Cannes
2022
Financement du cinéma
Pour le financement du cinéma, l’inconnu après la crise
H Après deux ans de crise sanitaire, le cinéma français entre dans une nouvelle période d’incertitude. Le secteur a été massivement aidé financièrement, mais il sort fragilisé et, désormais, tout le monde scrute les chiffres de fréquentation des salles et espère le retour aux niveaux d’avantcrise. Car si celle-ci baisse durablement, c’est tout l’équilibre de financement du cinéma français qui pourrait se trouver menacé. L’année 2021 a vu le nombre de films produits atteindre des sommets, avec 340 films agréés par le CNC, conséquence d’un rattrapage après une année 2020 au ralenti. “La France a mieux traversé la crise que nos voisins”, note Henri de Roquemaurel, directeur du centre d’affaires Image & Médias de BNP Paribas. “Des marchés comme le Royaume-Uni ou l’Europe du Nord sont plus dépendants des blockbusters américains, or ces films étaient absents des salles. La France a cette spécificité en Europe d’avoir une production locale qui a pu servir d’amortisseur.” Au-delà de cette raison structurelle, le cinéma français a aussi été massivement aidé par les pouvoirs publics. “Le fonds d’indemnisation Covid a permis une reprise des tournages dès juin 2020”, observe Anne Flamant, direc-
© SHANNA BESSON - WHY NOT PRODUCTIONS
u Si le cinéma français a profité des aides pour traverser la crise, la fréquentation n’est toujours pas revenue à la normale. Cela laisse les distributeurs - maillons essentiels du financement des films - dans un état de fragilité qui fait peser une grande incertitude sur l’avenir du secteur.
“Frère et sœur” d’Arnaud Desplechin, avec son budget de 4,46 M€, entre de la catégorie des films “du milieu”.
trice du pôle Médias et Digital de la banque Neuflize OBC. Là où la reprise a été plus lente dans les autres pays. Les entreprises du secteur ont aussi pu contracter des prêts garantis par l’Etat auprès de leur banque. BNP Paribas a distribué pour 160 M€ de PGE dans le cinéma et Neuflize pour une centaine de millions d’euros, en intégrant le secteur audiovisuel. Du côté des Sofica, les sommes investies sont toujours aussi importantes. Elles ont récolté 60 M€ en 2020 et 71 M€ en 2021. Une hausse de l’assiette qui s’explique car les Sofica ont désormais la possibilité de financer la distribution des films, en plus de la production. “La collecte de l’année 2020 a eu lieu alors que les salles étaient fermées, c’était plus difficile qu’en 2021”, remarque Serge Hayat, président de Cinémage et de l’Association de représentation des Sofica. “En 2021, nous avons fait un gros travail d’explication
pour rappeler que l’exposition en salles n’est pas essentielle pour les Sofica, car elles perçoivent des droits sur toutes les exploitations.” Des films de plus en plus difficiles à financer Les acteurs du secteur font cependant tous le même constat : les films sont de plus en plus difficiles à financer. Mis à part en 2021, année exceptionnelle de par le nombre de films à gros budgets (neuf à plus de 15 M€), le devis moyen des films agréés par le CNC est en baisse depuis 2015. “C’était déjà le cas avant la crise, nous sommes face à un mouvement lent mais certain de contraction des volumes de financement”, explique Jean-Baptiste Souchier, président directeur général de Cofiloisirs, société de financement spécialisée, filiale de BNP Paribas. “Avant la crise, il y a eu un mouvement de baisse mathématique des investissements des
chaînes, gratuites comme payantes, lié à la baisse de leurs chiffres d’affaires. Dans le même temps, la hausse du nombre de films a provoqué un saupoudrage des financements. Cela a été compensé il y a quelques années par la hausse des minimums garantis (MG) fournis par les distributeurs et les vendeurs internationaux, mais le phénomène avait atteint sa limite, déjà avant la crise.” Une tension qui pèse principalement sur les films dit “du milieu”. “Les gros films qui intéressent les chaînes se financent vite. Les films avec un budget réduit trouvent des financements avec un faible MG et des subventions des régions”, explique Anne Flamant. “Les films entre 4 et 7 M€ de budget sont beaucoup plus difficiles à financer aujourd’hui. Depuis la crise, ces films n’ont pas forcément rencontré leur public et ce manque d’entrées pèse sur les distributeurs qui connaissent une certaine fragilité en ce moment et ont du mal à
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