Eko - Tome 1

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Design, illustration de couverture et illustrations intérieures : Sylvain Even Direction : Guillaume Arnaud, Guillaume Pô Direction éditoriale : Sarah Malherbe Édition : Estelle Mialon, assistée de Vanessa Canavesi et Lya Mayahi Correction : Sophie Loubier Direction de fabrication : Thierry Dubus Fabrication : Audrey Bord Composition : Textoh (Dole) © Fleurus, Paris, 2019, pour l’ensemble de l’ouvrage. www.fleuruseditions.com ISBN : 978-2-2151-3612-5 MDS : 592603 Tous droits réservés pour tous pays. « Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, modifiée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011. »


Benoit Grelaud Illustrations : Sylvain Even

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Retrouve les mots propres à l’univers d’Eko suivis d’un astérisque (*) dans le lexique en p. 203


À ma femme et mes enfants, mes trois pierres précieuses.



Chapitre 1 Forêt des Pnemas, nord-ouest de la planète Eirini*. À dix-neuf milliards de kilomètres de la Terre.

Tharraléa est une jeune fytos*. Sa silhouette ressemble beaucoup à celle des humains, mais elle a une particularité : elle est de nature végétale. En cette matinée ensoleillée, Tharraléa glisse le long d’une branche de bouleau, comme si elle surfait au sommet d’une vague. –  Yahouuu ! hurle-t-elle en s’élançant dans les airs. Après avoir flotté quelques instants dans le vide, elle atterrit au beau milieu des feuilles d’un chêne et rebondit de branche en branche.

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Puis elle court se plaquer contre le tronc, à bout de souffle. De son poste d’observation, elle aperçoit la stature massive de l’arbre sacré de son peuple. Tharraléa ferme les paupières, tandis que ses fins cheveux de lichen roux ondulent sous la caresse de la brise. Mmm, quel délice de sentir les odeurs familières du village ! Un sourire radieux illumine le visage de la jeune fille. C’est aujourd’hui que Talian, son meilleur ami, doit rentrer d’une lointaine expédition. Tharraléa est tout excitée : cela fait si longtemps qu’il est parti ! Elle s’élance de plus belle, jaillissant de liane en liane. Les yeux pétillants de bonheur, elle imagine déjà leurs retrouvailles. Mais, lorsqu’elle arrive sur place, quelques minutes plus tard, les habitations sont vides. –  Vite, la salle des Antecessoris* ! s’exclame-t-elle. C’est là que son peuple se réunit dans les moments importants. Sans plus attendre, Tharraléa fonce vers le cœur de l’arbre sacré. Elle entre dans la salle, les mains

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moites et le sourire aux lèvres : elle va enfin pouvoir serrer Talian contre elle ! Mais il n’est pas là, et les visages sont graves.



Chapitre 2 Deux ans plus tard. Lisière du marais de Krino, sud-ouest de la planète Eirini.

Tête baissée sous la capuche d’un poncho fait de longues feuilles tressées, une ombre se faufile au milieu des fougères et des hautes herbes. Pas facile d’avancer sous cette pluie battante : les semelles de ses bottes crantées, de plus en plus lourdes, s’enfoncent dans les flaques boueuses et collent à la glaise épaisse. À plusieurs reprises, l’aventurier manque de déraper sur les cailloux usés et de finir sa course dans les eaux croupies et malodorantes qui longent le chemin.

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Soudain, une falaise large de plusieurs centaines de mètres apparaît face à lui. Dans la paroi calcaire, quelqu’un a creusé un passage à coups de pioche. Plaqué contre la roche, le marcheur s’y engage jusqu’à une cascade vrombissante. Derrière se trouve une cavité secrète envahie par les toiles d’araignées. L’aventurier doit les déchirer de ses mains pour atteindre le fond de la grotte, d’où s’échappe une voix étouffée. Il colle un œil aux fines brèches qui zèbrent la paroi. En contrebas, dans une immense salle au plafond hérissé de stalactites, des dizaines de brigands sont regroupés autour d’un être au visage couvert de crasse et aux longs cheveux gras. Ces mercenaires, originaires de peuples très différents, sont sans foi ni loi et n’ont qu’un seul but : s’enrichir coûte que coûte. Certains sont de nature végétale. Mais la plupart sont faits de chair et d’os. Mysthoforos, leur chef, est coiffé d’un chapeau de plumes, de poils et de végétaux. Il ressemble à un être humain et, d’ailleurs, du sang coule dans ses veines.

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–  Mes amis ! lance-t-il en plongeant la main dans une jarre remplie de petites pierres brillantes et colorées. Voici le trésor de Vassilissa, la reine Pourpre. Il nous attendait ici bien sagement depuis des milliers d’années. Ha ! ha ! ha ! La foule de brigands applaudit à tout rompre. « Hourra ! » « Bravo ! » « Il est à nous ! » –  Mais, continue-t-il, je dis bien MAIS ! Il y a une surprise qu’aucun d’entre nous ne soupçonnait. Le chef désigne une énorme pierre posée près de lui. –  Le Smaragdi* ! Le célèbre diamant vert ! Comme vous le savez, ce bijou sacré apporte une puissance phénoménale à celui qui le possède. Nombreux sont ceux qui nous tueraient tous pour se le procurer. –  Si j’arrive à le revendre, c’est la fortune assurée, murmure l’aventurier qui, du haut de son poste d’observation, ne manque pas une miette du spectacle. – Nous serons désormais invincibles, poursuit Mysthoforos. Que nos ennemis tremblent ! Que nos ennemis chancellent ! À nous leurs richesses ! La clameur redouble d’intensité et fait vibrer les parois.

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Le chef laisse l’enthousiasme envahir jusqu’aux moindres recoins de la grotte, avant de faire brusquement signe à l’assistance de se taire. – Chacun d’entre vous, à la queue leu leu, va pouvoir venir poser sa main sur notre pierre protectrice, annonce-t-il en caressant le diamant vert. Chargez-vous de son énergie, puis faites place au ­ suivant. Le chef invite un premier mercenaire à s’avancer, tandis que des tam-tams démarrent une ritournelle entêtante. Mêlé à la foule des pillards, l’aventurier, qui est descendu de sa cachette grâce à un éboulis de rochers, progresse lentement, tête baissée, jusqu’à ce qu’il se retrouve à son tour face à la pierre. Il reste en contact avec le diamant aussi longtemps qu’il le peut, remuant les lèvres comme s’il récitait des prières. – Dégage ! lui ordonne soudain le suivant, lassé d’attendre. Le mercenaire le pousse et pose sa grosse main sur la pierre. Mais lorsqu’il retire ses doigts, il n’y a plus qu’un pauvre caillou noirâtre à la place du précieux Smaragdi.

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–  Que… quoi  ? s’étonne-t-il en fixant ses phalanges. Oh, non ! Je… j’ai aspiré toute la force. –  Au voleur ! s’écrie un garde. Le malheureux brigand est ceinturé. Mais Mysthoforos, lui, sent que quelque chose cloche. Qui a touché la pierre avant le mercenaire  ? Mais oui ! Cet inconnu au visage caché sous une capuche ! Aussitôt, de son regard perçant, le chef des malfrats le cherche dans la foule. Il finit par le repérer au fond de la salle, en train d’escalader une énorme coulée de pierres qui monte jusqu’au plafond ! Il réalise qu’ils se sont tous fait berner. –  Arrêtez-le ! hurle-t-il en désignant le fugitif. Une fois à l’air libre, l’aventurier rejette sa capuche en arrière, découvrant le visage de Tharraléa. Radieuse, la jeune fytos craque une allumette et met le feu à une longue mèche reliée à des fumigènes. Quelques instants plus tard, tandis que Tharraléa glisse le long du précipice, la grotte disparaît dans un nuage de fumée.



Chapitre 3 De l’autre côté, à l’est de la planète Eirini. Forêt d’Ygeia.

Ici se trouve un autre peuple de fytos qui a installé ses habitations dans des arbres géants, à l’intérieur des branches. Pour y entrer, comme dans le village de Tharraléa, il faut pénétrer dans ce qui ressemble à des bananes creuses entourées de fysallides*, des bulles d’eau protectrices. Mais attention ! Seules les créatures végétales peuvent les franchir. À cet endroit vit un jeune garçon insouciant, qui n’a que faire des recommandations et des ordres. Âgé d’une douzaine d’années, il se nomme Eko. Sa peau,

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ornée de tatouages tribaux, ressemble à la texture du bois ­d’olivier poli, et sur sa tête pousse de l’herbe. Ses yeux sont vert émeraude et ses dents ont l’éclat des plus belles nacres. En cette troisième journée du printemps, Eko est occupé à récolter une sorte de miel produit par un gros scarabée appelé « salsum* ». Près de lui, sa petite sœur s’active afin de terminer cette mission au plus vite. Coiffée de deux couettes enserrées de fines lianes rouges, Louloudi est très coquette et porte de nombreux bijoux qu’elle a ellemême confectionnés : des colliers de coquillages, des boucles d’oreilles en ivoire végétal et des bagues en fleurs tressées. Louloudi et Eko sont équipés de sacs à dos qu’ils ont réalisés avec de larges feuilles de nénuphar cousues entre elles. Il faut dire que la couture est l’une des spécialités du peuple d’Eko, même si, lui, déteste ça. Appliqués, les deux fytos recueillent le délicat nectar. – Il est temps d’y aller ! constate Louloudi, qui observe le ciel à travers les feuillages. On est en retard,

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les planètes Portokali et Krinae sont alignées. Papa va être furieux si on n’est pas prêts pour la fête du Feu. –  Attends ! Je suis sûr qu’il y en a encore, déclare Eko en écartant l’écorce d’où s’écoule le filet de miel. –  Papa a dit de ne jamais faire ça ! Tu sais très bien que, derrière, il y a le nid du salsum. Et s’il est là… –  Ça va ! Je suis au courant, marmonne Eko. Papa par-ci, papa par-là… –  Eh bien, monsieur Je-sais-tout, tu ferais mieux d’écouter ses conseils, de temps en temps. Ça t’éviterait de… –  La-la-la-la-la ! chante Eko afin de couvrir la voix de sa sœur. Mais l’écorce finit par craquer, comme le craignait la fillette. Derrière, à l’abri dans sa cavité, un robuste coléoptère leur tourne le dos. L’air frais s’engouffre sous ses ailes dures. Brrr ! Elles sont si massives qu’on dirait une armure. – Fleur de cactus… ! murmure Eko (son peuple utilise des noms de végétaux en guise de gros mots). Le salsum se retourne et découvre avec surprise l’ouverture qui donne sur la forêt. Face à lui, collés au

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tronc de l’arbre, Eko et Louloudi ne bougent plus d’un pouce. Comme tous ceux de leur peuple, ils ont le pouvoir de se fondre dans l’environnement végétal. Pour peu, toutefois, qu’ils parviennent à maîtriser leurs émotions… Concentrés, les deux fytos se mêlent parfaitement au feuillage alentour. Jusqu’à ce que le regard impressionnant du salsum finisse par perturber Louloudi. Intrigué par la silhouette translucide qui commence à se dessiner, le scarabée fait vibrer sa queue à la manière des serpents à sonnette. –  Aaah ! s’écrie Louloudi, terrorisée, qui redevient alors complètement visible. Aussitôt, d’innombrables pics surgissent de la carapace de l’insecte. –  AAAH !!! hurlent maintenant les deux fytos. Animé par un réflexe de survie, Eko saisit sa sœur par le bras et saute dans le vide, visant une branche épaisse, plus bas dans l’arbre. –  Vite ! Les surfs ! lance le garçon après avoir atterri dans un roulé-boulé. Leurs pieds s’ancrent sur les plaques de bois qui les

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attendaient, avant de se fondre en elles. C’est l’avantage d’être végétal : on peut fusionner avec les éléments ! Eko et sa sœur glissent à vive allure, tandis que le salsum vole à leur poursuite en donnant de grands coups de ciseaux avec ses mandibules. Les deux fytos évitent de justesse ces lames meurtrières… enfin, presque ! Derrière eux, le battement sourd des ailes du scarabée fait l’effet d’un vrombissement de moto. Encore quelques slaloms entre les obstacles, et Eko et Louloudi plongent dans la fysallide qui protège leur habitation. Le salsum, pris dans son élan, rebondit dessus. Les deux enfants le regardent s’enfoncer dans les profondeurs de la forêt. Eko et Louloudi, essoufflés, mais soulagés, s’agrippent à la plante qui permet d’accéder à leur demeure. – Tu n’en fais vraiment qu’à ta tête…, grogne la fillette, alors qu’ils montent les escaliers. On a failli se faire tuer, par ta faute ! –  Ma faute ? Qui n’a pas su maîtriser ses émotions ? –  Tu ne manques pas d’air, s’emporte Louloudi en

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montrant son bras tranché par le salsum. Regarde un peu ! – C’est rien, ça. Dans quelques heures, ça aura repoussé et tu en auras un tout neuf. –  Je me moque de mon bras, dit-elle en agitant son autre main pleine de bijoux en fleurs tressées. C’est pour mes bagues que ça m’ennuie ! –  En tout cas, pas un mot à maman, compris ?! Excédée, Louloudi passe à côté de son frère et lui donne un grand coup d’épaule. – Ah, vous voilà enfin ! s’exclame Neraida, leur mère, en les voyant entrer dans la maison. Mais… que t’est-il encore arrivé, Louloudi ? –  Je, euh… Je suis tombée de mon surf, décide de mentir la fillette. Et… –  Ton surf ? Mais je vous ai interdit d’utiliser ces maudits engins ! Combien de fois vais-je devoir vous le répéter ? Eko… C’est encore toi qui as entraîné ta sœur, j’imagine… –  Pas du tout, je… – Nous verrons cela plus tard, coupe Neraida. Tu ne perds rien pour attendre !

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Pressée, elle ajuste ses boucles d’oreilles. – Votre père est déjà parti pour la cérémonie du Feu. Il était furieux que vous ne soyez pas rentrés à l’heure. Dépêchez-vous de vous changer ! Le son d’une corne de brume s’élève dans la forêt. –  Par Ilyios ! sursaute Neraida. Nous allons être en retard !



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