Interview de Daniel Arrignon, hautbois solo, par Isabelle Cauvin, abonnée

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Rencontre entre un(e) abonné(e) et un(e) musicien(ne)… Interview de Daniel Arrignon, hautbois solo, par Isabelle Cauvin, abonnée.

Monsieur Arrignon, je suis très heureuse de vous rencontrer, pour pouvoir vous poser quelques questions et vous faire part de mon admiration. Nous suivons, mes parents, mon fils et moi, l’Orchestre de chambre de Paris depuis 1998. Tant la programmation que l’accessibilité aux jeunes de l’OCP est extraordinaire. Ma 1ère question m’est venue suite à la visite de l’exposition de Chagall actuellement à Paris. Chagall expliquait : « j’ai choisi la peinture, elle m’était aussi essentielle que la nourriture ». Vous-même, comment exprimeriez-vous votre choix de la musique ? Est-ce que le choix du hautbois est dû à votre famille ? Il est dû au hasard. Quand j’étais enfant, mes parents m’ont emmené voir un concert, puis quelqu’un de ma famille m’a offert un disque de hautbois. Au départ le piano m’impressionnait mais, enfant, je ne m’étais pas imaginé l’encombrement de cet instrument ! Moi je voulais un instrument portable et le son du hautbois m’a plu. C’était avant tout une question de plaisir, comme aujourd’hui. Et puis rapidement c’est devenu inconcevable de ne pas faire de la musique tous les jours. Je continue quand même de trouver que le piano est un instrument magique. C’est le côté harmonique qui me plaît dans le piano.

Donc le hasard fait bien les choses ! Mais pour saisir le hasard il faut savoir l’entendre…l’oreille musicale est utile pour cela ! (rires)

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Tout notre métier est basé sur la sensibilité. Si on est techniquement très performant mais sans musicalité, sans émotion, c’est inutile. La musique ne peut pas être que mathématique.

Votre réponse est très signifiante de la posture que vous avez au sein de l’orchestre… Cette formation c’est du plaisir pour moi. Avant j’étais hautbois solo à l’Opéra de Normandie et soliste à l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Pierre Boulez, puis j’ai postulé à l’Ensemble orchestral de Paris avec l’envoie de jouer son répertoire précis. Il y a du plaisir à jouer ensemble, même si, comme dans toutes les familles, il y a parfois des tensions. Quand j’ai commencé à jouer, un ami m’a dit : « tu verras, on ne va pas travailler, on va jouer… ». C’était vrai, même en répétition on joue. Il n’y a pas beaucoup de métiers qui permettent cela ! Dans tous les métiers, c’est quand on commence à se rendre compte qu’on travaille que c’est inquiétant ! Il y a alors moins de passion…

Le 14 juin dernier, lors du concert Le Barbier de Séville, nous avons très bien entendu le hautbois. A la fois sonore, doux, facétieux, clair…Dans toute sa tonalité. J’ai souvent joué cette œuvre et habituellement il y a beaucoup de hautbois. Mais dans la version que nous avons jouée récemment il y a très peu de travail pour moi ! Nous avons joué la 1ère version, dans laquelle il y a plus de flûte et les clarinettes y ont un rôle beaucoup plus important.

Comment le bec si fin du hautbois peut-il émettre autant de son ? On envoie de l’air dans l’instrument par l’anche qui est très petite. En soufflant dans les deux lamelles on crée une vibration. Jouer du hautbois reste moins fatiguant que jouer de la trompette et physiquement moins contraignant que jouer du violon.

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L’hautboïste François Leleux donne l’impression d’être très accessible quand il joue avec vous… Ce musicien est une rareté. Il est talentueux, très gentil, accessible…il faut venir l’écouter à chaque fois qu’il joue !

A partir de quel âge peut-on jouer du hautbois ? Les lèvres et les dents doivent être morphologiquement en place. Et il faut aussi que les doigts parviennent jusqu’aux clés. Un enfant ne peut donc pas commencer trop jeune. Je dirais que vers 9-10 ans c’est bien.

Mon fils, qui a 24 ans, joue de la clarinette depuis l’âge de 5 ans. Mais il n’a pas souhaité devenir instrumentiste, je ne sais pas pourquoi… Peut-être à cause de la scène ? Il faut vouloir se montrer, s’exposer. Certains solistes sont quasiment malades de trac avant de monter sur scène, cela doit être très difficile à vivre. Quand j’entends certains comédiens parler de leur métier, ils évoquent aussi la différence entre le plaisir de lire un texte en petit comité et le fait de se sentir bien sur scène. Il faut pouvoir y être heureux. Ce plaisir ne ‘explique pas. La peur ne doit pas obstruer le bonheur.

L’orchestre est amené à voyager. Pourriez-vous nous faire part d’un souvenir mémorable survenu au cours d’un de ces déplacements ? Ça se passait à Nîmes, dans les Arènes, pour l’un des derniers concerts que j’ai fait avec Mstislav Rostropovitch. On répétait une œuvre de Haydn alors qu’en même temps les machinistes installaient la scène en faisant beaucoup de bruit. Quand le 2ème mouvement a commencé, au bout de quelques secondes seulement, les machinistes ont cessé de travailler, se sont interrompus pour écouter Rostropovitch. Ça m’a marqué. Rostropovitch avait réussi à capter leur attention. C’est un des plus beaux souvenirs de ma vie.

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Vous avez joué des répertoires variés. Quelle serait néanmoins l’œuvre qui vous touche le plus profondément ? J’aime beaucoup Haydn, Mozart et Bach. Il n’y a pas de note inintéressante chez ces compositeurs. J’ai joué certaines pièces cent fois mais toujours avec le même plaisir. C’est pour cette raison que j’ai voulu entrer à l’Orchestre de chambre de Paris. Il n’y a rien d’inutile et jamais de longueur non plus. J’apprécie aussi la musique contemporaine. Ça change un peu de notre répertoire habituel, ce n’est pas la même façon de jouer. Dans chaque concert il devrait y avoir une courte pièce actuelle, pour faire entendre autre chose. Avec John Nelson, nous jouions aussi souvent des pièces qui bénéficiaient du soutien « Musiques nouvelles en liberté ». C’est bien de mélanger les genres dans le répertoire, pour le public et pour les musiciens.

J’ai cru comprendre que vous avez aussi une passion pour le théâtre ? Je trouve impressionnant de pouvoir mémoriser une pièce et la jouer sur scène, se livrer, avoir un contact avec le public. C’est une prise de risque énorme. Jouer de la musique c’est aussi un petit peu se mettre dans la peau d’un personnage. Il faut aussi se raconter une histoire, car on ne sait pas vraiment dans quel état d’esprit était le compositeur quand il a écrit l’œuvre. Et puis nous aussi, musiciens, sentons le positif ou le négatif qui émane d’un public quand on est solistes. L’acteur sent cela immédiatement.

Pour finir, je vous écoute depuis des années, et deux choses m’ont touchées chez vous : votre façon de tenir votre instrument contre votre cœur quand vous saluez…et votre capacité à écouter avec attention vos collègues solistes. Vous écoutez profondément ce qu’il se passe. Comment avez-vous gardé cette fraicheur d’écoute ? Jouer ensemble c’est comme partager un repas en famille. Vous écoutez les gens parler autour de la table parce que vous les aimez et parce que vous souhaitez participer à la conversation. C’est pareil avec l’orchestre. Il faut écouter pour savoir si on est tous en phase ensemble. On joue à la fois en collectif et en soliste donc il faut toujours écouter. Et puis on reçoit des très 4


grands solistes, qui ont des jeux exceptionnels, c’est un bonheur de les écouter. Certaines phrases sont inoubliables, je paierai cher pour jouer de la même façon ! Quant à saluer avec mon instrument sur le cœur…c’est inconscient. Mais c’est vrai que c’est une partie de moi. Je passe beaucoup de temps avec lui, parfois plus qu’avec ma famille. C’est un élément très important de ma vie.

Retrouvez Daniel Arrignon le 01er février prochain notamment, pour le concert Carte blanche à Thomas Zehetmair à la salle Cortot, en bénéficiant de votre tarif abonné à 6 € au lieu de 15.

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