EN FRANCAIS DANS LE TEXTE
Chroniques Sociales à New York N° XVII - JAN 2017
DOSSIER La maitrise de la langue du pays d’accueil: Quel impact? LE DISCOURS D’UN ACTIVISTE Patrick Lubin GRAND FORMAT Les émotions en images ISSN 2380-5943
EFDLT
EDITORIAL
EN FRANCAIS DANS LE TEXTE Magazine
Magazine publié à New York City. Fondé en 2015 Rédacteur en Chef Christelle Bois
Photographie Couverture: @enfrancaisdansletextenyc
Contact: christelle@enfrancaisdansletextenyc.com
ISSN 2380-5943
EDITORIAL
La maitrise de la langue du pays d’accueil: Quel impact? Hello, Nǐ hǎo, ¡Hola!, ces petits mots de tous les jours sont généralement maîtrisés assez rapidement et utilisés a vec p l a i s i r. I l s n o u s d o n n e n t l’impression d’une cer taine maitrise de la langue, d’un début intégration. Ce sentiment pose la question de la maîtrise de la langue et de son impact sur l’intégration dans un pays, dans le cadre d’une expatriation. Q u ’ e n e s t- i l a u s e i n d e l a communauté francophone expatriée? Encore une fois, de ses histoires, nous chercherons des éléments de réponse à cette interrogation. Christelle Bois
Rédactrice-en-Chef
EN FRANCAIS DANS LE TEXTE Janvier 2017
Dans ce numéro
5 Edito 8 Le discours d’un activiste: Patrick Lubin 13 Dossier du mois 17 Remerciements 18 Grand Format 22 Fil d’entretien
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LE DISCOURS D’UN ACTIVISTE
Pour participer, je dois prendre le risque d’exposer ma vie. Patrick Lubin
Photo: ATD Quart-monde
Discours de Patrick Lubin au siège de l’ONU lors de la journée mondiale de la lutte contre la pauvreté le 17 octobre 2016
Il y a des pauvres dans le monde entier – 1 milliard 100 millions. On ne doit pas les laisser de côté. Ils ont droit au respect, à l’intégrité, à la dignité. Moi, cela me fait pleurer, les gens qui mangent dans les poubelles. Mais
dans quelle société on vit ? Comment peut-on accepter de continuer comme cela, sans rien faire ? Le vrai problème, c’est la
lâcheté, l’injustice et l’égoïsme. Les gens regardent et ne font rien. Il faut que chacun se sente concerné ! Ne rien faire, mais c’est une violation des droits de l’homme, c’est nonassistance à personne en danger. J’ai été dans les rues de la ville pendant trois mois, nuit et jour. C’était extrêmement dangereux. Une nuit, quelqu’un m’a lancé une chaise en fer qui a failli m’arracher la tête… La police ne te laisse pas dormir. Ils te tapent sur l’épaule dès que tes yeux se ferment. J’ai passé des nuits entières dans une laverie. J’ai passé des nuits dans un magasin ouvert 24 heures sur 24 et là-bas, quelqu’un a appelé la police sans aucune raison. Nul part tu peux dormir.
Rendez-vous compte, on met des barres sur les bancs ! On est à une époque où on ne laisse même pas les gens survivre. Depuis un an et demi, je ne me suis pas allongé pour me reposer.
Personne ne le sait et d’autres sont comme moi, invisibles. Il faut tenir mais on ne sait pas comment on va survivre, comment on va résister moralement et physiquement, comment acheter de la nourriture et où en trouverOn est tout le temps dans le stress, le stress, le stress… Ça, c’est une chose qui
détruit les pauvres, c’est le stress. Et on n’a pas le droit d’être malade. Pour moi, survivre, c’est une forme d’intelligence. On a besoin d’énormément de force mentale et physique… Il faut avoir beaucoup de connaissances, des bases dans beaucoup de choses. Quand il n’y a personne pour vous aider à survivre –
on doit trouver des stratégies et créer des systèmes en théorie pour les mettre en pratique.
Partout, il faut acheter à manger ou quelque chose à boire pour pouvoir utiliser les toilettes. On nous fait payer de l’eau du robinet alors que nous on n’a rien. On nous jette dehors parce qu’on demande un verre d’eau chaude pour faire des céréales. Qu’est-ce que c’est ?
L’eau vient du robinet. On ne doit plus accepter cela, c’est aussi une violation des droits de l’homme. Même si on a tout perdu, nous sommes des êtres humains comme tout le monde, on a le droit d’utiliser les toilettes, on a le droit de prendre un verre d’eau, on a le droit d’être heureux aussi. Qu’est-ce qu’on fait à ceux qui n’ont déjà plus rien ? On leur enlève le côté du bonheur et les possibilités de s’en sortir. On leur ferme toutes les portes et ils n’ont pas la possibilité de pouvoir voir des jours meilleurs. Nous sommes pauvres, et en plus on se sent abandonné. On perd de plus en plus l’espoir. On vit dans un système où c’est marche ou crève et on ne nous donne pas le choix. Par exemple, si vous n’amenez pas vos papiers en temps utile, vous serez radié… Le service social, c’est aussi un
système draconien de menace. Il y a trop souvent violation de dignité dans les solutions que nous propose notre société.
L’espoir, c’est ce qu’il y a de plus important. En fin de compte, c’est ouvrir les portes, c’est leur donner cet espoir d’une vie nouvelle, d’une vie où ils ont la possibilité de s’intégrer et d’avoir un minimum pour rester en vie dignement. Vous devez respecter les pauvres. Quand on voit comment les pauvres se respectent les uns les autres, c’est incroyable. Je sais que tous ensemble, on peut réussir à créer des liens. Nous sommes tous frères et sœurs sur la terre et on n’a pas le droit de laisser tomber un frère et une sœur, peu importe de quel pays il vient, peu importe de quel religion il est. Sauver la vie, il n’y a pas mieux à faire sur la terre. Sauver l’amour, c’est une chanson qui m’a touché le cœur. En fin de compte, j’ai compris que le remède pour sauver la vie, c’était de sauver l’amour. Et moi, je suis là pour sauver la vie. P.L.
DOSSIER
Expatria La maitrise de la langue du pays d’accueil: Quel impact?
tion
Est-ce un confort? Une nécessité? Comment se débrouiller sans? La maîtrise de la langue du pays d’accueil n’est pas si aisée. Dépasser les mots d’usage courant, soutenir une conversation avec son voisin ou son collège de bureau relève d’un vrai investissement en temps et en argent. Certain le font, sont prêt à se plier à la discipline qu’exige l’apprentissage d’une nouvelle langue, d’autre contournent le probléme ou simplement n’en ressentent pas le besoin. Encore, s’il fallait le redire, rien n’est simple dans le pays de l’expatriation. Allons à la rencontre de nos voisins, amis, connaissances expatriés pour voir quel choix ils ont fait.
Du plus loin qu’il s’en souvienne Michel n’a jamais été doué pour les langues. Le peu d’anglais qu’il se rappelle lui permet juste de passer commande dans un restaurant. Alors apprendre une autre langue, ce n’est pas pour lui. Heureusement, il est marié à une francophone. Il se sent protégé, rassuré, les démarches administratives assurées d’une main de maitre par sa conjointe. Cela ne l’empêche pas d’être très actif au sein de la communauté francophone où il est reconnu et apprécié. Les années passent sans ressentir le besoin de plus, seul parfois il peut regretter de ne pas pouvoir échanger plus avec ses beaux-parents dont il est proche. Quant aux enfants, ce sont des filoux qui font minent de ne pas comprendre quand il parle pour mieux n’en faire qu’à leur tête. Alors l’autorité à une l a n g u e : l e Fr a n ç a i s q u a n d Michel pose sa grosse voix pour se faire obéir. E s t- c e u n c o n s e n s u s , u n équilibre trouvé? En tout cas c’est un exemple de la diversité et des possibilités de gestion du multilinguisme en commun loin de chez-soi.
Pour d’autre, il est impossible de concevoir de s’installer dans un pays sans en connaitre la langue. Ainsi, ils prendront des cours bien avant le départ pour s’avancer, se rassurer. Bien évidemment, une fois sur place, impossible de reconnaitre la langue apprise, elle n’est plus la même et doit être réapprise. Qu’importe, ils ont le courage chevillé au corps et s’inscriront dans des écoles ou choisiront un professeur particulier. Il iront dans tout les endroits où ils pourront pratiquer, se feront le plus vite possible des amis locaux. C’est ce qu’on appellerait une immersion totale. Force est de constater qu’ils se sentent à l’aise dans cette maitrise de la langue qui les introduit dans la vie intérieure du pays. Ma i s p a r f o i s l a l a n g u e maternelle peut se perdre un peu comme un mouvement qui ne s’arrête pas. La question de la transmission de cette langue aux enfants se retrouve parfois en porte-à-faux face à la facilité d’une langue commune, celle du pays d’accueil, face à la volonté d’oublier sa langue dans ce mouvement d’intégration.
Retrouvons Anne-Marie qui a fait un long chemin. D’abord, sans notion de la langue ou si peu, elle avance à petit pas, lentement. Elle s’exclue même parfois des situations sociales. La peur de ne pas comprendre l’a retient, Mais voilà que le hasard lui propose une seconde chance dans cette langue. Elle s’en saisit et les progrès s’accélèrent grâce à la première expérience. Désormais forte et rassérénée par la maitrise de la langue, elle ose et se joint aux discussions. Et là c’est une toute autre expatriation qui se profile, remplie de rencontres, d’activités sociales. Un épanouissement lié à cette faculté de comprendre et d’être comprise. Quelle différence pour elle, entre l’ombre et la lumière, entre l’isolement face à la peur de ne pas comprendre et le plaisir d’échanger dans toute la subtilité de la langue.
Les situations sont toutes d i ffé r e n t e s . M ê m e s i l a maitrise de langue apporte des avantages certains et une réelle gratification, il reste une grande partie de la communauté qui est entredeux. Un apprentissage partiel, voulu ou forcé, mais sans envie ou compétence pour poursuivre, dans des situations ou le plus n’est pas nécessaire. Un consensus s’installe, telle une facilité où l’équilibre s’opére entre une compréhension limitée et des tactiques d’évitement. Certains pourront croire à une baisse de qualité de vie, à un manque social, voire une forme d’impolitesse au pays d’accueil. Mais il semble bien dans les situations évoquées, que chacun s’y retrouve selon son niveau de compréhension, son degrès d’interprétation: des liens sociaux se créer, des rencontres se font. Certes la barrière de la langue est bel et bien présente, mais comme tout obstacle, il se contourne.
Marie-Christine, que nous avons déjà rencontrée sur le chemin de l’expatriation nous fait partager sa relation particulière avec la langue de son pays d’accueil. C’est que son arrivée n’était pas prévue, rien ne prédisposait MarieChristine à quitter la France à l’âge de la retraite. Seule la disparition de son mari, qui l’a plongée dans une solitude l’a incité à rejoindre sa fille installée à New York.
Le choix de Marie-Christine Bien sûr, on ne quitte pas un pays, une maison, une vie sociale aussi facilement. Ainsi son statut qui lui impose de rentrer la moitié de l’année lui convient très bien. Un pied entre deux. Alors comment vitelle ce changement alors que rien ne l’avait préparé à devoir se débrouiller dans une autre langue?
Marie-Christine, est de ces personnes qui arrivent toujours se faire comprendre: avec son sourire et ses queqlues mots d’anglais, les situations quotidiennes sont assurées sereinement et les situations cocasses qui pourraient naitre de son anglais limité sont prises avec humour. Cependant, cela ne marche pas tout le temps. Certains situations sociales restent inacessibles. Ce n’est pas que Marie-christine ne croit pas en la nécessité d’apprendre la langue du pays d’accueil. Non, elle l’aurait volontiers fait pour un autre pays et dans une autre situation. C’est les conditions particulières de son expatriation qui l’amène à adhérer à ce consensus. Sa fille est là et pallie le manque et la rassure. De même sa présence six mois de l’année, cela passe vite, et New York dont une partie de la population est f rancophone ne l’incitent pas au plus, à l’effort qu’elle ferait ailleurs et autrement. Cependant, Marie-Christine, ne ferme pas la porte, elle imagine bien que sa situation évoluera vers une présence plus importante dans ce pays, et le besoin d’une maitrise de la langue se fera sentir. Mais elle est prête. C.B
Les mots, toujours les mots. Qu’ils soient prononcés d ’ u n e v o i x a s s u ré e o u maladroite, avec force ou émotion, ils sont là, ici, repris, tissés aux émotions qu’ils transmettent. Qu’ils viennent de Français ou de francophones, originaires France, des Etats-Unis ou du Brésil, ils résonnent encore. Et ces histoires font de EFDlT ce qu’il est devenu, un passeur d’histoires, de mots et d’émotions dont on ne se lassent pas.
Il s’agit de vous, de moi, d’eux, dans ce rendez-vous commun au carrefour des mouvements migratoires. Un jour, nous nous croiserons peut-être, et sans rien faire, nous nous reconnaitrons, familier dans les traits, dans le regard, dans le son des mots, comme un partage en commun. Faire un petit bout de route ensemble est un privilège. Merci à vous et à ceux que se reconnaissent en eux.
Grand format Les ĂŠmotions en images
FIL D’ENTRETIEN
des émotions aux mots
Etre isolé dans un monde incompréhensible est la première sensation décrite lors du premier pas dans un autre pays. Certains s’y retrouvent. Nager entre les incompréhensions, les situations cocasses grâce à cette inaliénable certitude que la langue est universelle, qu ’on arriverait toujours à se faire comprendre. Pour d’autre ce « brouaha « est une source de stress et cette incompréhension construit un mur qui isole. Alors quelques uns auront le courage de s’atteller à une tâche ardue, l’apprentissage de la langue dans toute sa maitrise et complexité, comme un challenge pour soi, comme une politesse à retourner. L’alternative est la construction de stratagèmes d’évitement tel que rester au sein de sa communauté,
s’entourer de personnes polyglottes. Chacun, à sa façon, avec ses propres moyens, trouvera une solution, peutêtre pas la meilleur, peut-être pas la plus évidente. Mais tant de choses sont en jeu dans une expatriation, la nécessité devient relative et se construit sur des concessions à faire. Une chose est sûre: le degré de maitrise de la langue est un facteur de la réalité perçue car elle la transforme dans son habilité à comprendre et à intéragir. Elle facilite, elle assimile, elle intègre. Mais parfois elle culpabilise aussi, elle stigmatise, quand son manque est pointé du doigt. C.B.
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