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Les refuges de demain : au cœur des enjeux patrimoniaux et touristiques

I/ Les refuges modernes : des expériences en temps réel

Le site qui entoure un refuge, tel que le massif des Ecrins, est reconnu pour sa grandeur et sa beauté attirant la venue de randonneurs et donc poussant à la réalisation de ce type de bâti. Ainsi, les visiteurs souhaitent rejoindre les refuges afin de profiter un maximum de cet écosystème d’altitude, avoir des points de vue uniques sur un paysage reconnu internationalement et se rapprocher de l’idée d’une Nature « sauvage » tout en s’éloignant de la civilisation. Le refuge est donc devenu une structure d’accueil pour des visiteurs qui souhaitant voir la Montagne environnante. Par conséquent, il se doit de la mettre en valeur quitte à s’effacer ou tout du moins à centrer son architecture sur « le grand paysage ». On retrouve, dans cet optique, depuis quelques années l’émergence de constructions modernes aux formes et aux matériaux destinés « à révéler le site, ouvrant de nombreuses réponses symboliques, faisant de l’édifice un signal, favorisant son intégration dans le paysage ou cultivant le contraste » (Jean-François Lyon-Caen, « Un laboratoire architectural », L’Alpe n°88, 2020).

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Cette vision du refuge fait la part belle au lowtech avec des revêtements métalliques, une structure en bois légère, facile à transporter et à monter et des formes géométriques complexes accentuant le côté « improbable » de la présence de telles construction dans un milieu particulièrement hostile. Ces géométries sont étudiées et dessinées de manière à valoriser le contexte naturel des refuges mais aussi à permettre un meilleur écoulement de l’air et favoriser l’évacuation de la neige qui sont des contraintes techniques importantes lorsque l’on se retrouve en altitude, perché sur un promontoire rocheux. De plus, leurs façades réfléchissent le contexte naturel environnant, de manière à « s’effacer » au milieu de celui-ci tout en jouant sur avec la lumière du soleil et ses reflets sur les neiges éternelles ou les glaciers. Ce type de refuges novateurs est surtout présent dans les Alpes suisses et du Nord avec notamment la nouvelle cabane Bertol située à 3311 mètres d’altitude, construite en 1976 dans le Valais par l’architecte Jakob Eschenmoser précurseur du genre, ou encore, toujours dans le Valais, le nouveau refuge du Mont Rose à 2883 mètres, ouverte en 2009 et sensé accueillir 120 personnes tant en été qu’en hiver. Ce dernier, réalisé par le Dr Meinrad K.Eberle avec des étudiants de l’Ecole Polytechnique Fédérale (EPF), emploie une façade en aluminium avec de nombreux vitrages et panneaux solaires. Sa forme en polyèdre irrégulier met alors en valeur le glacier du Gorner se trouvant à ses abords. De plus, il « s’avère quasi autosuffisant sur le plan énergétique, les eaux usées sont recyclées » et « sert également à l’EPF d’objet de recherche dans les secteurs de l’énergie et de la technique du bâtiment » (Zermatt Matterhorn Tourisme, « Cabane du Mont Rose CAS »).

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Plan d’étage et vue intérieure du refuge de Mont Rose

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Coupes schématiques représentant les systèmes de récupération d’électricité et d’eau

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Cependant, cette nouvelle approche du refuge divise et, bien que le confort atteint dans ces bâtisses soit de plus en plus important, on en vient à défendre l’idée d’un retour à des constructions plus proches de l’esprit « originel » du refuge alpin. L’idée de telles constructions vient à l’encontre de celles défendues par le Parc national des Ecrins et les acteurs locaux qui souhaitent avant tout préserver un savoir-vivre, un patrimoine lié aux refuges qui se voit de plus en plus mis en avant et promu à travers des expositions, des écrits… Ainsi, par exemple, afin de construire le nouveau refuge de Mont Rose, « l’ancienne cabane […], qui se situait un peu en aval du refuge actuel, a été dynamitée par l’armée suisse […] puisqu’ il ne fallait pas qu’un bâtiment inutilisé se dresse dans ce paysage ultrasensible des Alpes » (Zermatt Matterhorn Tourisme, « Cabane du Mont Rose CAS »). Durant les années 2010s, des architectes s’attèlent donc à retrouver l’architecture et les caractéristiques initiales des refuges notamment en s’axant sur l’idée de « cabane perchée en haut d’un sommet » tout particulièrement au Sud des Alpes.

En effet, à côtés de ces nouveaux refuges modernes et capables d’accueillir jusqu’à plus d’une centaine de personnes, il existe aussi des refuges bien plus simples et frustres qui tendent à se développer de nos jours, notamment en Italie et le long des sentiers moins connus et fréquentés : les refuges-bivouacs. Ces derniers reprennent aussi une architecte low-tech mais plutôt dans thématique du retour à l’essentiel et aux origines des refuges en ne proposant que la possibilité de s’y abriter dans les conditions extrêmes qu’imposent la Montagne en altitude. Ils ne comportent pas de gardiens et se dédient principalement qu’aux alpinistes par leur difficulté d’accès. On retrouve ainsi la volonté d’un rapport direct avec le site en ayant un minimum d’impact sur ce dernier tout en gardant l’idée d’isolement, loin de la civilisation, idée recherchée par les randonneurs se rendant dans de telles constructions.

Mis en place da,s un premier temps en Italie à travers des prototypes datant de 1925, dans les années 1960s, les refuges-bivouacs sont aussi vu comme étant des constructions particulièrement novatrices et modernes, à l’instar des refuges du Mont Rose en Suisse ou du Goûter, construit en 2013 à 3835 mètres d’altitude sur le sentier historique du MontBlanc en France. Elles privilégient la « technique » dans leur architecture, à savoir résister aux intempéries et aux « conditions de l’altitude » telles que le vent, la neige, le gel... Ces réalisations, bien que mineures au regard du nombre des refuges alpins, sont ainsi le moyen de développer de nouvelles technologies et techniques de constructions avant d’être appliquées à de plus grandes échelles. Les refuges-bivouacs sont construits de manière à avoir un impact minime sur la nature avec la mise en avant de la réversibilité des constructions et du rapport au terrain, approche défendue par les Parc nationaux et Régionaux en France tel que celui des Ecrins.

Museo Alpino Duca degli Abruzzi, Wikimedia commons, URL: https://upload.wikimedia.org/ wikipedia/commons/thumb/5/54/Museo_Alpino_Duca_degli_Abruzzi%2C_Courmayeur_33.jpg/1280px-Museo_Alpino_Duca_degli_Abruzzi%2C_Courmayeur_33.jpg

De plus, les recherches menées quant à leur architecture et les solutions techniques qu’ils embarquent ont peu à peu aboutis à l’utilisation de matériaux innovants tels que la fibre de verre ou des matériaux composites. Cela a permis des développer des « solutions de plus en plus intégrées et sophistiquées » (Roberto Dini, Luca Gibello et Stefano Girodo, « Un modèle de durabilité ? », L’Alpe n°88, 2020) dans le but d’offrir un confort optimal dans un espace minimal, le tout avec un poids contenu de manière à pouvoir être transporté facilement par hélicoptère. Ces refuges peuvent être construisibles en seulement une seule journée tout en accueillant tout le confort nécessaire aux alpinistes (électricité, internet, ventilation, cuisine…) à l’instar de « la nouvelle cabane Gervasutti sur le glacier de Fréboudze (versant italien du massif du Mont Blanc), construite en 2011 » (Roberto Dini, Luca Gibello et Stefano Girodo, « Un modèle de durabilité ? », L’Alpe n°88, 2020) à 2835 mètres d’altitude.

Vues intérieures du refuge-bivouac de Gervasutti

De la Meije à l’Himalaya avec Paulo Grobel, guide de haute-montagne, URL: https://th.bing.com/th/id/R6890e4415ad0ed564e99da0522a0a603?rik=LGbe54Ymg%2fehCA&riu=http%3a%2f%2fwww. paulogrobel.com%2fwp-content%2fuploads%2f2019%2f04%2fgervasutti_8-768x576.jpg&ehk=QHWtn9ljC%2fywKEELhGO5Fkny9pt%2bYF9p7pIWBZCt12g%3d&risl=&pid=ImgRaw - https://th.bing.com/th/id/R38fcbb3f483ff70f0c2f9c9a6889be73?rik=0ywnV9%2bhG6S5gQ&riu=http%3a%2f%2fwww.paulogrobel.com%2fwp-content%2fuploads%2f2019%2f04%2fgervasutti_7.jpg&ehk=rouYZkNgKBg%2bQyNxRJ8q%2fyDBBwdz4MH1rmbAqCqJHZo%3d&risl=&pid=ImgRaw

Les refuges-bivouacs tendent à se développer et cherchent donc à s’intégrer de plus en plus au paysage en mettant à profits des technologies innovantes servant à améliorer leurs structures, leur forme, leur confort… de manière à arriver petit à petit à des refuges entièrement autonomes, fonctionnels et économiques. Ces recherches vers le low-tech sont la porte vers l’expansion de telles techniques à travers les refuges destinés au plus grand public afin de réduire encore leur impact sur l’environnement. Ainsi, bien qu’absents du Parc national des Ecrins, les refuges-bivouacs sont une solution à creuser potentiellement dans ce dernier qui reste malgré bien moins fréquenté que le massif du Mont-Blanc, par exemple. Le Parc pourrait ainsi en déployer notamment vers la barre des Ecrins. Dans le cas contraire, les technologies et solutions architecturales et techniques mises en place par ce type de construction pourraient être employé prochainement dans les agrandissement et réhabilitations futurs des refuges du Parc suivant alors la tendance de réduire au maximum l’impact visuel et environnemental de telles constructions.

II/ Un refuge modèle : la nouvelle cabane de l’Aigle

Malgré l’absence de refuges-bivouacs et plutôt une politique axée sur l’évolution des refuges déjà présents, Parc national des Ecrins développe une dynamique plus proche du patrimoine, tant d’un point naturel que culturel, dans ses actions et notamment la construction de nouveaux refuges avec les Clubs Alpins de Briançon et de Grenoble. L’objectif est de suivre, « l’inscription de l’alpinisme sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’humanité » par l’UNESCO où les refuges en sont au cœur tout en gardant une unité entre les communes, les associations et les élus locaux et les grandes institutions en charge des refuges dans le massif des Ecrins à l’instar, donc, du Parc et de la FFCAM. L’architecte Jean Félix-Faure et le projet du refuge de l’Aigle en 2014, situé à La Grave, dans les Ecrins, sur le sentier menant au sommet de la Meije à une altitude de 3450 mètres fut l’initiateur et la démonstration du succès de ces nouveaux refuges plus simples et modestes, se rapprochant de leur « esprit » originel.

Ce projet de nouveau refuge est né suite à l’appel du Club Alpin Français en 2002, afin de renouveler le refuge de l’Aigle, refuge emblématique de l’Oisans en bois datant de 1910. Ce dernier ne pouvait plus être en activité car trop petit mais aussi devenu trop dangereux après près d’un siècle d’utilisation. En effet, ce n’était qu’une simple cabane en bois montée en 142 jours à la main. Il employait une structure simple en bois « goudronné » basée sur les techniques développées par Lemercier à la fin du XIXe siècle avec de la mousse naturelle servant à limiter l’humidité à l’intérieur en l’absorbant. Il était ainsi prévu de déconstruire l’ancien refuge et ensuite de reconstruire le nouveau plus bas, sur un autre site repéré à l’avance et plus facile d’accès. Cette solution fut cependant très critiquée par sa portée sur le patrimoine puisqu’impliquant donc la destruction du refuge de 1910. Jean Berriot et quelques autres membres de l’association des « Amis du Refuges de l’Aigle », fondée suite à l’annoncement de ce projet, vont alors particulièrement protestés contre la FFCAM qui a remplacé le Club Alpin Français en 2005, au cours du débat.

Photographie du refuge de l’Aigle en 1910 Centre Fédéral de Documentation Lucien Devies, FFCAM, URL: https://centrefederaldedocumentation.ffcam.fr/csx/scripts/resizer.php?filename=T004%2Fimg1%2Fad%2Fc3%2F59wo0p0rxnhu&mime=image%252Fjpeg&originalname=Aigle+An-

Fin avril 2004, les « Amis du Refuge de l’Aigle » lancent alors une pétition afin de favoriser la rénovation du refuge et non sa destruction, ce qui marquera le début des débats tumultueux sur ce projet. Cette pétition recueillit plus de 2000 signatures tandis que les guides de hautes-montagnes, représentants du Club Alpin de Briançon, demandaient que le nouveau refuge soit construit tel que prévu afin d’obtenir un équipement neuf nécessaire à leur activité. Le permis de construire est alors déposé par La Grave en 2007 malgré les diverses protestations et il est acté à ce moment-là que le refuge soit détruit. Cependant, le refuge n’est pas construit car le projet divise aussi au sein des locaux et ne reçoit pas l’approbation du maire de La Grave. Le projet se retrouve ainsi toujours au point mort en 2010, près de dix ans après l’appel de l’initial à cause du débat entre le camp des conservateurs d’un côté et de l’autre celui du Club Alpin de Briançon et ses partisans qui ne parviennent pas à s’accorder sur un terrain d’entente. De nombreuses propositions de projets sont alors formulées avec des études basées sur la création d’extensions tout en conservant le refuge existant tantôt autour tantôt directement dans la falaise. Cela amène de nombreux problèmes sois esthétiques sois vis-à-vis des contraintes climatiques très importantes et aucune de ces propositions ne dépassent donc le stade de simples croquis.

Il fallut attendre 2010 pour que le projet se mette de nouveau à avancer. L’architecte, Jacques-Félix Faure, explique ainsi : « On a vu une petite annonce et, ayant déjà réalisé le refuge de Presset, nous avons décidé de participer à travers un projet extrêmement simple avec l’idée de la cabane en bois. » (Jacques-Félix Faure, architecte de l’Atelier 17C-Architecture). Il propose de conserver la forme et la structure du refuge existant en le surélevant afin de pouvoir accueillir les 30 couchages. La structure de l’ancien refuge est alors mise en valeur à l’intérieur avec sa charpente réemployée, de même que la base des couchages, formant un bon compromis entre patrimoine et besoins nouveaux du refuge et ses acteurs. Un dernier recours est alors tenté par les « Amis du Refuge de l’Aigle », ne souhaitant finalement que de restaurer l’ancien refuge, mais est rejeté par la justice qui acte la construction du projet fin 2013 suivant son approbation par une majorité des locaux et le maire de La Grave. Une maquette grandeur nature, est alors présenté dans sa version finale à Alpexpo à Grenoble afin de « tester » le projet mais aussi de le présenter au grand public puisque sa situation est très élitiste par son accès particulièrement difficile. Lors de cet événement, il reçoit l’approbation générale des visiteurs et autres spécialistes du milieu qui apprécient tout particulièrement la volonté de réaliser un véritable « musée vivant ».

Croquis représentant l’ancien refuge et ce dernier après l’intervente de l’atelier 17C

Atelier 17C, Peztzl, URL: https://www.petzl.com/fondation/foundation-refuge-aigle-dessin-refuge-actuel.jpg?v=1 - https://www.petzl.com/fondation/foundation-refuge-aigle-dessin-refuge-projet.jpg?v=1

Le refuge est construit avec des éléments conçus au sol, liant bois neuf et ancien, avant d’être monté sur place avec l’aide d’un hélicoptère, tant pour amener les panneaux préfabriqués que pour les positionner, à la manière d’une grue. Les conditions climatiques sont très difficiles, le vent étant une grosse contrainte aux manœuvres de l’hélicoptères et l’arrivée de l’hiver limitant grandement les délais de construction. L’ancien refuge fut finalement déconstruit en septembre 2013 tandis que le nouveau pu être réalisé entre avril et aout 2014.

Détails de la charpente

Atelier 17C, Petzl, URL: https://www.petzl.com/fondation/foundation-refuge-aigle-premontage3.jpg?v=2 - https://www.petzl.com/fondation/foundation-refuge-aigle-premontage2.jpg?v=2

Le nouveau refuge de l’Aigle en 2014

Loïc Perrin, Wikipedia commons, URL: https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/76/Refuge_ de_l%27Aigle_nouveau.jpg/800px-Refuge_de_l%27Aigle_nouveau.jpg

Le nouveau refuge dispose des 30 couchages demandés en conservant les couchages originels avec des filets pour les retardataires dans le nouvel étage permettant d’en rajouter 12 par rapport à la cabane originelle. L’ancienne charpente est visible, et mise en valeur par la volumétrie interne du refuge. En effet, le plan se présente sous la forme d’une seule grande pièce mêlant salle commune et dortoirs comme il était de coutume autrefois. De plus, il contient une chambre pour les gardiens, élément nouveau essentiel à leur besoin de repos et d’intimité. On retrouve dans le nouveau bâti une cuisine neuve, des batteries pour les panneaux solaires et une chaudière afin de le chauffer lui et l’eau captée sur place grâce à la neige et à la récolte des eaux de pluie puisqu’il n’y a pas de source proche.

Le refuge de l’Aigle est ainsi devenu un modèle de ce qui peut être réalisé dans le massif des Ecrins afin d’allier les besoins touristiques croissant, tant en confort qu’en terme de place, tout en mettant en valeur un patrimoine lié aux refuges important qui ne peut être tout simplement « effacé ». Par sa forme simple et sa disposition sur un pic rocheux, entre les glaciers du Tabuchet et de l’Homme, ce projet vient signifier son rôle « d’abris » différent très largement de l’auberge ou du gîte. En effet, aujourd’hui les refuges se doivent de transmettre un message aux passionnés et aux générations gravissant les Ecrins depuis plus d’une centaine d’années, à savoir ce qu’est l’alpinisme et le patrimoine qui y est lié dans les Ecrins, de même qu’il est possible d’allier nouvelles pratiques du refuge et de la Montagne avec autosuffisance et respect de l’environnement. Comme l’affirme ainsi Jacques Felix Faure, « Quand on construit Notre Dame de Paris, la cathédrale c’est le bâti, mais lorsqu’on construit un refuge, la cathédrale c’est la Montagne. »

III/ L’utilisation du site et de la pierre

Les Alpes sont une chaîne de montagne relativement jeune puisqu’elles n’ont commencé à apparaître qu’il y a 60 millions d’années dans une Europe alors submergée par un Océan tropical similaire à l’Océan Indien. Elles n’ont ainsi émergé qu’à partir de 40 millions d’années avant notre ère. Cependant, ce plissement s’est fait majoritairement en deux parties puisqu’entre -20 et -15 millions d’années celui-ci s’est accentué, « rejetant la mer alpine vers l’Ouest, à l’emplacement de l’actuelle vallée du Rhône » (Jacques Debelmas, Arnaud Pecher et Jean-Claude Barfery, Découverte de la géologie du Parc national des Ecrins et carte géologique 1/100 000, 2002). Avant de disparaître totalement il y tout juste 4 millions d’années. Ainsi, on retrouve quelques, rares, fossiles dans les Alpes d’animaux marins éteints tels que des ammonites ou des bélemnites. Le massif des Ecrins se compose ainsi majoritairement de granites et de gneiss, l’une magmatique l’autre métamorphique, issues des fortes pressions internes dues à l’émergence progressive des Alpes il y a 40 millions d’années. Ces roches s’accompagnent de dolomnite, témoins du passé marin de la région marquant la présence d’un site riche en patrimoine géologique. Les roches quartziques sont ainsi très présentes dans la zone et comportent un plissement important causé par l’activité géologique importante. La géologie du Parc est aussi marquée par l’érosion, les cassures et les traces laissés par le retrait des glaciers.

Ainsi, le Parc national des Ecrins offre une abondante réserve de matériaux géologiques qui peuvent aisément être employés à la réalisation de nouveaux refuges ou bien à leurs réhabilitations, le granite étant un matériau de premier choix par sa dureté et la résistance qu’il confère aux bâtis. Présent le plus souvent directement sur le site d’implantation des refuges, ce choix limite les transports de matériaux peu économes et écologiques tout en assurant une bonne intégration dans le contexte environnemental présent en altitude. Par conséquent, le granite est une solution qui fut apportée dès la création des premiers refuges au XIXe siècle à côté des « cabanes » en bois peu résistantes à l’instar des « habitations pastorales », ancêtres des refuges alpins. Les matériaux nécessaires à la maçonnerie furent rapidement amenés depuis la Vallée par la voie des airs en hélicoptère dès les années 1960 comme pour le refuge des Ecrins, inauguré en 1969 à 3170 mètres d’altitude voir trouvés sur place grâce à l’eau et au sable aux abords des sites d’implantation permettant de fabriquer du ciment.

Cependant, son utilisation est devenue de plus en plus rare aujourd’hui au profit du bois et de l’acier car plus légers et mieux adapté à la réalisation de panneaux en préfabriqués, technique largement employée de nos jours. On peut malgré tout se questionner sur la possibilité de créer de futurs refuges en pierre. En effet, son utilisation est particulièrement bénéfique dans un souci de préservation patrimoniale et d’intégration au paysage dans les cas de rénovation et de réhabilitations de refuges en pierre existant. Tandis qu’elle rappelle les refuges d’antan et notamment ses ancêtres à l’instar de la « cabane » en bois, l’impact visuelle d’une construction en pierre dans un milieu aussi minéral que les sommets montagnards est, en effet, très limité. Il est important de noter que l’objectif d’un refuge est de « s’effacer » dans un tel paysage marqué par sa nature hostile et sauvage. De plus, bien que la mise en œuvre de la pierre impose un équipement important et une construction lente et contraignante à cause du temps restreint laissé par le climat hostile, sa solidité favorise l’emploi du bâti sur une période importante et la limitation des travaux d’entretien. La pierre permet enfin de réaliser des bâtis relativement grands et confortables nécessaires aux besoins des visiteurs et d’assurer l’augmentation de leur nombre dans les refuges.

Par conséquent, le patrimoine minéral du massif des Ecrins est lié depuis le début aux refuges et à leur construction. De moins en moins employé et mis en avant, il est important de valoriser l’emploi de la pierre à l’avenir et de le repenser en le priorisant, pourquoi pas, sur certains matériaux moins « locaux » et naturels tels que la fibre de verre. Solide et s’intégrant parfaitement dans le territoire, la pierre et la maçonnerie constituent encore bon nombre de refuges dans les Ecrins puisque la majorité de ces derniers et l’image « classique » actuelle que l’on en a est celle de baraques à étages en pierre avec une charpente en bois recouverte de zinc. La conservation des mémoires et du patrimoine des refuges des Ecrins passe donc naturellement par cette architecture de masse faisant échos à celle du bois toutes deux présentent dans le massif en altitude en dans les vallées depuis des siècles.

Carte géologique de Briançon et du massif des Ecrins, 3e édition, 1969

Bureau de Recherches Géologiques et Minières, Direction du service géologique et des laboratoires, BoÎte postale 818 - 45 - Orléans-la-Source

IV/ L’atelier Refuge remix au refuge de Villar-d’Arêne: comment diversifier et imaginer les refuges de demain ?

En juin 2019, un atelier in situ, Refuge remix, a eu lieu au refuge de l’Alpe du Villar-d’Arêne, situé à 2079 mètres d’altitude au cœur du Parc national des Ecrins, dans le but de réfléchir et d’expérimenter de nouvelles manières de percevoir les refuges et de les utiliser. Facilement accessible puisque ne nécessitant qu’1h30 de marche, le refuge de Villar-d’Arêne a accueilli « six équipes de six participants aux compétences métissées (experts des milieux isolés, designers, architectes, bricoleurs, artistes…) » (Philippe Bourdeau, « la nouvelle vie des refuges », L’Alpe n°88, 2020) durant trois jours.

Le refuge de l’Alpe du Villar-d’Arêne Panoramio, URL: https://th.bing.com/th/id/OIP.74Cqq3WQ9Jn0Nhf3VHsvDwHaEK?pid=ImgDet&rs=1

Cela a permis de lancer, dans un premier temps, des réflexions quant au devenir des refuges dans les Ecrins et de leurs fonctions en se basant sur l’état existant de celui de Villar-d’Arêne. Il en est ressorti plusieurs thèmes, à savoir :

- « Un refuge à habiter », en considérant le refuge comme un lieu de vie

- « Refuge laboratoire », en considérant le refuge comme un lieu de tests sociaux et technologiques

- « Refuge académique », en considérant le refuge comme un lieu d’apprentissage de la Montagne

- « Le tiers-lieu de la Montagne », en considérant le refuge comme un lieu de rencontre et de discussions entre personnes de « compétences variées »

- « Retour vers le futur », en imaginant un refuge plus simple tout en réduisant son impact environnemental et en conservant sa praticité à l’instar des refuges-bivouacs

- « Capteurs et témoin du changement », en considérant le refuge comme un « témoin » des évolutions environnementales et sociales

Suite à cela, les équipes ont chacune pensé et réalisé un prototype représentant la fonction et les idées formulées. Les « refuges » ainsi créés avaient tous des caractéristiques, des principes et des matériaux différents allant du fil de fer au tissu en passant par la ficelle… Ils partageaient cependant des « logiques de circulations, de mise en réseau, de don et contre-don, d’expérimentations… » (Philippe Bourdeau, « la nouvelle vie des refuges », L’Alpe n°88, 2020). Cette expérience a permis donc de mettre en avant des utilisations singulières et variées du refuge tout en confrontant les choix et notions paradoxales pouvant être adoptées ou non pour la construction d’un nouveau refuge (« frugalité versus confort, low tech versus high tech, déconnexion versus connexion »…).

Ainsi, l’atelier Remix a offert la possibilité de se questionner sur les enjeux et les débats principaux qui animent les refuges à l’heure actuelle tout en démontrant que leurs fonctionnalités ne rimaient définitivement plus forcément avec alpinisme ou sports de Montagne. L’atelier a aussi permis de pointer du doigt l’absurdité de construire des refuges toujours plus sophistiqué et confortables dans les Ecrins alors que la demande et les réflexions formulées traitaient majoritairement de projets à l’échelle de la cabane et de constructions « communautaires ». Ces constructions ont d’ailleurs la côte actuellement en ville avec les hôtels urbains offrant des tables communes.

Les équipes de l’atelier Refuge remix devant leurs prototypes

Alpes là!, URL: http://alpes-la.info/environnement/tourisme-durable/refuge-remix-ou-comment-imaginer-les-refuges-de-demain/

L’atelier Refuge remix et, plus largement, les refuges du Parc national des Ecrins, tel que le nouveau refuge de l’Aigle, ont pu démontrer qu’une directive architecturale retournant à l’essence même des refuges et de la cabane n’était pas synonyme de régression des pratiques et de dédain des visiteurs ou de la FFCAM. Le questionnement même de certains nouveaux refuges est légitime quand on sait que, par exemple, le nouveau refuge du Goûter, inauguré en 2013, divise beaucoup non seulement pas son architecture mais aussi par sa taille et son rythme de fréquentation élevé appelant même déjà à une régulation de cette dernière et des sentiers menant au sommet du Mont-Blanc. L’objectif de cet atelier est donc clair et c’est tout simplement de démontrer qu’un retour à la simplicité et aux interactions sociales seraient bénéfique aux refuges des Ecrins à l’heure où le souci de préserver les patrimoines naturels et culturels n’a jamais été aussi présent. La crise sanitaire a, de plus, justifier encore cette optique en ayant un impact direct sur le nombre de randonneurs dans le parc, amenant à sa découverte par de nouveaux visiteurs, et sur les rapports humains et sociaux sont limités.

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