L’amour
J UDITH B OUILLOC & S ARA U GOLOTTI PREND
D’ APRÈS SAINT P AUL , A PÔTRE
À tous les paroissiens de l’église Saint-Paul à Nice, qui m’ont vue grandir, saint Paul dirait : « Que la grâce du Seigneur soit toujours avec vous ».
« Le Seigneur répondit :
“Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici :
‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’ , et il vous aurait obéi.” »
Lc
17, 6
« Ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. »
2 Co 4, 18
CHAPITRE 1
Prisonnier
« Vous, frères, vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres. »
Ga 5, 13
Je m’appelle Clément, et je viens d’une île de miel, un bout de terre où dansent les fleurs, les serpents et les abeilles. Le soleil du matin coule sur les rochers de mon île comme le liquide doré des rayons. Le pays de ma naissance est perdu dans la mer et dans ma mémoire. Car hélas ! je l’ai quitté il y a des années. Aujourd’hui, de l’autre côté de la Mare Nostrum, je sers le centurion Julius de la cohorte d’Augusta. Malgré mon jeune âge, je suis chargé d’écrire les lettres qu’il me dicte, de brosser son manteau, et d’affûter son épée. Julius me traite bien, je mange à ma faim et j’apprends beaucoup à ses côtés. Mais tout en faisant briller son casque de bronze, je ne peux m’empêcher de penser que je n’ai pas choisi cette vie. Des pirates m’ont arraché à mon île de miel pour me vendre comme esclave aux Romains, et jamais je ne pourrai rentrer chez moi tant que Julius n’aura pas décidé de me rendre la liberté.
Un matin, le centurion m’annonce qu’on lui a confié la charge de mener un prisonnier juif devant l’empereur. Mon maître est heureux de quitter cette province reculée de Judée et de retrouver Rome, où un poste prestigieux l’attend. Je pense d’abord que là-bas, il aura des dizaines d’esclaves plus forts, et plus instruits pour le servir… il n’aura plus besoin de moi. J’espère de toutes mes forces qu’il va me libérer. Mais cette annonce ne vient pas. Au contraire, Julius m’assure que je vais aimer la splendeur de Rome. Pff, je me fiche du Panthéon et du temple d’Apollon ! Je ne rêve que des criques secrètes de mon île. C’est à contrecœur que je prépare nos bagages et que j’embarque au port de Césarée. Argh, je déteste naviguer ! J’ai le mal de mer et je ne sais même pas nager. Sur un bateau, tout est compliqué. Je suis tellement déçu, tellement en colère !
Sur le pont, je rencontre le prisonnier Paul, qui n’a pas du tout l’air d’un prisonnier. Alors que nous mettons le cap sur Sidon, Paul parle d’un dieu que je ne connais pas aux autres passagers. Je n’arrive pas à écouter ce qu’il raconte, la houle me soulève l’estomac. Voyant mon état lamentable, un homme nommé Luc me prépare un remède qui calme aussitôt mon mal.
Lorsque nous débarquons le lendemain à Sidon, Julius autorise Paul à se rendre sans escorte chez des
amis. Quel drôle de prisonnier ! Si j’étais lui, je m’enfuirais… J’en touche un mot à mon maître. Julius me répond qu’il a de l’estime pour Paul et qu’il lui fait confiance. Selon lui, le motif de son emprisonnement est contestable : il proclame que Jésus de Nazareth est le Fils de Dieu, ce qui agace les autorités. Plusieurs amis ont décidé de le suivre jusqu’à Rome pour le soutenir, dont un médecin grec érudit, le fameux Luc. Et puis Paul est citoyen romain ; il a donc le droit d’être jugé à Rome. Je comprends mieux : la citoyenneté romaine, c’est comme une sorte de couronne invisible ; l’opposé du statut d’esclave qui est le mien.
Au retour de Paul, le bateau reprend la mer. Nous longeons l’île de Chypre pour nous abriter des vents contraires. J’écoute d’une oreille ce que Paul enseigne aux matelots et aux autres prisonniers : – Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus.
Je ris en entendant ces mots. Un citoyen romain plein de privilèges proclame l’égalité devant des esclaves et des prisonniers. Qui est ce Jésus dont Paul n’arrête pas de parler et qui lui vaut d’être emprisonné ? Un fou ? Un idiot ? Un roi ? Un serviteur ?
CHAPITRE 2
Vivre, c’est le Christ
« Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. »
Ga 2, 20
La nuit tombe sur les voiles et je fulmine dans un coin du bateau. Je suis en colère contre mon maître. Après le repas des matelots, Julius m’a demandé de faire toute la vaisselle de l’équipage.
– Il faut occuper la jeunesse, a-t-il lancé au capitaine du navire, qui a hoché la tête en silence.
Pendant que les marins jouent aux dés et s’amusent sur le pont, je nettoie la vaisselle sale dans un baquet d’eau de mer. Et voilà que le prisonnier s’approche :
– Clément… Que le soleil ne se couche pas sur ta colère, dit-il en me prenant les assiettes des mains.
Il se met à les laver à ma place. Mais ma colère ne s’apaise pas, elle me semble plus profonde que la mer.
– On devrait tout casser ! Ainsi, plus besoin de faire la vaisselle ! Mes liens d’esclave et toute la vaisselle avec ! On briserait tout et on jetterait les débris à la mer !
Ton Jésus nous permettrait-il de faire cela ?
– Tout est permis, mais tout n’est pas constructif, me répond-il. Si tu brises la vaisselle, dans quoi mangerastu demain matin ? Si tu étais libre, où irais-tu ? Réfléchis à ce qui va t’aider à grandir avant d’agir.
– J’irai sur mon île. Pas comme toi qui ne connais pas la colère. Toi qui ne sais même pas t’enfuir.
– Oh détrompe-toi ! J’ai éprouvé autrefois une rage meurtrière. Et j’ai beaucoup fui dans ma vie. Une fois, je me suis même évadé de Damas dans un panier.
Aujourd’hui, je sais que la lumière qui a apaisé ma colère m’attend à Rome. Alors c’est là que j’irai.
– Parle-moi de ton Dieu qui te donne tant de force et de paix. Est-ce qu’il pourrait me libérer ?
– Il te libérera du péché… quant à tes liens d’esclave, prends patience !
Paul me parle alors de Jésus, juif comme lui. Mort sur une croix comme un esclave, pour nos péchés, et ressuscité le troisième jour.
– Est-il un homme ? Est-il un dieu ?
– Il est les deux.
– Est-il un seigneur, est-il un serviteur ?
– Il est les deux.
Paul me raconte la vie de Jésus et ses enseignements.
Et dans mon cœur, la tempête qui gronde s’apaise un peu.