europe 1. Il est également l’auteur de nombreux ouvrages de prospectives, dont le dernier, La Révolte du pronétariat, (coécrit avec Carlo Revelli) s’interroge sur l’avènement d’un cinquième pouvoir, celui des médias des masses qui prolifèrent sur le Web. Blogs, Wikis, Moblog : tout y passe…

Votre livre utilise la rhétorique de la lutte des classes pour décrire le combat existant entre « pronétaires » et « infocapitalistes ». Mais cela suppose un monde hyperconnecté : la vraie fracture ne se situerait-elle pas entre les connectés et les non-connectés ? Il y a évidemment coexistence des deux types de fractures. Mais il est possible que la « lutte des classes » entre pronétaires et infocapitalistes soit moins dure que celle, traditionnelle, décrite par Marx pour le monde du travail. En effet, « l’empire contre-attaque » dans un premier temps, puis… collabore. Pour ce qui concerne les connectés et les non-connectés, c’est à la fois un problème économique (pouvoir se payer le matériel, les connexions) et culturel : les fractures existent aussi entre les générations. Pourtant, l’hyperconnexion se propage dans des pays jadis défavorisés. Pour preuve : l’essor des téléphones portables, des antennes de télévision par satellite et des accès à Internet, par exemple en Amérique du Sud, en Afrique du Nord ou en Chine. De la même manière, ne sommes-nous pas inégaux face au flot d’informations qui nous submerge ? Vous évoquez la nécessité d’un « bagage cognitif » et le défi éducatif que cela implique pour l’avenir… On peut se protéger de l’« infopollution », mais tout le monde n’en est pas encore capable, faute de connaître les méthodes adaptées. Il s’agit d’offrir à chacun les bases d’une « diététique de l’information », c’est-à-dire d’éviter les phénomènes de boulimie et ne garder de cet excès d’information

que les ingrédients essentiels à l’épanouissement personnel et professionnel. Par ailleurs, face aux phénomènes de rumeurs et de désinformation, chacun devra apprendre à être vigilant, à comparer, discuter et recouper les sources. Vous évoquez l’expérience de deux sénateurs qui ont donné la possibilité à des internautes d’intervenir dans la rédaction d’un projet de loi. Imaginezvous une sixième République intégrant explicitement l’internaute à la démocratie ? Les citoyens sont en train d’inventer une nouvelle démocratie : non pas une « E-démocratie »caractérisée par le vote à distance via Internet, mais une démocratie s’appuyant sur les médias des masses. Infocapitalistes et politiques en saisissent encore mal les enjeux. C’est l’espoir d’une forme de démocratie participative. Je ne dis pas qu’on va obligatoirement y parvenir, mais le phénomène des blogs, des forums, des journaux citoyens, des « wikis », montre que la participation, la cogestion, la corégulation citoyennes, espoirs de nombreux politiques au cours des dernières décennies, trouvent de nouvelles formes et voies d’expressions pronétariennes. Vous comparez le Web au cerveau humain et prévoyez l’avènement d’un macroorganisme planétaire, avec mise en réseau des intelligences humaines. Si Internet est aujourd’hui capable de répondre à bon nombre de questions, pensez-vous qu’il puisse, à terme, avoir une conscience ? Les hommes construisent « de l’intérieur »,

46 | www.stuffmag.fr

stuff52_046-47.indd 46

14/04/06 20:02:23


ma vision du futur

du futur un macro-organisme planétaire, une sorte de cerveau dont nous devenons les neurones, des millions d’usagers, de pronétaires, contribuent à enrichir ce meta-ordinateur parallèle que l’on appelle aujourd’hui Internet ou le Word Wide Web. Bien au-delà de ce que l’on appelle aujourd’hui « l’opinion publique » que mesurent régulièrement les sondages et bien au-delà de ce que Jung, après Freud, appelait la « conscience collective », on voit peut-être émerger une « co-conscience collective réfléchie ». À un moment donné, il est fort possible que le système global de communication que nous avons « exporté » de nous-même, extériorisé de notre corps, prenne conscience et se pose cette grande question : qui décide, pour faire quoi, pour aller où ? Cette co-conscience collective peut rester en lutte en son sein et donc devenir schizophrène. Elle peut aussi allier ses ressources autour de grands desseins de l’humanité. Si oui, la question est de savoir lesquels… Est-ce que l’intelligence artificielle à laquelle nous rêvons tous, ça ne serait pas cela ? Le terme « d’intelligence artificielle » me paraît mal adapté. Qu’est-ce que l’intelligence artificielle alors qu’on ne sait pas encore définir – et a fortiori transférer à une machine – l’intelligence naturelle ? La créativité humaine dépend de nombreux facteurs. On sait notamment que les outils de traitement, de stockage et d’échange d’informations peuvent contribuer à accroître la créativité et l’innovation. Il faudrait donc plutôt parler, à mon avis, d’intelligence « répartie » ou d’intelligence « collective ». Dans ce cas, oui : l’intelligence répartie dans de nombreux outils de communication ou l’intelligence collective catalysée par les échanges sur Internet, peuvent rendre l’homme plus créatif. Des chercheurs

en font la preuve quotidiennement. Internet et surtout l’Internet mobile (le MobilNet) catalysent ces nouvelles formes d’intelligence collaborative, comme l’a souligné Howard Rheingold dans son livre Smart Mobs. Concrètement, à quoi, selon vous, ressemblera l’interface permettant l’accès au Web, demain ? Est-il possible qu’elle soit intégrée au corps humain ? Avec le Wi-Fi et prochainement le Wimax, on est en train de construire une Toile sans fil, qui connecte déjà entre eux, et à haut débit, les PDA, les Pocket PC et les téléphones portables. Parallèlement, des recherches autour du thème de la biotique – fusion de la biologie et de l’informatique – explosent actuellement

« Internet est comme un cerveau dont nous devenons tous les neurones. » dans des dizaines de laboratoires dans le monde en particulier grâce à l’essor des nanotechnologies. À terme, ces recherches pourraient donner naissance à des circuits électroniques moléculaires et rendre possible le développement d’interfaces bioélectroniques entre l’homme, les ordinateurs et les réseaux. Des chercheurs sont parvenus à communiquer avec leur environnement et à être reconnus par des systèmes de sécurité grâce à une puce implantée dans le bras ! Quels autres « objets intelligents » directement liés à la révolution pronétaire pourraient, selon vous, voir le jour ? On peut imaginer des vêtements intelligents

dotés de capteurs biologiques permettant de transmettre par Bluetooth ou Wi-Fi des bilans de santés réguliers d’une personne âgée. Couplés au GPS, ils pourront par exemple permettre de signaler sa position aux ambulances en cas de malaise. Ce type de convergence esquisse l’infrastructure informatique du futur. Comment voyez-vous, aujourd’hui, les quelques tentatives de construire des objets tels que Nabaztag, lampe DAL, etc. ? Ces objets me paraissent un peu « gadgets » ! Je crois plus à l’importance de ce que l’on appelle les BMI (Brain Machine Interfaces) ou BAT (Brain Activated Technology). Nous n’avons encore rien vu dans nos relations symbiotiques aux machines. Les quinze prochaines années vont connaître une accélération sans précédent. Le temps n’est pas linéaire. Il est plus « dense » du présent vers le futur que du présent vers le passé. Les vingt années à venir seront peutêtre équivalentes en « densité temporelle » aux deux siècles passés. L’accélération du temps va faire des BMI un des grands thèmes du futur pour la communication avec les machines. Mais attention : ce qui va du corps humain vers la machine pourra également aller de la machine vers nous. On sait déjà créer des environnements propices à la sécrétion de certaines hormones dans le corps, en particulier, pour favoriser la production d’hormones d’équilibre et de bien-être. Un individu pourrait ainsi être plongé, sans le savoir, dans un environnement où il se sentira si détendu qu’il sera susceptible de signer un contrat sans le négocier ! Ces nouvelles interfaces « biotiques » sont donc riches de promesses, mais aussi lourdes de dangers. À nous de savoir nous informer pour construire notre avenir de manière responsable, plutôt que de le subir. www.stuffmag.fr | 47

stuff52_046-47.indd 47

14/04/06 20:02:35


DEMAIN…

LA GUERRE DES NORMES

Texte Dorothée Bécart Illustrations Emmanuelle Neyret Photos : DB / DR

Mobiles

à tout faire ! Il contestait déjà la suprématie de votre iPod et de votre appareil photo. Voilà qu’à présent le téléphone mobile s’apprête à remplacer vos tickets de bus et votre carte de crédit ! Stuff a enquêté sur cette nouvelle révolution à l’étrange nom de code : le « sans-contact ».

L’histoire encore toute jeune du sans-contact n’a pas été un long fleuve tranquille. Dans un premier temps, Sony a fait cavalier seul au Japon avec l’I-mode Felica, adopté aujourd’hui par 25 millions d’abonnés mais non exportable hors du marché nippon. Sony et Philips, à travers sa filiale NXP ont les premiers mis au point « leur » standard international de sans-contact, le NFC (Near Field Communication), très fermé et destiné à ne fonctionner qu’avec des interfaces radio propriétaires, bientôt rejoints par d’autres grands noms comme Nokia ou Microsoft au sein du NFC Forum. Inside Contactless, PME française, a fini par s’imposer dans ce concert de grandes marques avec « son » NFC, l’eNFC (pour Enhanced Near Field Communication), compatible avec des interfaces préexistantes – comme les bornes Navigo du métro parisien –, ce qui laisse espérer un lancement plus rapide et moins fastidieux des nouveaux services liés au mobile, tout au moins en France. Présent sur toutes les expériences pilotes en France, mais aussi en Chine, Corée du Sud, Malaisie, Taïwan et bientôt aux USA, le « sans contact à la française » d’Inside Contactless vise donc à l’universalité, et est notamment inclus dans le mobile sans-contact développé par Sagem. Il propose en outre des services supplémentaires, comme le « Smart Poster », affiche intelligente qui dialogue directement avec le téléphone.

Depuis cet automne, une partie des Strasbourgeois avant le lancement à grande échelle de ce service, prévu pour fin 2008. s’est muée en une étrange faune dyslexique qui, Pendant ce temps, à Grenoble, le Sagem My700xi au moment de régler ses achats, sort, en lieu fait office… de ticket de bus ! Après une expérience et place sa carte de crédit, son téléphone mobile ! Et le pire, c’est que les commerçants de la capitale parisienne menée avec la RATP, Bouygues Télécom alsacienne s’en émeuvent à peine. Bien au contraire, teste son ticket mobile, ou plutôt son mobile-ticket, ils encouragent ce vice insolite en leur tendant un sur le réseau de transport urbain grenoblois. À Paris, terminal de paiement à l’allure futuriste. De paisibles le téléphone – un NEC 401i équipé d’une puce NFC – Strasbourgeois venus chercher un simple tube permettait d’acheter ses tickets à tout instant via Id’aspirine à la pharmacie de l’Homme de fer ont mode. Il suffisait alors de passer le mobile au-dessus même envisagé un traitement plus sérieux quand ils des bornes Navigo pour débloquer le portillon, comme ont constaté, médusés, que le patron de l’officine des millions de Parisiens le font quotidiennement avec acceptait sans broncher cette transaction conclue en leur passe. « On a eu un retour clients excellent, avec quelques secondes, sans monnaie, sans chèque, sans un taux d’adhésion qui dépasse les 90 % » carte de crédit, et sans… contact ! s’enthousiasme Laurent Jullien, le directeur des services sans-contact de Bouygues Telecom. Le test grenoblois Pas moins de 105 commerçants de la région propose, en plus, de faire du mobile un véritable participent à cette surprenante expérience pionnière, système d’information en temps qui permet à quelques privilégiés de payer grâce « Au Japon, on achète déjà réel : les voyageurs munis de leur à leur téléphone portable, sans-contact sont informés son soda au distributeur portable un Sagem My700XI muni des perturbations, et peuvent même d’une puce et d’une antenne obtenir des informations avec son mobile. » NFC (voir encadré ci-contre), contextuelles en le pointant vers… la carte bancaire étant intégrée à la carte SIM du une affiche intelligente ! Une technologie « made in téléphone. Il suffit de le présenter à 5 centimètres France », développée par une PME promise à un bel d’un lecteur prévu à cet effet, de saisir son code, puis avenir : Inside Contactless. « Dès qu’il y a des menus, de le présenter une seconde fois pour conclure la ça fait chuter le taux d’usage des applications, transaction. Tellement simple et fun qu’Anne-Marie, constate Philippe Martineau, le vice-président exécutif l’une des 200 « cobayes » de cette opération – menée NFC de l’entreprise. Au bout de trois clics, on a perdu tout le monde. Là, je passe mon mobile sur un logo qui conjointement par le Crédit mutuel, la CIC, SFR et NRJ me dit qu’il y a un service. Ce simple geste va lancer Mobile – y a pris goût, au point d’y sacrifier certaines l’application correspondante ». de ses petites habitudes : « Je vais chercher mon Car toutes les applications qui découlent du sans-contact sandwich dans un point de vente équipé plutôt que participent de la même philosophie : la recherche de dans ma boulangerie préférée ». Les réticences des la simplicité. Un petit coup d’œil vers le Japon, qui utilise utilisateurs s’envolent vite à l’usage : « C’est plus sûr cette technologie à grande échelle depuis 2004 avec qu’une carte bancaire ; le système de cryptage va plus la norme Felica promue par NTT DoCoMo (voir encadré loin ; et puis, on ne se sépare pas du téléphone ci-contre), donne un avant-goût de ce que nos mobiles pendant la transaction » assure Bernard Sadoun, pourront bientôt faire. Là-bas, il est en effet tout naturel responsable des relations extérieures du Crédit Mutuel d’acheter son soda préféré en passant son mobile Centre-est Europe. En octobre, la capitale européenne devant le distributeur ; de collecter les points de fidélité sera rejointe par Caen. Cette fois-ci, ce sont tous les opérateurs téléphoniques français et plusieurs banques en passant son portable devant des bornes prévues à cet qui joindront leurs efforts pour cette dernière étape effet ; et les businessmen pressés peuvent télécharger

36 | www.stuffmag.fr

Stuff63_036-38_DOSSIER_Mob.indd 36

20/04/07 20:07:14


DEMAIN…

Mais en fait, c’est quoi, le sans-contact ? C’est le terme générique qui désigne les technologies se situant à mi-chemin entre les balises RFID et les réseaux sans-fil (Bluetooth ou Wi-Fi). Déjà présent sur des badges d’accès ou des cartes de transport comme le passe Navigo à Paris, le sans-contact fonctionne à faible distance, en mode point à point, ce qui permet d’effectuer des échanges de données en toute sécurité. Depuis 2004, des expérimentations sont menées pour intégrer le sans-contact aux téléphones mobiles.

www.stuffmag.fr | 37

Stuff63_036-38_DOSSIER_Mob.indd 37

20/04/07 20:07:36


DEMAIN…

UNE JOURNÉE À STRASBOURG Ville pilote du paiement par mobile

Arrivée à Strasbourg. Dans la première boulangerie où j’entre s’affichent les deux fiertés de la ville : le fameux Bretzel et un terminal de paiement sans contact.

Chez plusieurs commerçants du centre-ville, je repère l’écriteau « Ici, on paie avec son mobile ». À ce jour, 105 commerçants se sont équipés du terminal de paiement : fleuristes, coiffeurs, restaurateurs…

Même les bonnes tables strasbourgeoises sont équipées. À la Taverne du sommelier, le terminal de paiement a quelques ratés ; mais les cafouillages sur le terrain servent aussi à améliorer le système avant sa mise en place à grande échelle…

À la pharmacie de l’Homme de fer, je tends le mobile à 5 cm du lecteur. De suite, le prix de mon aspirine s’affiche sur mon écran. Je saisis mon code et repasse mon mobile devant le lecteur. Pas de quoi avoir mal au crâne !

la « clé virtuelle » de leur chambre d’hôtel sur leur expérimentations menées de concert avec Visa téléphone ! Posséder un téléphone-couteau suisse n’est – qui ont abouti, au dernier CES de Las Vegas, à la présentation d’une plate-forme de paiement complète évidemment pas dénué d’inconvénients. En cas de vol, – Nokia commercialise déjà son propre modèle, le l’utilisateur perd, en plus de son téléphone, sa carte 6131NFC, dans certains pays européens. Chez Sagem, bancaire, ses cartes de fidélité et ses titres de transport. on assure être prêt : « On pense être bien placés « Perdre son portefeuille avec toutes ses cartes, c’est entamer un parcours du combattant pour y faire auprès de nombreux opérateurs, français et étrangers » opposition, puis pour les assure Olivier Charlanes, directeur récupérer », tempère Laurent des activités convergence chez « Avec le mobile, je peux Sagem Communication. Jullien. « Avec le mobile, je peux faire opposition tout de suite « Le but, c’est qu’en 2008, tout bloquer tout de suite et retélécharger mes fasse un vrai lancement et recharger les logiciels. » on applications ». Il faut dire que commercial ». Et la marque les opérateurs militent pour une intégration des française de mettre en avant le fait que les fonctions de applications dans la carte SIM – celle-ci est reliée à la base de son téléphone (ticket de métro), pourront puce NFC par le Single Wire Protocol, une technologie fonctionner même le mobile éteint ! Reste à espérer développée par Inside Contactless –, autant pour garder que tous les acteurs du sans-contact (banques, sociétés le contrôle sur les applications que pour faciliter la vie des de transport, opérateurs téléphoniques et constructeurs utilisateurs finaux en cas de changement de téléphone. de mobiles) se mettent au diapason pour que ces Mais quid, justement, des mobiles NFC ? Fort de ses petits prodiges débarquent bientôt dans nos poches.

D’AUTRES OPTIONS D’AVENIR - Le M-ticketing : Également appelé « SMSimage », il se présente sous la forme d’un codebarres reçu par SMS ou MMS. C’est un lecteur de code-barres semblable à ceux dont se servent les employés des supermarchés qui sert ensuite à lire le ticket électronique. Encouragé par France Telecom et Orange en France dès 2004, le Mticketing est aujourd’hui bien implanté ; la société Digitick (www.digitick.com) s’est même spécialisée dans la vente de tickets virtuels. Dans certains pays, comme l’Allemagne sur son réseau Deutsche Bahn, le M-ticket sert même de titre de transport. Avantage : Ce M-ticket peut s’afficher sur tous les téléphones. Inconvénient : Imaginez que la batterie tombe en rade pendant que vous vous rendez au concert des Stones au Stade de France… - Le Flashcode : C’est l’inverse du M-ticketing. Cette fois-ci, c’est le téléphone qui scanne, via son appareil photo, un code-barres placé sur une affiche ou dans un magazine et qui, par la suite, lui donne accès à des services. Avantage : Il est simple à mettre en place. Inconvénient : Il nécessite que votre téléphone soit capable de lire les codes-barres. La société Mobiletags se charge d’implémenter le support du Flashcode sur des mobiles tels le Nokia N70. - Le Bluetooth : Il n’a pas dit son dernier mot, notre bon vieux Bluetooth. Une société française, Kameleon, équipe le mobilier urbain de ses boîtiers Mobizone, dans lesquels sont stockées informations et contenus multimédias que l’on peut télécharger via Bluetooth lorsqu’on passe devant une affiche publicitaire ou un plan. Avantage : Les usages sont multiples. Par exemple, de passage devant un cinéma équipé, il est possible de télécharger horaires et bandesannonces sur son mobile. Inconvénient : Le Bluetooth reste notablement gourmand en énergie.

38 | www.stuffmag.fr

Stuff63_036-38_DOSSIER_Mob.indd 38

20/04/07 20:08:06


Stuff musique SOMMAIRE : CD P. 96-97 - DVD P. 98-99 - JEUX p. 100-101

COUP DE COEUR

SUR LE WEB Inédits, futurs « meilleurs groupes du monde » et découvertes…

Syd matters, revival seventies Textes Dorothée Bécart

Photo Jason Glasser

Syd matters – ghost days HHHHH Il y a cinq ans, Jonathan Morali – alias Syd Matters – remportait le concours CQFD des Inrockuptibles, le même qui a couronné, cette année, le joli duo néo-folk Cocoon. Deux albums plus tard, entouré de fidèles musiciens, le Parisien continue de tracer sa route pop-folk, quelque part entre le Pink Floyd du début – comme le suggère son pseudo-clin d’œil et la fin de I’ll Jackson, avec son « Shame on you crazy Jackson » sans ambiguïté – et Radiohead – le final complexe de It’s a

Nickname –, avec un soupçon de Rufus Wainwright dans l’interprétation. Très autobiographique, Ghost Days voit Syd relater ses pérégrinations nocturnes, à la limite du somnambulisme, soutenu par un piano-confident (le magnifique I was Asleep) ; s’égarer en effrayantes digressions dans l’étrange Louise 10 ; laisser ses émotions affleurer dans des harmonies vocales sur le fil (Cloud Flakes). Ghost Days ouvre en beauté l’année 2008 sur la scène alternative française, décidément riche et surprenante. Because | 14 janvier

• Le dernier clip d’Arcade Fire est un petit bijou : il s’agit en réalité d’une animation Flash interactive, pleine d’humour noir et de surprises déconcertantes. À découvrir sur www.beonlineb.com • Barth, petit cousin frenchy de Beck, sort son prochain album en mars. Et en offre un petit avant-goût bien appétissant en vidéo sur son Myspace, myspace.com/barthroom • La jolie découverte du mois : Feeric Chimney, un groupe français originaire de Poitiers et d’Angers, dont quelques compositions sont à écouter sur myspace.com/feericchimney.

CAT POWER – Jukebox HHHHI

CARIBOU – Andorra HHHHI

HOPPER – DEER GIRL HHHHI

COMPILATION – PAS VU À LA TV 2 HHHHI

Chan Marshall, alias Cat Power, revient de loin : il n’y a pas si longtemps, elle envoyait balader ses fans en les plantant en plein concert, entre deux verres d’alcool bien fort. Puis vint The Greatest, album de la dernière chance dont le succès critique et public – sa chanson-titre hante même le dernier Wong Kar-Wai – a considérablement apaisé la jeune femme. Dans ce nouvel album, où se côtoient reprises et inédits, son joli brin de voix se heurte à des monuments soul (Lost Someone de James Brown), se montrant beaucoup plus à l’aise avec les univers de Bob Dylan, Joni Mitchell et Janis Joplin. Une bien jolie pause, en attendant son prochain disque… Matador / Beggars | 21 janvier

En voilà au moins un qui assume pleinement ses origines : Daniel Snaith, alias Caribou, a grandi, comme son surnom l’indique, au Canada. Et son deuxième album sous cette identité animale ne fait pas mentir l’adage en vogue – selon lequel c’est au Canada qu’il se passe les choses les plus intéressantes musicalement (voir Arcade Fire et The Broken Social Scene). Album-trip mélangeant joyeusement rock psyché (After Hours), pop façon Brian Wilson (Sandy) et électro (Irene), Andorra est porté par sa première chanson, Melody Day, petit trésor mélodique tissé d’arrangements de haute volée. Cooperative Music | Disponible

Contrairement aux apparences, Hopper ne vient pas du Grand Nord – le groupe ne fait que suivre la grande mode des têtes de cerf, déjà présentes sur la pochette de Pigeon Detectives. Ce duo féminin français d’expression anglaise, aux influences multiples – un soupçon d’Interpol (Tomorrow is a Mystery), beaucoup des Yeah Yeah Yeahs dans l’interprétation viscérale (Rock’n’Roll High) et pas mal de Sonic Youth dans les compos – a de l’énergie à revendre. Produit par Ryan Hadlock (déjà aux manettes des albums de The Gossip et des Blonde Redhead), ce petit bijou hexagonal d’une efficacité redoutable en remontre sans peine aux groupes indés américains. MVS / Anticraft | 28 janvier

Voici le deuxième volet de cette compilation regroupant une cinquantaine d’artistes français dits « alternatifs ». De la chanson à texte, sage (Aldebert) ou déjantée façon David Lafore Cinq Têtes au rock métissé de Zong, en passant par les élégantes divagations de Jack The Ripper et l’humour noir de Didier Super, c’est tout l’éclectisme d’une scène hexagonale – qu’on a tendance à réduire à deux ou trois têtes d’affiche – qui est ici donné à entendre, faute d’être vu… à la TV. Trois galettes à prix très doux qui donnent envie de se ruer chez son disquaire pour rattraper le temps perdu ! Écho Productions / Exclaim | Disponible

96 | STUFF


Stuff musique

RADIOHEAD - IN RAINBOWS HHHHH Un mode de distribution audacieux, un groupe qui prend son indépendance : In Rainbows a déjà beaucoup fait parler de lui ces derniers mois, plus à cause du séisme qu’il a provoqué dans le monde de la musique que pour son contenu. Maintenant qu’il sort dans les bacs (cette fois-ci à prix fixe), le dernier album de Radiohead existe enfin en tant qu’œuvre, dépassant le statut de simple phénomène. Et quelle œuvre ! Beaucoup plus accessible que les trois albums précédents – Kid A, Amnesiac et Hail to The Thief – In Rainbows est une magnifique

synthèse de quinze années d’une recherche musicale sans répit, entre fulgurances et intransigeance. Si l’efficace Bodysnatchers évoque l’adolescence du groupe – avec un son proche de The Bends –, les splendides accès mélancoliques de Nude et Reckoner renvoient, eux, à la carrière post-OK Computer du quintet et à la tentative solo de Thom Yorke, The Eraser. Sommet de l’album : Faust Arp, ballade dépouillée sur fond de cordes envoûtantes qui évoque Try Some, Buy Some de George Harrison (récemment repris par David Bowie). Ce morceau donne à lui seul le ton d’In Rainbows, album d’un groupe en paix avec lui-même. Enfin. XL Recordings / Beggars | 31 décembre

STUFF | 97


Stuff musique SOMMAIRE : CD P. 108-109 - DVD P.110-111 - JEUX P.112-113

COUP DE COEUR

SUR LE WEB Inédits, futurs « meilleurs groupes du monde » et découvertes…

FIELDS, champs du possible Textes Dorothée Bécart

Fields – Everything last Winter HHHHH Avec ses allures de vieux bouquin aux pages cornées, le premier album de Fields affiche d’emblée le credo du groupe : faire du vieux avec du neuf. Everything Last Winter inscrit ces jeunes anglo-islandais dans la mouvance neo-vintage à laquelle s’apparentent tout aussi bien les mélodistes éclairés de Sparklehorse, chez qui la patine se manifeste par quelques craquements de vinyle ou un chapelet de notes nostalgiques tirées d’un mellotron, que les folkeux de Midlake, incarnation nouveau siècle des hippies seventies. Les superbes

STEREOPHONICS – PULL THE PIN HHHHI Après la fraîcheur pop de Just Enough Education to Perform, l’album qui leur avait ouvert les portes de la gloire avec le joli Have a Nice Day, Stereophonics avait pris un tournant plus rock, même si leur plus grand succès, Maybe Tomorrow, tenait plus de la ballade mélancolique mainstream que du brûlot punk. Les premières notes de Pull the Pin remettent les pendules à l’heure, avec le rageur Soldiers Make Good Targets. L’album culmine avec l’efficace I Could Lose Ya, mais c’est décidément quand il met ses guitares en veilleuse, comme sur le charmant Bright Red Star, que le groupe se montre le plus attachant. V2 | 15 octobre 108 | STUFF

harmonies entre voix féminine et masculine évoquent le lyrisme médiéval d’Espers et savent rendre inoubliables des mélodies laconiques comme celle de Schoolbooks. On se laisse assez vite aller à des rêveries stratosphériques que l’âpre The Death, avec ses accents de coldcold wave à la Interpol, interrompent brutalement. La seconde moitié de l’album, avec ses envolées pleines de grâce, consolera les orphelins de Grandaddy. Conte nordique riche et foisonnant, Everything Last Winter est l’acte de naissance d’un grand groupe, proche des plus grands, mais unique en son genre. Pias | Disponible

MOTHER AND THE ADDICTS – SCIENCE FICTION ILLUSTRATED HHHHH

DOMINIC SONIC – PHALANSTÈRE 7 HHHHI

Séquestré depuis deux ans par le duo versaillais Air qui semble le maintenir dans un état végétatif à coup de puissants narcoleptiques, l’esprit de Jarvis Cocker semble avoir réussi à échapper à la vigilance de ses geôliers pour s’incarner en Mother, le chanteur de Mother and the Addicts. Cette troublante gémellité vocale trouve son écho dans le son du groupe, qui fait la part belle aux synthétiseurs eighties – certains morceaux sonnent comme d’hypothétiques bonus à His’n’Hers… – et une production disco qui n’est pas sans évoquer les flamboiements kitsch d’un Countdown. Le disque que Pulp n’a jamais enregistré ! Pias | Disponible

Chanteur rageur de Kalashnikov, parolier de Bashung, copain de scène des Stooges, Curiste éclairé – il figure dans la playlist de la compilation hommage Imaginary Songs –, Dominic Sonic a connu mille vies musicales, surtout du côté obscur. Après des années de déboires divers et variés, il revient dans la lumière avec cet album électrique, juvénile et culotté, jusque dans sa reprise très inspirée du Mother de John Lennon. Aussi à l’aise en français qu’en anglais, le Breton rescapé des eighties et revenu de tout ne parle de toute façon qu’une seule langue : le rock. Et ça balance ! Village vert / Wagram | 15 octobre

• Montevideo, notre coup de cœur de septembre, ne sortira finalement son premier album que le 15 octobre en France. En attendant de vous jeter sur la bombe sonore de la rentrée, allez faire un tour sur myspace.com/ montevideotheband et régalezvous avec le clip de leur premier single, Sluggish Lovers, dans lequel le groupe joue sur des guitares… humaines ! • Tahiti Boy and the Palmtree Family ne sévit pas sous les cocotiers polynésiens, mais bien sur la scène parisienne. Découvrez leurs jolies rengaines pop / rock sur myspace.com/tahitiboyfamily. • Les Yarrows arrivent bientôt chez nous. Découvrez sans tarder ces Américains inspirés sur myspace.com/theyarrows.

ASOBI SEKSU – CITRUS HHHHI Si vous n’êtes pas encore prêt à vous jeter à corps perdu dans la très foisonnante scène J-Pop (registre somme toute passablement varié), voici un – flamboyant – compromis : Asobi Seksu (littéralement, « le sexe ludique »), groupe américano-nippon, se joue des barrières linguistiques et culturelles, mélangeant habilement anglais et japonais, pop kawai et grosses guitares. La légère acidité noisy de ce Citrus trouve d’ailleurs son parfait contrepoint dans la voix sucrée et haut perchée de la chanteuse Yuki, joli petit elfe qui donne toute son âme à ce premier opus aérien, enchanteur et… bruyant. One Little Indian / Discograph | Disponible


Stuff musique

Scoop : Pete Doherty, l’ex de Kate Moss-la-brindille, le copain de beuverie d’Amy Winehouse, Pete Doherty, dont même le chat est cocaïnomane, Pete Doherty fait aussi… de la MUSIQUE ! Abonné aux couvertures de la presse people, l’enfant terrible du rock anglais laisse souvent ses frasques éclipser sa carrière. Et c’est bien dommage, car son groupe postLibertines (rappelons que les Libertines avaient splitté en 2004 en deux entités, Pete Doherty créant les Babyshambles d’un côté, Carl Barat les Dirty Pretty Things de l’autre) enchaîne les tout bons albums.

Après Down in Albion et l’EP The Blinding, voici Shotter’s Nation, sans doute l’opus le plus abouti du néo-groupe. Grand admirateur d’Oscar Wilde, Pete Doherty semble avoir fait sien le célèbre aphorisme « Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains regardent les étoiles ». Plus il tombe bas, plus ses compositions volent haut. À travers l’élégante désinvolture du parfait Carry Up That Morning et du jazzy There She Goes, l’évidence du très « Kinksien » Delivery, la fragilité apparente des très beaux UnBiloTitled et Lost Art of Murder, la mélancolie guillerette de French Dog Blues, on devine en Doherty un esthète de la pop, plus poète maudit à la Rimbaud que sale gamin. De quoi faire taire les ragots ? Delabel / EMI | 1er octobre

STUFF | 109

Photo Richard Skidmore

BABYSHAMBLES - SHOTTER’S NATION HHHHH


Stuff musique SOMMAIRE : CD P. 136 - DVD P. 138-139

SUR LE WEB

COUP DE COEUR

Inédits, futurs « meilleurs groupes du monde » et découvertes…

Jolie bris(a) d’hiver Textes Dorothée Bécart

Photo Ami Barwell

BRISA ROCHÉ – TAKES HHHHH Brisa Roché. Drôle de nom, drôle de frimousse, drôle d’oiseau. Sur son premier album, elle promenait une dégaine improbable, tantôt diva jazzy éthérée, tantôt folkeuse mélancolique. Se débarrassant de ces atours un peu trop sages, cette fille de babas cool revient à l’essentiel, au propre (voir la photo joliment dénudée de la pochette) comme au figuré. Takes trace sans complexe une route Sixties, quelque part entre le Swinging London (Breathe In, Speak Out) et la Californie psychédélique (The Building), l’Inde hippie (Halfway

THE WOMBATS – A GUIDE TO LOVE, LOSS & DESPERATION HHHHI À quoi ressemble The Wombats, nouveau-meilleur-groupe-anglaisdu-monde (du mois), dont Paul McCartney himself dit être un grand fan ? Hormis quelques chœurs gentiment déjantés et des textes au-dessus de la moyenne (le refrain délicieusement oxymorique de Let’s Dance to Joy Division : « Everything is going wrong / but we’re so happy »), ces marsupiaux venus de Liverpool n’apportent rien de très neuf. Seuls quelques titres forts (My First Wedding, qui clôt l’album), permettent à A guide to… de décoller. L’ensemble reste fort sympathique ; mais Liverpool a connu de plus grandes révolutions… 14 th Floor / ADA Global / Naïve | Disponible 136 | STUFF

On) et le New York underground (le pont très « Velvet » de Heavy Dreaming). En empruntant ces voies « vintage » pourtant maintes fois revisitées, Brisa Roché parvient à livrer un disque intime, prônant l’amour façon carpe diem sur Trampoline, s’interrogeant sur la dérive des sentiments dans l’envoûtant Halfway On, et prenant enfin sa liberté sur The Choice. Road-movie musical servi par une remarquable production, qui sait rester en retrait quand il le faut, Takes a le charme de ces joyaux intemporels qui restent bloqués sur la platine des mois durant. Discograph | Disponible

KYLIE MINOGUE – X HHIII Messieurs, ouvrez vos mirettes, l’Australienne de poche est de retour, avec son cortège de poses glamour, de strass et de paillettes. Le premier titre de son nouvel opus laisse espérer le meilleur : secondée par un groupe qui va à l’essentiel (piano, batterie, guitare, basse), Kylie Minogue, en Marylin destroy, joue la carte du glam rock, ce qui lui va plutôt bien. Les choses se gâtent hélas sur le reste de la galette, recyclage peu inspiré de tout ce qui marche, du néo-disco ABBA-esque à la sauce Madonna à la pop gentillette de Gwen Stefani. Seuls Sensitized (sur un sample de Bonnie & Clyde), et la ballade No More Rain parviennent à sauver l’album du naufrage. Parlophone / EMI | 26 novembre

• DJ Zebra, l’empereur français du bootleg, capable de mixer Cali et U2, Camille et Nirvana, Katerine et Boney M, est actuellement en tournée sur les routes de France. Fans du Zebramix, régalez-vous sur son MySpace… www.myspace.com/zebramix • Faites place au Grand Marquee ! Ce groupe californien se fraye un chemin séduisant entre rock psychédélique et cold wave. À découvrir sur www.myspace.com/ thegrandmarquee • Vous l’avez peut-être remarquée sur scène, aux côtés de Sean Lennon : la charmante Yuka Honda aime « faire de la musique avec des machines ». Ses compositions sont en écoute sur www.myspace.com/ yukahonda

COCOON – MY FRIENDS ALL DIED IN A PLANE CRASH HHHHH

TUE-LOUP – LE LAC DE FISH HHHHI

Musicalement parlant, 2007 fut marquée par le renouveau du folk… et les titres d’album improbables. Si l’on ne devait retenir qu’un disque pour caractériser l’année écoulée, ce serait donc celui de Cocoon. Le duo auvergnat, qui s’était déjà distingué avec le très joli EP From Panda Mountains, n’a pas son pareil pour enluminer d’une mélodie au piano ou au ukulélé des textes sombres (Take Off, Christmas Song), rendus encore plus touchants par les sublimes harmonies vocales dont Mark Daumail et Morgane Imbeaud savent jouer à la perfection. Ces deux-là ont vraiment bien fait de sortir de leur cocon… Sober & Gentle / Discograph | Disponible

Pour qui se donne la peine d’être un peu curieux, la scène pop / rock française recèle quelques belles surprises. Tue-Loup, groupe sarthois, trace sa route en toute discrétion depuis une dizaine d’années. Réponse hexagonale aux Américains de Midlake ou de Sparklehorse, leur nouvel album évoque souvent, côté frenchie, Jean-Louis Murat. Les textes joliment tournés de Xavier Plumas sont servis par des ballades amples empreintes de douceur. Sobre et intimiste, ce Lac de Fish se laisse explorer avec bonheur. Une bonne pêche… T-Rec / Anticraft | Disponible


éco gadgets

s e L dgets ga ettent m e s t r e v au Bécart othée r o D rp : Texte ak/Sha Foneb : s o t Pho gros

nus de xemple e v e d ’e nt eks so de donner l on e g s e ti s, l nt adget tech essaie e par convic g e d es ht-c rs avid oms du hig ur. Mais es u e t a mm nhe ds n Conso rs. Les gran oins de bo rque ? a m u pollue vec plus ou image de m r a écolo, redorer leu r ou pou

rs, énage lectrom é t e s ue ctroniq ues, éle iq t a orm ets inf e déch d s e n ton bak. lion de e Fone 1,5 mil iétés comm e r è n gé oc rance r des s ée, la F recyclés pa n n a e t Chaqu ls 10 % son eu dont s La communauté geek partage un terrible secret : chacun de ses membres conserverait, chez lui, un tiroir maudit, où croupissent téléphones portables désuets, baladeurs MP3 première génération et appareils photo subclaquants. Comment, vous aussi ? Nous aurions dû nous en douter : à force de vous faire craquer sur les gadgets dernier cri, nous avons transformé votre foyer en cimetière high-tech. Votre compagne, excédée, a même envisagé de jeter, à votre insu, votre chère collection de StarTac. Se doute-t-elle que ce geste presque anodin risque de polluer l’environnement ? « Le

portable est le lauréat des produits à risque », constate Stéphane Duponchel, fondateur d’Amezis, une agence de conseil en environnement. « La batterie contient du béryllium, du nickel et quelques traces d’arsenic. Ce ne sont pas des produits qui se recyclent tous seuls. Si on les met en décharge, ils vont polluer durablement les nappes phréatiques », renchérit Jean-Lionel Laccourreye, directeur France de Fonebak. Son entreprise, partenaire des grands opérateurs européens, collecte 2,5 millions de portables usagés par an, déposés dans 10 000 points de collecte. Certains sont

réparés à partir de pièces détachées provenant d’autres portables et envoyés aux pays émergents, demandeurs de terminaux peu coûteux ; les autres font l’objet d’un tri sélectif et sont répartis dans différentes filières de destruction. « Plus un terminal a été éco-conçu, plus l’opération est simple », reconnaît Jean-Lionel Laccoureye. Et justement, les grandes marques commencent à se pencher sérieusement sur le problème. Titillé par des associations écologistes, Steve Jobs a dû mettre en place, en juin dernier, une politique de collecte des iPod usagés aux États-Unis. Un peu tard,

74 | www.stuffmag.fr

Double gadgets.indd 74

14/04/06 18:41:31


éco gadgets t en emen

nn enviro t sur l’ impac

nt utilisa

ur itent le arp lim roduction. h S e m ep ue com sites d ctroniq ire sur leurs le é l’ la de gie so éants Des g mple l’éner e par ex

t de tion e alorisa nement. v e r e sd on filière l’envir ns des olluent pas a d s é p oy et env bak ne ntelés és par Fone a m é d rait iés, e vie t tés, tr Collec iles en fin d b les mo pour un produit qui se vend en masse depuis cinq ans ! Et si Apple assure que ses produits sont recyclés sur le territoire américain, d’autres marques, plus confidentielles ou moins scrupuleuses, n’hésitent pas à se décharger (au sens premier du terme !) sur des pays comme l’Inde, devenue en quelques années la poubelle high-tech des pays développés. C’est quoi, un produit vert ? De notre côté de l’Atlantique, c’est la directive D3E (Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques) qui a poussé les géants du secteur à se préoccuper davantage de l’environnement. Mais des marques comme IBM, HP ou Sharp ont entrepris cette réflexion depuis de nombreuses années. « Nos deux derniers sites de production sont des “usines vertes”. Elles fonctionnent en partie avec des panneaux solaires, recyclent les eaux usées

et utilisent des combustibles acheminés par gazoduc », explique Guillaume Villecroze, responsable marketing chez Sharp France. La firme japonaise, par ailleurs engagée depuis plus de quarante ans dans la production d’énergie solaire, dispose d’un département environnemental qui a un droit de regard sur toutes les activités du groupe. Ce dernier peut intervenir à tout moment, de la conception des produits – repensés pour ne plus recourir au plomb ou au cadmium – à leur recyclage, en passant par leur conditionnement : « En réduisant la taille de nos cartons, nous affrétons moins de camions, poursuit Guillaume Villecroze. Et nous avons conçu un système de séparation des matériaux afin qu’ils puissent être démontés simplement. » Ainsi, les téléviseurs LCD dernière génération de la marque possèdent des vis qui se dilatent à la chaleur, permettant un démontage plus rapide en vue d’un retraitement. Sans doute

ction,

destru

l’une des raisons pour lesquelles certains téléviseurs de la gamme Aquos ont reçu le très sérieux éco-Label, délivré par la Commission Européenne… Ce dernier, mis en place en 1992, assure que le produit consomme moins d’énergie, utilise peu ou pas de substances nocives pour la santé ou l’environnement, offre une durée de vie optimisée et peut, en fin de vie, être pris en charge par son constructeur en vue d’un recyclage. En marge de ce très officiel et très strict label, de nombreux produits estampillés « verts » par des organismes plus ou moins obscurs font leur apparition sur le marché. Difficile pour le gadgetophile de faire la part des choses… C’est pourquoi nous vous proposons, page suivante, une sélection de produits dits « verts », que nous avons passés au crible pour vous. Et si vous deveniez les premiers geeks écolos ? www.fonebak.fr www.stuffmag.fr | 75

Double gadgets.indd 75

14/04/06 18:41:37


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.