Le balcon de Lisa Mireya Viacava-Raab / Alejandra Viacava
Lisa habitait avec sa famille sous les toits du « Grand Musée » de la ville. Elle avait une jolie chambre pour elle toute seule : spacieuse, lumineuse, orientée plein sud. Et elle avait un balcon ! Quel luxe ! Celui-ci donnait juste sur la « salle Renaissance ». Eh oui, du grand balcon elle profitait bien de la vue. Au début, bien installée sur sa petite terrasse, elle regardait tout et n’importe quoi. En bas, en haut, à droite, à gauche. Lisa reconnaissait de loin les habitués du musée, les touristes, les amateurs, les professionnels, bien sûr, elle voyait tout mais un peu flou parce que son balcon était vraiment très très haut. Un après-midi, alors que Lisa dessinait sur son balcon, son papa rentra en criant : -Regarde Lisa ! j’ai un cadeau pour toi ! dit–il en lui montrant de loin un objet non identifié qui ressemblait à d´énormes lunettes. Son papa s’approcha et avec délicatesse posa les jumelles sur les petits yeux verts de Lisa…et là, magiquement, la petite souris Lisa découvrit un monde passionnant. Elle voyait tout : le chapeau violet d’une dame, le plan du musée accroché au mur, l’uniforme du gardien, les marches en marbre du grand escalier et surtout, elle découvrait des tableaux! Tous les tableaux : les grands, les petits, les colorés, les sombres, les jolis, les moins jolis… et ça, c’était fantastique ! Lisa ne se fatiguait jamais de regarder au travers de ses jumelles et au fur et à mesure que les jours passaient elle ne rêvait plus que de descendre, de parcourir le « Grand musée », de voir de près tous les tableaux. -Dis papa, un jour on ira en bas ? demanda Lisa.
-Le jour de ton anniversaire, promis, juré. Lui chuchota son papa. Et Lisa attendit ce jour avec impatience.
Et ce jour arriva. C’était un dimanche. Depuis l’aube, le papa de Lisa était prêt à descendre avec elle pour se promener dans la grande salle. Il trépignait d’impatience. -On y va Lisa. Il faut y aller tout de suite avant que le musée n’ouvre ses portes, sinon nous serons bousculés par les visiteurs. Dépêche-toi ! Lisa était déjà prête. Elle avait mis une robe à froufrous et des chaussures vernies, s´était coiffée et lavé les dents. Dans son petit sac d’artiste, Lisa avait rangé ses jumelles pour voir tous les détails, une toile de 5 x 5, une boîte d’aquarelle, des crayons de couleurs et le petit carnet à dessin que lui avait offert sa maman. Bien trop pressés pour prendre les escaliers, ils descendirent à califourchon sur la rampe : 3° étage, 2° étage, 1° étage et rez-de-chaussée enfin ! Ouf ! -Nous voici arrivés, Lisa ! Regarde la salle que tu vois depuis longtemps de ton balcon, annonça papa en bombant le torse, tout fier. Lisa n’en croyait pas ses yeux. La salle était immense et là haut…tout là-haut il y avait son balcon ! Elle mit ses jumelles autour de son cou et regarda. Elle était si émue qu’il y avait de la buée sur les verres des jumelles ; alors, évidemment, elle ne voyait pas encore les tableaux. Mais quand elle agrippa la main de son papa, tout en marchant le long de l’allée centrale comme une reine, tous les tableaux apparurent. Ils étaient gigantesques. Lisa frissonna.
-Tu vois Lisa…celui-ci s’appelle…. commença papa -« Les Noces de Cana – Véronèse » hurla Lisa en ajustant ses jumelles -Et l’autre là-bas c’est…mmm… -« Un jeune ho-mme pré-sen-té par Ve-nus », articula Lisa avec difficulté -De Botticelli ! précisa papa La visite continua. Parfois son papa invitait Lisa à s’approcher un peu pour mieux regarder, parfois à reculer pour apprécier toute la grandeur du tableau comme face au « Couronnement de la Vierge ». Ils marchaient lentement. Lisa s’intéressait à tout. De temps en temps, elle faisait une pause pour dessiner un croquis dans son cahier à dessin. -Regarde Lisa, « La Bataille de San Romano » -Oh, là là! ça fait peur ! Ce sont des rayons de soleil autour du cheval ? -Non, ce sont des lances ! -Je préfère CE tableau ! Allons-y ! dit Lisa en tirant vers elle son papa. La dame à l’air si gentille ! Elle s’appelle comment ? -La « Joconde », de Leonard de Vinci Lisa s’approcha. Elle sautilla devant le tableau pour mieux la voir mais ses pattes de souris étaient bien trop courtes. Elle monta donc sur un banc pour la voir de près. Rien à faire. Alors, son papa la fit monter sur ses épaules et là, Lisa LA VIT. Bien installée sur le dos de papa, elle commença à peindre sa toile de 5 x 5. Lisa peignait plein d’enthousiasme et
lorsqu´elle allait signer sa première toile, le dos de papa commença à trembloter. -Attention papa ! Je vais tomber ! -Vite, descends ! Les portes du Musée s’ouvrent! Il faut partir ! C’est dangereux ! Les visiteurs avec leurs gros souliers, ils vont nous écraser ! Vite! s’affola-t-il, se baissant pour que Lisa saute à terre. Ils gravirent les marches de l’escalier quatre à quatre. Lisa serrait dans ses bras ses jumelles, son cahier, ses crayons quand Badaboum ! Catastrophe ! La toile de Lisa s’envola, tourbillonna, voltigea et disparut aspirée par la cage de l’escalier. -Ma toile ! Ma Joconde ! Je dois aller la chercher ! -Impossible Lisa ! Les visiteurs arrivent…dépêche-toi ! -Mais, c’est ma première toile… elle va être en compote ! Mais papa continuait à monter les marches. Parvenus à la maison, Lisa courut vers le balcon, se pencha : -Ma toile est en bas, là ! Il faut la récupérer ! trépigna Lisa -Sois raisonnable, chérie. Nous n’irons que quand les visiteurs seront partis. Sinon, gare aux gros souliers !
Du haut de son balcon, Lisa, la petite souris, fit la sentinelle. Toute l’après midi elle épia les allées et venues des passants.
Pourvu que dans le musée, en bas, ils n’écrasent pas mon œuvre abandonnée avec leurs galoches, songea-t-elle inquiète. Mais bientôt, fatiguée de faire le guet, Lisa se balança sur sa chaise en osier et s’endormit profondément. Soudain la souris bondit, réveillée par un énorme bruit : -Attention ! Fermeture immédiate du musée ! Grondèrent les haut-parleurs. Soucieuse, à travers les jumelles, Lisa examina la salle. -Ma toile !!! Ma…ma toile n’est plus là! hurla la souris, toute troublée. -Mais ma chérie, tu en feras une autre, plus belle encore… répondit maman -Non ! Jamais comme celle-là!!! C’était mon premier grand tableau …Je ne pourrai JAMAIS le refaire… dit Lisa en sanglotant. Et le lendemain et les autres jours, Lisa, de son balcon, espérait toujours voir réapparaître sa toile. Longtemps après, Lisa, toujours sur son balcon, vit entrer dans la grande salle du musée une jolie fille, très élégante, avec une épaisse chevelure rousse et des chaussures à talons assortis. Derrière elle, un monsieur costaud portait quelque chose à la main. Curieuse, Lisa prit ses jumelles: -Mais si c’est mon tableau!!! C’est MON tableau !!! Héééééééé !!! Coucou! Ici, là-haut ! C’est à moi! MON TABLEAU ! cria Lisa. Mais personne n’entendit. Alors, elle jeta des miettes de pain. Mais personne ne les sentit. -Papa ! Maman ! Ils emportent mon tableau! Vite ! Il faut descendre ! couina Lisa -Mais chérie, le musée va ouvrir, il est trop tard…
Blottie contre la fourrure grise de sa maman, les larmes aux yeux, Lisa les regarda partir. Désespérée, elle colla sa petite truffe rose contre les barreaux du balcon. Sa maman observait, inquiète, à travers les jumelles, quand elle laissa soudain s’échapper un cri strident : -ça alors ! Tu ne vas pas croire ce que je vois, Lisa !!! -Quoi ? Quoi ? s’impatienta Lisa en tirant la corde des jumelles pour les arracher à sa mère. -C’est…c’est ton…ton tableau ! TON tableau accroché au mur ! Dans la salle, il est à côté de la dame, celle que tu aimes bien, celle qui sourit tout le temps… -La Joconde ???? cria papa. Mais c’est impossible ! Laisse-moi voir !
Muette de bonheur, Lisa ne bougeait plus. Très ému, son papa la serra dans ses bras. Tous les trois descendirent les escaliers plus vite que jamais, même si c’était noir, mais noir de monde ! Ils se faufilèrent parmi tous les grands pieds humains et s’installèrent sur un banc, face à La Joconde. De là, ils voyaient bien la toile de Lisa. Elle était splendide, accrochée au mur ! Devant, la fille aux cheveux roux expliquait au public : Mystérieusement, cette toile miniature a été trouvée au bord de l’escalier central. Elle n’a pas de titre ni de date mais étant donné son admirable technique, sa beauté et son originalité, la direction du musée a décidé de l’exposer parmi les toiles de maîtres. Le Musée a décidé de l’appeler « Le sourire de Lisa », parce que la seule indication qu’on ait sur cette œuvre est le nom de son auteur : LISA.
A l’ombre du banc, Lisa, bercée par les applaudissements du public, souriait fièrement devant SA PREMIERE GRANDE TOILE.