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AVANT-PROPOS

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PERSPECTIVES

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Une année lors de l’abattage d’un arbre, il se trouva que celui-ci était creux et qu’une colonie d’abeilles s’y était installée. Marc Guillemain transféra la colonie dans une ruche 12 cadres. Et, évènement que nous avons tous connu, le printemps suivant, l’essaim n’avait pas survécu. Apiculteur expérimenté, cet échec le déconcertait. À force de réflexion, il conclut que la ruche est un habitacle trop froid.

L’idée d’isoler les ruches lui vient de cette expérience singulière. Il multiplia les essais avec tous les matériaux isolants disponibles. Progressivement, il mit au point sa fameuse PIHPgm, partition isolée haute performance, qui est toujours copiée, jamais égalée car les principes sous-jacents à cette conception et à la conduite des ruches qui en découle sont ignorés. Il combina isolant réfléchissant pour renvoyer le rayonnement infrarouge sur le couvain et isolant thermique pour couper la conduction des matériaux.

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Son apport majeur porte sur l’importance qu’il accorde à la thermorégulation du couvain, économiser les forces des abeilles dans le maintien des paramètres de température et d’hygrométrie indispensables pour une bonne maturation du couvain.

Il défendit son idée contre l’avis même de nombreux apiculteurs qui s’inquiétaient d’une hygrométrie élevée dans la ruche ainsi isolée, fermée. Cette question que soulevaient en permanence ses stagiaires l’agaçait. Il constatait que ses colonies résistaient bien aux agressions multiples, que l’humidité n’était pas catastrophique. Il en arriva à une nouvelle conclusion : l’hygrométrie doit être d’autant plus élevée qu’elle est utile pour le couvain et peut être néfaste pour Varroa destructor. D’autres paramètres sont encore à prendre en compte, dont la gestion du gaz carbonique lui aussi délétère pour varroa.

Pour lui, innovation technologique et changement des pratiques apicoles allaient de pair. C’est en ce sens qu’il fut un révolutionnaire. Il mêlait connaissance/respect de la vie de l’abeille, création d’outils techniques/développement de nouvelles méthodes de travail.

Les gains obtenus avec son approche sont économiquement remarquables, la qualité de vie des abeilles, leur longévité, leur résistance naturelle aux maladies sont étonnantes.

La voie qu’il a tracée est celle d’une apiculture basée sur la connaissance de la biologie de l’abeille et sur la maîtrise du microclimat de la ruche par la colonie.

Marc Guillemain déclina des modalités de conduite des colonies qui gèrent à moindre coût énergétique l’homéostasie du couvain. Cette économie du cycle de vie est orientée sur le bien-être des abeilles pour donner aux colonies davantage de capacité pour résister aux agents pathogènes, aux agressions environnementales, pour s’adapter aux changements climatiques et aux spécificités environnementales locales.

Cet ouvrage est une porte d’accès à ses intuitions et aux méthodes qu’il développa. Chacun s’en saisira et apportera à son tour expériences et connaissances pour une apiculture renouvelée.

Cet ouvrage fut conçu et son écriture amorcée avec Marc Guillemain. Inlassablement, il rappelait qu’il fallait se référer au tronc d’arbre creux et produire le même environnement que celui où les colonies se sont construites durant des millions d’années. Le bien-être des colonies est au cœur de son amour pour les abeilles et du respect qu’il leur portait.

La maladie l’emporta quelques mois avant la parution de cet ouvrage. Ce sportif de haut niveau aura consacré toute l’énergie des derniers mois de son extraordinaire existence pour nous permettre d’aboutir.

AVANT-PROPOS . 4

INTRODUCTION . 9

LA RUCHE ET LA BIOLOGIE DE L’ABEILLE 10

Les ruches à cadres mobiles vs le tronc d’arbre creux 11

Fluctuations journalières, saisons et changement climatique 12

Travailler avec le climat de la ruche : un changement de paradigme 12

La colonie : un super-organisme homéotherme 21

Chaleur, hydrométrie, CO₂ et varroa 24

Économiser l’énergie des abeilles, améliorer leur confort par l’isolation 26

Le choix des matériaux d’isolation 36

Réorganiser la ruche actuelle 40

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Quand les abeilles vont collecter du nectar, elles vont chercher de l’énergie pour se nourrir, pour voler et pour chauffer le couvain. Chauffer est une activité très importante pour la colonie : a minima, 60 % du nectar collecté sert uniquement à cela. De ce point de vue, le miel peut être considéré d’abord comme un combustible.

Économiser l’énergie des abeilles en travaillant sur leur bien-être sera le cœur de notre propos.

Le tronc d’arbre creux, habitacle originel des abeilles, assure un environnement climatique parmi les plus intéressants pour l’abeille en nos contrées. Depuis peu, il devient la référence pour tous les chercheurs qui se penchent sur le bien-être de l’abeille.

En osmose avec la vie de l’arbre, la colonie exploite au mieux les qualités du tronc pour le maintien des conditions hygrométriques et thermiques vitales pour le couvain.

Cet habitacle reste encore celui des abeilles sauvages, devenues rares dans nos contrées fortement modifiées par la présence humaine.

La référence au tronc d’arbre creux comme habitacle idéal pour les colonies sera en arrière-plan de nos réflexions.

Depuis que l’humanité a cueilli des essaims sauvages et les a mis dans un récipient, au plus près de sa maison, domus en latin, l’abeille est appelée « domestique ». Et pourtant, l’abeille reste un insecte sauvage dans la mesure où sa « domestication » n’a pas opéré de changement génétique la rendant dépendante de l’homme, comme ce fut le cas par la sélection et les croisements pour les chiens, les bovins, etc.

Thomas Seeley qualifie Apis mellifera d’abeille semi-domestiquée1.

Le caractère sauvage de l’abeille en fait un animal de rente particulièrement robuste dont la taille des colonies s’ajuste aux disponibilités de la ressource nectarifère et pollinifère locale.

Aujourd’hui, le contexte du changement climatique accentue les modifications de l’environnement naturel déjà impacté par les activités humaines. Cette situation nous conduit à rechercher pour les abeilles des conditions de vie plus proches de celles qui sont les leurs à l’état naturel, en choisissant le meilleur compromis entre le respect de la biologie de la colonie, c’est-à-dire le bien-être de l’abeille, et le travail de l’apiculteur.

LA RUCHE ET LA BIOLOGIE DE L’ABEILLE

D’où vient cette idée qu’isoler les ruches serait profitable aux abeilles ? Ne sont-elles pas depuis des millénaires, habituées à la diversité des cavités naturelles pour se loger ? Nos caisses en bois offrentelles aux abeilles un habitat confortable ?

LES RUCHES À CADRES MOBILES VS LE TRONC D’ARBRE CREUX

Depuis la fin du xixe siècle, les ruches à cadres mobiles se sont peu à peu imposées pour une exploitation rationnelle et productive des colonies, mais rares sont les modèles qui ont privilégié le volet isolation. À la fin du xxe siècle, nous avons même vanté les mérites des plateaux de sol ventilés pour les ruches.

En France, jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, nombre d’auteurs se sont opposés, avec des arguments soit en faveur du confort des abeilles soit en faveur de celui de l’apiculteur. Alors que la production du miel était une activité à la marge des travaux de la ferme, le développement d’entreprises apicoles a privilégié « les méthodes modernes d’apiculture à grand rendement » (photo ci-contre). Certains, avec pertinence, reprochaient à ces ruches de menuisier d’être peu étanches aux variations de température ; Alin Caillas, dans son ouvrage de 1948, comparait déjà ces ruches à de vulgaires caisses d’emballage. Il notait que le miel, source unique de chauffage dans les ruches, est dilapidé par une insuffisance d’isolation. Il espérait qu’avec des matériaux à venir on pourrait renvoyer le rayonnement infrarouge émis par les abeilles sur le couvain pour économiser cette précieuse ressource qu’est le miel. Il pensait que l’on pourrait diviser par deux le volume des réserves en miel nécessaires pour l’hivernage.

Aux États-Unis, Haydak développe des recherches dans le Minnesota durant 20 ans (1943-1964), sur des ruchers expérimentaux2. Il montre à quel point la mortalité des abeilles et les dommages qu’elles subissent dépendent du degré d’isolation. Il remarque également que dans les ruches à simple paroi, 34 % des colonies étaient mortes ou affaiblies ; une légère protection ramène les pertes à 15 % et une isolation soignée à 10 %. À noter que ces études ont été menées dans un contexte où le varroa n’était pas encore présent. Relier la mortalité des colonies à la qualité de l’isolation sur une aussi longue période d’observation conserve donc tout son sens.

Aujourd’hui, des travaux de recherche s’intéressent aux conditions de vie des abeilles sauvages, ils mettent en lumière les qualités du tronc d’arbre, tant du point de vue du matériau que de son volume et de sa forme pour optimiser l’énergie des abeilles. Désormais des questions se posent sur le bien-fondé de nos matériels et de nos pratiques apicoles.

La date de floraison des plantes sauvages comme la bruyère blanche devient imprévisible à cause du changement de climat.

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