Construction&Bâtiment n°4/2024. Extrait.

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CONS TRUCTION & BÂTI MENT

PROJETS ET CHANTIERS

DES PROFESSIONNELS DU BÂTIMENT

Les enjeux de la surélévation en trois projets

Fenêtres et façades, entreprises et fabricants

Nouvelle manufacture

Audemars Piguet au Brassus, première étape

L’agrandissement du Collège de Bois-Murat à Epalinges

Une revitalisation pour Dixi Cylindre

En 2018 déjà, un rapport de l’Union des villes suisses révélait qu’entre 84 et 88 % des zones à bâtir des villes et des communes étaient construites. Réinventer l’existant devient donc une nécessité, bien plus qu’une simple tendance. Que ce soit pour densifier, à l’instar des surélévations, ou pour s’adapter aux nouvelles normes et besoins émergents, l’architecture de la transformation devient une pierre angulaire du secteur.

Cette réalité appelle les architectes à repenser leur approche, en instaurant un dialogue avec l’existant mais aussi en intégrant la possibilité de futures reconversions dès la phase de conception des nouveaux projets. Penser des bâtiments capables d'évoluer avec leur environnement, d'adopter de nouvelles fonctions et même de muter vers d’autres formes est désormais indispensable pour anticiper les transformations de demain.

L'idée d’une réversibilité fonctionnelle ou formelle devient essentielle. Des projets comme l’extension du Collège de Bois-Murat ou la nouvelle manufacture Audemars Piguet au Brassus illustrent la nécessité d’intégrer une agilité de reconversion. La rigueur de la trame et la modularité offrent des solutions adaptées, tandis que d’autres projets misent sur un retour aux éléments fondamentaux d’un bâti, sa structure notamment.

La conception univoque laisse donc place à une versatilité assumée. Dans l’hypothèse d’une architecture de la transformation, c’est le fondement d’une pratique architecturale qui doit être repensé. Le défi est de taille, mais il est partagé par tous les acteurs du secteur. En intégrant dès le départ cette possibilité de transformation, nous nous orientons vers une architecture plus durable, respectueuse de l'environnement et en phase avec les défis du futur.

CONSTRUCTION & BÂTIMENT 03/24

94 Le Belvédère, porte d’entrée du Quartier de l’Étang à Vernier 100 Deux nouveaux bâtiments pour le Collège de Bois-Murat à Épalinges

108 Le premier hôtel Stay Kooook de Suisse romande 116 Un nouveau quartier tertiaire à Vernier

122 Des logements dans une oasis de verdure à Nyon

126 Peau neuve pour le Centre Coop Caroline à Lausanne

dans

La transformation de l’usine Dixi Cylindre au Locle

Première étape de la nouvelle manufacture Audemars Piguet au Brassus

ENTREPRISES. 134 Bauwerk, spécialiste des sols en bois 136 Cupolux dans une transformation à Coire

138 Exemple d’économie d’énergie avec Elcotherm 140 Le nouveau chauffe-eau pompe à chaleur de Nussbaum

142 Rafraîchissement naturel au siège de Weinmann-Énergies 144 Zoom sur les entreprises locales AGENDA

146 Expos, salons et congrès

HABITER LES COUCHES

Dans un contexte où la question de l’habiter devient de plus en plus complexe, la transformation d’une ferme à Cottens se distingue par sa finesse dans un milieu défini et particulier.

texte : Marie Walliser
photos : Alan Hasoo

HABITER LE MILIEU

Au départ, la demande des maîtres d’ouvrages semble relativement simple : aménagement d’un appartement secondaire dans une ancienne grange adossée à un corps de ferme habité par les parents. À ce cahier des charges s’ajoute pourtant le défi de l’objet existant. L’architecte Simon Durand y répond en proposant une approche subtile, au-delà de la simple esthétique de l’espace. C’est un projet qui compose essentiellement et intelligemment avec les contraintes du milieu dont il est issu.

Le premier geste porte sur l’occupation intérieure d’un volume existant, une ferme fribourgeoise classée dont l’origine remonte au 17e siècle. Il s’agit d’intégrer alors une réflexion globale sur la réhabilitation de ces volumes agricoles dans le paysage rural voué à se densifier : comment offrir une réponse adaptée aux principes de préservation promus par le service des biens culturels, tout en intégrant les contraintes bien réelles d’investissement et d’économie.

La proposition de l’architecte prend la forme d’une boîte vitrée, indépendante de l’enveloppe existante. Techniquement il s’agit d’une nouvelle structure en bois dotée de larges vitrages qui se construit par l’intérieur en laissant apparaître la charpente incroyable, réussissant ainsi le pari de révéler l’ossature originelle qui compose l’identité du site.

Si cette réalisation n’est pas la première intervention apportée au bâti, elle a le mérite de s’insérer tout en nuance dans une certaine continuité de ce dernier. Par endroits, le projet propose de rétablir ou de « corriger » des éléments transformés précédemment, comme le remplacement d’une ferme d’origine par une ferme en lamellé-collé que la nouvelle boîte vient dissimuler.

L’architecte adopte de manière générale une tactique de l’ajout, permettant de conserver ces couches et d’en ajouter à son tour une nouvelle.

Genève a frayé le chemin en instaurant une loi sur les surélévations en 2008, dans l’idée de réaliser de nombreux nouveaux logements, sans effectuer de pression foncière supplémentaire et tout en régulant les loyers. Si un idéal était posé, la réalité du terrain révèle une complexité au cas par cas, épineuse à généraliser. Les nécessaires études techniques de faisabilité peuvent entrer en tension avec les investissements projetés ; la préservation du patrimoine et son éventuelle dénaturation peut soulever certaines oppositions ; travailler avec l’existant exige une sensibilité accrue à l’histoire de la ville ; l’impact sur l’espace public ne doit pas être négligé, et tous les désagréments engrangés lors d’un chantier habité sont à prendre en compte également. Autant de situations urbaines et de regards croisés qui mêlent passé, présent et futur. Arrêtons-nous sur trois récentes surélévations genevoises, situées non loin les unes des autres et pourtant si différentes. Un point commun persiste pourtant : distinguer l’intervention contemporaine du bâti sur lequel elle s’insère.

SURÉLEVER

LA VILLE

Marielle Savoyat

HABITER UNE CHARPENTE

Une grande cabane perchée en bois : c’est l’impression que l’on peut ressentir en s’approchant de l’immeuble, pourtant situé en plein centre urbain. Le bureau Lacroix Chessex signe ici un nouveau projet qui vient surélever de deux niveaux un bâtiment locatif relativement banal des années 1950.

À l’intérieur des logements, le ressenti est encore plus saisissant, tant le bois assume une présence indéniable. Et c’est peu dire ! Ici, le bois s’affiche, insuffle une atmosphère domestique chaleureuse et rythme l’espace. Si ce matériau a certes l’avantage de la légèreté et de la facilité de mise en œuvre dans le cadre d’un chantier de ce type, il se voit ici sublimé dans toutes ses facettes. Il prend le rôle d’un élément constitutif authentique, constructif et structurel, autant en façades qu’à l’intérieur.

L’ensemble des pièces a été parfaitement métré et calé sur le plan de charpente – dans les deux sens. La métrique du matériau, omniprésente, définit l’espace. Le caractère du bois devient par là même intrinsèque à la spatialité. Quatre grandes poutres transversales qui traversent les logements de part et d’autre sont laissées apparentes et rythment autant la dimension et le caractère des appartements que les balcons. L’épaisseur constructive, donnée ainsi à voir aux plafonds, se lit comme une

« calotte » en bois. Aussi, dans un jeu de composition finement soigné, tout ce qui apparaît en couleur bois naturel correspond à la structure ; les éléments non porteurs – ainsi que les têtes de poutres exposées à la pluie – ont été grisés par un lasurage. Parfois, les deux teintes se retrouvent côte à côte, dans un dialogue éloquent.

L’élément d’avant-toit existant a été conservé et soigneusement réinterprété dans les niveaux supérieurs. Le rythme élégant de la structure en bois vient souligner l’horizontalité par strates successives. Les balcons filants qui font le tour de l’intervention, sur les deux niveaux, présentent l’avantage de mettre les logements à distance de la ville, tout en offrant une protection contre le soleil et le bruit, mais aussi d’abriter les bardages en bois. Des dilatations offrent des surfaces supplémentaires pour installer une table, des chaises, voire quelques plantations, lorsque le retrait de l’attique qui caractérise la tête d’immeuble libère une terrasse.

Une surélévation qui se différencie de l’existant comme une claire nouvelle « couche contemporaine », mais qui, à la fois, entre en résonance avec le volume qui la porte, avec une certaine douceur et une finesse particulière.

© Olivier Di Giambattista
© Olivier Di Giambattista
© Olivier Di Giambattista

LACROIX CHESSEX

Basé à Genève et fondé en 2005, le bureau d’architectes Lacroix Chessex ne se présente plus. Il a basé sa notoriété sur une architecture de qualité et intemporelle, spécifique à chaque lieu dans lequel elle s’insère et attentive au soin des détails. Plusieurs fois primé et publié à de nombreuses reprises, le bureau s’appuie sur une démarche sensible et exploratoire des matériaux et des systèmes constructifs pour produire des réalisations qui suscitent indéniablement l’émotion.

RÉVÉLER LES QUALITÉS DU PASSÉ

Au cœur de la vallée du Locle, un site industriel empreint d’histoire vient de bénéficier d’une cure de jouvence. L’entreprise DIXI, fortement ancrée dans la région, valorise l’héritage du passé.

texte : Marielle Savoyat
photos : Thomas Jantscher

Spécialisée dans les outils et machines de précision pour l’horlogerie, l’entreprise DIXI a fait appel au bureau andrea pelati architecte, suite à un concours d’idées lancé en 2018, pour restaurer, transformer et adapter aux normes actuelles (énergétiques et anti-feu notamment) l’un de ses bâtiments emblématiques de production qui date de 1945. Témoin d’une architecture avant-gardiste d’après-guerre et du patrimoine industriel de la région, l’édifice se trouvait dans un état vétuste et les usages avaient bien entendu évolués. Certaines transformations et restaurations s’avéraient nécessaires. La qualité de construction de l’époque a permis de conserver toute l’essence et l’esprit des lieux, dans le plus grand respect de son caractère.

LE PATRIMOINE AU CŒUR DU PROJET

Faisant partie d’un ensemble de plusieurs bâtiments, l’édifice est composé de trois ailes distinctes formant un U qui s’articule autour d’une grande halle de production. Un grand nombre de matériaux et d’éléments architecturaux, tels que les ferronneries, les luminaires, le travertin du porche de l’entrée, le rythme et le dessin des grandes ouvertures, la composition

des volumes, relevaient du patrimoine et méritaient la plus grande attention. Dès lors, comment intervenir sans dénaturer le bâtiment ? Cette question centrale a guidé l’ensemble du projet. Les architectes, conscients de la valeur de la richesse de cet héritage, ont procédé par « petites touches ». Ils sont restés attentifs à travailler au maximum avec les matériaux et les éléments présents, ne les remplaçant ou ne les restaurant qu’aux endroits où cela était strictement nécessaire. L’intervention a permis de réaliser un assainissement énergétique, de rénover les surfaces industrielles et administratives, mais aussi de créer et d’aménager des espaces supplémentaires dans les combles. Les éléments patrimoniaux ont été conservés autant que possible. L’une des plus grandes opérations a été le remplacement de l’ensemble des fenêtres avec des triples vitrages, permettant d’optimiser l’isolation. Toutefois, les croisillons métalliques de l’époque ont été reproduits à l’identique, tandis que les encadrements de fenêtres ont été conservés, préservant la trame, le rythme et ainsi tout le caractère des façades, révélant de grandes hauteurs d’étages. Le crépi de façade d’origine a simplement été nettoyé et restauré par zones spécifiques.

L’ensemble des toitures a été remplacé, ce qui a permis de les isoler, de les assainir et d’y installer des panneaux photovoltaïques. Les combles ont, quant à eux, bénéficié d’une heureuse transformation qui offre de prestigieux espaces de réunion et de cafétéria, agrémentés d’une généreuse terrasse et de vues dégagées sur la ville et la vallée. De nouvelles larges lucarnes ont été créées, baignant de lumière ces nouveaux espaces. La mémoire d’une ancienne horloge extérieure a été réinterprétée en vitrant le vide créé selon le contour de sa « trace ». Lumière et vues sur la ville ont ainsi la part belle. L’utilisation du bois de chêne sur les sols et les parois distingue ce niveau réaménagé et lui confère une atmosphère particulièrement chaleureuse, propice aux échanges.

Dans les ailes latérales, les combles ont été rénovés et totalement ouverts, valorisant la charpente et libérant de généreux espaces adaptés à l’artisanat. Une atmosphère particulière en émane, plus feutrée que dans le reste du bâtiment, favorable à la concentration et au travail de précision. Au centre, les sheds de la grande halle ont été fermés sur la majeure partie de leur surface, pour limiter la surchauffe à l’intérieur.

MONUMENTALITÉ ET ESTHÉTIQUE INDUSTRIELLE

La cage d’escalier majeure reste à l’image de l’entrée principale historique. Cette dernière, caractérisée par un large perron couvert ainsi que par l’utilisation d’un habillage en travertin et de luminaires muraux placés de part et d’autre, dénote

du soin qui lui a été apporté à l’époque. La roche polie a été nettoyée, le dispositif d’éclairage conservé – tout comme celui de la cage d’escalier, à l’intérieur. La verticalité de cette dernière, évidée en son centre et baignée de lumière, se voit accentuée par la dimension des paliers et des volées d’escaliers qui s’affinent du bas vers le haut. Quatre lustres suspendus renforcent la monumentalité de cet espace, tout en le valorisant. L’utilisation de barres métalliques en laiton pour ces luminaires contemporains rappelle l’une des matières premières utilisées dans l’industrie horlogère et fond ce design dans le décor de manière harmonieuse.

La main-courante en ferronnerie d’origine a été maintenue, tout comme les appliques murales. Une résine grise, coulée au sol sur les paliers d’escaliers se fond parfaitement dans le décor, tandis que le granit des marches a été conservé en acceptant la patine du temps. Sur chaque étage, de nouvelles larges portes en chêne, remplacées pour répondre aux normes en vigueur et entourées d’encadrements en pierre bleue, mènent aux surfaces administratives rénovées. Un ascenseur a également été ajouté. Par-delà le visuel, l’auditif : l’écho qui réverbère ici les bruits et les paroles sacralise presque ce majestueux espace de distribution, clin d’œil discret à la tradition horlogère de la région, considérée parfois avec humour comme une « religion ». Un nouveau souffle contemporain sobre et discret, qui n’attire pas l’attention, a pourtant sublimé un patrimoine industriel et horloger, qui s’ancre dorénavant avec prestige encore un peu plus dans la région.

PLAN COMBLES

PLAN COMBLES

FAÇADE EST

FAÇADE EST

PLAN REZ-DE-CHAUSSÉE

PLAN COMBLES

COUPE A-A

FAÇADE EST

UNE INTÉGRATION HARMONIEUSE

À Épalinges, le Collège de Bois-Murat se voit doté de deux nouvelles constructions. Des bâtiments qui tirent leur intégration et leur pertinence dans leur approche rationnelle du programme et du contexte.

texte : Salomé Houllier Binder
photos : Nicolas Sedlatchek

En s’implantant dans un complexe existant, le projet doit jongler entre un emplacement en lisière de forêt, des bâtiments datant de plusieurs époques différentes et la réalisation de deux nouvelles constructions. Comment s’intégrer harmonieusement dans ce contexte tout en augmentant la capacité du complexe scolaire ? C’est le bureau d4 Atelier d’architecture qui y répond suite à un concours d’architecture remporté en 2016. Comptant déjà plusieurs projets d’école à son actif, le bureau a su séduire par son pragmatisme et son approche singulière d’intégration.

UNE HABILE CONFIGURATION

Le bâtiment A comprend deux ailes autonomes, assurant la privacité de chacune : une aile scolaire avec une salle de gym double, des classes spéciales et divers locaux (médiation, orientation scolaire, infirmerie) et une aile PPLS (psychologie, psychomotricité et logopédie en milieu scolaire). La résolution du site passe par une exploitation des sous-sols. Dans le bâtiment A, un sous-sol intègre la chaufferie du site qu’il fallait conserver, mais aussi, et surtout, les vestiaires de la salle de gym. Ce choix permet de libérer la partie hors-sol pour la salle de gym double et le reste du programme. Il permet aussi de développer un volume compact qui renforce à l’ouest la délimitation du préau existant. Le bâtiment D, dispose quant à lui d’une salle de quartier, d’une UAPE (unité d’accueil pour écoliers) et de deux étages de

classes. Prévu à l’origine pour n’être qu’une transformation de bâti existant, le maître d’ouvrage a finalement opté pour une démolition et reconstruction à neuf, selon le même gabarit. Le nouveau bâtiment dispose donc d’une conception optimisée, tout en préservant le confort et l’usage.

Dans les deux constructions, la circulation se fait autour des vides, apportant fluidité et luminosité à l’intérieur. Dans le bâtiment A, des couloirs autour de la salle de gym vitrés en partie basse offrent des vues aux enfants. Au dernier niveau, un patio central végétalisé fait office d’espace de contemplation et permet la ventilation naturelle. Dans le bâtiment D, un escalier surdimensionné placé au centre du plan est pensé comme un espace public. La distribution horizontale s’effectue autour de cet escalier avec des dégagements en façade sur chaque côté. Une manière d’apporter de la lumière et de favoriser l’appropriation par les usagers, augmentant ainsi le confort.

Enfin, les deux bâtiments sont conçus de manière modulaire entre les différents programmes. Les salles de PPLS dans le bâtiment A et celles de quartier et d’UAPE dans le bâtiment D ont les mêmes dimensions que les salles de classe. Cette logique offre une flexibilité dans l’utilisation future des espaces, un atout indéniable, d’autant plus avec les besoins croissants en capacité scolaire du canton.

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