Les expériences de mort imminente (NDE)

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Arnaud Join-Lambert

Arnaud Join-Lambert 76

ISBN 978-2-87356-455-1 Prix TTC : 10,00 €

9 782873 564551

Collection « Que penser de… ? »

Arnaud Join-Lambert

Les expériences de mort imminente

Les expériences de mort imminente, ou NDE (Near Death Experiences), ont été popularisées par R. Moody en 1975. Éclipse humaine, tunnel ou trou noir, elles sont aujourd’hui largement médiatisées. Lumières sur l’au-delà ou superstitions? Visions ou hallucinations? Preuves de Dieu ou impostures ? Que décrivent ces récits et que sont-elles, que décrivent les récits qui en sont faits et que peut-on en déduire sur la mort et l’au-delà ? Peut-on en tirer des indications pour mieux accompagner aujourd’hui les mourants ? Arnaud Join-Lambert, professeur de théologie à l’Université catholique de Louvain, fait le point. En rassemblant les données disponibles sur ce phénomène, il nous fait avancer des récits de l’antiquité aux expériences de laboratoires, de la philosophie aux croyances. Son enquête rigoureuse donne les critères d’un discernement sérieux sur ces phénomènes et sur leurs conséquences pour la foi.

©Photo Illustration de couverture de couverture : Statue: chine-information.com de Notre-Dame de Lourdes (Ch. Delhez)

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Les expériences de mort imminente

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Les expériences de mort imminente



Arnaud Join-Lambert

Les expériences de mort imminente Hallucinations ou lumières sur l’au-delà ?

Collection « Que penser de… ? »


Arnaud Join-Lambert est docteur en théologie et professeur à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, depuis 2005. Il y enseigne la théologie pratique et la liturgie. Son champ habituel de recherche et d’enseignement concerne principalement les mutations affectant les Églises et leur portée théologique et sociétale (dont les ministères). Il est particulièrement attentif aux questions posées à la foi et à l’Église par la culture actuelle, organisant récemment des colloques sur les cinéastes et la spiritualité ou encore l’humour, la religion et les médias. C’est dans ce cadre qu’il faut situer ce livre sur les NDE. Il est l’auteur d’ouvrages sur la liturgie : La liturgie des Heures par tous les baptisés. L’expérience quotidienne du mystère pascal (Leuven, Peeters, 2009) ; Les liturgies des synodes diocésains français 1983-1999 (Paris, Cerf, 2004) ; Guide pour comprendre la Messe (Paris, Mame, 2002). Il vient de publier un ouvrage de spiritualité dans la collection « Prier 15 jours avec » sur Karl Leisner (Bruyères-le-Chatel, Nouvelle Cité, 2009).

© Éditions Fidélité • 7, rue Blondeau • BE-5000 Namur info@fidelite.be • www.fidelite.be ISBN : 978-2-87356-455-1 Dépôt légal : D/2010/4323/07 Illustration de couverture : © chine-information.com Maquette et mise en page : Jean-Marie Schwartz Imprimé en Belgique Ouvrage édité avec le soutien du département culture de la CCMC, a.s.b.l.


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Les enjeux d’une question

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ALLUCINATIONS ou lumières sur l’au-delà ? Tel

est le sous-titre provocateur de ce livre. Les expériences de mort imminente (en anglais, near death experiences, NDE) sont en effet interprétées de manières très variées et parfois extrêmes comme l’indiqueraient ces deux expressions. Balayer d’un revers de manche le phénomène des NDE en le traitant de superstition, hallucination ou imposture n’est pas si rare, et pas seulement dans les laboratoires de recherche en médecine. À l’opposé, y chercher des preuves de ce qui se passe après la mort n’est plus limité à quelques cercles ésotériques. Bref, il est urgent de faire le point, et pas seulement pour renvoyer dos à dos ceux et celles qui utilisent les NDE pour fonder leurs théories contradictoires. L’objectif de ce livre est d’y voir un peu plus clair, ne serait-ce qu’en présentant le plus de données disponibles. Cela nous fera parfois jouer à l’équilibriste parmi plusieurs interprétations. C’est à ce prix que l’on pourra comprendre ce phénomène le mieux possible. 3


Une nouvelle ampleur du phénomène des NDE Depuis une trentaine d’année, des récits de personnes « revenues » de la mort, ou de son contact tout proche, circulent dans tous les types de média. Ces récits profitent maintenant de la croissance ultrarapide des réseaux liés à l’Internet pour se diffuser, se démultiplier et même parfois se reproduire entre eux, mêlant expériences personnelles et révélations sensationnelles. Des éléments de ce qui est supposé survenir au moment de mourir ont été popularisés dans les films ou les dessins animés. L’expérience de mort imminente vécue par l’écureuil à la fin du dessin animé l’Âge de glace 2 (2006) en est une excellente et comique illustration. Une sensation de légèreté, de bien-être, de sortie du corps (ce qu’on appelle « décorporation »), puis un tunnel, une lumière, une rencontre avec un être lumineux font partie des éléments les plus connus de ces « expériences » de mort imminente. L’écureuil de l’Âge de glace 2 traverse un portail aux armes de la noisette et rencontre une noisette géante et divine avant d’être réanimé et comme aspiré en arrière vers le monde terrestre. Ce n’est pas si fantaisiste ! L’imaginaire auquel fait appel cet extrait du film est très répandu aujourd’hui. Quel Occidental n’a pas entendu parler de ces expériences de mort imminente ? Sans s’y intéresser de près, les sorties du corps, tunnels et autres lumières sont 4


des éléments fréquemment évoqués dans les medias. Cet imaginaire ne s’est pas construit récemment. Le Moyen Âge connaissait déjà des récits de « voyage de l’âme ». Des auteurs ont écrit sur le sujet, le plus connu étant Dante Alighieri et sa Divine comédie (début XIVe siècle). Aujourd’hui, le succès auprès des adolescents des Thanatonautes du romancier Bernard Werber* 1 atteste que la veine n’est pas éteinte, loin de là. Ce mot inventé désigne ici des « explorateurs » envoyés découvrir ce continent inconnu par les deux scientifiques héros de ce roman de science fiction. On pourrait très bien en rester à ce que les gens en disent, et relayer sans plus de réflexion ces témoignages. C’est ce que font beaucoup de personnes et même d’auteurs sur le sujet. Cette attitude est en fait en partie irresponsable, car les enjeux dépassent de loin les récits de ces personnes, ces « expérienceurs » comme on dit parfois (de l’anglais experiencer). Ces récits sont en effet considérés par certains comme une des preuves d’une réalité transcendante au-delà des frontières de la vie. D’autres y voient la preuve que l’être humain est constitué d’un esprit retenu dans un corps et qui s’en échappe lors d’une NDE. Il y aurait alors une

1. L’astérisque après un nom d’auteur indique que les références de son livre ou article sont en bibliographie à la fin du livre.

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conscience toute-puissante mais bridée par la dimension charnelle. Ou alors on applique aux NDE certaines théories bouddhistes ou encore ésotériques sur la coexistence de différents types de corps. D’autres enfin interprètent ces phénomènes comme une manifestation des capacités encore inconnues du cerveau humain. Celui-ci aurait un pouvoir insoupçonné de construction ou de reconstruction d’images. Cette dimension d’images est importante. Par de telles évocations, des « expérienceurs » peuvent en effet tenter de communiquer ce qu’ils ont vécu. Ces images puisent dans un imaginaire commun, tout en l’alimentant aussi, qui permet d’appréhender un peu le « ressenti » de l’autre. L’impact de ces phénomènes sur ceux qui les expérimentent et sur leurs proches ainsi que la diversité des interprétations — voire la manipulation des récits — rendent une mise au point utile et même indispensable pour faire le tri dans le flot d’informations véhiculées par ces expériences. Depuis plus de vingt-cinq ans, un domaine de recherche universitaire existe sous le nom de thanatologie. Son objet est l’étude de tous les aspects concernant le mourir et la mort, selon des perspectives et méthodes interdisciplinaires. Les NDE y ont une place importante, en tant que phénomène à la charnière de plusieurs états. L’intention de cet ouvrage est de contribuer à la réflexion actuelle.

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On utilise en français souvent le sigle EMI (pour expérience de mort imminente), voire parfois d’autres sigles : EFM pour expérience aux frontières de la mort, ESM pour expérience au seuil de la mort, EPM pour état proche de la mort. Il s’agit bien toujours de la même réalité. J’ai préféré employer le sigle anglais NDE, car c’est le plus commun, le plus connu et le plus utilisé, y compris dans des livres et articles en français. L’objectif de ce livre est donc de donner le plus d’éléments disponibles pour répondre à la question très difficile : Que dire de ces NDE ? Est-on confronté à un mécanisme purement neurologique ? Est-on dans le monde du rêve ? Entre-t-on dans un monde spirituel différent du nôtre ? D’un point de vue religieux, le christianisme a-t-il quelque chose à dire sur ce phénomène ? Autant de questions complexes qui seront abordées avec prudence et nuances.

Un parcours pour comprendre les NDE Le nombre de publications sur les NDE est énorme, car le sujet fascine. Mais beaucoup de livres ou d’articles ne font pas preuve de la rigueur nécessaire pour un sujet aussi complexe. Pour faire le tour des ouvrages et articles de revues scientifiques de référence sur les NDE en français, allemand et italien, 7


dans des disciplines aussi variées que la médecine, la psychologie, la philosophie, la théologie, l’histoire ou la sociologie, il suffit de quelques heures de lecture. Un très bon article de synthèse a été écrit en 2001 par Werner Thiede*, théologien et spécialiste des questions autour de la mort. La rareté de telles publications montre bien que peu de chercheurs se risquent à investiguer les NDE et à tenter des appréciations et compréhensions du phénomène. Même en anglais, où la littérature est la plus abondante, on trouve peu d’études rigoureuses et sans parti pris. Il y a enfin des écrits de journalistes, spécialisés dans le paranormal et surtout préoccupés de présenter des récits de NDE, souvent dans une perspective avide de sensationnel. Je propose ici un parcours pour qui veut se faire une idée précise des NDE, afin de penser par soimême. Rappelons enfin que le domaine est susceptible d’évoluer en fonction de découvertes scientifiques notamment neurologiques, mais son interprétation restera probablement encore longtemps très variable en fonction des individus. Le premier chapitre est consacré à une présentation du phénomène des NDE et des diverses interprétations et analyses à ce sujet. Puis un regard dans l’histoire permettra de constater l’existence de récits de ce type dès le Moyen Âge en Occident (chap. 2). Pour aller plus loin et essayer de comprendre ce phénomène, il nous faudra préciser ce 8


qu’on entend par « expérience » et quelles connaissances fournissent ces NDE (chap. 3). Je me demanderai ensuite ce que la tradition chrétienne offre comme éléments pour comprendre ces phénomènes, qui sont surtout connus et étudiés dans le monde occidental, c’est-à-dire un contexte marqué par le christianisme. Ce sera l’occasion de développer une réflexion plus théologique, donc faisant droit à la perspective croyante propre à la foi chrétienne (chap. 4). Puis j’examinerai certaines conséquences des NDE sur la vie sociale et culturelle de notre époque, à savoir l’impact de ces récits sur certaines méthodes ou convictions dans l’accompagnement des personnes en fin de vie. C’est pourquoi je prendrai le temps de soumettre à la critique les écrits et opinions de certains auteurs influents : Elisabeth Kübler-Ross et d’autres qui ont intégré les NDE dans leurs propres conseils (chap. 5). Dans un bilan final, je reprendrai ce qui est proposé dans cet ouvrage afin que chacun se forge son opinion sur ces NDE et leurs conséquences. Penser par soi-même est fondamental pour être adulte et vivre en adulte dans ce monde parfois difficile, que l’on soit croyant ou non-croyant (chap. 6). * Les lecteurs s’étonneront peut-être de ne pas trouver dans ce livre des récits de NDE. Ce sont en effet les premières sources de la réflexion. Comme on le verra dans le chapitre 3 sur ce qu’est une ex9


périence, il est en fait impossible de réduire le phénomène à des récits particuliers. Ou alors il faudrait présenter tous les types de récits, en illustrant chaque type par un récit qui semblerait représentatif. On voit vite la limite de ce procédé. Les personnes ayant vécu une NDE sont liées à une culture et des croyances qui forgent une certaine vision du monde. Ils ont aussi une langue, dont les mots sont porteurs d’un sens parfois intraduisible dans une autre langue. De plus, les ouvrages de tous genres sur les NDE regorgent de récits, de même que certaines autobiographies et bien entendu des sites Internet. En bref, il m’a semblé que des récits de NDE n’apportaient rien de plus à la réflexion proposée ici. Ils risquaient même plutôt de nous distraire du but visé, en raison de leur charge émotionnelle. Pour le dire autrement, je ne voudrais pas tomber dans ce travers, afin de donner plus de force au raisonnement ici développé. Certains seront enfin surpris que la dimension religieuse intervienne seulement au chapitre 4 et pas plus tôt. C’est même une dimension en fait assez marginale dans ce livre, pourtant écrit par un professeur de théologie. Il est en fait très important d’observer d’abord ce qu’il y a de naturel, puis de tenter de comprendre quel est le statut de l’expérience dont on parle dans les NDE, avant de se précipiter dans des hypothèses spirituelles et transcendantes. Ces dernières sont peut-être sédui10


santes pour certains mais très risquées. Il faut en effet parler de risques à propos de certaines affirmations hâtives. En ce qui concerne la foi chrétienne, celle-ci reste toujours articulée à la raison, sous peine de sombrer dans la superstition et de ne plus être cohérente avec ses sources bibliques et théologiques. La foi est cependant bien entendu aussi liée aux affects, aux impressions et aux ressentis, mais cela ne suffit pas à la fonder durablement ni à faire d’elle autre chose qu’une simple croyance individuelle et subjective. Parler de risque, c’est considérer que la foi serait alors peut-être affectée par des « révélations » quasi divines supplémentaires ou des preuves concernant la mort et l’après-mort.



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Croyants et non-croyants au pied du mur

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E but annoncé de ce livre était de voir plus clair

sur les NDE, de déployer le phénomène afin de fonder son propre discernement. Or, il semble bien que ni les ressources de la raison ni celles de la foi chrétienne ne permettent de donner une réponse définitive précise. Voyons ce que l’on peut retenir.

Un bilan en clair obscur La science peine à expliquer le phénomène. Elle possède aujourd’hui des pistes intéressantes dans la recherche neurologique. Elle peut mesurer et localiser une activité cérébrale, qui relierait une NDE à une activité de reconstruction ou de relecture, comme le fonctionnement de la mémoire. Mais cela ne résout pas tout. Peut-être parviendra-t-on à encore mieux décrire le fonctionnement « mécanique » d’une NDE avec les progrès de la recherche. Mais 103


les scientifiques doivent aussi abandonner toute prétention à une explication complète, déjà délaissée en bien d’autres domaines. Lorsque certains veulent à tout prix réduire les NDE à une cause physique ou psychique, on peut supposer qu’ils projettent leur incroyance afin au mieux de se rassurer, au pire de déraciner les superstitions propagées par les religions. Si les NDE ne sont pas explicables non plus à l’aide de la foi chrétienne, seraient-elles au moins une sorte de confirmation de cette foi ? Le croyant peut répondre oui, mais… c’est tout de même risqué. Si cela est une confirmation de la foi (sous-entendue objective, comme le serait une preuve), on commencera à chercher partout des confirmations de ce type. Et on quitterait le domaine de la foi, qui par définition ne peut pas se démontrer. Si les contenus de la foi étaient « démontrés », l’être humain serait obligé de « croire », perdant sa dimension de liberté qui est essentielle à la foi chrétienne. Si les NDE ne sont pas des preuves, rien n’empêche cependant un croyant de rendre grâce à Dieu, de le remercier pour la vie reçue jusque là et pour la vie donnée en « surplus ». Bien au contraire. Un croyant peut être réconforté dans sa foi par de tels événements, mais il ne peut pas la fonder sur de tels récits lus ou entendus.

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Des chrétiens tentés d’objectiver les NDE Quelques communautés chrétiennes marginales, de type « évangélique », se sont emparées des NDE pour attester la vérité de leur prédication sur la mort et l’au-delà. Plusieurs auteurs de cette mouvance ont ainsi publié des livres dans ce sens aux États-Unis dans les années qui suivirent le livre de Raymond Moody. À leur lecture, on constate combien cela est dangereux, car ce discours qui prouve la foi — ainsi que le jugement de tous les êtres humains et la damnation de certains — permet aussi une forme d’embrigadement. Pour le dire autrement, l’être humain n’aurait alors plus le choix, car le témoin de la NDE aurait vu ce qui attend son auditeur ou son lecteur, si celui-ci ne change pas de mode de vie. La prudence des grandes Églises chrétiennes montre le sérieux avec lequel elles honorent une démarche de foi pleinement compatible avec la raison, tout autant qu’une entière liberté laissée à l’être humain dans sa réponse croyante à la proclamation de l’Évangile. Pourtant, ces NDE ont un tel pouvoir de fascination et de questionnement que les milieux catholiques eux-mêmes ne sont pas à l’abri de telles pratiques. Par exemple, une Colombienne nommée Gloria Polo témoigne un peu partout (à Bruxelles, en juin 2008) de sa conversion radicale suite à une NDE. Elle détaille aussi le contenu de son « voyage » peu105


plé de démons, d’âmes au purgatoire (« surtout des jeunes ») et d’un « trou béant où l’on ressentait l’absence absolue de l’amour de Dieu et ce, sans le moindre espoir ». Elle raconte combien l’examen de sa vie était terrible en suivant les dix commandements de la Bible, sans circonstances atténuantes, implorant le secours de son père et de sa mère déjà morts qui pleuraient et priaient. Le Seigneur lui montrait toutes les conséquences de ses péchés, et lui dit avec amour : « Tu vas repartir (sur terre) et tu donneras ton témoignage non pas mille fois, mais mille fois mille fois. Et malheur à ceux qui ne changeront pas après avoir entendu ton témoignage, car ils seront jugés plus sévèrement, comme toi lorsque tu reviendras ici un jour ; de même pour mes oints, les prêtres, car il n’y a pas pire sourd que celui qui refuse d’entendre ! » www.gloriapolo.com (consulté le 30 novembre 2009)

Cette façon d’asséner des vérités est bien dans le registre de la preuve, qui était dénoncée plus haut. On est dans une perspective d’un savoir donné à une élue, malgré le vocabulaire omniprésent de son indignité et de l’humiliation reçue. Il n’y a en fait plus beaucoup de différences avec des utilisations de récits de NDE dans des milieux non106


chrétiens. Il convient donc de se méfier au plus haut point des affirmations trop rapides dans ce domaine, de quelque provenance que ce soit. Les NDE sont en effet le lieu de multiples interprétations ésotériques de toutes sortes. On est dans une tendance très actuelle d’un retour au gnosticisme, à savoir la recherche d’une maîtrise d’une connaissance cachée. Les voies du paranormal seraient des accès à cette connaissance. Et cela fascine beaucoup les hommes et femmes de notre temps. En témoignent les « journées de la survivance » organisées régulièrement à Paris. Certains mouvements chrétiens sont particulièrement friands de ces « révélations » sur l’au-delà, se trouvant ainsi paradoxalement proches de la mouvance New Age.

Les NDE ne sont pas des preuves L’utilisation des NDE pour affirmer quelque chose dans le domaine des religions ou des croyances est pour le moins hasardeuse. Il faut en tout cas éviter absolument le piège de parler de « preuve » ou de mots similaires. Un croyant tout comme un noncroyant tomberait alors dans un concordisme, c’està-dire la volonté de faire coïncider des éléments de nature différente (ici les objets de foi et les résultats scientifiques). Pour un croyant des religions monothéistes, rien n’est impossible à Dieu. Il ne peut 107


pas exclure totalement que Dieu intervienne dans une NDE, selon une logique et des expressions que Dieu seul connaît. Mais le croyant n’a aucune maîtrise sur cela. Les NDE ne livrent pas de certitudes sur l’au-delà. Les récits nous communiquent quelque chose situé en deçà de la mort. Ce qui se passe après n’est pas démontrable. En résumé, le phénomène des NDE est avéré, en tout cas bien réel dans le cadre précis d’une expérience personnelle (de type Erlebnis). Cela n’indique par pour autant une objectivité ou une extériorité des éléments des récits. Ni bonnes ni mauvaises en soi, ces NDE se révèlent parfois bonnes et profitables pour les êtres humains qui les font, ainsi que leur entourage, en fonction aussi des interprétations qu’ils en font. Quant à la dimension proprement religieuse, les NDE n’indiquent rien, même si un croyant n’exclura pas que cela vienne de Dieu. Notons en passant que certains disaient et disent encore a contrario que les NDE pourraient venir du diable qui abuserait ainsi les êtres humains (l’évangéliste Tim Lahaye, par exemple). Cela montre bien que le registre de la preuve religieuse est difficile à tenir. La foi n’est pas engagée dans le contenu des NDE. La poésie offre certainement des ressources pour exprimer l’inexprimable des NDE, comme toute forme d’art. Dans une remarquable petite pièce de théâtre, Éric-Emmanuel Schmitt* explore ce monde mystérieux d’avant la mort qui n’est plus tout à fait 108


la vie. Dans un hôtel qui appartient à la fois au monde terrestre et à un autre monde inconnu, cinq personnes sont en attente de revenir dans un hôpital où elles gisent inanimées, ou d’être envoyées vers un lieu que même leur énigmatique docteur ne connaît pas. Cette réflexion sur le sens de la vie et de la mort est nourrie par les attitudes contrastées des voyageurs. Le déni de l’un coexiste avec l’évolution des autres, faite de révolte, de fatalisme ou de patience sereine. Sans prétendre répondre, Éric-Emmanuel Schmitt relativise les affirmations trop définitives sur ce « monde intermédiaire », faisant dire par un mage indien en début de pièce : « Pourquoi ne pouvez-vous pas supporter que nous ayons raison tous les deux ? » Il invite surtout à contempler et vivre le mystère de la vie et de l’amour. Les chrétiens, tout comme des croyants d’autres religions ou des non-croyants, ne sont donc pas obligés de croire que les contenus des récits de NDE sont une réalité extérieure à l’être humain. Ils sont par contre tenus d’accompagner avec bienveillance ceux et celles qui ont fait une expérience de ce type, sans les marginaliser ni les mettre sur un piédestal. Cet impératif moral qui met en scène deux êtres humains, l’accompagné et l’accompagnant (« l’expérienceur » et un de ses proches ou un soignant), n’est pas dépendant de croyances religieuses. Comme en bien des cas de la vie quotidienne, ce qui prime est

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avant tout la qualité de la relation établie entre les personnes. Les NDE existent et des personnes en ont vécues réellement. Il reste à tous ces vivants — les « expérienceurs » comme leurs proches ou accompagnateurs, mais aussi tous les êtres humains proches de la mort — à vivre le plus pleinement possible ce qui leur est donné. Les interprétations objectivistes des NDE apparaissent paradoxalement comme des occasions de fuir l’ici et maintenant de la réalité de la condition charnelle. Dans ce domaine si complexe, mystérieux et intime de proximité avec la mort, la nôtre comme celle de nos proches, les NDE ne nous aident pas à maîtriser quoi que ce soit. Se baser sur de tels phénomènes pour comprendre la mort et mieux l’appréhender peut générer illusion et déception. Que ce soit selon une perspective philosophique ou théologique, l’espérance est d’un autre type.

Le porche de l’espérance Prenons une image architecturale pour conclure notre réflexion. Par rapport à l’après-mort, les NDE seraient un porche. Élément architectural symbolique au moins autant que pratique, le porche est une sorte de cadre qui marque un emplacement. Le porche est vide, et c’est bien ce vide qui est le plus 110


symbolique de la mort. Un porche peut être un passage vers un autre lieu, mais il peut aussi n’ouvrir sur rien. Pensons par exemple aux arcs de triomphe. Un porche peut aussi être muré pour diverses raisons y compris décoratives. Le porche indique donc d’abord un emplacement où se joue quelque chose de symbolique. Comme un porche, les NDE marquent dans les existences mortelles ce point final inévitable auquel tous seront confrontés. Les croyants savent par leur foi que ce porche est évidé et ouvre sur un ailleurs. Ce sera donc selon leur foi un passage. Mais ce qui existe une fois le porche franchi reste inaccessible avant. Ce passage est sans retour. Les non-croyants dans une vie après la mort voient une borne dans leur existence, un mur sur lequel leur vie, leurs relations, leurs biens… vont se fracasser et disparaître, ou un grand vide dans lequel tout va se dissoudre. Les grandes et petites composantes de leur vie subsisteront ensuite seulement dans la mémoire des vivants. Il y a un porche célèbre dans la littérature française. Dans le Porche du mystère de la deuxième vertu, le poète Charles Péguy médite sur l’espérance, qu’il nomme « la petite sœur espérance » en référence à ses grandes sœurs que sont la foi et la charité. Dans les cent vingt pages de ce très long poème en prose, Charles Péguy donne la parole à Dieu lui-même, qui exalte l’espérance. Cela permet aussi au poète de dire combien le peuple athée et déchristianisé de 111


la France de 1913 (!) est encore habité par la grâce de Dieu, puisqu’il a encore l’espérance. Et cela étonne Dieu… « La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance. La foi, ça ne m’étonne pas, ça n’est pas étonnant. J’éclate tellement dans ma création. Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne. Ça c’est étonnant, que ces pauvres enfants voient comment tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux, qu’ils voient comment ça se passe aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin. Ça c’est étonnant et c’est bien la plus grande merveille de notre grâce. Et j’en suis étonné moi-même. Il faut, en effet, que ma grâce soit d’une force incroyable, et qu’elle coule d’une source et comme un fleuve inépuisable. » Charles Péguy Le Porche du mystère de la deuxième vertu

Cette espérance suscite l’admiration du poète et nourrit sa propre espérance. C’est peut-être ainsi que les NDE ont le plus de sens et de force. Elles seraient une composante de ce grand porche de l’espérance. Confrontés au seuil de la mort, croyants et non-croyants y sont interpellés sur leur manière de vivre, leur compréhension du sens ou du non-sens de l’existence humaine, leur croyance ou leur foi sur l’au-delà du porche s’il y en a un, etc. Ces ex112


périences et cette espérance les renvoient immanquablement vers l’aujourd’hui de leur histoire, peuplé d’autres êtres humains et de toute une création dignes de leur engagement pour mieux vivre ensemble. Et si tous les êtres humains s’engageaient ainsi, il y aurait fort à parier que le Dieu de Charles Péguy s’en étonnerait avec émerveillement.


Bibliographie OUVRAGES ET ARTICLES UTILES ◆ Jacques ARNOULD, Les moustaches du diable. Lorsque la foi se frotte à la science mais aussi à l’astrologie, aux miracles, aux expériences de mort imminente, Paris, Cerf, coll. « Théologies », 2003 p. 35-54. ◆ Claude CAROZZI, Le voyage de l’âme dans l’au-delà d’après la littérature latine (Ve-XIIe siècle), Rome, École française de Rome, 1994, coll. de « l’École française de Rome » no 189. ◆ Claude-Claire et René KAPPLER, « L’apocalypse de Paul », dans : Écrits apocryphes chrétiens, vol. 1, édités par François Bovon & Pierre Geoltrain, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1997, p. 775-826. ◆ Hubert KNOBLAUCH, « Les expériences du seuil de la mort en Allemagne : La fin d’un déni ? » dans La mort : perceptions et pratiques d’aujourd’hui. Recherches sociologiques 32/2 (2001), p. 49-61. ◆ Patrick SBALCHIERO, Enquête aux portes de la mort. Le point sur les expériences de mort imminente, Chambray-les-Tours, CLD, 2008. ◆ Werner THIEDE, « Thanatologie und Theologie : zur Frage nach der Relevanz der Erforschung von Todesnähe-Erfahrungen für die christliche Eschatologie », dans Glaube und Denken 14 (2001), p. 111-137.

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AUTRES OUVRAGES ET ARTICLES ÉVOQUÉS ◆ Wolgang BEHNK, « Vom Mythos der « Lebennach-dem-Tod »-Literatur. Tendenzen natürlicher Theologie und ihre ethische Implikationen », dans Zeitschrift für evangelische Ethik 23 (1979) p. 221232. ◆ Jean-Jacques CHARBONNIER, Les preuves scientifiques d’une Vie après la vie, Paris, Exergue, 2008. ◆ Jean-Hugues DÉCHAUX, « Mourir et se souvenir aujourd’hui », dans Célébrer no 347 (2006), p. 1215. ◆ Evelyn ELSAESSER VALARINO (éd.), D’une vie à l’autre. Des scientifiques explorent le phénomène des expériences de mort imminente, Paris, Dervy, 1999. ◆ Johann Christoph HAMPE, Sterben ist doch ganz anders. Erfahrungen mit dem eigenen Tod, Stuttgart, Kreuz Verlag, 1975. ◆ Albert HEIM, « Notizen über den Tod durch Absturz », dans Jahrbuch des Schweizer Alpenclub 27 (1892), p. 327-337. ◆ Marie de HENNEZEL, La mort intime. Ceux qui vont mourir nous apprenne à vivre, Préface de François Mitterrand, Paris, Robert Laffont, coll. « Aider la vie », 1995. ◆ Marie de HENNEZEL et Jean-Yves LELOUP, L’art de mourir. Traditions religieuses et spiritualité humaniste face à la mort aujourd’hui, Paris, Robert Laffont, coll. « Aider la vie », 1997.

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Hubert KNOBLAUCH, Berichte aus dem Jenseits. Mythos und Realität der Nahtod-Erfahrung, Freiburg i. Br., Herder, 1999. ◆ Elisabeth KÜBLER-ROSS, La mort est un nouveau soleil, Monaco, Éd. du Rocher, 1988. ◆ Hans KÜNG, Vie éternelle ? Paris, Seuil, 1985 [en allemand, en 1982]. ◆ Raymond MOODY, La vie après la vie. Enquête à propos d’un phénomène. La survie de la conscience après la mort du corps, Paris, Robert Laffont, 1977 [en anglais, en 1975 : Life after life.]. ◆ —, Lumières nouvelles sur la vie après la vie, Paris, Robert Laffont, 1978 [en anglais, en 1977 : Reflexions on « Life after life »]. ◆ —, La lumière de l’au-delà, Paris, Robert Laffont, 1988 [en anglais, en 1988 : The light beyond]. ◆ Jean MONBOURQUETTE et Denise LUSSIER-RUSSEL, Le temps précieux de la fin. Un livre d’accompagnement sur le temps d’approche de la mort, Paris, Bayard, 2004. ◆ Michael POTTS, « Sensory experiences in near death experiences and the Thomistic view of the soul », dans International Journal for Philosophy of Religion 49 (2001), p. 85-100. ◆ Kenneth RING, En route vers l’Oméga. À la recherche du sens de l’expérience de mort imminente, Paris, Robert Laffont, 1991 [en anglais en 1984]. ◆ —, Le projet Oméga. Expériences du troisième type NDE, Monaco, Éd. du Rocher, 1994. ◆

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David ROYSE, « The near-death experience. A survey of clergy’s attitudes and knowledge », dans The Journal of pastoral care 39/1 (1985), p. 31-42. ◆ Éric-Emmanuel SCHMITT, Théâtre ***. Frédérick. Petits crimes conjugaux. Hôtel des deux Mondes, Paris, Le Livre de Poche, 2003 (no 30618). ◆ Werner THIEDE, « Der Tod als Bagatelle. Neuere Wissenschaftler-Interview über Nahtodeserfahrungen », dans Die Zeichen der Zeit 6 (1996) p. 220-224. ◆ Pim van LOMMEL [et autres], « Near-death experience in survivors of cardiac arrest. A prospective study in the Netherlands », dans The Lancet 358, no 9298 (2001), p. 2039-2045. ◆ Bernard WERBER, Les thanatonautes, Paris, Albin Michel, 1994 [en poche en 1996]. ◆



Table des matières Les enjeux d’une question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Une nouvelle ampleur du phénomène des NDE . . . . . . . . 4 Un parcours pour comprendre les NDE . . . . . . . . . . . . . 7

1. Des phénomènes variés complexes . . . . . . . . . . . 13 Qui s’y frotte s’y pique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 La vie après la vie (Life after life, Raymond Moody) . . 17 Des recherches ouvrant vers deux grandes interprétations : objectiviste ou subjectiviste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 Trois affirmations courantes sur les NDE . . . . . . . . . 29 L’apport de la science dans la connaissance des NDE . . 33

2. Des phénomènes anciens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 L’Apocalypse de Paul : une référence méconnue et incontournable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 Des NDE au Moyen Âge ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Des textes allégoriques, très suggestifs et imagés . . . . . 50 À l’époque moderne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Un bilan de l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

3. De quelle expérience parle-t-on ? . . . . . . . . . . . . 59 Une expérience incommunicable et pourtant certaine . . 59 Ne pas absolutiser les contenus des NDE . . . . . . . . . . . 62 Interprétation, langage et culture . . . . . . . . . . . . . . . . 65

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4. Quelle compréhension possible à l’aide des ressources de la tradition chrétienne ? . . . . . 67 Le silence biblique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Le silence de l’Église. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 Prises de position de théologiens . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

5. Les NDE au service d’un « savoir-mourir » . . . . . 83 Les NDE à la base des livres d’Elisabeth Kübler-Ross . . 84 Les relations ambiguës de Marie de Hennezel, Jean-Yves Leloup et Jean Monbourquette avec les NDE . . . . . . . 89 Comment faire la part des choses ? . . . . . . . . . . . . . . . 98

6. Croyants et non-croyants au pied du mur . . . . . 103 Un bilan en clair obscur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Des chrétiens tentés d’objectiver les NDE. . . . . . . . . . 105 Les NDE ne sont pas des preuves. . . . . . . . . . . . . . . . 107 Le porche de l’espérance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114



Arnaud Join-Lambert

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ISBN 978-2-87356-455-1 Prix TTC : 10,00 €

9 782873 564551

Collection « Que penser de… ? »

Arnaud Join-Lambert

Les expériences de mort imminente

Les expériences de mort imminente, ou NDE (Near Death Experiences), ont été popularisées par R. Moody en 1975. Éclipse humaine, tunnel ou trou noir, elles sont aujourd’hui largement médiatisées. Lumières sur l’au-delà ou superstitions? Visions ou hallucinations? Preuves de Dieu ou impostures ? Que décrivent ces récits et que sont-elles, que décrivent les récits qui en sont faits et que peut-on en déduire sur la mort et l’au-delà ? Peut-on en tirer des indications pour mieux accompagner aujourd’hui les mourants ? Arnaud Join-Lambert, professeur de théologie à l’Université catholique de Louvain, fait le point. En rassemblant les données disponibles sur ce phénomène, il nous fait avancer des récits de l’antiquité aux expériences de laboratoires, de la philosophie aux croyances. Son enquête rigoureuse donne les critères d’un discernement sérieux sur ces phénomènes et sur leurs conséquences pour la foi.

©Photo Illustration de couverture de couverture : Statue: chine-information.com de Notre-Dame de Lourdes (Ch. Delhez)

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Les expériences de mort imminente

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