Faribole n°4

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L'œil pensant

Dans un recueil de ses écrits intitulé L'Œil pensant, Paul Klee demandait à ses lecteurs de faire un « petit voyage » avec lui au « pays de la connaissance ». Theoria, revue philosophique en ligne, ainsi que Faribol! s'inscrivent dans cette recherche de savoir. Un partenariat entre ces deux périodiques s'inscrit ainsi dans une démarche cohérente et même essentielle. Ce partenariat se concrétise par la présence d’articles de Theoria dans chaque numéro de Faribol!, et vice-versa.

Le voyage sera également une thématique très présente dans ce numéro : entre le monde onirique de Dominique Spiessert, les réflexions sur le savoir mondialisé avec Rémi Mathis, ou encore le déclin de la musique aux États-Unis : les découvertes seront florissantes.

Gérard Wi"emetz et Dani Royan, 1926

Jacques Henri Lartigue Tirage gélatino argentique. © Ministère de la Culture-France /AAJHL

nº4

contact@faribole.org www.faribole.org

Toute reproduction est interdite sans autorisation préalable des auteurs

© Faribole - 2013

Rédacteur en chef Pierre-Alexandre Moreau

avril - mai 2013 11, rue de la Poste 37600 Betz-le-Château

Pierre-Alexandre Moreau Rédacteur en Chef de Faribol!

redaction@faribole.org

Assistante de rédaction Marieke Rollin

marieke.rollin@faribole.org

Responsable de la communication Aurore Grangier

aurore.grangier@faribole.org

Rédaction Clara Esnault Laurie-Anne Girondeau Benoît Hamon H.H. Thomas Moulin Sepideh Parhami Marieke Rollin Diane Zorzi

Traduction 3 Julien Miquel

Illustration Fanny Roupnel Lorie Ballage Justine Ghinter

Relecture André Weill Anne Salmon

Remerciements Alexandra Collin Antonio Esposito D'Onofrio Annabelle Floriant Jean-Marie Guinebert Rémi Mathis Julien Miquel Dominique Spiessert Jean-Pierre Tolochard André Weill

Et le service Culturel de l'Université FrançoisRabelais de Tours


Sommaire Page 3. Édito

Page 5. Citoyen du monde : Rémi Mathis Par Marieke Rollin et Pierre-Alexandre Moreau

Page 8. Lartigue, photographe bourgeois Par Clara Esnault et Laurie-Anne Girondeau

Page 10. The Decline of American Music Par Sepideh Parhami Suivi de la traduction par Julien Miquel

Page 14. Fantôme et présence de l’opéra Par Thomas Moulin

Page 17. La sélection du chef Page 18. Carte blanche à Dominique Spiessert Page 20. Wols, en quête d’origine Par Diane Zorzi

Page 24. Désir...Désirs Par H.H.

Page 26. Le Triomphe d’Alexandre Par Benoît Hamon

© Lorie Ballage © Lorie Ballage

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Citoyen du monde

Rémi Mathis érudit moderne Rémi Mathis est historien. Il est Conservateur au Département des Estampes et de la Photographie à la B.N.F. (Bibliothèque Nationale de France). Il est également le président de Wikimédia France, qui gère Wikipédia et ses composantes.

Le partage des savoirs doit-il avoir une limite ? Quel modèle devrions-nous adopter ? Vaste question. Le but est de repousser les limites aussi loin qu’il est possible de le faire, en profitant de toutes les possibilités que nous offrent les nouvelles technologies et les nouveaux modèles éditoriaux qui sont proposés par Internet. Les limites qui peuvent exister aujourd’hui sont moins des limites de capacité à diffuser, que de besoin d’accompagner ces gens dans ce partage. Il ne sert à rien de partager des informations extrêmement précises si les gens ne sont pas prêts à les recevoir.

Quel rôle doit avoir la culture au XXIe siècle ? Est-elle nécessaire ? La notion de culture actuellement a tendance à évoluer. Auparavant, au XXe siècle, la culture était restreinte à des thèmes bien particuliers. Dans les encyclopédies traditionnelles, sur papier, vous aviez très peu de science, car on partait du principe que la culture était uniquement de la littérature, de l’histoire, et quelques autres matières, en nombre finalement assez restreint. Il y a des aspects fondamentaux de la science qui sont absents. Ce qui est intéressant avec les capacités actuelles de diffusion est qu’on a une approche beaucoup plus large de la culture. Elle n’est plus limitée par la place ou par les contributeurs. Internet est universitaire dans le sens où les académiques ont toujours traité l’ensemble de la connaissance, quel que soit leurs statuts. Non pas dans une approche faite par les intellectuels du XXe siècle (une catégorie, à mon avis, de plus en plus obsolète) qui choisissaient dans la culture ce qui était intéressant et ce qui ne l’était pas, avec des critères extrêmement flous et personnels. Les usages se diversifient. Une fusion s’opère entre l’information et les savoirs. Ainsi Wikipédia est autant sollicité pour regarder la liste des épisodes de Hous!, que pour rechercher un point historique extrêmement précis et exigeant.

Cela pose la question de la hiérarchie de la culture... Le fait même de mettre une hiérarchie est un phénomène culturel : cette hiérarchie évolue. Faut-il établir une hiérarchie entre les cultures ? Certainement, car il y a au moins certaines oeuvres qui sont plus fécondes, qui ont amené des gens à réfléchir. Un déjeuner sur l’herb! de Manet ou l’œuvre de Marcel Duchamp sont historiquement plus importants qu’une série télévisée américaine. Il faut en tenir compte et il faut que lecteur puisse le comprendre. En revanche, cette distinction intellectuelle ne doit pas contrevenir à la diffusion des connaissances sur les sujets jugés moins légitimes ou moins « savants ». On observe ce rapprochement entre la culture académique et la recherche de la diffusion sur Internet. Or les

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sociologues, les historiens ont toujours travaillé sur des objets légitimes de la culture populaire. C'est pourquoi ne pas faire apparaître la culture populaire dans les encyclopédies papier n'est absolument pas un mouvement universitaire, c'est un mouvement purement éditorial.

Arrive-t-on à un paroxysme de l'archivage ? Les bibliothèques et les archives sontelles prêtes à passer au tout-numérique ? Le but d'une bibliothèque est de s'insérer dans un écosystème. L'important est qu'elle comprenne les changements actuels et comment elle peut accompagner, voire précéder ce mouvement. Des modèles économiques et juridiques se mettent en place, et il est du devoir des bibliothèques d'être à jour sur ces thématiques (la question des DRM notamment). Il faut que ces structures suivent les lecteurs, et surtout soient bien conscientes de leurs missions : diffuser la culture et le savoir, former les gens, les amener vers des œuvres. Après, que ces informations soient sur du papier, ce n'est pas ce qui est important. Loin de là.

Le patrimoine est-il compatible avec le numérique ? Absolument. Tout est compatible avec le numérique. Il faut faire une distinction entre l'objet d'étude et les outils. Travailler sur l'histoire romaine ne signifie pas écrire ses notes sur une plaque de marbre. Sur les textes anciens, on élabore des bases de données pour traiter cette information, pour décrire de manière efficace ce qui se passe, pour recouper et rechercher. Il n'y a aucun lien entre le média que l'on utilise et les techniques qui sont utilisées pour exploiter ce média.

Vous êtes spécialiste de la diplomatie au XVIIe siècle. Peut-on faire des parallèles entre la diplomatie du XVIIe siècle et celle d'aujourd'hui ? La diplomatie a énormément évolué. Sous Louis XIV, c'était extrêmement artisanal et les décisions étaient prises comme on le pouvait. À partir du moment où votre lettre met trois semaines pour rejoindre la Suède (où se trouve la personne qui doit négocier avec le roi de Suède), vous contrôlez peu d'éléments. Même si vous avez une politique générale (ce qui n'est pas forcément le cas), la personne chargée de cette politique n'est pas forcément au courant de ce qu'il faut dire au moment où elle le dit. Ainsi, chacun des acteurs a une liberté très grande, et cela devient difficile de contrôler ce qui se passe. Ensuite, le Département des Affaires Étrangères, vers 1670, représente cinq personnes. Là aussi, la capacité de travail, d'analyse et de renseignement est limitée. La vision stratégique est donc réduite. Alors qu'aujourd'hui, on sait en permanence et en temps réel ce qui se passe partout. Maintenant, c'est multi-modal, global, dans l'instant, avec des informations qui partent dans tous les sens et doivent être traitées. La diplomatie s'est complexifiée d'une manière absolument folle. Les différences sont telles qu'il n'est pas forcément pertinent de comparer les deux.

La place du savoir dans la société est-elle suffisante ? Non, ce n'est jamais suffisant, mais dans la société actuelle, une personne qui cherche à se renseigner sur un sujet précis peut le faire. Cela a progressé d'une manière impressionnante ces dernières années, entre autres grâce au développement d'Internet et des nouvelles technologies. Je faisais ma thèse dans les années 2005-2006. Quand vous cherchiez qui était évêque de tel diocèse en France, au XVIIe siècle, vous deviez passer par des livres sur papier publiés au XVIIIe siècle, qui sont d'énormes folios, impossibles à manipuler, et trouvables dans quelques bibliothèques seulement. Actuellement, vous trouvez cela en trois secondes sur Internet sans aucun problème. La question est de réussir à faire en sorte que les gens aient l'envie, l'occasion de chercher ces informations. Ceci passe par des questions de développement de la curiosité intellectuelle. Dans le monde et en France, elle se développe d'une manière exponentielle. Elle se développe dans tous les sens : être cultivé n'est plus seulement être capable de connaître la date de Marignan, mais cela devient beaucoup plus large. Il est intéressant de voir qu'il y a des références à la science dure qui sont compréhensibles par un public de plus en plus grand. L'accès à la connaissance est de plus en plus aisé.

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Est-ce que Wikipédia a contribué à ce développement ? Bien évidemment. Une connaissance qui était auparavant enfouie dans des livres qui existaient à dix exemplaires dans le monde, dans des bibliothèques universitaires, peut maintenant se trouver à un endroit précis, accessible et de manière immédiate. Chez les lecteurs de Wikipédia, et encore plus chez les contributeurs, cela a permis de les sensibiliser à ce qu'est la connaissance, et comment elle évolue. Quand vous écrivez sur Wikipédia, on vous demande de citer une source, on vous demande de faire une synthèse entre plusieurs sources. Faire une synthèse permet de rapprocher les points de vue. Les contributeurs se rendent compte ainsi qu'il n'y a pas forcément des gens qui ont raison et des gens qui tort, mais que c'est plus complexe. Wikipédia permet de complexifier ce rapport au savoir et de montrer qu'il n'y a pas qu'une vérité. Wikipédia est un très bon exemple de serendipité : vous tombez sur des informations que vous ne cherchiez pas forcément. Vous commencez par faire une recherche sur un sujet que vous connaissez, puis vous cliquez sur un lien, puis sur un deuxième lien... Vous vous retrouvez à faire des découvertes sur des sujets inconnus. C'est cela qui permet aux gens de s'ouvrir et de développer leur curiosité intellectuelle.

Jusqu'à quel niveau démocratie et savoir sont-ils compatibles ? Démocratie et savoir sont compatibles au niveau global : vous n'avez pas de démocratie si les gens ne sont pas capables de faire des choix raisonnés, d'avoir un esprit critique. Or, l'esprit critique se forme par le savoir, par les capacités acquises. Le fonctionnement de Wikipédia n'est pas démocratique : tous le gens sont à égalité en ce qui concerne la capacité à écrire et se faire entendre. En revanche, ce n'est pas parce que vous parlez que vous direz des choses intéressantes. Les personnes qui apportent leur contribution son celles qui amènent les bonnes sources, qui sont suffisamment compétentes pour amener les arguments qui ont une influence. C'est pourquoi, à Wikipédia, on n'est pas dans une démocratie, mais plus dans quelque chose qui serait une espèce d'élitisme ouvert à tous : seuls ceux qui sont bons auront une influence, mais on laisse la possibilité à tout le monde d'être bon.

Propos recueillis par Marieke Rollin et Pierre-Alexandre Moreau

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Lartigue photographe bourgeois

Sous une pluie printanière, le Château de Tours est un refuge idéal. Les murs massifs accueillent une exposition photographique en partenariat avec le Jeu de Paume, Lartigue l'émervei"é.

Dans de vastes salles humides, les clichés de Lartigue ont le pouvoir de réchauffer les intérieurs. Un premier espace chaleureux invite à découvrir l'artiste en feuilletant des ouvrages. Dans les autres salles, une centaine de photographies, en grand format, sont présentées sur un fond blanc et en frise continue. Deux films, de F.Reichenbach et P. Kohly, donnent également un beau panorama sur son travail.

« Depuis que je suis petit, j'ai une espèce de maladie: toutes les choses qui m'émerveillent s'en vont sans que ma mémoire les garde suffisamment ». C'est de cette frustration de l'éphémère que naît la passion photographique de Jacques-Henri Lartigue. Sa quête infinie de capture du temps a été le leitmotiv de sa vie. Son esprit enfantin avait inventé le « piège d'œil » : l'œil clignotant jouant le rôle d'un objectif. Ce néophyte reçut son premier appareil, une chambre 13x18, à l'âge de huit ans. Son enfance dorée entre le Pont de l'Arche et Rouzat fut le terrain de jeu de ses expériences artistiques. En collectionnant cette accumulation visuelle de moments fugitifs, il se rendit compte de la perpétuelle impasse de cette méthode. En pendant de ses prises de vues, il commença à rédiger un journal où il inscrivait des résumés journaliers, des esquisses et une analyse météorologique. L'exposition met intelligemment en scène cette double démarche, en associant les clichés à des citations. La carrière photographique de Lartigue témoigne du mode de vie de la société aristocratique du début du XXème siècle. Trois grands thèmes reflètent cette vie élitiste et ponctuent son album de photographies.

Le XXe siècle voit l’émergence des vacances et des congés payés. L’élite découvre les joies de la mer comme nous le montre Lartigue dans ses clichés familiaux (Gérard Wi"emetz et Dani, Royan, 1926). Le plein-air a le vent en poupe, tout est prétexte à la sortie et donc à la photographie. Dans ce développement de la vie extérieure et de l’industrie, Lartigue veut nous faire partager sa passion pour la vitesse, le mouvement et le sport. Des courses automobiles et équestres au lancer de chien, tout est prétexte à la photographie. Sa recherche du mouvement et de la modernité correspond aux mêmes recherches qu’effectuaient les futuristes dans les années 1920. Les yeux de Lartigue se sont posés sur les silhouettes féminines pour ne plus s'en détacher. Adolescent, le jeune homme se rendait au bois de Boulogne pour capturer les toilettes des élégantes. Il met en lumière la grâce de leur démarche, leur beauté individualisée et leur pouvoir de séduction. Ses épouses ont été les égéries de ce paradigme féminin. En 1920, une

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série de clichés capturent Bibi, lors de leur voyage de noces. Puis cet idéal du glamour est incarné par le mannequin Renée Perle (René!, Biarritz, août 1930). Les contrastes en noir et blanc font ressortir leur peau blanche fardée sur des fourrures et des dentelles noires. Ces femmes endimanchées offrent un témoignage de la mode des années 1920 (Avenue des Acacias, Paris, 1911). Et grâce aux plaques autochromes, il met en couleur l'esprit fleuri de ces créatures divines (Bibi au restaurant d’Eden Roc, Cap d’Antibes, 1920).

Lartigue est aussi peintre à ses heures perdues et côtoie des grandes pointures de la peinture tel que Picasso (Jacques Henri Lartigue, Picasso et Jeanne Creff à “La Californie”, Cannes, août 1955).

© Ministère de la Culture-France/AAJHL

Son travail sera également reconnu de l'autre côté de l'Atlantique,où il collaborera avec le photographe Richard Avedon. Jacques-Henri Lartigue a toujours refusé de travailler, préférant sa liberté à la contrainte d’un métier. Sa renommée photographique lui ouvre de nombreuses portes et notamment celles du palais de l’Elysée en réalisant le portrait du président Valéry Giscard d’Estaing. Son travail est un véritable témoignage d’une époque qui procure, et peu importe l’âge, un sentiment de nostalgie. Lartigue continue de photographier son quotidien jusqu’à son dernier souffle, Pendant que j’ai encore une ombre, « Mon ombre est une compagne, pas une amie. Elle n’ira nulle part, elle ne me suivra pas ».

Lartigue l’émervei"(, exposition du Jeu de Paume Hors les Murs, au Château de Tours, jusqu’au 26 mai 2013.

Clara Esnault Laurie-Anne Girondeau 9


The Decline of American Music

There are two kinds of Americans: those who enjoy popular music and those who like to complain about it. With hip-hop, rap, and dubstep invading the charts over the past couple of decades, it’s fair to say that the American music scene has devolved in favor of nightclub beats and repeatedly “dropping the bass.” Researchers in Madrid recently revealed that music of the past 50 years has progressively become more similar in terms of pitch intervals, combinations of chords, and timbre. Not only have we seemingly done away with the notion of a melody, then, but the lyrics born of these new genres lack diversity in meaning and complexity as well. To show you what I mean, let’s take this information extracted from the Billboard Hot 100, the American music industry’s best-known collection of charts: Billboard Hot 100 Week of March 2, 2013 1. Harlem Shak! (Baauer) 2. Thri) Shop (Macklemore & Ryan Lewis Featuring Wanz) 3. Stay (Rihanna Featuring Mikky Ekko) 4. Scream & Shou* (will.i.am & Britney Spears) 5. I Knew You Were Troubl! (Taylor Swift) Week of March 6, 1993 1. A Whole New World (Peabo Bryson) 2. I Wi" Always Love You (Whitney Houston) 3. Ordinary World (Duran Duran) 4. Informer (Snow) 5. Nuthin But A “G” Thang (Dr. Dre Featuring Snoop Dogg)

The 1993 chart represents pretty accurately the popular genres of the day – we have a Disney showtune, a ballad, New Wave pop/rock, reggae, and “Snoop Doggy Dogg”-esque rap, all peacefully coexisting in the top 5. And then we have the hits of 2013, all of which use synthesized reverberations as the basis of their harmony. This batch of songs offers us some mediocre lyrical insights such as “Oh we oh we oh we oh” and “Oh, oh, trouble, trouble, trouble.”

I will, however, give Macklemore & Ryan Lewis credit for using absurd lyrics to criticize the culture of materialism propagated by rappers and how we get “swindled and pimped” by the fashion industry. What ever happened to music like this that speaks to our sense of humanity,

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our distinctly human desire for social justice, for romance (as in “I Will Always Love You), for discovery (as in “Whole New World”), for emotional perseverance (as in “Ordinary World”)?

Harry Menear, drummer and lyricist for California-based rock trio Blue Suns, argues that the mass-marketability of pop and its consequent lack of creativity is inevitable. “Music written to be popular, regardless of where you choose to call home, is entertainment aimed at the lowest common denominator of taste. Music that doesn’t rely on its cheap accessibility – done-to-death chord progressions, simple 4/4 beats, tried and tested melodies – will always be less immediately successful than music created with a true desire to sonically innovate.”

But it’s not this tendency toward musical assimilation that is most offensive. “I find the [hiphop] genre’s whole preening, posturing, posing attitude, their obsession with material attainment, and the frankly distasteful example they set concerning women to be contemptible and immature,” Harry says. At the same time, however, he concedes that “we are – due to different levels of musical expertise and myriad other extraneous factors – all different. Some music just sounds better to some people than it does to others.”

Blue Suns have found great success over the past few years by bringing their indie surf rock sound across the Pond to Belgium, where the teenage pastime of hanging out in bars (which is unheard of in the U.S.) and a culture more receptive to new music create an ideal venue for showcasing their band.

Let’s hope that in the coming years, the American music scene will open itself to more experimental styles like that of Blue Suns – and maybe even find some diversity among its radio hits.

Sepideh Parhami Los Angeles correspondent, Faribole

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Le déclin de la musique américaine

............................................................ Traduit de l’américain par Julien Miquel ............................................................

Il y a deux types d’Américains : ceux qui apprécient la musique populaire et ceux qui aiment s’en plaindre. Avec le hip-hop, le rap et le dubstep qui ont envahi les charts au long des deux dernières décennies, il est juste de dire que la scène musicale américaine a régressé en faveur des rythmes de night-clubs et de l’abandon de la basse. Des chercheurs à Madrid ont récemment révélé que la musique au cours de ces 50 dernières années est progressivement devenue similaire en termes de hauteur d’intervalles, de combinaisons d’accords et de timbres. Non seulement nous avons apparemment fait disparaître la notion de mélodie, mais les paroles nées de ces nouveaux genres manquent de diversité tant au niveau du sens que de la complexité.

Pour illustrer mon propos, prenons cette information extraite du Billboard Hot 100, le classement le plus connu de l’industrie musicale américaine des charts : Billboard Hot 100 Semaine du 2 mars 2013 1. Harlem Shak! (Baauer) 2. Thri) Shop (Macklemore & Ryan Lewis Featuring Wanz) 3. Stay (Rihanna Featuring Mikky Ekko) 4. Scream & Shou* (will.i.am & Britney Spears) 5. I Knew You Wer! Trouble (Taylor Swift)

Semaine du 6 mars 1993 1. A Whole New World (Peabo Bryson) 2. I Wi" Always Love You (Whitney Houston) 3. Ordinary World (Duran Duran) 4. Informer (Snow) 5. Nuthin But A "G" Thang (Dr. Dre Featuring Snoop Dogg)

Le top charts de 1993 représente assez précisément les genres populaires de l’époque – un thème musical de Disney, une ballade, de la pop/rock new wave, du reggae et du rap Snoop Doggy Dogg-esque – coexistant tous pacifiquement dans le top 5. Et nous avons ensuite les hits de 2013, qui utilisent tous des réverbérations synthétisées comme base de leur harmonie. Ce dernier lot de chansons nous offre un aperçu de la médiocrité des lyrics, tels que "Oh we oh we oh we oh" ou encore "Oh, oh, trouble, trouble, trouble."

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Je vais, toutefois, donner quelque crédit à Macklemore et Ryan Lewis qui utilisent des paroles absurdes pour critiquer la culture matérialiste propagée par les rappeurs et la façon dont nous nous faisons "escroquer et entuber" par l’industrie de la mode. Qu'est-il arrivé à la musique qui parle à notre sens de l'humanité, notre désir typiquement humain de justice sociale, de romance (comme dans I Wi" Always Love You), de découverte (comme dans A Whole New World), de persévérance émotionnelle (comme dans Ordinary World)?

Harry Menear, batteur et parolier pour le trio rock californien Blue Suns, fait valoir que la commercialisation de masse de la pop et de son manque conséquent de créativité est inévitable. «La musique écrite pour être populaire, peu importe où vous vous trouvez, est un divertissement destiné au plus petit dénominateur commun de goût. Une musique qui ne repose pas sur son accessibilité bon marché – les progressions d'accords qui hurlent à la mort, de simples mesures à quatre temps, des mélodies testées et éprouvées – connaîtra toujours moins un succès immédiat que la musique créée avec un vrai désir d'innover d’un point de vue sonore».

Mais ce n'est pas cette tendance à l'assimilation musicale qui est la plus choquante. « Je trouve que le genre [hip-hop] est trop prétentieux dans la posture et se donne une attitude poseuse, leur obsession de se réaliser matériellement est à l'image de l’exemple répugnant qu’ils donnent en laissant à penser que les femmes sont méprisables et immatures » dit également Harry Menear. Dans le même temps, cependant, il concède que «nous sommes – en raison de différents niveaux d'expertise musicale et une myriade d'autres facteurs extérieurs – tous différents. Certaines musiques sonnent mieux pour certaines personnes que pour d'autres».

Blue Suns a rencontré un grand succès au cours de ces dernières années en apportant leur son indie surf rock à travers l’océan Atlantique jusqu’en Belgique, où le passe-temps favori des adolescents est de traîner dans les bars – ce qui est sans précédent aux États-Unis – et d'une culture plus réceptive à la musique nouvelle, ce qui en fait un lieu idéal pour mettre en valeur leur groupe.

Espérons que dans les prochaines années, la scène musicale américaine va s'ouvrir à des styles plus expérimentaux comme celui des Blue Suns et peut-être même retrouver une certaine diversité parmi ses hits radio.

Sepideh Parhami

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Fantôme et présence de l’Opéra. © Fanny Roupnel

Le fantôme de l’opéra n’est pas u+ comme dans le roman de Gaston Leroux, il est innombrable : au cinéma, du Beineix de Diva à la Nav! va de Fellini en passant par le Senso de Visconti, avec les metteurs en scène du théâtre, les Marthaler, Warlikowski, Tcherniakov, chez les chorégraphes, Alain Platel ou Pina Bausch, ou encore dans la présence d’un plasticien comme Bill Viola. L’histoire plurielle de l’opéra est en outre peuplée de personnages mythiques, d’artistes de légende, marquée par des scandales retentissants, émaillée d’intrigues et de cabales. Tout ici excède le cadre habituel des passions, des luttes, des sacrifices, et invite au vertige des séductions les plus troubles, des craintes les plus enfouies, de l’intériorité croisée de la musique et des mots. Richard Strauss a fait de cette complexité essentielle le sujet central de son Capriccio, nouant cette boucle qui donne à l’opéra son horizon propre, qui sera celui du 20ème siècle. Le tournant du 21ème siècle devait être celui d’une mort sans cesse annoncée, d’une tradition possiblement recroquevillée autour de chapelles étriquées, d’un tarissement de l’écriture. Il n’en est rien. On écrit encore pour l’opéra, on revisite allègrement ses origines baroques et le plus acéré du spectacle vivant et des arts plastiques investit les plateaux et insuffle son énergie au cœur des œuvres classiques, romantiques ou contemporaines. Des œuvres nouvelles apparaissent et il n’y eut peut-être jamais autant de chanteurs exceptionnels dans une même génération. Les productions nouvelles fleurissent et souvent divisent, mais les maisons d’opéra ne désemplissent pas. Un critique avait écrit que Callas chantait dans des théâtres morts. Le choc artistique qu’elle délivra les a réveillés, et nombreux sont ceux qui poursuivent aujourd’hui cette tâche exemplaire. En dépit de son statut de marqueur social de la distinction élitiste, l’opéra demeure cet « amplificateur émotionnel » majeur déployé par le chant. Héritage du passé pour les nostalgiques des costumes d’époque et des acrobaties vocales sur le devant de la scène, ce miroir essentiel des passions humaines est profondément ébranlé par les expériences théâtrales d’aujourd’hui. Le public, les publics de l’opéra, supposément autistes et déconnectés du monde réel, épris de vieilles recettes ou curieux de continents nouveaux, continue avec bonheur de se déchirer sous les aspects invariables de la querelle entre les anciens et les modernes. Ce vieux corps égrotant, menacé de toutes les disparitions, bouge encore, charriant les sortilèges infinis du spectacle total. Car sa capacité à offrir en partage l’intensité d’un cérémonial et la force symbolique des sujets dont il s’empare sont intactes. Et ce qui se noue dans ces lectures contemporaines des grandes œuvres du passé, n’est rien d’autre en réalité que ce qui a présidé à leur apparition. Quand Sylvain Fort, critique influent écrit « L’opéra est une œuvre close sur soi, et les coups de force tentés par les meilleurs metteurs en scène contemporains ont le plus souvent déchiré la texture même des œuvres au prétexte d’en exprimer les ressources », Philippe Godefroid, qui dirigea longtemps et de belle manière l’opéra de Nantes, répond : « C’est aux metteurs en scène qu’il appartient de montrer ou cacher, de décider de ce qui doit être dit et comment… c’est la représentation qui est le lieu de la validation et non … une quelconque œuvre en soi, qui ne serait que l’union de mots et de notes et existerait sous forme de partition »

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L’un met en avant la primauté du créateur, l’autre l’urgence qui préside à la représentation. Et si tous deux disaient vrai ? René Leibowitz, chef d’orchestre et compositeur disparu, nous livre peut-être une clef qui vaut pour le compositeur comme pour les passeurs de l’œuvre : « Le compositeur, qui se définit au sein d'une tradition dont il a saisi lucidement le sens, sait qu'il doit faire évoluer cette tradition sur la voie de la liberté et que là est sa véritable fonction vis-à-vis de ses contemporains » . Ainsi du Mozart de Cosi, du Beethoven de Fidelio, mais ainsi tout autant de la Traviata mise en scène par Andrea Breth ou de la Médé! signée par Krzysztof Warlikowski, épisodes récents et bruyants de la controverse. Ces derniers, loin de faire violence à ces deux ouvrages, les soustraient aux conventions d’une lecture historicisante, ouvrent et multiplient des résonances qu’elles recèlent de fait, dès lors que leur lecture est cohérente. « Close sur soi », l’œuvre n’est pas pour autant enfermée à double tour, ni les mots et les notes qui la composent et que les ressources de la théâtralité contemporaine installent dans la réalité et l’imaginaire d’aujourd’hui. Ce qui est en jeu ici, c’est la relation nécessairement problématique aux œuvres et le droit imprescriptible des créateurs à réinventer le vocabulaire de la scène. Le rejet de ces recherches constitue une menace de régression et d’uniformité redoutable.

© Fanny Roupnel

© Fanny Roupnel

Si le conflit entre conservatisme et expression artistique traverse toute l’histoire de l’opéra, les ouvrages lyriques, comme les pièces de théâtre, doivent encore dire quelque chose de notre temps, ce qui autorise Gérard Mortier, qui dirigea l’Opéra de Paris contre vents et marées et fait aujourd’hui les beaux jours du Teatro Real de Madrid, à affirmer que « Toute forme de spectacle, que ce soit un opéra ou une pièce de théâtre, doit être une interprétation » et Philippe Godefroid de railler « la croyance pépère selon laquelle l’œuvre existe dans sa vérité avant que d’être jouée et s’impose, du coup, à ceux qui vont la jouer comme les ruines du Parthénon, les Pyramides ou la Joconde s’imposent au regard des touristes » Dans ce droit fil, Krzysztof Warlikowski, pris à partie pour sa mise en scène de Médé! résume bien l’enjeu : « Une partie du public et de la critique donne le sentiment qu’elle espère que l’opéra pourrait échapper à la réalité contemporaine, aux questions de société, à la violence qui nous entoure. Il faudrait que l’opéra ferme les yeux et ne regarde pas les spectateurs, ne regarde pas ce qu’il y a en chaque spectateur de trouble, d’angoisse, de peur. L’Opéra n’est pas un musée d’art ancien. C’est un art vivant qui doit vibrer de toutes les énergies de la société, même les pires. » Tout aura été dit dans ces polémiques récurrentes, des espaces scéniques dérangeants, d’un réalisme outré, de la noirceur systématique, des fantasmes imposés par les metteurs en scène, de la dilapidation des moyens publics et Philippe Godefroid conclut : « L’alliance de fous et de lâches, une culture d’adolescents onanistes et scatologiques appuyée par des adultes démissionnaires et incultes, voilà ce qu’est le Regietheater dans l’esprit de ses détracteurs ».

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(Le terme Regietheater, littéralement « théâtre de metteur en scène », désignant la liberté de celui-ci à s'émanciper des indications de l'auteur.) Le malaise est profond, mais c’est en réalité celui du monde que nous habitons. Le même Ph. Godefroid l’analyse très justement : « Les livrets d’opéra brassent des situations déréglées, impudiques, immorales, des jeux du désir et du pouvoir où menace de s’effondrer la relation aux autres, à la communauté, à Dieu…Or il se trouve que la musique a toujours été chargée de la réconciliation : la voir ainsi enrôlée au service d’images examinant l’impossibilité de croire à un avenir radieux et réconcilié », voilà ce qui ne serait pas supportable. C’est pourtant cette charge symbolique portée à son degré d’incandescence qui continue de faire de l’opéra ce lieu irremplaçable du questionnement philosophique et d’un regard sensible et partagé sur le monde, non la négation de l’émotion, mais sa source et sa vibration mêmes.

Thomas Moulin

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La sélection du chef Podcasts radiophoniques sélectionnés par la rédaction

© Justine Ghinter

Fenêtre sur cours http://plus.franceculture.fr/factory/fenetre-sur-cour Trois étudiants. Trois parcours. Un feuilleton. A travers une galerie de thèmes éclectiques, « Fenêtre sur cours » entend esquisser le portrait intime, générationnel et actuel de la population étudiante.

Les Mouches de Jean-Paul Sartre http://www.franceculture.fr/emission-fictions-theatre-et-cie-les-mouches-de-jean-paulsartre-2013-03-24 Le théâtre de Jean-Paul Sartre est très rarement transmis dans les lycées, les cours de théâtre, les conservatoires. La lecture de cette pièce fait surgir un nouveau Sartre, désacralisé et inattendu.

Les enjeux du genre http://www.franceculture.fr/emission-repliques-les-enjeux-du-genre-2013-03-16 Un mot fit son entrée à l’Université, puis peu à peu, dans le langage courant : gender. En français genre. Simone de Beauvoir, par sa citation : « on ne naît pas femme, on le devient » peut résumer ce concept. Mais les constructions historiques et sociales peuvent empêcher une véritable réflexion sur la question du genre. Cette excellente émission aborde ces problématiques avec intelligence et exhaustivité. Voir également l'interview de Julien Guinebault, page 25.

Le Pudding, avec Bettina Rheims http://www.novaplanet.com/radionova/9645/episode-bettina-rheims Sur Radio Nova, pour une heure de pudding, la recette est simple : un invité, une rencontre, une conversation, un portrait, une réflexion, de la complexité, et une musique bien mélangée.

Road Movie dans les hauteurs d’Hollywood http://www.franceinter.fr/emission-black-liste-road-movie-dans-les-hauteurs-d-hollywood Direction les nuits américaines. Si vous êtes prêts à partir en errance dans l’immensité des avenues droites et interminables.

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Wols, en quête d'origine

Wols ohne Titel ( 1946/47 ) 145 x 113,5 cm Huile sur toile Collection Grässlin, St. Georgen © VG Bild-Kunst, Bonn 2009

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C’est lors de l’exposition L’Imaginair!, organisée à la Galerie du Luxembourg, que Wols, et d’autres artistes tels que Bryen, Mathieu, Riopelle, ou encore Arp, s’imposent contre l’abstraction géométrique et prônent une abstraction lyrique portée non plus sur la construction réfléchie du tableau mais la seule expressivité de l’artiste.

Wols, en quête d'origine Par Diane Zorzi

L’oeuvre de Wols est toute spontanée. Comme Dubuffet, il refuse les codes imposés à la peinture et se considère comme un autodidacte. Wols fit preuve d’une grande réticence lorsqu’on lui proposa d’exposer ses œuvres. Il souhaite produire une peinture non pas intellectuelle mais instinctive. Il revendique cette primauté du geste en triturant ses toiles aussi bien au doigt qu’au couteau : le matériau comme substitut du corps. C’est une peinture physique. Ici l’on aperçoit des tâches colorées, là des bavures et quelques éclaboussures. « Je ne suis pas devant mon corps, je suis dans mon corps, ou plutôt, je suis mon corps. » disait Merleau-Ponty (Phénoménologie de la perception, 1945). L’Aile de papillo+ est en cela une œuvre clé dans la carrière de Wols. Elle s’éloigne des figures aériennes et des rêveries antérieures empreintes de surréalisme (on pense notamment à On lui fait une radio de 1939 où Wols esquisse un monde enfantin et onirique) pour affirmer avec intensité la primauté du geste de l’artiste. Toutefois, il conservera du surréalisme sa dimension psychique et son automatisme.

Pour Georges Mathieu, les toiles que Wols présenta à la Galerie Drouin au printemps 1947 « [venaient] d’anéantir non seulement Picasso, Kandinsky, Klee, Kirchner en les dépassant en nouveauté, en violence, en raffinement », « [Wols venait] de tourner une page [en peignant] avec son drame, avec son sang… » L’artiste fait corps avec sa toile, elle est le lieu de son incarnation. En cultivant les accidents, il nous invite à parcourir le cheminement créateur, à découvrir ses avancées autant que ses égarements. Taches, bavures, éclaboussures, raclements, autant d’éléments qui laissent entrevoir l’impossibilité pour l’artiste de reproduire la multitude d’images qu’il reçoit simultanément. Tel Henri Michaux et ses Eclatements, Wols crée dans un état de flottement entre conscience et inconscience : il prétendait lui-même créer les yeux fermés se remémorant des choses passées.

C’est une vision essentialiste de la peinture que propose Wols, où la matière devient le propos même de la toile. Cela est vrai particulièrement pour les œuvres qu’il réalise à partir de 1946. Le peintre adopte à cette date la peinture à l’huile alors qu’il réalisait jusque-là uniquement des aquarelles. C’est René Drouin qui lui fournit les tubes et les toiles utiles à cette pratique. L’aquarelle ne permettait pas réellement d’imposer ces éraflures, c’est grâce à la peinture à l’huile qu’il peut exploiter le travail sur la matière. La toile acquiert un aspect tactile et non plus seulement visuel, la couleur devient secondaire à l’image de la série des Otages (1944) de Fautrier où la matière picturale se densifie, s’épaissit. La pâte de Fautrier tend à s’extraire du support pictural strict et engagerait presque un dialogue avec la sculpture.

« Les anciens peintres commençaient par le sens, et lui trouvaient des signes. Mais les nouveaux commencent par des signes, auxquels il ne reste qu’à trouver un sens » (Jean Paulhan, L’Art Informel, 1962).

Si dans ses œuvres antérieures, Wols s’attachait encore à des éléments figuratifs, on assiste avec l’Aile de papillo+ à un graphisme purement automatique. Wols rejette un sens qui serait

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préétabli. S’il doit y avoir un sens, il ne résulte qu’a posteriori, qu’une fois l’œuvre réalisée. La forme qui peut résulter des traits exécutés spontanément n’est donc pas voulue par l’artiste. Nous pourrions y voir aussi bien des ailes par cette forme en amande que tout autre chose. L’art dit informel, dont Wols est un des précurseurs, offre d’infinies possibilités de sens : « L’Informel, ne nous conduit pas à proclamer la mort de la forme, mais à en forger une notion plus souple, à concevoir la forme comme un champ de possibilités » (Umberto Eco). L’influence de Paul Klee, qui dans ses écrits, évoquait l’existence infinie de formes résultant du chaos originel que constitue la matière, est ici prégnante. L’art informel ne rejette pas la forme, ou le figuratif. Elle revendique la primauté du signe, qui doit précéder le sens.

« Le problème ne consiste pas à remplacer un thème figuratif par une absence de thème, qu’on nomme abstrait, non figuratif, mais bien à faire une oeuvre qui porte en elle une proposition d’aventure, mais dans le vrai sens du mot aventure, c’est-à-dire quelque chose d’inconnu. » (Michel Tapié)

Cet inconnu dont parle Tapié, qui l’amènera à parler d’un « art autre », c’est-à-dire un art échappant à une classification rigoureuse ente abstrait et figuratif, est pour Wols ce qui se cache sous la forme. Il cherche à retrouver les sensations brutes de la matière avant que la perception n’y soit venue apposer ses codes. Wols disait fermer les yeux pour trouver l’inspiration. C’est un état d’aveuglement qu’il recherche pour pouvoir se réveiller et bénéficier d’un regard vierge dénué de toute influence du monde extérieur. Cette quête de la matière et des sensations brutes est commune aux artistes de l’art dit informel et de tout un pan de la peinture des années 45-50. Mais chez Wols, elle acquiert une dimension particulière puisqu’elle établit un lien étroit avec sa propre philosophie, une philosophie nourrie des pensées taoïstes de Lao-Tseu.

S’il s’attache à atteindre la matière en faisant éclater la forme, c’est pour renouer avec un état originel, nous l’avons vu. Et si nombre de ses toiles présentent des animaux, c’est justement que ce point d’origine prend la forme d’une nature primitive, d’un monde naturel qui n’aurait pas été domestiqué par l’homme. C’est en ce sens qu’il faut comprendre son rejet pour le genre humain qu’il exprime au sein de ses Aphorismes : « Parmi tout ce qui se trouve sur terre, l’homme est le plus gênant. » A de nombreuses reprises il évoque son amour de la nature :

« La terre sans hommes Quelques petites girafes et quelques lézards Et par-ci par-là un petit pou Dans la broussaille Et le petit ciel dessus Pas besoin de penser C’est le rêve. »

(Wols, Aphorismes)

Mais une chose encore est davantage prégnante au sein de l’œuvre de Wols. Celui-ci n’a de cesse de peindre en partant du centre de la toile et bien souvent il se plaît à y peindre une tâche sombre (Grenade bleu!, 1946) prenant l’aspect d’un noyau et témoignant d’une certaine obsession d’un point originel. Il semble fouiller la matière dans ses profondeurs les plus éloignées à l’image d’un microscope, en tentant de « serrer encore l’espace ». Certaines de ses toiles apparaissent même comme de véritables études scientifiques où chaque élément de la cellule est reproduit avec minutie (membrane, noyau…) Cette systématisation, voire même cette obsession de la vie cachée sous la matière, cette quête du noyau originel, n’est pas sans rappeler la figure de Vincent Van Gogh qui, détaché de la réalité, se perdit dans son œuvre elle-même. « Tourmenté, traqué, hanté par les cloportes et les blattes, il n’avait d’autres ressources que de se livrer sans réserve à ces hallucinations simples pour les transcrire séance tenante. […] Tout s’accumule dans sa rétine noyée d’ombre » dira Jean-Paul Sartre à propos de l’artiste. Ce rapport délictueux aux objets teinte l’œuvre de Wols d’un certain pessimisme. Les taches noires qui recouvrent cette aile de papillon véritablement scarifiée de griffures

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sombres, semblent annoncer la destruction de la peinture elle-même, qui comme le papillon, n’est qu’éphémère.

Wols charge ses compositions d’une intensité psychique. L’incarnation de l’artiste au sein de son œuvre est plus mentale que physique. Le format adopté est en cela significatif. Bien qu’il ait adopté un format plus grand pour ses peintures à l’huile, ses toiles n’atteignent jamais les dimensions de celles d’un Georges Mathieu. Si l’Aile de papillo+ mesure 55 x 46 cm, les tableaux de Georges Mathieu ou encore de Jackson Pollock surpassent la hauteur de l’homme. Le rapport physique ne peut qu’être plus fort chez Georges Mathieu tandis que c’est le rapport psychique qui importe chez Wols. La gestuelle donne à Wols la possibilité de recréer un monde qu’il aurait aperçu dans un état d’inconscience, mais c’est une certaine manie du détail, une minutie qui prime et l’éloigne des travaux de Georges Mathieu : Wols comme précurseur de l’art informel dans son versant intimiste.

Diane Zorzi

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Désir...Désirs

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Les festivals de cinéma européens sont innombrables. Mais très peu abordent la question du genre. Désir... Désir, festival des cinémas Studio de Tours, le fait avec audace et intelligence depuis vingt ans. Dire que ce festival est pluridisciplinaire est un euphémisme : expositions, avant-premières, conférences, danse contemporaine, lectures, concerts... Pour en parler, Faribole a rencontré l'un des organisateurs, Julien Guinebault.

Ensuite Unique en son genr! traite des théories de genre. Comment différencier le sexe biologique du sexe social ? Car nous en sommes encore là, en effet, les choses bougent lentement. Pour cela nous programmons le documentaire "Pêche mon petit poney" qui pose la question du jouet pour les garçons et du jouet pour les filles, à travers une enquête assez drôle.

Le festival est aussi "Unique en son genre" car il aborde les théories de genre et l'homosexualité, bisexualité.... mais n'est pas un festival gay et lesbien, c'est un festival tous publics.

Il y a aussi comme chaque année les nouveautés que nous trouvons incontournables. La thématique de cette édition 2013 est-elle venue naturellement ? Oui, beaucoup plus simplement que d'autres années. Beaucoup d'autres sujets nous interpellent , mais nous attendons pour les traiter.

Comment définiriez-vous le genre ? Le genre doit dissocier le sexe biologique de l'apparence physique et de la sexualité. Tout est possible, nous ne sommes assignés à rien. Une fois que cela sera devenu quelque chose de commun à tous, il y aura moins de conflits. L'être humain se pose trop de questions. L'éducation n'y répond pas, elle nous enferme dans un genre.

Considérez-vous que le cinéma a un rôle progressiste (dans le sens social) ? Le cinéma a effectivement un rôle énorme dans l'évolution des mentalités. Certes on peut se satisfaire de caricatures comme dans La Cage aux folles, mais ces personnages ont véhiculé l'idée qu'un couple homosexuel ça existait. Cependant la fiction ne suffit pas, il faut que les spectateurs regardent des documentaires, lisent et se renseignent, pour cela nous proposons une fois de plus une série de livres à emprunter et à acheter. Et pour aller encore plus loin, les conférences à l'Université François Rabelais de Tours apporteront une approche différente de l'aspect cinématographique.

Propos recuei"is par H.H.

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Festival du 11 au 25 mai 2013

Pourquoi faire un festival sur le genre ? Il y a 20 ans Philippe Perol a créé ce festival pour combler un vide sur la ville de Tours. Ce festival, qui s'appelait Autres Désirs, est devenu une des commissions des cinémas Studio. Nous étions alors dans un véritable militantisme culturel (à ce titre, la soirée CNP du 16 mai accueillera Patrick Cardon, créateur du défunt festival Question de genr!. Il nous parlera du militantisme culturel). Vingt ans après, le festival est là, et il défend des films qui n'auront pas la chance d'être vus, car soi-disant réservés pour un créneau. Pourtant nous l'affirmons haut et fort : la plupart des films diffusés au festival sont pour un large public (qui accepte les sous-titres). Ensuite, le genre est politique ! C'est un combat à mettre en avant, comme les luttes contre le pouvoir capitaliste. Quelle est la trame de l'édition 2013 ? Chaque année le thème est une piste de travail. Nous avons choisi Unique en son genre, titre soufflé par Philippe Perol lors de nos réflexions. Nous voulions absolument aborder les transidentités comme lors des différentes éditions du festival, tout en restant audibles pour la plupart des personnes ne maîtrisant pas ces thématiques. Le choix a été simple : proposer trois fictions traitant du sujet (Alata, Roméos, Mia) que tout le monde peut voir. Puis compléter par des documentaires (Collages, Bambi) qui sont en fait des témoignages.


Le Triomphe

d'Alexandre de Gustave Moreau

Ci-contre : photographie de Frank Ternier, dont une exposition sera aux cinémas Studio, dans le cadre du festival.

Peut-être Gustave Moreau commença-t-il son Triomph! en 1873, et le termina-t-il en 1890. Les dates n’ont que peu d’importance dans son œuvre. L’accomplissement et la maturation ne sont chez lui jamais dépendants du temps de création, de l’époque. En réalité, ce sera là sa toile la plus aboutie, bien qu’inachevée, ce sera le sacre d’une peinture qui aura épousé toutes les couleurs, toutes les formes, qui aura fait entrer le symbole dans l’allégorie, le signe dans l’histoire, la perspective dans le raccourci.

Avec le Triomphe d’Alexandr!, Moreau ira plus loin qu’il n’est jamais allé, vers l’Orient, en Inde, dans les terres mêmes du sacré. Là, il revient à l’origine de toutes choses, il se fait conteur des mondes, bouche de parole, prophète de l’univers, comme il est écrit dans la Seconde Cosmologi! :

Est-ce la vérité Krishna No+ qui t’a raconté ça Ton -ère Balarama C’est faux tu n’as qu’à me regarder Ouvre la bouch! il obéi* et e"e se fige, stupéfait! : à l’intérieur se trouve l’univers 1873, c’est déjà le testament, la grandeur de toute l’Asie s’égrène dans ses couleurs. Fades, sans insistance : la toile eût-elle été achevée, qu’elle n’aurait possédé ce douceâtre, cette foi en une terre un peu glabre, un peu indigeste, qui n’est que le raffinement des grands. Seul un rouge semble enjouer le froid vert de l’Inde, et offrir quelques fleurs à cette Terre de fin d’automne, effeuillée. Un rouge de pourpre tyrienne, symbole de la guerre des principes dans la religion d’Emèse, symbole encore du triomphe du principe féminin sur le mâle et de sa célébration, se disperse dans ce vert. La pourpre grimpe, se déploie en bas du piédestal alexandrin pour serpenter et remonter le long des roches sauvages ; l’ardent imperator laisse son globe s’étendre. La main droite, posée sur la cuisse : il n’a rien à attendre de ce qu’il a déjà : elle tient l’horizon tout entier. Je ne dis pas la plainte, son piédestal est le signe de sa grâce, son trône est le socle de son pouvoir, l’Asie tout entière porte son triomphe : il est dans la mesure et sa fermeté s’impose. C’est parce qu’il est assis que ses possibilités sont réelles, debout, il n’est

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que guerrier. Languide, lascif, calme, il tient de sa main gauche son trône comme l’on tient l’horizon : il l’attire à lui, l’étend, le paysage est un rideau qu’il se plaît à offrir à qui daigne le contempler. Vaste voile, toile tendue de bruns et de verts, je dis la terre et, en haut, opprimant cette terre, la gemme blanche, le regard pur de l’horizon. Car le jeune roi domine de tout son haut Porus, aussi est-il dit que Porus a vu qu’il était pris, et qu’à l’imperator il lui fa"ait se soumettr! ses hommes sont morts, maintenant il ne peut plus fuir. Ainsi sans plus de choix, mais sans peur le seigneur se prosterne, et o.e sa lame d’acier à Alexandre, reconnaît dans sa langue la grandeur de l’homme, la force du Roi.

Il est dit encore que Porus voit Alexandre noble, et d’une robe de miracle enchâssée des ors les plus purs, des ors de sa terre, l’Inde, et qu’encore tient-il sur son -ont l’escarboucle, et que sa main se lève et se porte à son -ont ; son destrier s’ébroue menaçant, ses armes se choquent ; alors Porus s’humilie devant lui et le suppli!.

Vaincus et rampants, ce ne sont que célébrations. Il y a Alexandre, et derrière lui l’empire des Césars, des Napoléons et des Colleoni ; victorieux par le sang, prince par la forme ; le gest! commande à l’exécution, la manière – cette main portée au front – est une révélation de la force. Tout domine, et non seulement la crainte, l’admiration face à l’empereur l’emporte. Le trône tient toute la magie de cette admiration, il prolonge la main d’Alexandre. Du haut de sa dizaine de piédestaux, Alexandre ne voit plus les hommes. Nulle rencontre avec un peuple, avec des guerriers ; ils sont quelques mètres plus bas, encore à contempler les torsades des colonnes légèrement ciselées parcourues d’Acanthe et de Belladone, de lotus en fleurs, signe nouveau de son éternité et de son pouvoir sur la terre. Car d’un autre côté, ce trône semble fait de la matière même du sol, il s’en extrait, chasse les poussières dans une montée fantastique des profondeurs de l’Inde ; avec sa pourpre, son vaste vaisseau semble accoster au rivage barbare d’une civilisation inconnue et troublante. Le trône lance ses amarres par cette longue tenture rougeâtre sur la terre – petite vallée indienne qui paraît en son sein contenir tout le monde oriental. Et là, il n’y a plus rien à reconnaître, que ce temple grandi, impérieux, extensif, et pour ainsi dire seul maître d’Alexandre, qui le regarde de son front d’or comme s’il s’agissait de la dernière rencontre, du dernier sacre ; et il regarde les bornes de l’univers comme elles l’observent. Deux géants, imposants et calmes d’un calme surprenant, inhumain, deux hauts faîtes – l’un d’orfrois et de broderie, léger, vif et branlant, l’autre blanc chaste, armé de lumière et brandissant ses piliers pour mieux plonger le Macédonien dans la pénombre. C’est oublier qu’il s’assoit sur des colonnes, en leurs chapiteaux, qu’ils soient doriques ou corinthiens. L’on se souvient de même de tous ces croquis, ces feuillets épars, encore aujourd’hui dispersés entre les collections, s’allant au goût et au gré de quelques déments pour qui un fragment de fresque d’Angkor recopié par transparence, tient lieu de l’œuvre définitivement encadrée, répandant à l’entour des percées d’espaces. Ces feuillets, patiemment travaillés, nous montrent l’artiste à son labeur, encore couturier d’arrière-salle. Car l’espace de Moreau ne se trouve jamais dans le trait, mais dans la couleur ; son trait ne vient que préciser l’enchâssement d’une certaine pierre, délimiter les contours d’un diamant, le flottement impérieux d’un voile, l’impétueux dévoilement d’un corps. Chaque trait est une parole de l’homme : Moreau peint en poète, sa ligne vit comme le verbe d’Homère, ici une phrase du Mahābhārata, là une métamorphose d’Ovide. Aussi retrouve-t-on le fantastique de son œuvre dans ses traits et ses hachures, tout en précision – tels la mince rainure laissée rougeoyante et déjà refroidie par une pointe de gravure ; les temples aux faîtes fantastiques, les idoles terribles, les lacs sacrés, les souterrains pleins de mystères et de terreurs. « Le jeune roi conquérant domine tout ce peuple captif, vaincu et rampant, à ses pieds, dompté de crainte et d'admiration. La petite va"ée indienne où se dresse le trône immense et superbe contient l'Inde entière, les temples aux faîtes fantastiques, les idoles terribles, les lacs sacrés, les souterrains pleins de mystères et de terreurs, toute cette civilisation inconnue et troublante. Et la Grèce, l'âme de la Grèce rayonnante et superbe, triomphe au loin dans ces régions inexplorées du rêve et du mystèr! »

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C’est par ce trait, d’abord, que Moreau construira sa grande féérie de l’Inde, rêvant devant les éléphants du Jardin des Plantes, calquant des photographies indiennes de Samuel Bourne, se réfugiant par temps de pluie au Magasin Pittoresque, en ressortant les bras chargés de daguerréotypes qu’il jugeait inestimables, que le tenancier estimai*, somme toute, un peu plus. Féérie, je veux dire une géographie des sources, retrouvant dans sa perspective fermée par une nature luxuriante et une architecture d’abondance le territoire de la révélation. Car toute mystique demande à être enclose, toute aspiration à l’Eternel passe par une clôture des cieux, et par là-même une descente des dieux sur terre. Moreau retrouve le point originel de toute la création, dans ce lieu symbolique de la réunion, en un cosmos, de la Grèce et de l’Orient. Le rêve d’Alexandre, dans lequel le serpent, symbole de la démesure et en même temps de la puissance surnaturelle de l’imperator naissant, ne fait que se mordre la queue, chercher à regagner le point originel, l’œuf, ce rêve ainsi du serpent est l’objet réel de cette toile ; et la réalité de l’Inde, glaise murée et jungle de coutumes séduisantes, enfermant encore plus sûrement Alexandre dans sa mystique que ne le seront Gog et Magog dans leur vice. L’Inde comme Terre matricielle. Et puis l’indistinction des hommes et des bêtes, encore à peine visibles dans cette marne qui est toute la vallée de l’Inde. Moreau a cette particularité de jeter une première couche de peinture, comme un violoniste demande le la à son ténor, pour trouver l’harmonie en deux tons : il n’est alors jamais très loin, dans cette effusion de couleurs, des harmonies figuratives d’un Whistler, devant lequel on rêve à tout propos, qu’il s’agisse d’une ville comme d’un pont, une campagne et une mer, je dis une marine ou une pavane. Et l’adjonction d’un or au noir, voici la nuit éclatante de Londres 1850 ; au bleu, et Londres se prend pour une Venise dont les rigol! se seraient perdues dans les canaux d’Amsterdam. Alors, Moreau lance au hasard d’une couleur, un vert d’émeraude, la mélodie de sa toile : ce sera l’orient perdu, un éde+ aux teintes du Léthé. Et encore un ocre, peut-être un brun plus profond, et déjà la symphonie tient son motif, elle impose sa fugue, et en un allegro molto se pâme d’associer au doux éden l’argile de la création. Les bêtes se fondent en l’homme, l’homme dans l’animal, quand Alexandre se rapproche des cieux. La couleur uniforme, le brun commun, c’est tout l’Orient qui en est affublé, tout l’orient qu’Alexandre conquit, un jour de 326, et humilia. « Parcere subjectis et de"are superbos. » Horatio Je crois que Moreau a toujours vu son double en Alexandre, comme en tout mythe. Poète, il était Orphée, amant, c’était Enée, conquérant, Alexandre ; et triomphateur encore est-il mystique : le vert est la présence toujours renouvelée de l’émeraude orientale, il nous dit le serpent aux larges yeux ; je veux y voir une aspiration réelle aux mystères, il est la figure d’un idéal. A-t-il jamais vu l’Orient ? Son rouge est une terre de sienne ; chaude, dorée, elle s’affadit dans le soleil comme toute l’Italie ; il est un dernier regard qui se détourne : sa noblesse se perd à mesure qu’il conquiert. Moreau n’est ni Alexandre, ni Colleone. Il est le peintre de la grandeur. Benoît Hamon

Le Triomphe d'Alexandre le Grand est en exposition permanente au Musée National Gustave Moreau, 14 rue de la Rochefoucauld à Paris.

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Gustave Moreau, Le Triomphe d'Alexandre le Grand Huile sur toile, 155 x 155 cm, Paris, Musée Gustave Moreau, Cat. 70 © RMN-GP / René-Gabriel Ojéda

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© Fanny Roupnel

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DE MES À MON

ÉTUDES er 1 JOB

la Région Centre m’accompagne TE UR S… M OB IL IT É, M UT UE LL E, OR DI NA

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www.goodby.fr - Photo : Fabien Thouvenin

Centre Val de Loire Université


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