Construction&Bâtiment n°6/2024. Extrait.

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CONS TRUCTION & BÂTI MENT

PROJETS ET CHANTIERS

DES PROFESSIONNELS DU BÂTIMENT

Des lieux de vie pour nos aînés

Quai Vernets, première étape décisive du PAV

Construction, privilégier le temporaire et le réemploi

Patrimoine, les enjeux de la reconversion

En Suisse, la pénurie de logements s’aggrave. Au 1er juin, seulement 1,08 % du parc immobilier était vacant, selon l’OFS. Une diminution constante depuis quatre ans qui touche d’abord les plus précaires, mais qui s’étend aussi vers la classe moyenne. Face à cette crise, une réponse semble dominer : construire davantage. Mais cette solution interroge. Mitage du territoire, exploitation des ressources, émissions de CO2 : ces impacts sont-ils vraiment nécessaires ? Et si, au lieu de bâtir encore, nous repensions l’usage de l’existant ?

Avec un taux de vacance avoisinant 5 %, les bureaux, héritages d’un monde du travail en pleine mutation, pourraient devenir une ressource précieuse pour répondre à la demande croissante de logements. Mais réinventer l’existant exige une vision audacieuse. Des projets comme Normandie 14 à Genève montrent que l’exercice invite à innover dans les typologies, et à accepter un certain degré de non-standardisation. Bien que complexe, cette voie offre des solutions adaptées à la pénurie actuelle.

Toutefois, transformer coûte cher, et les normes actuelles freinent ces initiatives, tandis que démolir reste souvent privilégié, malgré ses coûts cachés (pollution de l’air, perte de matériaux, transport des déchets). Si l’on est capable d’adapter nos réglementations pour favoriser la construction neuve, pourquoi ne pas le faire pour inciter à la reconversion ? Des exemples à l’étranger, comme en Belgique avec une TVA réduite pour les transformations, montrent que d’autres voies sont possibles.

Pour répondre à la crise du logement, aux défis de durabilité et de justice sociale, le bâti existant est une ressource précieuse. Ne serait-il pas temps de l’exploiter pleinement ? Et si la transformation devenait la norme, plutôt qu’une exception ?

premier quartier d’habitations du PAV à Genève 94

Jeux d’imbrication au chemin des Rosiers à Nyon

Reconversion de bureaux en logements à Genève 108 Une construction modulaire et temporaire à Carouge 114 Un nouveau projet de logement à Crissier

122 Extension du Collège des Parcs à Neuchâtel

128 Une résidence haut de gamme à Vandœuvres, Genève

ENTREPRISES

134 Acrobat, travaux en hauteur

135 Solarwall, façades photovoltaïques

136 Isover et son produit ISORIGID

138 Développement de la Cour du Mail

140 Sirbatec, spécialiste des constructions en bois

142 Zoom sur les entreprises locales

144 Habitat-Jardin, l’édition 2025 en avant-première

145 17e édition du Salon du bois

146 Expos, salons et congrès

LAVIGNY RÉINVENTE SON CŒUR DU VILLAGE

Situé au centre de Lavigny, le projet

Place du Vignoble s’inscrit dans une démarche de réaménagement urbain alliant respect du patrimoine et développement contemporain.

texte : Isabelle Jaccaud photos : Jeremy Bierer

Ce projet ambitieux, mené par le bureau PONT12 Architectes en collaboration avec la municipalité et la fondation Equitim, a permis de transformer un espace autrefois sous-utilisé en un véritable lieu de vie tout en respectant l’âme historique du village. Il se compose de trois bâtiments qui s’articulent autour d’une nouvelle place publique au centre du village. Cet ensemble immobilier compte 19 appartements, des surfaces commerciales au rez-de-chaussée ainsi qu’un parking souterrain. Trois parcelles réunies pour la réalisation du projet comprenaient de vieilles granges, des annexes, une maison villageoise et un parking à ciel ouvert. « Nous avons beaucoup déambulé dans le village pour en comprendre le caractère, en particulier l’utilisation des venelles, ces passages typiques du village, et les qualités de la rue de l’Église avec son front bâti », explique Braïs Emmenegger, architecte chez PONT12 Architectes.

UN AMÉNAGEMENT BIEN INTÉGRÉ

Le projet a été conçu dans le respect du site et de son histoire, avec un programme divisé en trois bâtiments répondant aux contraintes géométriques de la parcelle. Cette configuration a permis de recréer des passages de traverse inspirés du village, facilitant ainsi la circulation piétonne à travers le site. La route cantonale passant au nord de la parcelle divise le village en deux zones distinctes. L’un des principaux objectifs du projet était de reconnecter ces deux parties du village afin de créer une meilleure cohésion.

Le noyau historique de Lavigny figure à l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale (ISOS). Ce classement imposait des contraintes particulières en matière de préservation du patrimoine et du caractère traditionnel du village. Les trois bâtiments forment un ensemble cohérent permettant aux piétons de traverser le site pour rejoindre les

L’augmentation de l’espérance de vie et l’amélioration des conditions de vie induisent que la population en Suisse est de plus en plus vieillissante. Même si le maintien à domicile est privilégié autant que possible, les besoins d’accompagnement et de soins en fin de vie ne cessent de s’amplifier. L’année dernière, le Canton de Vaud a annoncé vouloir accélérer la création de nouvelles places en établissements médico-sociaux (EMS). Le lancement de 49 projets visant à créer ou à moderniser plus de 2 300 lits permettra de mieux répondre à l’urgence ou du moins de faciliter les processus. Les nouveaux établissements, les extensions ou les modernisations fleurissent à travers tout le Canton. Le défi des architectes à qui l’on confie ces programmes réside dans la capacité à réunir l’efficience liée aux réalités d’une institution de soins à une atmosphère domestique, chaleureuse, apaisante et réconfortante que tout un chacun souhaiterait trouver dans sa dernière maison. Visite de trois réalisations vaudoises récentes.

DES LIEUX DE VIE

POUR NOS AÎNÉS

Marielle Savoyat

FACE AU PAYSAGE

L’EMS La Colline, en plein cœur des mythiques coteaux de Lavaux, bénéficie d’une vue à couper le souffle. Le bâtiment historique datant du début du 20e siècle, transformé et agrandi à deux reprises, nécessitait une modernisation et une nouvelle extension. Un concours d’architecture organisé par la Fondation La Colline a été remporté en 2016 par le bureau LVPH architectes. L’établissement présente un nouveau visage et un nouveau parking depuis le printemps 2024.

La nouvelle extension vient se placer contre terre, en contrebas des surfaces existantes et en partie sur le côté est pour signifier la nouvelle entrée principale. Cette dernière, dont le volume se repère immédiatement, tel un pavillon, articule tout le projet. Dès l’entrée, c’est l’élément paysage qui teinte la conception. La réception, à l’instar d’un lobby hôtelier, se déploie face au paysage, en mezzanine sur la salle à manger/ cafétéria, qui, elle, bénéficie d’une double hauteur. Les huit niveaux s’allongent le long du terrain et s’ouvrent totalement face au paysage composé de vignes, de montagnes et de bleu lacustre. L’établissement bénéficie désormais de 101 lits tournés vers ces beautés naturelles, les locaux techniques et de service étant aménagés plutôt contre terre.

Dans une vision territoriale, l’expression architecturale du socle, dissociée des étages supérieurs, fait écho à celle d’une infrastructure s’insérant dans le grand paysage, tel un ouvrage d’art. Ainsi, ce sont de larges ouvertures qui caractérisent les façades, plutôt que de petites fenêtres domestiques, valorisant l’ouverture vers le panorama. Une généreuse terrasse ponctuée de pergolas autorise déambulation et contemplation. La déclivité naturelle permet un accès de plain-pied à chaque niveau (sauf les 7e et 8e étages). L’étage réservé à la psychiatrie de l’âge avancé se trouve tout en bas, lié à un jardin thérapeutique clos.

L’utilisation de murs en briques de terre (cuite pour les murs intérieurs, crue et réalisées par Terrabloc pour les murs extérieurs) crée un effet thermique efficace en toutes saisons. Le matériau terre participe à l’insertion harmonieuse du bâti dans le territoire, modérant le recours au béton, nécessaire dans une telle situation semi-enterrée.

La réflexion à l’échelle du grand paysage permet d’intégrer un très vaste programme de manière discrète et respectueuse du contexte environnant. L’architecture qui en découle offre des espaces de qualité aux résidents et au personnel, où il y fait bon vivre et où le bien-être est toujours palpable.

© Joël Tettamanti
© Joël Tettamanti

NIVEAU 4

LVPH ARCHITECTES

COUPE SUR PAVILLON D'ENTRÉE 20m

LVPH architectes se distingue par l’attention particulière portée à la dimension spatiale, sans artifice, laissant place à l’émotion et au bien-être. D’abord spécialisés dans la transformation de fermes, ils ont évolué vers des projets d’envergure. Leur approche se concentre sur les situations d’entre-deux, notamment sur les questions de densification. Leurs réalisations explorent les typologies de logements à travers des petits projets, offrant ainsi un vaste champ d’expérimentation pour des projets de plus conséquents.

NIVEAUX 2&3

NOUVEAU-NÉ POUR PERSONNES ÂGÉES

Juché dans le quartier de Chailly à Lausanne, un nouvel établissement médico-social (EMS) dédié à la psychiatrie de l’âge avancé s’est enraciné dans le parc escarpé de la Fondation

La Rozavère et a noué des liens avec les autres édifices du site. Un bâtiment qui apporte fonctionnalité et confort.

texte : Agata Miszczyk photos : Carlos Rollan

UNE NOUVELLE ROTULE

En 2015, le concours pour la construction d’un troisième bâtiment sur le site de la Fondation La Rozavère est lancé. À ce moment-là, les deux édifices existants, respectivement datés de 1902 et 1992, semblent flotter sur un large site. Le projet, remporté par Juan Socas Architectes, propose de placer le nouveau bâtiment entre les deux premiers. Il crée ainsi une interface avec les autres édifices de la Fondation et forme une véritable articulation dans un tissu bâti hétérogène. La topographie judicieusement utilisée combinée au facettage du plot en un heptagone irrégulier permet de réduire visuellement l’impressionnant volume construit et participe de l’harmonie de l’ensemble. Les circulations profitent également du terrain naturel grâce à l’organisation du programme sur trois niveaux répétitifs connectés aux autres bâtiments à tous les niveaux. Au cours du développement du projet et malgré les évolutions du programme, l’architecte s’attache à préciser cette qualité

morphologique et la renforce au travers des matériaux choisis dans l’expression de la façade. Ainsi, le travertin rose tente un grand écart difficile et cherche à marier simultanément le soubassement en pierre naturelle du bâtiment historique avec le crépi rosé de celui des années 90. Les menuiseries en aluminium éloxé « bronze » tranchent avec force dans la pierre claire. « Question d’harmonie et de contrastes », dit l’architecte.

ARCHITECTURE DE L’AUTONOMIE

Dans la conception des espaces destinés aux personnes âgées, l’accent est mis sur le bien-être, la sécurité et l’accessibilité, tout en favorisant l’autonomie des résidents. Pour ce faire, la Fondation La Rozavère développe une approche fondée sur la philosophie Montessori adaptée aux personnes âgées. Cette volonté de favoriser l’indépendance et l’autonomie de chaque personne doit s’exprimer jusque dans la conception des

espaces. Ainsi, le projet de Juan Socas regroupe des parties de programme commun pour gagner en générosité et proposer des lieux de vie attrayants. Réussis, ces espaces de rencontre préviennent l’isolement tout en favorisant l’action individuelle aussi bien que les interactions entre résidents.

Dans cette quête de convivialité, l’architecture du lieu rompt aussi avec l’aménagement hospitalier courant et ses couloirs rectilignes interminables. Ici, la circulation est pensée comme une promenade dans un jardin dont l’axe principal s’enroule autour d’un patio planté, changeant avec les saisons. Tous les espaces de passage baignent dans la lumière naturelle et débouchent sur des percées vers l’extérieur à travers de généreuses fenêtres. Autour, les soixante-six chambres avec vue rayonnent sur le sublime parc aux arbres centenaires. Les matériaux des chambres sont choisis pour exprimer la domesticité avec parquet en chêne au sol et murs clairs. Les espaces de rencontre et de circulation se parent, quant à eux, d’une lisse et fonctionnelle chape poncée et de conséquentes menuiseries en mélèze.

Les matériaux participent eux aussi de l’autonomisation des résidents : les portes de service se font discrètes pour éviter « naturellement » les intrusions, les poignées des

tiroirs à disposition des personnes sont visibles et facilement préhensibles. Avec un travail sur les contrastes, les appareils sanitaires se détachent des surfaces qui les portent.

CLIMAT

Avec sa connexion au chauffage à distance de Lausanne, sa façade ventilée avec finition en pierre naturelle, sa surface vitrée optimisée pour, à la fois, garantir un apport en lumière naturelle suffisant et éviter les déperditions de chaleur ou les effets de serre, l’utilisation du béton recyclé, sa toiture végétalisée et équipée de panneaux photovoltaïques, le bâtiment obtient le label Minergie-P, équivalent ECO. La disposition des fenêtres sur toutes les faces du bâtiment, y compris dans les espaces de circulation, permet une ventilation naturelle efficace et, combinée à la réversibilité du système de chauffage pour rafraîchir, lutte contre la surchauffe, problématique particulièrement sensible pour les personnes âgées.

À travers une lecture ambitieuse du programme, le bâtiment fraîchement né dans un site complexe parvient donc à répondre aux exigences de confort actuelles et à faire sienne la philosophie de la Fondation en proposant des améliorations au service de ses usagers sensibles.

UN HAVRE DE LUMIÈRE

Pensé pour offrir lumière, confort et intimité, cet immeuble résidentiel niché à Vandœuvres a surmonté de nombreuses embûches avant de s’intégrer enfin dans un cadre verdoyant surplombant le Léman.

texte : Isabelle Jaccaud
photos : Luca Fascini

Pensé pour offrir lumière, confort et intimité, cet immeuble résidentiel niché à Vandœuvres a surmonté de nombreuses embûches avant de s’intégrer enfin dans un cadre verdoyant surplombant le Léman.

Dans la commune prisée de Vandœuvres, sur la rive gauche genevoise, le projet Cap’8 se fond avec élégance dans un cadre verdoyant composé essentiellement de villas. La grande parcelle, comprenant une ancienne habitation appartenant à un privé, a été confiée à 3BM3 Atelier d’Architecture pour la création d’un immeuble résidentiel. En 2015, un permis de construire a été demandé pour démolir cette villa et réaliser un bâtiment de huit appartements.

De nombreuses oppositions émanant de propriétaires de villas voisines ont occasionné un retard conséquent. Les recourants ont porté l’affaire jusqu’au Tribunal fédéral, qui a donné raison au maître d’ouvrage. L’autorisation n’est entrée en force qu’en 2018. Par la suite, le projet a changé de propriétaire, entraînant de nouveaux délais. En 2021, Cap’8 SA devient le nouveau maître d’ouvrage avec la régie Moser Vernet en charge de la commercialisation des appartements. Les travaux de démolition ont alors commencé, suivis de la construction. Après près de trois ans de chantier, les premiers appartements ont été livrés en mars 2024.

L’immeuble actuel compte huit appartements en copropriété, répartis sur trois niveaux d’habitation. Un niveau semi-enterré

abrite le parking, les caves, une buanderie, les locaux techniques ainsi que l’entrée principale. Les logements sont répartis entre le rez-de-chaussée, le premier étage et l’attique. Les deux premiers étages accueillent chacun trois appartements, tandis qu’à l’attique deux logements ont été fusionnés pour former un grand appartement avec de généreuses terrasses. L’ensemble des appartements offre quatre à cinq pièces.

ORIENTATION

MULTIPLE

« Notre concept était de donner à chaque appartement plusieurs orientations et un maximum de lumière naturelle. Plutôt que de concevoir un bâtiment rectangulaire, nous avons opté pour une forme en étoile avec une cage de circulation centrale, offrant ainsi à chaque logement le bénéfice d’un ensoleillement optimal au fil de la journée », commente Paul Ducom, architecte en charge du projet au sein de l’Atelier d’Architecture 3BM3. Cette conception en trois branches permet aux logements d’être connectés à la lumière naturelle, sans compromettre l’intimité. À l’intérieur, l’organisation des espaces de vie se fait autour de loggias spacieuses, véritables extensions extérieures des pièces de vie. Chaque appartement possède une, voire deux loggias. Les logements en rez-de-chaussée, qui jouissent d’un jardin privatif, ont une loggia intégrée dans les aménagements paysagers, à la manière d’une terrasse. Aux étages, la vue s’étend jusqu’au lac. Un jardin collectif avec une prairie fleurie permet

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