La Feuille
Réinventer un genre
Avec le virage numérique, un clivage se crée entre les journalistes politiques et la « vieille presse ». Le défi à relever est immense : déringardiser le journalisme politique.
Des astres morts du journalisme
« Le journalisme de gouvernement. » C’est ainsi qu’Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, nomme la relation parfois intime qui s’est installée entre journalistes et politiques. « Cette pratique tire sa légi-
timité de la fréquentation du monde politique et non de sa capacité à sortir une information. » Un journalisme écho de l’hémicycle, à la botte des agendas ministériels, à l’affût de la petite phrase, accusé de connivence et qui voit la confiance du public à son égard s’émietter. Dans les talk-shows, l’opinion prend peu à peu la place de l’information. La course à l’audience, la polémique et le sensationnel sont monnaie courante dans le traitement médiatique. Des pratiques plus simples et moins coûteuses que celles du reportage ou de l’investigation. Est-ce une conséquence de l’essoufflement d’un modèle économique, avec des médias davantage tournés vers le profit, et de l’usure des lignes éditoriales classiques ? Ces phénomènes remettent en question la responsabilité démocratique du journaliste. Aujourd’hui, chacun peut donner son opinion, recueillir des témoignages et les diffuser instantanément. Mais l’essence même du métier n’est-elle pas de collecter et de rendre compte d’informations d’intérêt général, sans s’affranchir de la déontologie et en s’adaptant aux nouvelles technologies ? L’arrivée du numérique a bousculé la « vieille presse », comme le dit Edwy
Plenel. De nouveaux formats apparaissent, d’autres sont en gestation. Le traitement de l’actualité politique n’échappe pas aux innovations. Ce virage contraint les titres enracinés dans le paysage médiatique à revoir leur offre en utilisant les nouveaux réseaux disponibles pour toucher les jeunes publics.
Des initiatives à la pelle
Avec Internet, les journalistes n’ont plus le dernier mot. Sur les réseaux sociaux, les politiques prennent la parole et s’adressent directement à leurs partisans et aux indécis. Ces plateformes permettent l’émergence de nouveaux acteurs, parfois étrangers au journalisme mais qui agrègent autour d’eux d’énormes communautés. Influenceurs ou youtubeurs, une partie d’entre eux s’emparent de la politique pour la rendre plus accessible, comme le Diable Positif. D’autres campent sur des positions plus ambiguës. Bahia Carla Stendhal, influenceuse, mélange les genres pour soutenir Eric Zemmour. Thierry Devars, maître de conférences en communication politique, est formel : « Elle utilise les codes journalistiques mais le fond, lui, est militant. » Pour le chercheur, c’est du soft power, qui permet aux
Photos : Charles Bury/EPJT et Lilian Ripert/EPJT
L
es Français ne s’intéressent pas à la politique. Ce refrain revient à chaque campagne électorale mais le sujet continue d’attiser les débats et interroge. Début 2021, le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) publiait son baromètre annuel : « En qu(o)i les Français ont-ils confiance aujourd’hui ? » À la question « Quand vous pensez à la politique, pouvez-vous me dire ce que vous éprouvez ? », 77 % des sondés répondaient par un terme négatif : méfiance, dégoût, ennui et même peur. Notre analyse le confirme : les thématiques abordées lors des débats de la campagne présidentielle ne coïncident pas avec les priorités de l’opinion publique. L’abstention interroge les journalistes. Un électeur qui s’abstient, est-ce un lecteur qui s’en va ? La double défiance des Gilets jaunes envers les politiques et les médias l’a prouvé.