Le monde de Titeuf

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Dorothée Bécart- Mélanie Marullaz

CELSA – Université de Paris IV-Sorbonne Ecole des Hautes études en sciences de l’information et de la communication

Maîtrise de l’information et de la communication Option journalisme Mémoire méthodologique

Pertinence et complexité du journalisme pour enfant Première partie :

Mélanie Marullaz « Le journaliste pour enfants : un journaliste comme les autres ? »

Deuxième partie :

Dorothée Bécart « L’actualité des enfants ou l’actualité pour les enfants »

Troisième partie :

Dorothée Bécart et Mélanie Marullaz « Mon journal à moi : quand l’information prend des couleurs »

Mémoire professionnel

Les mots pour le dire : l’info à hauteur de mômes, Documentaire télévisé, 16’50

Préparé sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Baptiste Carpentier

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Dorothée Bécart- Mélanie Marullaz

BECART Dorothée Promotion 2001-2003

MARULLAZ Mélanie Promotion 2000-2002

REMERCIEMENTS

Nous remercions le professeur Jean-Baptiste Carpentier qui a permis la réalisation de ce travail de recherche. Nous exprimons également notre profonde reconnaissance à Paul Nahon et à François Pécheux pour leur collaboration essentielle à l’élaboration de notre documentaire télévisé, ainsi qu’à Jacques Le Cann pour sa disponibilité lors du montage, et à Adeline Wrona pour ses précieux conseils lors de la rédaction de notre mémoire méthodologique. Nous tenons également à exprimer notre profonde gratitude aux journalistes des rédactions du groupe Playbac, de L’Hebdo-Le Monde des Ados, de Mon Kanar, et à Peggy Olmi, ancienne présentatrice d’A toi l’Actu@, qui ont pris le temps de nous répondre ; à la pédagogue Maguy Chailley, la pédiatre Edwige Antier, et la pédopsychiatre Linda Morisseau, qui ont accepté de nous rencontrer ; ainsi qu’aux élèves du CM2 de l’école Jean Bonis à Melun (77), et leur institutrice Florence Dimovitch. Nous remercions enfin tout particulièrement le personnel de l'Institut National de l'Audiovisuel, à la Bibliothèque Nationale François Mitterrand, pour leur patience et leur disponibilité.

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SOMMAIRE

Remerciements………………………………………………………………….2 Mots clés………………………………………………………………………...5 Introduction……………………………………………………………………. 6 Première partie : Le journaliste pour enfants, un journaliste comme les autres ? – Mélanie Marullaz 1.1. Un traducteur……………………………………………………………….…...16 1.1.1

D’une langue à l’autre……………………………………………………….…..17

1.1.2

Un filtre émotionnel..……………………………………………………………18

1.1.3

Un interprète…..……………………………………………………………….. 19

1.2 Un pédagogue…………………………………………….………………….….21 1.2.1

La transmission des connaissances.…………………………………………….21

1.2.2

L’écoute et le dialogue…...……………………………………………………..23

1.3 Un formateur de citoyens ……………………………….…………………..….24 1.3.1

Réflexion et émancipation.………………………………………………….….25

1.3.2

Une responsabilité accrue.……………………………………………………...26

1.3.3

Ne pas juger..………………………………………………………………….. 27

Conclusion de la première partie…….……………………………………………...29

Deuxième partie : L’actualité des enfants ou l’actualité pour les enfants ? – Dorothée Bécart 2.1 L’actualité des enfants : l’actualité des cours de récré…………………….…..33 2.1.1

La vie scolaire…………………………………………….…………………..34

2.1.2

Lorie, Titeuf, Harry, Mario et les autres….…………..….………………...…35

2.1.3

Nature, découvertes, et solidarité………….…………………..……………...36

2.2 L’actualité pour enfants, ou l’actualité des adultes expliquée aux enfants…....38 2.2.1

Répondre à leurs questions.………………………………...………….……..39

2.2.2

L’info sous l’angle enfant.……………………………………………….….. 40

2.2.3

Donner les clefs de l’actualité...……………………………………….…….. 41

2.3 L’information pour enfants, un subtil équilibre entre les deux..………………43 2.3.1

L’actualité "des grands" réduite à la portion congrue.…………………….….43

2.3.2

Priorité à l’actualité des enfants………………………………………...…….44

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2.3.3

Le risque d’une dérive vers le "tout-magazine"…………………….. 45

Conclusion de la deuxième partie………………………….……………………….47

Troisième partie : Mon journal à moi : quand l’information prend des couleurs – Dorothée Bécart et Mélanie Marullaz 3.1 Une information courte et claire…………………………..……………….…....50 3.1.1

Dix minutes chrono………………………………………..…………..51

3.1.2

Les mots des enfants…………………………………………..……....52

3.1.3

Des mots mis en image…………………………..………………….. .54

3.2 Entre proximité et crédibilité……………………………………………..…..…55 3.2.1

Pas question de faire du jeunisme…….………………………..……. 55

3.2.2

Mon info : Appropriation de l’information par les enfants………….. 58

3.2.3

Rendez-vous avec l’info…..……………………………………..…… 61

3.3 Une information ludique……………………………………...…………………55 3.3.1

Une touche de couleur dans un monde d’austérité…………….……... 63

3.3.2

Une info en 3D ………………….…………………………………..…65

3.3.3

La cour de récré comme référence……………………………………..67

Conclusion de la troisième partie………………………………………………………...69

Conclusion…………………………………………………………………… 70 Bibliographie………………………………………………………………… 75 Résumé……..………………………………………………………………… 77

ANNEXES 1. Exemples de journaux d’actualité pour enfants……………………..……..I 2. Captures d’émissions télévisées…………………………………………...II 3. Courrier des lecteurs post-11 septembre……………………………….…III

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MOTS-CLEFS

Presse Jeunesse Education aux médias Décryptage de l’actualité Psychologie de l’enfant

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INTRODUCTION

A l’image de la génération qu’il représente, Titeuf essaie de comprendre le monde qui l’entoure. Sida, drogue, guerre … ce petit garçon de dix ans, icône des cours de récré, se pose beaucoup de questions. Et sa perception de la réalité est parfois complètement fantaisiste. Difficile pour lui de faire la part des choses face au flot continu d’informations auquel il est chaque jour exposé. En effet, la plupart d’entre elles présupposent chez le téléspectateur l’existence d’un système de références1, historiques, culturelles ou politiques, que l’adulte hérite de l’enseignement qu’il a reçu, de ses lectures et de son propre vécu. C’est l’existence de ce système qui rend possible l’appréhension et la mémorisation de l’information. Les enfants, eux, n’ont pas encore les clés nécessaires à la bonne compréhension des événements qui jalonnent les pages des quotidiens et des journaux télévisés. D’autant plus que c’est souvent seuls, en rentrant de l’école et avant de faire quoi que ce soit d’autre qu’ils empoignent la télécommande. Ce fut le cas le 11 Septembre 2001, lorsque les tours du World Trade Center se sont effondrées à l’heure du goûter. A ce moment-là, il n’y avait pas forcément dans les parages un parent ou un adulte pour donner un sens à ce flot d’images choquantes qui a envahi les écrans. « Le 11 Septembre a été un vrai détonateur pour la presse enfantine en général, constate François Dufour, directeur des Editions Play Bac. A 16h30, tous les enfants étaient scotchés devant le défilé des images en boucle. Les parents ont soudain compris la nécessité d’informer les enfants dans leur langage à eux »2. C’est à ce moment-là que la prise de conscience des parents a rencontré la soif de

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Cf . Maguy CHAILLEY, Jeunes téléspectateurs en maternelle, Paris, Hachette Education CNDP, 1997. 2 Cf. Sophie Carquain, « Enfants sous le feu de l’actu », Madame Figaro, avril 2003

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compréhension des enfants, dont l’exacerbation s’est confirmée depuis ce désormais fameux mardi noir. Tous les événements tragiques qui ponctuent l’actualité justifient-ils donc l’élaboration d’une information spécialement destinée aux enfants ? Au début des années 90, Mireille Chalvon, ancienne directrice des programmes Jeunesse sur France 3, tirait déjà la conclusion que « [les enfants] auraient profit à avoir des émissions qui proposeraient, en référence aux programmes des adultes, des sujets d’actualité traités dans un langage clair ou des informations pratiques sur les thèmes qui les concernent : loisirs, vacances, vie scolaire, etc. »3 Pascal Petit, rédacteur en chef de l’émission A toi l’Actu@, un petit journal télévisé diffusé quotidiennement à 17h30 entre 2000 et 2002, sur France 3, confirme : « les enfants sont très demandeurs d’un tel journal. Ils ont envie qu’on leur explique non seulement le monde des adultes mais aussi le monde en général, surtout les enfants de 6 à 12 ans. » 4 Car « l’information des adultes ne tient aucun compte de la psychologie enfantine, constate le psychanalyste Claude Allard. Devant l’écran, ils captent au hasard une bribe d’info, sans que personne ne leur explique le pourquoi du comment »5. L’actualité telle qu’elle est traitée dans les médias généralistes n’est donc pas adaptée aux besoins des enfants. Ils doivent puiser dans des sources complémentaires d’information, les journaux et les émissions qui s’adressent à eux. Notre problématique consiste donc à nous demander si le journaliste pour enfants exerce pour autant le même métier que le journaliste «classique» : est-il confronté aux mêmes dérives ? Ou incarne-t-il au contraire un modèle de précision et de clarté, attentif aux attentes de son lectorat ou de son public ?

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Cf. Mireille CHALVON, Pierre CORSET, Michel SOUCHON, L’Enfant devant la télévision des années 90, Paris : Casterman, 199, p.22. 4 Source: Site Internet des TICE (Technologies de l’information et de la Communication pour l’Education), ministère de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche , http://www.educnet.education.fr.dossier/usa/pedago.htm 5 Cf. Sophie Carquain, op.cit.

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Depuis une quinzaine d’années, de nombreux supports tentent de répondre à ce besoin supposé d’expliquer l’actualité, de façon à la rendre accessible aux plus jeunes : des quotidiens et des hebdomadaires d’informations destinés à des tranches d’âge bien précises ont vu le jour, tandis que des magazines généralistes tels qu’Okapi ont consacré une part de plus en plus large au traitement de l’actualité. La presse jeunesse, au sens large, compte plus de 30 éditeurs, mais en réalité, quatre grands groupes concentrent 60% des titres existants : Bayard Presse Jeune, avec 16 journaux, Disney Hachette Presse, le premier par le chiffre d'affaires, Milan, avec huit titres, et Fleurus Presse. L'ensemble représente 50 millions d'exemplaires diffusés chaque année, soit 5 millions d'exemplaires par mois pour un potentiel de 13 millions de lecteurs. Au sein de ces grands groupes, les parutions exclusivement consacrées à l’actualité pour enfants demeurent encore marginales. Nous avons choisi de nous concentrer sur les journaux et magazines destinés aux plus jeunes (6-14 ans), les adolescents constituant un public déjà plus âgé, capable de s’informer par les voies "traditionnelles" (quotidiens nationaux, radio, journaux télévisés). Le Journal des Enfants6, qui s’adresse aux 8-13 ans, est le pionnier en la matière. Lancé en 1984, cet hebdomadaire d’une douzaine de pages s’identifie à un « vrai journal d’information comme celui des "grands" », sans sujet tabou. Sur le site Internet du titre, Béatrice d’Irube, la rédactrice en chef, explique aux enfants l’esprit du journal : « Dans une société où vous êtes baignés dans l’information qui défile à toute vitesse, il y a de quoi être perdu. Or, mal comprendre une information c’est prendre le risque d’avoir une fausse idée de ce qui se passe. C’est pour cela que le JDE vous explique clairement l’actualité. »7

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Voir exemple de une, annexe 1, p.II Source : Site Internet du Journal des Enfants, http://www.jde.fr/jde/premier/rubrique/quoi/

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De la même façon, la rédaction des Clés de l’actualité Junior8 (Milan presse), diffusé en kiosque à 50 000 exemplaires, a choisi le rythme hebdomadaire pour faire comprendre aux enfants les événements importants et le monde dans lequel ils vivent, en huit pages. Depuis 1995, les éditions PlayBac, créateur des Incollables, publient quatre journaux quotidiens, qui accompagnent les enfants de 5 à 14 ans. Huit pages d’infos tout en couleurs, un supplément BD tous les quinze jours, Mon Quotidien9, le titrephare du groupe, s’adresse aux 10-14 ans. En dix minutes chaque jour, « ce qui est plus réaliste qu’une heure par semaine », il propose à ses lecteurs « des informations courtes, précises, variées et très largement illustrées »10. Les quatre quotidiens du groupe, Quoti (dès 5 ans), Le Petit Quotidien (à partir de 7 ans), Mon Quotidien (pour les 10-14 ans) et L’Actu (dès 14 ans), sont lus par 1.8 millions d’enfants 11, dont 193 000 abonnés12. Car ces quatre titres d’actualité sont vendus exclusivement sur abonnement, pour en réduire le prix ; chez un marchand de journaux, ils coûteraient près d’un euro. « Et puis recevoir Mon Quotidien chez soi chaque matin, c’est quand même plus pratique. »13 D’autre part, comme les adultes, les enfants ont leur newsmagazine, L’Hebdole Monde des ados14 (Fleurus presse). Tiré à 60 000 exemplaires, il s’adresse aux 1115 ans. En une trentaine de pages, il invite à la réflexion sur les grands sujets d’actualité par le biais d’articles de fond et de forums grâce auxquels les lecteurs peuvent échanger leurs opinions. Côté détente, les critiques cinéma, les programmes télé et les bandes dessinées complètent chaque numéro. En outre, depuis plusieurs années, les chaînes de télévision tentent de créer des journaux pour enfants. Patrice Drevet a marqué les années 80 avec son Mini-journal, décliné en Mini-mag15, sur TF1, de 1984 à 1987, puis avec Drevet vend la mèche sur 8

Voir exemple de une, annexe 1, page III Voir exemple de une, annexe 1, page IV 10 Source : Site Internet de Mon Quotidien, http://www.playbac-presse.com/journaux/mq/index.html 11 Source : Secodip 2000 12 Source : Playbac, janvier 2002 13 Source : Site Internet de Mon Quotidien, op.cit. 14 Voir exemple de une, annexe 1, page V 15 Voir capture 1, annexe 2, p. XI 9

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FR3 en 1989. Au programme : « Aventures et grands reportages »16 et de l’info pour les ados, mais aussi pour « les jeunes de 7 à 77 ans ». Le tout dans une ambiance très "années 80" : générique rock, présentation en verlan, coupes en brosse et cheveux peroxydés17. Cependant, à l’inverse des formats actuels, de plus en plus courts et rythmés, les reportages du Mini-mag s’apparentaient à de vrais documents réalisés par des journalistes de la rédaction de TF1. Dans les années 90, c’est une chaîne du câble, Canal J, qui a repris le flambeau avec Regarde le monde, en 1992, puis le JTJ, en 1997. Diffusé chaque jour en direct, et présenté en alternance par deux jeunes journalistes, le JTJ ne prétendait pas à l’exhaustivité, sélectionnant chaque jour trois ou quatre informations principales, avec une volonté pédagogique clairement affichée. Récupéré par France 3 à la rentrée 2000, avec la même équipe rédactionnelle, le concept du JTJ a donné naissance à A toi l’actu@18, toujours en direct. « Ce journal est conçu comme une édition supplémentaire de ceux de la chaîne », expliquait à sa création Pascal Petit, son rédacteur en chef. « Nous nous appuyons sur tous les reportages offerts par France 3, nationale et régionale. Le sujet du jour s’inspire de l’actualité la plus importante, mais traitée pour les enfants »19. L’émission, sérieuse mais teintée de légèreté, accordait en outre une grande place à l’interactivité. La ligne éditoriale ? « Etre un peu moins premiers de la classe que nous l’étions sur Canal J, parce que l’on veut amener à l’info un public plus large », résumait alors Pascal Petit20. Depuis la rentrée 2002, c’est Mon Kanar21 qui occupe ce créneau horaire. Dans un cadre plus sobre que celui d’A toi l’Actu@, François Pécheux est l’homme-tronc d’une émission rythmée et inventive dans la forme : illustration musicale permanente des reportages, images tournées en numérique, effets spéciaux (écrans plasma,

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Voir capture 2, annexe 2, p. XI Voir captures 3 et 4, annexe 2, p.XI 18 Voir capture 5 et 6, annexe 2, p.XII 19 Source : Emmanuelle Bouchez, « Le JT du goûter », Télérama, n°2643, 6 septembre 2000 20 Source : Emmanuelle Bouchez, op.cit. 21 Voir captures 7 et 8, annexe 2, p. XII 17

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caméra fish-eye, etc…)22. En revanche, Mon Kanar est enregistré deux fois par semaine, et diffusé par conséquent en différé. Difficile parfois, dans ces conditions, de coller à l’actualité chaude. Les tentatives d’émissions d’actualité pour enfants ne sont pas toujours couronnées de succès : M6 en 1996 avec Dis-moi-tout, puis France 3 en 1998 avec 26 minutes d’arrêt, se sont essayés au magazine d’information hebdomadaire, sans toutefois rencontrer leur public. Nous avons choisi d’écarter de ce corpus les flashs d’informations des radios Superloustic et Radiojunior. Diffusés essentiellement sur Internet et en ondes moyennes, ils ne touchent en effet qu’un public très confidentiel. A partir des entretiens avec ceux qui conçoivent ces supports d’actualité pour enfants et ceux qui les lisent, mais également avec des pédagogues et des pédiatres, que nous avons réalisé dans le cadre de notre documentaire télévisé, et de l’analyse des spécificités et du contenu de chacun de ces supports, nous nous intéresserons dans ce mémoire méthodologique au paradoxe d’une presse destinée aux enfants mais fabriquée par des adultes : « Notre problème, c’est de savoir ce qui se passe dans la tête d’un gamin de douze ans »23. Nous tenterons donc dans un premier temps de définir le rôle du journaliste pour enfants. Puis nous analyserons le contenu des différents supports, subtil équilibre entre l’actualité des cours de récré et l’actualité avec un grand A. Nous nous intéresserons enfin à la mise en forme de l’information destinée aux enfants, en particulier au dilemme entre la nécessité d’être attractif et ludique pour susciter durablement l’attention d’un public souvent volatil, et la nécessité de rester crédible.

22 23

Voir capture 9 et 10, annexe 2, p. XIII Entretien avec François Pécheux, 14 avril 2003

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PREMIERE PARTIE

LE JOURNALISTE POUR ENFANTS : UN JOURNALISTE COMME LES AUTRES ? Mélanie Marullaz

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Le cerveau humain est en appétit de découverte dès sa naissance. A partir de deux ans, il consomme autant d’énergie que celui d’un adulte ; de 4 à 9 ans, il en consomme le double. L’enfant est une boule de curiosité, affamé de savoir. Contrairement aux idées reçues, son horizon ne se limite donc pas aux murs de sa chambre ou aux grilles de la cour de récréation. Il vit peut-être dans une bulle, mais la paroi en est poreuse et l’enfant absorbe tout ce qui l’entoure : des mots entendus, des idées lues, mais surtout des images vues à la télévision. Un écran omniprésent, pénétrant de plus en plus intimement l’univers de l’enfant, puisque du salon, il est passé à la salle à manger puis directement dans sa chambre. « L’image rentre dans sa vie, dans son intérieur. Quand l’événement catastrophique rentre dans sa maison, c’est SA catastrophe, explique Linda Morisseau, pédopsychiatre à l’Institut de Puériculture de Paris. Il serait mieux armé si on commençait par la lui expliquer. Mais l’information souvent n’est pas commentée, et ne laisse aucune place à la réflexion et au recul. L’enfant est plongé dans l’image, dans l’angoisse. »24 En pénétrant au cœur du foyer, la télévision a donc modifié les étapes de l’initiation au monde, de la socialisation. L’effet a été non seulement de modeler précocement les attitudes et la sensibilisation, mais également de sortir l’enfant du monde protégé de l’enfance25. Ce ne sont pourtant ni les Pokemons, ni les épisodes de Titeuf qui préparent à l’éclosion de la chrysalide, quoi que ces programmes puissent servir de transition, mais sur les 2h18 d’écoute quotidienne pour les 4-10 ans, 2h24 pour les 11-14 ans 26, les enfants passent la plus grande partie du temps devant des émissions qui ne leur sont pas spécifiquement destinées : séries américaines, jeux télévisés et le sacro-saint journal de 20h, regardé en famille. PPDA a d’ailleurs ses jeunes adeptes. « Avec le journal de 20h, on voit plus d’images, alors même s’ils disent des mots compliqués, avec les images, des fois on comprend », défend Thibault, 10 ans.

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Entretien du 18 février 2003 Cf. Liliane LURÇAT, Le temps prisonnier. Des enfances volées par la télévision, Paris, Desclée de Brouwer, 1995. 26 Source : Médiamétrie, L’année TV 2001 25

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Mais pour Nadia, (10 ans), « il ne prend pas le temps d’expliquer, parce que c’est pour les grands le 20h »27. Finalement, ce sont surtout les pré-adolescents qui réclament des explications, « après, ils ont d’autres préoccupations, les copains, les copines, les boums » analyse Pascal Petit, rédacteur en chef d’A toi l’actu@. « Les 6-12 nous écrivent pour nous dire que bien souvent, ils dînent avec leurs parents devant le journal de 20 heures et avouent ne rien y comprendre. » 28 En effet, les parents n’ont pas toujours les connaissances suffisantes pour donner le complément d’informations qui permettrait aux plus jeunes de comprendre et les professeurs, de leur côté, n’ont pas forcément de temps à y consacrer. Pourtant, « les enfants ont besoin d’un médiateur qui joue le rôle de contrepoids. Contrairement aux adultes, [ils] sont, devant les images, dans un état de sidération totale. Ils les reçoivent de plein fouet, sans aucun esprit critique »29. Quand leurs questions restent sans réponse, ils vont donc parfois eux-mêmes à la pêche aux explications. Ce sont peut-être les adultes qui, dans un premier temps, les ont mis sur la voie, en leur offrant un abonnement à tel journal pour Noël ou en les amenant à la lecture grâce à tel autre. Résultat, ils connaissent les outils qui peuvent rassasier leur boulimie de connaissance tout en LEUR parlant.« Quand on a vu à la télé et qu’on ne comprend pas très bien, par exemple, la guerre en Irak, explique Alban, 10 ans, dans Mon Quotidien, on aura beaucoup plus d’infos et c’est simple à comprendre. »30 La pédiatre Edwige Antier, résume « devant les événements violents qui ont bouleversé la planète depuis deux ans, ils ont envie de comprendre, c’est même extraordinaire comme ils réfléchissent. Lorsqu’on les interroge, ils nous demandent comment faire pour qu’il y ait la paix dans le monde, ils sont très concernés. »31 Pour preuve, ce message laissé sur la boîte vocale du JT de François Pécheux : « Bonjour Mon Kanar, je voudrais savoir comment faire pour sauver les animaux en voie de disparition, merci ! ».32 27

Entretiens du 30 mai 2003 Source: Site Internet des TICE (Technologies de l’information et de la Communication pour l’Education), ministère de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la recherche , op.cit. 29 Idem. 30 Entretien du 12 juin 2003 31 Entretien du 12 juin 2003 32 Message réceptionné sur la boîte vocale de mon Kanar le 14 avril 2003 28

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C’est dans ce contexte que les médias d’informations pour les enfants trouvent tout naturellement leur place. Les journalistes de ces supports vont en quelque sorte combler les vides laissés par leurs confrères de l’actualité "adulte". S’agit-il pour autant de deux métiers différents ? Le journaliste pour enfants est-il un journaliste spécialisé, comme il y a des chroniqueurs judiciaires ou des commentateurs sportifs ? Est-il plutôt un "super-généraliste" ? En presse écrite ou à la télévision, il va répondre aux questions des enfants, commenter et faire le tri dans le flot de données qui les submerge, développer leur sens critique et les aider à se forger une opinion. A des lecteurs ou spectateurs sous-informés puisque surinformés, il donne donc les clés pour appréhender le monde qui les entoure. Il est à la fois un traducteur de l’actualité, de son contenu ; un pédagogue, qui sait donner à l’information une forme digeste pour les enfants ; et un formateur de petits citoyens.

1.1.

Un traducteur

Comme leur nom l’implique, la fonction première des médias est d’assurer l’intermédiaire entre un message et un groupe. Il n’est donc pas d’organes de presse qui portent mieux le nom de "médias" que ceux qui s’adressent aux enfants. Ils établissent en effet un vrai pont vers un monde peu accessible et raccourcissent le chemin de la compréhension. Comme l’on s’accroupit à côté d’un enfant pour lui montrer quelque chose au loin, le journaliste pour enfants place son regard entre 1,30m et 1,50m pour mettre l’information à hauteur de môme.

I.1.1 D’une langue à l’autre Parler à des enfants revient à transposer une "langue adulte", soutenue, fournie, très référencée à une "langue enfant" sans fioritures ni sens caché ou tacite. Tout doit

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être formulé explicitement ; il s’agit en fait d’exprimer les mêmes idées mais en des termes différents. Pour ce faire, la rédaction de Mon Quotidien a érigé en règle d’or une dizaine de principes fondamentaux dont celui-ci : « Se mettre chaque jour dans la peau du lecteur de 6, 9, 12 ou 15 ans, pas abreuvé d’infos. » « Nous allons partir du principe que lorsque l’on commence à traiter un sujet, nous ne savons rien nous-mêmes, ajoute Thomas Sotto, co-présentateur d’A toi l’Actu@, première saison. C’est seulement comme ça que l’on peut bien expliquer quelque chose aux enfants. »33 Il s’agit d’ailleurs d’un postulat qui peut s’appliquer à toutes les formes de journalisme. Cette démarche n’apparaît pourtant plus comme évidente lorsque l’on s’adresse à des adultes. Mais "écrire pour des enfants" - car quel que soit le média, l’écriture en est la base – ne peut pas être "écrire pour soi" et oblige à un "recadrage" permanent. « Il ne s’agit pas de faire de l’esbroufe, d’arriver, de faire un papier sur un sujet lambda en utilisant des mots compliqués et en étant fier du style qu’on a employé »34, résume Peggy Olmi, l’autre présentatrice d’A toi l’Actu@. « C’est un bon exercice intellectuel, confirme Antoine d’Abbundo, rédacteur chez Okapi, il faut savoir dire beaucoup en peu de mots. On arrive à une écriture presque nettoyée de tout tic du journalisme classique. Au début, c’est difficile, mais en fait, on continue à faire notre métier de journaliste de manière plus forte, on prend les gens à la base. 35» D’autant plus que les enfants sont un public exigeant et volatile, qui ne permet pas qu’on perde de vue ses attentes. Pour décoder et rendre accessible, le travail du journaliste pour enfants s’apparente donc à celui d’un traducteur. Il sort les mots compliqués de leur contexte, les explique et les remplace éventuellement par un lexique plus compréhensible. Il en va de même avec les notions ou les idées d’adultes, auxquels il faut substituer une approche plus terre-à-terre de l’information. « Toute la difficulté consiste à traduire le conceptuel et l’abstrait en quelque chose de plus concret, confirme Sophie Crépon, journaliste à L’Hebdo-Le Monde des Ados. C’est de la vulgarisation, il faut s’adapter, penser à faire comprendre vraiment les tenants et les aboutissants. »36 33

Source: www.actustar.com/interview/olmisotto.htm Entretien du 23 avril 2003 35 Entretien du 28 janvier 2002 36 Entretien du 28 mars 2003 34

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Une démarche qui doit s’accommoder de l’urgence symptomatique du travail de journaliste, car comme le précise Mireille Chalvon, ancienne directrice des programmes Jeunesses de France 3, « permettre une bonne compréhension du message diffusé exige, dans sa fabrication, de prendre le temps d’expliquer plutôt que d’être allusif, avec la hantise de lasser le spectateur »37 ou le lecteur.

I.1.2 Un filtre émotionnel Le travail d’un traducteur doit être le plus exhaustif possible, il ne doit rien oublier, tout transposer dans les moindres détails et surtout ne pas faire d’impasse. Le journaliste pour enfants, lui, pourrait choisir de ne pas traiter tel ou tel sujet, estimant qu’il est trop perturbant, trop choquant. « Ce qui me fait le plus de mal, raconte Esther, 8 ans, c’est quand les gens sont morts et ils sont dans le papier alu, quand on les met dans l’ambulance, je trouve ça horrible. »38 Faut-il pour autant laisser l’enfant dans le doute parce qu’il comprend mal les informations, voire pas du tout ? Pour Béatrice d’Irube, créatrice, en 1984, du Journal des Enfants, le premier vrai hebdomadaire d’informations pour les 8-13 ans, « notre réponse est non. Nous pensons qu’il vaut mieux parler, expliquer et dédramatiser. A nos yeux, l’ignorance est source de traumatisme. En expliquant les choses simplement, nous permettons à l’enfant de comprendre et de ne plus avoir peur. »39 En effet, « le fait de ne pas comprendre génère l’angoisse » assure Linda Morisseau. Mais faut-il y aller avec prudence ou tout dire ? Pour Suzanne Müller, rédactrice en chef de Logo, le petit journal de la ZDF, en Allemagne : « chaque cas doit être pesé. Une chose est certaine : impossible de faire comme si rien de spécial

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Cf. Mireille CHALVON, Pierre CORSET, Michel SOUCHON, op.cit., p.92. Entretien du 6 juin 2003 39 Béatrice d’IRUBE, "L’information c’est aussi pour les enfants" - in Médiaspouvoirs n°25, Jeunes et Médias (1992), p.170 38

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n’était arrivé. Si le journal des jeunes restait muets sur ces événements, ne montrait que des images sereines, il serait bientôt fichu aux yeux de la plupart d’entre eux. »40 Evénement anxiogène par excellence, l’effondrement des tours du World Trade Center a posé de nombreuses questions à l’équipe de l’émission A toi l’Actu@. « Il ne s’agissait pas d’édulcorer. On ne leur a pas dit que ce n’était pas grave », se souvient Peggy Olmi. « Mais on leur a donné les clés nécessaires à la compréhension de l’événement, les explications qu’ils n’avaient pas eues ». Plutôt que de trier l’information, le journaliste pour enfants tente de la passer au filtre des émotions ; un filtre qui retient les images et les mots les plus éprouvants tout en gardant l’essentiel et sans altérer la réalité des faits. Celui ou celle qui guide en douceur vers la compréhension, qui apaise donc les inquiétudes, finit logiquement par occuper une place privilégiée dans l’univers d’un enfant. « On s’est très vite aperçus qu’on avait un rôle de grand frère, de grande sœur auprès des enfants. Quand ils venaient nous voir sur le plateau, le rapport était vraiment affectif ! », confirme Peggy Olmi. Ce qui fait donc la spécificité de l’information pour les enfants, c’est la motivation émotionnelle de son décryptage : transformer l’inconnu en « connu », expliquer pour enrayer l'inquiétude.

I.1.3 Un interprète Traduire ne se limite pas non plus à la simple translation d’un vocabulaire à un autre et à la modification des tournures de phrases. Traduire c’est surtout donner du sens et les mots seuls n’en n’ont pas forcément pour les enfants. Il s’agit donc plutôt de rendre intelligible, de commenter et d’expliquer ; en d’autres termes, le journaliste pour enfants est un interprète de l’information. Il doit surtout préciser le plus simplement possible tout ce qui enrobe un événement, son contexte historique, son environnement géographique, voire politique, dans le but de permettre aux enfants d’acquérir les données que nous 40

Suzanne MÜLLER, « Logo, le journal télévisé de la ZDF pour les enfants », in Dossier de l’Audiovisuel “ Les services jeunesse à la télévision : quel avenir en Europe ? ” n ° 46, 1992

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avons, nous adultes, déjà intériorisées. « Nous devons remettre les choses en perspective, confirme Olivier Gasselin, rédacteur en chef adjoint de Mon Quotidien. « Par exemple, Tchernobyl, ils n’étaient pas nés, il faut donc leur expliquer. » 41 Maguy Chailley, chercheur en sciences de l’éducation, explique que « la plupart des informations présentées à la télévision présupposent chez le téléspectateur l’existence d’un système de références. C’est l’existence, plus ou moins développée de ce système de références, qui rend possible la compréhension et la mémorisation de l’information. (…) Les enfants sont le plus souvent démunis devant certaines émissions informatives et documentaires car ils n’arrivent pas à les relier à d’autres savoirs, scolaires ou non. Certes, personne, pas même un adulte, ne peut absorber toutes les informations dispensées par les documentaires. Mais il s’agit de construire quelques points de repère. Si des enfants ne retiennent des informations télévisées que des faits divers ou les catastrophes, c’est au moins en partie parce que la plupart des autres nouvelles présentées s’insèrent dans un contexte de référence qu’ils ne reconnaissent pas ou maîtrisent très mal. »42 Les journalistes de presse enfantine doivent donc aider leurs lecteurs ou spectateurs à élaborer leur propre système de pensée et à acquérir les références qui feront d’eux peu à peu un public averti. Mais pour être efficaces, ils doivent trouver le moyen de leur transmettre et de leur faire mémoriser un maximum d’informations. Leur démarche, dans ce qu’elle a de didactique, s’apparente donc plus à celle d’un éducateur, d’un enseignant.

1.2.

Un Pédagogue

« Le journaliste est un prof d’histoire du présent, définit Gérard Dhôtel, rédacteur en chef de L’Hebdo-Le Monde des Ados. Il fournit une information la plus 41 42

Entretien du 16 avril 2003 Maguy CHAILLEY, op.cit. p.70

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objective, la plus complète, la plus pédagogique possible. En cela, c’est assez proche de la démarche d’un enseignant »43. Même conviction pour Suzanne Müller, son homologue allemande : « Notre tâche, selon nous, relève de la pédagogie : il s’agit de trouver le moyen de procurer aux enfants un sentiment réaliste de sécurité, quelle que soit la multitude des problèmes en présence ! ».44

I.2.1 La transmission des connaissances Mû par une volonté d’éduquer, de transmettre, le journaliste pour enfants est cependant beaucoup plus soucieux de son public que la plupart de ses confrères. Il s’inquiète de la réception de l’information, de son impact et de son utilisation. Mais une fois la télévision éteinte et le petit journal refermé, quelle trace restera-t-il de cette information dans la mémoire des enfants ? Et quel est, à la base, leur degré de connaissances ? Il est difficile de le mesurer puisque cela dépend de leur âge, de leur curiosité, de leur contexte familial, mais « à 8 ans, environ 20% des 7-10 ans voient le journal de 20h à la télévision parce que leurs parents le regardent en dînant. Généralement, cela ne les intéresse pas »45. Malgré tout, ils reçoivent une telle quantité d’informations, par les conversations avec leurs parents, leurs copains, par le déchiffrage des journaux qui traînent à la maison, qu’ils ne peuvent être totalement hermétiques. Les journalistes, comme les professeurs, sont donc là pour redonner un cadre à toutes ces données. Esther, 8 ans : « [avec les petits journaux] j’apprends le corps humain, j’apprends les animaux, on apprend plein de choses. » Il s’agit donc, dans la forme et dans le ton, d’être le plus pédagogue possible tout en se démarquant du manuel de géographie ou du cours d’éducation civique. « Dans la partie informative du journal, nous sommes assez didactiques, commente Isabelle Doumenc, rédactrice en Chef de Mon Kanar. Il s’agit de s’arrêter juste sur 43

Entretien du 13 février 2002 Suzanne MÜLLER, op.cit 45 Cf. Philippe LEBELLEC, "Le journaliste et l’enfant" – in Médiaspouvoirs, n°25, Jeunes et médias (1992), p. 176 44

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un éclairage, calme, tranquille pour permettre aux enfant de comprendre l’information qu’ils vont entendre chez eux ou dans la cour de récré ».46L’équipe de Mon Kanar a d’ailleurs récemment étoffé ses rubriques d’une séquence "mot-clé du jour". Exemple avec l’explication, infographie à l’appui, d’un mot entendu quasiquotidiennement au moment de la guerre en Irak : « Colonialiste – ça vient du mot colonie, mais ça n’a rien à voir avec les colonies de vacances. Au départ, une colonie est un pays qui est occupé par des étrangers. Ces étrangers vont obliger les habitants du pays à accepter leur mode de vie, leur gouvernement, leur culture et même à parler leur langue. Ces étrangers qui occupent le pays s’appellent des colonialistes. »47 De même, au lendemain des attentats du 11 Septembre, A toi l’Actu@ consacrait un sujet aux terroristes pour permettre aux enfants d’y voir plus clair et d’intégrer des notions un peu compliquées : « Certains d’entre vous ont cru qu’il y avait la guerre aux Etats-Unis. Non, ce n’est pas la guerre, car dans une guerre, il y a deux pays qui s’affrontent, deux armées qui se tirent dessus. Ici, il n’y a pas d’armée. Un groupe d’hommes, on ne sait pas qui, a décidé de frapper très fort les Etats-Unis. Ces hommes sont ce qu’on appelle des terroristes. Le plus souvent, les terroristes posent des bombes. Mais là, ce qui est nouveau et incroyable, c’est qu’ils ont utilisé des avions. Les terroristes ont toujours un but, par exemple, punir un pays ou se venger et comme ils ne peuvent pas tout détruire, comme avec une armée, ils cherchent avant tout à choquer les habitants. »48 « Le journalisme pour enfants est toujours plus didactique. Notre rôle premier, c’est de revenir aux bases mêmes du journalisme : se poser les questions essentielles, expliquer les mots difficiles, situer les événements dans leur contexte, tout en étant ludique dans la forme »49 récapitule Peggy Olmi. Dans la presse écrite, c’est souvent par le biais d’un petit glossaire que l’élargissement des connaissances se fait. Pour Jules, 9 ans, « C’est comme un dictionnaire, sauf qu’on a pas à chercher. Hostile, par exemple, je ne vois pas bien ce que ça veut dire ».50 Et le journal de lui fournir la définition. 46

Entretien du 14 mars 2003 Mon Kanar, émission du 15 avril 2003 48 A toi l’Actu@, émission du 13 septembre 2001 49 Entretien du 23 avril 2003. 50 Entretien du 30 mai 2003. 47

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I.2.2 L’écoute et le dialogue Pour être efficace, un enseignant se doit de connaître précisément les besoins de ses élèves. Il a un avantage : il passe ses journées avec eux. De la même manière, les médias pour enfants ne peuvent s’éloigner, même physiquement, de leur cible. Résultat, les enfants sont omniprésents dans le processus d’élaboration de l’information. Par le courrier, par téléphone ou plus directement en assistant aux conférences de rédaction, ils réagissent, s’interrogent et mettent les journalistes sur la bonne voie. Toutes les semaines, la rédaction des quotidiens de Playbac accueille trois petits "rédacteurs d’un jour", qui participent au choix des sujets, donnent leur avis et servent de références pour les différents tests de jeux vidéos, musique ou autres. De la même manière, les enfants apportaient leur concours à toutes les étapes de la fabrication de l’émission A toi l’Actu@ : « Le contact avec les enfants était permanent. On recevait des tonnes de dessins, de lettres, d’e-mails. Je travaillais aussi avec un panel d’enfants que j’appelais trois fois par semaine pour les emmener voir un film, leur demander de critiquer un livre ou réagir à l’actualité »51, explique Peggy Olmi. Il n’est donc pas étonnant que les petits journaux finissent par traîner sur les bancs d’école. Rares sont les bibliothèques scolaires qui ne sont pas abonnées au JDE ou à Mon Quotidien. Certains enseignants n’hésitent pas non plus à se servir des JT du goûter pour alimenter le dialogue avec leurs élèves. « Concernant les écoles, confirme Pascal Petit, le rédacteur en chef d’A toi l’Actu@, si les enseignants ont envie de nous inviter à tourner dans leur classes, cela nous intéresse. Nous savons en retour que certains enseignants utilisent "A toi l’actu@" en classe : ils l’enregistrent et le diffusent le matin pour en débattre avec leurs élèves. »52

51

Entretien du 23 avril 2003. Source: Site Internet des TICE (Technologies de l’information et de la Communication pour l’Education), ministère de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la recherche , op.cit. 52

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Les petits journaux écrits, Mon Quotidien ou le Journal des Enfants sont également considérés comme de véritables outils pédagogiques : « un article sera utilisé comme le point de départ d’un cours de géographie ou d’histoire par exemple, explique Béatrice d’Irube. Mieux encore, il est souvent le moyen d’ouvrir le débat sur les sujets qui intéressent les enfants et de faire entrer "le monde" à l’école. »53 Le relais est donc passé. Car si les journalistes pour enfants ne s’interdisent pas d’être pédagogues, ils n’empiètent pas non plus sur les plates-bandes de ceux dont c’est le métier. De toutes façons, une émission trop scolaire lasserait les enfants, comme ce fut le cas avec Dis-moi Tout, expérience fugitive de JT pour les jeunes sur M6. De la même manière, le décryptage de l’information ne permettrait pas aux professeurs de donner les bases en mathématiques ou en grammaire. Il s’agit donc de deux démarches complémentaires ayant pour but conjoint de former les enfants et d’en faire de petits citoyens.

1.3.

Un formateur de citoyens.

« La société démocratique ne se conçoit pas sans citoyens bien informé. Des études récentes dans le domaine de la socialisation médiatique révèlent que le comportement d’un adulte vis-à-vis des médias suit pour l’essentiel le modèle déjà observable dès l’âge de 5 à 10 ans. Par exemple, les enfants qui commencent très tôt à feuilleter les journaux continuent à les lire à l’âge adulte. Nous en déduisons que les enfants qui regardent des images d’actualités ne dédaigneront pas le grand journal plus tard. »54 I.3.1 Réflexion et émancipation Aider au renforcement du sens critique et civique de son lectorat, le pousser à engager le débat, ce sont des intentions que l’on peut prêter aux journalistes en général. Mais pour un journaliste de presse enfantine, participer au développement 53 54

Béatrice d’Irube, op.cit. Suzanne MÜLLER, op.cit.

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du jugement et de la réflexion personnelle de son public représente plus que de bonnes intentions, il s’agit là de son rôle voire même de son devoir si l’on en croit Béatrice d’Irube : « Il y a une contradiction dans notre société. D’un côté, nous voulons que nos enfants soient autonomes très tôt. De l’autre côté, nous leur disons toujours : ‘Tu es trop petit pour comprendre, je t’expliquerai cela quand tu seras plus grand.(…)En leur expliquant comment est notre monde et comment nous sommes, nous leur donnons un peu de notre pouvoir. Nous pensons qu’il est temps de passer du rapport d’autorité à celui de la confiance. Il n’est pas toujours facile pour un adulte d’être interpellé par le jugement d’un enfant. Mais il est du devoir de tout adulte responsable de l’aider à grandir et à former son esprit critique. »55 Un devoir dont les journalistes pour enfants sont conscients. Ils veulent stimuler l’éveil de leur public, le rendre réactif. En s’informant, « l’enfant devient acteur : il va apprendre des informations à ses parents. L’idée, c ‘est d’aider à engager la conversation entre les enfants et les parents à partir de sujets d’actu qu’il lit dans" Mon Quotidien" », explique Olivier Gasselin56. De la même façon, la télévision en général et les émissions d’informations pour enfants en particulier, sont un réel facteur d’émancipation. « La télévision aborde en effet d’autres sujets de conversation que les dialogues parentaux. En partageant cette expérience avec ses camarades de jeux, l’enfant s’échappe de l’emprise familiale, ce qui lui permet de s’émanciper. » 57 Une émancipation qui peut d’ailleurs ne pas être bien perçue. « Nous craignons en même temps d’irriter ceux des parents qui se verront poser des questions auxquelles ils seraient bien incapables de répondre, nuance Suzanne Müller. Sapons-nous leur autorité ?Faut-il éviter que les jeunes ne s’aperçoivent que beaucoup d’adultes se représentent mal le sens de certains concepts qui reviennent pourtant fréquemment dans l’actualité ? les enfants feront-ils passer un examen à leur propres parents ? si tel est le cas, nous pensons que cela ne peut être qu’un bien : les enfants prenant conscience de leur valeur personnelle, en tirent un effet positif. »58 55

Béatrice d’IRUBE, op.cit Entretien du 16 avril 2003 57 Claude ALLARD, L’Enfant au siècle des Images, Paris, Albin Michel, 2000. p.215 58 Suzanne MÜLLER, op.cit. 56

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Quoi qu’il en soit, ces nouvelles références vont permettre le développement de l’esprit critique des enfants, et si ces connaissances ne leur sont d’aucune utilité à la maison, elles pourront certainement stimuler leur participation en classe.

I.3.2 Une responsabilité accrue Les enfants sont en effet extrêmement réceptifs mais encore naïfs et malléables ; il n’est donc pas question de les soumettre à une information biaisée. Car d’avantage encore que les adultes, ils "gobent" tout ce qu’ils voient, retiennent surtout les détails marquants et les histoires extraordinaires, foncent tête baissée pour amplifier la moindre rumeur. Les médias qui leur sont destinés doivent donc être d’autant plus précis et vigilants. « Par rapport à un JT classique, nous sommes beaucoup plus factuels, explique Isabelle Doumenc. Nous ne traitons qu’un seul sujet, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Nous sommes donc super prudents sur le nombre de victimes et sur les chiffres. »59 Car la confusion naît vite dans les jeunes esprits qui ne sont pas encore habitués à raisonner par ordre de grandeur. Pour preuve, ce dialogue entre le rédacteur en chef de Mon Quotidien et Amina, 10 ans, petite rédactrice d’un jour faisant part de ce qu’elle avait retenu de l’actualité de la veille : « Il y a eu 1435 personnes décédées en Chine [ndlr : de la pneumopathie atypique]. -

Oh, 1435 c’est beaucoup, c’est peut-être beaucoup en tout, il y a 130 personnes mortes de la maladie, donc c’étaient peut-être les personnes contaminées ;

-

Moi, j’ai entendu ça.

-

Ou alors ils ont dit une bêtise. »

Il n’est donc pas question d’induire en erreur un public qu’il serait pourtant facile d’égarer. Ce sens de la responsabilité est partagé au Journal des Enfants : « Expliquer le Liban, la Guerre du Golfe, les bouleversement dans les pays de l’Est, la chute du communisme, l’Europe de 1992, le problème palestinien, la drogue, le 59

Entretien du 11 avril 2003

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Sida, etc. est très dur, confirme Béatrice d’Irube. Ce sont des sujets graves. Nous n’avons pas le droit de dire n’importe quoi aux enfants. En tant que journalistes, nous réagissons comme si nous écrivions pour des adultes ».60 En effet, comme le moindre geste d’une jeune mère peut avoir un impact sur le comportement à venir de son nourrisson, chaque information laisse une trace dans l’esprit des enfants. « On a une responsabilité accrue car nous sommes leur seule source d’information », constate Olivier Gasselin. « Nous tombons donc sans cesse dans des situations embarrassantes, renchérit Suzanne Müller, mais cela ne nous autorise pas à nous esquiver. D’ailleurs, en cherchant à déterminer ce qui est juste ou faux, nous apprenons énormément : d’abord sur nous-mêmes (et sur la facilité qui consiste à ne pas voir quels sont les besoins réels des enfants), ensuite sur le sujet traité (qui n’est accessible aux enfants que s’il est traité avec simplicité, ce qui l’éclaire alors pour nous-mêmes d’un jour nouveau), et sur la société dans laquelle nous vivons (qui en général prend insuffisamment en considération l’enfance et ses problèmes). »61 D’où le biais choisi par la rédaction des quotidiens de Play Bac : « Sur des sujets polémiques, on s’efforce donc de leur donner les deux parties, pour forger leur esprit critique ».62

I.3.3 Ne pas juger Il s’agit là encore d’appliquer les recettes de bases du journalisme, avec tous les dilemmes que cela implique. « La grande difficulté est de rester objectif, de ne pas juger, nuance la créatrice du JDE. C’est à l’enfant de se poser des questions, de se faire une opinion et de former son esprit critique. Nous nous efforçons pour chaque information, de donner les deux ou trois points de vue qui existent sur tel ou tel sujet. Ce n’est pas à nous de dire ce qui est bien ou mal. 63 » Le seul moment où la rédactrice en chef du JDE se permet de prendre position, c’est dans l’éditorial,

60

Béatrice d’IRUBE, op.cit. Suzanne MÜLLER, op.cit. 62 Entretien du 16 avril 2003 63 id., p.172. 61

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comme dans les journaux adultes. Mais le plus souvent, elle donne des pistes pour réfléchir plutôt qu’elle n’impose un jugement. « Faucon : en politique, c’est celui qui préfère la force (la guerre ) pour régler un conflit (une crise) c’est le clan de George Bush. Colombe : pigeon symbole de la douceur et de la paix. C’est le clan de tous ceux qui sont contre la guerre. Fauve : animal prédateur qui "bouffe" les autres. C’est Saddam Hussein. Par rapport à la guerre en Irak, n’existe-t-il pas d’autres solutions que la guerre ? c’est ce que les colombes aimeraient croire. (…) On le voit, les faucons sont freinés par les colombes. Le fauve irakien essaye de montrer patte blanche en votant une loi contre les armes. Mais le faucon va-t-en guerre veut se débarrasser une fois pour toutes de lui. Aussi, même si les colombes finissent par rejoindre les faucons pour ne pas perdre trop de plumes, elles auront réussi à faire réfléchir tout le monde. »64

64

Extraits de l’édito de Béatrice d’Irube, Le Journal des Enfants, édition du 20 février 2003.

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CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE Le journalisme pour enfants répond donc à des règles bien précises, résumées ici par les « 10 règles d’Or de Mon Quotidien » : 1.

Le premier devoir d’un journaliste est d’être lu. Le second est d’être lu

jusqu’au bout. 2.

N’écrivez que des faits (fond), que des mots utiles (forme) = zéro opinion,

zéro style. 3.

Se mettre chaque jour dans la peau du lecteur de 6, 9, 12 ou 15 ans, pas

abreuvé d’infos. 4.

Toute occasion de parler au lecteur est instructive.

5.

Les enfants en savent 1000 fois moins que vous, journalistes. Ecrivez

simple. 6.

Les enfants lisent d’abord ce qui est écrit gros et court. Soignez la titraille.

7.

Les enfants regardent d’abord… les dessins puis les photos. Choisissez-

les bien. 8.

Tout ce qui est bien fait n’a pas à être refait (ex : l’orthographe). Respectez

le temps des autres. 9.

Nos quotidiens seront lus 48 heures après être écrits. Pensez-y et actualisez

au maximum. 10.

Ne faites pas le « petit Libé » que vous, journalistes, aimeriez lire.

Souvenez vous de vos 10 ans ! Interprète de l’information, pédagogue, guide citoyen, on pourrait presque dire que le journaliste pour enfants possède toutes les qualités d’un journaliste comme les autres sans pouvoir se permettre d’en présenter les défauts : arrogance, problèmes d’ego, manque de scrupules… C’est aussi et surtout la prise en compte de la charge émotionnelle de l’information et de son impact sur le public qui induit, dans les médias destinés aux

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enfants, une démarche vraiment différente. Mais c’est également la notion d’actualité elle-même, quand on s’adresse aux enfants, qu’il faut considérer tout autrement.

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DEUXIEME PARTIE L’ACTUALITE DES ENFANTS OU L’ACTUALITE POUR LES ENFANTS Dorothée Bécart

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Lorsqu’on interroge les enfants sur le sens du mot "actualité", on s’aperçoit que ce concept plutôt abstrait –et foncièrement "adulte"– est perçu très différemment par les uns et les autres. Pour Pierre, 8 ans, ce sont « les choses qu’on ne sait pas à l’avance ». Dans le même ordre d’idées, Marc, 10 ans, estime qu’il s’agit « d’un livre d’histoire qu’on apprend tous les jours ». Géraldine (11 ans) plus sensible, la perçoit comme « les malheurs et les bonheurs du moment ». Eric, 8 ans, voit les choses en grand. Pour lui, l’actualité, c’est « l’aventure de la terre ». A l’opposé, Aurélie, 10 ans, la définit à partir de son entourage immédiat et de ses propres préoccupations : « les vacances, les copines, l’école »65. L’actualité selon les enfants recouvre donc des réalités très différentes. Ils ont chacun leurs propres centres d’intérêt. Des grandes lignes de force se dégagent cependant : le rejet des discours ennuyeux et complexes des politiciens, ou des questions économiques rébarbatives et trop abstraites. « Les fusions des grandes entreprises, les délocalisations, ça ne les intéresse pas. En revanche, quand on touche à l’aspect humain – par exemple, le drame des licenciés de LU à Calais- on suscite de nouveau leur intérêt », remarque Sophie Crépon, journaliste à L’Hebdo-Le Monde des Ados66. Autre constante : l’intérêt pour les questions relatives à l’écologie, à la sauvegarde de la planète, à la protection des animaux. « Ce qui intéresse les enfants, c’est très souvent l’archéologie, l’environnement, l’espace », confirme Olivier Gasselin, rédacteur en chef adjoint des quotidiens du groupe Playbac67. Finalement, l’intérêt pour l’"actualité des grands" reste au second plan. « L’univers de l’enfant c’est un peu comme les poupées gigognes : il a sa mère, sa maison, son quartier, son école, sa ville, et puis après, loin, très loin, le grand monde », constate la pédiatre Edwige Antier68.

65

Cf. Philippe LEBELLEC, op.cit. Entretien du 27 mars 2003 67 Entretien du 16 avril 2003 68 Entretien du 12 juin 2003 66

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Nous tenterons donc dans un premier temps de définir l’actualité des enfants, constituée des préoccupations directement liées à leur vie quotidienne et de leurs propres centres d’intérêts. Puis nous expliquerons en quoi consiste l’Actualité pour enfants, c’est à dire l’actualité des grands mise à la portée des plus jeunes. Enfin, nous mesurerons la part respective consacrée à l’une et à l’autre dans les supports d’actualité dédiés aux enfants.

2.1.

L’actualité des enfants : l’actualité des cours de récré

Igor, huit ans, est un lecteur régulier de Mon Quotidien. La rubrique "la météo de demain", bien mise en évidence au-dessus de la une du petit journal 69, est ce qu’il lit en premier. « C’est bien parce qu’on peut savoir le temps qu’il va faire, parce que dans mon école, on n’a pas le droit au ballon quand il pleut. Si on sait qu’il va pleuvoir, on va pas l’amener, si on sait qu’il va faire beau, on va l’amener ! »70 explique-t-il très sérieusement. Autrement dit, le temps qu’il fera le lendemain reste une des informations les plus importantes pour les enfants, parce qu’elle touche leur quotidien. Mettre un pull un jour de grand soleil, c’est risquer de s’exposer aux quolibets des autres enfants, de se marginaliser. Amener son ballon un jour de pluie, et défier ainsi le règlement scolaire, c’est s’exposer à la punition. Ce qui touche au quotidien des enfants est donc ce qui va les intéresser en premier lieu. C’est "l’actualité des cours de récré". « Souvenez-vous de vos dix ans » prescrit l’un des dix commandements des journalistes des éditions Playbac. « Il ne faut jamais perdre de vue qu’on écrit pour des enfants , renchérit Olivier Gasselin. On s’intéresse à l’actualité qui intéresse les enfants. Une info qui fait trois lignes dans la presse nationale peut faire la une de "Mon Quotidien" ». Le journaliste de presse enfantine se doit donc de coller aux centres d’intérêt de ses lecteurs. Par conséquent, il ne doit rien ignorer des dernières tendances en matière de jouets, de la chanteuse à la mode chez les petites filles, ou, plus sérieusement, de la date des vacances ou des nouveautés en matière de programme scolaire. Il doit également tenir compte des préoccupations des enfants 69 70

Voir exemple de une, annexe 1, p. IV Entretien du 12 juin 2003

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en matière d’écologie, de protection des animaux, et étancher leur soif d’aventure et de découvertes.

2.1.1.

La vie scolaire

L’actualité des cours de recré commence logiquement par ce qui se passe à l’école. Un jeune téléspectateur de Mon Kanar s’interroge sur le fonctionnement de la cantine de son école. Un petit reportage lui propose de découvrir les coulisses d’un restaurant scolaire, de l’épluchage des légumes au service. Le journal Mon quotidien aborde le thème des horaires aménagés en rencontrant des élèves de l’école Rognoni à Paris71, qui ont la possibilité de pratiquer une activité liée au spectacle en parallèle avec l’enseignement classique. Le Journal des Enfants s’inquiète quant à lui du niveau des jeunes Français en lecture, dans un article intitulé « Lecture : peut mieux faire »72, qui brise au passage une grande idée reçue en révélant que « les garçons lisent aussi bien que les filles, alors qu’on croyait que les filles étaient les plus fortes ». Autre idée reçue : ce que les enfants préfèrent à l’école, ce sont les vacances. Il n’est dès lors pas étonnant que Mon Quotidien choisisse de faire sa une avec une question aussi sujette à débat que « Faut-il raccourcir la durée des vacances d’été ?»73, peu après l’annonce d’un projet gouvernemental visant à amputer les congés estivaux de deux semaines. Une classe de CM2 est invitée à réagir sur ce thème ô combien tabou dans les cours de récré. Surprise, une dizaine d’élèves se prononce en faveur de vacances d’été plus courtes, notamment pour « améliorer ses connaissances pendant l’année scolaire », précise Alice, 11 ans. Les médias d’actualité pour enfants ont également leurs marronniers. Ainsi, l’émission Mon kanar prend le chemin des écoliers en même temps que ses téléspectateurs le jour de la rentrée scolaire en suivant les premiers pas d’une petite fille dans sa nouvelle classe74. Tandis qu’un an plutôt, le journal télévisé A toi l’Actu@ s’intéressait aux 71

Mon Quotidien, édition du 27 mai 2003 Le Journal des Enfants, édition du 17 avril 2003 73 Mon Quotidien, édition du 20 mai 2003 74 Mon Kanar, émission du 9 septembre 2003 72

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grandes tendances en matière de fournitures scolaires, dans un reportage intitulé "On a testé pour vous le cartable à roulettes"75.

2.1.2.

Lorie, Titeuf, Harry, Mario et les autres…

Mais la vie à l’école, ce ne sont pas seulement ces considérations somme toute très raisonnables sur les programmes scolaires ou la durée des vacances : ce sont aussi les conversations entres camarades de classe, sur le dernier jeu vidéo à la mode ou sur leur dessin animé préféré. « Est-ce que la chanteuse Priscilla va à l’école comme nous ? », s’interroge très sérieusement une téléspectatrice de Mon Kanar, fan de la baby-star, qui occupe une place de choix dans la rubrique « shopping » de Mon Quotidien pour la sortie de son mémorable tube de l’été, « Tchouk tchouk music »76. De même, le Journal des Enfants évoque « le retour très attendu d’Alizée » avec « un excellent album à ne manquer sous aucun prétexte », tandis que L’Hebdo-Le Monde des Ados consacre un article à la jeune chanteuse Chimène Badi dans sa rubrique "7 bons plans" : la presse enfantine peut difficilement passer à côté des idoles de jeunes, et encore moins les critiquer, sous peine de susciter une levée de boucliers de la part de leurs lecteurs. « Non seulement Jenifer a une belle voix, mais elle est sincère et n’a pas pris la grosse tête avec le succès. En plus, son nouveau single déchire ! », s’insurge Anaïs, une jeune lectrice de L’Hebdo en réaction à un article mitigé sur son idole. François Pécheux ose tout de même se moquer (gentiment) des fans de Lorie à la fin d’un reportage sur une ancienne maison de correction : « Si, il y a pire, c’est d’écouter Lorie toute la journée… »77. Les émissions de télé-réalité telles que Star academy, Popstars ou A la recherche de la nouvelle star, qui remportent tous les suffrages chez les plus jeunes, sont régulièrement annoncées dans les pages télé, même si Mon Quotidien les fait systématiquement passer au second plan dans le choix de programmes télévisés. Autre passion fédératrice chez les enfants : les jeux vidéos. En une de son édition du 24 avril, Le Journal des Enfants s’interroge sur les moyens de « booster » 75

A toi l’Actu@, émission du 24 septembre 2001 Mon Quotidien, édition du 14 mai 2003 77 Mon Kanar, émission du 20 mai 2003 76

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les jeux vidéos, à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle Cité du Numérique du Futuroscope de Poitiers. Ils ont également leur place réservée chaque semaine dans la rubrique "7 bons plans" de L’Hebdo-le Monde des Ados. Les lecteurs de Mon Quotidien sont quant à eux invités à tester un nouveau jeu pour leur Game boy advance, « Butt-ugly martians ». Maximilien, 9 ans, en expert, estime qu’il s’agit là d’un « bon petit jeu d’action »78. Côté lecture et cinéma, les héros des cours de récré, Titeuf et Harry Potter, monopolisent la plupart des pages culture. Ainsi, Mon Quotidien79 et Les Clés de l’actualité80 ont tour à tour interviewé Zep, l’heureux créateur du petit personnage de bande dessinée, qui reconnaît « écrire les livres dont [il] rêvait étant petit, mais qui n’existaient pas à l’époque ». Titeuf tient également la vedette d’A toi l’actu@, le temps d’un appel à témoin à la C’est mon choix, version junior : « Je ressemble à Titeuf »81.

2.1.3.

Nature, découvertes et solidarité

Cependant, l’actualité des enfants ne se limite pas à leur héros de bande dessinée préféré ou au dernier jouet à la mode : leur curiosité et leur sensibilité les amène à porter un regard bien à eux sur le monde qui les entoure. Le rédacteur en chef des quotidiens du groupe Playbac le rappelle : « Les grands sujets qui les touchent sont la nature, les animaux, la maltraitance envers les enfants, mais aussi la solidarité et l’humanitaire »82. « Ils sont à fleur de peau sur ces sujets là » renchérit Olivier Gasselin. Les préoccupations des enfants font souvent la une des journaux d’actualité enfantine ou l’ouverture des émissions d’informations pour enfants. « Quel avenir pour les loups en France », s’interroge Mon Quotidien83, qui consacre un article à un « plan mondial pour sauver 25 espèces de tortues menacées

78

Mon Quotidien, édition du 16 mai 2003 Mon Quotidien, édition du 16 mai 2003 80 Les Clés de l’actualité, édition du 3 au 9 octobre 2002 81 A toi l’actu@, édition du 6 novembre 2001 82 Cf. Sophie Carquain, « Enfants sous le feu de l’actu », Madame Figaro, avril 2003 83 Mon Quotidien, édition du 22 mai 2003 79

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de disparition », et conseille dans ses pages télé un documentaire sur les singes bonobo84. Les enfants ont aussi soif de découverte et d’aventure. Ainsi, plusieurs semaines de suite, Le Journal des Enfants suit l’équipe Everest 50, qui rend hommage aux 23 alpinistes qui ont conquis cinquante ans plutôt le sommet himalayen, et explique « les dangers de la haute montagne pour l’organisme ». Mon Quotidien part « à la recherche de roches extraterrestres »85, propose aux enfants d’observer l’éclipse de Lune86 et s’interroge sur « Ce que découvriront les archéologues sur nous en… 4003 »87. Les enfants s’intéressent également de près à l’écologie et à la protection de l’environnement. « La terre a soif » constate le Journal des Enfants88, qui consacre un article à l’exceptionnelle sécheresse qui a touché la France au Printemps dernier, suscitant l’inquiétude des agriculteurs. Mon Kanar se penche sur les moyens de lutter contre la montée des eaux à Venise89. Mon Quotidien se félicite quant à lui de l’interdiction des sacs en plastique non recyclables en Afrique du Sud 90. Et dans sa rubrique « Dans la nature », le journal Les clés de l’actualité junior rappelle à ses lecteurs « les petits gestes qui protègent l’environnement ». Enfin, les enfants sont extrêmement sensibles aux injustices et font souvent preuve d’une solidarité spontanée envers ceux qui souffrent, en particulier les autres enfants. « On est plus généreux, naïfs et solidaires quand on est enfant », constate Pierre Thivolet, ancien rédacteur en chef du magazine de décryptage Dis-moi tout, diffusé sur M6 fin 1996. Mon Quotidien invite ses lecteurs à courir pour lutter contre la faim dans le monde91, au bénéfice de l’association Action contre la faim ; et Mon Kanar met à l’honneur, dans ses « Coups de Koeur » Alvin et Samuel, deux adolescents de treize ans qui ont sauvé Maeva, une petite fille de deux ans tombée de son balcon, à Vannes. 84

Mon Quotidien, édition du 27 mai 2003 Mon Quotidien, édition du 16 mai 2003 86 Mon Quotidien, édition du 15 mai 2003 87 Mon Quotidien, édition du 14 mai 2003 88 Le Journal des Enfants, édition du 1er mai 2003 89 Mon Kanar, émission du14 avril 2003 90 Mon Quotidien, édition du 15 mai 2003 91 Mon Quotidien, édition du 15 mai 2003 85

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Mais la presse d’actualité enfantine et les émissions d’informations destinées aux enfants ne traitent pas uniquement de l’actualité des enfants. Ces derniers se posent également des questions sur l’actualité des « grands », à laquelle la plupart d’entre eux sont confrontés tous les soirs, lorsqu’ils regardent le journal de 20 heures avec leurs parents.

2.2.

L’Actualité pour les enfants, ou l’actualité des adultes expliquée aux enfants

Les enfants d’aujourd’hui passent plus de temps devant la télévision qu’à l’école : entre 4 et 14 ans, ils restent 1400 heures devant le petit écran et 850 heures en classe. Conséquence : 75% des programmes qu’ils regardent ne leur sont pas destinés92. Au premier rang des programmes pour adultes régulièrement regardés par les enfants, on trouve le journal télévisé. La télévision reste en effet souvent allumée à l’heure du dîner, et les enfants sont soumis au flot d’informations et d’images que déverse le journal de 20 heures, souvent difficile à comprendre quand on n’a pas encore acquis les connaissances de base permettant de décoder l’actualité 93. Le monde tel qu’il est présenté à la télévision leur apparaît comme incohérent. Toutefois, ils sont 41%, parmi les 11-15 ans, à se déclarer préoccupés par la situation internationale94. Ils sont donc nombreux à manifester leur incompréhension sous forme de lettres envoyées aux rédactions des petits journaux d’actualité ou des émissions d’information destinées à la jeunesse95. Les outils modernes, comme Internet et les emails, favorisent cette interactivité et permettent aux journalistes d’être plus réactifs quant aux interrogations de leurs lecteurs ou de leurs téléspectateurs. C’est en quelque sorte une information "à la demande". C’est également une information adaptée aux enfants ; dans la mesure du possible, les articles et les reportages sur un 92

Source : enquête du magazine Télérama, 1er novembre 2000 Ibid, p.16 94 Source : Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) 95 Voir exemples de lettres reçues par l’Hebdo-Le Monde des ados après le 11 septembre 2001, annexe 3, p. XVII et suivantes 93

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thème donné n’ont pas les mêmes angles que dans les médias d’information adultes. En outre, les médias pour enfants s’efforcent de leur donner toutes les clés permettant une bonne compréhension des problèmes contemporains, notamment en les resituant systématiquement dans leur contexte.

2.2.1.

Répondre à leurs questions

Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un enfant de dix ans quand il regarde le journal de 20 heures ? Voilà la première question que se pose un journaliste pour enfants avant de s’attaquer à l’écriture de son papier. « La difficulté, souligne Pierre Thivolet, c’est qu’on change très vite entre 8 et 18 ans, et la connaissance et le goût pour l’actualité se modifie très vite ». Un véritable casse-tête pour le journaliste. C’est pourquoi le courrier des lecteurs, et son pendant moderne, l’e-mail, se sont généralisés dans la presse d’information enfantine et les émissions d’actualité pour les enfants. Des flots de questions parviennent chaque jour aux rédactions. Et les journalistes les sollicitent la plupart du temps, afin de coller au plus près aux préoccupations des enfants. « Je travaillais avec un panel d’enfants que j’appelais trois fois par semaine pour être en prise directe avec leurs questions », se souvient Peggy Olmi, co-présentatrice de l’émission A toi l’actu@ de 2000 à 2002. Et sur des événements aussi traumatisants que le 11 septembre, les réactions ont été plutôt surprenantes : « Tout de suite, on a reçu des mails, des dessins, poursuit Peggy Olmi, et la première question qu’ils se sont posée, et que nous, adultes, n’aurions jamais imaginée, c’était : "est-ce que Papa va partir à la guerre ?". Préoccupation partagée par Mélissa, 9 ans, dans un courrier envoyé à L’Hebdo-Le Monde des ados96. Le newsmagazine des ados reçoit d’ailleurs environ 300 lettres par mois, qui servent souvent de base à la conférence de rédaction du service actualité. « Je voudrais avoir des renseignements sur les Kurdes d’Irak, parce que je n’ai pas bien compris qui ils étaient », demande Laura, 13 ans, une jeune lectrice de l’hebdomadaire. « Est-ce que les USA vont nous attaquer ? » s’inquiète un jeune 96

Voir annexe 3, page XX

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lecteur suite au refus de la France de se ranger à la position américaine sur l’Irak. « Et l’écologie dans tout ça ? » se demande une lectrice qui a vu les puits de pétrole incendiés au journal télévisé. « Je corresponds avec des enfants de Hong-Kong. Je voudrais savoir si du fait qu’il y a la pneumopathie atypique dans leur pays, je pourrai quand même ouvrir leurs lettres » s’interroge un téléspectateur de Mon Kanar, en pleine épidémie de SRAS. Les questions des lecteurs permettent aux journalistes de sélectionner les thèmes qu’ils aborderont sur un sujet donné, comme la guerre en Irak, mais les guident également sur l’angle à donner à leur article ou leur reportage.

2.2.2.

L’info sous l’angle enfant

Le traitement de l’actualité enfantine tient évidemment compte de la sensibilité des enfants. Il s’agit donc de concilier l’évocation d’une actualité parfois difficile avec les centres d’intérêt des enfants, pour susciter leur attention. Sur un sujet aussi délicat et traumatisant que la guerre, le journaliste pour enfant peut donc évoquer le rôle des animaux dans le conflit, un angle souvent inédit dans la presse nationale. Ainsi, Mon Quotidien a choisi de faire la une avec les dauphins démineurs d’UmQasr : « Pour aider à enlever les mines dans un port du sud de l’Irak, les Américains ont fait venir des dauphins dressés », explique l’article. De même, pour sensibiliser les enfants à la lutte contre la drogue, Mon Quotidien titre sur un chien policier « exceptionnel », « décoré pour son flair ». L’article consacré à Hunter, berger allemand de son état, évoque bien sûr les exploits du chien récompensé par la médaille du courage et du dévouement, mais permet également d’expliquer aux enfants les moyens de contenir le trafic de stupéfiants. Les journaux et les émissions d’actualité enfantine font également appel à leur solidarité spontanée pour les enfants de leur âge. « On essaie toujours de voir comment les enfants sont impliqués dans un conflit », ajoute Olivier Gasselin, rédacteur en chef adjoint des quotidiens du groupe Playbac. « Entre 4 et 12 ans, on a vraiment l’habitude de voir la référence à ses pairs, à ce qu’ils font. Cet enfant

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qu’on a vu pendant la guerre en Irak sans bras, combien m’en ont parlé ! » renchérit la pédiatre Edwige Antier. « Ali, l’enfant irakien qui a ému le monde » fait la une de Mon Quotidien : « Gravement blessé par un bombardement américain, Ali a perdu toute sa famille. Il va être soigné grâce à la solidarité de plusieurs pays »97. « Les enfants d’Irak ont faim » titre le Journal des enfants quinze jours après la chute de Bagdad. « Comme toujours en cas de guerre, ce sont les enfants qui sont les plus touchés », explique l’article illustré par une photo représentant « deux enfants avec leur paquet d’aide humanitaire »98. Pour évoquer le problème des Kurdes en Irak, le journal télévisé quotidien des enfants, Mon Kanar, confie une caméra à une petite Kurde vivant en France, qui entreprend d’expliquer, avec une mappemonde et ses propres mots, le drame de son peuple. Dans les années 80, ce recours aux témoignages d’enfants et d’adolescents était également systématique, en particulier dans les émissions comme le Mini-mag, présenté par Patrice Drevet et Nellie Pons. « Ca va démarrer très fort avec un reportage sur les jeunes Berlinois de l’Est », annonce l’animateur à la célèbre mèche décolorée en guise d’introduction. Dans la même émission, Nellie Pons lance un reportage intitulé « Avoir 13 ans au Chili »99. Le Mini-mag avait donc pris le parti de traiter de la marche du monde à travers des témoignages de jeunes de l’âge de ses téléspectateurs.

2.2.3

Donner les clefs de l’actualité

Mais les médias d’information pour enfants ne se contentent pas de coller à leurs centres d’intérêt : ils s’efforcent également de décrypter l’actualité afin de la rendre plus accessible aux plus jeunes. « L’intérêt d’un journal est de leur donner les clés pour comprendre. Pour cela nous nous en tenons aux faits, comme on le fait pour le conflit israélo-palestinien. C’est en quelque sorte revenir aux bases du journalisme », reconnaît Pascal Petit, ancien rédacteur en chef du journal télévisé pour enfants A toi l’actu@. « Quand l’actualité est angoissante, plus l’information est claire, plus elle est rassurante », explique Isabelle Doumenc, rédactrice en chef 97

Mon Quotidien, édition du 25 avril 2003 Le Journal des Enfants, édition du 24 avril 2003 99 Mini-Mag, émission du 25 octobre 1986 98

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de Mon Kanar. D’où l’omniprésence des cartes et autres infographies dans les supports d’actualité pour enfants. Pendant la guerre en Irak, le Journal des Enfants a présenté de nombreuses cartes pour expliquer l’évolution des troupes américaines sur le territoire irakien100, et consacré sa page « Piger » aux Chiites101. Qui sont-ils, où vivent-ils : des réponses simples et claires aux questions des lecteurs. La deuxième de couverture de Mon Quotidien est ainsi presque systématiquement consacrée à une fiche pédagogique sur un thème donné. Une fiche « à retenir » est ainsi consacrée à « Bagdad et ses environs »102 pour comprendre les avancées des troupes américaines, Enfin, les émissions d’actualité pour enfants comme A toi l’actu@ ou Mon Kanar recourent souvent aux infographies pour expliciter l’actualité. Les médias d’actualité pour enfants s’efforcent donc d’adapter l’information des "grands" à leurs besoins, à leurs préoccupations, à leur soif d’apprendre. « Leur rendre peu à peu le monde accessible tout en respectant leur état d’enfance, telle est la ligne de crête que nous devons tenir » résume Mijo Beccaria, ancienne directrice générale de Bayard Presse103. « Une règle impérative, car non seulement la dramatisation serait insupportable pour les enfants qui reçoivent toute information au premier degré, mais elle serait dangereuse pour leur évolution si elle provoquait un affaiblissement de leur sensibilité »104. D’où la nécessité d’équilibrer l’actualité pour enfants et l’actualité des enfants, pour susciter durablement l’intérêt de l’enfant, en injectant quelques doses d’insouciance dans une actualité parfois très angoissante.

100

Voir annexe 1, p. VII Voir annexe 1, p. VI 102 Mon Quotidien, édition du 5 avril 2003 103 Cf. Philippe LEBELLEC, "Le journaliste et l’enfant" – in Médiaspouvoirs, n°25, Jeunes et médias (1992) 104 Cf. Philippe LEBELLEC, op.cit., p.177 101

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2.3

L’information pour les enfants, un subtil équilibre entre les deux

« J’aime pas trop les journaux des grands, c’est toujours la guerre en Irak. J’aime mieux lire Mon Quotidien ». Cette réflexion d’Anne-Sophie, 10 ans, traduit une des grandes difficultés du journalisme pour enfants : comment équilibrer les informations destinées aux enfants et le décryptage de l’actualité des adultes ? La part consacrée à l’une et à l’autre varie d’un support à l’autre, et dépend en grande partie du public visé. En outre, la hiérarchisation des informations tend à faire passer au premier plan les informations concernant directement les enfants. La dérive vers les sujets « magazine », moins liés à l’actualité, guette ces supports d’information destinés aux plus jeunes.

2.3.1. L’actualité des "grands" réduite à la portion congrue « L’actualité couverte par Mon Quotidien est avant tout celle qui intéresse les garçons et les filles de 10-14 ans. Quand les événements l’imposent, Mon Quotidien explique l’actualité des adultes »105. Le message est clair : dans Mon Quotidien, la priorité est donnée à l’actualité des enfants, au détriment du décryptage de l’information des adultes. Un parti-pris qui n’empêche pas le petit journal de consacrer de nombreux articles à la situation internationale. En effet, lorsqu’un événement tragique, comme le tremblement de terre en Algérie ou l’attentat de Casablanca survient, ou quand un événement majeur comme la Coupe du monde ou les élections présidentielles est programmé, un ou plusieurs articles lui sont consacrés dans Mon Quotidien. Mais globalement, la part qui leur est dédiée est minime par rapport au nombre d’articles concernant l’actualité des enfants. Il arrive même fréquemment que des numéros entiers du petit journal n’évoquent pas l’actualité des adultes. Au menu de l’édition du 16 mai 2003 : Matrix 105

Source : site Internet de Mon Quotidien, op.cit.

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2, une interview de Zep, l’auteur de Titeuf, « A la découverte des roches extraterrestres », « Nos abonnés ont testé Butt-Ugly-Martians, sur Game Boy Advance », et, en quatrième de couverture : « Les métiers du cinéma : décorateur ». Un menu alléchant pour les enfants, qui trouvent là tous leurs centres d’intérêt réunis : cinéma, jeux vidéos, bandes dessinées, découverte et aventure. Rien en revanche ce jour-là sur le congrès de Dijon du Parti socialiste, sur les tensions entre les syndicats et le gouvernement sur le front des retraites, encore moins sur les attentats-suicide de Casablanca qui ont eu lieu la veille au soir –Mon Quotidien est bouclé 48 heures à l’avance.

2.3.2. Priorité à l’actualité des enfants En

outre,

la

hiérarchisation

des

informations

privilégie

presque

systématiquement l’actualité des enfants. Le journal télévisé pour enfants Mon Kanar s’ouvre souvent sur un sujet magazine, comme les inénarrables Enquêtes de l’inspecteur Leclerc, chargé de répondre aux questions farfelues des jeunes téléspectateurs. Sa chronique est annoncée en début d’émission, juste avant de lancer une série de reportages souvent plus sérieux. L’émission A toi l’actu@ fonctionnait sur le même schéma : le reporter attitré du JT junior, Jean-François, annonçait le sujet du jour (les oiseaux migrateurs, la pollution à Paris), avant la diffusion des reportages d’actualité plus austères. Chaque sujet difficile est suivi ou précédé d’une séquence plus légère, afin que l’attention de l’enfant ne faiblisse pas. La presse écrite pour enfants a adopté la même recette : la une de Mon Quotidien est la plupart du temps monopolisée par l’actualité des enfants. Le 14 mai 2003, elle était consacrée à « Hunter, chien policier décoré pour son flair ». Le lendemain, Mon Quotidien titre : « Cette nuit, observe une éclipse de lune ». Le vendredi, « Matrix revient avec ses effets spéciaux ». Et l’édition du week-end s’ouvre sur l’exposition de trains sur les Champs-Elysées, tandis que le mardi suivant, le grand débat « Faut-il raccourcir les vacances d’été » fait la une du petit journal. Dans ce numéro, l’attentat de Casablanca se trouve relégué en page 6. En

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revanche, un événement grave et de portée internationale, comme la guerre en Irak, peut monopoliser la une plusieurs jours d’affilée.

2.3.3. Le risque d’une dérive vers le "tout magazine" Faire un journal pour enfants uniquement composé d’informations sérieuses, de décryptage de l’actualité des adultes, reste illusoire. Des magazines télévisés hebdomadaires comme Dis-moi tout –diffusé sur M6 à la fin de 1996– ou 26 minutes d’arrêt –produit et animée par Fred et Jamy, les présentateurs de C’est pas sorcier en 1998– s’y sont essayé, sans rencontrer leur public. Car les lecteurs et les téléspectateurs en culotte courte sont impitoyables : la génération des "bébés zappeurs" n’hésite pas à changer de chaîne si le programme qui lui est proposé s’avère trop ennuyeux, trop proche de ce qui est proposé aux adultes. « Les jeunes téléspectateurs sont une volée de moineaux. Nous avons renoncé à comprendre leur comportement »106, soupire François Pécheux, l’animateur de Mon Kanar. Conséquence : l’équipe rédactionnelle du JT quotidien de France 3 a dû réduire le nombre de sujets concernant la guerre en Irak, parce que ses jeunes téléspectateurs ont manifesté leur ras-le-bol contre une couverture jugée excessive 107. La tentation est grande pour les producteurs et les éditeurs de journaux pour enfant d’augmenter la proportion de sujets magazine pour coller aux attentes de leur public et ainsi le fidéliser. « Pour capter l’attention des enfants, les supports d’information pour enfants s’efforcent d’être récréatifs. Le risque, c’est que les enfants ne retiennent que cet aspect-là », analyse Maguy Chailley, pédagogue108. Plaire à tout prix aux enfants, c’est donc se risquer à appauvrir le contenu du journal ou de l’émission. Nous avons montré le rôle prépondérant du courrier des lecteurs dans le processus rédactionnel. Or la majorité des lettres qui parviennent aux rédactions porte sur des sujets plutôt légers, comme le constate François Pécheux109 : « On les incite à être pertinents, 106

Source : interview accordée au quotidien 20 minutes, édition du 21 mai 2003 Source : Macha SERY, « L’éducation aux images télévisées affiche de lourdes faiblesses », Le Monde, 1er avril 2003 108 Entretien du 11 avril 2003 109 Entretien du14 avril 2003 107

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malins, curieux. Mais en lisant leurs mails, on s’aperçoit qu’on ne peut pas leur donner toutes les clefs du journal, sinon ça serait beaucoup Lorie ou les jeux vidéos… ». Pascal Petit, l’ancien rédacteur en chef d’A toi l’actu@ fait le même constat : « Si les enfants composaient tous les jours le menu, il serait monotone. Or nous souhaitons qu’ils découvrent, qu’ils apprennent… »110. Seul un savant dosage entre l’actualité des enfants et l’actualité des adultes expliquée aux enfants est donc à même d’attirer durablement l’attention de ce public exigeant et volatil.

110

Source : Emmanuelle BOUCHEZ, « Le JT du goûter », op.cit.

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CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE Nous avons montré dans cette deuxième partie que l’information destinée aux enfants relevait d’un équilibre entre l’actualité des enfants –celle qui les intéresse – et l’actualité pour les enfants – l’actualité des grands mise à leur portée. L’existence même d’une actualité particulière aux enfants fait du journaliste qui travaille dans la presse enfantine un journaliste spécialisé, puisqu’il doit s’intéresser à la vie quotidienne, aux goûts et aux passions d’une tranche d’âge bien déterminée, afin de capter son attention : cette spécialisation se traduit par le choix de sujets parfois différents de ceux abordés dans la presse généraliste, par leur traitement sous un angle adapté au public visé, et par la place accordée à chacune des informations traitées. De cette attention extrême portée à la réception qui sera faite de l’information, résulte une certaine dérive vers la multiplication et la mise en avant des sujets de type "magazine", c’est à dire ne collant pas nécessairement à l’actualité chaude, et privilégiant les "marronniers" et les témoignages, à l’explication pure et simple des événements. La presse enfantine serait-elle malade des mêmes maux que la presse généraliste adulte, qui a basculé petit à petit vers l’info-divertissement sous le diktat des enquêtes-lecteurs et de l’audimat ? En effet, les journaux télévisés, en particulier ceux de la mi-journée, et la presse magazine d’actualité font de plus en plus la part belle aux sujets "carte postale", aux témoignages de quidams censés apporter leur éclairage sur un événement particulier, le tout au détriment d’une information dont les enjeux seraient clairement expliqués au lecteur/auditeur/téléspectateur. On peut donc facilement conclure que les médias d’actualité enfantine, comme tous les autres, cherchent à attirer un public le plus large possible et à le fidéliser, quitte à s’éloigner de leur ligne éditoriale. Mais la psychologie particulière de l’enfant justifie également ce recours à des informations plus légères, ou qui les concernent plus directement pour "faire passer" l’actualité des adultes, génératrice de profondes angoisses.

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TROISIEME PARTIE

MON JOURNAL A MOI : QUAND L’INFORMATION PREND DES COULEURS Dorothée Bécart – Mélanie Marullaz

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Si l’on donnait à lire aux enfants un journal comme Le Monde, il y a fort à parier qu’ils le refermeraient dès la seconde page. D’une part, parce qu’il s’agit d’un journal austère, peu illustré, et n’ayant introduit que très récemment la couleur dans ses pages. D’autre part, parce que les articles y sont écrits en petits caractères, et sont jalonnés de mots difficiles. Impossible dans ces circonstances de maintenir la concentration de l’enfant. « Il y a trop d’écritures » se plaint Esther, 7 ans. « Le plaisir de lire, c’est de comprendre tout de suite. Si le lecteur doit s’arrêter à chaque mot pour prendre un dictionnaire, il se décourage vite. », constate Béatrice d’Irube, rédactrice en chef du Journal des Enfants111.

Les enfants d’aujourd’hui fréquentent dès leur plus jeune âge la télévision. Ce sont des "bébés zappeurs"112 nourris par des dessins animés de plus en plus rythmés et colorés, comme le manga très violent Yu-gi-oh !, actuellement diffusé par Canal J et très regardé par les plus petits. Ils sont donc habitués aux formats courts, rapides, et aiment retrouver dans leurs journaux les couleurs criardes des cartoons qu’ils regardent habituellement. Les concepteurs des supports d’actualité pour enfants, que ce soit dans le domaine de la presse écrite ou à la télévision, doivent donc prendre particulièrement soin de la mise en forme de l’information qu’ils souhaitent diffuser à leur lecteur, de façon à susciter durablement leur attention. L’information parfois austère et grise des adultes laisse place à un univers gai, aux couleurs vives : celui des enfants. L’actualité prend des couleurs, et les enfants se l’approprient d’autant plus qu’elle leur ressemble.

Il s’agit donc pour les journalistes de la presse enfantine de « se mettre chaque jour dans la peau du lecteur de 6, 9, 12 ou 15 ans »113. C’est à dire leur offrir "leur" journal, rapide à lire, facile à comprendre ; proche de leurs préoccupations et s’intéressant à eux ; gai, drôle et illustré. Le tout sans tomber dans le "jeunisme", 111

Cf. Béatrice d’IRUBE, op.cit., p.173 L’expression est de Ségolène Royal, dans Le Ras le bol des bébés-zappeurs, Paris, Laffont, 1991 113 Source : les dix commandements du journaliste du groupe Playbac 112

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sans bêtifier, et en restant crédible. C’est à dire sans tomber dans la facilité sous le prétexte de plaire à tout prix à la "cible" convoitée et en ne perdant jamais de vue le rôle idéal du journaliste pour enfants, à la fois traducteur, pédagogue et formateur de citoyens114.

III.1 Une information courte et claire « Mon Quotidien est lisible en dix minutes. Pour que les 10-14 ans lisent tous les jours »115 : tel est l’un des leitmotivs des concepteurs du quotidien-phare du groupe Playbac. Un journal qui se lit vite, une émission rapide, les formats des supports d’actualité pour enfants se caractérisent par des modules courts, et clairs. « Les enfants d’aujourd’hui sont des zappeurs », remarque Edwige Antier, pédiatre116. « Il leur faut des modules très courts, car leur faculté de concentration est très limitée ». « Au-delà d’une dizaine de minutes, leur attention faiblit », renchérit Peggy Olmi, l’ancienne co-présentatrice de l’émission quotidienne d’informations A toi l’Actu@. Il n’est dès lors pas étonnant que des formats tels que le Six minutes de M6, qui n’est pourtant pas spécifiquement destiné aux enfants, remportent tous les suffrages chez les plus jeunes. Pour les médias d’actualité destinés aux enfants, il s’agit d’en apprendre le plus possible à leurs lecteurs en quelques minutes, sans les ennuyer, et en présupposant qu’ils retiendront un minimum d’informations de ce qu’ils viennent de lire. Pour ceci, il faut donc utiliser des mots simples, familiers des enfants, et expliquer le moindre terme susceptible de ne pas être compris par le lecteur ou le téléspectateur.

114

Ibid, p.15 Source : Site Internet de Mon Quotidien, op.cit. 116 Entretien du 12 juin 2003 115

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Enfin, le soin porté à la forme ne doit pas éclipser le travail d’écriture : en presse écrite comme en télévision, les mots doivent donner à voir et les images doivent faire sens immédiatement pour que se fixe l’attention du jeune lecteur/téléspectateur. De nombreux éléments visuels viennent donc appuyer le texte, qui reste indispensable à la compréhension de l’enfant.

III.2.2. Dix minutes chrono « Moi, je préfère Mon Kanar au journal de 20 heures, parce que c’est pas long, c’est court », explique timidement Nora, une élève de CM2 117. En effet, le petit journal quotidien animé par François Pécheux ne dure qu’une dizaine de minutes, tout comme son prédécesseur, A toi l’Actu@. « C’est le format européen des journaux pour enfants », précise Peggy Olmi, ancienne présentatrice d’A toi l’Actu@118. Le souci de réaliser un format court et rapide à lire est aussi très présent en presse écrite. « L’idée, c’est de faire le tour de l’actualité en dix minutes », résume Olivier Gasselin, le rédacteur en chef adjoint des quotidiens du groupe Playbac119. Concrètement, cette volonté de faire court se traduit par une pagination réduite (huit pages) et des articles très brefs. « On se donne pour règle de faire des phrases de treize mots, pas plus », précise Olivier Gasselin. Philippe Lebellec renchérit : « Au-delà de dix phrases, l’attention des enfants se relâche »120. Un des dix commandements du groupe Playbac invite ses journalistes à n’ « écrire que des faits, que des mots utiles : le premier devoir d’un journaliste est d’être lu. Le second est d’être lu jusqu’au bout ». En outre : « Les enfants lisent d’abord ce qui est écrit gros et court » : les "papiers" principaux sont donc entourés de petits modules, mettant en évidence les chiffres du jour : Parfois très sérieux (« 10 litres d’eau : c’est la ration quotidienne de chaque soldat américain en poste dans le désert, en Irak »121), parfois insolites (« 3800 kilomètres : c’est la distance moyenne que parcourt un Britannique en faisant ses courses au supermarché durant toute sa vie, 117

Entretiens du 30 mai 2003 Entretien du 23 avril 2003 119 Entretien du 16 avril 2003 120 Philippe LEBELLEC, op.cit., p.178 121 Mon Quotidien, édition du 26 mars 2003 118

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selon une étude anglaise »122). Les brèves sont également omniprésentes dans les pages du petit quotidien des 10-14 ans. Un parti-pris que l’on retrouve dans L’Hebdo-Le Monde des Ados, avec les « Sept bons plans » hebdomadaires, mais également dans les colonnes du Journal des Enfants qui donne des petites informations très courtes dans la rubrique « Bref !!! ». « Le style journalistique est clair, court, précis », résume Béatrice d’Irube, rédactrice en chef du JDE 123. « Notre journal utilise des phrases courtes en caractères assez gros, et des mots simples ».

III.2.2. Les mots des enfants Mais il n’est justement pas toujours très facile de trouver les mots pour se faire comprendre des enfants. « Les enfants en savent mille fois moins que vous, journalistes. Ecrivez simple. Ne faites pas le « petit Libé » que vous, journalistes, aimeriez lire. Souvenez vous de vos 10 ans ! » rappelle la charte des journalistes de Mon Quotidien. « Le côté docte, avec des effets oratoires, ça ne les intéresse pas ! », ajoute Edwige Antier. Interrogé sur la différence entre L’Actu –le quotidien du groupe Playbac qui s’adresse aux plus de 14 ans- et la presse pour adultes, Jérémy, 15 ans, répond : « Je pense que c’est la même chose, mais avec des mots différents. Chez les adultes, les mots sont secs et crus ». Edulcorée, la presse pour enfants ? Pourtant, « Il n’y a pas de mots interdits, parce que l’enfant les entend. Le mot "viol", le mot "crime" doit s’exprimer » estime Edwige Antier124. « Quand vous parlez d’actualité, c’est mieux d’avoir un discours vrai, sans essayer de se mettre exprès à sa portée. En même temps, ne mettre que des mots compliqués, ça lui passerait au-dessus de la tête ! Il faut donc en profiter pour leur expliquer ». Ainsi, dans Mon Quotidien, tous les mots difficiles sont expliqués en bas de page 125. Parfois même, une fiche pédagogique est entièrement consacrée à un champ lexical particulier : « Mon Quotidien te propose aujourd’hui de découvrir 9 mots de vocabulaire ou expressions en lien avec la guerre. Pour mieux comprendre le conflit

122

Mon Quotidien, édition du 7 mai 2003 Béatrice d’IRUBE, op.cit., p.173 124 Entretien du 12 juin 2003 125 Ibid., p.23 123

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en Irak » : dans la fiche intitulée « Le vocabulaire de l’armée et de la guerre »126, les enfants sont invités à faire la distinction entre infanterie et artillerie, des mots qu’ils entendent chaque soir au journal de 20 heures, sans toutefois les comprendre. « Un enfant de 7-10 ans ne comprend que 400 ou 500 mots, alors qu’un adulte en assimile facilement 3000 » précise Philippe Lebellec, ancien membre du comité de rédaction du journal Astrapi127. Au journaliste de s’adapter à cette marge de manœuvre lexicale limitée : « On essaie de rester dans un lexique de 100 à 150 mots, pas plus», explique Antoine Pivnik, journaliste pour l’émission Mon Kanar128. « Par exemple, un mot comme "pilonnage", très employé dans les reportages du 20 heures consacrés à l’Irak, peut être confondu par l’enfant avec le mot "pilotage". Il y a tout un jargon journalistique qu’ils ne reçoivent pas. Alors pour parler de la zone de conflit, on préfère dire "l’endroit où ils se battent" ». L’équipe rédactionnelle d’A toi l’Actu@ avait la même préoccupation d’éviter ou d’expliquer les expressions compliquées. « Les Américains vont riposter, c’est à dire qu’ils vont se venger », commente un journaliste une semaine après les attentats du World Trade Center 129. Les mots sont parfois répétés plusieurs fois (« Dans chaque avion, l’un des terroristes savait piloter. Les terroristes ont remplacé les vrais pilotes, et c’est eux qui ont fait foncer les avions dans les tours. Ce qui nous paraît incroyable, c’est que les terroristes savaient qu’ils allaient mourir »130), et des synthés mettent en évidence les mots expliqués dans le commentaire : par exemple, le mot "amalgame" apparaît en bas de l’écran et est immédiatement explicité par le journaliste : « un amalgame, c’est quand on confond tout, qu’on met tout dans le même sac »131. « Même les enfants de 12 ans ont besoin d’un langage plus explicite qui fasse un peu apparaître les connaissances requises pour comprendre », analyse la pédagogue Maguy Chailley132.

126

Mon Quotidien, édition du 22 mars 2003 Cf. Philippe LEBELLEC, op.cit., p.176 128 Entretien du 11 avril 2003 129 A toi l’Actu@, émission du 17 septembre 2001 130 A toi l’Actu@, émission du 14 septembre 2001 131 A toi l’Actu@, émission du 23 octobre 2001 132 Entretien du 11 avril 2003 127

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III.2.2. Des mots mis en image Mais les journalistes pour enfants ne peuvent se contenter que des mots pour faire passer une information. Surtout auprès d’une génération élevée dans le monde des images. « Chaque article doit développer un aspect le plus visuel possible, en illustrant l’écrit par des photos couleurs », préconise Béatrice d’Irube133. « De cette façon, l’enfant a plaisir à lire et a l’impression de replonger dans le monde de l’image, c’est à dire celui de la télévision ». « Les représentations du monde sont fournies à la fois par des images et par du langage », ajoute Maguy Chailley134. « Ce qui est intégré par les enfants provient sans doute des deux sources ». Les photos en couleur sont omniprésentes dans Mon Quotidien, comme dans Le Journal des Enfants ou encore Les Clés de l’Actualité junior. Les journalistes-rédacteurs sont invités à travailler en étroite collaboration avec les dessinateurs et les iconographes. La sélection des images qui seront soumises à la sensibilité des jeunes lecteurs ou spectateurs représente une étape capitale dans la fabrication de l’information. Commentant le choix des séquences pour le montage d’un reportage sur l’humanitaire en Irak diffusé dans Mon Kanar, Antoine Piwnik rejette systématiquement les représentations du sang, des blessures ou des bandages. Il explique : « des sujets ont été faits sur la perception des images de guerre par les enfants, et dès qu’il y a un pansement, avec l’idée d’un trou dans la tête, ça les traumatise, ils imaginent tout ». « le JT c’est déjà le catalogue des horreurs, ajoute Odile Amblard, rédactrice en chef adjointe d’Okapi. Nous on s’interdit ça. Il faut être vigilant, responsable. » D’autant plus que l’« on peut tout à fait montrer une image qui sera très forte sans qu’elle ait un caractère violent », conclut Francis Rieth, iconographe à l’Hebdo le monde des Ados. « Ce qui aide à la compréhension, c’est le discours Mais l’accompagnement par l’image aide les enfants à la mémorisation»135. Les articles de presse et les reportages télévisés sont par conséquent systématiquement accompagnés de cartes ou de pastilles infographiques aidant à la compréhension du texte ou du commentaire. Ces éléments servent également à donner des repères aux enfants qui n’ont pas 133

Béatrice d’IRUBE, op.cit. p.173 Cf. Maguy CHAILLEY, op.cit. 135 Entretien du 11 avril 2003 134

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encore acquis les connaissances nécessaires à une compréhension globale de l’information136. « L’enfant est scotché au visuel. Le discours doit venir souligner le visuel. Mais le visuel, pour lui, c’est de l’immédiat », résume Edwige Antier137. Philippe Lebellec conclut : « Ecrire pour les enfants, c’est enrichir et transformer son savoir-faire de journaliste en prenant en compte de nombreuses autres dimensions que le seul écrit. Un bain de jouvence ! ». Mais à trop vouloir faire "jeune", les journaux et les émissions pour enfants ne perdent-elles pas en crédibilité ?

III.2 Entre proximité et crédibilité III.2.1 Pas question de faire du jeunisme Héritier de Dorothée et de Récré A2, avec toute la distance qui s’impose, le journaliste pour enfants doit trouver sa place quelque part entre le moniteur de colonie de vacances et l’homme-tronc du journal de 20h. Questionnés sur leurs préférences les enfants sont d’ailleurs plutôt partagés : « Moi je préfère François Pécheux parce qu’il ne parle pas comme les grands comprennent » s’enthousiasme Michaël, 10 ans. Mais Mohammed, au même âge, lui préfère Patrick Poivre d’Arvor, « parce qu’il est plus sérieux, il a plus d’expérience ».138 Quand on lui demande de quel modèle elle s’est inspirée, Peggy Olmi, présentatrice d’A toi l’actu@ penche pour Philippe Gildas. Pour son comparse de la première saison de l’émission, Thomas Sotto, « l'animateur idéal, ce serait un mélange de PPDA pour le professionnalisme, de François Pécheux pour la décontraction, et de Thierry Ardisson pour sa capacité de travail et d'adaptation». Le professionnalisme pour la crédibilité, la décontraction pour la proximité et la 136

Ibid, p.19 Entretien du 12 juin 2003 138 Entretiens du 30 mai 2003. 137

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capacité d’adaptation pour trouver l’équilibre entre les deux. Mais entre animateur et journaliste, son parti est clairement pris : « Pour moi, journaliste, sans aucune hésitation. L'animation n'est pas notre métier. Notre priorité, c'est avant tout de faire très attention aux infos que nous donnons aux enfants. 139» Les journalistes pour enfants doivent donc être complices mais pas trop, leur expression doit rester claire, précise et sérieuse pour recueillir l’attention des jeunes spectateurs ou lecteurs. Selon Claude Allard, il n’ont pas non plus à exercer leurs talents de séducteurs : « Une éthique personnelle respectant l’intérêt des enfants pourrait aussi les animer. Au lieu d’être des incitateurs, ils pourraient avoir un rôle de contrôle et de réassurance pour les jeunes spectateurs esseulés. La présence d’un adulte référent dans le petit écran aiderait le petit enfant à se distancer de l’emprise des fictions, comme un gardien qui l’accompagnerait dans son rêve éveillé. (…) l’animateur inciterait à la distanciation nécessaire pour digérer les émotions vécues au cours du spectacle, ce qui faciliterait le retour de l’enfant à la réalité. »140 Les journalistes pour enfants semblent en effet prendre à cœur ce rôle d’intermédiaire. Ils jouissent d’un statut particulier tout en sachant qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur, ce que semble apprécier Thomas Sotto : « C'est cette proximité avec les enfants qui est agréable. Avec eux, on ne peut pas tricher. Les rapports sont forcément sincères et affectifs. 141» A la télévision, la présence du présentateur « contribue à attester auprès du jeune public que ce dont on parle, c’est sérieux, confirme Maguy Chaillet .(…) Son ton a beaucoup d’importance. » « C’est le ton d’un journaliste qui ne se prend pas au sérieux et qui ne prend pas les enfants pour des idiots » précise François Pécheux, commentant son approche de la présentation de Mon Kanar. Dans les premières semaines de son émission, l’animateur à la chemise noire a même renvoyé très familièrement ses oyes à leurs jeux : « c’est fini, cassez-vous, allez jouer, à demain ! »142 139

Source: www.actustar.com/interview/olmisotto.htm Claude Allard, op.cit., p.220. 141 Source: www.actustar.com/interview/olmisotto.htm 140

142

Mon Kanar, émission du 11 septembre 2002

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Ce ton est le parfait contre-point du rapport créé avec les enfants par les présentateurs d’A toi l’Actu@, notamment par François Barré au cours de la deuxième saison. A grands renforts de gestuelle et d’exclamations, le jeune animateur essayait de donner au petit journal une tonalité joyeuse et optimiste, qui n’a pas forcément toujours convaincu les enfants. « Moi je préfère François Pécheux, défend Nadia, 10 ans, parce que lui, quand il y a un truc grave, il n’a pas le sourire, il parle normalement, alors que dans A toi l’Actu@, c’est comme si ce n’était pas un truc important. »143

En revanche, sans adopter le ton d’un prof ou d’un parent, pour s’adresser à des enfants il ne s’agit pas non plus de parler comme eux. Les tentatives d’émissions mettant en scène les enfants eux-mêmes se sont d’ailleurs soldées par des échecs. « Le problème, avec les enfants présentateurs », explique Mireille Chalvon, ancienne directrice des programmes jeunesse sur France 3, « c’est qu’ils reprennent des tics journalistiques ou finissent par se prendre pour des vedettes »144. Et de l’autre côté du téléviseur, les mini-spectateurs, eux, ne s’identifient pas forcément au miniprésentateur, ils ne lui accordent que peu de crédit ou le jalousent tout simplement. PKJ, le chroniqueur de Mon Kanar, qui décortique chaque semaine l’actualité musicale, suscite d’ailleurs de sévères critiques.

Chaque émission essaie d’imposer un style différent. Dans les années 80, Patrice Drevet et toute l’équipe du Mini-Mag avaient opté pour une atmosphère très rock, de la coupe en brosse aux génériques clippés, en passant par un vocabulaire tout droit sorti de la bouche des adolescents à qui ils s’adressaient : « Zarbi, zarbi, cramponnez-vous à vos téléviseurs, ça va déboulonner, zoo bang bang ! »145 La moyenne d’âge de l’équipe rédactionnelle justifiait une telle liberté de ton sans que le décalage ne se fasse trop sentir ; l’excès de formules « jeunes » et d’onomatopées se limitait heureusement aux lancements des sujets. Le sérieux des enquêtes et des reportages, lui, ne faisait aucun doute. 143

Entretien du 30 mai 2003 Entretien du 6 Février 2003 145 Le Mini-mag, émission du 25 octobre 1986 144

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Pour Pierre Thivolet, ancien journaliste du Mini-Mag, il reste difficile de trouver la bonne tonalité : « les gens qui prennent les décisions sont très souvent victimes de la mauvaise conscience du vieux, donc, parce que quelqu’un a 24 ans, ça va être génial. On fait du jeunisme forcé et ce n’est pas crédible. »146Près de dix ans plus tard, rédacteur en chef de l’émission Dis-moi Tout, sur M6, il fut d’ailleurs confronté à ses propres paradoxes. Il avoue avoir porté une « attention particulière, voire excessive à l’écriture et à la forme ». En effet, les mots skate ou bike finissaient par sonner faux dans la bouche d’une présentatrice plutôt guindée. Très didactique et trop longue, l’émission n’a pas rencontré son public et s’est arrêtée après un mois de diffusion. « Pas question donc de faire du jeunisme » confirme Olivier Gasselin147. Cette prise de position induit la question du choix entre vouvoiement et tutoiement. De manière générale, le problème est résolu par l’utilisation d’un « vous » collectif, sauf dans le cas où les journalistes s’adressent directement à un enfant, au cours d’une interview par exemple. Dans ce cas précis, le « tu » est de mise. Mais à part cela, aucune règle ne s’impose vraiment. Si le JDE opte dans ses articles pour une formule plutôt impersonnelle, se rapprochant de l’écriture d’un journal adulte, il sollicite ses lecteurs à la deuxième personne du pluriel : « vous voulez en savoir plus sur les bandes dessinées ou bien trouvez des e-cards personnalisées ? »148. L’Hebdo, le Monde de Ados navigue entre le tu et le vous : « c’est vrai, les jeux vidéo sont chers pour vos petits budgets (…) Pour savoir s’il existe une [ludothèque] près de chez toi, adresse-toi à l’Association de ludothèques de France »149. En revanche, tout ce qui touche à l’intime, comme les pages « C’est perso », ou les tests, sont formulés au singulier : « es-tu filet ou fond de court ? 150» « quel voyageur es-tu ? »151. Une astuce lexicale efficace qui permet de placer les enfants au cœur de l’information pour qu’ils se l’approprient définitivement.

146

Entretien du 4avril 2003 Entretien du 16 avril 2003 148 Le journal des enfants, édition du 6 février 2003 149 L’Hebdo, le Monde des Ados, édition du 4 juin 2003 150 L’Hebdo, le Monde des Ados, édition du 28 mai 2003 151 Ibid, édition du 4 juin 2003 147

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III.2.2. « Mon » Info : appropriation de l’information par les enfants Pour intéresser les petits lecteurs ou spectateurs, il ne suffit pas uniquement de savoir leur parler, il faut aussi savoir les impliquer et faire en sorte qu’ils se sentent concernés par l’information. Les concepteurs de journaux à destination du public jeune, écrits ou télévisés, ont bien compris que l’intitulé même de leur parution ou de leur émission avait son importance. Avec Mon Kanar, Mon Quotidien, A toi l’actu@, etc…, l’enfant est mis en scène dès le générique ou la page de une. Il est invité à pénétrer dans un univers qu’on présente comme le sien, ce dont on va lui parler ne peut donc pas lui être totalement étranger. Les premières pages de toutes les publications enfantines confirment ces intentions. L’Hebdo, le Monde des Ados s’ouvre sur la rubrique « vous le dites », le courrier des lecteurs. Mon Quotidien publie en page 3 les photos des rédacteurs en chef d’un jour à qui l’on a demandé de réagir sur un sujet d’actualité : « Crois-tu que tu reconnaîtrais Estelle si tu la voyais dans la rue ? »152 Dans le JDE, ce sont les dossiers en pages centrales qui sont toujours agrémentés d’avis de lecteurs. Accompagnant un article sur le ski, un micro-trottoir fait le point sur les connaissances des enfants en matière de sécurité. D’après Kévin, 10 ans : « Si on skie avec un adulte sur une piste de ski, c’est toujours l’enfant qui est prioritaire parce que l’adulte doit faire attention à l’enfant. »153 Le journaliste part donc de ces idées reçues pour construire une réponse et donner à ses jeunes lecteurs les renseignements adéquats. Ce faisant, il ne s’écarte pas de leurs préoccupations et les implique dans la construction de l’information. De la même manière, François Barré accueille les spectateurs d’A toi l’Actu@ par un enthousiaste : « Bienvenue dans VOTRE journal ! »154. Pendant l’émission, la présence enfantine est symbolisée par Stud, élément virtuel candide, qui ne comprend pas forcément tout ce qui est dit et interrompt les présentateurs quand leurs explications ne sont pas claires. Ce sont évidemment les journalistes eux-mêmes qui 152

Mon Quotidien, édition du 8 février 2003 Le Journal des Enfants, édition du 13 Février 2003 154 A toi l’Actu@, émission du 13 septembre 2001 153

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écrivent le contenu des échanges avec Stud. Les enfants ne poseraient peut-être pas exactement les mêmes questions, mais ils sont en tous cas représentés sur le plateau. Un an plus tard, Mon Kanar reste dans la même veine. « Bienvenue chez vous ! » salue François Pécheux dés la première émission et il invite immédiatement son public à participer : « vos idées à vous vont nourrir cette petite tranche TV »155. « La pierre angulaire du projet, explique-t-il, c’était : on fait un journal, mais votre info, faites-la vous-mêmes, la télé faites-la vous-mêmes. Donc appelez-nous, contactez-nous, soyez pertinents, malins, curieux ».156 Outre les reportages confiés directement aux enfants ou les témoignages et le traitement de l’actualité selon un angle qui les intéressera 157, la presse enfantine accorde également une grande place aux forums. Elle se fait espace d’expression et d’échanges, où l’adulte joue parfois le rôle du médiateur. Dans les dernières pages de L’Hebdo, le Monde des ados, Marie-Elizabeth Lafaille organise un débat autour de la lettre d’un lecteur ou d’une lectrice. « Mes parents ne veulent pas m’acheter des marques », se plaint Léa 12 ans, originaire de la Sarthe. « Donnez-moi des idées pour arriver à les convaincre. –

Profite des soldes, recommande Isabelle 13 ans.

Moi, j’en paye la moitié, témoigne Aymard 11 ans.

C’est un piège, avertit Lara 14 ans. Les marques, ça ne veut rien dire, ce n’est pas ça qui te donnera une personnalité ni une reconnaissance. »

L’adulte, dans ce cas précis, met les choses en perspective : « Te sens-tu moins intéressante que d’autres ? As-tu peur d’être sur la touche par rapport à tes copines ? » et donne son avis : « Limite ton choix côté marques à une deux ou trois choses qui te tentent vraiment ; pour le reste s’habiller sympa sans se ruiner, c’est aussi très tendance et si tu y vois plus clair, tu sauras aussi dire non quand il le faut ».158 Et comme dans toute bonne publication qui se respecte, on retrouve, dans la presse pour enfants, les petites annonces. « Chers amis, nous nous appelons Natia et Irène . nous habitons la Russie et à l’école nous apprenons le français. Nous avons 155

Mon Kanar, émission du 9 septembre 2002 Entretien du 14 avril 2003 157 Ibid, p.40 158 L’Hebdo-le Monde des Ados, édition du 28 mai 2003 156

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11 et 12 ans, nous aimons la danse et la broderie et voudrions avoir des amis en France pour correspondre. »159 Chaque semaine ou quotidiennement, les petits lecteurs savent exactement retrouver leurs rubriques préférées, l’actualité ponctue leur journée, le rendez-vous est pris.

III.2.3 Rendez vous avec l’information Une dernier élément est indispensable à l’intégration de l’information dans l’univers des enfants, c’est sa présence régulière sur le long terme. De la même manière que tout apprentissage se fait par la répétition et la stimulation quotidienne de l’intellect, l’intérêt pour l’actualité nécessite d’être éveillé fréquemment, l’appétit de découverte doit être nourri le plus souvent possible, sans quoi il risque de s’atténuer progressivement. C’est ce qui fait le succès des quatre journaux du groupe Playbac. En jouant la carte du quotidien, ils ont mobilisé un lectorat que le rythme mensuel ou hebdomadaire ne satisfaisait pas. Ouvrir un journal est alors devenu un geste presque automatique, une des différentes étapes qui rythment la journée d’un enfant. Car les enfants ont besoin de repères précis. Ils savent que tous les jours ils iront à l’école à 8h30, que la récréation sonnera à 10h, qu’ils déjeuneront à 12h15, qu’ils finiront par rentrer chez eux à 16h30 et qu’en allumant le poste de télévision, ils retrouveront leurs programmes favoris. En toute logique, il est impossible de fidéliser quelque spectateur que ce soit à une émission dont l’horaire de programmation n’est pas fixe. C’est d’ailleurs le problème auquel l’équipe d’A toi l’Actu@ fut confrontée durant les premiers mois de diffusion ; déplacé sans arrêt, le journal n’arrivait pas à voir décoller son audience. Mais la stabilisation de l’horaire ne suffit pas forcément, surtout à l’heure du goûter où la concurrence est sévère. Après une journée d’école, il est plus tentant de s’abrutir devant les séries américaines que d’entreprendre la démarche d’apprendre encore.

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Le Journal des Enfants, édition du 6 février 2003

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« 17h : direction M6 et M comme Musique. 17h25 : les inconditionnels de Beverly Hills se ruent sur la Une. 18h15 : on prend Le Groupe en marche sur France 2. 18h30 : on enchaîne sur Friends. 18h55 : un p’tit coup de télécommande et retour sur Le Bigdil de la Une… »160 « Il aurait fallu un horaire un peu différent », conclut Peggy Olmi, qui a eu bien du mal à faire le poids face à Kelly, Brandon et autres icônes des sitcoms américaines. « Et le format de 10 minutes était instauré, par rapport aux autres émissions en Europe et à la capacité prétendue de concentration des enfants, mais je pense qu’il nous aurait plutôt fallu 20 minutes. »161 « Pour qu’une émission comme celle-là marche, il faut lui donner le temps pour s’installer, il faut qu’elle devienne un rendez-vous », complète Pierre Thivolet au sujet de Dis-moi tout. « Cela reste compliqué sur un format hebdomadaire et sur un ou deux mois, on a pas suffisamment de temps. Des émissions comme Capital par exemple, ou E=M6, n’ont pas produit d’effets en termes d’audience en deux mois. Il nous aurait fallu plus de temps, un an au moins ». 162 L’information pour les enfants doit donc être une parfaite combinaison entre proximité et crédibilité ; suffisamment imprégnée de l’univers de son lectorat ou de son public pour que ces derniers puissent se l’approprier, elle doit surtout éviter l’écueil du jeunisme et réussir à fidéliser son public. Mais elle possède un atout majeur : sa mise en forme. Contrairement à l’information destinées aux adultes, elle bénéficie d’une grande liberté de présentation.

160

Arnaud Schwartz, « Koi de 9 : Touche pas à ma série ! », p.4, Okapi, édition du 1er Octobre 2001 Entretien du 23 avril 2003 162 Entretien du 4 avril 2003 161

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III.3 Une information ludique Sur le papier, couleurs, bandes dessinées et déconstruction des règles traditionnelles de mise en page ; à l’écran, musique, effets spéciaux et images insolites : tous les moyens sont bons pour donner ‘bonne mine’ à l’information. III.3.1 Une touche de couleur dans un monde d’austérité Pas la peine d’être un expert en communication pour comprendre que la presse enfantine, à l’image de son public, se construit en opposition à ses aînées. Elle est aussi bigarrée que les quotidiens nationaux sont austères ; elle emploie des polices aussi variées que l’écriture des grands journaux est homogène. Les couvertures, celles des magazines notamment, rivalisent de couleurs vives et attrayantes : L’Hebdo, Le Monde des Ados nouvelle formule et Okapi ont opté pour le un minimum d’écrit, laissant place à l’image, photo ou bande dessinée. A la manière de Libération, pour le JDE une seule photo agrémentée d’un gros titre en couleur suffit souvent à composer la une, particulièrement lorsqu’elle illustre un sujet grave comme l’explosion de la navette Columbia ou l’entrée des GI’s dans Bagdad. Elle est parfois complétée par d’autres petites photos en appel de une, mais les différentes entrées sur la page sont limitées au nombre de quatre. La une de Mon Quotidien est beaucoup plus dense : pas moins de six entrées différentes, avec photos, dessins, couleurs et polices distinctes. Tout le journal est d’ailleurs construit selon la même logique, les formats des articles sont variés mais toujours relativement courts, pour permettre aux petits lecteurs d’entrer dans la lecture par différentes portes : brèves, petits articles, phrase ou chiffre du jour. « Il leur faut des formats, que ce soit écrit ou visuel, faits de petits pavés, en même temps, ça gêne l’ordonnancement de la pensée, nuance pourtant Edwige Antier. Il faut quand même toujours replacer ces morceaux dans une logique de raisonnement, une guerre, ça a des causes, des faits et des conséquences. »163

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Entretien du 12 juin 2003

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D’où la nécessité d’être clair dans la composition de la maquette. « Toutes nos pages sont indépendantes, décrit Markus Harling, mais ce qui est important c’est que leur statut saute aux yeux quand on ouvre une page. »164 Pour remettre de l’ordre, Mon Quotidien a choisi de faire apparaître très clairement, c’est-à-dire en couleurs, les termes importants des titres ou les mots-clés du glossaire. L’important, c’est de trouver « un moyen de les faire rentrer dans l’actualité vite et pas trop longtemps, résume Odile Amblard, rédactrice en chef adjointe d’Okapi. Cela exige un travail de mise en page, d’où l’importance de la photo qui doit établir le contact, le regard ». Okapi s’ouvre donc sur la rubrique « ça commence très fort ! », soit une grande photo, généralement insolite. Le Journal des Enfants, on a vite compris que « l’image permet de savoir tout de suite. L’écrit permet d’approfondir. Mais pour cela, il faut avoir le plaisir de lire. Et quoi de plus vivant que l’information pour déclencher chez l’enfant cette envie de lire qui va d’abord répondre à son besoin de curiosité. »165 Mais sans un minimum de fantaisie, « les enfants les ados, n’auraient pas envie de lire », rectifie Markus Harling, directeur artistique du magazine. « ils sont attirés par ce qui est facile, simple, direct, par l’image de toutes façons. D’où l’importance des interpellations visuelles en permanence : par la signalétique et le ton, mais aussi les photos et les illustrations. » 166 « L’illustration est au cœur de la communication avec l’enfant. Ils sont d’abord fascinés par les dessins, ils n’entrent dans les textes qu’après. (…) Le rôle des dessinateurs est essentiel. Et comme les secrétaires de rédaction et les maquettistes, ils ont aussi leur mot à dire sur les textes. Un travail très professionnel où chaque mot et chaque dessin doivent être pesés et soupesés en fonction de la maquette et d’une ‘certaine idée’ qu’on se fait de l’actualité susceptible d’intéresser les enfants. C’est cette symbiose dessin/texte qui fait l’attrait de tels produits de presse. »167

164

Entretien du 28 janvier 2002 Béatrice d’IRUBE, op.cit, p.173 166 Entretiens du 28 janvier 2002 167 Cf. Philippe LEBELLEC, op.cit., p.178 165

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Chaque publication compte donc son illustrateur attitré : Manu dans Okapi, Charb ou Florence Cestac dans l’Hebdo-Le Monde des Ados, Berth dans Mon Quotidien… Sans oublier les traditionnelles bandes dessinées. Indissociables d’une parution, elles contribuent à affirmer son identité et sont surtout très attendues par les jeunes lecteurs. « J’adore cette bande dessinée ! » s’exclame Esther, 8 ans, inconditionnelle de Scoupe et Tourbillon, en dernière page du Petit Quotidien168. Pour Igor, même âge, « Il y a trop d’écriture dans Mon Quotidien, je mettrais un petit plus de B.D. 169» Du coup, même les articles les plus sérieux sur les combats de rue à Bagdad ou le manque d’eau potable en Irak peuvent être illustrés par les personnages de bandedessinée mascottes de Mon Quotidien.

III.3.2 Une info en 3D La liberté de ton des médias pour enfants leur permet donc une liberté de forme. Ils se jouent des canons classiques de présentation de l’information pour la rendre plus attractive. Le concept de Mon Kanar, par exemple, « c’est un cadre strict, un homme tronc, une chemise noire, définit son créateur François Pécheux. Et dans ce cadre, il me paraissait intéressant de mettre un peu de fantaisie. 170» Le journal est donc filmé à quatre caméras, dont une ‘paluche’ – minuscule caméra qui donne l’impression d’être à l’intérieur d’un oeil – placée derrière un écran plasma sur lequel le présentateur vient coller différents documents : mails d’enfants, photos ou livres171. Le montage de l’émission est très rythmé, alternant rapidement les différents angles de prise de vue en plateau. Sa cadence est maintenue par la diversité des moyens, donc d’images, mis en oeuvre pour la réalisation des reportages, et par de nombreuses virgules musicales ponctuant le passage à chaque nouvelle rubrique. D’autre part, le tournage en numérique, marque de fabrication de la maison de production 2P2L – qui produit Mon Kanar – donne à l’ensemble une enveloppe très dynamique. 168

Entretien du 6 juin 2003 Entretien du 12 juin 2003 170 Entretien du 14 avril 2003 171 Voir captures 9 et 10, annexe 2, p.XIII 169

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Car les enfants ne tiennent pas en place, ils zappent. L’information qui les concerne doit donc se calquer sur leur mode de vie. L’émission Dis-moi Tout, que ces producteurs voulaient plus explicative que réactive, n’a pas su canaliser cette énergie. « Les plateaux trop statiques étaient enregistrés, compliqués à faire, reconnaît Pierre Thivolet. On les voulait un peu scénarisés avec un décor virtuel, en 3D, etc. mais la formule manquait de souplesse et de spontanéité »172. Il s’agissait pourtant de bonnes intentions, car l’« utilisation du 3D et des animations permettent de rendre une démonstration plus ludique, expliquait à l’époque Nicolas Godzahl, un des initiateurs du projet. Ces techniques correspondent à l’univers dans lequel vivent les

jeunes. Et puis, bien utilisées,

elles

sont de remarquables

outils

pédagogiques.173 » En 2000, l’équipe d’A toi l’Actu@ s’est également lancée dans cette voie. « On nous avait donné carte blanche pour le décor, se rappelle Peggy Olmi. Il fallait essayer de rendre l’actualité ludique dans la forme, avec un plateau coloré, des dessins…»174 Un plateau entièrement virtuel aux couleurs vives – filmé sur fond bleu – servait donc de décor au journal175. Les interventions de Stud mais aussi celle du "correspondant" Jean-François, en direct d’une école ou de la semaine du cheval, cadençaient les émissions. Tous les mercredis, cet "envoyé spécial" laissait les rênes de son reportage à un enfant ; l’occasion de montrer les coulisses d’une interview et, en faisant participer le caméraman, de dévoiler l’envers du décor télévisuel. Concept systématisé par Mon Kanar dès la rentrée 2002176. Mais Maguy Chailley nuance cette tendance à emballer l’actualité dans une pochette surprise. Elle rendrait difficile la prise d’information par les enfants. « C’est là que réside tout le paradoxe : pour capter l’attention des enfants, ces programmes s’efforcent d’être récréatifs, de forme un peu ludique, fictionnelle, et les enfants risquent de ne retenir que cet aspect-là. 177»

172

Entretien du 4 avril 2003 Source : Orianne Charpentier, « L’info en taille enfant», Télérama, n°2441, 23 octobre 1996 174 Entretien du 23 avril 2003 175 Voir capture 6, annexe 2, p. XII 176 Voir captures 11 et 12, annexe 2, p. XIII 177 Entretien du 11 avril 2003 173

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III.3.2 La cour de récré comme référence N’oubliant pas que leur public évolue dans le monde scolaire, les médias pour enfants y font constamment référence. Les colonnes de brèves sont donc traitées sous forme de distribution de bons points et mauvaises notes. En page 4 de Mon Quotidien, on sanctionne d’un 0/20 un chirurgien et deux infirmières qui avaient oublié un pansement dans le ventre d’une jeune fille après une opération ; mais on gratifie la ville de St Maur-des-Fossés d’un 20/20 pour son financement, pendant trois ans, de la scolarité de cent enfants orphelins du Joola, le bateau qui avait coulé au large de la Gambie178. Le même principe est appliqué à la rubrique « Bouge ta tête » d’Okapi : trois lecteurs sont amenés à noter et commenter le nouvel album de Jamiroquai ou la dernière grosse production de Luc Besson. Dans Mon Kanar, ce sont les « Coups de Bek/coups de Koeur » qui mettent en évidence les bonnes ou mauvaises initiatives. On montre du doigt la mauvaise gestion, par le gouvernement chinois, de l’épidémie de pneumopathie atypique mais on glorifie deux jeunes garçons ayant sauvé une petite fille tombée d’un balcon. Dans le JDE, les « repères » - chronologie du conflit en Irak ou de l’ascension de l’Everest par exemple – sont imprimés sur fond de feuille quadrillée, comme si elle correspondait à une page de cahier d’écolier179. Mais la cour d’école, c’est aussi un univers propre et un langage qui lui correspond. Si les journalistes pour enfants ne se risquent pas à traiter des sujets graves sur le ton du copinage, ils y glissent parfois des références bien précises. Ainsi cet article d’Okapi sur les robots chirurgiens, intitulé « Urgences version Robocop », renvoie à l’une des séries-cultes de la génération 12-25 ans et à un film dont le titre est si connu qu’il est presque devenu un terme générique. Seuls les éditorialistes ou les chroniqueurs se permettent une certaine liberté de ton tout en parlant la langue de leur lecteurs et en multipliant les références à leur univers, comme le fait Arnaud Schwartz, dans sa chronique « Koi de 9 », dans les premières pages d’Okapi : « (ndlr : à propos des transports du mercredi après-midi) entre la petite sœur qui a danse de 14 à 16, le petit dernier qui va au goûter d’anniv’ 178 179

Mon Quotidien, édition du 16 mai 2003 ; voir annexes 1 Voir annexe 1, p. IX

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de son meilleur copain ("et deux bouteilles de Champomy, deux !") et le frère aîné qui a foot de 15 à 17 et qui aimerait se remettre de l’effort avec un ciné-MacDo’, les parents crient grâce et la voiture rend l’âme. C’est là que l’ado futé en profite pour faire valoir qu’il peut tout de même aussi, parfois, allez* seul à ses rancards. Ce qui a aussi le mérite de lui éviter l’humiliation du "Et mon bisou, mon petit chéri !" assassin devant les copains ».180 Les tournures de phrases, les contractions et les préoccupations sont tout à fait celles des 10-14 ans. Les fautes d’orthographes*, authentiques, sont-elles également dues à cet effort de proximité ?

180

Arnaud Schwartz, « Koi de 9 : ça roule cooool ! », p.4, Okapi, édition du 15 novembre 2001

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CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE

Finalement soumise, comme la presse pour adultes, à l’exigence de son lectorat, la presse pour enfants est constamment sur la corde raide : elle doit fournir un concentré d’actualités simple sans être simpliste, découpé sans être haché menu, en vitesse mais sans précipitation. Le journal d’informations pour les enfants est une fois de plus à l’image de son public : petit mais costaud ! Il doit aller droit au but, tout en ne simplifiant pas à l’excès. Sa forme, explosive et bariolée ne doit pas détourner les petits lecteursspectateurs d’un fond riche et documenté. Le ton des médias pour jeunes est donc capital, il va accrocher un public, le faire réagir. Mais il est particulièrement difficile à trouver. Quoi de plus paradoxal en effet que de faire fabriquer l’info des enfants par des adultes ? l’adulte ne pourra jamais que « se mettre à la place » de l’enfant mais jamais tout à fait « dans sa peau ». Il est pourtant le vecteur nécessaire, garant d’une autorité qui légitime l’information et lui donne sa crédibilité. Ni bêtifiant, ni édifiant, il lui reste alors à trouver la bonne distance. Les enfants détestent qu’on leur parle comme à des bébés mais ils veulent comprendre pour prendre part au jeu de l’information. Car participer est le mot-clé. Pour s’intéresser et se sentir concerné, le petit lecteur doit d’abord pouvoir s’identifier, se reconnaître dans l’information qu’on lui présente. C’est le seul moyen qui le fera entrer dans l’actualité, qui lui permettra de se l’approprier.

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CONCLUSION

« Lire, communiquer, participer, voilà ce qu’apporte un journal écrit adapté aux enfants, tout en leur permettant de mieux comprendre le monde dans lequel ils sont plongés ».181 Pour les aider à appréhender ce monde, le journaliste pour enfants convertit donc les mots des adultes en un langage plus approprié au jeune public. Mais un langage au sens très large du terme ; il digère l’information et la régurgite sous une forme simplifiée et explicitée. C’est le seul moyen d’en garantir la transmission et la mémorisation, puisque les journalistes de la presse jeunesse assument la vocation pédagogique de leur travail. Cette volonté de se mettre à la portée de sa cible contamine peu à peu les médias adultes. Le talk-show « C’dans l’air », animé quotidiennement par Yves Calvi sur France 5 est un bon exemple de vulgarisation et de décryptage de l’actualité à destination d’un public supposé informé. Dans sa nouvelle formule, l’émission invite d’ailleurs les téléspectateurs à interroger les différents intervenants par SMS. Dans un élan de retour aux sources, la notion d’interactivité, si chère aux médias pour enfants infiltre donc les supports aînés. L’ampleur des courriers de lecteurs et la multiplication des "médiateurs" au sein de la plupart des organes de presse confirment cette tendance. Mais dans tous ces cas, l’écoute et le dialogue avec 181

Béatrice d’Irube, op.cit.

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le public restent postérieurs au travail des journalistes. Au contraire, dans les médias pour enfants, cette même écoute et ce même dialogue conditionnent leur action. Il s’agit en effet d’une remise en cause a priori et d’un réel échange avec leur lectorat ou l’audience, avec lesquels ils sont en relation permanente. En les sollicitant directement, ils répondent parfaitement à leurs attentes. Mais satisfaire si exactement les envies de son public fait-il des médias pour enfants un modèle à suivre ? Au contraire, en ne donnant à lire ou à voir que ce qui leur est demandé, ne sont-ils pas en train d’atteindre une sorte de comble du marketing? Il est vrai que le public jeune représente une cible très séduisante : avec 155 millions d’euros via l’argent de poche, les enfants et les adolescents sont de gros consommateurs de magazines. Et la presse pour enfants comme tous les médias en général, est tenue par des impératifs financiers ; la survie des différents supports, écrits ou audiovisuels, dépend donc de leur diffusion ou de leur audience, c’est-à-dire de leur succès. Ils sont donc soumis aux caprices d’un public d’autant plus versatile qu’il est jeune et segmenté. « On change très vite entre 8 et 18 ans, confirme Pierre Thivolet, ancien rédacteur en chef de l’émission Dis-moi tout, beaucoup plus qu’entre 18 et 38. La connaissance de l’info, le goût, l’intérêt pour l’info, etc, se modifient très vite ; il est donc très difficile de dire ce qu’on va faire, le marché est très segmenté. »182 Très vite lassé, en évolution constante, les enfants passent plus vite d’une tranche d’âge à une autre qu’il ne faut de temps pour installer une émission qui les concerne. Ils constituent donc public très difficile à cibler et à fidéliser. D’autre part, la presse jeunesse connaît des difficultés spécifiques : le coût engendré par la qualité du papier, des illustrations, de la mise en page et du budget promotionnel que ne compensent pas les recettes publicitaires, beaucoup trop faibles. Rester à flot, pour n’importe quel organe de presse, comme l’explique Patrick Rambaud, implique donc souvent la soumission aux attentes de son public : « l’un

182

Pierre THIVOLET, entretien du 4 avril 2003

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des principes du journalisme moderne, c’est de ne heurter personne pour conquérir le maximum de lecteurs. »183 Mais l’attitude des médias pour enfants correspond-elle uniquement à la volonté de s’engouffrer dans une niche marketing prometteuse ? ou peut-elle être également justifiée par la simple composition et donc la réactivité de son public ? En effet, pour ménager la sensibilité des enfants, l’actualité doit être passée au filtre émotionnel. Il n’est d’ailleurs pas rare que l’info n’arrive jamais jusqu’à eux, leurs parents jouant déjà le rôle de gendarmes. C’est le cas de Jean-Luc, père d’Esther, 8 ans : « Je ne crois pas forcément très utile de leur faire prendre conscience de la réalité. Il y a des choses qu’il faut préserver chez l’enfant et des problématiques dont l’adulte a déjà du mal à se défaire. »184 « La réaction des parents et des pédagogues n’est pas toujours favorable, confirme Suzanne Müller, rédactrice en chef de Logo, le journal télévisé de la ZDF pour les enfants. Leur crainte, c’est que les enfants ne parviennent pas à digérer cette connaissance des réalités. Ils voudraient leur épargner le contact avec ce qui est pénible, laid, etc. ils voudraient, naturellement, les protéger ! Mais, depuis longtemps, la réalité du monde de l’enfance va bien au-delà de la conception idéale, intacte. »185 Outre leur sensibilité, leur rapport à la lecture et leur difficulté à se concentrer font que les enfants ne vont pas spontanément vers la presse d’information, il faut les y amener. D’où le parti-pris d’écrire court et clair. Le succès des gratuits tels que Métro ou 20 Minutes, agrégés de dépêches AFP, ou encore le 6 Minutes de M6, prouvent que cette tendance se retrouve dans les supports pour adultes. Point commun de ces supports en vogue : des articles et des reportages brefs, concis et abondamment illustrés. Pour intéresser les enfants à l’actualité, les médias d’information qui leur sont destinés ont tendance à privilégier les sujets magazines, un peu en périphérie de 183

Michel-Antoine BURNIER et Patrick RAMBAUD, Le journalisme sans peine, Plon, 1997. Entretien du 6 juin 2003 185 Suzanne MÜLLER, « Logo, le journal télévisé de la ZDF pour les enfants », in Dossier de l’Audiovisuel “ Les services jeunesse à la télévision : quel avenir en Europe ? ” n ° 46, 1992 184

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l’actualité dite "chaude". Mais ce phénomène tient également au fait que les rédactions de journaux pour enfants ne sont pas intégrés aux grandes rédactions nationales. En presse écrite, les moyens ne sont pas toujours suffisants pour envoyer des reporters sur le terrain, particulièrement à l’étranger. De même, en télévision, les petits journaux sont souvent fabriqués en externe par des boîtes de production. Les images, matières premières des reportages, s’avèrent donc trop coûteuses : de fait, leur accès est limité. Dans d’autres pays d’Europe, comme les Pays-Bas, ce problème ne se pose pas : « Il n’y aurait pas de journal de la jeunesse dans notre pays si nous n’étions pas alliés au sens large avec le programme principal des actualités télévisées, estime Gérard Dielessen, journaliste à Jeugdjournaal, le JT pour enfants hollandais. C’est ainsi que nous disposons ensemble d’un seul service de production. Et le Jeugdjournaal a toujours quelqu’un (en général le rédacteur en chef) pour le représenter à toutes les grandes conférences de rédaction, notamment à la première de la matinée, puis à celles de la coordination et de la production .»186 Proximité, simplicité, attractivité : ces trois tendances identifiées dans la presse enfantine s’appliquent, on l’a vu, de plus en plus aux médias adultes. La popularité de la presse quotidienne régionale au détriment de la presse nationale est symptomatique d’un besoin de proximité. Aux grandes analyses qui fleurissent dans les colonnes des journaux parisiens, les lecteurs semblent préférer des témoignages dans lesquels ils peuvent se reconnaître. L’efficacité de l’information -réduite à sa plus simple expression- des journaux gratuits séduit de plus en plus. Enfin, la forme est privilégiée sur le fond : il s’agit plus de satisfaire une cible que de pousser le public à la curiosité. Ce qui est légitime dans la presse pour enfants, qui s’adresse à un lectorat très particulier, ne se justifie pas forcément dans la presse pour adultes : le diktat de l’audimat et des enquêtes-lecteurs transforme les médias en produit, le public en consommateurs potentiels.

186

Gérard Dielessen, « Pourquoi un journal télévisé s’adressant aux enfants ? », in Dossier de l’Audiovisuel “ Les services jeunesse à la télévision : quel avenir en Europe ? ” n ° 46, 1992

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Il y a quarante ans déjà, l’angoisse d’une dérive mercantile des médias taraudait les grands patrons de presse. Gilbert Cesbron, alors directeur des programmes de RTL prévenait : « Il y a deux sortes de journalistes : ceux qui s’intéressent à ce qui intéresse le public ; et ceux qui intéressent le public à ce qui les intéresse – et ce sont les grands. »187

187

Gilbert CESBRON, Le journal sans date II, Robert Laffont, 1967.

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages généraux     

ALLARD (Claude) – L’enfant au siècle des images, Paris, Albin Michel, 2000 CHAILLEY (Maguy) – Jeunes téléspectateurs en maternelle – Paris, Hachette Education CNDP, 1997 CHALVON (Mireille), CORSET (Pierre), SOUCHON (Michel)– L’enfant devant la télévision des années 90, Paris, Casterman, 1991 LURCAT (Liliane) – Le temps prisonnier. Des enfances volées par la télévision – Paris, Desclée de Brouwer, 1995 ROYAL (Ségolène) – Le ras-le-bol des bébés zappeurs – Paris, Laffont, 1991

Articles de périodiques  Médiaspouvoirs, n°25, 1992, « Jeunes et médias »  Dossiers de l’Audiovisuel

Articles et coupures de presse  « L’info en taille enfant », Orianne Charpentier, Télérama n°2441, 23 septembre 1996  « Le JT du goûter », Télérama, 6 septembre 2000  « Ecrans violents, stress des enfants », Télérama, 1er novembre 2000  « La presse jeunesse se veut proche de la réalité de la guerre », Bénédicte Mathieu, Le Monde, 2 avril 2003  « L’éducation aux images télévisées affiche de lourdes faiblesses », Macha Séry, Le Monde, 2 avril 2003  « Enfants sous le feu de l’actu », Sophie Carquain, Madame figaro, avril 2003

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Sites internet :  Site internet des TICE (Technologies de l’information et de la Communication pour l’Education), ministère de la jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche : http://www.educnet.education.fr.dossier/usa/pedago.htm  Site internet du Journal des Enfants : www.jde.fr  Site internet de Mon Quotidien : http://www.playbacpresse.com/journaux/mq/index.html

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RÉSUMÉ Les bébés-zappeurs sont confrontés dès leur plus jeune âge à des informations et des images choquantes, dont ils ne peuvent saisir les tenants et la aboutissants faute de posséder les clés nécessaires. Paroxysme de l’intrusion de cette violence dans leur quotidien : le 11 septembre 2001, à l’heure du goûter et en lieu et place de leurs dessins-animés et séries préférées, de nombreux enfants ont été soumis aux images diffusées en boucle de l’effondrement des tours du World Trade Center. Tous les événements tragiques qui ponctuent l’actualité justifient-ils l’élaboration d’une information spécialement destinée aux enfants ? Dès l’école primaire, ils expriment une soif de comprendre le monde qui les entoure. Mais « l’information des adultes ne tient aucun compte de la psychologie enfantine, constate le psychanalyste Claude Allard. Devant l’écran, ils captent au hasard une bribe d’info, sans que personne ne leur explique le pourquoi du comment »188. Leur compréhension de l’information est soit parcellaire, soit confuse, d’où la nécessité de supports adaptés à leurs besoins. Depuis quelques années, de nombreuses publications et émissions de télévision ont tenté de répondre à cette soif supposée d’information. Notre problématique consiste donc, par l’analyse de ces différents supports, à nous demander si le journaliste pour enfants exerce pour autant le même métier que le journaliste «classique» : est-il confronté aux mêmes dérives ? Ou incarne-t-il au contraire un modèle de précision et de clarté, attentif aux attentes de son lectorat ou de son public ?

188

Cf. Sophie Carquain, op.cit.

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