GUIDE DE LA COULEUR AU JARDIN
Vous demander lequel de ces deux jardins est le plus beau relève du débat stérile. Il est bien facile de s’extasier d’admiration devant la masse d’agastaches et de lavandes mauves qui se mêlent aux champêtres Ammi majus blanches et Anthemis ‘Sauce Hollandaise’. Par contre, ça pète de couleurs flashy plus bas avec une débauche de Kniphofia, Agapanthus, Penstemon, Cosmos, Lychnis Quoi ? Vous changeriez la couleur Barbie du mur ? Vous voyez, vous critiquez déjà… Blague à part, voilà l’endroit idéal pour requinquer le moral des patients d’un hôpital.
C'est fou ce que la couleur suscite comme intérêt au jardin, outil jubilatoire pour les uns, source d'angoisse pour les autres. Pourtant, il ne s'agit pas de la chose la plus importante. d'abord vient la structure de l'ensemble, le choix de plantes qui correspondent aux conditions particulières de son terrain, puis faire en sorte qu'il existe une succession tout au long de la belle saison en ne misant pas tout sur les fleurs. La couleur vient ensuite. Elle n’est pas une fin en soi.
Parlez cependant de couleurs à trois personnes et il est presque sûr que, non seulement le débat s’anime, mais aussi les avis divergent. Chacun de nous possède un bagage émotionnel, culturel différent. Pendant que certains détestent l’orange, d’autres n’hésitent pas à planter des tulipes jaunes à côté d’un nain de jardin de plastique rouge. Qui peut s’enorgueillir de détenir le bon goût ? Ce qui se joue dans un jardin, tout comme sur une toile, est irréductible à une explication commune. La logique du collectif est-elle une référence absolue ? Alors soit, le jaune est jubilatoire, le noir sombre, le rouge intense et le bleu mélancolique.
Et pourtant je vous le dis : tout est une question de rétine ! À l’arrière de l’œil, nous disposons de trois types de cônes qui permettent de distinguer les couleurs fondamentales : le rouge, le vert et le bleu. Mais nous ne sommes pas tous égaux. Quand la science s’en mêle, on découvre qu’une même étendue d’herbe est perçue plus jaune par les hommes et plus verte par les femmes. Serait-ce là l’origine de l’expression « aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs » ? Il paraît aussi que si vous brûlez un feu rouge à 60 000 kilomètres par seconde, il devient vert. du moins c’est ce que prétend M. doppler.
d ès lors, les choses se compliquent quand on apprend que 8% des hommes sont daltoniens de trois manières possibles ou que la grande paysagiste anglaise Gertrude Jekyll, pourtant révérée comme une sainte par les amoureux des jardins anglais colorés, était myope comme une taupe au point d’avoir abandonné sa destinée de peintre au profit de la création de jardins.
Est-il donc bien sérieux de vous proposer un livre sur les couleurs alors que nous percevons chacun des nuances différentes, que notre éducation et notre vécu influencent nos choix ? La réponse est affirmative.
Ce livre ne prétend qu’ouvrir les portes d’un monde fascinant dont l’histoire n’est jamais terminée. r ien n’est définitif. Il n’y a pas sujet plus empirique que les couleurs car les paramètres sont à ce point nombreux que chaque jardin, chaque expérience est unique. observez, essayez, modifiez. J’aimerais simplement vous apporter les notes mais pas la partition. Soyez… jazz…
Principes & fondamentaux
Le nuancier du cercle chromatique
NON, NE TOURNEZ PAS LA PAGE ! Ce mot galvaudé a son importance au jardin si l’on en retient quelques principes de base. Par essence, l’homme aime l’ordre et les classifications qui lui rendent la vie plus « simple ». Simple ? Pas sûr, car le jardinier utilisera plus volontiers le cercle chromatique du peintre alors que les imprimeurs et les techniciens de l’écran ont respectivement d’autres valeurs. Mais ne compliquons pas les choses. Je ne suis pas un adepte de la théorie et des règles, sauf lorsqu’elles sont faites pour ne pas être respectées. Elles ont beau nous rendre la vie confortable, rien ne vaut les coups d’éclats d’une heureuse surprise par essence imprévisible. Toutefois, quelques éléments sont importants pour comprendre comment fonctionnent les couleurs et ce que l’on peut en tirer au jardin.
LES COULEURS PRIMAIRES
Il existe trois couleurs dites primaires, ce qui signifie qu’elles ne peuvent être obtenues par mélange. C’est le rouge, le jaune et le bleu. Ces couleurs dégagent une forte luminosité car elles sont pures. Si vous les diluez en ajoutant du blanc par exemple, elles perdent en luminosité, une caractéristique parfaitement visible chez les fleurs et qui permet de mettre en évidence des contrastes de clair-obscur.
on aime souvent associer le monde de la peinture à celui des jardins pour mettre en évidence des règles communes mais il y a des limites. Si la juxtaposition à quantité égale de ces trois couleurs pures réussit parfaitement à Mondrian, je doute qu’elle séduise au jardin. Si vous ne me croyez pas, faites traverser ce parterre tricolore à un caméléon et il y a de fortes chances qu’il meure avant d’arriver au bout, sans compter les associations de défense des animaux qui crieraient au scandale.
LES COULEURS SECONDAIRES
Fort heureusement, si vous mélangez ces trois couleurs deux par deux, vous obtenez les couleurs dites secondaires : le vert (jaune + bleu), l’orange (jaune + rouge), le violet/pourpre (rouge + bleu). Elles sont placées sur le cercle chromatique en opposition à la couleur primaire qui n’entre pas dans leur composition et dont elles deviennent les « complémentaires ». L’information est intéressante car si vous choisissez d’unir une couleur primaire à sa complémentaire, le résultat ne peut que séduire, pour autant que vous aimiez les contrastes. Le meilleur exemple que l’on puisse donner est le parterre rouge monochrome. Inutile d’y ajouter quoi que ce soit, le résultat est fascinant car l’abondance de feuillage vert, sa couleur complémentaire, installe une harmonie que rien ne peut égaler. d e manière générale, une moindre importance accordée à l’une des couleurs rendra le contraste plus frappant encore.
La juxtaposition de deux couleurs, une primaire et sa complémentaire, est l’une des bases à retenir pour la création d’un parterre. Chacune intensifie les qualités de l’autre si l’on respecte toutefois un dosage harmonieux. En règle générale, il faut que la plus lumineuse des deux ne domine pas la situation.
[1] Rouge/vert : le rouge est l’une des trois couleurs primaires. Si on le mélange à son complémentaire, le vert, qui résulte de l’association des deux autres primaires bleu et jaune, on obtient un effet des plus plaisants à l’œil. Les deux nuances entrent en dialogue sans combat. Elle s’enrichissent mutuellement malgré le contraste évident qui existe entre elles. Une complicité à ne pas oublier et tellement facile à obtenir par l’abondance de feuillages verts disponibles.
[2] Bleu/orange : le bleu primaire est rare au jardin. Sa froideur se réchauffe au contact de sa couleur secondaire, l’orange. L’équilibre visuel n’est atteint que si la quantité d’orange est réduite. Dans le cas contraire, la prédominance de l’orange a beau être énergique, elle agace rapidement si l’espace est grand. Les fans de Van Gogh qui ne peuvent s’offrir ses Iris choisiront le 50/50.
[3] Jaune/violet : le jaune, la couleur la plus lumineuse qui soit, s’assagit au contact du calme violet. Il ne faut donc pas en abuser pour obtenir un équilibre visuel entre les deux tonalités et mettre en évidence la qualité intrinsèque de chacune d’elles.
LES COULEURS TERTIAIRES
Ce canevas resterait bien rigide si l’on oubliait les couleurs tertiaires qui consistent à mélanger une couleur primaire et une couleur secondaire adjacente sur le cercle chromatique. C’est ainsi que l’on obtient toutes les nuances d’une même tonalité. La palette s’enrichit alors du pourpre (rouge + violet), de l’indigo (violet + bleu), du turquoise (bleu + vert), du chartreux (vert + jaune), du doré (jaune + orange) et de l’écarlate (orange + rouge). Ces mélanges sont complexes et il suffit de demander à trois personnes leur définition pour que les avis varient.
Leur combinaison dans un même parterre apporte de la profondeur par un jeu de clair-obscur comme si l’on superposait plusieurs couches de peinture sur la toile.
n’oublions toutefois pas que ces règles restent fort abstraites et que rien ne remplace l’expérimentation sur le terrain avec ses coups de chance et ses ratés monumentaux, sans parler des multiples variantes non citées et obtenues par adjonction ou soustraction des teintes.
Le cercle chromatique démontre bien un principe important au jardin. Il vaut mieux éviter les couleurs pures et théoriques qui ne servent qu’à expliquer les règles. Il existe une infinité de nuances qui feront le bonheur du peintre qui sommeille en vous. d’ailleurs, les couleurs secondaires et, plus encore, les tertiaires supportent mieux les larges plages d’associations diverses car elles sont moins dominantes et comme elles contiennent des mélanges de pigments empruntés souvent à leurs voisines, leur intensité s’en trouve diminuée et l’échange plus harmonieux.
UNE INFO TRÈS INTÉRESSANTE
Bien souvent, les couleurs tertiaires mettent tout le monde d’accord car elles résultent d’une générosité qui tempère la fougue de celles qui ne partagent rien ou si peu. Les utiliser sans mesure est donc moins « casse-gueule » qu’une opposition franche, propre à apporter une certaine tension parfois mal perçue. Ainsi, ceux qui n’aiment pas le rouge ou l’orange feront toutefois la génuflexion devant le mélange des deux (rouge orangé « écarlate »), si présent dans les couleurs d’automne. Le résultat vibre sans heurt car il combine chaleur, énergie et brillance, autant de caractéristiques empruntées aux « parents » réunis.
Beaucoup de jardiniers professionnels fuient certaines associations risquées comme la peste. Leur truc consiste à éviter les couleurs primaires ou à n’en choisir qu’une et à la noyer dans une mer de couleurs tertiaires à la composition tellement complexe qu’elles ont toujours un lien proche ou lointain avec la dominante. on évite ainsi les catastrophes mais aussi l’ennui de compositions trop sages.
Aucune des couleurs utilisées ici n’est primaire, sauf peut-être le jaune franc du Solidago minoritaire. Pas une ne domine vraiment car elles partagent plusieurs points communs : la chaleur qui les réunit et la répétition jaune/orange de fleur en fleur. Seul intrus plus froid, la masse mauve des monardes qui se comprendrait mieux si les Lobelia de couleur similaire avaient l’amabilité de s’ouvrir au centre droit.
LES COULEURS JOUENT UN RÔLE PRIMORDIAL AU JARDIN
Déterminantes dans la création de profondeur, de rayonnement, de contrastes, les couleurs créent l’atmosphère, transformant en un clin d’œil un espace triste ou froid en havre de paix et de bien-être. Dans ce livre, Francis Peeters décortique le processus de création en s’appuyant sur de nombreuses photos démonstratives. Il précise, pour toutes les situations, le mécanisme permettant de jouer avec les couleurs selon ses propres goûts. Il apporte les notes qui permettront à chaque jardinier de composer sa propre musique.
ISBN : 978-2-37922-349-5
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