Construction&Bâtiment n°5/2024 (Extrait)

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CONS TRUCTION & BÂTI MENT

PROJETS ET CHANTIERS

DES PROFESSIONNELS DU BÂTIMENT

Transformer le patrimoine rural en trois projets

La plus haute tour de Fribourg

Le Foyer à Lausanne se réinvente

Un nouveau quartier de logements à Chêne-Bougeries

Le domaine de la construction oscille aujourd’hui entre deux visions opposées : celle qui prône l’augmentation du parc immobilier pour répondre à une pénurie perçue, et celle, à la voix grandissante, qui appelle à un arrêt de la construction au profit de la rénovation et de la reconversion du bâti existant. D’un côté, des personnalités comme Matthias Aellig, patron de Swiss Life, insistent sur la nécessité de bâtir davantage. De l’autre, des experts comme le chercheur de l’EPFL Sascha Nick mettent en avant l’urgence de repenser notre rapport à l’espace construit, en suggérant de prioriser la transformation plutôt que la construction. Ce débat révèle un dilemme fondamental pour le secteur : comment répondre aux besoins d’une population croissante tout en préservant notre environnement ?

Entre ces deux pôles, la pratique architecturale est tiraillée, cherchant à concilier esthétique, fonctionnalité et durabilité. Dans ce contexte, l’efficacité énergétique devient un enjeu central, avec un rôle crucial pour des secteurs comme le chauffage et l’isolation.

Ce numéro explore cette tension à travers des projets diversifiés. Chacun pose une question fondamentale : comment bâtir aujourd’hui en respectant notre héritage et notre environnement ? Il est temps de considérer chaque geste de construction comme un acte réfléchi, conscient de son impact à long terme. Du dynamisme de la construction contemporaine avec le Campus Léman à Morges à la rénovation énergétique de l’ensemble de la Tourelle, ces initiatives témoignent de la capacité des architectes et des urbanistes à relever ce défi, naviguant habilement entre la nécessité de construire et l’urgence de transformer.

CONSTRUCTION & BÂTIMENT 05/24

nouveau quartier de logements à Chêne-Bougeries

À Lausanne, un immeuble résidentiel

nouveau parc tertiaire à Nyon

énergétique pour l’ensemble de la Tourelle à Genève

pour Le Foyer à Lausanne

plus haute tour de Fribourg

nouvel espace d’exposition

à Crissier

nouvel immeuble

la SCHG à Genève

Agrandissement du Campus Leman à Morges

TRÈS HAUTS PLAFONDS AUX PLAINES-DU-LOUP

Le nouvel immeuble lausannois de 34 appartements conçu par le bureau d’architectes Costea Missonnier se distingue de ses voisins par des espaces en double hauteur, soulignés visuellement par une modénature de couleur verte.

texte : Rebecca

Dans le passage couvert qui relie le chemin des Bossons à une grande cour intérieure, les premiers vélos de toutes tailles ont pris leur quartier. Cet espace intermédiaire doté d’une hauteur généreuse offre un lieu de rencontre et de transition bienvenu entre l’espace public et l’intérieur de ce nouvel immeuble de 34 appartements du quartier lausannois des Plaines-du-Loup.

Situé à l’angle nord-ouest de la pièce urbaine D, il se distingue au loin de ses voisins par ses grandes fenêtres habillées d’un cadre vert en bois. Mitoyenne à la coopérative Ecopolis à l’est et à un futur EMS au sud, cette propriété par étage est le fruit de l’imagination du bureau d’architectes Costea Missonnier, lauréat du premier prix d’un concours initié en 2018 par la Société immobilière lausannoise pour le logement (SILL). Le chantier, démarré en 2022, s’est achevé cette année avec l’arrivée des premiers résidents en avril.

Le cadre du projet de vente en PPE de la SILL comprend un droit de superficie à des conditions non spéculatives. Le choix des acquéreurs s’effectue selon une analyse largement inspirée de la directive municipale fixant les conditions d’attribution et de location des logements de la Ville de Lausanne.

DES ESPACES AUX ANGLES

Particularité du bâtiment, les espaces situés dans les angles comportent une hauteur sous plafond de 5,4 m qui se prolonge sur une loggia, apportant énormément de volume et de luminosité au séjour et à sa cuisine ouverte. Le découpage intérieur autour de ces grands espaces qui s’emboîtent d’un étage à l’autre ressemble à un Tetris en trois dimensions. Ces beaux volumes invitent la lumière à l’intérieur, même dans les appartements du rez-dechaussée. « La loggia a été privilégiée au balcon, car elle offre

La transformation de bâtiments ruraux en logements constitue aujourd’hui un enjeu architectural majeur, alliant préservation du patrimoine et densification douce. Ces bâtisses, souvent des fermes ou des granges, possèdent des volumes généreux et un caractère vernaculaire fort, offrant un cadre idéal pour la création de nouveaux lieux de vie de caractère. Le défi réside dans la valorisation des éléments patrimoniaux, tout en intégrant des besoins contemporains comme l’efficacité énergétique ou des spatialités flexibles. Cette démarche permet de redynamiser les zones rurales et de répondre à la pénurie de logements. Ces interventions sauvegardent le bâti existant, tout en le réinterprétant de manière contemporaine. Les vastes volumes à disposition permettent souvent d’aménager plusieurs appartements sous le même toit et de réinventer le vivreensemble et de nouvelles manières d’habiter. Tour d’horizon de trois réalisations récentes dans les cantons de Vaud et de Berne.

TRANSFORMER

LE PATRIMOINE RURAL

Marielle Savoyat

RELIER

Ce récent projet de tangram, situé dans le village de Concise, joue avec les volumes et relie le bâti, mais aussi l’humain. Ici, l’architecture recrée un dialogue entre plusieurs bâtisses, mais offre également la spatialité qui facilite le lien au sein même de la famille qui l’habite.

Un volume contemporain d’habitation vient dorénavant remplacer celui d’une ferme qui tombait en désuétude et s’insère entre la maison existante attenante et la grange, toutes deux rénovées à la même occasion. Trois volumes distincts, mais clairement unis, reliés entre eux par l’intérieur, offrent désormais tout le confort contemporain pour une vie familiale. Chaque unité a son propre caractère et sa propre fonction. Ainsi, la « maison de nuit » contenant chambres et sanitaires, occupe la maison villageoise existante et conserve de petits espaces qui peuvent toutefois s’agrandir selon les besoins grâce à l’usage de grandes portes coulissantes. La « maison de jour » — le nouveau volume — devient le cœur de l’habitation et de la vie de famille. Elle suit la pente naturelle du terrain pour offrir différents sousespaces en jouant sur les niveaux. Ainsi, l’entrée/salle à manger, la cuisine, le salon et la mezzanine font partie d’un unique grand volume ouvert. Ce sont les niveaux qui définissent clairement les spatialités, mais le tout reste en lien. Quelques marches et

meubles fixes dessinent les limites spatiales, mais ce ne sont pas des murs. Enfin, le dernier volume — l’ancienne grange — est devenu un atelier. Les matériaux caractérisent les façades de chaque volume : de la chaux pour la maison de nuit, du bois pour celle de jour et de la pierre pour l’atelier.

À l’avant, des claires-voies en bois permettent de voir l’extérieur depuis l’espace de vie, de laisser passer la lumière, tout en préservant l’intimité de la vie domestique. À l’arrière, la ruine d’un ancien mur en pierres a été maintenue et reste visible depuis une large fenêtre du salon. Il offre l’occasion de créer un patio, accessible depuis la terrasse en bois de la chambre parentale ou en longeant le mur extérieur de la maison. Véritable havre de paix au cœur des vieilles pierres sous le signe de la fraîcheur et de l’apaisement, ce « jardin miniature » mêle patrimoine et architecture contemporaine. À l’abri des regards, il offre une alternative plus intime que celle de la terrasse en bois située dans le prolongement du salon ou encore celle — au caractère plus public — de la petite place extérieure ouverte située devant la porte d’entrée. Ici, l’intervention architecturale valorise le bâti existant, dialogue avec l’histoire de ce lieu, tout en créant une spatialité contemporaine propice à l’échange, mais aussi au besoin d’intimité de chacun.

© Fred Hatt
© Fred Hatt
© Fred Hatt
© Fred Hatt

TANGRAM

Le bureau tangram a été fondé à Lausanne en 1999 par Fred Hatt. Spécialisé dans la transformation et la rénovation du bâti rural, ainsi que dans la construction en bois, le bureau affiche une architecture caractérisée par la sensibilité, l’élégance et la beauté. Attentif aux enjeux climatiques et à l’économie des ressources, le bureau privilégie l’utilisation de matériaux locaux et durables. Au fil des projets, le bois se voit sublimé sous toutes ses formes pour ses qualités structurelles, mais également esthétiques (bois massif, bois brûlé, structures préfabriquées, panneaux, claires-voies…).

ENTRE CONTINUITÉ ET RUPTURE

Le Campus Leman marque une nouvelle étape de son développement avec la construction d’un nouveau bâtiment. Par un dialogue entre intégration et affirmation, le projet trouve un équilibre entre passé industriel et futur urbain.

texte : Salomé Houllier Binder photos : Laurent Kaczor

L’ancienne usine de pâte Pasta Gala, construite dans les années 1950 à Morges, poursuit sa transformation. Après la première phase achevée en 2020, qui avait vu la réhabilitation du bâtiment principal pour accueillir le siège européen d’Incyte Biosciences International et la création d’une cour arborée publique, le maître d’ouvrage, EPIC Suisse, continue de façonner un campus dynamique. Le projet de construction d’un nouveau bâtiment de bureaux, conçu par le bureau Bonnard Woeffray Architectes, s’inscrit dans la continuité de cette mutation, avec un dialogue subtil entre réhabilitation urbaine et valorisation patrimoniale.

UN PLAN INTELLIGENT ET RESPECTUEUX DU CONTEXTE

Le nouveau bâtiment se distingue par son approche discrète et son respect du contexte existant. Situé sur l’emplacement de l’ancien silo de Pasta Gala, dont il ne reste que le radier et une enceinte en béton, le bâtiment se veut à la fois extension et entité autonome, tout en s’inscrivant dans une cohérence d’ensemble avec le reste du site et des bâtiments déjà présents.

Bien que son implantation respecte rigoureusement le gabarit réglementaire du quartier, l’architecture évite toute rigidité. En

jouant sur la façade et ses légers biais, les architectes parviennent à insérer le bâtiment dans le tissu urbain. Ce choix témoigne d’une approche rigoureuse qui ne sacrifie pas la qualité du projet à des économies ou des simplifications.

Le lien avec le bâtiment principal est subtil. Il vient se poser contre la façade existante avec une structure indépendante en béton. Chaque étage est connecté via les paliers d’escalier, permettant une transition fluide entre les deux entités.

Le geste architectural principal des architectes est sans doute le retrait du rez-de-chaussée, qui génère deux imposants porte-à-faux de 7,1 m au sud-est et 4,8 m au nord-ouest. Ces porte-à-faux libèrent l’espace au sol, créant une ouverture qui renforce la connexion entre la cour et la rue, tout en offrant un marqueur visuel affirmé pour l’entrée du bâtiment. Ce choix a néanmoins posé des défis techniques considérables, exacerbés par la proximité des voies de chemin de fer. La dalle du rez-dechaussée, en béton précontraint de 80 cm d’épaisseur, supporte ces charges importantes, avec l’intégration de cobiax pour alléger les dalles supérieures.

UNE FLEXIBILITÉ AU CŒUR DU PROJET

La flexibilité de l’espace intérieur est un atout clé du bâtiment. Chaque étage, d’une superficie d’environ 600 m², peut être subdivisé pour répondre aux besoins des locataires. Cette modularité permet de proposer entre un et deux espaces par plateau afin de s’adapter à des configurations variées. La trame constructive asymétrique, avec un noyau sanitaire et de distribution déporté le long de la façade existante, maximise l’apport en lumière naturelle, et permet une répartition efficace des espaces de bureaux. La commercialisation des espaces est en cours ; Incyte occupera trois des six niveaux.

Ce soin particulier apporté à la flexibilité et à l’expérience de l’usager fait écho à la volonté du maître d’ouvrage de proposer des espaces adaptés aux usages contemporains, tout en préservant ergonomie et confort, à l’instar de la terrasse du dernier étage avec sa pergola et sa vue imprenable sur le lac Léman, ou encore du patio contemplatif au rez-de-chaussée, bordé par le mur d’enceinte existant. L’aménagement intérieur reflète aussi ce souci du détail, avec des matériaux nobles comme le béton brut, des habillages en chêne, des façades en aluminium et des sols en terrazzo, conférant une esthétique sobre et élégante.

ENTRE INTÉGRATION ET AFFIRMATION

L’un des défis majeurs de ce projet réside dans l’équilibre délicat entre l’affirmation d’une architecture contemporaine et son intégration dans un environnement chargé d’histoire industrielle. La façade en inox brossé incarne parfaitement cette dualité. Composée de panneaux pliés créant des effets de profondeur et de reflets, elle est à la fois vivante et changeante. Selon l’heure et la météo, elle se fond à certains moments dans le paysage urbain en le réfléchissant ; à d’autres, elle s’impose par sa matérialité brillante et ses lignes nettes.

La façade découle de la trame constructive régulière. Cette trame se comprime légèrement du côté des voies CFF en raison des régulations OPAM, mais conserve la même identité. Composée de panneaux pleins et de larges vitrages, la façade révèle la structure du bâtiment, notamment les épaisseurs de dalles, soulignant l’aspect technique de la construction. Ce jeu entre l’expression de la structure et l’esthétique du matériau participe à cette alchimie entre intégration et affirmation, offrant un bâtiment qui s’inscrit pleinement dans la transformation du quartier tout en affirmant sa propre présence.

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Niv type
Attique

La modernité modernisée

À Genève, la Tourelle fait partie de ces ensembles qui, fortement décriés hier, sont aujourd’hui encensés pour leurs qualités patrimoniales. Cette reconnaissance est un défi à l’heure de l’urgence climatique : comment conserver le bâti tout en répondant aux exigences d’efficacité énergétique actuelles ?

texte : Agata Miszczyk photos : Paola Corsini

UNE ARCHITECTURE MODERNE

Pour répondre à l’explosion démographique de l’après-guerre, le Canton de Genève se dote d’une loi qui permet le changement d’affectation des terrains. En parallèle, les gabarits des bâtiments autorisés sont augmentés. Ainsi fleurissent les barres sur le territoire. La Tourelle, construite entre 1965 et 1973 par les architectes et ingénieurs Georges Berthoud, Georges Brera, Oscar et Claire Rufe et Paul Waltenspühl, s’inscrit dans ce contexte. Son style emblématique de l’architecture moderne suisse aux allures corbuséennes est aujourd’hui apprécié pour ses multiples qualités. La Tourelle est formée de quatre barres de logement, organisées autour d’un square central. Ces barres sont composées de 32 immeubles contigus groupés deux à deux autour d’une entrée commune. Le système permet de proposer des logements traversants, pour la majorité. Les niveaux inférieurs et supérieurs diffèrent des étages courants : à l’entresol, des studios monoorientés ; en attique des appartements en duplex de grande surface. Cet ensemble urbain totalise environ 1000 logements, dont 415 sont la propriété du Fonds immobilier UBS (CH) Property

Fund — Léman Residential « Foncipars ». Principalement réalisé en béton, chaque bâtiment offre une façade complexe et soignée. Les déclinaisons de type de béton en fonction de son usage (cannelé et lavé, teinté, empreint de graviers gris ou de marbre) et l’utilisation de différents plans en façade font vibrer les dix étages sur socle (onze pour la barre nord-est). Un rez-de-chaussée transparent soutient un entresol plus modeste, en retrait des étages courants. Des balcons à redents animent les huit niveaux répétitifs et un attique sur deux niveaux, aux terrasses généreuses, est traité comme un couronnement.

CHANGEMENT D’HEURE

Quand UBS « Foncipars », sous la direction d’UBS Fund Management (Switzerland) SA, décide d’assainir ses immeubles en s’appuyant sur le bureau d’architectes Itten+Brechbühl SA (IB), le Canton voit l’opportunité de recenser les qualités patrimoniales de l’ensemble et de les protéger. Genève prend aussi appui sur un bureau d’architecture pour développer le « Plan de site », futur

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