Dorothée BECART
L ES HOMMES POLITIQUES DANS LES EMISSIONS DE DIVERTISSEMENT : Analyse d'un phénomène à travers l'étude des émissions de Michel Drucker et de Thierry Ardisson Mémoire présenté à l'Institut d'Etudes Politiques de Lille sous la direction de Sylvie S TRUDEL
Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier en premier lieu ma directrice de mémoire, Sylvie STRUDEL. Je remercie tout particulièrement le personnel de l'Institut National de l'Audiovisuel, à la vidéothèque régionale de Lille et à la Bibliothèque Nationale François Mitterrand, pour leur patience et leur disponibilité. Je remercie France 2 et les producteurs des deux émissions évoquées dans ce mémoire, Tout sur l'Ecran et DMD pour l'utilisation des captures d'image. Je remercie enfin ma principale source d'inspiration, les hommes et femmes politique qui se succèdent sur les plateaux de Tout le monde en parle et de Vivement Dimanche, dont je remercie également les animateurs, Thierry ARDISSON et Michel DRUCKER.
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AU LECTEUR
Ce mémoire comporte en annexe des captures d'image tirées des émissions Tout le monde en parle et Vivement Dimanche que j'ai pu visionner à l'Inathèque de France. Des notes en bas de page renvoient aux captures correspondantes.
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TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 :LA DERIVE VERS UNE "TABLOÏDIZATION"DE LA VIE POLITIQUE A TRAVERS LE MEDIA TELEVISUEL
1.1 L'évolution des rapports de force au sein du triangle Hommes politiques / Champ médiatique / Opinion publique 1.1.1 Les nouveaux rapports de l'opinion publique au champ politique 1.1.2 L'évolution des rapports entre le champ politique et le média télévisuel 1.1.3 L'évolution de la demande des téléspectateurs en matière d'émissions politiques à la télévision
1.2 Les effets de ce nouveau rapport de force sur les formats des émissions politiques : de l'hybridation à la tabloïdization 1.2.1 Crise et tentative de modernisation du journalisme politique traditionnel 1.2.2 Les nouveaux formats télévisuels dominants depuis les années 90 1.2.3 Deux expressions de cette nouvelle génération d'émissions: les cas Drucker et Ardisson
CHAPITRE 2 : LE TRAVAIL DE PRESENTATION DE SOI DES HOMMES POLITIQUES DANS LES EMISSIONS DE MICHEL DRUCKER ET DE THIERRY ARDISSON 2.1 Construction identitaire et maîtrise de l'image 2.1.1 Une biographie retravaillée à l'avantage des hommes politiques 2.1.2 Le personnage privé au service de l'homme public 2.1.3 Les émissions de divertissement : nouveaux lieux de campagne électorale?
2.2 Une marge de manœuvre limitée 2.2.1…par l'impertinence des questions posées 2.2.2…par des invités "actifs" 2.2.3… par le côté ludique des émissions : les trublions face aux clowns tristes de la politique
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CHAPITRE 3 : LES EFFETS DE LA PARTICIPATION DES HOMMES POLITIQUES AUX EMISSIONS DE DIVERTISSEMENT SUR LE CHAMP POLITIQUE ET SUR L'OPINION PUBLIQUE
3.1 Les conséquences de la dilution du politique dans le divertissement 3.1.1. Un discours politique éclipsé par la forme de ces émissions 3.2.2. Un schisme supplémentaire au sein du champ politique 3.2.3 Une menace supplémentaire sur la crédibilité de la classe politique
3.2 Les effets sur les téléspectateurs 3.2.1 Un excellent moyen de contrer les effets de l'exposition sélective aux médias 3.2.2 Le téléspectateur ne fait pas l'électeur
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"Il n'est pas nécessaire qu'un Prince possède toutes les qualités mais il l'est qu'il paraisse les avoir." "Tout le monde voit bien ce que tu sembles par dehors, bien peu ont le sentiment de ce qu'il y a dedans." Machiavel, Le Prince, 1513
INTRODUCTION
Faut-il être aimé ou compris? Séduire ou convaincre? Ce dilemme est aujourd'hui au cœur des préoccupations des hommes politiques.
Tout a commencé il y a une quarantaine d'années avec une double révolution : tout d'abord, l'élection du Président de la République au suffrage universel qui a logiquement entraîné une personnalisation de la vie politique et, parallèlement, l'apparition d'un moyen de communication de masse : la télévision. La conjugaison de ces deux phénomènes a profondément et durablement bouleversé les rapports entre les champs politique et médiatique, ainsi que les relations que chacun d'eux entretenaient avec l'opinion publique : chacun a découvert les pouvoirs de l'image.
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Dans un contexte d'affaiblissement progressif de la stabilité des comportements électoraux et de l'identification partisane, les hommes politiques ont d'abord découvert avec la télévision un moyen de parler aux électeurs hors des structures partisanes, grâce à un instrument de communication de masse à l'adresse et à l'audience universelles. Dès les années 50 les grands rendez-vous politiques ont donc fait leur apparition à la télévision, et le journalisme politique est devenu au fil des années un genre à part entière.
Peu à peu, les leaders politiques, dont le rôle se limitait jusqu'ici à être de simples porte-paroles de leurs mouvements, se sont transformés à travers leurs passages dans les "étranges lucarnes" en véritables vedettes, au même titre que les stars de cinéma, et ont commencé à apparaître dans des émissions de télévision n'appartenant
pas
au
champ
politique.
Déjà
en
1977,
Roger-Gérard
Schwarzenberg1 avait mis en évidence cette dérive de la politique vers le spectaculaire, avec la complicité évidente des médias qui y trouvaient également leur compte.
En effet, on a pu assister, dès les années 70, à des incursions de hauts responsables politiques là où personne ne les attendait vraiment : Valéry Giscard d'Estaing a ainsi surpris en virtuose de l'accordéon dans une émission de Danielle Gilbert2 quatre ans avant son élection à la Présidence de la République ; puis dans les années 80, Lionel Jospin a tenté d'émouvoir les foules dans une interprétation toute personnelle des Feuilles Mortes d'Yves Montand3 tandis que François Léotard poussait à son tour la chansonnette dans une émission très populaire de 1
Cf. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, L'Etat-spectacle. Essai sur et contre le star-system en politique, Paris, Flammarion, 1977 2 Cf. Capture 1 en annexe 3 Cf. Capture 2 en annexe
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Patrick Sébastien, Carnaval. Que dire de Jack Lang, dans son remake de La drague avec Miou-Miou, toujours dans la même émission? Même Arlette Laguillier a découvert les joies de la vedettisation en interprétant devant son idole, Pierre Perret, sa version de "Mon p'tit loup", sous le regard ému et attendri du chanteur.4
Parallèlement, les émissions politiques, pour toucher un public plus large et non pas limité aux individus capacitaires, ont évolué vers des formes plus hybrides où la politique n'était plus la dominante : ainsi, dans 7/7, la présence des hommes politiques n'était prétexte qu'à un commentaire sur l'actualité ; et dans Questions à domicile, l'homme public dévoilait aux téléspectateurs une partie de sa vie d'homme privé, dans le cadre d'une "intimité toujours soigneusement mise en scène".5.
Dès lors, les hommes politiques ont clairement cherché à séduire le public le plus large possible, aidés en cela par les chaînes de télévision dont les motivations sont finalement assez semblables : chacun essaie de contourner les effets ravageurs du zapping, pratique apparue à la fin des années 80 et érigée en mode de vie dans tous les salons de France, en diluant la politique dans des concepts hybrides, plus à même d'attirer les téléspectateurs les plus sceptiques et les moins réceptifs à des émissions politiques classiques qu'ils jugent trop rébarbatives.
Si au début des années 90 la télévision a opéré une sorte de retour aux sources en proposant aux téléspectateurs des émissions purement politiques, 4
Cf. captures 3 et 4 en annexe Cf. Agnès CHAUVEAU, "Les hommes politiques sont devenus des stars des médias", L'Histoire, Mars 2001 5
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notamment à l'approche de grandes échéances électorales comme l'élection présidentielle de 1995, les hommes politiques ont développé une stratégie médiatique consistant à apparaître à la fois dans ces émissions dites "sérieuses" pour convaincre les individus compétents politiquement et dans des talk-shows plus légers mêlant interviews et divertissement, comme Nulle Part Ailleurs. Mais la désaffection profonde du public pour les émissions politiques traditionnelles a progressivement entraîné leur relégation dans les tréfonds des grilles de programmes des grandes chaînes, quand elles ne se sont pas tout simplement éteintes ou exilées sur des chaînes câblées à l'audience beaucoup plus confidentielle. Les hommes politiques n'ont pas pour autant disparu de l'antenne : ils se bousculent aujourd'hui aux portes de deux émissions qui cartonnent auprès des téléspectateurs : Vivement Dimanche, animée le dimanche après-midi par le gendre idéal des Français, le très condescendant Michel Drucker, et Tout le monde en parle, la nouvelle émission-concept de l'ex-grand prêtre cathodique de la provocation, Thierry Ardisson. Deux styles très différents voire opposés, mais un point commun : c'est là qu'il faut être vu, qu'on soit star du show-biz ou homme politique. C'est également la consécration du mélange des genres, la fusion ultime entre politique et divertissement qui s'opère chaque week-end sous les yeux des téléspectateurs.
J'ai choisi de concentrer ma recherche sur ces deux émissions car ce sont elles qui indéniablement ont relancé avec succès ce concept de dilution de la politique dans des formats plus légers et plus à même de séduire le téléspectateur peu intéressé par la politique. J'aurais pu étendre ma recherche à d'autres émissions où se presse une bonne partie de la classe politique, comme Ciel mon Mardi
de Christophe Dechavanne, qui accueille il est vrai les personnalités
politiques les plus accoutumées au genre comme André Santini ; mais aussi celle
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de Laurent Ruquier, On a tout essayé, où se sont succédées quelques personnalités aussi antinomiques que Christine Boutin, Roselyne Bachelot et Bertrand Delanoë. On a même pu voir le nouveau maire de la capitale, deux jours à peine après le vote du budget au Conseil de Paris, choisir d'en présenter les grandes lignes à Nulle Part Ailleurs, émission il est vrai animée par un "vrai" journaliste, Thierry Dugeon, mais étiquetée "divertissement" en raison notamment de la présence de quelques trublions comme le duo Omar et Fred : ces derniers ont d'ailleurs tenté d'arracher au maire fraîchement élu la promesse de quelque passe-droit pour obtenir un appartement à Paris… Dans la même émission, le très sérieux Michel Rocard avait accepté de donner la réplique à la miss Météo la plus déjantée du paysage audiovisuel français, Axelle Laffont, dans un sketch très rock'n'roll. Je pourrais également citer le magazine de Marc-Olivier Fogiel, On ne peut pas plaire à tout le monde, qui accueille fréquemment des personnalités du monde politique comme Nicolas Sarkozy récemment mais dont le concept reste très voisin à celui de Tout le monde en parle, les deux animateurs se disputant la paternité de cette forme d'impertinence journalistique.
Pourquoi alors se concentrer sur les cas Drucker et Ardisson? D'abord parce que ces deux émissions touchent un public très large et ont rencontré un succès quasi-immédiat auprès des téléspectateurs. Puis parce que ce sont elles qui accueillent le plus régulièrement des personnalités politiques : toutes les semaines pour l'émission de Thierry Ardisson, Tout le monde en parle, et chaque mois pour Michel Drucker, à l'exception évidemment des périodes électorales. Enfin, en terme d'image, il est très intéressant de comparer l'attitude des hommes politiques dans chacune de ces deux émissions aux styles très différents : dans Vivement Dimanche l'homme politique prépare en grande partie son émission avec les équipes de Michel Drucker, ce qui lui permet de contrôler au maximum son
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image; tous les invités présents sur le plateau sont choisis par lui-même et les trois chroniqueurs de Vivement Dimanche prochain, dont le très médiatique psychanalyste Gérard Miller, voient leurs interventions assez contrôlées par le maître des lieux. En revanche, dans Tout le monde en parle, c'est clairement Thierry Ardisson qui tire les ficelles du jeu, et l'image des hommes politiques est quelque fois très malmenée, aussi bien par l'animateur que par les autres invités qui n'hésitent pas à les prendre à partie : le ton y est beaucoup plus libre, beaucoup moins complaisant, et pourtant les grands de ce monde n'hésitent pas à y faire des apparitions souvent très remarquées et reprises par la presse, comme ce fut le cas récemment pour Michel Rocard dont la prestation a fait couler beaucoup d'encre…
La présence de ces respectables hommes politiques dans des émissions plutôt légères où ils parlent certes de leur carrière, de leurs idées et de leurs projets mais aussi de façon très libre de leur enfance, de leurs loisirs, de leurs passions, de leurs coups de cœur et parfois même de leur vie sexuelle – ce qui évidemment se fait plus chez Ardisson que chez Drucker - bref de leur vie publique comme de leur vie privée m'a en premier lieu intriguée. Puis, à y regarder de plus près et à la lumière de mes lectures, je me suis aperçue qu'il s'agissait là d'une stratégie comme une autre ayant pour but de séduire – et non plus de convaincre – les électeurs les plus indécis, qui sont aussi les plus exposés au média télévisuel ; de détourner les effets du zapping et de l'exposition sélective aux médias6 en se fondant dans la masse, en brisant leur image froide et distante d'élite au profit d'une image sympathique et détendue. Dans l'émission Arrêt sur Images7, Valéry Giscard d'Estaing, interrogé à propos de son passage chez Michel Drucker avait 6
Cf. Roland CAYROL, La nouvelle communication politique, Paris, Larousse, collection "Essais en liberté", 1986, p. 181 7 Cf. Arrêt sur Images, émission du 20 février 2000 : "La politique est-elle soluble dans le rire?"
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ainsi déclaré : "Je ne crois pas qu'il faille s'imaginer les hommes politiques comme des gens coupés de la vie. Ils ont leurs loisirs, de la culture, ils vont voir des films. Le fait que l'opinion publique ne les aime pas, se méfie d'eux et s'aperçoive qu'ils vivent comme eux au milieu de la vie collective, je crois que c'est une chose politique et ça me réjouit que les hommes politiques y participent. On dévalorise le métier en étant malhonnête et en trompant les gens, non pas en participant à la vie culturelle et quotidienne de son pays." . L'enjeu est clair : il faut essayer de lutter contre la désaffection des Français envers une classe politique dont ils se méfient à 48% 8, qui les ennuie à 18% en essayant de divertir, de faire rire, d'intéresser avec d'autres armes que la politique.
Il apparaît donc que dans un premier temps, les hommes politiques se sont servis de l'instrument télévisuel pour convaincre les électeurs dans des émissions aux formats plutôt classiques et austères. Mais si elles ont rencontré un succès d'estime leur audience restait assez confidentielle et limitée aux individus compétents politiquement, population initiée au vocabulaire parfois "occulte"9 des hommes politiques. Par conséquent, chaînes de télévision et hommes politiques ont compris qu'une nouvelle demande émanait des téléspectateurs, de cette "France de la salle à manger"
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à l'identification partisane peu définie et
changeant d'une élection à l'autre, en net contraste avec la "France de la rue" engagée et compétente politiquement. De nouveaux concepts d'émissions plus hybrides sont alors apparus, dans lesquels les hommes politiques, qui ont entretemps compris que leur popularité était un véritable capital, tentent avec plus ou moins de subtilité d'offrir une "image" d'eux-mêmes plus accessible et plus 8
Cf. Sondage Le Monde/Sofres, octobre 2000 ; question : "Quand vous pensez à la politique, pouvez-vous me dire ce que vous éprouvez ?" 9 La formule est de Bruno Masure. 10 Cf. Jean-Paul GOUREVITCH, L'image en politique. De Luther à Internet et de l'affiche au clip, Paris, Hachette Littérature, 1998, p. 51
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cohérente avec les attentes des téléspectateurs les moins compétents politiquement, tout en essayant de faire passer le plus efficacement possible leur message politique à l'intention de ce public : l'enjeu n'est pas mince.
L'étude des deux émissions de Michel Drucker et de Thierry Ardisson permet de décrypter ces nouveaux comportements des hommes politiques au sein de l'agora cathodique : leurs attitudes, leurs façons de se présenter, de répondre aux questions complaisantes ou incisives des animateurs, de mettre en avant l'être humain au détriment de l'homme d'idées, toutes ces données témoignent d'un indéniable abandon de la rhétorique de mobilisation au profit d'une esthétique de la séduction11. L'asymétrie entre l'abondance des travaux sur les mises en scène télévisuelles et la raréfaction des recherches consacrées aux activités de terrain confirme en outre cette tendance amorcée à la fin des années 70. En aval de leurs prestations, il apparaît que les hommes politiques, avec l'aide de leurs conseillers en communication effectuent un travail de présentation de soi très poussé, se constituent une image bien définie suivant le style de l'émission. Ce n'est pas sans conséquences sur le discours politique, qui est considérablement simplifié ; et certains parlent d'une théâtralisation de la vie politique qui s'enfoncerait dans le futile, le léger, le dérisoire.
De plus, est-ce que les effets escomptés sur les téléspectateurs sont réels et perceptibles au moment des grandes échéances électorales? Ils sont à relativiser, la plupart des Français ayant prouvé qu'ils n'étaient pas très sensibles à la "politique-paillettes" comme en attestent les défaites d'Elisabeth Guigou, de Catherine Trautmann, de Jean-Claude Gayssot, de Philippe Seguin, ou encore de
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Cf. Patrick LECOMTE, Communication, télévision et démocratie, Lyon : Presses Universitaires, collection "Passerelles", 1994, p. 63
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Jack Lang, tous passés l'année précédente chez Drucker ou chez Ardisson, voire dans les deux émissions, aux dernières élections municipales.
Je verrai donc dans un premier temps quelles ont été les origines et les enjeux de cette dérive du jeu politique vers une spectacularisation manifeste par l'intermédiaire du média télévisuel, qui lui-même a dû répondre à une évolution de la demande des téléspectateurs, et quelles formes d'émissions ont été crées en réponse à cette évolution, en décrivant chacune des deux émissions auxquelles j'ai choisi plus particulièrement de m'intéresser.
Puis, dans un second temps, j'étudierai le comportement et les stratégies de construction identitaire des hommes politiques dans chacune de ces deux émissions, en prenant en compte tous les enjeux sous-jacents. Je tenterai également de montrer que certains aspects inhérents aux concepts mêmes des deux émissions peuvent réduire la marge de manœuvre des hommes politiques en terme de présentation de soi.
Enfin, je tenterai de mesurer les effets de cette omniprésence des hommes politiques dans les émissions de divertissement sur le champ politique ainsi que sur les téléspectateurs eux-mêmes.
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CHAPITRE 1 : 12
LA DERIVE VERS UNE "TABLOÏDIZATION" DE LA VIE POLITIQUE A TRAVERS LE MEDIA TELEVISUEL
S'intéresser à la présence d'hommes politiques dans des émissions télévisées n'appartenant pas au champ politique, comme des divertissements tels que Tout le monde en parle ou Vivement Dimanche nécessite au préalable de discerner les différents facteurs qui ont amené ces hommes publics à désaffectionner les formes traditionnelles d'émissions politiques au profit de ces formes plus hybrides, avec la complicité des chaînes de télévision qui ont trouvé là le moyen de répondre à une certaine demande des téléspectateurs.
En réalité, toute émission télévisée est au final le produit d'interactions entre différents agents sociaux : toute évolution des rapports de force entre ces agents provoquera une modification plus ou moins profonde du produit fini. Erik Neveu évoque l'existence d'une configuration à trois pôles, d'un "triangle" où se croisent les intérêts des journalistes politiques, ceux du personnel politique et enfin ceux d'un troisième pôle, constitué par l'opinion publique. Il applique ce "triangle" à l'analyse des élections présidentielles et de leur traitement par les 12
Cf. Erik NEVEU, "Des questions jamais entendues ; crise et renouvellement du journalisme politique à la télévision", in Politix, n°37, Télévision et politique, 1997, p.27-28
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grandes chaînes de télévision. Je choisirai pour ma part d'étudier l'évolution des rapports de force entre les trois pôles suivants : le champ médiatique et en particulier le média télévisuel, le personnel politique, et enfin une partie non négligeable de l'opinion publique constituée par les téléspectateurs.
Puis, après avoir déterminé quels étaient les nouveaux rapports de force existant au sein de ce triangle, je montrerai que c'est précisément cette évolution qui a entraîné une certaine désaffection du public, des hommes politiques et par conséquent des chaînes de télévision pour les émissions de télévision traditionnelles, et l'évolution vers une tabloïdization de la vie politique à travers des nouveaux concepts d'émissions télévisées hybrides, à mi-chemin entre show politique et divertissement, dont je présenterai les principales caractéristiques.
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L'évolution des rapports de force au sein du triangle Hommes politiques / Champ médiatique / Opinion publique
Afin de mieux saisir les origines de l'apparition de concepts d'émissions mêlant politique et divertissement, je vais donc étudier dans un premier temps les différents facteurs qui ont provoqué une modification des rapports de force entre les trois pôles du triangle constitué par la classe politique, le champ médiatique et en particulier le média télévisuel et enfin l'opinion publique, et plus particulièrement l'ensemble des téléspectateurs qui en constitue une frange non négligeable.
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1.1.1 Les nouveaux rapports de l'opinion publique au champ politique
Les rapports de l'opinion publique au sens large du terme - c'est à dire la manière de penser la plus répandue dans la société, connue grâce aux sondages et aux résultats des élections - avec le champ politique ont beaucoup évolué à partir des années 60 en raison d'un certain nombre de facteurs.
Tout d'abord, depuis 1962, le Président de la République est élu au suffrage universel. Ainsi, les électeurs sont amenés par leurs votes à porter un homme au sommet de l'Etat, plus que le représentant d'un parti. Cette présidentialisation
du
jeu
politique
a
donc
naturellement
entraîné
sa
personnalisation progressive, sous l'influence notable de l'opinion publique qui semble plutôt avoir tendance à élire une vedette de la politique que le leader d'un mouvement au moment des élections présidentielles. L'accent est donc mis sur une compétition entre personnalités plus que sur le débat d'idées en lui-même. La fonction présidentielle reste par conséquent très liée au sein de l'opinion publique à une dimension affective, émotionnelle et dans l'isoloir, on peut penser que les électeurs votent plus avec le cœur qu'avec la raison. C'est en tout cas une perception des électeurs qu'entretiennent les instituts de sondages en posant aux citoyens représentatifs des questions telles que : "A-t-il trouvé le bon ton de voix ou pas?" "Le trouvez-vous ennuyeux ou pas ennuyeux?" ; "A-t-il l'air de réciter un texte par cœur ou d'improviser?"
13
: indéniablement, ce sont les qualités
personnelles des leaders politiques qui sont mises en avant lors des campagnes
13
Cf. Roland CAYROL, op. cit. , p.132 : sondage IFOP/Le Point, 1974
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présidentielles, ce qui n'est pas sans conséquences sur les rapports entre l'opinion publique et la classe politique en dehors de ces grandes échéances électorales…
D'autre part, parallèlement à cette personnalisation du jeu politique, on a assisté à une baisse continuelle de l'identification partisane des électeurs, avec comme corollaire une instabilité de plus en plus manifeste des comportements électoraux : ces comportements semblent en effet, et pour une grande partie de l'électorat – le fameux "marais", ou électorat flottant – de moins en moins rationnels puisque d'une élection à l'autre, une partie de l'opinion peut changer d'orientation politique. En outre, l'identification des citoyens à un parti est de moins en moins explicative de leur comportement politique : de nombreuses études montrent qu'en France on assiste à un très net décrochage de la fidélité d'un grand nombre d'électeurs à leur parti habituel.
Au total, on remarque qu'au fil des années, le nombre d'indécis a nettement augmenté : même les citoyens attachés à une étiquette partisane tendent à avoir des comportements électoraux imprévisibles, échappant à toute explication rationnelle.
En outre, la perception que les Français ont de la classe politique s'est nettement dégradée au fil des années. Cette désaffection de la classe politique au sein de l'opinion publique se traduit dans les sondages d'opinion effectués à ce sujet. Les affaires de corruption qui entachent la réputation des plus hauts responsables politiques ne sont pas étrangères à cette perception de plus en plus négative de la classe politique par les citoyens français. Le sondage effectué par la
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Sofres pour le journal Le Monde 14suite à l'affaire de la cassette Méry sur l'image de la politique dans l'opinion publique française en octobre dernier est à cet égard éloquent : quand on leur demande ce que leur évoque le mot "politique", 48% des Français répondent qu'ils éprouvent de la méfiance, 24% du dégoût, 18% de l'intérêt, tandis que le mot "enthousiasme" n'a été choisi que par … 1% des sondés! Au moment des élections, cette désaffection, voire même ce désintérêt se traduit par un niveau d'abstention assez conséquent. Aux dernières municipales, par exemple, de forts taux d'abstentions ont été enregistrés dans les milieux les plus populaires et chez les plus jeunes.
La politique dans ses aspects les plus traditionnels ou les plus occultes ennuie, provoque la méfiance des citoyens ou tout au moins leur désintérêt. Lors des grandes échéances électorales, les électeurs boudent les isoloirs et ceux qui se présentent aux bureaux de vote ont des comportements de moins en moins prévisibles. Les citoyens ne semblent plus dupes des promesses électorales. Il existe toujours une frange de la population compétente politiquement, engagée et militante. C'est la "France de la rue"15. Et cette France-là semble toute acquise à la cause de ceux qu'elle soutient, même si comme je l'ai déjà évoqué la fidélité des électeurs à leur parti habituel est en baisse depuis quelques années. Mais depuis les années 60, et l'apparition d'un moyen de communication de masse, la télévision, c'est la "France de la salle à manger"15 qui semble faire et défaire les majorités au sein du champ politique : il s'agit de l'ensemble des électeurs peu politisés, à savoir les femmes, les jeunes de moins de trente ans, ou les plus âgés, au delà de soixante-cinq ans, de même que les individus appartenant aux classes 14
Cf. Sondage Le Monde/Sofres, octobre 2000 "L'image de la politique dans le cadre de l'affaire Méry" 15 Les deux expressions, déjà citées en introduction, sont de Jean-Paul GOUREVITCH, op. cit. , p151
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moyennes salariées, ou encore au milieu paysan. Cet ensemble d'individus peu intéressés par la politique constitue le "marais", qui est la frange de la population la plus réticente aux discours politiques, aux messages codés et à la langue de bois régnant dans le champ politique.16. Comme le vote de ces éternels indécis détermine de plus en plus les résultats des élections, la classe politique doit donc les séduire en employant des méthodes différentes à celles qu'elle réserve aux individus capacitaires. Les hommes politiques doivent donc faire avec les exigences contradictoires de ces deux publics, ce qui peut parfois donner lieu à un dédoublement de leur démarche politique, puisqu'il s'agit à la fois de séduire et de convaincre, de se faire aimer mais également de se faire comprendre.
Curieusement, la plupart des individus composant ce "marais" d'indécis si précieux pour les différents mouvements politiques sont également les téléspectateurs les plus assidus. C'est donc à travers le média télévisuel que les hommes politiques ont le plus de chances de les séduire ; cette constatation m'amène à évoquer l'évolution des rapports entre la classe politique et le champ médiatique, et plus particulièrement le média télévisuel.
1.1.2 L'évolution des rapports entre le champ politique et le média télévisuel
Au fil des années, le jeu politique s'est déplacé dans le champ médiatique, et plus particulièrement sur les plateaux de télévision. Le premier danger de cette 16
Cf. Roland CAYROL, op. cit. , p.152
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délocalisation du jeu politique pourrait être une dénaturation de la politique, un brouillage des codes conventionnels de la représentation démocratique, aux perspectives assez incertaines. En effet, la "téléprésence" ne remplace pas le contact direct avec les citoyens représentés, et même si elle permet de toucher un nombre plus conséquent de personnes, elle ne parviendra jamais à se substituer à l'efficacité de l'interactivité produite par les échanges directs. Cependant, cette profonde mutation au sein du champ politique, qui divise ce dernier en deux catégories : les vedettes et les hommes de terrain, est aujourd'hui considérée comme acquise et même indispensable pour la plupart des partis politiques qui ont besoin de passages à la télévision pour exister. Même les hommes politiques qui dénoncent les effets pervers de la télévision sur la démocratie sont obligés de passer dans les "étranges lucarnes" qu'ils fustigent par ailleurs pour pouvoir exister politiquement et faire entendre leur opinion au plus grand nombre. Ainsi, le Parti Communiste français, qui s'était longtemps cantonné sur ses positions en réfutant l'idée que la télévision était devenue l'instrument dominant de communication politique, a été amené à changer son fusil d'épaule et à considérer le petit écran comme canal privilégié de son action de propagande.17
Ainsi, la télévision entretient avec le champ politique des rapports étroits, fonction des enjeux sous-jacents pour la classe politique. La télévision semble être devenue au fil des années et pour l'ensemble de la classe politique l'un des lieux principaux de la vie politique partisane. Depuis les années 60, les hommes politiques sont toujours plus présents à la télévision et ils ont appris à se servir du média télévisuel, malgré leurs réticences premières, pour diffuser leurs idées au plus grand nombre.
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Cf. Roland CAYROL, op. cit. , p.140
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Cependant la télévision a profondément altéré les comportements des hommes politiques en raison de nombreux facteurs. Tout d'abord, les exigences techniques du média télévisuel incitent les hommes politiques à faire ressortir leur côté humain, car les images ont beaucoup plus à voir avec l'émotion qu'avec la raison. Par conséquent, la télévision est beaucoup plus un instrument de séduction que de conviction, et le discours politique s'en trouve profondément simplifié. Il faut "accrocher" le public par des attitudes bien définies face à la caméra. En télévision, l'une des lois élémentaires est la suivante : la diffusion de tout message est fonction de sa "richesse" en relation et de sa "pauvreté" en information, le rapport de proportionnalité inverse entre ces deux composantes lui offrant les meilleures chances d'être approprié par ses destinataires, qui le reprendront à leur compte et assureront sa reproduction.18. Le message qui marche le mieux est donc celui qui se prête le plus à la reproduction par ses destinataires, soit parce qu'il sollicite ses désirs et son imaginaire, soit parce qu'il apporte une information simple et claire, et plus généralement parce qu'il permet au destinataire de s'y reconnaître, en offrant une "image de soi" à partager.
Ainsi, le média télévisuel a introduit au centre des stratégies politiques la notion d'"image", au sens propre – l'image diffusée, soumise à l'interprétation de chacun - comme au sens figuré d'"image de marque" à véhiculer. L'homme politique est plus que jamais un "entrepreneur en représentation"19 qui maîtrise sa présentation de soi de façon encore plus manifeste depuis l'apparition de la télévision. Un indice de l'importance de l'image en politique est la prolifération des conseillers en communication qui se sont en premier lieu occupés des candidats aux élections présidentielles mais qui sont aujourd'hui présents dans l'ensemble du champ politique. Leur fonction est de mettre les hommes politiques 18 19
Cf. Patrick LECOMTE, op. cit. , p.24 Cf. Michel OFFERLE, Les partis politiques, Paris, PUF, 1987
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en confiance, de les préparer à leurs passages à l'antenne de façon à éviter tous ces "petits riens" qui pourraient choquer la France téléspectatrice, et enfin de mettre au point les messages, c'est à dire traduire en termes intelligibles le message politique du leader ou de l'organisation politique au nom de laquelle il s'exprime, et en fonction du public visé. Bref, on est clairement dans le domaine du paraître, de la représentation théâtrale, de l'omniprésence de l'image dans les stratégies des hommes politiques.
Indéniablement, cette évolution interne au champ politique a été la conséquence des exigences imposées par le média télévisuel. Mais elle résulte sans doute également d'une troisième interaction : la nature de la demande des téléspectateurs en matière d'émissions politiques télévisées.
1.1.3 L'évolution de la demande des téléspectateurs en matière d'émissions politiques à la télévision.
Les émissions politiques ont pratiquement toujours existé à la télévision française. Cependant, leurs formats ont été amenés à évoluer avec d'une part les progrès techniques et d'autre part l'adaptation aux exigences des téléspectateurs.
Or depuis quelques années, ce sont les spectateurs dont les comportements sont connus grâce aux mesures d'audience, qui semblent faire et défaire les grilles de programmes. La politique à la télévision est sûrement l'une des catégories de programmes à avoir le plus souffert de cette dictature de l'audimat, car les émissions politiques à la télévision n'ont jamais atteint des succès d'audience 18
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extraordinaires, hormis peut-être au moment des grandes échéances électorales comme les élections présidentielles. La désaffection de l'opinion publique pour la classe politique française, que j'ai évoquée précédemment, n'arrange certes pas cet état de fait.
Que demandent les téléspectateurs en matière d'émissions politiques à la télévision? Moins de politique, indéniablement. Les émissions politiques traditionnelles, où des journalistes politiques posent des questions politiques aux hommes politiques sans réellement se soucier de l'intelligibilité du débat pour le Français moyen sont rejetées en masse. Jusqu'au milieu des années 70, les émissions politiques connaissaient de larges succès d'audience. Ainsi, l'émission de Michel Bassi et Alain Duhamel, A armes égales, réunissait 8 millions de téléspectateurs en moyenne, soit un taux d'audience de 28%. En 1977 apparaît une émission mensuelle, Cartes sur table, qui se caractérise par une grande liberté de ton des deux journalistes-interviewers chargés de "cuisiner" les hommes politiques en présence, Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach. Cependant si l'émission obtient un succès d'estime, l'audience de masse n'est plus au rendezvous : entre 7,3 et 7,8% des téléspectateurs suivent régulièrement cette émission politique d'un nouveau genre. L'émission emblématique des années 80 et du début des années 90 reste sans conteste l'Heure de Vérité, qui se présentait comme une épreuve, un examen imposé aux hommes politiques confrontés aux plus grands journalistes politiques de l'époque, parmi lesquels on comptait évidemment Alain Duhamel, pionnier du genre à la télévision, mais aussi aux téléspectateurs qui pouvaient poser des questions aux invités. L'émission est assez théâtralisée, les leaders politiques font leur entrée au son de Live and let die de Paul McCartney, et le public est assis dans des gradins évoquant quelque arène romaine. Mais le
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contenu reste entièrement politique, et malgré ces dispositifs de spectacularisation censés attirer le public, l'audience stagne entre 10 et 12% tout au plus.
Ainsi, les émissions politiques dites "traditionnelles" sont en décalage avec les attentes de la majorité des téléspectateurs, comme en témoignent leurs audiences déclinantes. Ce phénomène n'est pas nouveau puisque comme je viens de le montrer il semble s'être amorcé au début des années 80. Certes, les grandes émissions politiques sont reprises par la presse, sont très regardées par les individus compétents politiquement, ces fameux citoyens capacitaires, et très appréciées au sein du champ politique. Mais dès la fin des années 80, avec la privatisation de TF1, et l'arrivée de nouvelles chaînes dans le paysage audiovisuel français l'audimat et la nécessité d'attirer les recettes publicitaires vont occuper une place centrale dans les logiques de programmation des grandes chaînes, y compris des chaînes de service public. Les dirigeants de ces grandes chaînes vont peu à peu prendre conscience de l'existence d'un décalage entre la demande du public et les formats des émissions proposées.
Cependant, parallèlement à cette désaffection des téléspectateurs pour les émissions politiques traditionnelles, on note que la télévision continue à être considérée comme l'aide la plus utile à la détermination du vote, loin devant la presse écrite, la radio, les conversations, les sondages et les meetings, même si son influence semble être en baisse continue depuis quelques années20. Mais les téléspectateurs interrogés privilégient plus la recherche d'informations lorsqu'ils regardent les émissions politiques qu'ils ne déterminent réellement leur vote, ce que les hommes politiques ont du mal à comprendre lorsqu'ils s'engagent dans de vastes opérations de séduction télévisuelle, comme je le montrerai en dernier lieu. 20
Source : Patrick LECOMTE, op. cit. , p.52
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La télévision reste néanmoins la source d'information principale d'une majorité des Français, ce qui constitue pour les hommes politiques, notamment en période de campagne électorale, une donnée capitale dans leur stratégie médiatique. Ils se doivent donc d'être présents sur le petit écran d'une façon ou d'une autre, et de manière à toucher le public le plus large possible. Cette constatation est capitale pour comprendre la récente évolution des émissions politiques vers des formats plus hybrides ou n'ayant carrément plus grand-chose à voir avec la politique.
Ainsi, les évolutions au sein du triangle constitué par la classe politique, l'opinion publique et plus particulièrement les téléspectateurs et le média télévisuel ont certainement abouti à repenser les formats des émissions politiques à la télévision : l'évolution des rapports entre l'opinion publique et la classe politique, beaucoup plus lâches et instables qu'auparavant, accompagnée de la personnalisation du jeu politique introduite par l'élection du Président de la République au suffrage universel et qui petit à petit a gagné l'ensemble du champ politique, ont conduit les hommes politiques à revoir leurs stratégies médiatiques en insistant plus sur la séduction des électeurs indécis que sur la nécessité de les convaincre. La télévision a exacerbé cette tendance en introduisant dans le champ politique la notion d'"image", une présentation de soi qui se travaille en amont des prestations télévisées, prestations qui doivent avant tout "faire bonne impression" aux téléspectateurs. Enfin, la demande des téléspectateurs en matière d'émissions politiques pousse les dirigeants des grandes chaînes à refondre complètement les concepts traditionnels, qui ne font plus recette depuis les années 80.
Il apparaît que cette nouvelle configuration des rapports de force au sein du triangle constitué par le champ politique, le média télévisuel et une partie de l'opinion publique constituée par les téléspectateurs est à l'origine de l'abandon des
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concepts d'émissions politiques traditionnelles et de l'évolution vers des formats plus hybrides, de plus en plus orientés vers le divertissement.
1.2
Les effets de ce nouveau rapport de force sur les formats des émissions politiques : de l'hybridation à la tabloïdization…
Il apparaît que les évolutions précédemment évoquées dans les rapports entre les trois pôles du triangle Champ politique/Média télévisuel/Opinion publique ont profondément révolutionné la façon d'appréhender la politique à la télévision. Les chaînes de télévision, tout d'abord, ont eu tout intérêt à produire des émissions plus attrayantes et destinées au public le plus large possible, pour limiter les effets de l'érosion de l'audience constatée dès le début des années 80. D'autre part, les hommes politiques, qui à travers leurs prestations télévisées cherchent à atteindre le plus de téléspectateurs possible ont dû détourner les effets de l'exposition sélective aux médias de ces derniers, encouragés par l'apparition du zapping et la multiplication de l'offre télévisuelle amorcée avec le développement du câble et du satellite, en participant à des émissions n'appartenant pas au champ politique ou tout au moins dont les formats étaient plus attrayants pour le public. La conjugaison des intérêts des grandes chaînes de télévision et de la classe politique a entraîné d'une part une crise et une remise en question du journalisme politique traditionnel qui a essayé d'évoluer vers des formats d'émissions plus souples et destinés à un public plus large que celui des individus capacitaires ; mais les hommes politiques ont aussi progressivement choisi d'apparaître dans des émissions n'appartenant pas au champ politique.
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Je verrai donc en premier lieu comment les journalistes politiques ont essayé de pérenniser le genre à la télévision en tentant de le moderniser, puis je montrerai que dans les années 90, ce sont les talk-shows qui ont pris le dessus sur les formes d'émissions plus traditionnelles, les animateurs l'emportant progressivement sur les journalistes. Enfin, je présenterai les deux formes ultimes de cette hybridation entre politique et divertissement : les deux émissions de Michel Drucker et Thierry Ardisson, Vivement Dimanche et Tout le monde en parle.
1.2.1 Crise et tentative de modernisation du journalisme politique traditionnel
Le journalisme politique télévisé traverse indéniablement une crise profonde. Les journalistes politiques, face à l'érosion de l'audience et à la désaffection du public, se trouvent devant une alternative pour le moins inconfortable : pérenniser les formes d'interactions classiques entre eux et les hommes politiques ou redéfinir en profondeur les caractéristiques de leur spécialité21. Si les téléspectateurs ne sont plus au rendez-vous, chaînes de télévision et hommes politiques n'ont plus vraiment intérêt à parier sur ce type de programme.
C'est devant ce constat que les journalistes politiques ont tenté de proposer aux chaînes des nouveaux formats plus attractifs pour le public, et ce dès le milieu des années 80. En premier lieu, les concepteurs des émissions politiques ont 21
Cf. Erik Neveu, op. cit. ,p. 26
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essayé de susciter l'interactivité des téléspectateurs : comme je l'ai déjà montré précédemment, par exemple, pendant la durée de l'émission L'Heure de Vérité, les téléspectateurs avaient la possibilité d'appeler le standard d'Antenne 2 pour interroger les hommes politiques qui se trouvaient alors confrontés à un interlocuteur supplémentaire : l'opinion publique, celle-là même qui reproche aux journalistes politiques leurs questions "occultes" et qui avait là la possibilité de faire part directement aux invités de leurs préoccupations, avec leurs propres mots. Par la suite, un panel d'individus représentatifs de la population française a fait son apparition sur le plateau, chargé d'intervenir tout au long de l'émission sur les prestations des hommes politiques interrogés puis de rendre leur jugement en fin d'émission. François-Henri de Virieu, animateur de l'émission, pensait ainsi "donner du rythme, renforcer la dimension du spectacle, mais aussi et surtout apporter aux journalistes présents dans le studio cette légitimité populaire qui leur fait défaut."22. Le mot est lâché : les journalistes politiques sont trop en décalage avec les attentes des téléspectateurs et de l'opinion publique en général, et le panel d'individus représentatifs présent sur le plateau servait de contrepoids à ces spécialistes en même temps qu'il permettait de rapprocher le contenu de l'émission des attentes réelles des téléspectateurs. Il s'agissait donc là d'un progrès dans le sens de l'intelligibilité des débats politiques pour les téléspectateurs puisqu'ils pouvaient intervenir directement.
Mais j'ai également montré que les nouveaux rapports entre l'opinion publique et la classe politique entraînaient une personnalisation de cette dernière, ce qui poussait les hommes politiques à mettre en avant leur côté "humain". Les journalistes politiques ont tenté d'exploiter cette demande à la fois des téléspectateurs et des hommes politiques eux-mêmes en proposant de dévoiler 22
Cf. Erik NEVEU, op.cit., p.30
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
davantage la personnalité privée des hommes publics. Dès 1986, TF1 a proposé dans cet esprit l'émission Questions à domicile. L'émission se déroulait au domicile même de l'invité politique et les deux journalistes, Anne Sinclair et Pierre-Luc Séguillon, posaient les questions classiques du journalisme politique mais tentaient en même temps de "psychologiser"
l'entretien en dressant le
portrait de l'homme privé. Selon Erik Neveu, ce portrait "permettait à un public peu politisé de faire usage des grilles de perception empruntées à la vie quotidienne, de pénétrer dans l'intimité des grands comme par effraction.". 23. On retrouve là une exploitation de l'idée précédemment évoquée24 que le média télévisuel produit des images qui ont beaucoup plus à voir avec l'émotion qu'avec la raison. Les messages imagés sont soumis par chacun de leurs récepteurs à un travail de décryptage interprétatif qui mobilise l'imaginaire et l'affectivité propres à leur psychisme individuel et qui conduit à filtrer et trier le flux d'images transmis, en sélectionnant et intégrant celles qui entrent le mieux en résonance avec les représentations constitutives de leur imago.25. Ainsi, le fait de plonger l'homme politique dans son environnement quotidien, quand bien même il s'agit là d'une intimité contrôlée, va séduire les téléspectateurs les moins intéressés politiquement parce qu'ils se retrouveront à un moment ou à un autre dans les propos de l'invité en tant que personne privée : cette évolution vers la psychologisation des émissions politiques répond bien à la nouvelle configuration des interactions entre champ politique, télévisuel et opinion publique.
Enfin, une troisième tendance a constitué dans les années 80 à "diluer" la politique dans des émissions d'informations plurielles comme 7/7 : d'une part, les invités n'appartenaient plus tous au champ politique : il n'était pas rare de voir, 23
Cf. Erik NEVEU, Op.cit., p.30-31 Ibid, p.17 25 Cf. Patrick LECOMTE, Op.cit, p.34-35 24
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face à Anne Sinclair, des sportifs de haut niveau, des stars de cinéma ou d'autres artistes s'exprimer sur l'actualité au même titre que les traditionnels responsables politiques. D'autre part, le concept-même de l'émission, à savoir le commentaire par l'invité de la semaine écoulée, incitait les responsables politiques présents à s'exprimer sur des sujets autres que les débats internes au champ politique, ce qui rendait cette émission malgré tout assez politique accessible au plus grand nombre de téléspectateurs. Tout le monde y trouvait finalement son compte car le créneau horaire où l'émission était programmée attirait un nombre honorable de téléspectateurs, et ce programme répondait finalement assez bien à la demande de ces derniers en tout cas dans la période où il a été diffusé.
Qu'en est-il aujourd'hui? Ces grands rendez-vous des années quatre-vingt, dont certains se sont prolongés jusqu'au milieu des années 90, ont fini par disparaître, faute d'audience suffisante. Aujourd'hui, les émissions politiques sont revenues à des formats plus traditionnels et sont reléguées à des heures peu favorables, le plus souvent sur les chaînes de service public : Mots croisés passe le lundi soir en deuxième partie de soirée en alternance avec un autre magazine d'information ; France-Europe Express, le magazine de Christine Ockrent, est relégué dans une case horaire tardive du dimanche soir. Enfin, signe des temps, le rendez-vous politique proposé par Ruth Elkrief l'an dernier, 19:00 Dimanche, une émission au concept voisin de celui de 7/7, a disparu de la grille des programmes de TF1 après avoir seulement passé un an dans la case horaire royale qui donnait son titre à l'émission… battue par Michel Drucker et son Vivement Dimanche prochain. "La télé n'aime plus la politique", conclut, amère, l'intéressée.26
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Interview accordée au magazine Elle, en juin 2000
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En réalité, ce sont les façons d'aborder la politique dans ces émissions qui semblent avoir vécu pour les responsables des chaînes comme pour les téléspectateurs, malgré les tentatives de modernisation des concepts. Il apparaît que la nature des programmes télévisés a énormément évolué depuis une quinzaine d'années et que les émissions politiques ne répondent pas encore assez aux attentes réelles des téléspectateurs en matière de programmes télévisés. Je vais maintenant montrer que cette forme d'épuisement du journalisme politique traditionnel a profité à d'autres professionnels de la télévision n'appartenant pas vraiment au champ journalistique : les animateurs.
1.2.2 Les nouveaux formats télévisuels dominants depuis les années 90
Si les émissions politiques sont petit à petit tombées en désuétude à partir des années 80, ou tout au moins si elle n'ont pas su parvenir à rencontrer un public aussi large qu'elles l'auraient souhaité, c'est parce que de nouveaux formats d'émissions, la plupart importés des Etats-Unis, ont fait leur apparition à la télévision française et ont peu à peu consacré le mélange des genres comme règle absolue. Quelles ont été les différentes étapes de ces évolutions?
D'une part, les années quatre-vingt dix ont vu apparaître un nouveau genre d'émission, encore dominant aujourd'hui : le talk-show, qui comme son nom l'indique constitue avant tout une conversation familière et conviviale entre des médiateurs-vedettes et leurs invités dont la notoriété est le capital symbolique
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
essentiel27. Nulle Part Ailleurs, vitrine de la chaîne cryptée Canal Plus, en est un exemple. Un espace concurrent de prise de parole a ainsi pris forme et au fil des années les hommes politiques se sont mis à apparaître de plus en plus fréquemment dans ce type de programme, touchant il est vrai des téléspectateurs plus nombreux et peu clients des émissions politiques traditionnelles. Au sein du champ médiatique, ce nouveau type d'émission oppose les journalistes politiques à une autre catégorie de professionnels : les animateurs. Ces derniers assoient leur légitimité sur leur spontanéité, le fait qu'ils soient étrangers au monde politique tandis que les journalistes politiques en connaissent toutes les ficelles, que leurs questions sont plus proches des préoccupations des gens ordinaires que celles des spécialistes initiés à la "cuisine politique" et aux subtilités de cet univers si particulier. Michel Field, alors animateur-médiateur de l'Hebdo sur Canal Plus, un forum hebdomadaire qui confrontait un homme politique à un public essentiellement composé de profanes, s'offusquait dans une interview accordée au Monde en 199428 de l'existence même de journalistes spécialisés dans la politique: "Cela veut dire que la politique a perdu sa valeur d'organisation de la cité."
Ainsi, les journalistes politiques ne sont plus les détenteurs légitimes du savoir au sein du champ journalistique en matière de politique. Les animateurs se sentent tout aussi capables d'interroger les grands de ce monde selon des modalités évidemment différentes. Les hommes politiques ont suivi ce mouvement et aujourd'hui leur stratégie médiatique consiste à apparaître à la fois dans les émissions politiques peu regardées et reléguées à des horaires tardifs pour continuer à convaincre le public des individus capacitaires et à se rendre dans des émissions plus ou moins légères, où ils ne sont plus confrontés à des spécialistes du champ politique mais à des animateurs-vedettes. 27 28
Cf. Patrick LECOMTE, op. cit., .p.33 Le Monde, 9-10 octobre 1994
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Aujourd'hui, la formule politique+quelque chose29 est consacrée. Certains parlent d'Infotainment – concept hybride entre information et divertissement – et la règle absolue est le mélange des genres. Une des principales différences avec les émissions politiques traditionnelles est qu'on y parle évidemment beaucoup moins de politique, ou tout au moins sur un ton beaucoup plus libre. Il y a à la fois dilution, immersion de la politique dans un contexte plus léger, qui se traduit par la présence d'autres invités n'appartenant pas au champ politique, et psychologisation car l'accent est indéniablement mis sur le personnage privé de l'invité. Le succès de ces émissions réside donc dans le fait qu'elles sont parvenues à réunir dans leur concept deux ingrédients de réussite que les émissions politiques avaient tenté d'intégrer, mais toujours séparément, comme j'ai pu le montrer dans le paragraphe précédent. Par ailleurs, le fait qu'elles soient étiquetées "divertissement" est à même d'attirer les téléspectateurs les plus indifférents à la politique
Ces nouvelles émissions semblent être le point d'aboutissement de l'évolution des rapports de force au sein du triangle constitué par le champ politique, le média télévisuel et les téléspectateurs. Vivement Dimanche de Michel Drucker et Tout le monde en parle de Thierry Ardisson, quoi que très opposées sur la forme, sont deux expressions de cette nouvelle génération d'émissions. Les hommes politiques s'y précipitent d'ailleurs. Quelles sont les principales caractéristiques de chacune de ces deux émissions?
29
L'expression est de Jean-Louis SCHLEGEL, "Un dimanche soir chez Michel Drucker" – in Esprit, Splendeurs et misères de la vie intellectuelle, mai 2000, p.215
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1.2.3 Deux expressions de cette nouvelle d'émissions: les cas Drucker et Ardisson
génération
Toutes deux diffusées sur la chaîne de service public France 2 le week-end et étiquetées "divertissement", Tout le monde en parle et Vivement Dimanche n'en sont pas moins très différentes. S'il leur arrive de recevoir les mêmes invités à quelques semaines d'intervalle, le public visé n'est pas le même puisque l'émission d'Ardisson est diffusée le samedi soir en deuxième partie de soirée tandis que celle de Drucker occupe une tranche horaire beaucoup plus familiale, celle du dimanche après-midi et de l'access prime-time du même jour.
En réalité, le style de chacune de ces deux émissions est indéniablement marqué par la personnalité du maître des lieux. Michel Drucker, gendre idéal du paysage audiovisuel français, ami de tous les artistes, est ici au sommet de son art. Quelle que soit l'orientation politique de son invité, il exerce avec minutie son talent de flatteur. Aller chez Michel Drucker pour un homme politique c'est indéniablement se refaire une santé, corriger son image et paraître deux heures et demie durant à son avantage. Tous les hôtes de Michel Drucker, politiques ou artistes, sont invités à préparer leur émission de A à Z ; l'animateur insiste d'ailleurs sur cet aspect comme lorsque Martine Aubry est venue faire "son" Vivement Dimanche le week-end suivant le vote de la loi des 35 heures30 : "Aujourd'hui nous recevons un personnage important, ça a été une semaine éprouvante pour elle mais elle a tenu ses engagements, elle a préparé très sérieusement cette émission et elle est venue malgré la fatigue…" Le maître des lieux s'emploie à faire apparaître les invités à leur avantage par ses réflexions et 30
Vivement Dimanche, 24 octobre 1999
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ses compliments: il a l'art de dépolitiser et de neutraliser les discussions avec ses invités politiques. On le voit flatter ainsi Laurent Fabius
31
: "il paraît que vous
êtes bon au Scrabble?", "Vous aimez le sport, évidemment, vous êtes un vrai sportif." ; "Vous êtes très élégant, Mr le ministre.". Martine Aubry se voit complimentée à trois reprises au cours de l'émission sur son sens de l'humour, de même que l'inusable Arlette Laguillier32. Michel Drucker fait donc tout pour que les invités se sentent à leur aise et paraissent à leur avantage. L'émission entière tourne autour de la vedette conviée, qu'elle appartienne au monde de la politique, de la chanson ou du cinéma. "Quelle ambiance, le public, toutes générations confondues, est venu applaudir Edouard Balladur"33. "Laurent Fabius, Hélène Ségara est là, elle va chanter pour vous". Ne peut-on pas penser que le public est plutôt venu assister à une émission de variété et que les artistes invités viennent avant tout faire la promotion de leur dernier album? Personne n'est vraiment dupe, mais tout le monde y trouve son compte. Le discours est clairement intimiste, le personnage privé est mis sur le devant de la scène, savamment présenté dans des séries de petits reportages qui prennent parfois l'allure de véritables clips électoraux34. Les artistes, écrivains, amis conviés par la star du jour parlent tous de l'invité en termes élogieux. Enfin, le décor joue également un rôle important : deux canapés identiques se font face, l'animateur occupe la même position que son invité, ils sont tous deux sur un pied d'égalité. Le public entoure ce salon familial reconstitué et en net contraste avec les panneaux de strass et de paillettes qui composent l'autre élément dominant du décor.35. On est donc bien à la fois dans l'intimité des grands de ce monde mais également dans la "politique31
Vivement Dimanche, 3 décembre 2000 Vivement Dimanche, 28 novembre 1999 33 Vivement Dimanche, 16 avril 2000 34 Pour reprendre les termes de Roland Cayrol dans l'introduction de son ouvrage La nouvelle communication politique ( op.cit., p.9) : "Un assaut de sourires enjôleurs, de regards cajôleurs, […] : je te chante une chanson, je te montre ma cuisine, regardez mes enfants comme ils sont beaux et ma femme comme elle est charmante, voyez mes yeux comme j'ai l'air franc…"34 35 Cf. capture 5 en annexe 32
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
paillettes", la vedettisation des hauts responsables et des leaders politiques… Dans la deuxième partie de l'émission, Vivement Dimanche prochain, Michel Drucker n'est plus seul à la barre mais accompagné de trois chroniqueurs : le très médiatique psychanalyste Gérard Miller, qui joue là le rôle de l'intellectuel de service. Il joue la connivence avec bon nombre des invités présents sur le plateau car il ne cache pas ses opinions politiques : personne n'ignore qu'il est de gauche, il s'emploie d'ailleurs à le rappeler à chaque émission. Aux autres, il destine les compliments, les questions et les petites réflexions empoisonnées, dont voici un petit florilège très significatif :
A Alain Madelin : "Alain Madelin, il y a quelque chose que j'admire dans votre parcours… Vous vous êtes intégré de façon tout à fait heureuse dans la démocratie et la politique républicaine…" (allusion à son passé à Occident…) A Philippe Douste-Blazy : "Je connais Mr. Le ministre, il n'a que des qualités : il est démocrate. Il a peut-être un seul défaut : je le dis parce que c'est un défaut qu'il partage avec la majorité des centristes : il est mortellement chiant quand il parle politique… alors j'ai fait préparer du café noir très, très fort…" A Edouard Balladur: "Je vous trouve extrêmement exotique. Vous avez défendu la différence, vous avez fait un éloge dans votre dernier livre là-dessus. Quand je vous vois au milieu d'hommes politiques à la démagogie galopante, je trouve que vous n'êtes pas fait tout à fait du même moule… Je soutiens Mr Delanoë, et j'aimerais que vous vous présentiez à Paris contre lui…" Balladur hésite à prendre ça comme un compliment, et il n'a peut-être pas tort : "Vous voulez que je me présente parce que vous pensez qu'avec moi Delanoë a plus de chances de gagner, c'est ça?".
Mais comme tout cela n'est pas très sérieux, et qu'il a conscience d'appartenir au "show Drucker", il joue parfois les trublions comme ses deux compères, Bruno Masure et Philippe Geluck. Ces deux derniers évoluent plus dans le registre de l'humour et de la dérision, le domaine de Bruno Masure se limitant à ses légendaires jeux de mots et autre calembours tandis que Philippe
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Geluck régale les invités de ses questions absurdes et délirantes, comme je serai amenée à le montrer plus loin. Finalement, la moindre charge critique émanant d'un de ces trois complices de Drucker est annihilée par ce dernier qui, du fait peut-être de la durée limitée de l'émission, tempère les questions les plus incisives, enchaîne rapidement dès qu'il sent que le ton devient trop polémique et que la tension monte sur la plateau – ce qui est très souvent le cas après les interventions de Gérard Miller lorsque des hommes politiques de droite sont présents – et dans l'ensemble, l'ambiance reste conviviale sur le plateau grâce aux efforts du médiateur Drucker.
L'ambiance est très différente chez Thierry Ardisson. Si l'expert en provocations des années 80 semble s'être assagi après s'être fait oublier pendant quelques années et s'être racheté une respectabilité en se retirant sur une chaîne câblée de renom, Paris Première, pour y présenter un magazine culturel quotidien, Rive Droite, Rive Gauche, il n'en demeure pas moins l'antithèse de Michel Drucker. Le concept de Tout le monde en parle est plus proche du talkshow que du divertissement. Plus que chez Drucker, le mélange des genres est consacré. Sur un même plateau il n'est pas rare de croiser un homme d'Eglise, un prétendant au trône – car l'animateur ne se cache pas d'être royaliste - , un militant homosexuel, une chanteuse à la mode, un comique, et quelques acteurs ou mannequins pour compléter le tout. Les hommes politiques qui viennent chez Ardisson savent à quoi s'en tenir. Si faire l'émission de Drucker est très positif en terme d'image, cette dernière étant maîtrisée de A à Z, il faut s'attendre à ce qu'elle soit plutôt malmenée chez Ardisson. C'est en effet l'animateur qui prépare ses interviews seul, tandis que chez Drucker les hommes politiques et leurs conseillers en communication y mettent leur grain de sel. On parle beaucoup plus de politique dans Tout le monde en parle, et sur un ton beaucoup plus polémique
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que dans Vivement Dimanche.; Thierry Ardisson refait la vie de ses invités politiques et n'hésite pas à mettre le doigt sur leurs incohérences passées et les ambiguïtés de leurs carrières politiques. On le voit interpeller par exemple Christine Boutin en ces termes : "Quand vous brandissez la Bible à l'Assemblée Nationale, vous avez conscience que la Bible, c'est infernal, quand même, il y a Sodome et Gomorrhe, de l'inceste même, quand la fille de Loth touche son père pour qu'il la saute…"36Cet exemple peut-être extrême du "style Ardisson" donne cependant le ton de l'émission. L'animateur a pour autre spécialité de ressortir aux moments opportuns les "petites phrases" qui ont circulé dans le monde politique ; il rappelle ainsi au député de la Somme : "Maxime Gremetz, Robert Hue a dit de vous quand vous n'avez pas voté la confiance au gouvernement Jospin : 'Il ne faut pas lui en vouloir, c'est l'idée de voter qui le terrorise : il vit encore dans un monde où ça ne se faisait pas…'"37. La biographie des invités de Tout le monde en parle est donc sévèrement revue et corrigée par Thierry Ardisson et l'entretien se veut sans concessions. Pour punir ses invités d'un éventuel usage de la langue de bois, il utilise des méthodes peu communes ; il a ainsi prévenu le même Maxime Gremetz des sanctions-maison avant de débuter son interview : "On est ravis de vous recevoir dans cette émission, mais si vous faites des discours d'homme politique et si vous utilisez la langue de bois il y a deux punitions : la première c'est que je vous passerai un extrait d'I Muvrini…38, la seconde c'est que vous serez mosaïqué39". Mais si les invités politiques jouent le jeu de l'animateur, ils ont le droit à quelques menus présents comme quelques jolies danseuses exécutant une chorégraphie spécialement pour eux40 ; de même, Philippe Douste-Blazy, ayant selon Thierry Ardisson très bien répondu à son hyperview, s'est vu offrir – 36
Tout le monde en parle, émission du 16 janvier 1999 Tout le monde en parle, émission du 19 février 2000 38 Cf. capture 6 39 Cf. capture 7 40 Cf. capture 8 37
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
ou plutôt jeter au visage – le dernier ouvrage de Karl Zéro41. Ces deux "punitions" et ces "bons points" témoignent d'un autre aspect de l'émission Tout le monde en parle : il s'agit en effet d'un programme mêlant l'interview sérieuse et une dimension plus ludique : devant lui, Ardisson dispose d'un sampler et ponctue les interventions de ses invités par des extraits sonores correspondant à la situation. Ainsi, Françoise de Panafieu a été accueillie au son de "Tout va très bien, madame la Marquise", et à chaque fois que Michel Bulté, alors conseiller de Paris auprès de Tibéri parlait de son "ami Jean", Ardisson lui passait très délicatement un extrait des Portes du pénitencier de Johnny Hallyday.42. Autre caractéristique de l'émission: les fameuses "interviews-concepts" auxquelles sont soumis tous les invités. J'aurai l'occasion de montrer plus tard combien les interviews-mensonge (l'invité doit répondre le contraire de ce qu'il pense) et autres interviewsdyslexique (les hommes de droite comme Patrick Devedjian doivent répondre en communistes, et vice-et-versa) embarrassent les invités politiques mais peuvent générer des petits moments de vérité assez intéressants à étudier. Certaines interviews, comme l'interview nulle sont moins sujettes à des commentaires politiques. Que dire de l'interview alerte rose, essentiellement basée sur le sexe et dont Michel Rocard fut bien malgré lui la victime? La vie privée des invités est donc également mise en avant même si la personnalité ainsi révélée des hommes politiques n'est pas forcément positive pour leur image. Néanmoins, selon leur degré de décontraction sur le plateau, ils apparaissent plus ou moins sympathiques aux yeux du public. Plus ils ont de la répartie et jouent le jeu de l'animateur et des ses trublions – Laurent Baffie, Laurent Ruquier et consorts – plus leur prestation est remarquée et reprise par la presse, ce qui par exemple a été largement le cas pour Michel Rocard.
41 42
Cf. capture 9 Tout le monde en parle, best of, émission du 17 juin 2000
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
Au total, il apparaît que les concepts des deux émissions les éloignent plutôt l'une de l'autre : si les hommes politiques paraissent clairement à leur avantage chez Michel Drucker, leur image est plutôt malmenée chez Thierry Ardisson. Cependant, les hommes politiques sont presque plus présents dans la seconde émission que dans la première. Il apparaît donc qu'ils ont de bonnes raisons de se rendre dans l'une ou l'autre de ces deux émissions…
Ainsi, les hommes politiques sont aujourd'hui encore très présents dans les émissions politiques traditionnelles mais celles-ci étant peu regardées par les téléspectateurs et reléguées aux horaires les plus tardifs, ils se rendent de plus en plus nombreux dans les émissions de divertissement où leur personnalité est mise en avant et où le mélange des genres est consacré. Cette tendance à la dilution et à la psychologisation constatable depuis le milieu des années 90 est aujourd'hui dominante, et correspond bien à une évolution des rapports de force entre le média télévisuel, les téléspectateurs et le champ politique. Vivement Dimanche et Tout le monde en parle, deux émissions de divertissement au départ non conçues pour recevoir des invités politiques, en sont deux expressions. Après avoir décrit les origines de l'apparition de ce type d'émission, et leur contenu, je vais maintenant m'intéresser à la façon dont les hommes politiques parviennent à donner une certaine image d'eux-mêmes dans chacune des deux émissions, même quand la marge de manœuvre est plus étroite, comme dans Tout le monde en parle …
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
CHAPITRE 2 : LE TRAVAIL DE PRESENTATION DE SOI DES HOMMES POLITIQUES DANS LES EMISSIONS DE MICHEL DRUCKER ET DE THIERRY ARDISSON.
Les hommes politiques qui se rendent chez Michel Drucker et Thierry Ardisson ne le font pas de manière innocente ; d'une part, comme j'ai déjà pu le montrer auparavant, ils pensent avoir un quelconque intérêt à venir dans ce type d'émissions qui leur semblent positives en terme d'image même lorsque les questions sont plus incisives et mettent moins en valeur les aspects positifs de leur personnalité, comme dans Tout le monde en parle. Il apparaît que leur présence dans ces émissions répond à une stratégie médiatique bien définie : chacun de ces programmes permet ce que Roland Cayrol appelle des "corrections momentanées d'image"43 et constitue pour ces "entrepreneurs en représentation"44 une occasion rêvée d'offrir aux téléspectateurs une image d'eux-mêmes répondant à leurs aspirations présentes, correspondant à la place qu'ils désirent occuper à un moment donné dans le champ politique. Je montrerai donc en premier lieu quels sont les enjeux et les formes prises par la présentation de soi dans chacune de ces deux émissions, à savoir l'ensemble des aspects que les invités politiques parviennent à contrôler, et ce à des fins bien définies. Je montrerai par la suite que cette marge de manœuvre
43 44
Cf. Roland Cayrol, op.cit, p.78 Cf. Michel Offerlé, op.cit.
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dans leur
Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
construction identitaire est parfois réduite par certains aspects de ces émissions relevant plus du divertissement que du journalisme politique traditionnel, donc que leurs passages dans de telles émissions ne sont pas entièrement à leur avantage...
2.1
Construction identitaire et maîtrise de l'image…
Comme je l'ai déjà montré, l'émission dominicale de Michel Drucker est préparée avec la complicité de l'invité. L'image de ce dernier est donc censée être contrôlée du début jusqu'à la fin. Mais chez Thierry Ardisson les invités peuvent aussi apparaître à leur avantage et laisser libre cours à leur travail de présentation de soi lors des entretiens dits "sérieux" avec le maître des lieux. Quoi qu'il en soit ces stratégies de re-présentation sont loin d'être innocentes. "L'identité n'est jamais du point de vue sociologique qu'un état de choses simple, relatif et flottant" disait Max Weber45. Ainsi, l'identité d'un homme politique est à tout moment redéfinie, reconstruite pour donner une image de lui conforme à ce qu'il veut représenter dans le champ politique à un moment donné de sa carrière. C'est là tout l'enjeu du passage des hommes politiques dans des émissions n'appartenant pas au champ politique : ce sont des lieux qui leur permettent de se singulariser, de se façonner une légitimité médiatique qui semble aujourd'hui un préalable indispensable à la légitimation électorale. Je verrai donc dans un premier temps en quoi l'évocation de leur enfance, de leur carrière politique et de leurs convictions fait l'objet d'un travail de sélection et de correction qui légitime leur image présente. Puis je verrai également en quoi l'évocation de leurs goûts et de leurs loisirs est beaucoup moins anodine qu'elle ne le paraît de prime abord et fait partie intégrante de la construction de leur identité, de leur image de marque, de même 45
Cf. Max WEBER, Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965, p.360
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que les invités dont ils s'entourent, particulièrement dans l'émission de Michel Drucker. Enfin, j'évoquerai la manière dont les hommes politiques parviennent, avec la complicité plus ou moins avérée des animateurs, et ce de façon plus évidente dans l'émission de Michel Drucker, à inscrire leurs prestations dans ces émissions de divertissements dans des stratégies électorales à court ou long terme.
2.1.1 Une biographie retravaillée à leur avantage…
Dans chacune des deux émissions les hommes politiques sont invités à s'exprimer sur leur vie : de l'évocation de leurs origines sociales aux motivations de leur engagement politique en passant par leur jeunesse et leur parcours scolaire, puis leur carrière politique, on peut déceler certaines stratégies de présentation de soi qui sont loin d'être anodines.
A) Les origines sociales des invités : du reniement à l'instrumentalisation
Sur leurs origines sociales et leur enfance, il est à noter que certains hommes politiques se montrent moins prolixes que d'autres. Nombre d'entre eux se servent de l'évocation de leur milieu d'origine pour justifier leur engagement politique. Ainsi, Maxime Gremetz, député communiste de la Somme, explique dans Tout le monde en parle46 qu'il est issu d'une famille nombreuse et modeste, et qu'il n'a pas pu faire d'études faute de moyens. Il met d'emblée en évidence sa prise de conscience dès l'enfance de l'existence d'inégalités dans la société, qui l'a poussé à s'inscrire au parti communiste. De même, Robert Hue, lorsque Thierry Ardisson lui fait remarquer que "tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des 46
Tout le monde en parle, émission du 19 février 2000
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
parents communistes", acquiesce et renchérit : "On n'avait pas la télé pour le couronnement d'Elisabeth II mais pour la visite de Krouchtchev."47. D'autres hommes politiques se servent également de leurs origines sociales pour briser les idées reçues que l'opinion publique pourrait avoir sur eux. Par exemple, le libéral Alain Madelin insiste sur ses origines modestes pour montrer que son engagement politique n'est pas incompatible avec les aspirations du peuple. A Thierry Ardisson, il confie : "Je suis originaire d'un milieu modeste. J'ai beaucoup appris de mes parents et je suis resté fidèle à ce milieu. Ce n'est donc pas du tout en réaction contre eux que je suis devenu libéral…"48 et il renchérit chez Michel Drucker : "Je ne remercierai jamais assez mes parents de m'avoir aidé à aimer les autres. A l'époque l'ascenseur social fonctionnait. J'ai bénéficié de cet ascenseur et ce que je veux faire maintenant c'est le renvoyer."49. Enfin, certains invités politiques rechignent à évoquer leurs origines sociales, ou tout au moins n'en parlent que de façon très sibylline. Ainsi, dans Vivement Dimanche, Edouard Balladur n'évoque sa jeunesse qu'à partir de ses études secondaires et n'insiste pas sur ses origines turques. Dans Tout le monde en parle, Thierry Ardisson se risque quand même à essayer de faire parler l'ancien premier ministre sur ce sujet apparemment délicat : "Je vais vous poser une question et vous allez m'en vouloir. Votre entourage m'a dit qu'il ne fallait pas parler de vos origines turques. Vous êtes né d'une famille de citoyens ottomans protégés par les Français. On vous reproche souvent d'être hautain, distant, alors qu'en fin de compte vous êtes d'une famille de travailleurs immigrés !" Edouard Balladur se crispe, et répond: "Oui, si on veut, mais ma famille est devenue française"50, évacuant ainsi le problème et signifiant à l'animateur qu'il est inutile d'insister. Ce reniement d'Edouard Balladur est un premier exemple du travail de sélection que les hommes politiques effectuent sur leur passé et leur identité. De 47
Cf. Tout le monde en parle, émission du 27 février 1999 Cf. Tout le monde en parle, émission du 10 juin 2000 49 Cf. Vivement Dimanche, émission du 8 avril 2001 50 Cf. Tout le monde en parle, émission du 18 mars 2000 48
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même, Laurent Fabius, invité chez Michel Drucker, insiste très peu sur son enfance et surtout sur ses origines bourgeoises cadrant peu avec son engagement politique dans le camp socialiste pour se rendre plus cohérent dans sa démarche politique aux yeux des téléspectateurs. B) Jeunesse, études et éveil de la conscience politique.: du passé assumé au passé recomposé L'évocation des études et de la vocation politique est également l'occasion pour les hommes politiques de renforcer leur identité ou de corriger des idées reçues. Ainsi, Martine Aubry, dans le Vivement Dimanche qui lui a été consacré, n'a eu de cesse de montrer que toute fille de Jacques Delors qu'elle était, la carrière qu'elle a eu n'était pas toute tracée. Tout d'abord, son père, interrogé par Michel Drucker, insiste sur le fait que ça n'a pas été plus facile pour la "petite Martine" que pour les autres. "Ma mère et mon père m'ont transmis le culte du travail donc j'ai été un peu dur avec mes enfants", confie-t-il à Michel Drucker. De même, Martine Aubry essaie de corriger son image froide d'énarque qui la discrédite auprès d'une France en majorité anti-élites en déclarant, d'une part : "J'étais une élève assez moyenne, et surtout assez insupportable. En fac je ne faisais pas grand'chose. Préparer l'ENA a été très difficile pour moi, même si je suis sortie parmi les dix premières.". Plus tard, d'autre part, elle ajoute : "J'ai longtemps été une militante de base. J'ai baigné dans la vie collective, avec ce côté joyeux. On a beaucoup à apprendre des autres…". Par ces déclarations, Martine Aubry corrige son image austère, froide et montre par la même occasion que tout diplômée de l'ENA et fille de Jacques Delors qu'elle est, elle reste une femme de terrain aux convictions profondes. Michel Drucker conclut d'ailleurs : "Vous avez une âme de militant…". D'autres invités n'éprouvent pas le besoin de justifier leur appartenance à l'élite aux téléspectateurs. Ainsi, la précocité intellectuelle de Laurent Fabius est plutôt mise en avant. Son ancien professeur à Sciences Po, Jacques Rigaud, parle
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
de son jeune élève en ces termes : "J'ai très vite repéré quelqu'un d'intéressant et de très doué" ; Robert Badinter évoque les premiers pas de Fabius en politique : "François Mitterrand avait décelé chez Laurent Fabius, tout jeune, des qualités exceptionnelles non seulement pour une carrière politique mais aussi pour une carrière d'homme d'Etat.". Laurent Fabius veut donner aux téléspectateurs l'impression d'un parcours sans faute, maîtrisé, pour mieux attester la thèse de l'incident de parcours en ce qui concerne l'affaire du sang contaminé, comme je le montrerai par ailleurs. Mais de nombreux hommes politiques, au contraire de Martine Aubry et de Laurent Fabius, ne sont pas passés par les grandes écoles censées former les élites politiques et administratives comme l'ENS, Sciences-po ou l'ENA et mettent l'accent sur leurs parcours atypiques. C'est le cas de Philippe Douste-Blazy qui ne renie pas son côté "médecin", et s'en sert même beaucoup pour justifier son engagement politique : "Quand on est médecin on a envie de servir les autres, mais faire de la politique c'est aussi servir les autres, en tout cas moi je le ressens comme ça…" ; "Il y a beaucoup de ressemblances entre le rôle du médecin et celui de l'homme politique : on écoute, on diagnostique. ".
51
. En s'exprimant
ainsi, Douste-Blazy légitime son engagement politique tout en se singularisant par rapport à nombre de ses collègues aux carrières beaucoup plus conventionnelles, balayant l'image traditionnelle de l'homme politique. Enfin, l'évocation de la jeunesse des hommes politiques donne lieu à des formes de passé recomposé52. Un des exemples les plus frappants reste celui d'Alain Madelin, qui, évoquant volontiers et très librement son passé à Occident, tente de tourner cette période très contestable de sa vie à son avantage. A Michel Drucker, il confie: "Quand on a quinze ou vingt ans, il est important de ne pas rester neutre, de prendre parti. J'ai été anticommuniste quand le marxisme tenait 51
Vivement Dimanche, émission du 16 janvier 2000 L'expression est de Bernard PELLEGRIN, "Le passé recomposé des hommes politiques", in Autrement, n°88, mars 1987, pp. 130-136 52
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
le haut du pavé intellectuel à Paris. Je ne pense pas que les convictions que j'avais alors étaient mauvaises.[…] Le fil directeur de ma vie politique c'est la passion de la liberté, la volonté de lutter contre l'oppression. Les deux totalitarismes de mon siècle me révulsent. Il y a un fil directeur entre le gamin excessif que j'étais et ce que je suis devenu aujourd'hui.". Alain Madelin sait que la question sur son passé extrémiste lui est posée de façon récurrente, et a donc, comme l'écrit Bernard Pellegrin "travaillé comme un pro le thème 'à vingt ans on n'est pas démocrate-chrétien, ou radical-socialiste, être extrémiste entre puberté et majorité politique constitue une garantie d'enthousiasme, d'engagement sans mégotage'."53. Alain Madelin parvient donc à exorciser ce passé qui lui est souvent reproché en montrant qu'il s'agit là de la preuve qu'il n'est pas un tiède politicien mais un homme d'action. Le passé et l'identité sont encore une fois bien maîtrisées par l'invité.
C) La carrière politique des invités : des parcours sans fautes aux erreurs assumées… Dernier élément de biographie des hommes politiques dans ces émissions de divertissement : la carrière politique. Chez Michel Drucker, chaque invité voit sa carrière politique retracée par une série de petits reportages qu'il doit commenter par la suite. La plupart du temps le travail de sélection est manifeste : les images diffusées ne prennent pas en compte les échecs des hommes politiques. Ainsi, le passage de Philippe Douste-Blazy au ministère de la Santé est évoqué par un résumé très court mais très dense, où l'on découvre qu'il est à l'origine du préservatif à un franc, qu'il a lancé un programme de dépistage du cancer du sein, et qu'il a également organisé la distribution de la méthadone aux toxicomanes. L'émission n'insiste que très peu sur le passage de l'invité au ministère de la Culture. Seuls les éléments les plus positifs de sa carrière sont soulignés. Il en est de même pour l'ensemble des invités, comme par exemple Edouard Balladur qui évoque son mandat de Premier Ministre et les décisions les plus délicates qu'il a 53
Cf. Bernard PELLEGRIN, op.cit., p.131
43
Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
alors été amené à prendre. Sur le sujet "très douloureux et dramatique" de la prise d'otages de l'Airbus, il rappelle synthétiquement les faits sur un ton comme d'habitude très dogmatique. Balladur ne semble pas avoir de propension à l'autosatisfaction, mais il est aidé dans cette tâche par Michel Drucker qui convie un membre de l'équipage sur le plateau de Vivement Dimanche ; ce dernier déclare solennellement : "Monsieur le Premier Ministre, merci d'avoir pris cette décision". Ce témoignage ajoute une dimension supplémentaire à l'évocation de la carrière d'Edouard Balladur: il montre en quelque sorte la carrure d'homme d'Etat de l'ancien premier ministre, qui soigne là une image sérieusement égratignée par son échec à l'élection présidentielle. Mais il arrive parfois que chez Drucker les périodes les plus négatives de la carrière politique soient également évoquées, avec l'accord tacite de l'invité comme ce fut le cas lors du Vivement Dimanche de Laurent Fabius. Dans un premier temps, comme je l'ai déjà montré, l'accent a plutôt été mis sur les qualités de l'invité et sur son parcours sans fautes. Ainsi, le petit montage qui retrace la carrière politique de l'ancien Premier Ministre fait l'impasse sur le scandale du sang contaminé. Cependant, Laurent Fabius a choisi de s'exprimer sur ce sujet délicat dans l'émission de Drucker, ou tout au moins de laisser la parole à quelques prestigieux intervenants qu'il compte parmi ses proches : Robert Badinter évoque alors l'état de grâce constant dans lequel se trouvait Laurent Fabius avant cette affaire dramatique : "Puis d'un seul coup, l'injustice. Le voilà emporté dans ce qui demeure à mes yeux l'une des accusations les plus injustes parce que Laurent, comme Premier ministre, compte tenu des connaissances scientifiques de l'époque a réagi vite, autant qu'il le pouvait face à la situation, les connaissances limitées qu'on avait sur le SIDA. S'entendre accusé d'être l'instrument de la mort des gens alors qu'il a agi pour les sauver, il n'y a rien de plus cruel. C'est peut-être après les grandes épreuves comme ça qu'on devient un homme d'Etat. C'était pour lui un temps de maturité cruelle". Après cette intervention de l'ancien ministre de la justice, Serge Moati, invité sur le plateau, ajoute : "Pour les enfants ça a été terrible à vivre, une vraie saloperie. Leur père, traité comme un assassin dans les
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
journaux. Et comment réagir face à la détresse réelle des gens qui étaient touchés par ce problème? C'est épouvantable".
Pendant ces deux interventions successives, Laurent Fabius reste presque muet. Avec les témoignages de Robert Badinter et de Serge Moati, Fabius est en quelque sorte passé dans le camp des victimes de ce drame ou tout au moins il n'est plus aux yeux des téléspectateurs dans le camp des coupables. Sans porter de jugement sur l'ancien Premier Ministre, on peut quand même souligner que la détresse des familles touchées directement par ce scandale n'est évoquée que très succinctement par Serge Moati. Plus tard dans l'émission, sans aucun lien explicite de cause à effet, Laurent Fabius convie le professeur Chambon sur le plateau, un spécialiste de génétique et de biotechnologie au Collège de France qui évoque les problèmes de risques et de principe de précaution liés à la crise de la vache folle. On sent qu'en invitant Chambon, Fabius a une dernière fois voulu marquer son recul par rapport à l'affaire du sang contaminé : Il montre qu'en cas de crises comme celle-ci, même les scientifiques sont dans le flou et qu'il est donc très difficile pour les pouvoirs publics de prendre rapidement des décisions. Le professeur Chambon est donc là pour servir de caution scientifique et morale à Fabius, qui essaie encore une fois d'excuser ce passé qui pèse sur lui comme un fardeau. En revanche, chez Thierry Ardisson, erreurs et incohérences des invités politiques sont soulignées sans que ceux-ci aient réellement leur mot à dire. Certains parviennent tout de même à tempérer les affirmations catégoriques de l'animateur, comme ça a été par exemple le cas pour Michel Rocard qui s'est entendu dire, à propos de son passage à la tête du PSU . "C'était le parti organisé au cœur des événements de 68. A cause de vous, il n'y a jamais eu de débordements. Finalement, vous êtes celui qui a fait échouer 68?", ce à quoi Michel Rocard répond, après un temps d'arrêt : "Je ne voudrais pas être méchant mais là vous avez dit une connerie. Il y avait des provocateurs. Nos services étaient en queue de défilé pour empêcher les anarchistes ou les voyous de casser des vitrine et changer l'image de ce
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
mouvement qui voulait parler au peuple en se faisant voir mais pas plus… Mai 68 est un acte de témoignage et pas de violence. C'était une demande de droit à la parole."
Cet exemple montre que même lorsque le ton de l'interviewer se veut plus incisif, plus polémique, les hommes politiques parviennent à contrôler leur image et l'évocation de leur carrière politique passée et présente. Au total, l'évocation des origines sociales, de la jeunesse et des carrières et convictions politiques des invités fait l'objet, plus chez Drucker que chez Ardisson, d'un travail de sélection, d'élimination des éléments les plus négatifs ou au contraire de leur instrumentalisation. Le but est sans doute de montrer au téléspectateur que ce que les hommes politiques sont aujourd'hui est le fruit d'un long processus, d'un cheminement qui se veut cohérent. La construction identitaire est évidente. Même chez Thierry Ardisson les hommes politiques ont assez de marge de manœuvre pour effectuer ce travail de présentation de soi, même si l'animateur n'hésite pas à mettre le doigt sur les incohérences et les échecs politiques de ses invités, et si certains parmi ces derniers tombent fréquemment dans les pièges qu'il leur tend…
2.1.2 Le personnage privé au service de l'homme public
Comme j'ai déjà pu le montrer, chacune des deux émissions étudiées insiste sur le personnage privé de l'homme politique invité, de façon plus évidente chez Michel Drucker que chez Thierry Ardisson. Cela tient certainement à la durée même des émissions. Vivement Dimanche dure deux heures et demie; entièrement consacrées à l'invité tandis que dans Tout le monde en parle, les hommes politiques ne sont que des invités parmi d'autres. Dans l'émission de
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Michel Drucker, les invités ont donc plus le loisir de s'exprimer sur leurs goûts musicaux, cinématographiques et artistiques, leurs loisirs et leurs passions. Cependant, dans les deux émissions, les hommes publics parlent très librement de leur vie privée, ce qui leur confère une dimension plus humaine. Ces évocations sont loin d'être anodines, et donnent au téléspectateur une image bien définie de l'homme politique invité. Il apparaît qu'ici encore les hommes politiques effectuent un important travail de construction identitaire, même si cela ne semble pas évident de prime abord. Rien n'est laissé au hasard : le personnage privé ainsi décrit doit permettre de singulariser l'homme politique dans l'espace public… A) L'entourage privé des hommes publics : Famille, amis, collègues:: les meilleurs porte-paroles des hommes politiques? L'évocation de l'entourage privé des hommes politiques, de leurs amitiés, de leurs liens familiaux fait indéniablement partie de leur construction identitaire. Quand il s'agit de montrer ou de faire parler cet entourage, on se rend compte qu'il donne plus à voir de l'homme politique que le moindre discours. Il y a d'abord les amis de marque, qui confèrent un certain prestige aux hommes politiques et s'emploient à redorer leur image par leurs interventions. J'ai déjà évoqué les témoignages de Robert Badinter et de Serge Moati au sujet de Laurent Fabius, qui tous deux insistaient sur le talent de leur ami dans Vivement Dimanche. Son professeur de Droit Public à Sciences Po Paris renchérit d'ailleurs: "Il possède une grande maîtrise, un côté assez britannique qui consiste à pousser le respect de l'autre jusqu'à ne pas lui infliger ses propres tourments." Edouard Balladur fait également l'objet d'un portrait élogieux de la part de son ami Michel Jobert, avocat et ancien ministre des Affaires Etrangères : "Une de ses qualités, c'est le goût qu'il a de simplifier les situations et de les présenter de façon simple et convaincante ". De même, Léon Schwartzenberg vient témoigner
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sur son amie Arlette Laguillier : "J'ai été heureux qu'Arlette m'appelle parce que pour moi il n'y a pas d'existence plus belle que de rester fidèle à ses idées.". Enfin, Philippe Douste-Blazy se voit complimenter par Dominique Baudis en ces termes : "C'est quelqu'un qui a le goût et le sens de l'action publique…"54.Au total, les interventions de ces amis prestigieux que les hommes politiques côtoient aussi bien dans leur vie publique que dans leur vie privée renseigne les téléspectateurs sur les qualités privées des invités qui leur servent dans leurs vies d'hommes publics. Les amis et collègues moins connus du grand public puisqu'appartenant au cercle privé des hommes politiques sont également d'excellents porte-paroles pour ces derniers. Philippe Douste-Blazy semble avoir une bande d'amis très soudée autour de lui, qui ne tarissent pas d'éloges à son propos et insistent sur son dynamisme et son côté passionné. Ses anciens collègues du milieu médical, comme le professeur Jean Fruchard, renchérissent : "Ce qui le caractérise, c'est l'enthousiasme. Comme son père, il y a aussi beaucoup d'intégrité chez lui. Il n'a vraiment peur de rien et quand il est parti en politique il a agi comme quand il était en science : il n'avait pas de frontière…"
55
; "C'est un homme très
intelligent, très exigeant…", ajoute une infirmière qui a travaillé avec lui. Par ailleurs, les interventions des collègues et amis d'Arlette Laguillier dans un petit reportage au fond sonore éloquent – "Résiste" de France Gall – dans Vivement Dimanche renforcent son image d'inusable militante sincère et intègre qui font d'elle une grande figure populaire ; morceaux choisis des témoignages de ses anciens collègues du Crédit Lyonnais : "Je me souviens de son intervention auprès de notre chef de service, ce petit bonhomme méprisant… et Arlette elle l'a mouché, vous pouvez pas savoir comme ça nous a fait plaisir !".56 Faire parler ses amis et ses collègues permet de présenter aux téléspectateurs les aspects les plus quotidiens de la vie des hommes politiques.
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Cf. capture 10 en annexe Cf. capture 11 en annexe 56 Cf. capture 12 en annexe 55
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Il en est de même pour les interventions des badauds ou des commerçants qui côtoient les invités politiques, grand classique chez Michel Drucker. Le poissonnier de Martine Aubry assure qu' "elle est super sympa, elle a un comportement tout à fait normal pour une ministre…"57. Le boucher d'Arlette Laguillier déclare : "Moi je ne la vois pas présidente parce que c'est une femme très intègre et pour être président il ne faut pas être complètement intègre…" 58; les commerçants du marché du 15ème arrondissement en rajoutent sur le côté humain et sympathique d'Edouard Balladur : "Il est très sympa, très présent, ça fait plaisir de voir un homme politique qui n'est pas là que pour les campagnes…", "Il est proche du peuple, Mr Balladur, on a une image de lui de grand bourgeois mais c'est faux… quand il est pas là, on est inquiets…"59. Si on excepte un petit dérapage d'un marchand à la franchise cassant un peu l'image ainsi redorée d'Edouard Balladur - "Il faut pas compter sur lui pour remplir les caisses…". - on voit qu'au total, ces interventions d'hommes et de femmes de la rue qui ont eu l'occasion de côtoyer ces invités politiques, ajoutent de la crédibilité aux portraits de ces derniers puisqu'elles semblent piquées sur le vif, totalement improvisées, donc sincères. Mais on se doute qu'en amont un important travail de montage est effectué pour ne garder que les témoignages les plus positifs … Enfin, le cercle familial, la dimension la plus intime des hommes politiques est également mise en avant. Laurent Fabius est décrit par sa femme Françoise Castro comme "un père très aimant, en contact permanent avec ses enfants", ce malgré son emploi du temps de ministre – "être femme de ministre c'est un peu comme être une femme de marin…" – ; on apprend par son père Jacques Delors que Martine Aubry "était une enfant gaie et espiègle. Elle nous fait toujours rire."
60
; enfin, Michel Drucker ne manque pas de souligner que
Philippe Douste-Blazy a adopté un enfant vietnamien, ce qu'un petit reportage 57
Cf. capture 13 en annexe Cf. capture 14 en annexe 59 Cf. capture 15 en annexe 60 Cf. captures 16 et 17 en annexe 58
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
illustre61. L'invité ne commente pas, les images parlent d'elles-mêmes, et renforcent son capital-sympathie auprès des téléspectateurs qui découvrent à cette occasion un homme de cœur… Au total, les interventions de l'entourage privé des hommes politiques dans ces émissions de divertissement, et plus particulièrement dans l'émission de Michel Drucker, sont extrêmement positives en termes d'image puisqu'elles proposent au téléspectateur de découvrir la facette la plus intime des hommes publics de façon apparemment objective puisque racontée par d'autres que lui, alors qu'en amont un important travail de sélection et de montage a sans doute été effectué… B) Passions et violons d'Ingres des hommes politiques : un savant travail de singularisation… L'évocation des passions et des goûts des hommes est une dominante dans l'émission de Michel Drucker mais est également présente dans l'émission de Thierry Ardisson. Rien ne semble être laissé au hasard chez les hommes politiques dans la présentation de leurs loisirs, de leurs passions et de leurs goûts: encore une fois la stratégie de construction identitaire est évidente. Tout d'abord, si la façon dont les hommes politiques occupent leur temps de loisir paraît de prime abord inintéressante, elle n'en demeure pas moins un élément central dans leur travail de présentation de soi : les invités envoient par leur évocation aux téléspectateurs une série de messages plus ou moins explicites qui fait partie intégrante de leur construction identitaire. Ainsi, l'émission Vivement Dimanche insiste assez longuement sur les talents de cavalier de Laurent Fabius. Il commente d'ailleurs ainsi des images le montrant à cheval dans une émission de Pierre Bellemare à laquelle il avait participé à 22 ans : "Je ne pense pas que les chevaux soient très intelligents, mais en tout cas ils sont très 61
Cf. capture 18 en annexe
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intuitifs. Ca apprend sur la nature, mais aussi sur soi.". Laurent Fabius démontre en affirmant cela qu'il possède la maîtrise lui permettant sans risque de monter à cheval comme dans les plus hautes sphères de l'Etat. Edouard Balladur, pour sa part, se présente en randonneur amoureux de la montagne62 : "J'essaie de marcher deux à trois heures par jour. C'est comme ça que les idées mûrissent…", confie-t-il à Michel Drucker. Il dégage ainsi une image d'homme réfléchi, calme, posé. Philippe Douste-Blazy, de son côté, se présente dans un reportage au montage très serré qui lui est consacré comme un sportif accompli, que ses amis ont du mal à suivre : ski; vélo tout terrain, on apprend également que l'ancien ministre a longtemps voulu devenir pilote…63. Toujours présenté très entouré par ses amis, il montre ainsi qu'il est un homme à la fois dynamique, passionné, modeste et pas individualiste, ce qui semble manquer à bon nombre de ses collègues en politique et lui permet de se singulariser. De même, les invités politiques évoquent souvent leur passion pour la bonne chère : Martine Aubry fait son marché comme tout un chacun et avoue "détester la cuisine surgelée"64 en dépit de son emploi du temps surchargé. Alain Madelin insiste également beaucoup sur cet aspect et Jean-Pierre Coffe dit même de lui : "Je pense toujours que les hommes politiques sont bidons, mais dès qu'on discute avec lui sur des choses sérieuses comme les plantations il sait tout ! ". Alain Madelin confirme : "Je cuisine, je fais le verger, je fais le potager, j'aime tous les plaisirs de la vie…" Cette image de bon vivant tranche avec les clichés souvent véhiculés sur des hommes politiques austères et fait sans doute partie intégrante d'une stratégie de distinction au sein du champ politique. Mais certaines passions permettent de singulariser encore davantage les hommes politiques invités de ces émissions de divertissement au sein de la classe politique,
parce
qu'elles
constituent
quelque
chose
d'inhabituel
voire
d'extraordinaire : ainsi Alain Madelin montre sur le plateau ses talents de
62
Cf. capture 19 en annexe Cf. captures 20, 21 et 22 an annexe 64 Cf. capture 23 63
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magicien, que j'évoquerai par ailleurs, même s'il précise d'emblée : "Ce que j'aime ce n'est pas l'illusion, parce que pour un homme politique, faire de l'illusion…". De même, dans l'émission de Thierry Ardisson, Robert Hue évoque sans honte sa courte carrière de leader d'un groupe de rock'n'roll, Les Rapaces, et entonne même les premières mesures de Be bop-a-lula sur le plateau de Tout le monde en parle. La très aristocratique Françoise de Panafieu, qui a longtemps pratiqué la guitare, ne se démonte pas lorsque le même Thierry Ardisson lui demande d'enfiler une veste de cuir et de montrer ses talents65 en interprétant La Bamba. Il en est de même pour Noël Mamère66, dont Thierry Ardisson évoque la courte carrière de chanteur dans les années 8067, et qui, après un long moment de flottement et d'hésitation, accepte de chanter noboby knows68. Certains se montrent beaucoup moins prolixes sur leurs incursions dans les milieux artistiques, comme par exemple Daniel Cohn-Bendit, qui commente très brièvement sa tentative cinématographique dans Un amour à Paris.69 Au total, l'évocation des passions, loisirs et violons d'Ingres des invités permet d'ajouter une dimension supplémentaire à leur construction identitaire d'une part en s'en servant pour confirmer une attitude générale face à la vie et briser les idées reçues, d'autre part pour se singulariser davantage dans le champ politique en mettant en avant des dons et des talents exceptionnels et peu connus du grand public. Encore une fois, rien n'est laissé au hasard. C) Les hommes politiques et leurs amis du show-biz Une des caractéristiques de l'émission de Michel Drucker, Vivement Dimanche, est de laisser la possibilité aux invités de composer eux-mêmes leur programme de variétés et d'inviter tous les artistes qu'ils admirent. Or, au total, on
65
Cf. Capture 24 en annexe Tout le monde en parle, émission du 23 octobre 1999 67 Cf. Capture 25 en annexe 68 Cf. Capture 26 en annexe 69 Cf. Capture 27 en annexe 66
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
remarque que le choix des invités n'est jamais innocent, et fait également partie intégrante de la présentation de soi de l'homme politique. Les invités issus du show-biz dont s'entourent les hommes politiques permettent en effet de les mettre en valeur, de capter l'attention des téléspectateurs en leur offrant des visages familiers, et d'augmenter leur capital-sympathie en citant des références culturelles plutôt populaires. Ce n'est pas un hasard si peu d'entre eux citent le cinéma d'auteur parmi leurs goûts cinématographiques… Tout d'abord, les invités peuvent permettre aux hommes politiques de corriger leur image. Ainsi, Edouard Balladur s'entoure de figures populaires du cinéma français comme André Pousse70, l'un des derniers rescapés de la bande à Audiard, Daniel Prévost ou encore Jean-Michel Ribes, le créateur des Brèves de comptoir. L'ancien Premier Ministre lit d'ailleurs une de ces brèves, à la suite de quoi l'assistance rit poliment. Ce que Balladur essaie de montrer, c'est qu'il n'est pas aussi froid et distant que ce que les caricatures ont pu suggérer. En évoquant sa passion pour les comédies populaires, il se rapproche des goûts de la France profonde… D'autre part, les invités dont les hommes politiques s'entourent peuvent entraîner un rajeunissement de leur image et montrer qu'ils se préoccupent des jeunes, qu'ils vivent avec leur temps. Par exemple, Martine Aubry a réclamé la présence du champion du monde Zinédine Zidane, héros consacré de la France Black-Blanc-Beur, mais aussi celle du rappeur K-Mel du groupe Alliance Ethnik, exemple d'intégration pour les jeunes de banlieues. Enfin, Stéphane Diagana, qui évoque à la demande de Drucker ses origines métissées, est aussi convié dans le salon de Vivement Dimanche. Au total, Martine Aubry s'entoure de jeunes talentueux issus de la France de l'intégration et du métissage, ce qui est évidemment très positif pour son image parce que cela marque son ouverture d'esprit à la jeunesse et aux difficultés rencontrées par les jeunes issus de l'immigration. De son côté, Alain Madelin s'amuse à jouer les mécènes sur le 70
Cf. Capture 28 en annexe
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plateau de Michel Drucker en présentant un de ses coups de cœur, une jeune chanteuse de vingt ans prénommée Claire-Lise : "Je veux faire partager aux jeunes la chance que j'ai de pouvoir participer à ce type d'émissions…". Encore une fois, Alain Madelin joue dans un registre qui constitue la dominante de son passage à Vivement Dimanche : "Il faut donner leur chance aux jeunes qui en veulent, il faut leur mettre le pied à l'étrier.". Enfin, les invités peuvent également marquer l'ouverture d'esprit des hommes politiques aux artistes dont les convictions politiques ne sont pas les leurs, prouvant au passage qu'ils ne sont pas sectaires. Philippe Douste-Blazy avoue ainsi sa passion pour l'humour de Guy Bedos71 : ."C'est l'humour personnifié. D'un côté, pas de cadeau et de l'autre, un cœur gros comme ça.". Bedos regarde Douste-Blazy, puis s'exclame : "Mais qu'est-ce qu'il fout à droite? J'ai été très séduit par son action quand le FN était très fort en France. Douste a été épatant dans cette histoire et a même mécontenté des personnes dans son propre camp. Il a été sauvé par des gens de gauche alors que des gens de son propre camp lui tendaient des pièges". Douste-Blazy évoque avec humour la situation embarrassante dans laquelle l'a mis Bedos lorsqu'il était au gouvernement parce qu'il disait dans un de ses spectacles : "Le problème c'est que Douste Blazy est à gauche, mais il ne le sait pas". L'ancien ministre ajoute non sans humour: "J'étais assez mal quand j'étais dans l'équipe du gouvernement…" Bedos renchérit : "Pour moi il y a des gens qui seraient mieux à gauche qu'à droite, et inversement". Douste-Blazy enchaîne : "Il y a quelque chose qui nous rassemble, c'est que Bedos parraine des gens qui vivent en banlieue difficile. Il y a ceux qui le disent et ceux qui le font." Bedos renchérit: "Dans cette histoire de cité, il a tenu sa parole, ce qui est assez remarquable pour un professionnel de la politique".
Le téléspectateur, en regardant cette scène, peut penser qu'en invitant quelqu'un dont il savait qu'il ne partageait pas les mêmes idées politiques, Philippe Douste-Blazy a pris un certain risque. Mais il découvre également un homme politique à l'esprit ouvert, réceptif à la critique. D'autre part, Guy Bedos, par ses propos sur la "mauvaise" orientation politique de Douste-Blazy, rend ce 71
Cf. capture 29 en annexe
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dernier plus sympathique aux yeux des sympathisants de gauche, dont l'humoriste se fait là le porte-parole. Enfin, la présence de Bedos sur le plateau permet à Douste-Blazy de mentionner les efforts qu'il a réalisés en direction des banlieues défavorisées. Finalement, le risque pris était minime et le gain en terme d'image est en revanche considérable. Ainsi, s'entourer de figures familières du public dominical des émissions de Michel Drucker permet d'une part de retenir l'attention de ceux parmi les téléspectateurs qui sont le moins intéressés par la politique et d'autre part de corriger ou de valoriser son image. Je viens de montrer que l'enjeu principal pour les hommes politiques lorsqu'ils se rendent dans de telles émissions est avant tout un gain en matière d'image. Cependant, les enjeux peuvent être beaucoup plus terre-à-terre …
2.1.3 Un nouveau lieu de campagne électorale?
Au total, l'évocation du personnage privé de l'homme public à travers les témoignages de son entourage, ses passions et ses goûts s'intègre dans une stratégie très élaborée de construction identitaire et de singularisation dans le champ politique. Or la présentation de soi est devenue aujourd'hui un enjeu capital dans la lutte politique. L'homme politique qui vient dans ces émissions de divertissement est plus que jamais un "entrepreneur en représentation" qui va offrir de lui une image cohérente avec la position qu'il veut occuper dans le champ politique à un moment donné72. Comme je l'ai montré, rien n'est laissé au hasard. Les invités de Drucker et d'Ardisson, qu'ils soient issus du monde du 72
Cf. Annie COLLOVALD, "Identités stratégiques", Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°62/63, juin 1986, p. 29-40
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cinéma ou de la musique viennent toujours "vendre" quelque chose : un album, un film, un livre. Il en est de même pour les hommes politiques qui préparent le terrain avant les grandes échéances électorales. Ainsi, Philippe Douste-Blazy, encore maire de Lourdes et bien avant les municipales, a axé une grande partie de sa prestation chez Michel Drucker autour de sa passion pour Toulouse, "ville au brassage des cultures exceptionnels". Successeur implicitement désigné de Dominique Baudis, "le meilleur maire de France" comme le montre une petite séquence les présentant tous deux à la Cité de l'espace dans la ville rose73, il montre en outre à plusieurs reprises qu'il est très attaché à sa fonction de maire : "Il y a peut-être une crise du politique mais il n'y a pas une crise des maires. Les gens vont voir leur maire, ils croient en lui…". Le centriste est clairement en campagne, il se constitue chez Michel Drucker une légitimité en manifestant son intérêt pour la ville où, et l'animateur ne manque pas de le rappeler en début d'émission "il a passé toute sa scolarité". De son côté, Martine Aubry démontre tout au long de l'émission son attachement à Lille, sa "respiration de fin de semaine". Première adjointe au maire de Lille quand l'émission a été enregistrée, elle est alors également son successeur tout désigné.74 Dans la séquence où on la voit faire son marché à Paris, la commentatrice insiste : "Chaque semaine, si elle en a la possibilité, Martine Aubry va au marché de Wazemmes à Lille… mais aujourd'hui nous la suivons à Paris…" Michel Drucker accueille ensuite la cuisinière nordiste Guylaine Arabian en ces termes : "Nous allons recevoir celle qui porte si bien la cuisine du Nord, la cuisine des Flandres…" Enfin, on voit Martine Aubry préparer des mets typiquement nordistes à ses invités, notamment une flamiche aux poireaux et au Maroilles. Martine Aubry, qui n'est pas originaire du Nord, cherche à se construire une légitimité en montrant combien elle est attachée à la capitale des Flandres. On découvre ensuite l'appartement de Martine Aubry qui se révèle être un véritable 73 74
Cf. Capture 30 en annexe Cf. Capture 31 en annexe
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mécène pour les artistes de la région lilloise comme le peintre tourquennois Ben Bella. Elle convie d'ailleurs sur le plateau la troupe lilloise Dans la rue la danse . Elle montre donc son intérêt pour la vie culturelle lilloise, sous toutes ses formes. Michel Drucker, dans Vivement Dimanche prochain, lui tend encore une perche : "Quand on reçoit Martine Aubry et qu'on est du Nord, dit-il à l'attention de Bruno Masure, on ne peut pas ne pas penser à Lille…" Aubry renchérit : "J'ai un petit faible pour Bruno Masure parce qu'il est originaire de Lille…" On l'aura compris, Martine Aubry aime Lille, qu'elle semble considérer comme sa ville d'adoption, et vise clairement la Mairie de Lille. Son père, Jacques Delors, l'encourage d'ailleurs dans cette voie : "pour son avenir, je la vois bien gérer une ville pour son équilibre et son bonheur…". Martine Aubry veut tellement montrer son attachement à la capitale des Flandres qu'elle en fait parfois un peu trop : elle tente de répondre à une question de Bruno Masure en ch'ti, mais la démonstration s'avère peu convaincante… Dernier exemple éloquent d'homme politique en campagne chez Michel Drucker : Alain Madelin, à la différence près que ce dernier ne se cache pas d'être candidat à l'élection présidentielle de 2002 et le rappelle d'emblée. Dans le récapitulatif de sa carrière politique, le point d'orgue du reportage est l'évocation de l'annonce de sa candidature, "le 23 novembre 2000, dans une ambiance festive", précise Drucker. Lorsqu'il réalise ce fameux tour de magie qui a fait couler beaucoup d'encre dans la presse, il n'hésite pas à utiliser une métaphore très explicite qui peut être prise comme une évocation de l'état de division actuelle de la droite : "Dans une campagne électorale on se rapproche, on fait des nœuds, et moi ce que je voudrais mettre c'est le souffle du renouveau (il souffle) Voilà, la corde s'est réunie…" "Ce que je peux porte peut être utile dans ce pays, je me sens prêt à assumer cette fonction…" Qu'on ne s'y méprenne pas : c'est réellement le candidat Madelin qui est venu chez Drucker : Quand Geluck, évoquant les échecs de quelques "stars" de la politique venues palabrer chez Drucker comme Seguin, Guigou, Trautman ou Lang lui demande : "Ne craignez-vous pas le
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désastreux effet Michel Drucker?", il ne se démonte pas et répond : "Au contraire on m'avait dit que c'était un viagra électoral…". Le mot est lâché : les enjeux des passages d'hommes politiques dans les émissions de divertissement, et particulièrement celle de Michel Drucker, sont avant tout électoraux : il s'agit de se construire une légitimité médiatique préalable à la légitimation par le peuple dans le secret des urnes… C'est dans cet esprit que l'image des hommes politiques est extrêmement travaillée et maîtrisée dans chacune de ces deux émissions à l'audience très large. Cependant, leur image est parfois malmenée ou égratignée ; il leur arrive également de ne pas trouver leur place ou d'être déstabilisés par le côté "divertissement" de ces émissions.
2.2 Une marge de manœuvre limitée …
Dans un entretien accordé au magazine de télévision TV Mag, Gérard Miller, en réponse à un journaliste qui lui demandait : "Vous ne pensez pas, comme certains journalistes, que les hommes politiques se précipitent dans les divertissements car ils savent qu'on ne leur posera pas de questions gênantes?" a déclaré que "divertissement ne rime pas toujours avec complaisant.". Il est vrai qu'il serait réducteur de considérer l'émission de Michel Drucker à laquelle le psychanalyste prend part chaque semaine comme étant complètement conçue à l'avantage de l'invité, comme la partie précédente aurait pu le suggérer. J'ai déjà montré que d'autre part, Tout le monde en parle était une émission au ton clairement plus polémique, dans laquelle l'animateur n'hésitait pas à souligner échecs et incohérences de ses hôtes politiques. Les hommes politiques ne parviennent pas toujours à maîtriser totalement leur image, dérapent parfois ou
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bien paraissent mal à l'aise. L'objet de cette seconde partie est de présenter tous les aspects non contrôlés, non préparés de leurs passages dans ces émissions. Dans un premier temps je me concentrerai sur les réactions des hommes politiques aux questions les plus embarrassantes, puis sur leur attitude face aux interventions des "électrons libres" des deux émissions. Enfin j'étudierai les conséquences parfois cocasses du mélange des genre dans chacun de ces deux divertissements.
2.2.1 … par l'impertinence des questions posées…
J'ai montré dans la première partie que les hommes politiques parvenaient la plupart du temps à contrôler leur image, même face à des questions aussi embarrassantes ou incisives que celles de Thierry Ardisson ou de Gérard Miller. Mais il arrive que les hommes politiques soient réellement déstabilisés par ces provocations ou tout au moins ce ton plus mordant auquel ils ne s'attendaient peut-être pas en se rendant dans de telles émissions. Il y a d'abord les dérapages incontrôlés, les moments d'énervements ou d'égarement des hommes politiques. Ainsi, lorsque Thierry Ardisson évoque le fonctionnement mystérieux de Lutte Ouvrière, Arlette Laguillier perd son sangfroid, tente d'orienter la conversation sur une autre voie et finit par évacuer le problème en renvoyant la culpabilité sur les journalistes qui ont enquêté sur la question : "On dit beaucoup de choses sur votre parti, on dit que…" Ardisson est interrompu par le brouhaha sur le plateau. Arlette Laguillier se crispe. "Votre parti a un fonctionnement secret quand même… Je sais que vous n'aimez pas
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parler de ça…" "Mais non… Vous aussi vous allez répéter ces ragots? J'ai lu que notre journal était déficitaire…" Elle essaie de dévier la conversation mais Ardisson reprend : "Le patron de votre parti, Hardy, personne ne sait qui c'est. Pourquoi on ne le connaît pas? C'est un parti secret, quand même…" Arlette rétorque : "Nous voulons que nos représentants soient des travailleurs…" Ardisson rebondit : "Donc Mr Hardy ne serait pas un travailleur…Ne niez pas que votre parti a un fonctionnement secret, c'est écrit dans toute la presse…" Arlette Laguillier évacue : "Ce qui est affreux et triste pour la profession de journaliste c'est que ça a été écrit une fois et puis recopié…"
Dans le même ordre d'idées, Thierry Ardisson attaque Maxime Gremetz sur son statut de président du comité d'amitié France-République Populaire de Chine. Le député de la Somme évacue le problème par une déclaration catégorique sans se rendre compte de l'incohérence de ses propos : "Pourquoi ne dénoncez-vous pas les camps chinois où il y a 6000 exécutions par an?" Gremetz se contente de répondre : "Et aux USA?" Ardisson ne se démonte pas et enchaîne: "Oui mais là-bas c'est pour des raisons politiques…" Gremetz se contente d'une plutôt sibyllin : "Mais je condamne toute atteinte aux libertés et aux droits de l'homme, où que ça se passe…" Alors pourquoi pas en Chine?
On le voit donc, passer dans ces émissions n'est pas toujours extrêmement avantageux en terme d'image de marque puisqu'il arrive aux hommes politiques de perdre leur sang-froid et leur maîtrise. Bien que les charges critiques soient parfois aussi fortes de la part de Gérard Miller dans l'émission Vivement Dimanche prochain75, il apparaît que l'ambiance bon-enfant qui règne sur le plateau grâce aux efforts de Michel Drucker permet de tempérer ces attaques et globalement, les hommes politiques perdent rarement la face dans l'émission dominicale, alors qu'ils paraissent beaucoup moins à l'aise dans l'émission de Thierry Ardisson. Cependant, il arrive que ce soit le mélange des genres constitutif de chacune des deux émissions qui soit à l'origine des moments les plus 75
Ibid, p.33
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embarrassants pour les invités politiques, puisque très souvent, et ce de façon plus fréquente chez Thierry Ardisson où les autres invités ne sont pas choisis par les hommes politiques, artistes, acteurs ou chanteurs n'hésitent pas à interpeller les leaders politiques, ce qui génère des moments de tension très négatifs pour l'image de certains d'entre eux, quand ils ne parviennent pas à tourner la situation à leur avantage…
2.2.2 …par des invités "actifs"… Je l'ai déjà montré en présentant chacune des deux émissions, leur principale caractéristique est le mélange des genres : c'est dans le côté "sérieux", caractérisé par des interviews somme toute assez classiques, que les hommes politiques parviennent au mieux à maîtriser leur image, tout au moins quand les questions ne sont pas trop embarrassantes… Mais les moments de dérapage peuvent être générés par la présence d'autres invités n'appartenant pas au champ politique sur le plateau. Evidemment, chez Michel Drucker ces moments de tensions sont moins fréquents puisque les invités sont choisis par l'homme politique lui-même. Mais parfois, les artistes invités peuvent se montrer beaucoup moins condescendants que ne l'auraient pensé les leaders politiques en les conviant sur le plateau. L'exemple le plus frappant à cet égard est le comique Christophe Alévêque, qu'Alain Madelin avait souhaité rencontrer sur le plateau de Vivement Dimanche, espérant sans doute que la présence d'un artiste politiquement opposé lui serait aussi profitable que celle de Guy Bedos chez Philippe Douste-Blazy76. Malheureusement le leader de Démocratie Libérale a manifestement commis une erreur de casting, puisque l'humoriste n'a pas du tout joué le jeu de l'invité :
76
Ibid, p.57-58
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Christophe Alévêque s'étonne en effet d'avoir été invité par Alain Madelin parce qu'il fait partie d'ATTAC "où on ne dit pas toujours du bien sur vous". Madelin, avec l'aide de Drucker évacue rapidement le problème. Mais Alévêque revient à la charge : J'ai l'impression que les libéraux parlent, agissent comme des êtres humains mais à l'intérieur on dirait qu'il y a un robot, une calculatrice en permanence branchée sur la Bourse." Madelin sort sa botte secrète et rétorque : "Moi ce qui m'intéresse ce n'est pas la Bourse mais de donner à des gens en bas de l'échelle des meilleures chances dans la vie."
Ce genre de scène où les hommes politiques sont mis en difficulté par des artistes est beaucoup plus fréquente chez Thierry Ardisson où les hommes politiques ne sont que des invités parmi d'autres… Maxime Gremetz s'est ainsi vu interpeller par le duo comique Eric et Ramzy : Maxime Gremetz, quand Ardisson lui rappelle qu'il n'était pas opposé à une intervention de l'Union Soviétique en Afghanistan, rétorque : "Il y a eu des pages glorieuses de notre parti. Les grands intellectuels comme Sartre ont été là-bas et ont dit 'C'est la société nouvelle, glorieuse'". Le comique Eric intervient : "Oui mais il y a eu des erreurs d'intellectuels aussi sur la montée du nazisme, et ça n'excuse rien ! Pourquoi vous restez le Parti Communiste? Pourquoi ne pas changer de nom? Moi quand il y a une erreur comme le stalinisme, je me désolidarise !". Maxime Gremetz, qui s'était plutôt maîtrisé jusqu'ici, explose et devient franchement désagréable : "Staline n'était pas au PCF ! Staline n'était pas français ! Vous le saviez ça?"77
De même, Bernard Bled, proche de Jean Tibéri, s'est vu prendre à parti par l'actrice Clotilde Coureau au détour d'une interview de Thierry Ardisson sur le choix du candidat RPR à la mairie de Paris…78 "Concrètement, qu'est-ce qu'il va se passer au RPR, comment on va choisir le candidat?" s'interroge l'animateur. Bernard Bled, répond en soupirant: "Alors là si vous pouviez m'éclairer…". Clotilde Coureau, assise aux côtés de Bernard Bled, s'emporte soudain : "Mais concrètement qu'est-ce qu'on fait, il y a des écarts de plus en plus grands, il y a de plus en plus de pauvres, alors qu'est ce qu'il fait, là, le RPR, le bidule? Et lui qu'est-ce qu'il fout là? Il
77 78
Cf. captures 32 et 33 Tout le monde en parle, émission du 15 avril 2000
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devrait être dans son bureau en train de travailler ! Y'en a marre de nous berner comme ça !"79
Ces interventions d'invités n'appartenant pas au champ politique sont en outre souvent salutaires car elles peuvent mettre en garde les téléspectateurs sur les dangers de l'image, de l'impression dégagée par ces hommes politiques qui apparaissent globalement tous très sympathiques dans ces émissions de divertissement, quelles que soient les idées politiques qu'ils défendent. Je citerai à cet égard la mise en garde et la leçon de tolérance de Francis Huster à Christine Boutin : "A l'image, vous êtes sympa, vous n'êtes pas du tout fermée, vous avez une espèce de vérité, de fond, mais je suis content d'être là pour vous dire que ce que vous dites me choque. Je voudrais que vous fassiez œuvre de compassion et compreniez que la parole de Dieu est de tendre la main à l'autre mais pas pour le faire changer…"
Au total, les invités issus des milieux artistiques ont aussi leur mot à dire sur les hommes politiques, et se montrent très actifs sur le plateau de Tout le monde en parle. Etre entouré par des stars du show-biz n'est donc pas toujours une partie de plaisir pour les invités politiques même si certains d'entre eux s'en tirent mieux que d'autres, à l'instar d'Edouard Balladur qu'Emmanuelle Béart embrasse après l'évocation des Sans-Papiers de l'Eglise Saint-Bernard80, et de la très dynamique Françoise de Panafieu : l'humoriste Elie Sémoun lui rappelle qu'il soutient Bertrand Delanoë et lui demande si c'est pour cette raison qu'elle est plutôt froide avec lui depuis le début de l'émission. Sans se démonter, Françoise de Panafieu l'invite à boire un verre après l'émission et finit par le prendre sur ses genoux !81 Ce dernier exemple est significatif de l'attitude des invités politiques face au côté "divertissement" de ces émissions qui les déstabilise parfois...
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Cf. Capture 34 en annexe Cf. Capture 35 en annexe 81 Cf. Capture 36 en annexe 80
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2.2.3 par le côté ludique des deux émissions : les trublions face aux clowns tristes de la politique…
Tout le monde en parle et Vivement Dimanche accueillent des hommes politiques mais sont avant tout des émissions de divertissement. Si les hommes politiques y discutent plutôt sérieusement de leur vie privée, de leur carrière politique et de leurs passions, ils doivent également assurer le "show" et suivre le rythme des émissions ; s'intégrer au mieux à l'univers de chacun des deux divertissements. Certains y parviennent mieux que d'autres, démontrant de grandes facultés d'adaptation et se rendant d'autant plus sympathiques aux yeux du public. Comme je l'ai déjà montré, chacune de ces deux émissions a un côté très ludique, assuré dans Tout le monde en parle par le maître des lieux lui-même souvent secondé par des trublions tels que Laurent Ruquier ou Baffie, et dans Vivement Dimanche par le trio Masure-Geluck-Miller. Plus les hommes politiques jouent le jeu de ces "électrons libres", plus leur prestation sera positive en terme d'image. Avant de se rendre dans de telles émissions les hommes politiques doivent effectivement s'assurer de la solidité de leur sens de l'humour et de l'autodérision…De même, ces instants plus légers génèrent parfois des moments de vérité. Dans l'émission de Michel Drucker, Gérard Miller a pour mission de poser les questions les plus incisives aux invités, de susciter en eux l'embarras ; mais avec la complicité de Bruno Masure et de Philippe Geluck, le très sérieux psychanalyste fait aussi dans l'humour pour faire passer des messages implicites aux invités politiques, ce que peu d'entre eux apprécient. Il suggère par exemple à Edouard Balladur de faire des rituels vaudous avec une poupée à l'effigie de Philippe Seguin82 ; lors de la venue d'Alain Madelin, on le voit déchirer des
82
Cf. Capture 37-38 en annexe
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dossiers pendant que Michel Drucker présente les trois chroniqueurs au leader de Démocratie Libérale : "Je voudrais faire une émission conviviale et ça fait deux jours que je déchire tous les papiers avec tous les reproches que je peux faire à monsieur Madelin, et là, j'avoue que j'ai pris un peu de retard…", s'excuse-t-il. Alain Madelin rit jaune, mais parvient à tourner la situation à son avantage en prenant un papier au hasard et en le lisant à haute voix. Il conclut : "Franchement, Miller, vous ne pouvez pas me faire ce reproche-là!". Même avec les invités politiques avec lesquelles la connivence est évidente, Gérard Miller se montre caustique ; Martine Aubry en fait les frais : "Je suis de gauche et ma grande crainte c'est qu'on me soupçonne de complaisance vis à vis de Madame Aubry… j'ai donc apporté dans cette mallette tous les dossiers compromettants pour la Gauche comme le financement occulte de la MNEF… et comme on n'est jamais assez prudent j'ai aussi amené de la documentation sur les promesses non tenues de la Gauche…"83 ; au total on remarque que les hommes politiques réagissent plutôt bien à ces petites provocations de Gérard Miller, ces dernières étant prétexte à rire. D'autre part, l'ambiance bon enfant qui règne sur le plateau atténue les effets des critiques de Gérard Miller. Les deux autres chroniqueurs et Michel Drucker semblent être là pour rappeler que tout cela n'est pas bien sérieux. Ainsi, Bruno Masure brandit un panonceau "danger haute tension" lors d'un échange houleux entre Madelin et Miller et lance quelques-uns de ses fameux jeux de mots pour désamorcer les situations les plus critiques. De même, l'humour absurde de Philippe Geluck semble très apprécié des invités politiques parce qu'il contraste avec le cynisme de Miller. Ce dernier demande par exemple à Arlette Laguillier : "Quelques mois après votre naissance, les troupes allemandes envahissent la France. Vous ne trouvez pas cette réaction disproportionnée?. Cette boutade est très significative du style Geluck, un ton qui ne se veut pas critique et qui permet de faire le contrepoids avec les interventions très dérangeantes pour les hommes politiques de Gérard Miller.
83
Cf. Capture 39-40-41 en annexe
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Au total, l'ambiance sur le plateau dominical de Michel Drucker, malgré les interventions ironiques parfois très critiques de Gérard Miller, n'affecte pas l'image des hommes politiques qui parviennent à se maîtriser grâce à la complicité des autres intervenants et au ton général de l'émission. Les hommes politiques sont en revanche beaucoup plus déstabilisés par les "trouvailles" de Thierry Ardisson : j'ai déjà montré qu'il usait et abusait des "samplers" pour ponctuer les interventions de ses invités.84, et qu'une autre de ses spécialités était les fameuses "interviews concepts". Un des grands classiques de l'émission lors de la venue d'hommes politiques est la fameuse interview mensonge où les invités doivent répondre le contraire de ce qu'ils pensent. Le concepteur de l'émission la présente ainsi : "Certains invités ne peuvent jamais avouer, et ceux-là, le meilleur moyen de leur faire dire la vérité, c'est de les faire mentir !" ; "Vous répondez sans dire la vérité, c'est à dire comme si vous étiez un vrai homme politique…". A la question "Avez-vous couché pour réussir?", Françoise de Panafieu répond sans se démonter : "Au moins mille fois, je passe ma vie à… je me demande même comment je suis encore assise ce soir !"85. De même, à la question "Y a-t-il encore des boîtes échangistes à Abbeville?", le député de la Somme Maxime Gremetz semble être contraint de répondre : "Bien s… euh non, non, il n'y en a plus !"86. Une variante de l'interview mensonge est l'interview dyslexique : ainsi, Patrick Devedjian, qui s'est prêté au jeu, a dû répondre en homme de gauche.87 Ces interviews concepts sont parfois de véritables pièges pour les hommes politiques en dépit de leur aspect ludique. Ainsi, l'interview nulle, qui comme son nom l'indique comprend des questions assez inintéressantes – "Vous préférez votre père ou votre mère? Vous accordez plus de circonstances atténuantes à un vieux qui se tape des jeunes ou à un jeune qui tape sur des vieux? Vous partez sur 84
Ibid, p.35 Cf. capture 42 en annexe 86 Cf. Capture 43 en annexe 87 Cf. Captures 44-45-46 en annexe 85
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une île déserte. Vous préférez être avec une fille très moche ou un mec très beau?" – peut générer quelques dérapages chez les invités. Car au milieu de ces questions auxquels les "victimes" d'Ardisson sont amenées à répondre à un rythme effréné se cachent des pièges insidieux : ils sont toujours amenés par l'animateur à se justifier sur leurs réponses parfois trop rapides à des questions plus sérieuses comme : "Vous préférez un président d'extrême droite élu au suffrage universel ou annuler les élections?". Quand spontanément, la plupart des hommes politiques répondent qu'il faudrait dans ce cas annuler les élections, Ardisson rétorque : "Annuler le processus démocratique, comme en Algérie? Vous n'êtes pas démocrate, alors?". On s'aperçoit que le divertissement peut faire naître quelques moments de vérité, plus que les interviews classiques auxquels les hommes politiques sont plus préparés à répondre… Dans le cas présent, par exemple, Patrick Braouezec, le maire de St Denis, s'en tire par une pirouette : "Pas de libertés pour les ennemis de la liberté…"88 Dans son rôle de déstabilisateur, Thierry Ardisson est secondé par des trublions comme Laurent Baffie ou Laurent Ruquier, qui eux, au contraire de l'animateur qui s'efforce de cloisonner les interviews sérieuses et les questions plus ludiques, interviennent à tout moment de l'émission pour déstabiliser davantage ces hommes politiques très austères. Ainsi, alors que Thierry Ardisson rappelle les scores successifs de Laguillier aux Présidentielles Ruquier enchaîne : "Les mathématiciens ont prévu qu'à ce rythme-là elle serait élue en 2097…" A cette saillie Laguillier répond : "Les sciences exactes ne tiennent pas compte des sentiments". De même, lors d'une émission avec Daniel Cohn Bendit, Laurent Ruquier demande à l'ancien leader de Mai 68 une précision : "Les Européennes, redites-moi, c'est le 13…? " Daniel Cohn-Bendit répond : "Juin" Ruquier s'en amuse : "Vous voyez, il dit pas Juin mais "Joint"… ". Depuis le départ de Laurent Ruquier, c'est surtout Baffie qui tient le rôle du trublion dans Tout le monde en parle. Par exemple il accueille Christine Boutin 88
Tout le monde en parle, émission du 14 avril 2001
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
avec un bouquet de fleurs et ajoute aussitôt : "C'est bon, on peut la faire chialer maintenant…"
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Il offre ensuite à Ardisson la panoplie "Christine Boutin" avec
kleenex pour pleurer et Bible en bonus90, ce qui ne manque pas de déstabiliser la députée UDF qui savait pourtant à quoi s'en tenir en venant dans une telle émission. Michel Rocard se laisse surprendre par les interventions de Baffie, ne comprenant visiblement pas le rôle de l'humoriste dans l'émission, mais finissant par se prêter au jeu : quand il se félicite qu'enfin quelqu'un, en l'occurrence Ardisson, range la CSG parmi les choses positives qu'il a réalisées pendant son mandat de Premier Minstre - "C'est prodigieux : Vous venez de me faire un plaisir formidable ! " - , Baffie tempère son enthousiasme : "Attends, il est défoncé, là…" Puis, lorsqu'Ardisson évoque le cas Balladur, Baffie commente à l'intention de Michel Rocard : "Vous devriez fonder un syndicat des mecs qui ont failli devenir président de la République, vous deux…" Enfin, quand l'ancien Premier Ministre évoque ses premières amours : "Mes premières amours furent protestantes…", Baffie s'inquiète : "Elles étaient pas d'accord?" Au total, il apparaît que le rôle de ces trublions, plus particulièrement dans Tout le monde en parle, et d'éviter aux hommes politiques d'avoir trop de marge de manœuvre pour se présenter à leur avantage : ils sont d'une part là pour rappeler que tout ceci n'est pas sérieux et qu'il s'agit avant tout d'une émission de divertissement, mais aussi pour déstabiliser les hommes politiques et ainsi révéler aux téléspectateurs une image d'eux sûrement plus proche de la réalité puisque sortant de la construction identitaire habilement préparée avant leur passage dans ces émissions. Si chacune de ces deux émissions permet donc aux hommes politiques de mettre en avant leurs qualités personnelles, soigneusement sélectionnées en fonction de l'image qu'ils souhaitent renvoyer à un moment donné dans le champ politique, ils n'en demeure pas moins que par de nombreux aspects elles ne 89 90
Cf. capture 46 en annexe Cf. capture 47 en annexe
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permettent pas aux hommes politiques de se présenter complètement à leur avantage, la "dilution" du politique dans le divertissement ayant la plupart du temps des effets déstabilisants sur eux et réduisant leur marge de manœuvre dans leur présentation de soi. Il apparaît que les effets des prestations d'hommes politiques dans des émissions de divertissement ne sont par conséquent pas totalement positifs, ni pour le champ politique qui perd davantage en crédibilité ni pour les téléspectateurs qui ne sont pas tous entièrement dupes…
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
CHAPITRE 3 : LES EFFETS DE LA PARTICIPATION DES HOMMES POLITIQUES AUX EMISSIONS DE DIVERTISSEMENT SUR LE CHAMP POLITIQUE ET SUR L'OPINION PUBLIQUE
J'ai montré dans un premier temps que l'apparition de ces émissions de divertissement où étaient conviés de façon régulière des hommes politiques correspondait à une évolution des rapports de force entre le champ politique, l'opinion publique et plus particulièrement l'ensemble des téléspectateurs et le média télévisuel. Les très bons scores d'audience réalisés par chacune des deux émissions sur lesquelles j'ai choisi de me concentrer viennent confirmer le fait que leurs concepts respectifs répondent indéniablement à cette nouvelle configuration des rapports de force entre les trois pôles du triangle ainsi constitué.
Cependant, après avoir étudié les prestations des hommes politiques dans chacun de ces divertissements, il est nécessaire de s'intéresser aux effets de cette nouvelle stratégie médiatique des personnalités du monde politique sur le champ politique lui-même, mais également la portée réelle de ce phénomène sur les téléspectateurs, qui est à relativiser. Je verrai donc dans un premier temps quels effets ce processus de dilution de la politique dans des formats aussi légers que les émissions de divertissement ont eu sur le discours politique et plus généralement dans le champ politique, ainsi que sur la perception que l'opinion publique a de la
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
classe politique ainsi mise en scène, ce qui m'amènera logiquement à étudier les effets concrets de la présence d'hommes politiques dans ces émissions de divertissement sur les téléspectateurs : un excellent score à l'Audimat fait-il effectivement une élection?
3.1
Les conséquences de la dilution du politique dans le divertissement
J'ai montré dans la première partie que le média télévisuel avait révolutionné les relations entre l'opinion publique et le champ politique en introduisant une nouvelle dimension dans les rapports entre ces deux pôles : l'image. La présence d'hommes politiques dans des émissions de télévision n'appartenant pas au champ politique pose de nouveaux problèmes car auparavant, lorsque les hommes politiques se rendaient dans des émissions de télévision, c'était le plus souvent pour y parler très sérieusement de politique. Certes dès le moment où les leaders politiques ont commencé à passer à la télévision, ils ont pris conscience de l'importance de l'image, de l'impression donnée au téléspectateur. Néanmoins, cette attention portée à l'image n'occultait pas encore complètement le discours politique, et l'enjeu des passages à la télévision était encore de faire passer au plus grand nombre un message avant tout politique.
Le problème posé par des émissions de divertissement comme Vivement Dimanche et Tout le monde en parle, où se rendent en masse les ténors de la classe politique, c'est que bien qu'on y parle un peu politique, l'objectif semble avant tout être pour les hommes politiques de se présenter sous le meilleur jour
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possible à un électorat peu compétent politiquement, et peu réceptif aux discours politiques traditionnels. J'ai montré que cela passait par une construction identitaire et une présentation de soi très poussées. La première conséquence de ce phénomène de dilution de la politique dans le divertissement est la victoire indéniable de l'image sur le contenu, de l'impression donnée sur le nécessité de convaincre. Il est très clair que les hommes politiques qui se rendent dans ces émissions préfèrent être aimés que compris, et leur discours politique se vide par conséquent de toute sa substance à force de vouloir atteindre le plus grand nombre.
Par ailleurs, ce phénomène serait encore assez bénin s'il existait encore à la télévision des lieux où les hommes politiques pourraient parler sérieusement et à une heure de grande écoute des programmes de leurs partis et de leurs projets politiques, reprenant ainsi leur fonction initiale de porte-parole de leur mouvement s'adressant à des citoyens compétents politiquement. Mais les émissions purement politiques, comme je l'ai déjà montré, sont reléguées à des heures de faible écoute ou sur des chaînes du câble au public encore plus confidentiel. Les téléspectateurs, aux heures de grande écoute, n'ont l'occasion d'apercevoir des hommes politiques que dans des émissions de divertissement, ou parfois au journal de 20 heures où ils n'ont que quelques minutes pour exprimer leur pensée. Or ces deux types de programmes privilégient les "stars" de la politique aux personnalités moins connues du grand public, ce qui provoque une véritable scission du champ politique et un déséquilibre profond en matière de temps de parole entre ces deux catégories d'hommes politiques.
Enfin, conséquence des deux points que je viens d'évoquer, la participation massive des hommes politiques à ces émissions de divertissement où ils discutent
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
de tout et de n'importe quoi, où la mise en scène de leur personnalité est évidente, peut avoir des effets pervers et être fatale à la crédibilité même d'une partie de la classe politique…
3.1.1 Un discours politique éclipsé par la forme de ces émissions
Le premier problème posé par la participation des hommes politiques à des émissions de divertissement comme Tout le monde en parle et Vivement Dimanche, c'est que le format même de ces émissions l'emporte sur le fond, à savoir le discours politique à proprement parler. Certes, l'étude du contenu de ces deux émissions a montré que les hommes politiques y parlaient de politique, mais pas selon les mêmes modalités que dans les émissions politiques traditionnelles. Il apparaît clairement que le discours est simplifié pour mieux atteindre les publics qui regardent chacune de ces deux émissions.
Il en résulte un appauvrissement du discours politique et une prédominance nette de l'image, de l'apparence, sur le contenu. En jouant de la guitare et en poussant la chansonnette chez Thierry Ardisson, en effectuant quelque tour de passe-passe chez Michel Drucker, quel message veulent faire passer les hommes politiques, sinon qu'ils sont éminemment sympathiques et pas si différents du commun des mortels? Le but non avoué mais évident des hommes politiques est d'améliorer leur image personnelle, plutôt que de faire passer un contenu. Ils perdent donc leur fonction de porte-parole d'un mouvement au profit de celle de star des médias. Pour conquérir l'électorat flottant, le moins réceptif
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
aux messages trop idéologiques ou trop programmatiques ils utilisent la séduction par l'image.
En réalité, les hommes politiques doivent adapter le discours politique traditionnel aux exigences du discours télévisuel, qui possède ses propres codes, et introduit la dimension supplémentaire de l'image. Qui plus est, lorsqu'ils se rendent dans les émissions de divertissement, ils doivent intégrer les codes inhérents à ces émissions pour faire passer au mieux le message qu'ils portent. Ils doivent s'intégrer au spectacle pour que leur prestation soit réussie. S'ils choisissent d'être présents dans de telles émissions ils doivent en accepter les règles pour optimiser les retombées de leurs prestations. J'ai évoqué dans le deuxième chapitre les difficultés qu'éprouvaient certains hommes politiques à s'adapter au côté "divertissement" de ces deux émissions. Je citerai à cet égard un exemple éloquent. Thierry Ardisson a invité sur le même plateau deux personnalités extrêmement opposées politiquement: Arlette Laguillier et Françoise de Panafieu91. Lors de l'entrée de ces deux protagonistes sur le plateau, Arlette Laguillier l'emporte largement à l'applaudimètre, compte tenu de sa popularité et du fait que Françoise de Panafieu n'est pas encore très connue du grand public. Pourtant, à la fin de l'émission, c'est Panafieu qui semble avoir remporté ce combat de popularité parce qu'elle s'est complètement adaptée aux codes de l'émission. Lors de l'interview croisée des deux femmes, aucune ne se détache encore vraiment puisqu'interrogées sur des questions politiques sérieuses, elles présentent leurs arguments de façon convaincante. Après cette interview, Thierry Ardisson propose un défi aux deux invitées : Arlette Laguillier la militante inusable doit enfiler une veste Chanel et Françoise de Panafieu l'aristocrate un blouson de cuir. Malgré les efforts de l'animateur, Arlette 91
Tout le monde en parle, émission du 3 avril 1999
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
Laguillier se montre très réticente à accepter le défi et fini même par refuser catégoriquement. Françoise de Panafieu l' encourage d'ailleurs dans cette voie en prenant Thierry Ardisson à partie : "Elle a raison, c'est pas un porte-manteau !". Cependant, l'ex-Juppette ne rechigne pas à enfiler le blouson de cuir qu'on lui propose et adopte même le langage de circonstance. Laurent Ruquier commente alors : "Là Arlette, vous dégringolez dans les sondages !". Le public applaudit, Ruquier se lève et embrasse Françoise de Panafieu92 : en l'espace d'une demiheure Françoise de Panafieu a accédé au rang de personnalité politique grâce à ce baptême médiatique qui a certainement plus marqué les esprits que les quelques idées politiques qu'elle a essayé de vendre avant d'enfiler son perfecto.
Cette scène témoigne du pouvoir de l'image, de la nécessité de s'adapter aux codes télévisuels prédominants d'une époque donnée pour ne pas sombrer dans l'anonymat politique. En acceptant les règles du jeu concocté par Ardisson, Françoise de Panafieu a certainement pu se singulariser et même éclipser une figure de la politique aussi populaire qu'Arlette Laguillier qui tout au long de cette émission est restée étonnamment silencieuse.
Au total, les hommes politiques doivent adapter leur discours aux codes du média télévisuel, avec comme corollaire la prédominance de l'image, ce qui appauvrit déjà considérablement le contenu de ces discours. Quand qui plus est ils se rendent dans des émissions de divertissement, ils doivent intégrer d'autres codes qui dépendent de la nature même de l'émission pour espérer marquer le public le plus large possible. La forme finit par éclipser totalement le fond, qui n'occupe plus qu'une place secondaire.
92
Cf. captures 47, 48, 49, 50 en annexe
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
Cette folklorisation93 de la vie politique constitue sans doute un certain danger pour la démocratie puisqu'elle favorise les hommes et femmes politiques qui passent le mieux à l'écran, ce phénomène s'ajoutant aux effets de la personnalisation de la vie politique, ce qui provoque un schisme supplémentaire au sein du champ politique…
3.1.2 Un schisme suplémentaire au sein du champ politique
Il apparaît donc que les hommes politiques qui refusent de s'adapter aux codes dominants du média télévisuel prennent le risque d'être exclus de ce souschamp du champ médiatique qui touche le plus grand nombre de personnes. Les hommes politiques et leurs partis se trouvent en face d'un dilemme : s'ils refusent de s'intégrer à l'univers du spectacle, ils gagneront peut-être en crédibilité parce qu'ils auront fait le choix de ne pas dénaturer leur discours politique pour l'adapter aux exigences du média télévisuel. En revanche, le risque en terme de popularité est réel, d'autant plus que le public touché sera moins conséquent.
Le jeu politique s'était déjà largement déplacé dans le champ médiatique et plus particulièrement à la télévision dès les années 70, à l'âge d'or des grandes émissions politiques et des grands débats télévisés. Aujourd'hui, lors des campagnes électorales, l'événement politique se déroule avant tout sur les plateaux de télévision. Comme le remarque Roland Cayrol, une partie des corps intermédiaires traditionnels, parlementaires ou militants se trouvent ainsi 93
Terme employé par Pierre-Luc Séguillon dans l'émission Arrêts sur images (février 2000)
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
dépossédés de leur rôle antérieur. Hors des grandes périodes électorales, la téléprésence94 s'avère plus importante pour certains députés que la présence effective à l'Assemblée Nationale. Pour exister politiquement, il faut être présent à la télévision, et plus particulièrement dans les émissions à même de toucher le public le plus large possible ; or aujourd'hui, alors que les émissions purement politiques sont reléguées aux heures de faible écoute, ce sont les émissions de divertissement qui s'avèrent être les plus à même de remplir ce rôle…
Le danger est réel. La télévision semble opérer un déplacement total de la représentation politique. Ce qui est le plus préoccupant, c'est que seules les personnalités les plus affirmées et les plus populaires ont aujourd'hui droit de cité sur le petit écran, puisque l'évolution même des formats d'émissions proposées aux hommes politiques vers le divertissement privilégie les hommes et femmes politiques les plus télégéniques et les mieux à même de s'adapter aux codes spécifiques, aux univers de chaque émission. Le travail des députés, des militants de base est éclipsé par ces vedettes qui discréditent leurs formations politiques en abandonnant la rhétorique de mobilisation au profit d'une esthétique de la séduction. On assiste donc à un véritable schisme dans le champ politique, en même temps que se dessine un réagencement des processus de légitimation traditionnels : la télévision, dans ses formes les plus spectaculaires, semble ouvrir la porte à un cursus inédit d'accès au pouvoir, puisque la légitimité des nouvelles figures de la politique semble plus que jamais procéder directement de la popularité qu'elles entretiennent en apparaissant dans des émissions de divertissement. Le cas précédemment évoqué de Françoise de Panafieu est éloquent : quasi-inconnue avant sa prestation remarquée dans Tout le monde en parle, elle est devenue en quelques mois la coqueluche des médias séduits par son 94
L'expression est de Patrick LECOMTE, op.cit.
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franc-parler et son style chic et choc. Finalement, la constitution d'une aura médiatique devient un préalable indispensable à la reconnaissance par les militants du parti.
Cette scission au sein du champ politique entre les hommes politiques les plus télégéniques et les autres est encore aggravée par le fait que les émissions politiques traditionnelles, où les membres de la seconde catégorie pouvaient encore s'exprimer, sont reléguées à des heures de faible écoute ou sur les chaînes du câble et du satellite à l'audience encore plus confidentielle. Pour tenter de doper leur audience, les émissions politiques traditionnelles tendent donc à convier plus de "vedettes" politiques – celles-là mêmes qui font les beaux jours des émissions de divertissement – au détriment des figures moins connues du grand public. Et comme la télévision "fait" l'événement politique, que le jeu politique semble s'y être largement installé depuis quelques années, il apparaît qu'il existe un déséquilibre extrêmement préoccupant entre ceux qui ont le droit à la parole et ceux qui sont de plus en plus marginalisés, rejetés du média télévisuel.
Mais comme je le montrerai plus tard, inversement, l'omniprésence de certains hommes politiques à la télévision peut jouer contre eux car les téléspectateurs ne sont pas entièrement dupes et semblent peu à peu prendre conscience des stratégies de séduction sous-jacentes aux prestations télévisées des "stars" de la politique.
Outre le schisme que cette tendance à la vedettisation par le biais de la présence des hommes politiques dans les émissions de divertissement opère dans le champ politique, on peut également se poser la question de la crédibilité de la
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
classe politique quand certains de ses membres abusent des ressorts du divertissement pour séduire les téléspectateurs
3.1.3 Une menace supplémentaire sur la crédibilité de la classe politique
Comme je l'ai déjà montré, la classe politique française souffre d'un déficit de popularité auprès des citoyens : elle suscite la méfiance et au mieux, l'ennui. Si la participation des hommes politiques aux émissions de divertissement peut atténuer l'ennui provoqué par les professionnels de la politique au sein de la population française, elle ne constitue certainement pas un remède à son déficit en crédibilité.
Je l'ai déjà montré à plusieurs occasions, pour optimiser leur performance télévisuelle dans les émissions de divertissement, les hommes politiques ont tout intérêt à montrer leurs facultés d'adaptation aux codes constitutifs de chaque émission. Ainsi, chez Drucker, le discours est courtois, l'humour léger mais dans la mesure du possible jamais vulgaire, tandis que chez Thierry Ardisson, il est préférable de "se lâcher", de se montrer plus franc et corrosif. Le danger, pour les hommes politiques est donc, à trop vouloir s'adapter à l'environnement de chaque émission, d'en perdre la cohérence de leur discours et de se contredire d'une émission à une autre…
L'exemple le plus éloquent est sans doute celui de Philippe Douste-Blazy, invité à quelques mois d'intervalles dans les deux émissions, et pris en flagrant
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
délit de mensonge par le téléspectateur assidu de ces deux divertissements. L'émission de Thierry Ardisson a été diffusée le 17 avril 1999 et celle de Michel Drucker, entièrement consacrée au centriste, le 16 janvier 2000. Dans les deux émissions, l'agression au poignard de Philippe Douste-Blazy par un déséquilibré est abordée. Dans Tout le monde en parle, l'ancien ministre évoque très calmement cet épisode dans un récit assez détaillé de l'événement. Quelques mois plus tard, Michel Drucker interroge le centriste sur ce sujet délicat. Douste-Blazy déclare alors : "C'est la première et le dernière fois que je raconterai ce qui s'est passé parce que c'est quelque chose de très intérieur, de très particulier pour moi…". Or l'homme politique fait presque mot pour mot le même récit que sur le plateau de Thierry Ardisson, à ceci près qu'il y ajoute une dimension dramatique qui était moins perceptible dans Tout le monde en parle. Le récit est en effet plus vivant, Douste-Blazy le raconte avec une émotion palpable, reproduit les gestes de son agresseur, et balbutie même au souvenir de ce moment très difficile.95 A la suite de ce récit, l'assistance est médusée, le silence règne sur le plateau. Si cette agression a effectivement dû être une épreuve très difficile pour l'ancien ministre, on note une nette différence de ton et de degré de dramatisation chez Ardisson et chez Drucker et surtout une contradiction entre les deux émissions puisqu'il assure la primeur du récit à Drucker alors qu'il l'avait déjà raconté quelques mois auparavant chez Ardisson.
A force de jouer les caméléons en s'adaptant trop aux codes des émissions où ils se rendent, les hommes politiques perdent donc beaucoup de leur crédibilité par leurs contradictions et les incohérences de leur discours d'une émission à l'autre, comme le montre cet exemple éloquent. Je citerai encore l'exemple de Philippe Douste-Blazy, qui dans l'émission de Michel Drucker se montre très 95
Cf. Captures 51, 52 et 53
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courtois à l'endroit de son meilleur ennemi, François Bayrou : "On est tous les deux des Pyrennées, on est tous les deux fans de rugby et on sait que pour marquer des essais il faut être ensemble…". Pourtant, six mois plus tôt, Philippe Douste Blazy avait répondu de façon beaucoup plus ironique à Thierry Ardisson sur la question de ses relations avec François Bayrou. L'animateur lui avait demandé si son surnom était vraiment "le Mégret de Bayrou" Douste avait alors répondu par la négative, mais avec une certaine ironie : "Non, ce n'est pas vrai. Il m'a dit que nous étions des amis de 100 ans parce que mon grand-père soignait sa grand-tante. Il a quand même ajouté : "Elle est morte jeune…"
Ainsi, la surexposition des hommes politiques à ce type de divertissement peut avoir des effets très négatifs sur leur crédibilité car à trop vouloir s'adapter au ton des émissions concernées, donc à trop jouer un rôle ils finissent par être pris au piège de leurs propres incohérences. Le cas de Philippe Douste-Blazy n'est qu'un exemple parmi d'autre. Seuls les téléspectateurs les plus attentifs peuvent se rendre compte de telles incohérences, mais de façon globale, l'ensemble des téléspectateurs est-il dupe du spectacle offert par les hommes politiques dans les émissions de divertissement?
3.2
Les effets sur les téléspectateurs
Il apparaît qu'au centre des préoccupations des ténors de la politique participant aux émissions de divertissement et de celles des grandes chaînes de télévision qui choisissent de les programmer, il y a un seul objectif : capter
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
l'attention du maximum de téléspectateurs. Quels sont les effets concrets des prestations d'hommes politiques dans des émissions de divertissement sur ces derniers?
Les hommes politiques croient y jouer un rôle à leur avantage, vendre une image capable de séduire ces électeurs potentiels qui regardent en masse ces émissions. Leur important travail de construction identitaire et de présentation de soi, par ses modalités mêmes, est entièrement tourné vers les populations regardant les émissions concernées. Il apparaît que les hommes politiques se présentent, agissent, parlent en fonction du public visé et s'entourent en outre, par exemple dans l'émission de Michel Drucker, de figures plutôt populaires du cinéma ou de la chanson pour mieux capter son attention. Il s'agit donc indéniablement d'une vaste opération de séduction envers les téléspectateursélecteurs. Ces derniers sont-ils vraiment dupes de l'image que les hommes politiques veulent leur imposer en leur faisant croire qu'il s'agit de la réalité, ou bien sont-ils conscients du travail de sélection, de recomposition et de réorchestration réalisé en amont?
Certes, dans un premier temps on peut penser qu'il s'agit d'une excellente stratégie pour séduire le "marais", cet électorat flottant dont la principale source d'information reste la télévision, que d'utiliser des codes familiers pour lui en se rendant dans des émissions qu'il apprécie particulièrement. L'attention du téléspectateur a en effet plus de chance d'être fixée si la prestation de l'homme politique est "diluée" dans un format s'apparentant plus au divertissement qu'à une émission politique traditionnelle. D'autre part, on peut penser que la participation des hommes politiques aux émissions de divertissement est plutôt positive puisqu'elle désacralise la politique et l'ouvre au-delà du cercle restreint des
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individus capacitaires. Cependant, au regard du contenu peu politique de ces émissions, on peut s'interroger sur leurs effets réels sur les électeurs : est-ce que les prestations des hommes politiques dans les divertissements ne jouent pas justement contre eux, et les résultats aux dernières élections municipales ne sontils pas le signe d'une véritable rejet de la politique-paillettes de la part d'une grande majorité des citoyens français, en dépit des bons scores d'audience réalisés par les émissions concernées?
3.2.1 Un excellent moyen de contrer les effets de l'exposition sélective aux médias…
J'ai démontré dans la première partie que si les hommes politiques se rendaient aujourd'hui en masse dans les émissions de divertissement et si les animateurs de ces dernières les invitaient régulièrement, c'était avant tout parce que les rapports de force au sein du triangle constitué par le champ politique, le média télévisuel et l'opinion publique avaient évolué en faveur d'une dilution de la politique dans des formats plus légers.
Il apparaît que l'hypothèse selon laquelle se rendre dans de telles émissions permettrait aux hommes politiques de contrer les effets nocifs de l'exposition sélective aux médias est amplement vérifiée au regard des chiffres d'audience de programmes tels que Tout le monde en parle et Vivement dimanche, qui démontrent que les prestations télévisées des hommes politiques dans les divertissements sont très suivies par les téléspectateurs. Cela rejoint l'hypothèse selon laquelle le type et le degré d'influence d'un message émis par un média
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peuvent varier en fonction même de la présentation et de la forme qui est donnée à ce message. L'attention à une information est très largement motivée par la relation, personnelle ou sociale que l'individu posté devant sa télévision entretient avec cette information. Ainsi, il est évident qu'un individu peu compétent politiquement ne va pas regarder une émission politique traditionnelle, animée par des journalistes politiques parlant très sérieusement de politique avec … des hommes politiques : ils se sentiront d'emblée rejetés et peu concernés par ce qu'il se passe à l'écran.
En revanche, les individus les moins compétents politiquement apprécieront les prestations des hommes politiques dans les émissions de divertissement. D'une part, la forme même de ces émissions est beaucoup moins rébarbative que celle des émissions politiques traditionnelles. D'autre part, les hommes politiques y parlent beaucoup moins politique que dans les émissions politiques traditionnelles, même si comme j'ai pu le montrer le discours politique n'est pas complètement occulté dans les divertissements, et beaucoup plus des aspects les plus quotidiens de leur vie: on y apprend que Martine Aubry et Edouard Balladur font leur marché comme le commun des mortels ; que Michel Rocard a beaucoup souffert de ces deux divorces successifs et qu'il veut bien admettre qu'il a une part de responsabilité dans l'échec de sa vie affective ; qu'Alain Madelin aime les chiens comme vous et moi ; bref, un amas de détails insignifiants et monstrueusement inintéressants qui captivent pourtant le grand public, ainsi renvoyé à des situations qu'il vit lui-même au quotidien. En réalité, les images que reçoivent les téléspectateurs ont plus à voir avec l'émotion qu'avec la raison. Chacun, individuellement, va décrypter le message envoyé en filtrant et triant le flux d'images qui lui est transmis et en sélectionnant et intégrant celles qui
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entrent le mieux en résonance avec les représentations constitutives de son propre imago96.
Le travail de représentation et de construction identitaire des hommes politiques qui se rendent dans les émissions de Michel Drucker et de Thierry Ardisson, loin de donner un sentiment d'artifice, va au contraire en raison de la distance géographique et de la présence d'intermédiaires technologiques s'imposer comme étant la réalité. Le montage des petits reportages à la gloire de chacun des invités de Michel Drucker, par exemple, laisse penser que les réactions la plupart du temps enthousiastes des commerçants sont naturelles et unanimes alors qu'il est évident qu'un important travail de montage est réalisé en amont. Cependant ce même montage est réalisé de telle façon à ce que le téléspectateur croit que ces réactions ont été piquées sur le vif, offrant le visage d'une spontanéité naturelle.
Ainsi, d'une part, les hommes politiques ont toutes les chances de capter l'attention des téléspectateurs en se rendant dans des émissions de divertissement car ils y discutent à la fois de politique et de choses renvoyant plus à la vie quotidienne donc plus à même d'intéresser les individus les moins compétents politiquement. Ils s'y présentent en effet comme des citoyens comme les autres et les interviews s'intéressent en grande partie à leur vie quotidienne, ce qui renvoie les téléspectateurs à des situations qu'eux-mêmes peuvent être amenés à rencontrer chaque jour. Ces moments d'intimité saisis sur le vif mais en réalité soigneusement mis en scène permettent de mieux faire passer un contenu politique puisque l'attention du téléspectateur aura auparavant été fixée. Cependant, on peut émettre quelques doutes quant à la faculté de mémorisation
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Cf. Patrick LECOMTE, op.cit
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des individus non compétents politiquement de ces petits messages politiques dilués dans une prestation largement dévolue au divertissement…
Donc a priori, ces émissions de divertissement où se pressent les hommes politiques auraient un effet extrêmement positif sur les téléspectateurs qui les regardent d'ailleurs en masse. Cependant, ne doit-on pas nuancer cette perception de l'individu exposé au spectacle des hommes politiques dans les émissions de divertissement comme dénué de tout sens critique ? Et d'autre part, n'est-ce pas trop simpliste de la part des hommes politiques de penser que le téléspectateur qui passe un moment agréable devant leur prestation télévisée deviendra de façon systématique l'électeur qui votera pour eux lors de la prochaine échéance électorale?
3.2.2 Le téléspectateur ne fait pas l'électeur…
Les théories sociologiques qui s'intéressent à l'influence de la télévision sur les individus se partagent en deux grands groupes : celles qui montrent que ce média, par le rapport émotif et immédiat qu'il génère, plonge le téléspectateur dans un état d'hypnose et le vide de tout sens critique. Si on se réfère à ce type de théorie, on peut penser que la présence d'hommes politiques dans des émissions de divertissement permet, outre de limiter les effets négatifs de l'exposition sélective aux médias, de capter l'attention du téléspectateur et de séduire de façon optimale l'électeur potentiel.
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Cependant n'est-ce pas supposer l'absence de tout esprit critique de la part des téléspectateurs qui regardent les hommes politiques dans des émissions de divertissement? En premier lieu, leur présence dans ce type de programme n'est pas naturelle. D'ailleurs, j'ai longuement montré que de nombreuses personnalités du monde politique peinaient à trouver leur place dans le côté ludique et léger de ces émissions. Les téléspectateurs, et en premier lieu les plus habitués à regarder des émissions de divertissement, s'interrogent forcément sur la pertinence de la présence de ces hommes et femmes politiques dans de tels programmes. En outre, comme le suppose Roland Cayrol, le citoyen-téléspectateur n'est pas "vierge et nu" devant la communication politique.97. Il apparaît que tout un chacun possède les armes critiques suffisantes pour juger de l'artificialité de la présentation des hommes politiques dans de telles émissions. Evidemment, en s'adressant à l'affect des téléspectateurs, en se présentant dans des situations quotidiennes et en s'entourant de figures populaires de milieu artistique, les hommes politiques ont toutes les chances de capter l'attention des téléspectateurs. Mais du téléspectateur à l'électeur, un grand pas reste encore à franchir.
Les téléspectateurs voient se succéder sur les plateaux des dizaines d'hommes politiques, qui leur apparaissent globalement tous très sympathiques, qui leur font bonne impression, quelle que soit leur orientation politique. Même lorsque ces derniers perdent leur sang-froid face aux attaques des animateurs les plus impertinents et les moins complaisants, ils paraissent à leur avantage parce qu'en quelque sorte ils passent dans le camp des victimes. Or le public a toujours tendance à avoir plus de sympathie pour les attaqués que pour les attaquants. Cependant, à force de voir se succéder les personnalités politiques sur les plateaux de ces émissions dont la vocation première n'était pas d'accueillir ces hommes et 97
Cf. Roland CAYROL, op.cit., p.161
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ces femmes en quête d'un gain de popularité, les téléspectateurs finissent par comprendre les enjeux sous-jacents et sentent que tout un travail de construction identitaire et de présentation de soi est réalisé en amont…
Or, dans un article au titre éloquent, "Ce que tu es parle si fort qu'on n'entend plus ce que tu dis"98, Jean-Louis Parodi a montré qu'au total, les citoyens faisaient peu de cas du travail de communication politique effectué par les hommes et les femmes politiques. Ainsi, deux ans avant l'élection présidentielle de 1988 la structure des opinions était déjà constituée et n'a presque pas bougé jusqu'à l'élection. Tous les efforts de communication politique réalisés par les équipes des candidats n'auront finalement eu qu'une faible influence sur les électeurs les plus indécis. L'élection de Jacques Chirac en 1995 est plus problématique à cet égard. La presse a largement diffusé l'idée selon laquelle Jacques Chirac aurait été élu grâce à sa marionnette des Guignols de l'info qui durant les deux années précédant l'élection présidentielle – tout le monde se rappelle du fameux "Putain, deux ans !" - a été présenté comme un outsider de la politique trahi par "son ami de trente ans" Edouard Balladur, ce qui évidemment a rendu le vrai Jacques Chirac très populaire dans l'opinion publique française. Mais le cas Chirac est en réalité beaucoup plus complexe. Si sa marionnette l'a indéniablement rendu extrêmement sympathique, il a surtout gagné les élections sur le terrain, en allant à la rencontre des Français et en serrant des milliers de mains. Et comme le rappelle Daniel Schneidermann dans un article publié dans Le Monde99, ce sont précisément ces mains-là qui plient le bulletin de vote et le rangent dans l'enveloppe. Les dernières élections municipales illustrent de façon éloquente cette différence profonde entre le téléspectateur qui regarde avec plaisir
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Revue Hermes Daniel SCHNEIDERMANN, "Secondes mains", Le Monde Télévision, 17 mars 2001
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plus qu'avec intérêt ces émissions de divertissement où se rendent des hommes politiques et l'électeur qui glisse son enveloppe dans l'urne…
J'ai montré que la présence d'hommes politiques dans les émissions de divertissement comme Tout le monde en parle et Vivement Dimanche était loin d'être innocente et s'inscrivait indéniablement dans une stratégie politique bien définie100, le plus souvent électorale. Ainsi, dans l'émission de Michel Drucker, où le contrôle de l'image est de la présentation de soi est le plus aisé, on a vu se succéder, pendant la période d'un an et demi précédant les Municipales : Martine Aubry, future candidate à la Mairie de Lille ; Elisabeth Guigou, candidate à la mairie d'Avignon ; Catherine Trautmann, maire de Strasbourg et candidate à sa propre succession ; Jack Lang, maire de Blois, et au moment de son passage dans l'émission "candidat à la candidature" à la mairie de Paris ; Philippe Seguin, qu'on ne présente plus, ou encore Philippe Douste-Blazy, successeur désigné de Dominique Baudis à la mairie de Toulouse. Il apparaît donc qu'aujourd'hui, passer dans l'émission de Michel Drucker fait partie intégrante de la stratégie médiatique pré-électorale. On s'y fabrique une aura médiatique qui est censée séduire durablement les électeurs potentiels postés devant leur télévision.
Mais comme le fait très justement remarquer Daniel Schneidermann, rien n'est plus trompeur qu'un triomphe à l'Audimat : "Direction poubelle, les vedettes! La bouche avait bien ri en regardant Vivement Dimanche avec Elisabeth Guigou ; la main fait de la résistance. Et la voilà qui plie soigneusement le bulletin de l'adversaire, celui qui n'a jamais rompu les lances de Gérard Miller. Au moment décisif, la main, c'est humain, votera plus volontiers pour le candidat qui l'a plusieurs fois serrée, dans la rue piétonne, aux inaugurations…". Il apparaît donc 100
Ibid, p.56 et suivantes
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que cette aura médiatique soigneusement constituée par les hommes et les femmes politiques participant aux émissions de divertissement en croyant que cela suffira à séduire durablement les électeurs potentiels ne peut pas remplacer le contact direct avec ces citoyens beaucoup plus raisonnables qu'on ne le pensait, et plus sensibles au travail de terrain qu'au théâtre des apparences soigneusement mis en scène dans Vivement Dimanche et dans Tout le monde en parle.
Evidemment, il apparaît que la nature même de ces élections, dont les enjeux relèvent plus de la proximité que des intérêts nationaux, ne nous autorisent pas à tirer des conclusions trop hâtives des résultats aux Municipales 2001. Dans le cadre d'élections locales, il paraît naturel et très sain que le corps électoral choisisse le candidat qui s'est montré tout au long de la campagne électorale le plus disponible et le plus accessible, au détriment de "vedettes" par définition plus distantes venues se refaire une santé médiatique chez Michel Drucker ou chez Thierry Ardisson. Mais les prochaines échéances électorales, en premier lieu l'élection présidentielle qui consacre la personnalisation du jeu politique offriront une nouvelle configuration qui peut remettre en cause les effets sur les téléspectateurs de la présence d'hommes politiques dans ces émissions de divertissement. Car l'élection présidentielle se joue beaucoup sur le terrain, comme l'a montré Jacques Chirac en 1995, mais aussi sur la popularité forgée à travers les interventions des candidats dans les médias, plus que pour tout autre échéance électorale…
Au total, si les hommes politiques se rendent dans ces émissions de divertissement c'est avant tout parce qu'ils espèrent y gagner le cœur des citoyens les moins compétents politiquement et les plus indécis au moment des grandes
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échéances électorales, et qui s'avèrent justement être les téléspectateurs les plus assidus de ce type de programme télévisé. Cependant, si en agissant ainsi ils réussissent effectivement à contourner les effets de l'exposition sélective aux médias comme en attestent les excellents scores d'audience de chacune de ces deux émissions, ils ne sont pas pour autant assurés du soutien de ces électeurs potentiels lors des grandes échéances électorales, comme l'ont montré les échecs de certaines stars de la politique-paillette qui avaient passé plus de temps sur les plateaux de télévision que sur le terrain et ont été sanctionnés par des citoyens peu sensibles une fois dans l'isoloir à leur extraordinaire sympathie et à leur grand sens de l'humour qu'ils avaient pourtant beaucoup travaillé pour optimiser les retombées de leurs passages dans de telles émissions.
Finalement, l'étude des effets de la présence de personnalités politiques sur les plateaux des émissions de divertissement comme Tout le monde en parle et Vivement Dimanche montre qu'il existe un réel écart entre les bénéfices escomptés par les hommes politiques de leurs prestations sur les téléspectateurs et l'influence réelle exercée sur le téléspectateur le moins compétent politiquement, certes séduit par cette ouverture du politique sur le divertissement, mais qui n'en demeure pas moins un électeur rationnel et conscient de moins en moins dupe de l'image très travaillée qui lui est proposé.
En outre, l'omniprésence des hommes politiques dans de telles émissions au contenu globalement plutôt léger ne peut que participer à un certain discrédit de la classe politique dont le rôle n'est après tout pas de séduire mais avant tout de convaincre les électeurs les plus indécis. Elle provoque un schisme inquiétant au sein de la classe politique entre les vedettes et les hommes politiques plus discrets.
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Ce phénomène plutôt préoccupant doit pousser les hommes et les femmes politiques habitués de ces émissions de divertissement à s'interroger sur la pertinence de leur présence dans de tels programmes et sur les dangers de l'appauvrissement du discours politique provoqué par le format même de ces émissions.
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CONCLUSION
Au total, il apparaît que Thierry Ardisson et Michel Drucker ont fait les bonnes émissions, au bon moment.
Dans une première partie, j'ai montré que l'évolution des interactions entre les trois pôles constitutifs du triangle Champ politique/Opinion publique/Média télévisuel avait conduit à l'émergence de ce type de programme télévisé diluant la politique dans un format plus léger que les émissions politiques traditionnelles. Ces dernières, qui avaient fini par devenir trop peu intelligibles pour un grand public frustré de voir s'affronter des protagonistes connaissant tous les subtilités d'un champ politique dont lui-même ignorait tout, ont fini par être reléguées aux heures de faible écoute, faute d'avoir pu se rendre plus accessibles aux individus les plus faiblement politisés. La nouvelle configuration des rapports de force au sein de ce triangle n'est pas étrangère au fait qu'aujourd'hui, pour voir des hommes politiques à la télévision aux heures de grande écoute, il faut se brancher sur les émissions de divertissement comme Tout le monde en parle et Vivement Dimanche, qui servent d'asile aux politiques expulsés des tranches horaires les plus favorables en terme d'audience.
Dans la deuxième partie, j'ai démontré que cette forme d'émissions favorisait les stratégies de construction identitaire de la part des hommes politiques bien que leur marge de manœuvre dans cette présentation de soi soit
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réduite parfois par la nature même de ces émissions. J'ai insisté sur le fait que cette présentation de soi était devenue un enjeu capital au sein du champ politique et que les hommes politiques ne laissaient passer aucun détail pour se présenter de façon optimale au téléspectateur.
Enfin, dans une troisième partie, je me suis intéressée aux effets concrets de la participation des hommes politiques à ce type de divertissement sur le champ politique, avec tous les problèmes que cela pose en terme d'appauvrissement du discours politique, de perte de crédibilité de la classe politique et d'une scission de cette dernière entre les hommes politiques les plus télégéniques et les autres ; j'ai enfin prouvé qu'il existait manifestement un décalage entre les bénéfices escomptés par les hommes et les femmes politiques participant à ces émissions au sein de l'électorat et que le téléspectateur ne faisait pas l'électeur, ce que le personnel politique qui se réjouit des audiences de ces émissions ne parvient pas toujours à saisir.
Au total, ce phénomène de "politique-divertissement" n'est pas tellement nouveau. Séduire l'électeur avant de la convaincre n'est pas une attitude totalement liée à l'apparition de la télévision dans les démocraties modernes. Les conseils de Machiavel aux Médicis montrent que l'art de gouverner a toujours plus ou moins été lié à l'art de paraître.
Cependant, le danger ne survient que quand le souci de paraître l'emporte définitivement sur le souci de convaincre. Or, il serait réducteur de considérer qu'aucune de ces émissions de divertissement – qu'il s'agisse de Tout le monde en parle, de Vivement Dimanche mais aussi d'autres programmes évoqués en
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introduction comme On ne peut pas plaire à tout le monde ou Nulle part ailleurs – ne permet aux hommes politiques de faire passer quelques idées politiques. Le phénomène était finalement beaucoup plus préoccupant dans les années 70 et 80, quand les hommes politiques venaient pousser la chansonnette ou jouer la comédie chez Patrick Sébastien sans aller plus loin, en se contentant de leur performance artistique. L'évolution générale des programmes télévisés vers des formes d'hybridation a finalement entraîné l'émergence de divertissements de meilleure qualité, les talk-shows, où le fond l'emporte tout de même plus sur la forme que dans les émissions de variété proposées aux téléspectateurs dans les années 80. Même si les longs entretiens complaisants de Michel Drucker avec les personnalités politiques laissent une large place à ces derniers pour se présenter sous leur meilleur jour, le téléspectateur n'est pas livré sans armes critiques aux images qu'il reçoit. Et dans Tout le monde en parle, les hommes politiques se mettent d'une certaine manière en danger face à l'impertinence de l'animateur. Déstabilisés par ses questions embarrassantes, les voilà contraints de répondre de façon improvisée alors qu'on peut penser qu'ils s'attendent un peu plus aux questions des journalistes politiques traditionnels et qu'en conséquence ils s'y sont plus préparés.
Le vrai danger serait que les émissions de divertissement jouent complètement le jeu des hommes politiques, ce qui les transformerait en véritables instruments de propagande. La question se pose surtout pour l'émission du très condescendant Michel Drucker, Vivement Dimanche. Mais d'une part, l'animateur veille à donner la parole à des personnalités de tout l'échiquier politique, à l'exception de l'extrême-droite, pour assurer un certain pluralisme et donner leurs chances d'améliorer leur image à l'ensemble de la classe politique. D'autre part, la
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présence dans l'émission d'esprits critiques comme les trois chroniqueurs de Vivement Dimanche prochain est aussi saine que vitale. Leur rôle est de former un contrepoids, de modérer l'enthousiasme des téléspectateurs les moins conscients des stratégies de présentation de soi sous-jacentes en déstabilisant les hommes politiques. Même si parfois la connivence de certains chroniqueurs avec les personnalités invitées remet en cause cette potentialité critique, il est nécessaire que l'équilibre entre la liberté laissée aux hommes politiques dans leur présentation de soi et la possibilité de critique reste assuré au sein même de l'émission, de façon à mettre en garde le téléspectateur. Je pense que cet équilibre est beaucoup plus assuré dans Tout le monde en parle. Certes, les hommes et femmes politiques les plus télégéniques y finissent toujours par tirer leur épingle du jeu. Mais l'immersion de ces personnalités dans un environnement inhabituel et impertinent laisse une grande liberté de jugement au téléspectateur. Les électrons libres de l'émissions – invités ou habitués – les questions impertinentes de l'animateur laissent beaucoup moins de marge de manœuvre à l'invité que dans l'émission de Michel Drucker. Ce n'est pas pour rien que très peu de membres du gouvernement en exercice sont venus sur le plateau de Thierry Ardisson – la saison dernière, seul Jean-Claude Gayssot s'y est aventuré – préférant de loin la tranquillité du salon rouge de Michel Drucker.
Au total, il me paraît sain que ce genre d'émission ait sa place dans le paysage audiovisuel français, surtout dans leurs aspects les plus iconoclastes. Si la grande liberté laissée à la présentation de soi des hommes politiques est discutable parce que trop facilement assimilable à une forme de propagande larvée, c'est finalement dans le décalage produit entre cette volonté de contrôler et de maîtriser leur prestation des hommes politiques et les moments les plus imprévisibles de ces
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émissions que se situe le véritable intérêt de tels programmes. Les hommes politiques ont fini par s'habituer aux questions posées par les journalistes politiques et y répondent donc avec de moins en moins de spontanéité. Finalement, ces spécialistes de la politique font, depuis quelques années, partie intégrante du champ politique et les personnalités politiques se sont habituées à les côtoyer, à prévoir leurs questions et leurs réactions.
En revanche, plongés dans un environnement qui n'est pas le leur, même en espérant pouvoir contrôler leur présentation de soi du début jusqu'à la fin, les hommes politiques finissent toujours par révéler quelques facettes de leur vraie personnalité aux téléspectateurs. C'est dans cette perte du contrôle de la construction identitaire, dans ces moments de spontanéité que se situe l'intérêt de plonger des hommes publics dans des émissions de divertissement. Ce sont peutêtre les derniers endroits où ils peuvent encore être surpris ou surprendre à la télévision, parce que ces émissions échappent aux codes traditionnels auxquels ils avaient été habitués lors de leurs prestations successives sur les plateaux des émissions politiques.
Quelles perspectives pour la politique à la télévision? La relégation des émissions politiques aux tranches horaires les plus ingrates est un signal fort : ce type de programme a vécu, remplacées très vite dans le cœur des téléspectateurs par les émissions de divertissement. Ces dernières ne devraient pourtant pas être pensées comme des solutions de substitution mais comme de véritables compléments aux émissions politiques traditionnelles, qui au lieu de se replier sur des concepts trop rébarbatifs pour attirer le public le plus large possible, quand l'information de l'ensemble des citoyens devrait être dans une démocratie comme
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la France, leur mission première, devraient progresser dans l'intelligibilité tout en conservant un souci de qualité et de sérieux.
La coexistence durable aux heures de grande écoute de ces deux types d'émissions permettra peut-être aux hommes politiques de résoudre un des grands dilemmes de la vie politique et ainsi de réaliser leur vieux rêve: être aimé, certes, mais aussi être compris (et inversement). Les citoyens français ont besoin d'être séduits, comme le montre l'attitude enthousiaste des téléspectateurs face aux émissions de Drucker et d'Ardisson ; mais ces téléspectateurs, aux portes des bureaux de vote, redeviennent de véritable citoyens qui demandent des preuves et du concret aux hommes politiques. Le téléspectateur ne fait pas l'électeur, ou si peu, comme l'ont montré les dernières élections municipales. Les hommes politiques doivent donc éviter de mettre tous leurs œufs dans le même panier et, pour la crédibilité de la classe politique, continuer à participer sérieusement au débat public dans les endroits prévus à cet effet au sein du champ politique comme au sein du champ médiatique. A ce moment-là, plus rien ne s'opposera à leur présence dans ces émissions de divertissement d'un nouveau genre.
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BIBLIOGRAPHIE
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Emissions citées dans le mémoire v Tout le monde en parle: Production : France 2/Ardisson et Lumières (1998) puis Tout sur l'écran (TSE).(Catherine Barma – Thierry Ardisson)
ü Emission du 16 janvier 1999 ; invitée : Christine Boutin ü Emission du 27 février 1999 ; invité : Robert Hue
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ü Emission du 20 mars 1999 ; invité : Daniel Cohn-Bendit ü Emission du 3 avril 1999 ; invitées : Françoise de Panafieu et ü ü ü ü ü ü ü ü ü
Arlette Laguillier Emission du 17 avril 1999 ; invité : Philippe Douste-Blazy Emission du 23 octobre 1999 ; invité : Noël Mamère Emission du 19 février 2000 ; invité : Maxime Gremetz Emission du 18 mars 2000 ; invité : Edouard Balladur Emission du 15 avril 2000 ; invité : Bernard Bled Emission du 10 juin 2000 ; invité : Alain Madelin Emission du 17 juin 2000 : best-of politiques Emission du 31 mars 2001 ; invité : Michel Rocard Emission du 14 avril 2001 ; invité : Patrick Braouzec
v Vivement Dimanche et Vivement Dimanche prochain : Production : France 2/DMD (Dany et Michel Drucker Productions)
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Emission du 24 octobre 1999 ; invitée : Martine Aubry Emission du 28 novembre 1999 ; invitée : Arlette Laguillier Emission du 16 janvier 2000 ; invité : Philippe Douste-Blazy Emission du 16 avril 2000 ; invité : Edouard Balladur Emission du 3 décembre 2000 ; invité : Laurent Fabius Emission du 8 avril 2001 ; invité : Alain Madelin
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INDEX DES NOMS PROPRES CITES DANS LE MEMOIRE A Alévêque (Christophe) : p.61 Arabian (Guylaine) : p.56 Aubry (Martine) : p. 30, 31, 41, 49, 50, 51, 53, 56, 65, 84, 89 Audiard (Michel) : p.53
B Bachelot (Roselyne) : p.5 Badinter (Robert) : p.42, 44, 47 Baffie (Laurent) : p.35, 64, 67 Balladur (Edouard) : p.31, 32, 40, 43, 44, 47, 49, 51, 53, 63, 64, 68, 84 Bassi (Michel) : p.19 Baudis (Dominique) : p. 48, 56, 89 Bayrou (François) : p.81 Béart (Emmanuelle) : p.63 Bedos (Guy) : p.54, 61 Bellemare (Pierre) : p. 51 Bled (Bernard) : p.62 Boutin (Christine) : p. 5, 34, 63, 67 Braouzec (Patrick) : p.67 Bulté (Michel) : p.35
De Panafieu (Françoise) : p. 35, 52, 63, 66, 74, 77 Devedjian (Patrick) : p. 35, 66 De Virieu (François-Henri) : p. 24 Diagana (Stéphane) : p.53 Douste-Blazy (Philippe) : p. 34, 42, 43, 48, 50, 54, 56, 61, 79, 89 Dugeon (Thierry) : p. 5 Duhamel (Alain) : p. 19
E Elkabbach (Jean-Pierre) : p. 19 Elkrief (Ruth) : p. 26 Eric et Ramzy : p. 62
F Fabius (Laurent) : p. 31, 41, 44, 47, 49, 51 Field (Michel) : p. 28 Fogiel (Marc-Olivier) : p. 5 Fruchard (Jean) : p. 48
G
C Castro (Françoise) : p.49 Cayrol (Roland) : p. 12, 14, 16, 31, 37, 76, 88 Chauveau (Agnès) : p.3 Coffe (Jean-Pierre) : p. 51 Cohn-Bendit (Daniel) : p.52-67 Collovald (Annie) : p. 55 Coureau (Clotilde) : p. 62
Gayssot (Jean-Claude) : p. 8, 96 Geluck (Philippe) : p. 32, 57, 64, 65 Gilbert (Danielle) : p. 2 Giscard d'Estaing : p. 2, 6 Gourévitch (Jean-Paul) : p. 7, 14 Gremetz (Maxime) : p. 34, 39, 50, 62, 66 Guigou (Elisabeth) : p. 8, 57, 89
D Dechavanne Christophe) : p. 4 Delanoë (Bertrand) : p. 5, 32, 63 Delors (Jacques) : p.41, 50, 57
H Hallyday (Johnny) : p. 35 Hue (Robert) : p. 34, 39, 52 Huster (Francis) : p. 63
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Pellegrin (Bernard) : p. 42, 43 Perret (Pierre) : P. 3 Pousse (André) : p. 53 Prévost (Daniel) : p. 53
J Jobert (Michel) : p. 47 Jospin (Lionel) : p. 2, 34
L Lafont (Axelle) : p. 5 Laguillier (Arlette) : p. 3, 31, 48, 49, 59, 65, 67, 74 Lang (Jack) : p. 3, 8, 57, 89 Lecomte (Patrick) : p. 8, 17, 20, 25, 28, 77, 85 Léotard (François) : p. 2
M Madelin (Alain) : p. 32, 40, 42, 43, 51, 54 , 57, 61, 64 Mamère (Noël) : p. 52 Masure (Bruno) : p. 7, 32, 57, 64, 65 Miller (Gérard) : p. 6, 32, 33, 58, 60, 64, 65, 89 Mitterrand (François) : p. 42 Moati (Serge) : p. 45, 47 Montand (Yves) : p. 2
N Neveu (Erik) : p. 10, 23, 24, 25
R Ribes (Jean-Michel) : p. 53 Rigaud (Jacques) : p. 42 Rocard (Michel) : p. 5, 6, 35, 45, 68, 84 Ruquier (Laurent) : p. 5, 35, 64, 67, 75
S Santini (André) : p. 4 Sarkozy (Nicolas) : p. 5 Schlegel (Jean-Louis) : p. 29 Schneidermann (Daniel) : p. 88, 89 Schwartzenberg (Léon) : p. 48 Schwarzenberg (Roger-Gérard) : p. 2 Sébastien (Patrick) : p. 3, 98 Ségara (Hélène) : p. 31 Séguillon (Pierre-Luc) : p. 25, 76 Seguin (Philippe) : p. 8, 57, 64, 89 Sémoun (Elie) : p. 63 Sinclair (Anne) : p. 25, 26
T Tibéri (Jean) : p. 35, 62 Trautmann (Catherine) : p. 8, 57, 89
O Ockrent (Christine) : p. 26 Offerlé (Michel) : p. 17, 37 Omar et Fred : p.5
P
W Weber (Max) : p. 38
Z Zéro (Karl) : p. 35 Zidane (Zinedine) : p. 53
Parodi (Jean-Louis) : p. 88
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche
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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes
ANNEXES Vous trouverez ici toutes les captures d'images auxquelles il est fait allusion tout au long du mémoire… et quelques autres bien significatives de l'attitude des hommes politiques dans ces deux émissions.
1. Des hommes politiques dans des émissions de divertissement? Du déjà-vu… Capture 1 Valéry Giscard d'Estaing a toujours voulu être aimé des Français, notent un certain nombre de commentateurs politiques à l'image de Pierre-Luc Séguillon : "Le rêve de Giscard, c'est d'être enfin proche des gens." Ici, en virtuose de l'accordéon dans une émission de Danielle Gilbert de 1970 La Cinquième – arrêt sur images – Février 2000
Capture 2 Mais il est loin d'être le seul à avoir surpris par ses talents artistiques : ici, Lionel Jospin dans une interprétation toute personnelle des feuilles mortes d'Yves Montand dans l'émission de Patrick Sébastien, Carnaval, en 1984.
La Cinquième – arrêt sur images – Février 2000
Capture 3 Arlette Laguillier elle –même a pris le micro pour rendre hommage à une de ses idoles, Pierre Perret…
I
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Capture 4 … sous le regard ému de l'artiste.
France 2 - C'est votre vie 1
2. Deux émissions aux univers très différents… Capture 5 Chez Michel Drucker, le discours est intimiste : animateur et invité (ici, Edouard Balladur) parlent d'égal à égal sur le fameux canapé rouge…
France 2 - DMD prod - VD - 6/04/00
Capture 6 Thierry Ardisson au contraire, mène le jeu et prévient d'emblée les hommes politiques invités (ici, Maxime Gremetz, député communiste de la Somme), des sanctions-maison…
France 2 – TSE – Ardisson/Barma Février 2000
II
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Capture 6 bis "On est ravis de vous recevoir dans cette émission, mais si vous faites des discours d'homme politique et que vous utilisez la langue de bois, il y a deux punitions. La première c'est que je vous passerai un extrait d'I Muvrini…"
Capture 7 "… et la deuxième, c'est que vous serez mosaiqué…" Les méthodes de Thierry Ardisson sont pour le moins particulières…
Capture 8 Mais les maître des lieux distribue aussi des bons points aux hommes politiques qui se prêtent au jeu… Ici, quelques jolies danseuses…
Capture 9 … ou le dernier opus de Karl Zéro gentiment jeté à la figure de Philippe DousteBlazy que Thierry Ardisson félicite à sa manière pour sa réussite à l'Ardiview…
III
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3.Quand les amis, collègues, familles et badauds parlent des hommes politiques…
Capture 10 Dans Vivement Dimanche, des intervenants prestigieux parlent de leurs amis. Robert Badinter et Serge Moati ne tarissent pas d'éloges sur Laurent Fabius. Mais ici, c'est Dominique Baudis qui dresse le portrait de son ami Philippe Douste-Blazy : "C'est quelqu'un qui a le goût et le sens de l'action publique…" Capture 11 Les collègues de travail sont aussi appelés à la rescousse par l'équipe de Vivement Dimanche pour redorer l'image de leurs amis politiques ; ici, un ancien collègue de Douste-Blazy, le professeur Jean Fruchard : "Un mot le caractérise, c'est l'enthousiasme. Comme son père il a aussi beaucoup d'intégrité. Il n'a vraiment peur de rien…" Capture 12 Dans un autre genre, une collègue d'Arlette Laguillier ne mâche pas ses mots : "Je me souviens de son intervention auprès du chef de service, ce petit bonhomme méprisant… et Arlette elle l'a mouché, vous pouvez pas savoir comme ça nous a fait plaisir !"
IV
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Capture 13 Grand classique de Vivement Dimanche : le marché. Les interventions des commerçants sont soigneusement sélectionnées…; ici, le poissonnier de Martine Aubry : "Elle est super sympa, elle a un comportement tout à fait normal pour une ministre…"
Capture 14 Le boucher d'Arlette Laguillier : "Moi je ne la vois pas présidente parce que pour être président il ne faut pas être complètement intègre…"
Capture 15 Un commerçant du marché du 15ème Arrondissement témoigne sur Edouard Balladur : "On a une image de lui de grand bourgeois, mais il est très proche des gens, Mr. Balladur…"
Capture 15bis … ce que l'ancien Premier ministre n'hésite pas à prouver devant les caméras ; à une jeune maman : "Dites-moi, il est superbe…"
V
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Capture 16 … et pour attendrir les téléspectateurs dominicaux, quoi de mieux que l'intervention de Papa pour Martine Aubry?
Capture 17 Jacques Delors : "La petite Martine était une enfant gaie, espiègle, réservée… Elle nous fait toujours rire…"
Capture 18 Philippe Douste-Blazy est un homme de cœur. Michel Drucker le prouve : "Le public ne le sait peut-être pas, mais vous avez dans votre vie un petit Vietnamien que vous avez adopté…"
VI
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4. Les loisirs des hommes politiques en disent long sur eux… Capture 19 Edouard Balladur est un grand randonneur, amoureux de la montagne. Ici à Chamonix : "J'essaie de marcher deux à trois heures par jour. C'est comme ça que les idées mûrissent…"
Capture 20 Beaucoup plus dynamique, Philippe Douste-Blazy se présente comme un sportif accompli… Ici, sur ses skis…
Capture 21 … et lors d'une randonnée à VTT. Commentaire d'un de ses amis : "Parfois, on a du mal à le suivre…"
Capture 22 Michel Drucker rappelle également que Douste-Blazy a failli devenir pilote professionnel…
VII
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Capture 23 : Dans un registre beaucoup plus calme, Martine Aubry confie qu'elle déteste la cuisine surgelée et prend toujours le temps de faire la cuisine pour ses amis malgré son emploi du temps de ministre…
… en somme, Martine Aubry est une bonne vivante…
Capture 24 Chez Thierry Ardisson aussi les hommes et femmes politiques évoquent leurrs violons d'Ingres. Ici, Françoise de Panafieu s'accompagne à la guitare et met le feu au plateau en chantant La Bamba
Capture 25 L'animateur de Tout le monde en parle n'hésite pas à exhumer des archives que les hommes politiques auraient préféré oublier… Ici, le clip très eighties de Noël Mamère, Les enfants de par-là…
VIII
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Capture 26 L'écologiste se montre très réticent à prouver ses talents sur le plateau de Thierry Ardisson mais finit par interpréter un extrait de Nobody knows. Vous remarquerez son aisance à la guitare…
Capture 27 Les Verts ont décidément beaucoup de talents cachés… Daniel Cohn-Bendit ne commente pas trop sa prestation cinématographique dans Un amour à Paris…
5. Des hommes politiques toujours très bien entourés… Capture 28 Edouard Balladur apprécie l'humour français, et particulièrement Michel Audiard, dont André Pousse est l'un des derniers représentants… Commentaire de Michel Drucker : "Ca me fait rire de vous voir tous les deux sur le même canapé, parce que comme dirait Audiard, 'c'est pas la même limonade…'" Capture 29 Daniel Prévost est également invité par l'ancien Premier Ministre : "M. le Ministre est absolument délicieux. J'ai une très bonne opinion de lui en le regardant dans une émission de divertissement…"
IX
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Capture 29 Philippe Douste-Blazy apprécie particulièrement l'humour de Guy Bedos, à qui il prend le pouls pour calmer ses angoisses hypocondriaques…
Bedos : "Mais qu'est-ce qu'il fout à Droite? […] Pour moi il y a des gens qui seraient mieux à Gauche qu'à Droite, et inversement…"
6. Les émissions de divertissement, nouvelles étapes dans les campagnes électorale? Capture 30 Philippe Douste-Blazy se présente, implicitement, dans Vivement Dimanche, comme le successeur de Dominique Baudis. Ici, l'ancien et le futur maire à la Cité de l'Espace de Toulouse…
Capture 29 De même, Martine Aubry vise indéniablement le beffroi de Lille. La voici avec Pierre Mauroy dans les locaux de sa future Mairie…
X
Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes
7. Des invités actifs…
Capture 32 Eric, du duo comique Eric et Ramzy, interpelle Maxime Gremetz : "Pourquoi ne pas changer de nom? Moi, quand il y a une erreur comme le stalinisme, je me désolidarise direct…"
Capture 33 Maxime Gremetz perd son calme et devient franchement désagréable : "Staline était pas au PCF… Staline était pas français, vous le saviez, ça?
Capture 34 Colère soudaine de Clotilde Coureau, alors qu'Ardisson interroge Bernard Bled sur le choix du candidat RPR à la Mairie de Paris : "Mais concrètement, qu'est-ce qu'on fait? Il y a de plus en plus de pauvres[…]. Qu'est-ce qu'il fout là, lui? Il devrait être dans son bureau ! Y'en a marre de nous berner comme ça !" Bled reste stoïque…
XI
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Capture 35 Heureusement, les choses se passent parfois beaucoup mieux pour les invités politiques d'Ardisson. Ici, Emmanuelle Béart embrasse Edouard Balladur…
Capture 36 Françoise de Panafieu, de son côté, prouve à sa façon qu'elle n'en veut pas du tout à Elie Sémoun de soutenir Bertrand Delanoë…
8. Des hommes politiques déstabilisés par les trublions… Capture 37 Gérard Miller veut aider Edouard Balladur : "J'ai un ami africain et il m'a dit que certaines manipulations pouvaient marcher… J'ai donc amené une poupée à l'effigie de Philippe Seguin" (en réalité, il s'agit d'un Télétubbies affublé de gros sourcils…)
Capture 38 Edouard Balladur ironise : "Oh non, arrêtez, c'est beaucoup trop dangereux, imaginez que ça soit efficace…"
XII
Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes
Capture 39 Avec Martine Aubry : "Je suis de Gauche et ma grande crainte c'est qu'on me soupçonne de complaisance vis-à-vis de Madame Aubry… J'ai donc amené cette mallettes avec des dossiers compromettants pour la Gauche comme le financement occulte de la MNEF…"
Capture 40 Martine Aubry apprécie apparemment beaucoup l'humour de Gérard Miller…
Capture 41 Miller poursuit : "…et comme on n'est jamais assez prudent, j'ai aussi amené de la documentation sur les promesses non tenues de la Gauche…"
XIII
Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes
Capture 42 Françoise de Panafieu se prête au jeu de Thierry Ardisson dans une interviewmensonge débridée… "Avez-vous couché pour réussir?" Réponse de l'intéressée : "Au moins mille fois, je passe ma vie à… je me demande même comment je suis encore assise ce soir…"
Capture 43 Maxime Gremetz apprend vite les subtilités de l'interview-mensonge : "Y a-t-il encore des boîtes échangistes à Abbeville?" Gremetz hésite : "Bien s… euh non, non, non, il n'y en a plus…"
Capture 44 Patrick Devedjian est un excellent client pour l'interview dyslexique, où il doit répondre en communiste. C'est Baffie qui est chargé de lui poser les questions… : "Etesvous pour ou contre les 35 heures?"
Capture 45 -"Camarade Baffie, je suis pour, je suis même pour que ce soit encore moins, car le travail c'est le Capital, c'est l'exploitation et je ne veux pas continuer à la subir…" -"Et comment ils font pour être aussi cons à Droite?" -"Ils nous imitent…"
XIV
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Capture 46 Christine Boutin est accueillie par Baffie avec un bouquet de fleurs et au son de Loveboat.
Capture 47 Il s'agissait en réalité d'un cadeau empoisonné… Commentaire de Baffie : "C'est bon, on peut la faire chialer maintenant…"
… Thierry Ardisson se voit par la suite offrir la "panoplie Boutin" : Perruque permanentée, lunettes, kleenex et Bible en bonus…
XV
Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes
9. Le baptême médiatique de Françoise de Panafieu Capture 47 Invitée sur le même plateau qu'Arlette Laguillier, Françoise de Panafieu comprend très vite que pour gagner le match de la popularité, elle a tout intérêt à jouer le jeu de Thierry Ardisson…Tandis que Laguillier refuse d'enfiler une veste Chanel, l'ex-Juppette accepte de mettre le perfecto qu'on lui propose… Capture 48 … et adopte l'attitude et le langage de circonstance…
Capture 49 Arlette vaincue…
Laguillier
doit
s'avouer
… et Françoise de Panafieu est congratulée par Laurent Ruquier qui auparavant avait fait remarquer à Arlette qu'elle avait perdu 5 points dans les sondages en ne jouant pas le jeu d'Ardisson…
XVI
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10. Le coup de poignard de Philippe Douste-Blazy… Capture 51 Philippe Douste-Blazy fait le récit de son agression au poignard dont il assure la primeur à Michel Drucker, alors qu'il l'a déjà raconté sur le plateau de Tout le monde en parle six mois plus tôt…
Capture 52 Mais sur le plateau de Drucker, le récit est beaucoup plus vivant. Douste-Blazy le dramatise plus que chez Ardisson, où il l'avait raconté très calmement…
Capture 53 A la fin de l'évocation de cet incident tragique, le public, médusé, est plongé dans le silence.
XVII