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Colchicine et amiodarone : une interaction à surveiller
Objectifs d’apprentissage
1. Connaître les grandes lignes directrices sur le traitement de la péricardite.
2. Comprendre la pharmacologie de la colchicine.
3. Gérer les interactions principales avec la colchicine.
Généralités sur la péricardite aiguë
La péricardite aiguë est une inflammation du péricarde et une des formes les plus fréquentes de maladies péricardiques. Elle peut être associée à un épanchement péricardique pouvant mener à une tamponnade entraînant des troubles du remplissage avec une atteinte hémodynamique. Sa forme aiguë peut être associée à certaines maladies systémiques, comme les maladies auto-immunes, ou être isolée1.
Dans les pays développés, les virus sont les principaux agents étiologiques (virus Coxsackie, adénovirus, virus Epstein-Barr, parvovirus B19, etc.) de la forme isolée. L’étiologie exacte est rarement trouvée. Certains médicaments (ex. : méthyldopa, minoxidil, cyclophosphamide, phénytoïne, hydralazine, doxorubicine, acide
RÉDACTION
Jihane Lazrac , Pharm. D., Pharmacie
François Lalande et Thomas Weil, Pharm. D., M. Sc. Pharmacologie appliquée, Pharmacie François Lalande
RÉVISION
Julien Quang Le Van B. Pharm., M. Sc., B.C.C.P., Institut de cardiologie de Montréal
Texte original : 22 novembre 2022
Texte final : 5 janvier 2023
Les auteurs et le réviseur ne déclarent aucun conflit d’intérêts liés à la rédaction de cet article.
5-aminosalicylique, pénicilline) peuvent aussi causer une péricardite, mais c’est rare. Dans la majorité des cas, elle est idiopathique ou virale2
Le diagnostic est posé lorsqu’il y a présence d’au moins deux des quatre signes cliniques suivants : douleur thoracique, frottement péricardique, certains changements à l’ECG associé (sous-décalage du segment PR ou élévation du segment ST dans toutes les dérivations de l’ECG) et présence d’un épanchement péricardique2. Pour approfondir ses connaissances sur la péricardite, on peut se référer aux lignes directrices européennes de 2015 ou à certains articles cités dans la bibliographie1-3
Traitement de la péricardite
Cas Clinique
Monsieur P, 75 ans, sort de l’hôpital aujourd’hui. Sa conjointe nous apporte son ordonnance de sortie. Son mari ne prenait aucun médicament avant. Il a été hospitalisé durant 10 jours pour une péricardite aiguë accompagnée d’une fibrillation auriculaire. Selon sa conjointe, il aurait fait un petit infarctus, mais le diagnostic serait incertain. Le patient est fumeur. Son ordonnance comprend le traitement suivant : n Colchicine 0,6 mg BID durant 3 mois n Acide acétylsalicylique 650 mg QID durant 2 semaines, puis diminuer de 650 mg par jour toutes les 2 semaines n Pantoprazole 40 mg DIE n Rosuvastatine 20 mg DIE n Ézétimibe 10 mg DIE n Apixaban 5 mg BID n Bisoprolol 5 mg DIE n Amiodarone 200 mg DIE n Calcium — Vitamine D 500 mg/400 unités DIE n Acétaminophène 500 mg 1 à 2 comprimés QID PRN n Périndopril 4 mg DIE n Furosémide 40 mg BID n Mélatonine 3 mg DIE HS n Nitro-Spray 0,4 mg par dose — 1 dose S/L PRN
Les objectifs du traitement de la péricardite aiguë impliquent le soulagement de la douleur du patient afin qu’il maintienne sa qualité de vie, la réduction de l’inflammation, et la prévention des récurrences de la péricardite et de ses complications2 . Ainsi, mis à part le fait de régler la cause identifiable de la péricardite lorsque possible, le traitement principal repose sur la présence d’un AINS incluant l’aspirine, combiné à de la colchicine. Un traitement adéquat est nécessaire pour éviter le haut taux de récurrence estimé à environ 30 % dans les 18 premiers mois suivant le premier épisode de péricardite11.
Au Dossier santé Québec (DSQ), vous trouvez les résultats récents suivants : créatinine 145 µmol/l (DFG ajusté 40 ml/min — niveau de base), K+ = 4,1 mmol/l, CT = 8,6 mmol/l, C-LDL = 5,3 mmol/l, Hb = 140 g/l.
Avec les AINS/aspirine, on veut atteindre une résolution des symptômes en 72 heures et une rémission de la péricardite en 7 jours. Comme mesure non pharmacologique, il faut conseiller au patient de ne pas faire d’exercice jusqu’à la résolution des symptômes.
S’il y a une contre-indication relative ou absolue aux AINS autre que l’aspirine (par exemple, si une condition cardiaque telle qu’un antécédent récent d’infarctus du myocarde, une insuffisance cardiaque, une insuffisance rénale ou autre), l’AINS sera remplacé par l’aspirine1,2
L’utilisation de corticostéroïdes, comme la prednisone, n’est pas recommandée en traitement de première ligne des péricardites aiguës d’étiologie virale ou idiopathique puisqu’ils augmentent significativement le risque de récurrence. On devrait seulement les utiliser en ajout aux AINS/aspirine lorsqu’il y a des contre-indications aux agents de première ligne ou lorsqu’il y a une réponse incomplète aux AINS/aspirine et lorsque les causes infectieuses ont été éliminées.
Le tableau I reprend les différentes options de traitements ainsi que les dosages et les ajustements de la colchicine.
Selon l’évaluation du risque gastro-intestinal, l’ajout d’un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) peut être considéré. La prise de calcium et de vitamine D peut également être indiquée en présence d’un traitement impliquant de la prednisone à long terme afin de réduire les risques d’ostéoporose.
Pharmacologie de la colchicine
La colchicine est un alcaloïde extrait d’une plante, le colchique, qui agit comme « poison du fuseau ». Son mécanisme d’action repose sur l’inhibition de la polymérisation des microtubules prévenant ainsi l’activation et la migration des neutrophiles. Elle freine aussi la prolifération des neutrophiles, mais également de toutes les cellules à division rapide (effet cytotoxique)5
La colchicine est utilisée en ajout aux AINS/aspirine afin d’accélérer la résolution des symptômes et pour diminuer le risque de récurrence de la péricardite.
En raison de l’effet de la colchicine sur la prolifération cellulaire, un surdosage peut conduire à une toxicité digestive (les premiers symptômes d’une intoxication sont les nausées, les vomissements, les diarrhées pouvant mener à une gastro-entérite hémorragique), une toxicité hématologique (neutropénie, anémie, aplasie) et une
I OPTIONS DE TRAITEMENTS DE LA PÉRICARDITE AIGUË ET AJUSTEMENTS2,4
CLASSE DE MÉDICAMENTS ET DURÉE SUGGÉRÉE
AINS étudiés pour la péricardite x 3 à 4 semaines au total (1 à 2 semaines à pleine dose, puis sevrage)
Colchicine x 12 semaines
DOSES USUELLES n AAS (2000 mg à 4000 mg/j) ex. : 650 mg q6h n Ibuprofène (1200 mg à 2400 mg/j) ex. : 600 mg q6h n Indométacine (75 mg à 150 mg/j) (Éviter si problème cardiaque ou rénal) ex. : 25 mg q6h ex. : 0,6 mg BID
AJUSTEMENTS
Corticostéroïdes x 12 semaines minimalement (suggérés si contre-indication aux AINS ou si récidive de la péricardite ou si péricardite secondaire à maladie auto-immune) n Si <70 kg : 0,6 mg DIE n Si >70 ans : réduire dose de 50 % n Si intolérance colchicine : réduire dose de moitié n Selon ClCr : 35-50 ml/min 0,6 mg DIE 10—34 m/min 0,6 mg Q2-3J <10 ml/min Éviter si possible n Si présence de médicaments concomitants (voir interaction amiodarone)
Prednisone 0,2 mg à 0,5 mg/kg/jour Aucun toxicité musculaire (rhabdomyolyse). La mort peut survenir par insuffisance respiratoire liée à une paralysie musculaire. Les doses toxiques sont assez faibles, des décès avec des doses de 7 mg ont été rapportés. Les cas de toxicité mortelle ont toutefois beaucoup diminué. En effet, il faut se rappeler qu’avant 2010, une seule étude randomisée contrôlée avec placebo avait exploré l’utilisation de la colchicine, contre les crises de gouttes. Dans cette étude de 1987, le régime posologique était de 2 comprimés de 0,5 mg, suivis de 1 comprimé toutes les 2 heures, jusqu’au soulagement de la douleur ou jusqu’à l’atteinte de toxicité marquée (telle que la diarrhée, les nausées ou les vomissements). On pensait, à l’époque, que l’atteinte de toxicité était associée à l’atteinte d’efficacité analgésique. C’est pourquoi on donnait de la colchicine jusqu’à l’atteinte de toxicité marquée.
Dans cette étude, les patients ont reçu une dose moyenne de 6,7 mg de colchicine. La colchicine a démontré une supériorité statistique comparativement au placébo > n Fumeur (stade précontemplation) n Plaintes : rien à signaler n Sortie d’hôpital pour péricardite aiguë compliquée d’une FA n Possible infarctus du myocarde, mais diagnostic incertain
Homme 75 ans, retraité
Poids : 72 kg
Taille : 170 cm
IMC : 24,9
Antécédents médicaux : n Rien à signaler
Laboratoires pertinents : n Créatinine : 145 µmol/l n DFG ajusté 40 ml/min — niveau de base n K+ = 4,1 mmol/l n CT = 8,6 mmol/l, C-LDL = 5.3 mmol/l n Hb = 140 g/l
Signes vitaux : n TA : 132/90 mm Hg n FC : 72 bpm
Liste des médicaments (cf. présentation du cas) n Dose de colchicine non adaptée au DFG ajustée n Interaction notable entre amiodarone et colchicine dans la réduction de la douleur dans les 48 premières heures, mais 100 % des patients ayant reçu de la colchicine au moment de la réponse clinique ont eu la diarrhée6. Jusqu’en 2010, les hautes doses de colchicine telles que celles évaluées dans cette étude de 1987 étaient communément prescrites malgré le haut rapport de risquesbénéfices6
Certaines interactions médicamenteuses augmentent le risque de surdosage7. Notons qu’un patient qui prend de la colchicine régulièrement et qui a des symptômes de problèmes digestifs devrait voir sa dose ajustée à la baisse, quelle que soit la raison pour laquelle il la prend. Cela pour prévenir une apparition de toxicité4
La distribution de la colchicine est large et le médicament tend à s’accumuler en cas de toxicité (VD passant de 2-12 l/kg à 21 l/kg)5 n Diète DASH. n Cessation tabagique.
1. Gérer l’interaction colchicine-amiodarone en adaptant la conduite chez une personne avec faible DFG ajusté : refus service colchicine après discussion avec le cardiologue.
2. Surveillance de l’efficacité du traitement et du risque de récurrence de péricardite à chaque étape du sevrage.
3. Discuter avec le patient des mesures non pharmacologiques afin de réduire les risques cardiovasculaires (amélioration du profil lipidique).
La colchicine est métabolisée par le CYP3A4 et est un substrat de la P-gp. La P-gp réduit l’absorption intestinale de la colchicine et le CYP3A4 contribue à l’effet de premier passage hépatique (BD = 25-50 %). Le risque de toxicité est accru en association avec des inhibiteurs de ces enzymes et des cas létaux ont été rapportés dans la littérature scientifique. Bien que la majorité de l’élimination soit hépatique, de 10 % à 20 % du médicament se retrouve sous forme inchangée dans les urines, d’où un risque d’accumulation en cas d’insuffisance rénale chronique (IRC). La colchicine est donc un médicament à marge thérapeutique étroite qui nécessite une vigilance accrue en présence d’interactions et d’IRC5,7
Notons que les ajustements fournis sont associés avec la ClCr. En pratique, il est possible de comparer le DFGe et la ClCr d’un patient et de choisir la mesure qui permet le traitement le plus sécuritaire étant donné la nature des médicaments à marge thérapeutique étroite8.
Interactions à surveiller Comme mentionné plus haut, les inhibiteurs du CYP3A4 peuvent entraîner une augmentation de la toxicité de la colchicine (inhibiteurs de la protéase du VIH, clarithromycine, itraconazole, vérapamil, diltiazem, etc.). La monographie recommande d’éviter cette association chez les patients ayant une IRC ou une insuffisance hépatique, et de réduire la dose chez les autres patients. Des cas de toxicité neuromusculaire ont été rapportés avec ces associations. Des décès ont même été rapportés en association avec la clarithromycine5,7,9
Opinion Pharmaceutique
Bonjour Dr, Comme discuté, dans le cadre du cas de Monsieur P, il est contre-indiqué d’associer la colchicine à l’amiodarone chez les patients avec une insuffisance rénale (DFG 40 ml/min). Le patient sera donc traité en monothérapie avec de l’aspirine. Un suivi plus serré des symptômes de récidive de péricardite sera donc recommandé. En toute collaboration, La pharmacienne
De la même façon, l’association avec les inhibiteurs de la P-gp est à éviter (ex. : amiodarone, vérapamil, cyclosporine, digoxine) sachant que l’AUC peut augmenter de 100 % à 300 %. Encore une fois, les doses peuvent être réduites en l’absence d’IRC ou d’insuffisance hépatique, mais leur association est contre-indiquée dans le cas contraire10. Il est même recommandé de tenir compte des inhibiteurs utilisés dans les 14 jours précédents. Dans le cas du patient de notre cas clinique, la longue demi-vie de l’amiodarone entraîne cette interaction pendant plusieurs semaines même en cas d’arrêt. L’association colchicine-amiodarone est donc contre-indiquée chez le patient en raison de son DFG à 40 ml/min. Si le patient avait eu une fonction rénale normale, l’ajustement recommandé aurait généralement été compris entre 50 % et 75 % de réduction9 n
Actes Pharmaceutiques Facturables
Actes facturables « prise en charge après une hospitalisation….PH » et « opinion pharmaceutique : empêcher interaction… WX »
Références
1. Imazio M, Gaita F, LeWinter M. Evaluation and Treatment of Pericarditis: A Systematic Review. JAMA. 2015;314(14):1498-1506.
2. Adler Y, Charron P, Imazio M, et coll. 2015 ESC Guidelines for the diagnosis and management of pericardial diseases: The Task Force for the Diagnosis and Management of Pericardial Diseases of the European Society of Cardiology (ESC)Endorsed by: The European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J. 2015;36(42):2921-2964.
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4. Imazio M, Brucato A, Trinchero R, Spodick D, Adler Y. Individualized therapy for pericarditis. Expert Rev Cardiovasc Ther. 2009;7(8):965-975.
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6. Ahern MJ, Reid C, Gordon TP, McCredie M, Brooks PM, Jones M. Does colchicine work? The results of the first controlled study in acute gout. Aust N Z J Med. 1987;17(3):301-304.
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8. Nyman HA, Dowling TC, Hudson JQ, Peter WLS, Joy MS, Nolin TD. Comparative evaluation of the CockcroftGault Equation and the Modification of Diet in Renal Disease (MDRD) study equation for drug dosing: an opinion of the Nephrology Practice and Research Network of the American College of Clinical Pharmacy. Pharmacotherapy. 2011;31(11):1130-1144.
9. Şen S, Karahan E, Büyükulaş C, Polat YO, Üresin AY. Colchicine for cardiovascular therapy: A drug interaction perspective and a safety meta-analysis. Anatol J Cardiol. 2021;25(11):753-761.
10. LexicompMD Drug Interactions—Colchicine/P-glycoprotein/ABCB1 Inhibitors. Accessed November 22, 2022. www.uptodate.com/drug-interactions/?source=responsive_home#di-document
11. Adler Y, Charron P, Imazio M, Badano L, Barón-Esquivias G, Bogaert J, Brucato A, et coll. 2015 ESC Guidelines for the diagnosis and management of pericardial diseases: The Task Force for the Diagnosis and Management of Pericardial Diseases of the European Society of Cardiology (ESC)Endorsed by: The European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J. 2015 Nov 7;36(42):2921-2964. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7539677/pdf/ehv318.pdf
Les références en gras indiquent au lecteur les références principales de l’article, telles que choisies par les auteurs.