

Deux raisons nous font ignorer ce qui nous entoure : il y a ce qu’on ignore (qui ne nous pose donc pas de questions) et ce que nous voyons si communément que nous ne le remarquons pas (qui ne nous pose donc plus de questions).
Ce livre n’omet pas d’aborder nos ignorances, par exemple quand il décrit les crachats de lune (nostoc) ou encore les champignons qui forment de discrètes associations à bénéfices réciproques avec les racines des plantes. Mais le vrai génie de cet ouvrage, c’est de réveiller le quotidien en se focalisant sur cette biodiversité ordinaire que chacun connaît… et finit par méconnaître. Orties, gendarmes, mésanges, mousses, lierre, escargots… rien de bien neuf, et pourtant !
Ce qui est neuf et habituel cache des trésors inespérés sous la plume de nos auteurs : derrière des allures banales se cachent des adaptations remarquables, des anecdotes qui expliquent des observations qu’on a déjà faites (parfois sans même se les formuler), des fonctions majeures pour le fonctionnement des écosystèmes ou l’environnement…
Un des aspects ordinairement et injustement méconnus — qui parle au botaniste qui signe ces lignes — est la présence de ces végétaux qui font si bien le décor qu’on ne les remarque plus. L’équilibre entre animaux et végétaux dans les chapitres qui suivent est un aspect de ce recentrage sur ce qu’est le vivant ; il dépasse notre sensibilité excessive aux animaux, quand le monde est avant tout… vert.
Enseignants aguerris et doués pour expliquer ou rendre attrayant, nos auteurs prennent un ton léger pour démythifier et (voyez les images !) illustrer ce que nous ne voyons pas assez. Ils réussissent à faire parler l’ordinaire et à le rendre signifiant : vous ne verrez plus du même œil ces espèces banales et, qui sait, peut-être leur trouverez-vous, comme moi, une valeur esthétique insoupçonnée.
Lisez ce qui suit comme un roman, ou bien ouvrez ce livre au hasard, de temps à autre, ou encore cherchez-y une espèce particulière… À chaque fois, vous serez étonné. Cet abécédaire de la biodiversité ordinaire est tout simplement… extraordinaire !
Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle et à l’Institut universitaire de France, auteur de Nature et préjugés ; convier l’humanité dans l’histoire naturelle (Actes Sud, 2024)
Cela fait un bon quart d’heure que je suis captivée par le manège des campagnols, au fond de mon jardin. Au début, il n’y en avait qu’un, il venait se servir dans les grains des poules, tellement habitué à cette manne abondante et à ma présence, certes discrète, qu’il ne se cachait plus. Il est même devenu tellement grassouillet qu’il doit se trémousser pour réussir à passer à travers les mailles du grillage sous peine d’y rester coincé ! Et voilà qu’aujourd’hui il y en a un second Plus petit, plus maladroit, plus peureux, probablement un fiston sur les traces de sa maman… Heureusement, le jardin est grand et la cohabitation est possible… d’autant qu’il est plus que certain que son prédateur naturel, la fouine — repérée elle aussi dans les parages —, et les chats du voisin veillent et limiteront la prolifération de ces rongeurs.
C’est au tour d’une grosse libellule de passer et de repasser au-dessus de la mare. Avec son vrombissement d’hélicoptère, elle ne peut pas passer inaperçue ! Bleu métallique, vert et noir, l’æschne bleue est très courante ici. Encore une distraction…
Et maintenant, je suis le témoin direct d’un véritable crime : une bande de moineaux qui piaillaient joyeusement en se chamaillant juste à côté a été victime de l’attaque d’un épervier ! Il a fondu sur l’un d’eux, l’a empoigné dans ses serres et est reparti avec son petit butin… Tout ce petit monde est en émoi et vole partout.
Impossible de travailler, donc… il y a tant à observer dehors.
C’est précisément ce que nous avons souhaité vous montrer dans ce recueil de chroniques du jardin : cette biodiversité tout à fait ordinaire, discrète ou voyante, silencieuse ou bruyante, diurne ou nocturne. Quelle richesse se cache dans un simple jardin naturel…
Pour chacune de ces histoires, nous avons choisi un héros, au hasard des déambulations sur la terrasse, la pelouse, le long de la haie, au verger, au potager ou sur le mur du fond. Ces héros sont des animaux, évidemment, mais aussi des plantes et des champignons. N’oublions jamais que le monde est avant tout vert !
En suivant le chemin qui vous convient, nous découvrirons ensemble le monde infatigable des fourmis, les gros vers blancs insatiables et redoutés, le polypode vulgaire très commun sur les vieux murs et pas du tout vulgaire… Nous écouterons le chant du rouge-gorge et celui du merle. Nous apprendrons à reconnaître le morosphinx qu’on a tous, au début, pris pour un colibri ! Nous prendrons le temps de regarder de très près les poils urticants de l’ortie afin de comprendre comment et pourquoi ça pique. Nous verrons la progression inquiétante du moustique tigre, qui ne nous laisse jamais en paix.
Chaque chronique repose sur des observations naturalistes ainsi que des anecdotes personnelles, et est étayée par des études scientifiques récentes : la science ne se fait pas qu’au fond de laboratoires obscurs en manipulant des souches hautement pathogènes de virus ! Savez-vous, par exemple, que la substance qui permet aux racines du lierre de s’accrocher aussi fortement au mur fait partie des colles les plus puissantes de la planète ? Que les effectifs des hérissons se sont effondrés ces vingt dernières années ? Que les doryphores sont un modèle pour reconstituer des muscles en cas de dégénérescence ? Que le loir rajeunit quand il dort ? Nous parlerons ainsi de maladies, de crises de la biodiversité, de biomimétisme et bien sûr de sexe ! Que ce soit en génétique, en écologie, en physiologie, nous verrons comment les croyances populaires sont le terreau de découvertes scientifiques incroyables. C’est aussi cette connexion entre la nature et la recherche que nous voulions montrer.
N’importe quel jardinier vous le dira, il y a toujours à faire dans un jardin : sarcler, biner, éclaircir, arroser, désherber, mais aussi écouter, contempler, admirer, comprendre… Nous espérons qu’en posant ce livre vous voudrez, à votre tour, partager cet amour du vivant et ces histoires.
Sur la terrasse ensoleillée, le chat s’étire langoureusement.
Le calme règne… en apparence.
Sous une dalle légèrement soulevée, des fourmis s’activent, tandis que plus loin un millepattes ondule élégamment.
Près du pot de géraniums, une masse gluante de nostocs, apparue après la pluie, brille.
Les moustiques tigres, invités peu appréciés, esquissent leurs vols sous le regard imperturbable du matou.
Chacha était mon chat, le chat d’une vie. La rencontre absolue, évidente. Câlin, joueur, gentil, intelligent, bien nourri et bien soigné, il adorait sortir dans le jardin, y faire ses longues siestes et… chasser. Chacha était chasseur. Incontestablement.
Doué, même. Difficile de concilier la vie d’un chat domestique et la biodiversité du jardin. Difficile, mais pas impossible !
La morphologie et l’anatomie des chats en font des chasseurs puissants. Un chat domestique, bien nourri, passe environ 3 heures par jour à la chasse (contre 12 heures pour un chat errant). Il utilise deux tactiques de chasse : soit la chasse à l’approche (approche, puis attaque), soit la chasse à l’affût (guet, puis attaque).
Le chat a été domestiqué il y a environ 10 000 ans vers le Croissant fertile. Il a été introduit en France par les Romains, et on en compte aujourd’hui environ 15 millions. Parmi eux, 68 % ont un accès à l’extérieur. Ce sont eux qui nous intéressent dans cette chronique. Et attention, on ne parle ici que des chats bien nourris, avec un foyer, de vrais minous de bonne société !
Pour évaluer l’impact des chats sur la biodiversité, de nombreuses études ont été menées récemment. En 2013, aux États-Unis, des chercheurs ont équipé cinquante-cinq chats d’une caméra et ils les ont suivis sur
7 jours. Ils ont ainsi pu voir que 44 % d’entre eux avaient un comportement de chasse, que 30 % avaient effectivement capturé des proies et que, parmi cellesci, seules 21 % étaient rapportées aux propriétaires, les autres étant abandonnées ou consommées directement sur place. On estime qu’un chat attrape en moyenne deux ou trois proies par semaine. Certes, ce n’est pas énorme… mais multiplié par le nombre de chats, cela donne le vertige ! En France, cette fois, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) estime qu’un chat domestique français tue vingt-sept proies par an, contre dix fois plus pour un chat errant. Rapporté aux 15 millions de chats, cela représente tout de même plusieurs centaines de millions de petits animaux pour les seuls chats domestiques.
Un projet de sciences participatives réalisé conjointement par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHM), la LPO et la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM) a cherché à connaître les proies rapportées par les chats. Le projet a eu lieu entre 2015 et 2022. Il a récolté 38 000 données concernant 5 000 chats. En 2019, sur 35 000 retours, les proies rapportées à la maison étaient pour
Le chat, un super-prédateur excellente vue, de jour comme de nuit
griffes acérées
Le top 3 des proies du chat dans le jardin :
Mésanges, orties, gendarmes, mousses, lierre, escargots… rien de bien neuf, et pourtant ! Plongez-vous dans ces 60 chroniques pleines d’humour, et découvrez la grande et les petites histoires des êtres vivants qui peuplent nos jardins.
À chacune son héros, timide, silencieux, nocturne, ou au contraire voyant, bruyant, dérangeant. Animaux, plantes, champignons et même bactéries, tous nous accompagnent au quotidien. Vous ferez leur connaissance au gré de promenades dans le jardin, et les auteurs vous parleront de leurs goûts, de leur sexualité, des stratégies mises en œuvre pour s’étendre ou grimper, de leurs maladies, des soins qu’ils prodiguent à leurs petits, en somme de tout ce qui fait la vie. Surtout, ils vous montreront comment la science progresse grâce à eux.
En révélant ces merveilles cachées, juste sous nos yeux, une simple déambulation dans le jardin se transforme en une aventure extraordinaire. Une façon de remercier la nature pour tout ce qu’elle nous offre de beau, de bon et de nouveau. Vous ne regarderez plus votre jardin du même œil !