M E N S U E L G R AT U I T - PA R I SJ I S U N G - PA R I S - S E P T E M B R E 2 0 1 9 - v o l . 8 9 6 PARISJISUNG ÉVOLUE ET LANCE SON EDITION EN FRANÇAIS.
Découvrez tous les mois, des nouvelles, des portraits, des points de vue et nos chroniques qui s’adressent à la communauté coréenne en France et aux amoureux de la Corée.
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Températures géométriques 1
Températures géométriques 1 YUN Aiyoung, LEE Hyo Sung, KIM Sun Mi et JIN Hyo Seok
| Commissaire de l’exposition : SIM Eunlog |
Le Coutances Art Center a ouvert ses portes le 25 mai 2019, le jour même où débutait le festival « Jazz sous les pommiers », l’un des plus importants événements culturels de Normandie. Afin de célébrer l’ouverture du Coutances Art Center, une exposition inaugurale intitulée « Art sous les Arbres » a été organisée du 25 mai au 25 juillet 2019 et a présenté les travaux de cinq artistes sud-coréens, à savoir Mme BANG Hai Ja, M. KWUN Sun Cheol, M. LEE Bae, M. SON Seock et Mme TCHINE Yu Yeung. Pour cette seconde exposition intitulée « Températures géométriques 1 »1), le Coutances Art Center a invité quatre artistes, Mme YUN Aiyoung, M. LEE Hyo Sung, Mme KIM Sun Mi, M. JIN Hyo Seok .2) « Le soleil tape tellement fort que j’ai l’impression que ma peau est en train de brûler. » « À Noël dernier, il faisait tellement chaud qu’il n’a même pas neigé. C’était un temps de Pâques… » « À cause du dérèglement climatique, ce genre de vacances pourraient bientôt disparaître. » Ces dialogues ordinaires entre vacanciers que l’on peut entendre sur une plage ont été mis en scène sous la forme d’un opéra, parfois chanté en solo, en duo ou en chœur. Cette performance « Sun & Sea » est présentée dans le Pavillon de la Lituanie, lauréat du Lion d’Or des pavillons de la 58ème Biennale internationale d’art de Venise. Au rez-de-chaussée, est aménagée une plage de sable, avec des parasols, des transats et des ballons gonflables, afin de recréer une ambiance balnéaire, tandis qu’au 1er étage, le public peut assister à une performance. Une vingtaine d’acteurs se relaient durant toute la journée pour jouer des vacanciers profitant de la plage, prenant un bain de soleil en maillot de bain, tripotant leur Smartphone ou parcourant un livre. Quelques vacanciers promènent leur chien, discutent de tout, de soucis insignifiants et quotidiens, jusqu’à cette inquiétude grandissante générée par le dérèglement climatique de notre planète. Cette performance expose à travers des scènes de notre vie quotidienne cette catastrophe
1) Le terme « température » se révélant être un mot-clef essentiel pour notre société contemporaine, nous avons décidé d’organiser désor-
mais et régulièrement des expositions dont les thèmes joueront sur différents aspects de la « température », par exemple, une température figurative ou une température abstraite quelque peu brûlante, etc. 2) Les artistes invités sont présentés selon un ordre alphabétique inversé.
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climatique et écologique qui s’annonce, ce qui permet d’aborder plus directement et plus concrètement avec le public ce thème si grave. Le directeur artistique de la Biennale de Venise, Ralph Rugoff, qui est également directeur de la Hayward Gallery de Londres, a proposé comme thème pour cette année « May You Live in Interesting Times » (« Puissiez-vous vivre à une époque intéressante »). Ralph Rugoff justifie ce choix en expliquant que si l’art ne peut ni empêcher l’émergence d’un nationalisme ou l’instauration d’un gouvernement autoritaire, ni apporter de l’aide aux réfugiés, il peut néanmoins proposer des consignes pour nous permettre de mieux appréhender cette époque troublée. De nombreux artistes participant aux expositions des pavillons des pays invités et à celles du Pavillon central considèrent la question climatique comme l’un des problèmes essentiels auxquels doit faire face « notre époque intéressante ». De plus, si l’on se rappelle simplement que la ville de Paris a connu cet été une canicule record sans précédent (la température atteignant 42,4° le 25 juillet), la performance du Pavillon de la Lituanie nous paraît plus tangible. Alors que j’étais en Corée du Sud il y a quelques années, j’ai été surprise par les sonneries d’alarme émises simultanément par tous les Smartphones m’environnant (depuis, je me suis habituée à cette sonnerie). Cette alerte est déclenchée par les autorités sud-coréennes lorsque le taux de particules fines atteint un niveau trop élevé, dangereux pour la santé publique. Voir tous ces passants, adultes et enfants confondus, marcher dans la grisaille de Séoul en protégeant leur visage avec un masque me semble toujours étrange, comme s’il s’agissait d’un film catastrophe. Je me dis avec beaucoup de tristesse : « Avant, ce n’était pas comme ça… ». Le climat était bien l’un des sujets dont on pouvait discuter entre amis sans aucune arrière-pensée. À présent, c’est devenu le thème le plus sérieux et le plus délicat qui soit, comme l’évoque la performance « Sun & Sea » du Pavillon de la Lituanie. Réfléchissons dès à présent à ce qu’évoque la « température », au-delà même des questions climatiques. On peut faire appel à différentes notions pour aborder celle de température, mais mettons ici en avant plus particulièrement ses liens avec l’art, ses métaphores avec le temps, l’espace ou les émotions. La température la plus adéquate à la conservation des œuvres d’art est de 18 ° C (avec une marge de plus ou moins 2° C) avec un taux d’humidité de 50 % (avec une marge de plus ou moins 5 %). Cependant, il existe toujours des exceptions. Par exemple, les travaux de Christian Boltanski semblent mieux s’associer avec un hiver triste qu’avec un printemps ou un été ensoleillé. En revanche, les œuvres de Daniel Buren sont davantage valorisées par une lumière éclatante. Le célèbre
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autoportrait « Self » de Marc Quinn, réalisé avec le propre sang congelé de l’artiste, doit être conservé à une température de - 18° C, afin que le sang puisse être maintenu stablement en état de coagulation. Certains spécialistes prétendent que l’œuvre de John Cage, « 4’ 33’’ », évoque la température absolue, - 273° C, puisque 4 minutes 33 secondes correspondent exactement à 273 secondes. Théoriquement, au zéro absolu, les molécules arrêtent tout mouvement. Même les sons que l’on peut entendre grâce aux vibrations de l’air disparaissent en laissant ainsi régner un silence complet. Il n’est pas certain que John Cage connaissait le zéro absolu. En fait, John Cage pensait qu’il n’existe aucun son muet, car lorsqu’il s’est enfermé dans une chambre sourde complètement insonorisée, aménagée dans l’Université de Harvard, il a pu entendre des bruits engendrés par son système nerveux, c’est-à-dire des notes hautes générées par des acouphènes et les notes basses des battements de son cœur. Pour cette raison, John Cage considérait qu’un silence absolu ne peut exister et que nous sommes constamment exposés à divers bruits. Pour réaliser « 4’ 33’’ », John Cage s’est inspiré de « White Painting » (1951), ce tableau de son collègue et peintre Robert Rauschenberg. Jusqu’ici, nous avons évoqué les rapports existant entre les « sons » (musique) et l’« espace » (ou « le vide »), sans aborder directement les liens qui se tissent entre émotions et température. En Corée du Sud, le « Poème blanc » de Whang Ji-Woo peut être comparé à cette « White Painting ». Ce poème de Whang Ji-Woo, intitulé « Silence de 5 minutes 27 secondes » ne propose aucun contenu excepté son titre. Si ce poème est le plus court du monde, il dissimule cependant une extraordinaire histoire. En effet, les chiffres 5 et 27 de son titre correspondent en Corée à la date du 27 mai (05-27), le jour où l’armée a réprimé de manière sanglante les derniers manifestants réfugiés dans la préfecture lors du soulèvement de Gwangju en 1980 (dans la province de Jeolla de Sud). On retrouve également une approche semblable à celle de « White Painting » de Robert Rauschenberg dans la pièce de l’écrivaine française Yasmina Reza, « Art » (1994). Dans cette pièce, devant une toile blanche barrée par une ligne blanche, trois amis projettent chacun à leur manière leurs impressions sur cette toile ressemblant à une feuille blanche. Sur cet espace blanc ouvert à l’infini, sur cet espace vide symbolique, les trois amis expriment tous les sentiments qu’ils ont dû taire durant toute leur vie. Ils répètent également sans cesse cette formule quelque peu confuse : « Si je suis moi parce que je suis moi, et si tu es toi parce que tu es toi, je suis moi et tu es toi. Si, en revanche, je suis moi parce que tu es toi, et si tu es toi parce que je suis moi, alors je ne suis pas moi et tu n’es pas toi. »3) Lorsque l’espace entretient un lien avec des sentiments, leurs rapports transparaissent clairement. Nous exprimons fréquemment nos sentiments en faisant appel à un vocabulaire faisant référence aux températures, c’est-à-dire à différents degrés de sentiment, comme par exemple, un sourire chaleureux, un rendez-vous secret ardent, un caractère doux, une attitude tiède, une critique froide, etc. Notre langage peut également jouer sur différentes températures : un mot chaleureux ou un propos glacial. Tout en citant les pensées du philosophe grec Parménide, l’écrivain Milan Kundera compare « ce qui est lourd et ce qui est
3) Extrait de la pièce « Art » de Yasmina Reza.
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léger » avec « l’existence et l’inexistence », et considère que « ce qui est chaud et ce qui est froid » sont le résultat de la manifestation émotionnelle d’un lien complémentaire. En histoire de l’art, c’est « Le Degré zéro de l’écriture » de Roland Barthes qui a suscité d’importants changements quant au regard porté par l’artiste et le public, ces changements étant comparables à ceux provoqués par les découvertes de Nicolas Copernic en astronomie. Depuis les philosophes naturalistes ioniens du 6ème siècle avant notre ère, en passant par Platon et Aristote, et jusqu’à nos jours, l’un des mots-clefs en art est la « température ». Cependant, aucune exposition faisant directement référence à ce concept n’a été organisée. Si, lors de la 58ème Biennale de Venise, le Pavillon de la Lituanie met en scène une performance évoquant la question du climat, cette seconde exposition organisée au Coutances Art Center cherche à visualiser de manière géométrique, plus globale et plus abstraite, la question de la « température ». Nous souhaitons que cette exposition constitue un premier pas pour aborder l’art contemporain du point de vue de la « température ».
Interviews
Mme YUN Aiyoung, M. LEE Hyo Sung, Mme KIM Sun Mi et M. JIN Hyo Seok
Jusqu’ici, en tenant compte de la notion de température, nous avons considéré, quoique succinctement, divers domaines artistiques. Nous avons interrogé les quatre artistes (Mme YUN Aiyoung, M. LEE Hyo Sung, Mme KIM Sun Mi et M. JIN Hyo Seok) participant à cette exposition intitulée « Températures géométriques 1 » pour savoir à quel degré de température leur travail correspond. 4) ••• Mme SIM Eunlog : Aimez-vous particulièrement une saison ou un climat ? Et pour quelle raison ? Mme YUN Aiyoung : Au printemps et en été, la nature reconquiert sa place. Après avoir profité pleinement de l’arrivée du printemps, de la splendeur de l’été et de l’abondance des fruits de l’automne, nous vidons toutes nos réserves en hiver. En effet, durant la période hivernale, il faut arrêter totalement le temps et offrir un profond repos à notre corps, notre esprit et notre âme. C’est un moment de méditation, de préparation d’une nouvelle vie. J’aime l’hiver, cette période où la neige blanche purifie notre âme et la nature et où se forge l’énergie cosmique. Pour cette raison, j’adore également le degré zéro constituant à la fois un commencement et une fin, qui symbolisent parfaitement l’hiver. M. LEE Hyo Sung : Parmi les quatre saisons, je préfère l’été. Je l’apprécie surtout lorsque la température dépasse 28°, mais au-delà de cette simple préférence, je tiens particulièrement à être efficace dans mon travail. Mme KIM Sun Mi : J’aime les quatre saisons, mais j’ai une préférence pour l’été. L’été, la température avoisine celle de notre corps. Je suis particulièrement sensible au froid et
4) A l’occasion de cette exposition « Températures géométriques 1 », nous avons procédé à une interview par correspondance avec ces
quatre artistes (Mme YUN Aiyoung, M. LEE Hyo Sung, Mme KIM Sun Mi et M. JIN Hyo Seok), entre le 27 juillet et le 6 août 2019. Avec l’accord des artistes, leurs interviews ont été légèrement retouchées.
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je me sens mieux en été. Bien sûr, durant la saison estivale, la température dépasse parfois 37°, mais on observe les fruits qui mûrissent et l’on attend impatiemment l’arrivée de l’automne. Il m’est impossible d’installer un chauffage dans mon atelier et en hiver je dois y travailler en combinaison de ski. Lorsque la température descend en dessous de zéro, les propriétés de mes matériaux commencent à se modifier, ce qui rend mon travail très délicat. Même si j’utilisais un chauffage, il ne permettrait pas de maintenir la température nécessaire à mon travail. Chaque fois, je remercie donc le soleil. L’été me semble être une saison de repos qui nous permet de nous ressourcer et d’imaginer les fruits que nous cueillerons à l’automne. M. JIN Hyo Seok : J’aime l’été. Pas un été chaud et humide comme il y en a en Corée, mais un été sec et baigné par la lumière intense du soleil de France. Plus particulièrement, j’adore contempler les paysages qui nous éblouissent par leur luminosité, car cet environnement correspond à ma sensibilité. ••• Mme SIM Eunlog : Si l’on compare votre travail à une température, quelle serait la température de votre travail ? Mme YUN Aiyoung : J’attribuerai le degré zéro à mon travail. Le zéro est à la fois un commencement et une fin, ce qui implique un cycle continuel. Pour moi, le zéro représente donc un instant, une température et une énergie éternels. À zéro degré, l’eau se transforme en glace. Lorsque la température monte, la glace dégèle, puis devient vapeur et enfin, atteint l’état de plasma, en générant diverses formes d’énergie. Si tout semble se transformer, les propriétés de chaque matériau ne changent nullement mais 6_le journal PARIS JISUNG
paraissent plutôt s’activer comme un esprit immuable et éternel. Pour cette raison, le degré zéro me semble impliquer la création d’une énergie et me rappelle cette attente d’une nouvelle vie qui se développe dans le giron d’une mère. M. LEE Hyo Sung : Je choisirai 20° pour la chaleur et 30° pour la lucidité. Je pense que l’atmosphère dégagée par mon travail est plus proche d’une lucidité froide plutôt que d’une source de chaleur à cause des propriétés matérielles des matériaux utilisés et de l’image générée par ceux-ci. Mme KIM Sun Mi : L’énergie solaire ne résulte pas du fruit de nos efforts mais c’est une sorte de présent. En effet, personne ne paie pour recevoir la lumière du soleil. Imaginons la température de l’énergie solaire, source de toutes les énergies. La température moyenne à la surface du soleil est de 6 000°, les plus basses températures ne descendant qu’à 4 000°. Le noyau du soleil peut monter jusqu’à 15 000 000 de degrés, une température inimaginable. Le développement de la Terre est influencé par la température du soleil, qui varie en fonction de leur distance. La Terre se trouvait à une distance convenable du soleil durant des dizaines de milliers d’années, ce qui a permis à la Terre de bénéficier constamment d’une énergie stable. Je trouve que c’est tellement merveilleux de constater que cette source d’énergie inimaginable continue à nous offrir à l’infini une énergie inépuisable. Autrefois, les dinosaures puis les mammouths ont soudainement disparu de la surface de la Terre. Depuis leur extinction, de nouvelles espèces sont apparues et ont survécu en s’adaptant à l’environnement terrestre. Actuellement, notre planète subit de nombreux changements à cause du réchauffement climatique et certaines espèces sont en voie d’extinction. Le
réchauffement de la planète est lié à un dérèglement des températures. Je pense que, si nous faisons tous des efforts, nous pourrons surmonter ce problème. M. JIN Hyo Seok : L’objectif principal de mon travail est de proposer diverses températures au cœur d’une même œuvre. Mon travail consiste donc à réfléchir à la meilleure installation qui soit pour un espace donné qui ne dispose pas de forme fixe et, le cas échéant, à proposer une disposition sereine et statique (15° de froideur) ou une disposition dynamique (25° de chaleur) de mes œuvres. ••• Mme SIM Eunlog : Si vous pouviez donner une explication succincte des œuvres présentées dans cette exposition… Mme YUN Aiyoung : Mon travail est un processus visant à exprimer de manières diverses notre désir de résoudre, de connaître et de ressentir l’énigme de notre vie et de cette énergie mystérieuse présente dans l’Univers. Je recherche ainsi les traces de toutes vies et énergies dissimulées par la lumière. Pour cela, j’ai recours à divers supports, tels que l’installation vidéo, la photographie ou encore différents multimédias. Je m’efforce aussi d’exploiter tous les progrès technologiques qu’a connus notre époque, en recherchant sans cesse de nouveaux moyens permettant d’exprimer l’énergie de ma perception. M. LEE Hyo Sung : L’élément le plus important de mon travail est la continuité (la répétition). Je recherche ainsi la planitude de la toile à travers une recréation répétitive mais modérée de la toile et des couleurs engendrées par la superposition des lignes. Mme KIM Sun Mi : Ma famille a
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vécu dans une grotte, complètement isolée dans une montagne, loin de la société contemporaine, pendant un mois. Un jour, nous avons essuyé une énorme tempête. (…) Après la tempête, j’ai été très émue en découvrant un rayon de soleil filtrant à travers un petit trou entre les roches, un rayon de lumière surgissant à travers l’obscurité. À partir de ce moment, j’ai commencé à observer les espaces extérieurs en les reliant à des espaces dissimulés dans mon univers intime. Cette expérience m’a motivée pour réaliser mon travail interactif intitulé « Abri de tempête » ou « Abri intime ». Cette lumière scintillante qui surgissait de nulle part et le contexte de la situation sont illustrés concrètement par des fils dans mon travail. De ces lignes émane une dimension positive, permettant un écho harmonieux entre humains et Univers. Dans mon travail, le fil symbolise ce lien avec autrui et l’Univers. M. JIN Hyo Seok : Mon travail vise à nous interroger sur notre perception de l’espace et à proposer de nouvelles approches. Le côté informel de mon travail suscite diverses impressions, parfois statiques, parfois dynamiques, grâce à diverses dispositions. Ainsi, mon travail
est complété par une communication organique s’opérant entre l’œuvre que j’ai réalisée, l’espace où elle est exposée et les spectateurs présents dans cet espace. ••• Mme SIM Eunlog : Pouvez-vous nous dire quel est le problème le plus urgent à résoudre pour notre société ? Et comment pouvons-nous contribuer à le résoudre en tant qu’artiste ou en tant que citoyen ? 5)
du monde est pour demain, je planterais quand même un pommier »6) et je souhaite vivre avec cet esprit. Parfois, je me laisse aller à rêver, à imaginer que si le climat tropical continue de progresser de plus en plus vers le Nord, la région parisienne sera bientôt exposée à des températures tropicales. Pour cette raison, je sème des graines de fruits tropicaux autour de chez moi. Je pense que finalement, le sauvetage de la nature est la seule voie qui assurera notre salut. Mme KIM Sun Mi : Il est nécessaire Nous nous devons de transmettre ce patd’avoir un regard permettant d’avoir une rimoine à nos descendants. vision d’ensemble. Je pense que les problèmes liés au réchauffement climatique M. JIN Hyo Seok : Je pense que de sont provoqués par l’humanité. En effet, nombreux problèmes actuels résultent les développements et les progrès centrés de cette humanité philosophiquement principalement sur les besoins humains et sociologiquement centrée sur l’homont fait que nous avons négligé la nature. me et sont renforcés par l’impatience et L’homme a détruit la forêt afin d’obte- le sentiment de supériorité de l’homnir plus d’habitations et d’espace vital, me. Pour faire évoluer notre société, il alors même que la nature perdait de plus est donc nécessaire, non seulement pour en plus cette capacité à se régénérer. Je l’homme, mais aussi pour la nature et souhaite avoir une vision me permettant les animaux, d’appréhender le monde et de scruter objectivement le monde, de d’y réfléchir avec leur regard. Pour mon me détacher de « moi ». Je pense qu’il travail, j’utilise du plexiglas, ce matérime faut réfléchir à comment mes choix au réflecteur, afin d’avoir le temps de vont influencer notre futur. Depuis mon prendre du recul en m’observant tout en enfance, j’adhère totalement à la célèbre contemplant un autre paysage reflété sur maxime « Si l’on m’apprenait que la fin mon œuvre.
5) Cette question a été posée dans le cadre d’une thématique sur « le rôle de l’art de nos jours ». En 1931, la Commission internationale de coopération intellectuelle de la Société des Nations a organisé des échanges
de correspondance entre intellectuels portant sur des « questions pouvant contribuer à promouvoir les intérêts communs de la Société des Nations et des recherches intellectuelles ». Dans le cadre de ce projet, la Commission a sollicité la participation du fameux physicien Albert Einstein. Celui-ci a accepté d’échanger une correspondance avec le célèbre psychanalyste Sigmund Freud. Considérant parmi les divers problèmes rencontrés par notre civilisation que la guerre était alors la question la plus préoccupante, Einstein a développé ce thème avec Freud dans leur correspondance. Dans l’une de ses lettres, Freud expliquait que la guerre étant provoquée par Thanatos (personnification de la Mort), il faut davantage d’Éros (dieu de l’Amour, synonyme de pulsion de vie) pour empêcher les guerres. À chaque fois que j’ai interviewé des artistes mondialement connus, comme par exemple, Anish Kapoor ou Daniel Buren, je leur ai posé au dernier moment la même question que la Commission internationale de coopération intellectuelle. Parmi les personnalités interrogées, c’est l’artiste sud-coréen LEE Ufan qui m’a donné la réponse la plus surprenante : « SIM Eunlog : Maître, pourriez-vous dire quel problème est le plus urgent à résoudre pour notre société ? Pour ce faire, en quoi l’art peut-il être utile ? Ces questions sont un peu saugrenues, n’est-ce pas ? LEE Ufan : Pas du tout. Ces questions sont très importantes. Je peux y répondre de deux façons différentes : en tant que citoyen et en tant qu’artiste. Tout d’abord, en tant que citoyen, je cherche toujours à savoir quelle direction prend notre société et où se situent les problèmes essentiels de notre civilisation. Par exemple, je me soucie constamment de certains sujets, à savoir la question du nucléaire, les problèmes écologiques. De plus, parce que je suis sud-coréen, je m’inquiète aussi pour la sécurité de la Corée du Sud, si une nouvelle guerre va éclater dans la péninsule coréenne. Notamment, depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima survenue en mars 2011, j’ai beaucoup réfléchi à cette question. Je pense que l’accident nucléaire de Fukushima est un drame qui doit mettre en garde l’humanité. SIM Eunlog : Vous avez évoqué le problème du nucléaire. Je crois que vous êtes opposé au nucléaire depuis longtemps. LEE Ufan : C’est exact. Je m’oppose au développement nucléaire depuis longtemps car ce problème ne se limite pas simplement au domaine de la raison ou de la perception, mais il implique directement la nature et notre Univers tout entier. Même si l’on décide d’abandonner tout de suite le nucléaire, il faudra plusieurs dizaines d’années pour arrêter complètement les centrales nucléaires. De plus, on ne sait pas exactement comment traiter les déchets radioactifs. Actuellement, on peut perdre le contrôle des centrales nucléaires. Heidegger a fait cette même mise en garde. Ce philosophe allemand qui s’est intéressé longuement à la technique moderne nous a avertis de ses dangers : « la technique contrôlable par l’homme est acceptable. Par contre, lorsque la technique génère une autre technique et que cette nouvelle technique utilise ce qui est lié à la nature et à l’Univers (et que l’homme ne peut contrôler), il est impossible de la gérer. » (Extrait de l’ouvrage de SIM Eunlog, intitulé « Yangeuieuiyesul – dialogue et promenade avec LEE Ufan », Hyundaemunhak, 2014).
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Qu’est-ce qui fait battre votre cœur ?
À ces questions en lien avec la thématique « art et température » de l’exposition du Coutances Art Center, les artistes ont donné des réponses intéressantes et inattendues. Notons toutefois que ces interviews ont été réalisées par correspondance. En effet, lorsqu’il faut préparer une exposition dans des délais très courts et publier des interviews avant le vernissage de l’exposition, il est impossible de réaliser ces interviews en faceà-face avec les artistes. Si ces quatre artistes et moi-même vivions et œuvrions tous en France, cela aurait été possible mais, lors de la rédaction de cette présentation, je voyageais en Europe de l’Est, deux des quatre artistes séjournaient momentanément en Corée du Sud pour préparer leurs expositions et un autre se trouvait dans les Pyrénées. Lorsque nous nous rencontrerons tous au moment de l’installation des œuvres (les 29 et 30 août) et du vernissage de l’exposition (le 31 août), nous pourrons approfondir nos propos. À ce moment-là, je leur poserai cette question supplémentaire : « Qu’est-ce qui fait battre votre cœur ? », cette répartie de Mme KIM Sun Mi proposée en guise de réponse à l’une de mes questions. Concernant mon travail, je répondrais à cette question que, lorsque j’étais étudiante en master, la découverte des ouvrages de Michel Foucault (par exemple, son célèbre ouvrage « Les Mots et les choses ») a fait vibrer pour la première fois mon cœur. La lecture de ses ouvrages m’a conduite d’une vision moderne vers le structuralisme, puis vers le poststructuralisme. Pour cette raison, je suis venue en France et je suis devenue critique d’art. Lorsque je découvre une exposition intéressante, mon cœur se met à battre. Comme je suis davantage émue par une exposition bien conçue tenant compte de son environnement et générant une certaine atmosphère, plutôt que par la contemplation de quelques œuvres d’un artiste célèbre, je suis devenue commissaire d’exposition. Même si ma tête me fait parfois souffrir, je suis toujours heureuse d’œuvrer pour ce travail que mon cœur a souhaité, et je l’en remercie chaque fois. Je pense que les quatre artistes participant à cette exposition proposeront une réponse approchante. Je souhaite de tout mon cœur que cette exposition « Températures géométriques 1 » puisse faire battre également le cœur du public. DU SAMEDI 31/08 AU JEUDI 31/10/2019 VERNISSAGE : SAMEDI 31 AOÛT 2019 À 14 HEURES
TEMPÉRATURES GÉOMÉTRIQUES 1 : YUN Aiyoung, LEE Hyo Sung, KIM Sun Mi et JIN Hyo Seok 7, rue Geoffroy Herbert, 50 200 Coutances, France Chapelle du Coutances Art Center (1ère Salle) Commissaire d’exposition : Mme SIM Eunlog www.galeriepontdesarts.com / g.pontdesarts@gmail.com +33 (0)6 07 86 05 36 Organisation : Parisjisung, Coutances Art Center
6) Si, en Corée du Sud, cette maxime est généralement attribuée au philosophe néerlandais Baruch Spinoza (1632-1677), en
Europe, plus particulièrement en Allemagne, elle est reconnue le plus souvent comme étant un propos de Martin Luther (1483-1546), ou parfois comme une citation du pasteur allemand fondateur du piétisme souabe Johann Albrecht Bengel (1687-1752). Actuellement, l’on considère Martin Luther comme l’auteur le plus probable de cette maxime.
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L’existence irréversible des éons – Mémoire du temps Première exposition individuelle de M. JEONG Suck
Le temps, cette notion infinie, est équitablement accordé à tous. Le temps nous permet de réaliser librement d’innombrables choses, mais peut abandonner impitoyablement ceux qui le méprisent. Personne ne peut nier que le temps est un arbitre absolu, très généreux mais terriblement cruel. Le dramaturge et poète allemand Friedrich Schiller (1759-1805) souligne que « la marche du temps peut adopter trois allures : le futur progresse en hésitant, le présent s’envole comme une flèche et le passé s’est éternellement figé ». Nous vivons au présent, tout en nous appuyant sur notre passé et en imaginant notre futur. Aucun individu n’est capable de vivre librement et indépendamment des contraintes imposées par le temps. Notre vie est contrainte par un cadre temporel et tous nous subissons cette loi.
Souvenir du temps La mer de l’aube est noire. Je jette un caillou dans la mer pour signaler ma présence. La mer semble si profonde que le caillou lancé a déjà disparu sans laisser aucune trace. Cela s’est passé instantanément. Tel un bloc de glace, secouant la surface de l’eau… Mon petit caillou peut provoquer instantanément une agitation en surface, mais ne peut pas même générer une légère ondulation sous l’eau. Lorsque l’érosion commence au plus profond de la mer, rien ne peut l’empêcher. Il en est de même pour les rapports existant entre le temps et notre existence limitée. Le temps est pour l’éternité parsemé de nos désirs désespérés. Même si nous disposons d’une courte vie, nous avons grimé notre corps et notre âme de mensonges et de mesquineries. Cependant, après avoir dévoré toutes les impuretés et toutes les absurdités, le temps demeure calme, telle la mer à l’aube. Comme le temps qui ne s’arrête jamais même si l’on démontait toutes les horloges, Même si nous nous y accrochons, dotés d’un corps et d’une âme si lourds, tel un rocher, Nous n’avons pas assez de poids pour arrêter le temps, ne serait-ce qu’une seconde. Tel est l’autoportrait de nos contemporains prisonniers de cette finitude.
| JEONG Suck |
Chaque individu se voit accorder une existence éphémère et ne peut survivre qu’un temps limité. Lorsque le temps qui lui est alloué s’achève, il est confronté à une séparation fatale et définitive avec ce temps. J’ai appris que mon ami, qui est arrivé seul en France il y a 30 ans, pour poursuivre ses études de littérature française, qui, après bien des années d’études laborieuses et Septembre 2019 (vol.896)_9
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de travail à mi-temps dans une saline de Guérande, sur la côte atlantique, qui a ouvert une galerie d’art au centre de Paris et a consacré pleinement sa jeunesse à développer et gérer « Parijisung », ce journal hebdomadaire, cette « Fenêtre sur le monde », destinée à ses compatriotes sud-coréens résidant en France, prépare sa première exposition individuelle au Coutances Art Center. Je le connais bien car je l’observe œuvrer depuis longtemps. Je me rappelle avoir été ébahi à de nombreuses occasions par son remarquable esprit de challenge, sa vision audacieuse du futur, ses pensées et ses actions si originales et imprévisibles, à tel point que j’ai l’impression de côtoyer parfois Don Quichotte ressuscité à notre époque. M’inspirant du terme « donquichottisme », je parlerai même de « néo-donquichottisme »… JEONG Suck a ouvert sa première galerie rue de Gergovie, dans le 14ème arrondissement de Paris. Ses activités ayant prospéré, il a pu créer une succursale dans le quartier de Samcheogdong, à Séoul. Il a ensuite connu certains problèmes qui l’ont obligé à transférer sa galerie sud-coréenne à Songchu, dans la province de Kyunggi. Cependant, même lors de cette période, j’ai observé qu’il s’efforçait de résoudre ses difficultés silencieusement, avec une volonté inébranlable. Après avoir assimilé l’énorme puissance de cette force invisible que seule possède la nature, après avoir œuvré sous le soleil, dans le vent, profondément harassé par leur force tranquille dans cette saline de Guérande, ses convictions et son amour pour la vie se sont encore davantage consolidées en gérant minutieusement sa galerie et la publication de son hebdomadaire. Apprendre que cet ami qui a surmonté toutes ces difficultés est en train de préparer sa première exposition individuelle à plus de 55 ans est une surprenante nouvelle pour moi. De plus, il est encore plus étonnant que son exposition mette en avant des objets, l’un des médiums préférés de l’art plastique, et non pas le langage d’un homme féru de littérature. Cet homme, M. JEONG Suck (de son vrai nom M. JEONG Nack-Suck), est le directeur de la galerie Pont des Arts et l’éditeur de l’hebdomadaire Parijisung. Il nous présente ses œuvres dans cette exposition dédiée à la « Mémoire du Temps ». En effet, la notion de « temps » est primordiale pour lui, car ayant fait ses études et ayant vécu de nombreuses années à Paris, il a dû faire preuve d’une volonté de fer et connaitre des regrets et des désirs plus profonds que quiconque. Pourquoi cherche-t-il à dévoiler cette nostalgie profonde gravée dans son cœur et dans ses souvenirs à travers ce paradigme de temps ? Le temps est pour tous l’élément le plus important qui soit 10_le journal PARIS JISUNG
et ce, dans tous les domaines, mais c’est également l’élément qu’on peut le plus facilement oublier. Le temps constitue notamment un thème incontournable pour le cinéma. Dans le film « Irréversible », pour l’héroïne Monica Bellucci, la notion d’« irréversible » implique que « le temps détruit tout, mais échafaude en même temps ce qui ne peut être détruit ». Dans un autre film, « About Time » (« Il était temps »), un voyage à travers le temps modifie le passé. D’autres films, tels que « L’Effet papillon », « La Traversée du temps » ou « Retour vers le futur », s’intéressent tous à cette notion de temps. Une horloge permet d’afficher l’heure et de mesurer l’écoulement du temps. Sans horloge, on ne peut connaître l’heure exacte. En grec, deux mots tentent de cerner la notion de temps que personnalisent les dieux « Chronos » et « Kairos ». Le premier indique une durée tandis que le second fait référence à un moment opportun ou une occasion. Plus précisément, « Chronos » évoque un temps qui s’écoule mécaniquement du passé au futur, à une vitesse constante et vers une direction donnée, alors que « Kairos » correspond à un instant ou à un temps subjectif pour les humains. Le terme « Chronos » a donc trait à une approche du temps linéaire ou horizontale, c’est-à-dire en rapport avec une durée ou l’écoulement du temps, tandis que le terme « Kairos », employé pour expliquer la notion de temps chez les Hébreux, implique l’instant où un événement se produit, une bonne fortune, un moment clé ou une opportunité, c’est-à-dire qu’il suggère une approche temporelle verticale des événements. Autrement dit, Chronos représente un temps objectif et quantifiable s’écoulant et décrivant un cycle parcourant passé, présent et futur. Le terme anglais chronicle (en français, « chronique ») dérive de ce mot. En revanche, Kairos symbolise un temps subjectif et émotionnel impliquant ainsi une intention humaine. Il désigne un « moment opportun », un « instant décisif », une « occasion » qu’il est bon de saisir. Ici, les vieilles horloges de JEONG Suck évoquant la « mémoire du temps » symbolisent le temps de Chronos, tandis que les pierres suspendues à ces horloges semblent être l’allégorie du temps de Kairos. À travers ces vielles horloges et cette trajectoire du temps écoulé ou arrêté, JEONG Suck cherche à remémorer la vie qu’il a menée jusqu’à présent et à réfléchir ainsi au sens du « temps » qui a profondément influencé son existence. Cette approche peut être considérée comme un défi audacieux et étrange qui refuse les limites de notre imagination et nos pensées ordinaires. Certes, de nombreux artistes ont cherché à retracer le temps en le considérant comme un médium artistique. Par exemple,
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dans son œuvre intitulée La Persistance de la mémoire, Salvador Dali présente l’univers de ses rêves, dans lequel le temps est arrêté, repart en arrière ou se dissout et ne semble jamais s’achever. En décrivant de mémoire ce temps suspendu dans ses rêves, l’artiste outrepasse les contraintes naturelles du temps. Les artistes futuristes se sont intéressés à la continuité du temps. Désormais, certains médias numériques deviennent eux-mêmes maître du temps en produisant leur propre temps grâce au time-based media. Nous vivons au 21ème siècle, cette époque où la science fusionne avec l’art. Dans le cas de JEONG Suck, l’objet « horloge », ce fruit de la science, semble entretenir un lien certain avec les « objets trouvés » des surréalistes. Quotidiennement, la technologie fusionne avec l’art, comme l’illustre le festival d’art électronique Ars Electronica, organisé depuis 30 ans, à Linz, en Autriche. Il faut donc comprendre que cette tendance actuelle témoigne du fait que l’art ne bénéficie plus de la même clairvoyance qu’autrefois et de la même force intuitive et qu’au cours de cette mutation, les réflexions sur la fusion entre la science et l’esthétique ne font que s’intensifier. En effet, si traditionnellement l’esthétique et l’art faisaient référence au monde de l’indécis, mettant par exemple en avant l’incertitude, la science a commencé également à s’intéresser à cette incertitude à partir de la fin du 20ème siècle, ce qui a permis à la science d’entrer plus intimement en contact avec l’esthétique et l’art. Ainsi, l’espace JEONG Suck matériel qui était traditionnellement considéré comme faisant partie du domaine scientifique et technologique et l’espace virtuel interprété comme faisant partie du domaine artistique ont pu fusionner davantage encore. Dans cette mouvance s’intéressant particulièrement à l’incertitude, est né le media art fusionnant science et art. Dans ce contexte, l’exposition « Mémoire du temps » de JEONG Suck, conçue avec ces horloges classiques qu’il a collectionnées, associées à ces « objets trouvés » sur les plages de
Normandie, et présentées sous la forme d’un storytelling littéraire, esthétique et rhétorique, rappelle parfaitement à nos contemporains la force absolue du temps et les conflits qu’il génère entre des individus impuissants qui ne peuvent plus contrôler cette force. De plus, son exposition renferme nos cris de souffrance, ce chagrin engendré par l’impossibilité de refuser ce temps irréversible, comme l’évoque précisément sa note d’intention : « le portrait de nos contemporains emprisonnés dans cette finitude ». JEONG Suck affirme que « le temps, après avoir emporté toutes les saletés et toutes les absurdités, demeure calme, telle la mer à l’aube ». En fait, à travers le travail effectué avec ces objets présenté ici sous l’intitulé « Mémoire du temps », il cherche à évoquer le fait que, même si notre monde est parsemé d’une multitude d’embuches, le temps qui les englobe demeure finalement éminemment silencieux. JEONG Suck propose ainsi une métaphore afin de présenter le portrait misérable de nos contemporains qui ne possèdent aucun pouvoir sur le temps, comme il l’évoque dans sa note de travail : « comme le temps ne s’arrête pas même si nous tentons de détruire nos horloges, nous n’avons pas assez de poids pour le stopper même une seconde, même si nous nous y accrochons farouchement avec notre corps imposant, tel un roc ». Comme on peut l’observer dans la première exposition individuelle de JEONG Suck, le temps est de plus en plus exploité dans différents genres artistiques de manières diverses comme un nouveau thème. En espérant que cette exposition « Mémoire du temps » nous permettra de nous remémorer notre passé, de considérer notre vie actuelle qui bientôt sera déjà passée, de nous projeter dans notre futur et de faire renaître notre esprit usé en une nouvelle étoile scintillant dans le ciel de l’aube, je félicite de tout mon cœur JEONG Suck pour cette première exposition. | Peintre œuvrant en France/chroniqueur d’un journal coréen à Paris : JEONG Taek Young | Septembre 2019 (vol.896)_11