Fisheye Magazine N°6

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le magazine lifestyle de la photographie

Portrait STEVE HIETT, OLD COOL

Société

REPORTAGE SUR LES TERRILS DU NORD

Tendance TATOUEURS TATOUÉS

Économie L’OGRE GETTY

Caméra TEST SUR TATAMIS

Interview

LE DOCUMENTAIRE SURVIVIAN MAIER

POLITIQUE FEMEN : LEUR IMAGE À NU MONDE LA NOUVELLE INDE

Récit

LA DISPARITION DU FILS D’ERROL FLYNN

DOSSIER ZIDANE VERSION PANINI, LA LÉGENDE MOHAMED ALI, DES HOME RUNS, DES COUPES MULETS ET DE LA PHOTO CONTEMPORAINE

L 19203 - 6 - F: 4,90 € - RD

« LE ROI » PELÉ

AU-DELÀ DES CLICHÉS www.fisheyemagazine.fr – N° 6 mai-juin 2014


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Contributeurs

Neil Chowdhury

Ward Roberts

Charles Delcourt

Didier Dahan

Son père d’origine indienne lui inspire une série sur son héritage culturel, intitulée Waking from Dreams of India. Professeur de photographie aux États-Unis, il catapulte les clichés sur l’Inde avec des photomontages survitaminés.

Né en Australie, il a passé plusieurs années à Hong Kong avant de revenir s’installer à Melbourne. À la rédaction, ses images de terrains vides nous fascinent depuis longtemps. Le dossier Sport était l’occasion parfaite de présenter sa série Courts.

Membre de l’agence de photographie lilloise Lightmotiv, Charles Delcourt a passé plusieurs années à la Réunion. De retour dans le Nord de la France, il s’est pris d’affection pour les terrils et les habitants de ces anciens territoires miniers. Il apporte une touche d’humour au portfolio Société.

Grand reporter pour la télévision, il présente pour la première fois dans un magazine ses photographies argentiques. Ses images sont la face intime et personnelle de ses reportages réalisés à travers le monde.

Ours Directeur de la rédaction et de la publication Benoît Baume benoit@becontents.com Rédactrice en chef Jessica Lamacque jessica@becontents.com Directeur artistique Matthieu David matthieu@becontents.com assisté de Alissa Genevois Secrétaire générale de la rédaction Gaëlle Lennon

gaelle@becontents.com assistée de Anaëlle Bruyand

Rédacteurs Marie Abeille marie@becontents.com Camille Lorente camille@becontents.com Clément Thiery, Cathy Dogon

Marketing de ventes au numéro Otto Borscha de BO Conseil Analyse Média Étude oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34

Ont collaboré à ce numéro Méryll Boulangeat, Julien Collinet, Maxime Delcourt, Lucie de Ribier, Maxime Lancien, Sylvain Morvan, Camille Moulonguet, Emmelieke Odul, Alfonse Bernard Seny

Impression  Léonce Deprez ZI « Le Moulin », 62620 Ruitz www.leonce-deprez.fr

Directeur commercial, du développement et de la publicité Tom Benainous tom@becontents.com / 06 86 61 87 76

Photogravure  Fotimprim 33, rue du Faubourg-SaintAntoine, 75011 Paris

Directeur administratif et financier Virginie Sevilla Service diffusion, abonnement et opérations spéciales Joseph Bridge joseph@becontents.com

Fisheye Magazine est composé en Centennial et en Gill Sans et est imprimé sur du Condat mat 115 g

Fisheye Magazine est édité par Be Contents SAS au capital de 10 000 €. Président : Patrick Martin. Actionnaire : Denis Cuisy. 8-10, passage Beslay, 75011 Paris. Tél. : 01 48 03 73 90 www.becontents.com contact@becontents.com Dépôt légal : à parution. ISSN : 2267-8417. CPPAP : 0718 K 91912. Tarifs France métropolitaine : 1 numéro, 4,90 € ; 1 an (6 numéros), 25 €. Tarifs Belgique : 5,20 € (1 numéro). Abonnement hors France métropolitaine : 40 € (6 numéros). Bulletin d'abonnement en p. 117. Tous droits de reproduction réservés. La reproduction, même partielle, de tout article ou image publiés dans Fisheye Magazine est interdite.


Édito TU M’AS PRIS POUR UN SPORTIF ? Benoît Baume, directeur de la rédaction

Eh bien, voilà. Ce numéro sur la photo de sport arrive à son terme et, comme nous aurions dû nous y attendre, il nous en a fait suer, le bougre. Le compétiteur ne se laisse pas apprivoiser comme cela. Le sport est un sujet trop général pour l’explorer de manière totale, nous avons donc essayé de fouiller les coins, de raconter des histoires, de donner une vision différente de celle des photos de performances physiques aux exigences esthétiques et marketing éculées. En jouant dur sur l’homme, nous avons tenté de faire déraper les clichés et valser les lieux communs. Des vignettes Panini revisitées aux images mythiques du combat (truqué) Ali vs Liston, en passant par le contenu des sacs de sport, le base-ball au long cours ou des terrains de tennis déserts, c’est un sport sans exploits mais pas sans âme que notre dossier vous raconte. Pour incarner tout cela, nous avons mis Pelé en couverture. Une légende, un génie qui arbore un maillot sans sponsor et qui termina sa carrière au Brésil, ruiné. Il lui a fallu monnayer ses apparitions médiatiques et signer un contrat mirobolant avec le New York Cosmos pour se refaire. En somme, ce qui a rendu Pelé riche, ce n’est ni son talent ni ses trois Coupes du monde ni ses 1 283 buts en compétition, mais son image. Ce qu’il représentait et qui pouvait générer de l’audience, tel était son trésor. La photo est tout sauf anecdotique dans la manière dont le sport professionnel se façonne. Désormais, dans les rémunérations des stars de disciplines populaires, les contrats d’image représentent l’énorme part du gâteau. Avant la déferlante de clichés que la Coupe du monde de football va nous déverser, ce dossier peut être salvateur. Fisheye explore aussi l’Inde, les terrils du Nord, l’arme médiatique des Femen, les tatouages, les puces, les appareils à monter soi-même, les chambres noires associatives, Sean Flynn, le fils de Robin des Bois disparu au Cambodge, ou l’ogre Getty qui dévore tout sur son passage. Si vous êtes déjà en transe en lisant ce numéro, je ne vous raconte pas l’effet que vous fera notre site www. fisheyemagazine.fr qui se veut un complément génial de Fisheye. On vous prépare d’ailleurs une nouvelle mouture pour vous faire grimper aux rideaux. Au fait, dans deux mois, nous fêterons nos 1 an. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, mais on vous prépare une belle fête à laquelle vous serez les bienvenus. D’ailleurs, vous voudriez quoi pour notre anniversaire ? Un désir en particulier ? Allez-y, c’est open bar : contact@becontents.com


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DOSSIER

SPORT AU-DELÀ DES CLICHÉS

Le sport écrit sa légende. Comme toutes les légendes, il a ses héros et ses méchants, ses vainqueurs et ses vaincus, ses actes de bravoure et ses moments de renoncement. Comme toutes les légendes, le sport possède une esthétique unique qu’il sait contrôler à merveille. En nous plongeant dans ce dossier, nous voulions visiter les vestiaires, voir ce qui se cache derrière. À travers une série de petites histoires, nous avons posé le regard de Fisheye sur ce grand terrain. Nous sommes notamment partis en quête de l’image Panini de l’attaquant anglais Robbie Fowler ou avons exploré le regard d’Olivier Cablat sur ces célèbres vignettes. Neil Leifer, photographe de Sports Illustrated, nous compte une photo mythique de Mohamed Ali dans un combat dont nous savons aujourd’hui qu’il était truqué. Nous avons même suivi une saison de base-ball pendant un an. Le sujet ne sera jamais épuisé, tant le sport et la photo sont générateurs d’histoires en perpétuel renouvellement. Un stade, un court de tennis, une piscine, un terrain de basket, quels meilleurs décors pour figer la légende ? Échauffez-vous, le coup d’envoi commence dès que vous aurez tourné cette page.

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PANINI OU LA QUÊTE DU GRAAL T E X T E  : S Y L V A I N M O R V A N E T J U L I E N C O L L I N E T

Je n’y avais pas songé depuis plus de quinze ans. À vrai dire, je ne pensais pas replonger un jour, et encore moins la trentaine passée. Il a suffi de quelques heures avec mon neveu Théo pour que ma vie bascule à nouveau dans l’addiction. Théo a 9 ans. Il vit et va à l’école dans le XXe arrondissement de Paris. Il m’arrive de lui servir de baby-sitter : ma vie de journaliste pigiste semi-chômeur m’en laisse largement le temps. Cela ne me gêne pas, mais cela ne me fait pas plaisir non plus : Théo est un gosse capricieux. Cet après-midi-là, il s’ennuyait. Moi, je faisais semblant d’avoir un article à écrire pour qu’il me foute la paix. « Tonton, avec mes copains, on collectionne les vignettes Panini de la Coupe du monde de foot. Tu m’en achètes ? » « Tu ne vois pas que je suis en train de bosser ? », j’ai répondu sèchement. « Alors pourquoi tu traînes sur Facebook ?  » Il avait gagné. Je partis donc avec le môme à la recherche d’un tabac-presse. Arrivé dans la boutique, mon neveu Théo commanda ses Panini. « Jambon-fromage ? » répondit la marchande, qui l’avait probablement déjà faite cent fois. Théo ne comprit pas. Elle se ressaisit : « Combien de paquets ? » Théo me regarda.

Dans les années 1960, les premières pochettes, contenant deux images, coûtaient l’équivalent de 0,5 centime d’euros. À l’époque de ma dernière collection, en 1998, les cinq vignettes coûtaient 70 centimes de francs, soit près de 14 centimes d’euros. J’allais lui acheter quelques images sans me ruiner, de quoi l’occuper un peu, et, avec un peu de chance, il me resterait suffisamment de monnaie pour acheter des cigarettes. Je commandai dix pochettes de cinq stickers. « Cela fera six euros, monsieur. » Je manquai de m’étouffer : depuis 1998, le prix avait été multiplié par quatre. Tant pis pour les clopes. Je positivai : j’avais quand même gagné quelques minutes de répit avec le môme. On se posa à la terrasse d’un café, je commandai un lait-fraise pour Théo et une pinte pour moi. Sitôt assis, Théo se mit à déchirer frénétiquement

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l’emballage des vignettes et s’empressa de coller grossièrement les images dans son cahier. Du coin de l’œil, je voyais les joueurs défiler sous ses doigts inhabiles. Hotaru Yamaguchi, un Japonais à mèche blonde. Inconnu au bataillon. Jorge Guagua, défenseur équatorien. Une mine patibulaire, et probablement deux pieds gauches. Mon intérêt s’éveilla quand il piocha Andrea Pirlo. Italien, mal rasé, l’air nonchalant. Vainqueur de la Coupe du monde en 2006. Un esthète, passeur et tireur de coups francs hors pair. Je songeais à voix haute. « C’est quoi, un esthète ?  » me demanda Théo, qui se foutait bien de savoir qui était Andrea Pirlo : pour lui, le jeu ne consistait qu’à remplir les pages. Je ne répondis pas. Je le regardai faire : Gervinho. Karim Benzema. Wayne Rooney. Il colla Wayne Rooney en biais. Je ne pouvais pas ne pas agir. « Tu vois, Théo, lui expliquai-je en tentant de garder mon calme, il faut détacher délicatement l’autocollant de son support, puis poser doucement le coin de l’image sur l’emplacement prévu dans le cahier, et enfin l’étaler avec la paume de la main pour ne pas faire de pli. C’est toute une


méthode. » Je l’aidai à coller un Coréen et fus pris d’un léger frisson. Le soir, avant de rentrer à mon appartement, je passai par la cave. Il était là, forcément… Il DEVAIT être là… Un quart d’heure plus tard, je remontai de la cave avec l’album Panini de la Coupe du monde 1998 sous le bras. Je décelai dans le regard de mon colocataire une once d’étonnement, mêlé à de la résignation. L’OBJET DU DÉSIR

En feuilletant l’album, l’émotion me prit à la gorge. Luis Hernandez, Mexicain à crinière blonde, surnommé El Matador. Denilson, Brésilien, dribbleur fou. Le genre de type qu’on trouvait dans quasiment toutes les pochettes Panini à l’époque. Sur la même page : Ronaldo, son air hagard, son crâne luisant. Je m’en souvenais comme si j’avais refermé le cahier la veille. « Ce n’est pas un peu gay de passer sa soirée à regarder des visages de footballeur ? » s’inquiéta mon colocataire. « C’est pour Théo, mon neveu », rétorquai-je. En 1998, j’étais collégien. J’avais un appareil dentaire et pas de téléphone portable. Le samedi matin, j’allais faire les courses pour ma grand-mère : en échange, elle me laissait la monnaie. Avec cette monnaie, j’achetais des vignettes Panini au tabac-presse du

centre-bourg de mon village breton. Cette année-là, j’ai pioché une bonne vingtaine de Denilson, au moins autant de Luis Hernandez. Mais jamais l’attaquant anglais Robbie Fowler. Le lendemain, je n’y pensai pas dès le réveil. Mais l’idée revint avec une insistance grandissante au fil de la matinée et, à midi, je me surpris à regarder des compilations de buts marqués par Robbie Fowler sur YouTube. Sacré joueur, ce Fowler. On n’en fait plus des comme lui. À l’époque, la rumeur courait qu’il était cocaïnomane. Pour répondre aux tabloïds, en 1999, Fowler avait célébré un but en feignant de sniffer la ligne blanche tracée le long du terrain. Il avait écopé d’une amende d’un million d’euros pour cette plaisanterie. Il me fallait vraiment cette vignette. Je partis à la recherche de Robbie Fowler sur eBay. Un Auvergnat en réclamait 12 euros, un Anglais, 20 euros. Il y avait bien une offre à 1,70 euro, mais pour ce prix je n’avais droit qu’à une vulgaire photocopie. En poursuivant mon investigation, je trouvai une boîte de cent pochettes Panini sous blister vendue au Texas à 200 euros.

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L’album complet de la Coupe du monde 1998, lui, avoisinait les 300 euros. Je n’avais pas un rond. Sur la Toile, il existait bien des sites comme paninimania.com permettant de troquer des images, mais je n’en avais aucune à proposer en échange. Mon colocataire, étudiant en première année de philo depuis trois ans, suggéra que les vignettes Panini comblaient un espace laissé vacant par le sexe. Je lui suggérai d’aller se faire voir. Finalement, ma quête m’amena à m’intéresser à la Belgique, où l’engouement pour les vignettes Panini avait dépassé depuis longtemps les limites du raisonnable. Chaque seconde, il se vendait 50 images outre-Quiévrain. Un article du Soir, le quotidien local, relatait même l’histoire d’un septuagénaire vivant à Ostende et qui posséderait près de 900 albums. L’idée un peu folle de le contacter commença à m’envahir. Avec une telle collection, il possédait sans doute mon autocollant fétiche en plusieurs exemplaires. Il était


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Sam Stephenson, un écrivain américain passionné de base-ball, a demandé à une quinzaine de photographes de documenter une saison de base-ball à Durham, une petite ville des États-Unis. Il crée alors « Bull City Summer », un projet à la fois photographique et littéraire.Un site Internet,une exposition et un livre racontent la saison 2013-2014 avec des temps forts totalement inattendus. Morceaux choisis.

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UNE SAISON DE BASE-BALL À DURHAM

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Nous sommes au début de la saison de base-ball à Durham, en Caroline du Nord. L’équipe de la ville s’appelle les Bulls. Pendant longtemps, elle n’a été qu’une petite équipe sans envergure. « Quand tu quittes Durham, tu ne reviens jamais », répliquait Susan Sarandon à Kevin Costner, il y a vingt-cinq ans, dans le film Bull Durham (Duo à trois, en français). Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Depuis quelques saisons, l’équipe de Durham tutoie la gloire : elle est classée AAA, le niveau le plus haut de la Ligue mineure de base-ball. La photographe Elizabeth Matheson lance le coup d’envoi de cette saison photographique et littéraire. Le lanceur a pour objectif de tromper la vigilance du batteur adverse en lui servant des lancers variés : rapides, glissants, courbes, déviants. S’il réussit trois bons lancers, le batteur est éliminé. L’effort produit par le lanceur est considérable au niveau de l’épaule et du bras. Plusieurs jours de repos lui sont nécessaires entre deux matchs. En général, une équipe possède quatre à cinq lanceurs pour suivre les cadences des calendriers de la saison.

AVRIL 2013

Les Bulls avancent dans la saison et s’inclinent devant les Buffalo Bisons. Après 13 manches à égalité, ils perdent 1-0 à la quatorzième. Alec Soth, photographe de Minneapolis de renommée internationale, capture la solitude et le silence qui caractérisent le terrain de base-ball. « La pulsation du base-ball se rapproche d’une sorte de paresseuse attention qui est comparable au regard photographique. Tu regardes, tu regardes, et une fois de temps en temps, boum, tu marques un point. » Ce sport se joue avec deux équipes qui alternent en défense et en attaque. Une partie se joue en 9 manches et une manche s’achève quand les deux équipes sont passées en défense et en attaque. Si les 9 manches ne les départagent pas, le jeu continue. Pour Sam Stephenson, directeur du projet, « c’est peut-être la raison pour laquelle ce sport s’exporte si mal, à part en Asie. La temporalité d’un match est très lente, il y a très peu d’actions intenses ».

ALEC SOTH.

FRANK HUNTER.

JUIN 2013

ELYZABETH MATHESON.

La saison bat son plein et le photographe japonais Hiroshi Watanabe, passionné par ce sport, donne un aspect légendaire à ses prises de vue. Il se rend dans les coulisses du stade et photographie le zéro. Ce chiffre plus usé que les autres car très peu de points sont marqués pendant un match. Le temps d’exposition du chiffre au soleil et aux intempéries est plus long que pour les autres. « En décalant son regard sur le base-ball, il raconte beaucoup de choses sur ce sport. Il suffit de prendre le temps de comprendre la photo », commente Sam Stephenson.

© Alec Soth. © Elyzabeth Matheson. © Frank Hunter.

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Dans une série intitulée « Courts », Ward Roberts a photographié l’architecture des terrains de sport durant plus de quatre ans. Aujourd’hui, il revient sur la genèse et l’évolution de ce travail, singulier et poétique.

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WARD ROBERTS : FENÊTRE SUR COURTS

Nous avons l’habitude de les penser grandioses et impersonnels. Des millions de jeunes athlètes s’y rêvent glorifiés par des milliers de supporters déchaînés. Les terrains de sport font partie de l’imaginaire collectif, mais peu d’artistes en ont fait la figure centrale de leur œuvre. De Londres à New York, de Hong Kong à Bali, Ward Roberts a parcouru le monde pendant plus de quatre ans en nourrissant un projet photographique consacré à ces playgrounds. « Je ne me suis pas obligé à faire de nombreuses recherches sur Internet pour trouver de bons endroits. Tout cela s’est fait au fur et à mesure. Parfois, plusieurs semaines ou plusieurs mois pouvaient s’écouler entre deux photographies », précise-t-il aujourd’hui. Avant

de justifier sa démarche : « J’aime le sport, ça fait partie de ma culture. Je pense donc en comprendre le langage, ce qui est pour moi essentiel si l’on veut faire de bonnes photographies. Mon travail est donc de retranscrire l’atmosphère de ces lieux, mais aussi de mettre en avant leur architecture. C’est pour cela que mes images regroupent différents terrains de sport. Ça permet de mettre l’accent sur leurs différences, mais aussi leurs similitudes. » L’étonnant paradoxe de la série Courts tient en effet au peu d’intérêt du photographe australien pour l’aspect purement compétitif du sport. Dans ses travaux, les terrains sont toujours vidés de leur public et du show auxquels ils sont communément associés. Seule reste l’architecture, que Ward

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Oubliez l’Inde entre tradition et modernité et les clichés autour des paillettes et des temples maudits. La nouvelle génération de photographes indiens vit avec son temps, ses désirs, ses angoisses et sa réalité. Les artistes parlent mariage, homosexualité, spiritualité, consommation, urbanisme, et dévoilent une création souvent méconnue en France. Périple dans une Inde qui envoie valser les poncifs avec dérision et talent. Texte : Maxime Lancien

© Neil Chowdhury.

La nouvelle Inde


AG R AN DIS S EMENT

trouver des gens intégrés dans ce paysage. » Il se dégage de son travail une quiétude propre à la montagne et à la méditation. « Je voulais créer un monde où tout est là, qui offre une chance pour la contemplation. La vie est lente là-bas, parfois en pause, je voulais retranscrire ça. » Si Nishant Shukla a aussi travaillé les portraits, ceux des passagers dans les trains dans une démarche vraiment typologique, il cherche désormais une nouvelle voie. « Je voudrais dorénavant aborder une démarche plus fictionnelle que documentaire. » Neil Chowdhury, New-Yorkais d’origine indienne, trouve son compte dans le collage pour retranscrire son appréhension du pays. « Je suis toujours très inspiré en Inde, car les aspects de la vie qui se jouent derrière des portes closes en Occident se jouent beaucoup plus publiquement ici, ce qui permet au photographe de capturer des interactions humaines vivantes et des comportements qui ne sont pas visibles ailleurs. » Concernant sa série Waking from

FOCUS

Dreams of India commencée en 2002, il a passé un an en Inde pour découvrir le pays de son père dans lequel il n’avait jamais été. « En revenant aux États-Unis, j’avais capturé des images convaincantes, mais aucune ne rendait l’énergie que j’avais ressentie dans les rues indiennes. Le collage me semblait un moyen naturel de recréer des images avec la densité visuelle et la complexité de l’environnement urbain de l’Inde. »

LE FUTUR INDIEN

Si le photojournalisme a rendu pérennes nombre de clichés en Occident, il en va de même pour la photographie documentaire qui, selon Alain Willaume, risque de rendre durables les clichés sur l’Inde globalisée au XXIe siècle.

Comparée au cinéma indien et à son développement, la pratique photographique ne bénéficie pas des mêmes largesses. Un stéréotype en a-t-il chassé un autre ? Comparée au cinéma indien et à son développement, la pratique a beau s’être démocratisée, elle ne bénéficie pas des mêmes largesses financières et fédère moins les Indiens. Il existe tout de même des initiatives réjouissantes que souligne Neil Chowdhury, comme le Delhi Photo Festival, organisé par Dinesh Khanna, qui, il l’espère, pourra en inspirer d’autres. « Le webmagazine Emaho, édité NISHANT SHUKLA, par Manik Katyal, SWAMI SUNDARANAND EN FACE DE SA GALERIE DE PHOTOS QU’IL offre par ailleurs une A CONSTRUITE POUR MONTRER bonne couverture des SES PRISES DE VUE DE L’HIMALAYA. GANGOTRI, 2011. photographes indiens et internationaux. »

© Nishant Shukla.

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AG R AN DISSEMENT

En ce début de siècle, les Indiens, de naissance ou d’origine, vivant ou non sur le sous-continent, commencent à jouir de la photographie, jusque-là réservée à une certaine élite sociale et intellectuelle. « Comme dans le reste du monde, le territoire vernaculaire et les nouvelles pratiques anonymes sur Internet restent des terrains photographiques à explorer. Le futur indien de la photographie reste donc à inventer », conclut Alain Willaume. Le kaléidoscope indien, expression chérie des revues, se joue des apparences. Un point commun réunit ces photographes actuels, le désir de raconter plutôt que de documenter. Comme l’éléphant blanc qui n’a jamais conduit Akshay Mahajan à son école, la photographie reste libre de narrer des histoires, cruelles, loufoques ou NISHANT SHUKLA, UN PÈLERIN ENVISAGEANT vraisemblables. Et le DE PRENDRE UN BAIN AU grand roman s’écrit GLACIER DE GOMUKH, UTTARAKHAND, 2011. sur Internet.

PLUS D’INFOS Akshay Mahajan : www.akshaymahajan.in

ET AUSSI… Poulomi Basu Cette jeune photojournaliste récompensée a réalisé To Conquer Her Land, un remarquable travail sur les femmes soldats postées à la frontière indo-pakistanaise. Bruising est une série sur les femmes boxeuses à Calcutta. Elle travaille actuellement sur la rébellion maoïste dans le centre de l’Inde. poulomibasu.com

FOCUS

Mahesh Shantaram : www.thecontrarian.in/ photography

Nishant Shukla : nishantshukla.com Neil Chowdhury : neilchowdhury.com

Blindboys We are a photo commune : les travaux d’une trentaine de photographes, indiens ou pas, sont accessibles pour une immersion moderne dans le sous-continent indien.

Rafil Kroll-Zaidi Ce contributeur pour Harper’s Magazine s’amuse à tromper le lecteur en effectuant un pseudodocumentaire dans un essai illustré sur les violences communautaires en prenant pour point de départ le film Slumdog Millionaire de Danny Boyle. Les scènes de violences urbaines contrastent avec l’analyse filmique qu’en tire le photographe. Son travail s’intitule Jukeboxes on The Moon.

blindboys.org Kapil Das, aka LensKap Ce photographe est actif sur Flickr et sur Tumblr – ab0ltab0l.tumblr. com. Ses travaux, artistiques et humoristiques, comme 154 Neshvilla Road and Other Stories, sont exposés sur le site Internet de la galerie Photoink qui le représente. photoink.net

© Nishant Shukla.

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canopycanopycanopy.com


MISE AU POINT


M IS E AU

POINT

SOCIÉTÉ

Charles Delcourt arpente les terrils du Nord de la France depuis 2008, guidé par le plaisir de la rencontre, les surprises de l’errance et une curiosité aiguë pour ce territoire. Un reportage sur les anciennes terres minières qui ne s’interdit pas l’humour. Texte et photos : Charles Delcourt

Tout in haut de’ch terril Charles Delcourt

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S ÉC TION

CHAPITRE

RÉVÉLATEUR


R É V É L AT E U R

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POLITIQUE

Inconnu au bataillon il y a encore trois ans, Femen est devenu le mouvement féministe le plus célèbre du moment. La clé de cette présence médiatique ? Un mode de communication qui s’appuie avant tout sur les médias. Analyse d’un féminisme pop, taillé sur mesure pour la société de l’image. Texte : Lucie de Ribier – Photos : Jacob Khrist – Illustration : Matthieu David

Le féminisme pop des Femen

Si je vous dis « Femen », à quoi pensez-vous ? Immédiatement viennent à l’esprit les images de jeunes femmes dénudées, le poing levé et l’air menaçant. En quelques années, les Femen se sont imposées dans le paysage médiatique et ont imprégné la culture visuelle de l’époque. À tel point que la Marianne qui orne les timbres officiels de la République depuis l’année dernière a été inspirée par leur leader, Inna Shevchenko. « J’avais collé au-dessus de mon bureau une photo du tableau La Liberté guidant le peuple, et plus je regardais cette révolutionnaire qui se bat seins nus, plus elle me faisait penser

aux Femen », explique Olivier Ciappa, créateur officiel du timbre. Le street artist Combo a, lui aussi, effectué un rapprochement entre les jeunes femmes et le fameux tableau de Delacroix, dans une œuvre exposée le 14 juillet dernier. Mission réussie pour ces néoféministes, qui aiment à se présenter comme des révolutionnaires libératrices. Fin janvier, elles s’étaient grimées en « bergères guidant le peuple de moutons » pour affronter les groupes conservateurs qui défilaient à Paris à l’appel du collectif Jour de colère. Dans les rangs de la manifestation, ce jour-là, un autre groupe parade torse nu : il milite

contre le mariage pour tous et se fait appeler les Hommen. Preuve, s’il en fallait, de l’influence des Femen sur l’imaginaire collectif. TERRORISTES DE L’IMAGE

Mais comment un obscur mouvement d’origine ukrainienne a-t-il réussi à accaparer le féminisme français ? Un discours plus convaincant ? Pas vraiment. Tout juste les jeunes femmes se bornent-elles à lister leurs ennemis : le patriarcat, incarné selon elles par les religions, la prostitution et les dictatures. « Nous ne sommes


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R É V É L AT E U R

POLITIQUE

INTERPELLATION MUSCLÉE LORS D’UNE ACTION SOUS LES FENÊTRES DE L’ÉLYSÉE À LA VEILLE D’UN VOYAGE DE FRANÇOIS HOLLANDE EN TUNISIE, POUR APPELER À LA LIBÉRATION DE LA TUNISIENNE AMINA TYLER, LE 3 JUILLET 2013.

sur l’image de la jeune femme idéale, glamour, pour mieux la démonter par notre attitude : nous ne sommes pas gentilles, nous ne sommes pas soumises, nous ne sourions pas. » L’objectif, selon les Femen, c’est de dépasser la dimension érotique du corps féminin pour en faire une arme politique. Fin mars, elles ont manifesté en Turquie, le torse barré d’adresses IP de serveurs DNS, qui permettent de contourner la censure mise en place par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. Diffusées, ces images ne se contentent plus d’interpeller mais ont un pouvoir performatif. Inna aura le mot de la fin : « OK, je ressemble à une Barbie. Sauf que c’est “Barbie part à la guerre”. » LA GUERRE DES IMAGES

La guerre, oui : celle des images. « C’est à ça qu’on entraîne les nouvelles recrues : maîtriser cette image. Une intervention, c’est comme un long plan-séquence qu’il ne faut pas rater, pour faire ressortir précisément la photo que l’on cherche à obtenir », explique Elvire. Les règles de base concernent la posture à adopter, la façon d’occuper l’espace et de rendre le décor éloquent. Isabelle Latapie, iconographe, constate : « Même lorsqu’elles se font attraper par les forces de l’ordre, elles continuent d’esthétiser la chose en se tournant vers les caméras. Les cris, le fait de se jeter par terre… C’est du théâtre ! » Mais pour immortaliser la scène, elles dépendent des photographes. Avant tout, il faut prévenir les agences de presse en amont. Si, en France, les activistes et les médias sont dans un rapport de confiance, c’est une autre histoire à l’étranger : « Il nous est déjà arrivé qu’une action fuite à cause des journalistes. Début avril en Turquie, nous voulions confronter Erdogan, mais il avait été prévenu de notre arrivée et n’est pas venu. » Alors, il faut ruser : demander à quelqu’un de confiance de s’improviser photographe, ou rallier un événement qui rassemble déjà les caméras. Autre piège à déjouer : les autorités, qui ont compris que les images étaient plus dangereuses que le

APRÈS AVOIR BRÛLÉ LE DRAPEAU NOIR DES SALAFISTES DEVANT LA GRANDE MOSQUÉE DE PARIS, LE 3 AVRIL 2013, L’ORGANISATION S’EST VUE TAXÉE D’ISLAMOPHOBIE.

happening lui-même. Résultat, avant même de se ruer sur les demoiselles, elles s’interposent parfois devant les appareils photo. « La sécurité de Notre-Dame, du Vatican ou encore la police turque ont tenté d’empêcher les photographes de travailler », déplore Elvire. Mais dans leur quête de l’image parfaite, les Femen peuvent compter sur Jacob Khrist, le photojournaliste qui couvre leurs happenings français. Le jeune homme les a contactées il y a deux ans, dans le but de se constituer un fonds d’archives sur le sujet. En échange, il leur fournit des images gratuites et de qualité professionnelle pour communiquer sur les réseaux sociaux. Un atout de taille, qui contribue largement au mythe Femen sur la Toile. La machine est bien huilée.

Mais pour combien de temps ? Le risque n’est-il pas de devoir aller toujours plus loin pour continuer à se faire entendre ? « C’est le risque. Pour ne pas lasser, nous devons sans cesse mettre à jour notre imagerie, un peu comme une application de Smartphone ! Nous sommes obligées d’aller vers des prouesses de plus en plus grandes. » Elvire nous aura prévenus : « Je ne peux pas rentrer dans les détails car nous sommes en train d’affiner nos stratégies, mais nous nous dirigeons vers des modes d’action encore plus spectaculaires. » Chaud devant ! La journaliste Caroline Fourest prétend qu’Inna se prépare à mourir jeune. Tomber sur les barricades, OK. Mais devant l’objectif.


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LE SYM POI RÉV BOL NG L E E FO OLTE ÉVID VÉ RC , MA EN TD PH E E T IS A O HE TOG DE S USSI E RB WO AUTRAPH OLIDADE GR RLD A GAE GUI RITÉ . L Â D’I CE À PRESS GNÉ LAUMLE NN U A E U A L NE WAR N E P PH D OIN OT GL O EVÉ .

UN TORSE NU, BARRÉ D’INSCRIPTIONS À LA PEINTURE NOIRE C’EST LA BASE DU LOOK, TOUT LE RESTE EST SUPERFLU. AINSI, ELLES SONT EN « COSTUME DE SOLDATE », PRÊTES À INTERVENIR RAPIDEMENT À N’IMPORTE QUEL MOMENT SANS AVOIR BESOIN DE BEAUCOUP DE MATÉRIEL. « TOUT CE QUI EST GÉNIAL EST SIMPLE », ESTIME OKSANA CHATCHKO, COFONDATRICE DU MOUVEMENT.

UN MINI-SHORT OU UN PANTALON EN JEAN POUR L’ESTHÉTISME, LES FEMEN VEILLENT À ÊTRE ASSORTIES.

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POLITIQUE

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