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MÉDIATION PAR L’ARCHITECTURE

Sur un site marqué par la pente et l’histoire, le nouveau bâtiment de l’École protestante d’altitude illustre une réflexion profonde sur les liens entre espace, territoire et pédagogie. Un projet qui allie sobriété et engagement social pour répondre à des besoins multiples.

Sur les hauteurs de Saint-Cergue, l’internat scolaire conçu par bunq architectes se dresse au cœur d’un site aussi complexe que chargé de potentiel. Porté par l’École protestante d’altitude (EPA), ce projet vise à offrir un refuge pour des enfants en difficulté scolaire ou familiale, tout en répondant à des contraintes contextuelles fortes.

Le site accueillait déjà trois bâtiments d’école et de pensionnat pour les enfants. Portant une attention particulière au sport comme outil pédagogique, l’EPA a souhaité réaliser une salle de gym. Mais lors de la phase d’avant-projet, il est vite devenu évident qu’il serait difficile d’accommoder une construction supplémentaire. Les architectes ont alors proposé la démolition de l’un des bâtiments comprenant un groupe de vie, devenu vétuste et obsolète, et la construction d’un nouveau bâtiment.

Livré à la rentrée 2023, l’édifice articule internat et salle polyvalente dans une composition qui dialogue avec le territoire et les exigences éducatives, reflétant une architecture de médiation entre enjeux sociaux, environnementaux et esthétiques.

EXPRIMER LA CONSTRUCTION

Le terrain, caractérisé par une importante déclivité et la proximité immédiate d’un rocher, a dicté de nombreux choix architecturaux. Le bâtiment s’encastre dans la pente naturelle, minimisant ainsi son empreinte au sol. Cette approche traduit une éthique de l’implantation, où l’architecture devient un prolongement du paysage.

Comme souvent dans ses projets, bunq architectes prend le parti d’exprimer les matériaux, revendiquant une vérité constructive, où chaque élément, structurel, fonctionnel ou esthétique, raconte l’histoire du bâtiment. Ainsi, chaque décision exprime la construction, à commencer par la volonté d’habiter la structure. En effet, la salle polyvalente, semi-enterrée contre le talus, sert de socle à une charpente en bois. De grandes fermes d’épicéa, disposées à intervalle régulier, accueillent les espaces de vie de l’internat. Chaque trame correspond à la largeur d’une chambre. La structure de base est renforcée par des tirants en frêne, un choix guidé par la résistance mécanique supérieure de ce bois. La construction est exprimée jusque dans le détail du

© David
Gagnebin-de
Bons

La réaffectation de bâtiments ou de locaux permet de répondre aux enjeux de durabilité, de densification et de valorisation du patrimoine, tout en présentant souvent une option plus pertinente que la démolitionreconstruction. En milieu urbain, elle apparaît particulièrement adaptée, en particulier pour les programmes publics de petite échelle, car elle permet de s’insérer dans l’existant, en conservant toute l’identité et le caractère de l’histoire d’un édifice et d’un quartier. Ce type de transformation permet une mixité sociale et fonctionnelle et répond localement à des besoins citoyens au cœur de la ville. La démarche requiert une compréhension fine et sensible des lieux et des usages, tout en autorisant une adaptation aux normes actuelles. Visite de trois lieux contemporains en Suisse romande qui s’adressent majoritairement à l’enfance et à la jeunesse — tous procèdent par touches parcimonieuses et intelligentes, dans le respect de l’écrin dans lequel ils s’insèrent.

PROGRAMMES PUBLICS, PATRIMOINE URBAIN ET

IDENTITÉS

Marielle Savoyat

UNE ROTONDE QUI RASSEMBLE

L’Ancien Manège de Genève, initialement construit en 1829, a déjà eu plusieurs vies. Les lieux ont été transformés en garage en 1930, puis en parking en 1950. C’est grâce à une mobilisation citoyenne et à un processus participatif que le bâtiment, situé au cœur de la Vieille-Ville, accueille dorénavant de nouvelles fonctions dédiées à l’enfance. Racheté par la Ville en 2015, l’édifice accueille désormais une crèche, une ludothèque, une salle polyvalente et une maison de quartier. Le tout est relié par une rotonde tournée vers l’extérieur, qui articule les différents espaces, apporte une identité commune aux différentes institutions et offre un lieu de rencontre public. Le concours gagné par le bureau Estar a permis la réalisation d’un projet respectueux des différentes couches de l’histoire. L’entrée unique sur le côté permet d’accéder à un espace mutualisé rassembleur, ouvert à tous, voué à la rencontre ou à la halte : la rotonde. Cette dernière n’était pas prévue dans le programme du concours, mais joue un rôle crucial dans la vie des lieux. La crèche et la ludothèque sont situées au rez-dechaussée. Le premier étage abrite une grande salle polyvalente en double hauteur, en résonance avec le haut volume des anciens manèges. Elle est également utilisée comme réfectoire scolaire. Le deuxième étage est dédié à la maison de quartier.

L’échelle de l’enfant a été privilégiée. Ainsi, dans la crèche, entre les salles de jeux et le couloir-vestiaire, de larges et basses fenêtres intérieures créent des jeux visuels, des liens sociaux et de petits espaces ludiques dans les renfoncements. Dans la ludothèque, la charpente en bois d’origine a été restaurée et deux espaces de jeux en mezzanine ont été créés. Les proportions des anciennes portes de garage ont été conservées, ce qui apporte un lien privilégié à la rue.

Les structures existantes et les qualités constructives ont été conservées autant que possible. Une structure légère en bois caractérise l’intervention contemporaine. Avec l’intention de s’intégrer au patrimoine avec mesure et sensibilité, le savoirfaire des artisans a été valorisé. Ainsi, les mains-courantes ont été conçues de manière artisanale. Le mobilier en bois a été réalisé sur mesure. Les façades ont été rénovées de manière traditionnelle, avec un crépi à la chaux et une restauration des pierres existantes.

Le mouvement circulaire de distribution (en mémoire du manège) apporte un dynamisme certain et cultive les échanges entre les différents utilisateurs qui se croisent dans la rotonde. L’édifice constitue aujourd’hui un haut lieu de vie et d’échange, il rassemble, il dynamise tout un quartier.

© Luis Díaz
Díaz
© Luis Díaz
Díaz
© Luis Díaz Díaz

Ruedel’Hotel-de-Ville

Placedela Toconnerie

PromenadedelaTreille Croix-Rouge Rue

Rue Julienne-Piachaud

PromenadedesBastions

Placedu Bourg-de-Four

RueChausseCoq

Rue Beauegard

ESTAR

Estar est un bureau d’architecture, de paysage et de territoire basé à Genève et à Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne. Il a été fondé en 2011 par Aurora Armental Ruiz et Stefano Ciurlo Walker, qui sont tous deux des architectes. Ils abordent l’architecture comme un métier artisanal, alliant observation minutieuse de l’existant et interventions adaptées aux lieux. La valorisation des savoir-faire traditionnels, ainsi que leur approche sensible des matériaux leur permettent d’aborder le thème de la durabilité avec finesse selon le contexte. Ils œuvrent autant en Espagne qu’en Suisse romande.

RuedeSaint-Léger BoulevardEmile-JAQUES-DALCROZE

CoursedesBastions

RueJean-Gabriel-EYNARD

RuedeSaint-Léger
RueJean-Daniel-Colladon
Etienne-DUMONT

Des balcons dans la prairie

Au cœur de Carouge, dans le quartier dit de Fontenette, des bâtiments de logement à loyer modéré ont été semés dans un parc, puis, sur eux, ont fleuri des balcons. L’histoire d’un projet en deux actes.

DEHORS DEDANS

En 2008, pour répondre à la demande croissante de logements d’utilité publique (LUP), un concours SIA 142 porté par la fondation de droit public Emma Kammacher est organisé. À l’issue des délibérations, le jury sélectionne un projet parmi 59 autres. Le projet des architectes neuchâtelois frundgallina convainc avec ses sept plots dansant aléatoirement dans le parc que constitue le site. Les bâtiments tournent sur euxmêmes, préservant au maximum les vues et l’ensoleillement des appartements. Le programme est intégré de façon compacte avec des cages de circulation au cœur des volumes autour desquelles quatre à six appartements rationnels rayonnent. Quelques opulences toutefois : les logements disposent de généreuses loggias ainsi que de halls confortables. Offrir un espace extérieur est alors encore une évidence aux yeux de tous. Au cours des études, en prise avec des taux hypothécaires élevés et exprimant son souhait d’optimiser les coûts pour permettre le financement de l’opération, le maître d’ouvrage demande aux architectes de revoir leur copie. Il s’agit d’améliorer

les ratios entre surfaces et coûts de construction. L’implantation des sept bâtiments est ainsi revue et permet l’ajout d’un étage. Parallèlement, les loggias disparaissent, laissant derrière elles des baies élargies dans les séjours, comme un goût d’extérieur sur le bout de la langue. Les volumes creusés prennent la forme de monolithes dans la prairie.

DES EXTÉRIEURS POUR TOUS

Au cours du chantier, témoins de ces malheureux abandons, des voix locales commencent à s’élever contre ces logements privés d’un traditionnel balcon. Concomitantes avec la baisse des taux et un changement politique, celles-ci sont entendues. À la fin des travaux, le maître d’ouvrage demande alors aux architectes de proposer une solution à la fois rationnelle, économique et réalisable en milieu habité. Il n’est plus question de loggias, qui sont techniquement impossibles, mais plutôt de surfaces rapportées sur la façade, telles des plateformes suspendues.

© Nightnurse Images

CULTIVER LE LIEN

Dans le village vaudois de Daillens, les abords d’un simple terrain de foot sont devenus un véritable espace public durable qui vit et vibre au rythme du sport, et bien au-delà.

texte : Marielle Savoyat
photos : Matthieu Gafsou

Le bureau d’architectes LOCALARCHITECTURE, en étroite collaboration avec la commune de Daillens, aux valeurs écologiques déterminées, signe ce nouveau centre sportif en bordure du village.

Exemplaire à plus d’un titre, ce petit édifice a tout d’un grand ! Dédié au sport, il joue en réalité également un rôle social et écologique, qui dépasse sa fonction première. Il incarne pleinement des valeurs nobles, telles que les rencontres humaines, la diminution de l’empreinte écologique du bâti ou encore l’esprit sportif. Par sa présence, c’est tout un nouvel espace public qui se déploie autour du terrain de football. La demande communale explicite d’éloigner le nouveau bâtiment des habitations villageoises et de le placer de l’autre côté du terrain permet de marquer la limite entre zone bâtie et champs agricoles de manière poétique, tout en valorisant cette réalisation, mais aussi tout le secteur, par un grand espace ouvert. La nouvelle petite place du cimetière située à l’entrée du site ainsi que la zone de pétanque située au sud du bâtiment font partie intégrante de la réflexion globale.

ENTRE SPORT ET CHAMPS

Axé le long du terrain, le tout récent volume se déploie à la lisière des champs. Avec sa généreuse coursive en béton, qui s’élargit au milieu à la hauteur de la buvette, le centre sportif s’inscrit dans les cheminements environnants. Cette promenade

architecturale distribue les différents locaux, mais peut également servir d’assise couverte pour assister aux matchs. À l’arrière, un bel espace de rencontre abrité, avec un long banc qui fait face au paysage champêtre, affiche un caractère plus calme et contemplatif, propice au repos après l’effort. Le langage architectural — simple et authentique — fait écho à celui des fermes environnantes, tout comme les matériaux et les teintes utilisées.

Quatre « boîtes » en bois — espaces fermés accessibles directement depuis l’extérieur, abritant vestiaires, buvette, sanitaires, local du club de pétanque et stockage/locaux techniques — s’insèrent sous la toiture en tôle ondulée. Elles sont ponctuées par trois espaces traversants couverts orientés en direction du paysage et du terrain — autant de zones de rencontres protégées des intempéries, pour accueillir supporters, sportifs et villageois. Côté coursive, la courbe des murs et de la couverture assoit le bâti sur le site avec finesse et élégance, tout en suggérant un mouvement de déambulation.

DURABILITÉ SOCIALE ET BÂTIE

La Commune, très engagée, a porté la volonté inébranlable de réaliser un bâtiment exemplaire, avec une réflexion environnementale élevée. L’attention a notamment été mise sur l’utilisation minimale du béton — ici limitée aux longrines des fondations, qui permettent de détacher le volume du sol

très humide, et aux dalles de la coursive. La construction a été réalisée en bois suisse (les cadres structurels en épicéa et les revêtements de façades en mélèze peint en vert), coupé selon le calendrier lunaire afin qu’il soit de la meilleure qualité possible pour durer, et séché en lisière de forêt. Les murs ont été isolés avec de la paille locale (environ 1200 bottes), la toiture et les sols avec du Gramitherm (panneaux isolants en fibres d’herbe). L’ensemble du plan s’est ainsi adapté aux dimensions des bottes de paille (une trame de 159 cm), réalisées avec une ancienne botteleuse, aux dimensions plus adaptées à l’architecture que les machines actuelles. Une façade ventilée se dresse devant la paille : trois panneaux en bois par cadre, superposés en forme de « grandes tuiles » (trois fois trois bottes de paille par cadre).

UN LANGAGE AGRICOLE

Le volume intérieur des vestiaires prend la forme de l’archétype de la « maisonnette » et renvoie à un sentiment sécurisant. Les murs et plafonds sont entièrement recouverts de panneaux OSB apparents, qui renforcent cette atmosphère chaleureuse, tout en faisant office de pare-vapeur et de contreventement. Une deuxième couche de panneaux OSB, peints cette fois-ci, est apposée à hauteur humaine, ce qui permet une protection et une identification à la couleur du vestiaire (vert ou bleu), également déclinée sur les carrelages du sol et des douches.

La buvette, entièrement recouverte à l’intérieur (murs et plafonds) de panneaux sapin trois plis, offre une atmosphère chaleureuse et adopte, elle aussi, un volume rappelant la « petite

maison ». Une percée sur l’intérieur d’un mur permet aux visiteurs d’apercevoir une partie d’une botte de paille ficelée et de mieux comprendre l’essence du bâtiment. Tandis que le bar est habillé par un surplus de tôle de toiture, le sol est recouvert d’un terrazzo issu du surplus d’un chantier genevois. Les larges portes s’ouvrant sur la coursive permettent d’agrandir cet espace convivial, qui peut par ailleurs être loué par les habitants pour des événements privés.

Sur les pignons, les portes (du local du club de pétanque au sud et des sanitaires au nord) sont protégées par un volet métallique coulissant en forme de maison qui rappelle le langage agricole.

Dans cette démarche de limiter l’empreinte environnementale, la terre excavée se voit maintenu sur place. Ainsi, la surface du parking a été nivelée et les surplus ont été réservés sur site pour une place de jeux topographique avec des buttes, qui sera réalisée ultérieurement, ainsi que de futurs potagers.

Tout autant bâtiment, qu’infrastructure, promenade et espace public, ce petit édifice crée toutes les conditions pour générer naturellement du lien, de la vie, de l’animation, même en étant situé en bordure de village — pendant, mais aussi en-dehors des événements sportifs. En intégrant également pleinement et consciemment des principes constructifs durables et des matériaux locaux, dans une réflexion écologique globale, cette architecture intelligente et pleine de sens dépasse sa fonction première d’abriter des activités et va bien plus loin.

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