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Un 60e anniversaire et de beaux souvenirs !

HCréé en 1960, le Festival international du film d’animation d’Annecy aurait dû fêter ses 60 ans en 2020. Mais la pandémie l’en a empêché. Qu’à cela ne tienne, même s’il y a un an de décalage et que la crise sanitaire bouleverse encore nos vies, c’est pour cette année ! A l’occasion de cette célébration, Ecran total a demandé à plusieurs professionnels et artistes de raconter un souvenir qui les lie à la manifestation. Plongée au cœur de quelques-uns des moments forts que le Festival a permis de faire vivre.

H Cela fait plus de vingt ans que je me rends régulièrement au Festival d’Annecy avec mes compagnons de TAT. Au départ, nous venions avant tout pour découvrir le panorama de l’animation mondiale du moment et rencontrer les professionnels du secteur, une opportunité rare à l’époque, surtout pour des Toulousains.

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Mes souvenirs y sont donc très nombreux : les traditionnels jingles entonnés par le public à chaque projection, les petits restos du centre-ville, les avions en papier, les séances du soir aussi trash que tordantes, les claques face à la créativité visuelle de certains films, les files d’attente devant les stands du Mifa pour proposer nos projets aux chaînes…

Mais la projection en 2017 en avantpremière des As de la Jungle, notre premier long métrage, reste de loin le moment à la fois le plus éprouvant et le plus réconfortant de ma carrière. L’excitation “d’être dans le festival”, d’en faire partie intégrante – voir son film “au programme”! – mêlée au stress du jugement d’un public pointu et exigeant m’ont littéralement miné et épuisé les jours précédant la projection. L’angoisse de la salle vide, puis ce moment où l’on voit la queue se former à l’entrée de la salle qui se remplit, se remplit, se remplit… Les applaudissements bienveillants avant le début de la projection, l’angoisse encore de la réaction du public… Va-t-il rire ? Va-t-il rester jusqu’au bout ? La libération enfin avec les premières réactions et l’accueil chaleureux en fin de projection… Immédiatement suivi d’un étrange et agréable effondrement nerveux, quand toute la pression s’évapore d’un coup et que la conviction d’avoir enfin atteint un objectif fixé plus de vingt ans auparavant apaise profondément. C’est fort ce genre de moment, et seul un événement comme le Festival d’Annecy peut nous l’offrir. Alors, de tout mon cœur, bon anniversaire !

David Alaux, réalisateur et cofondateur de la société TAT Productions

H Parmi les centaines de bons souvenirs que nous avons de l’incontournable Festival d’Annecy, il en est un qui se singularise : celui d’un “non-Annecy”. Nous sommes en juin 2020, nous sortons à peine de l’anxiété du confinement et, parmi tant d’autres mauvaises nouvelles de l’état du monde, le Festival d’Annecy n’aura pas lieu “en vrai”. Heureusement, son édition numérique inédite nous redonne un peu de couleurs, et même si nous n’avons pas autorisé la diffusion en ligne de notre nouveau long métrage, Calamity, le film trouve sa place dans la sélection officielle avec un bonus autour de sa fabrication.

Ce samedi-là, entre nous les souvenirs divergent. Moi, Claire, j’écris un SMS commun à Marc Bonny (notre distributeur chez Gébéka) et Henri: “Vous avez lu vos mails ?” Marc me répond dans la foulée : “Ah oui quand même.” Je réponds : “Tu penses que c’est une blague ?” Marc : “ Je reconnais là l’humour de Marcel Jean, mais c’est sérieux.” Et notre conversation continue, nous nous moquons gentiment d’Henri qui n’a pas encore découvert nos échanges… …car moi, Henri, je suis à Lille, en famille. Il est 20 h ce samedi quand je rallume mon portable pour m’apercevoir que 42 SMS m’attendent depuis plus d’une heure : “Vous avez lu vos mails ?” Sans même lire la suite, je me précipite sur ma messagerie et je trouve un mail de Marcel Jean, le sélectionneur du Festival, qui commence par répondre à nos dernières questions d’organisation online, pour ajouter avec son humour légendaire : “Par ailleurs, j’ai une chouette nouvelle à vous annoncer, à titre confidentiel : Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary est le récipiendaire du Cristal du long métrage d’Annecy 2020.”

Quelle bizarrerie de vivre cela à distance… Après avoir appelé ensemble Rémi Chayé [le réalisateur du film, Ndlr], et digéré la grande nouvelle, nous décidons de répondre à l’invitation du Festival : et si nous vivions ce moment physiquement tous ensemble ?

Le mercredi suivant, nous passons huit heures de train aller-retour, masqué.e.s, et c’est un immense bonheur. Toute l’équipe du Festival est là pour nous accueillir avec la chaleur qu’on lui connaît. Elle est belle, et bien là, en chair et en os, éreintée d’avoir relevé magistralement le défi d’un formidable festival 100 % en ligne, mais avec ses sourires qui transpercent les masques. Nous aurions voulu nous jeter dans leurs bras… A charge de revanche pour les années à venir. Merci Annecy pour tous ces moments magiques et indispensables !

And by the way, Annecy… Happy birthday!

Claire La Combe et Henri Magalon, producteurs (Maybe Movies)

H Juin 2009. Terrasse de l’Impérial. J’ai dans la main un projet que je porte depuis un an. Il y a quelques mois, j’en ai parlé directement à Pierre Siracusa de France Télé. Le sujet l’a passionné. Ça s’appelle Les Grandes Grandes Vacances : deux petits Parigots envoyés en Normandie pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le fonds d’aide à l’innovation du CNC m’a bien aidée pour le penser et l’écrire. Maintenant, il lui faut un producteur.

Je ne connais pas grand-chose au monde de l’animation. Je viens à Annecy depuis quelques années en tant que journaliste de la presse jeunesse. Je suis devenue directrice d’écriture il y a tout juste un an.

Une amie qui s’est attachée au projet me propose de me faire rencontrer Didier Brunner. J’ignore qu’il est ce producteur précurseur à qui on doit Kirikou et Les Triplettes de Belleville. Je ne connais rien de son métier fait d’audace, de diplomatie et de persévérance.

Sur la terrasse, je rencontre un petit homme à la fois intense et discret. Il a des yeux malicieux et un sourire timide. Je parle vite. Je ne sais pas ce qui fait mouche. Il m’assure qu’il va le lire. Là, tout de suite. J’ignore alors que cette promesse – lire vite – est si difficile à tenir dans la réalité d’un producteur.

Peu après, il me contacte. Il trouve ça différent. Il veut le produire.

Juin 2016. Estrade de la grande salle de Bonlieu. Devant l’écran géant (et mille personnes), on me tend le micro pour dire quelques mots à Didier (je ne pense plus “Brunner”). On lui remet un Cristal d’honneur pour sa carrière.

En préparant ce que je m’apprête à lui dire à voix haute, j’ai réalisé que, entretemps, j’avais fondé Tant Mieux Prod, produit mes premiers courts métrages et reçu un Cristal en production télé. Je suis devenue productrice. Merci Annecy. Merci Didier.

Delphine Maury, productrice (Tant Mieux Prod)

H Le Festival d’Annecy a accueilli Pierre Tchernia à plusieurs reprises. En 1999, il est le président d’honneur et nous assistons côte à côte à une séance de courts métrages dans la grande salle de Bonlieu. Ce soir-là, l’ambiance est particulièrement survoltée et cela démarre avec les avions en papier en attendant la projection, puis la bande-annonce partenaires et le public qui scande “le lapin, le lapin…” L’année précédente, nous avions lancé la première bande-annonce partenaires qui se terminait par un lapin sur la neige. Depuis, le public d’Annecy a fait du lapin un gimmick qu’il réclame chaque année.

Enfoncé dans mon fauteuil, je m’interroge. Que pense Pierre Tchernia de cette ambiance un peu potache ? La dernière fois qu’il est venu, c’était dans l’ancien casino-théâtre et, à cette époque, l’atmosphère était sans doute plus policée… Au cours de cette séance, le film Feuerhaus, de Bärbel Neubauer, accompagné d’une musique électro de sa composition, est projeté. Est-il sensible aux films expérimentaux, non narratifs ? L’électro n’est sans doute pas sa tasse de thé? En un mot, je me fais des films dans ma tête.

Et, à mon grand étonnement, quand nous avons quitté la salle, Pierre Tchernia m’a confié deux choses : “Vous avez à Annecy une ambiance exceptionnelle. Le public manifeste son enthousiasme ou sa déception avant ou après les films et il n’a pas besoin d’attendre comme dans d’autres

grandes manifestations le retour de la critique pour émettre une opinion. Et puis, ce film qui présente une métamorphose de couleurs et de formes, sur une musique techno, il est particulièrement réussi.”. Eh bien, chapeau bas Monsieur Tchernia, le Monsieur Cinéma de mon enfance n’est pas seulement tourné vers le passé, mais bien au contraire, il salue la création contemporaine.

En 1979, vingt ans plus tôt, il déclarait à Annecy lors d’une interview télévisée : “Il ne faut pas seulement se pencher sur le passé, il faut aussi regarder les forces vivantes de l’animation…”

Dominique Puthod, président de Citia

H La première fois que j’ai participé au Festival d’Annecy, c’était en 2006. Je faisais partie des 400 bénévoles du festival. Je logeais à l’arrêt de bus “Bout du lac” qui, comme son nom l’indique, était à l’autre bout du lac. Tous les matins, je me levais tôt et je prenais le bus pour me rendre au Mifa. Je donnais leurs badges et leurs sacoches à tous les professionnels de l’animation. L’après-midi, j’enchaînais les séances de courts métrages. Cette année-là, j’avais 20 ans, je ne connaissais personne mais je voulais déjà faire des films. J’avais des étoiles pleins les yeux en découvrant le film de Regina Pessoa, Histoire tragique avec fin heureuse. J’ai aussi rencontré Tim Burton. Avec un sourire jusqu’aux oreilles, je n’ai pas pu décrocher une phrase devant lui tellement j’étais contente. J’ai tout de même réussi à avoir une illustration de Mister Jack ! Pour l’anecdote, il a invité un groupe de bénévoles à une soirée dans son château mais, malheureusement, je n’ai pas pu m’y rendre. Cette même année, grâce à plusieurs rencontres au Mifa, j’ai décroché un stage dans un studio à Angoulême. Par la suite, j’ai participé à des éditions du Festival en tant que porteuse de projet et, cette année, pour la première fois, je présente un court métrage en compétition [L’Amour en plan, Ndlr]. On peut donc dire que je connais le festival sous toutes ses coutures ! Je l’ai vu grandir et j’y ai moi aussi grandi. Je suis sûre qu’il me réserve encore plein de nouvelles découvertes.

Claire Sichez, réalisatrice

H En 2019, j’ai découvert au Festival, avec, je l’avoue, un peu d’appréhension, le long métrage d’animation tant attendu de Jérémy Clapin, J’ai perdu mon corps, déjà primé à la Semaine de la critique à Cannes. Avec appréhension, car j’avais accompagné en préachat pour Arte, quelques années auparavant, ce jeune réalisateur talentueux sur deux de ses courts métrages, Skhizein (2008), qui avait été multiprimé, et Palmipedarium (2012). Saura-t-il transformer l’essai ? Quelle joie de découvrir dans une salle comble les premières images, qui me plongent immédiatement dans un climat étrange et intrigant, avec une qualité d’image à couper le souffle ! Un vrai pari cinématographique que de raconter l’histoire d’une main qui part à la recherche de son corps… Mélange habile des genres, car on passe du conte fantastique au réalisme poétique et à la romance sentimentale dans ce film qui mixe les temporalités et les récits à la manière d’un puzzle. La musique envoûtante de Dan Levy est véritablement un des personnages du film et elle va m’accompagner même après la sortie de la salle. Inoubliable également, cette séquence de sept minutes de dialogues à travers un interphone entre Naoufel et Gabrielle, véritable élément déclencheur qui va redonner à Naoufel le désir de reprendre son destin en main. En effet, ici la main du destin n’est pas fatale ! “Une fois que t’as dribblé le destin, tu fais quoi ?”, demande Gabrielle à Naoufel. “Tu t’arranges pour pas qu’il te rattrape, tu fonces tête baissée et tu croises les doigts.” Cette aventure cinématographique, produite par Marc du Pontavice (Xilam) et qui aura duré huit ans, sera récompensée par le Cristal du long métrage et le Prix du public en fin de festival : un pari réussi !

Hélène Vayssières, responsable des programmes courts d’Arte France

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