Fisheye n°12

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le magazine lifestyle de la PHOTOGRAPHIE

Projet Web LOCAL EYES, L’AUTRE VOYAGE

Droit

L’OBSERVATOIRE DE LA LIBERTÉ DE CRÉATION

Graphisme CHAUMONT À L’AFFICHE

Société

PORNO ET RÉALITÉ VIRTUELLE

Portfolio LA FRANCE VUE D’ICI

L 19203 - 12 - F: 4,90 € - RD

N° 12 mai-juin 2015

I BEL.: 5,20 € I www.fisheyemagazine.fr

L’ARGENTIQUE FAIT DE LA RÉSISTANCE

W€B 3.0 PIÈGE OU ELDORADO POUR LA PHOTO ?

# fisheyelemag


instantanés

P. 8 LES DESSOUS DE L A COUV

Bobby Doherty

P. 10 T E N DA N C E

Ça bouge dans les images… P. 11 T E N DA N C E

Brave New Camera P. 13 VO I X O F F

Jean-Christophe Béchet P. 14

P. 2 0

MÉTIER

Au pied du mur Sandrine Calard, monteuse

W€B 3.0

P. 16 P O RT R A I T © BoBBy Doherty. © Catherine Leutenegger. © gérarD trang, aLias superChinois801. © phiLippe groLLier.

— DOSSIER

Tatyana Franck Élue à l’Élysée

agrandissement

P. 35 EXPOSITIONS

Vu d’ailleurs P. 3 8 FOCUS

L’Angleterre mise pour de bon sur la photo P. 42 P O RT F O L I O

Bonfires Philippe Grollier


mise au point

sensibilité

P. 49 SOCIÉTÉ

Porno et réalité virtuelle, une liaison ardente P. 53 H I S TO I R E

Web mémoire : les photos qui font l’histoire

P. 62 É D U C AT I O N

P. 91 A RT V I D É O

La photo pour les nuls

Ryoji Ikeda : la science des sons P. 6 5

F O N DAT I O N

P. 9 4 P O RT F O L I O D É C O U V E RT E

Neuflize Vie, un mécène très présent

Massimo Siragusa

P. 56 P O RT F O L I O

La France vue d’ici

P. 10 0 E N A PA RT É

r évé l a t e u r

Loft Photo, un espace en partage

labo

P. 10 2 GR APHISME

P. 67 C O M M U N I C AT I O N

Les reconfigurations de l’information

P. 7 7

Chaumont à l’affiche

CAMÉR A TEST

Diane et Martin Testeurs des champs

P. 10 4 P O RT F O L I O

P. 8 0

Circulagram P. 110

AT E L I E R P H OTO

Relookez vos Polaroids

P RO J E T W E B

Local Eyes Une autre manière de voyager

P. 70

Olympus OM-D E-M5 Mark ll

P. 112 LIVRES

Photothèque

D RO I T

« La censure progresse depuis l’attentat à Charlie Hebdo » P. 7 2 ÉCONOMIE

L’argentique fait de la résistance

P. 8 4 S H O P P I N G A P PA R E I L S

P. 114 AG E N DA

Matos

Parcours choisi P. 8 6

S H O P P I N G AC C E S S O I R E S

Néon

P. 8 9

P. 117 Une photo, une expo

COMMUNIT Y

P. 119

P H OTO M O B I L E

Photos, réseaux & apps mobiles

P. 12 0

FLASH

Tumblr des lecteurs P. 12 2

I M AG E S S O C I A L E S

André Gunthert

C H RO N I Q U E

© raphaëL heLLe / signatures. © suhaiB saLem / reuters. © massimo siragusa.

P. 8 2 PRISE EN MAIN


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I N S TA N TA N É S

LES

DESSOUS

DE

LA

COUV

Bobby Doherty n’a pas peur de la couleur. Il s’en sert avec insolence pour revisiter sans complexe ses photographies personnelles comme celles qu’il réalise en commande. TexTe : Éric KarsenTy – PhoTos : BoBBy DoherTy

Bobby Doherty Bobby Doherty a tout juste 26 ans et vit à Brooklyn. Sorti diplômé en 2011 de l’École des arts visuels de New York, il fait aujourd’hui partie de l’équipe du New York Magazine et travaille occasionnellement pour la mode. Les commandes aux cahiers des charges rigoureux le stimulent. Elles le poussent à réaliser des photographies qu’il n’imaginait pas pouvoir faire. Se laissant guider par la couleur, qui est son langage premier, Bobby Doherty renouvelle avec une insolente énergie la photographie contemporaine.

www.bobbydoherty.net




t e s on n e v n i to ré et La pho ess sur le N busin

TexTe : Dorian ChoTarD, Gwénaëlle FliTi, ériC KarsenTy eT Chloé sCulone

De la circulation des images sur Internet à leur monétisation, les voies des réseaux sociaux semblent parfois impénétrables. Les modèles économiques s’inventent et s’expérimentent en permanence : sur Instagram, Pinterest et ailleurs, les photographes, les marques et les agences de communication essaient de trouver la recette magique qui transforme les images en argent. Passage en revue de cette forme de new deal.


D O S S I E R

D’Instagram à Pinterest : la vie rêvée des e-influenceurs ALORS QUE LE CONTEXTE ACTUEL N’AIDE PAS LES PHOTOGRAPHES À TIRER LEUR ÉPINGLE DU JEU, PEUVENT-ILS RÉELLEMENT GAGNER LEUR VIE GRÂCE AUX RÉSEAUX SOCIAUX ? DÉCRYPTAGE D’UN BUSINESS OÙ AUDIENCE ET INFLUENCE RÈGNENT EN MAÎTRES.

© GérarD TranG, alias @superChinois801, phoTo pour les CasqueTTes sorry i'm FrenCh.

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© GérarD TranG, alias @superChinois801, phoTo personnelle.

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« Financièrement, je suis un peu dans le caca. » Joint par téléphone, Bálint Pörneczi annonce la couleur. Ce Hongrois de 37 ans, installé avec sa famille dans le sud de la France, a pourtant un métier. Il est photojournaliste. Passé par la presse magazine et les grandes agences comme Reuters, il a dû se faire à l’évidence : tarifs en baisse, conditions de travail parfois éprouvantes, concurrence féroce des amateurs et des banques d’images. Débarqué à Paris, il y a trois ans, il se met en quête d’une idée. Celle qui lui permettrait de se faire un nom ici. Son ami, le photojournaliste français Benjamin Girette (à l’origine du projet Dysturb, lire Fisheye n° 8), lui conseille d’ouvrir un compte sur Instagram : « Tous les photographes y sont. Fais une série de portraits ! » Armé de son iPhone, Bálint commence en novembre 2013 à poster ses clichés sur le réseau aux 300 millions d’utilisateurs actifs mensuels (selon les chiffres officiels de janvier 2015). Sa démarche est claire : capter l’émotion des passants connus ou anonymes à travers des portraits carrés en noir & blanc. Son style, influencé par celui d’August Sander, séduit. De 400 followers, il passe à 4 000 en l’espace de quelques heures. Aujourd’hui, ils sont 46 000 à le suivre. Fait-il pour autant partie de la petite famille tant convoitée des e-influenceurs ? Cette étiquette colle désormais à la peau de toute personne inscrite sur un réseau de partage de photos ou de vidéos (YouTube, Instagram, Vine, Pinterest…) et bénéficiant d’une certaine influence sur sa communauté. Une influence très recherchée par les annonceurs qui y voient un intérêt commercial. Séverine Bourlet, fondatrice de Tribegram Lab devenu Wopawap (agence intermédiaire entre les marques et les auteurs d’images sur les réseaux sociaux), définit les influenceurs comme étant ceux qui allient « créativité visuelle et grand nombre d’abonnés au taux d’engagement conséquent ».

0,002 euro par follower Par le biais de Wopawap, Bálint s’est vu proposer une collaboration avec une marque de bière. Il se souvient d’un montant de 300 euros par photo pour trois ou quatre images au maximum. Malgré un découvert de 1 500 euros, il refuse. « Je ne voyais pas

très bien comment insérer de la pub dans mes portraits », avoue-t-il. Interrogée sur les tarifs pratiqués dans son agence, Séverine Bourlet joue la transparence : « En dessous de 50 000 followers, l’auteur reçoit en général des prestations en nature de la part de l’annonceur. On est là dans une logique de blogueur. Au-dessus de ce seuil, il est rémunéré à la photo. » D’après son barème, il faut compter une base de 0,002 euro par follower – soit 200 euros par photo pour 100 000 followers. Cette somme, explique-t-elle, varie suivant la notoriété de l’instagramer, son audience, le temps passé sur la commande et l’utilisation prévue de l’image : réseaux sociaux, print, usage commercial. En France, encore très peu d’agences sont sur ce créneau. En trois ans, Wopawap a su s’imposer comme leader avec 500 photographes répertoriés, « tous amateurs », précise Séverine. Mais l’agence ne travaille essentiellement qu’avec 10 % d’entre eux. Ceux qui affichent plus de 20 000 abonnés au compteur. Des photos gratuites contre des voyages ou des cadeaux ? Là où France 2, à travers l’un de ses reportages diffusé en mars au JT de 20 heures, voit dans cette pratique amateur un « filon (commercial) juteux », l’Union des photographes professionnels (UPP) y dénonce une incitation au travail dissimulé. Franck Jamet est consultant en visual marketing et fondateur de The Remix Culture Society (agence social media). Officiant encore, il y a peu, chez Wopawap, il explique avoir toujours

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incité les marques à payer les instagramers. « Je pense qu’un amateur, même s’il ne vit pas de la photo, doit respecter les grilles de l’UPP et se faire rémunérer. » Pour booster son jeu-concours grand public, la société Kodak Alaris a invité cinq instagramers influents à partager à leur tour leurs Kodak Moments (moments de vie importants). Pour la marque légendaire de films photographiques, l’objectif était de donner envie au public d’imprimer ses images numériques noyées dans les réseaux sociaux. Résultat : 54 000 visiteurs uniques pour un peu moins de 10 000 photos partagées. Des chiffres un peu faibles face au million de followers que réunissaient à eux cinq les influenceurs invités. Difficile de savoir combien ils ont touché pour leurs prestations. Nathalie Martellière, directrice grands comptes chez Kodak Alaris, évoque « une somme symbolique et pas vraiment rationnelle ».

Contrats alléchants ? L’un des instagramers ayant participé à la campagne de Kodak, c’est Gérard Trang, alias Superchinois801 (138 000 followers). Informaticien de 31 ans, il poste ses images sur Instagram depuis deux ans. Ses thèmes phares : Paris, les jeux de reflets, les paysages graphiques et symétriques. En remportant le premier prix d’un concours, il voit son audience décoller. Il est alors contacté directement par des annonceurs. « Beaucoup de marques proposent des goodies aux instagramers, comme elles le font avec les blogueurs, admet Superchinois801. Mais on passe nos weekends à faire ces photos. Il est normal que l’on soit rémunéré comme n’importe quel photographe classique. » Gérard Trang a conservé son activité principale et n’a pas l’intention d’arrêter. Même s’il avoue que, parfois, il aurait de quoi gagner sa vie avec Instagram : « Cela peut aller de plusieurs centaines d’euros par photo à plusieurs milliers d’euros par campagne. Tout dépend du travail autour (editing, matériel…), du temps consacré, etc. » Ainsi, Superchinois801 a signé des contrats avec Coca-Cola, l’auberge de jeunesse Generator, Hewlett-Packard… Mais aussi avec des marques de casquettes ou de montres. Pas de difficulté particulière pour distinguer ses collaborations publicitaires des autres images. Ce sont celles qui mentionnent


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la marque via un hashtag ou une arobase. Le placement de produit, Gérard Trang l’accepte, mais sous conditions : « Avec une mise en scène, pas de fond blanc, surtout pas de gros logos, rien de trop voyant. » Franck Jamet partage cet avis et va même plus loin : « Il vaut mieux recommander à la marque de ne pas faire du placement de produit, car celui-ci a un caractère trop intrusif, venant perturber le style habituel du photographe. Il y a un risque de désabonnement. Or, l’intérêt de l’annonceur est de ne pas faire fuir les followers. » L’ancien de chez Wopawap conseille plutôt un travail autour de l’univers de la marque. Adrien Brunel, alias Neriad (291 000 followers) sur Instagram, s’en sort très bien dans cet exercice. C’est en achetant son premier smartphone, en 2010, que ce graphiste de 34 ans se met à l’appli. Il tire son inspiration de Brassaï, Willy Ronis, Robert Doisneau et Henri Cartier-Bresson. Adrien s’amuse à faire dialoguer l’iconographie urbaine et les passants pour créer des instants décisifs, raconter des histoires en noir & blanc. Comme pour pas mal de pionniers de l’appli, son compte a été suggéré aux autres utilisateurs par Instagram lui-même. Une chance qui lui a permis de voir grandir sa communauté très rapidement. En juillet 2014, Neriad est contacté par la maison de couture Martin Margiela qui l’invite dans les coulisses de l’un de ses défilés. Le photographe amateur retranscrit en images l’univers onirique et graphique de la collection. À son tour, Lanvin fait appel à ses services. Puis Samsung, pour lequel il retourne à ses premières amours : la photo de rue. Ni Lanvin ni Margiela ne l’ont payé. Mais Adrien, extérieur à l’univers de la haute couture, s’estime chanceux d’avoir eu cet accès privilégié aux backstages. En plus, se réjouit-il, « des magazines de mode ont publié mes photos ». En revanche, avec Samsung, Neriad a négocié pour trouver un prix « après avoir évalué la valeur de mon travail et du temps passé dessus ».

Pinterest, le plus commercial Pas de doute, le business entre les marques et les influenceurs se jouent principalement sur Instagram – surtout depuis son rachat en 2012 par Facebook pour un milliard de dollars,

ADRIEN BRUNEL RÉALISE DE NOMBREUSES PHOTOS POUR DES ANNONCEURS COMME SAMSUNG (CI-DESSOUS, EN HAUT À DROITE ET EN BAS À GAUCHE), MAIS IL POSTE ÉGALEMENT DES IMAGES PERSONNELLES QUI N’ONT PAS ÉTÉ FAITES POUR DES ANNONCEURS.

© aDrien Brunel, alias @neriaD.

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© BálinT pörneCzi, alias @BalinTporneCzi.

Via les réseaux sociaux, de nouveaux talents peuvent espérer être reconnus par le public avant même de l’être par leurs pairs. ouvrant ainsi le réseau à un plus large public. Mais certaines enseignes se laissent séduire par d’autres réseaux sociaux. À commencer par Pinterest, dont le concept est d’épingler des photos en fonction de ses centres d’intérêt. Le compte de Christian Radmilovitch, responsable social media chez Marionnaud – connu pour être LE spécialiste de Pinterest en France –, exhibe des chiffres qui laissent songeurs : plus d’un million d’abonnés, 94 tableaux, pas loin de 17 000 photos épinglées. Il raconte avoir commencé fin 2011. « Comme je travaillais avec des marques de luxe, je me suis mis à épingler sur les thèmes de la mode, des bijoux, de la gastronomie. C’est devenu une drogue. » Selon lui, 21 % des utilisateurs se serviraient de ce réseau comme d’un moteur de recherche pour faire du repérage avant achat. Car il faut savoir que la majorité des images épinglées contiennent des liens URL. Avec 1,85 million de visiteurs uniques en France en août 2014 (données officielles), les marques ont de quoi voir en Pinterest une formidable opportunité de générer plus de trafic sur leur page Web, et donc plus de ventes. Aux États-Unis, le business autour de Pinterest est bien plus développé qu’en France. D’ailleurs Christian Radmilovitch affirme que 85 % de son audience est américaine. Là-bas, les plus gros comptes affichent plus de 13 millions de followers, et une agence intermédiaire entre marques et influenceurs, Hello Society, se consacre exclusivement à Pinterest. Contactée via Twitter, Zoe Waldron, qui y travaille comme responsable social media, n’a pas souhaité répondre aux questions directement en lien avec l’agence. Toutefois, Christian Radmilovitch, ayant été approché par Hello Society en décembre 2012, brosse le tableau : « On te propose de participer à des campagnes. Tu dois épingler des photos qui renvoient vers les sites Web des marques. Selon les objectifs atteints, tu touches des commissions. » Il se souvient d’un montant fixé entre 10 et 25 cents par « repin » (image réépinglée), et

entre 1 et 1,25 dollar par nouvelle inscription d’utilisateur. C’est assez rare, mais les bons mois, Christian peut toucher 800 dollars (756 euros). « Pas de quoi gagner ma vie. » Et qu’en est-il de Snapchat ? Le réseau d’envoi de photos éphémères utilisé par les moins de 25 ans s’ouvre depuis peu à la publicité. Il n’empêche que l’« on n’a pas encore de snaper influent », révèle Franck Jamet. Un nom lui vient tout de même à l’esprit, celui d’Alec Soth. Ce photographe américain, membre de l’agence Magnum Photos depuis 2004, a créé la surprise en proposant en mars dernier un deal d’un nouveau genre : une « conversation photographique » de 25 photos éphémères sur Snapchat, vendue 100 dollars (94 euros) aux utilisateurs.

Un réseau à la sauce Getty

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à vendre leurs clichés, le réseau a publié sur son blog (en anglais) un article intitulé « Comment j’ai vendu ma première photo sur EyeEm ». Bien entendu, les témoignages sont dithyrambiques. Malgré nos tentatives, impossible de savoir auprès de EyeEm combien d’utilisateurs sont réellement parvenus à vendre leurs photos. Séverine Bourlet et Franck Jamet s’accordent sur un point : pour réussir à monétiser leur travail, les photographes doivent apprendre à maîtriser les réseaux sociaux en faisant preuve d’un certain talent communicationnel. « Via ces canaux, de nouveaux talents peuvent espérer être reconnus par le public avant même de l’être par leurs pairs », estime le consultant en visual marketing. Un espoir auquel s’accroche Bálint Pörneczi. Et sa résistance à l’appel de la publicité pourrait bien finir par porter ses fruits. Ses photos Instagram ont été exposées en mars à l’Institut hongrois de Paris, il vient d’être accrédité pour le prochain Festival de Cannes, prépare un livre de sa série de portraits Figurák aux éditions Neus, et a récemment été approché par un agent de photographes. Au téléphone, Bálint se réjouit d’annoncer qu’il vient de vendre sa première photo Instagram à L’Obs : un portrait en noir & blanc de François Hollande. « Cent vingt euros ! Je suis content, c’est un bon début », s’exclame-t-il.

Assez discret jusqu’à présent, le réseau allemand EyeEm (à prononcer « I am »), inauguré en 2011, pourrait sérieusement faire de l’ombre ELGIE, ÉLECTRICIEN ET FASHION DESIGNER, PARIS. EXTRAIT DE LA SÉRIE FIGURÁK, à Instagram. Surtout auprès des QUI SIGNIFIE « BONNE TÊTE » EN HONGROIS. photographes. Pour l’instant, EyeEm ne compte que 13 millions d’utilisateurs. Mais son atout peut faire mouche : au même titre qu’une banque d’images, EyeEm Market (en collaboration avec Getty Images) permet aux marques et aux médias d’acheter les photos des utilisateurs, sans que ceux-ci perdent la propriété de leurs images. Compter 20 dollars (19 euros) par photo pour un usage numérique illimité, et 250 dollars (236 euros) pour une licence étendue (édition à plus de 250 000 exemplaires, impression sur des produits commerciaux). Sur chaque vente, l’appli ponctionne la moitié de la recette. Pour inciter ses membres


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Picture marketing, les marques se piquent d’images Instagram a converti les marques au « picture marketing ». Celui-ci leur permet de partager des photos, monter des concours et travailler avec des Instagramers influents pour un budget réduit. Le phénomène rappelle furieusement celui des blogueuses de mode, apparu il y a dix ans, au tout début du Web « social », où des jeunes femmes sponsorisées par des offices du tourisme, marques de vêtements ou de cosmétiques, en faisaient allègrement la promo sur leur blog personnel. Aujourd’hui, alors que 57 % des Français disposent d’un smartphone, la photo est devenue une langue vernaculaire d’Internet et des réseaux sociaux. Les marques ont bien compris l’enjeu. Lancé en septembre 2010, Instagram revendique 300 millions d’utilisateurs actifs mensuels, ce qui en fait le plus gros réseau social mobile au monde, devant Twitter (285 millions d’utilisateurs mensuels). Dont 5 millions en France selon Médiamétrie. Et 46 % des Instagramers suivent au moins une marque, selon l’agence Kindai. D’ailleurs, la plupart des principaux secteurs d’activité se sont « instagramés ». Avec la mode et le luxe en première place. Logique : Instagram leur permet de présenter les coulisses de leurs défilés et leurs collections. Dans la course en tête en nombre de followers, les premières maisons françaises sont Louis Vuitton (4,4 millions d’abonnés), Louboutin (4 millions) et Christian Dior (3,3 millions). Et les voyagistes (Air France, Club Med). Mais

les marques grand public de la mode (Etam, Kookaï) se sont aussi frayé un passage, comme les marques de sport (Nike), le high-tech (Samsung, Microsoft), la distribution (Fnac, Ikea), et même les banques (Société Générale, Crédit Agricole).

Un nouveau star-system Déjà, depuis début mars, certaines marques testent les premières « vraies » publicités Instagram – en fait des photos et vidéos sponsorisées (voir l’encadré). Mais les marques développent surtout des formes de communication propres au réseau social

QUAND INSTAGRAM SE MET À LA PUB Depuis le 9 mars, Air France, Yves Saint Laurent, Sephora, Guerlain et CocaCola ont pu tester en avant-première la nouvelle offre publicitaire déployée par Instagram, avec des spots de 15 secondes. Depuis, les marques peuvent insérer dans leur fil Instagram des photos et vidéos sponsorisées s’affichant clairement comme telles avec un rond bleu. Les Instagramers peuvent les commenter, ou les dissimuler s’ils les jugent intrusives.

57 % des Français disposent d’un smartphone, la photo est devenue une langue vernaculaire d’Internet et des réseaux sociaux. Les marques ont bien compris l’enjeu.


D O S S I E R

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#airmax LES FANS DE SNEAKERS FORMENT UNE COMMUNAUTÉ TRÈS ACTIVE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX. LES MARQUES ESSAIENT DE LES FIDÉLISER AVEC DES JEUX-CONCOURS, VIA DES INSTAGRAMERS INFLUENTS.

#meilleurjob ORGANISÉE PAR ETAM, L’OPÉRATION « MEILLEUR JOB D’ÉTÉ » A CONSISTÉ À FAIRE PHOTOGRAPHIER UNE FEMME EN MAILLOT DE BAIN DE LA MARQUE PAR UN INSTAGRAMER INFLUENT (QORZ, 198 000 FOLLOWERS) ET DE LES POSTER POUR FAIRE LE BUZZ.

et publient régulièrement des contenus sur leurs comptes. Pour animer leur page et leur communauté, plusieurs d’entre elles lancent des concours photo avec un hashtag dédié. Ainsi Nike organisait le 26 mars une journée pour les 28 ans de sa Nike Air Max. Quelques jours avant, une vidéo avec un modèle futuriste de la sneaker mythique circulait sur les réseaux sociaux, avec un hashtag dédié. Et des Instagramers influents organisaient un jeu-concours avec bons d’achat Nike à gagner sur leurs pages. « Les Instagramers et YouTubers sont dans cette logique où les usagers diffusent la marque. Les marques vont chercher ces nœuds de réseaux. Mais c’est une coconstruction : ces Instagramers qui ont su capter l’attention de leurs semblables, c’est un nouveau starsystem », résume Laurence Allard, maître de conférences à l’Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel (Ircav) Paris 3 et Lille 3. Ainsi, pour Samsung, l’agence Heaven a conçu des opérations dont la problématique était « comment faire pour que beaucoup de gens hashtaguent Samsung », résume son P.-D.G., Arthur Kannas. Dernière en date, l’opération Instawards, un concours photo sur Instagram. Une manière de promouvoir la qualité photo des produits Samsung.

© qorz.

Le buzz était là, le contrat était rempli Pas trop attendue sur le sujet, la marque Etam a organisé en 2014 l’opération « Meilleur job d’été ». L’agence de publicité Mazarine You to You a joué les intermédiaires et recruté le graphiste Qorz, 198 000 followers au compteur. Son job : photographier une femme en maillot de bain Etam durant trois semaines, en Californie. Résultat : en moyenne 4 000 likes et 80 commentaires par photo. « On ne sait pas quelle a été l’influence de cette opération sur nos ventes. Mais le buzz était là. Pour nous, le contrat était rempli », précise-t-on chez Etam. Si sa rétribution est inconnue, on sait que Qorz s’est vu offrir pour cette opération l’intégralité des frais de séjour. Budget marketing pour les marques ? Dérisoire à côté d’une campagne publicitaire classique, avec à la clé un discours publicitaire inédit où cette nouvelle forme de communication n’est pas signalée par les Instagramers qui la relaient.


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AGR A N DIS S EMENT

P O RT FOL IO

L’Irlande du Nord n’en finit pas de cicatriser les blessures de plusieurs décennies d’un conflit meurtrier. Constructions destinées à être réduites en cendres par les protestants pour provoquer les catholiques, les « bonfires » entretiennent une violence aussi symbolique que politique. TexTe : Éric KarsenTy – PhoTos : PhiliPPe Grollier

Philippe Grollier photographie l’Irlande du Nord depuis 2002. Portraits, paysages, reportages… il multiplie les points de vue dans une optique documentaire, n’hésitant pas à varier les formes pour rendre compte d’une réalité complexe, qui évolue lentement depuis la signature des accords de paix en 1998. Son dernier travail, Bonfires, se décline en une série de photos réalisées à la chambre 10 x 12 cm. « La première fois que j’ai vu un bonfire, c’était en 2007 », explique le photographe. Ces monuments éphémères issus d’une tradition populaire balisent le paysage d’Irlande du Nord pendant quelques jours avant d’être embrasés dans la nuit du 11 au 12 juillet www. pour commémorer la victoire de Guillaume III d’Orange sur Jacques II d’Angleterre, dernier philippegrollier.com roi catholique, le 12 juillet 1690. Acte politique de la communauté protestante (loyalistes pro-anglais), ces gigantesques torches allumées au sommet des collines auraient guidé les troupes victorieuses. Côté catholiques, si on a longtemps répondu aux bonfires protestants par d’autres feux similaires, cette bataille symbolique s’est progressivement éteinte depuis la signature des accords de paix et le désarmement de l’IRA (Armée républicaine irlandaise, catholique). Pourtant les bonfires protestants continuent à être érigés, cristallisant les provocations des loyalistes qui n’hésitent pas à y brûler les drapeaux et les symboles irlandais. « J’y ai même vu des photos de Bobby Sands, membre de l’IRA, mort le 5 mai 1981 après 66 jours de grève de la faim, précise Philippe Grollier. Certains bonfires, particulièrement impressionnants, atteignent la hauteur d’un immeuble de dix étages. » Souvent évoquée, leur interdiction est encore loin d’être décidée. Photographiés d’une manière systématique et frontale, les bonfires de Philippe Grollier font penser aux séries de Bernd et Hilla Becher, précurseurs de l’École de Düsseldorf. « J’ai aussi pensé à Ansel Adams et à l’influence de Stephen Shore, l’un des photographes qui comptent beaucoup pour moi », avance l’auteur. Des images pas toujours faciles à réaliser en raison de l’alcoolisation des bâtisseurs, qui va grandissante au fil des heures, et de leur méfiance maladive envers les étrangers et « ceux d’en face » qu’un simple accent peut trahir. Bien que certains d’entre eux soient flattés par les clichés pris les années précédentes par Philippe Grollier, qui ne détaille pas son point de vue pour préserver son intégrité, le sens de lecture des images conserve son potentiel détonnant. Ces pyramides éphémères demeurent, derrière leur magnificence, les symboles d’une violence intercommunautaire que les photographies dénoncent.







MISE AU POINT


M IS E AU

POINT

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SOCIÉTÉ

C’est un raz de marée technologique annoncé. La réalité virtuelle, dispositif qui plonge le spectateur au cœur de vidéos, va bouleverser le monde de l’image. L’industrie du porno, qui y voit sa prochaine poule aux œufs d’or, pourrait bien accélérer la démocratisation de ce support. TexTe : Dorian ChoTarD

Porno et réalité virtuelle, une liaison ardente

© ShuTTerSToCk.

Quiconque enfile un casque de réalité virtuelle pour la première fois bascule dans une autre dimension : celle des gens qui croient avoir vu l’avenir. L’expérience offerte par ce système d’immersion dans une vidéo à 360 degrés est si saisissante qu’il est difficile de ne pas imaginer qu’on trouvera très prochainement des casques de réalité virtuelle dans chaque foyer. « Les sceptiques sont ceux qui n’ont pas encore testé », tranchent les plus fervents adeptes de la VR (pour « virtual reality »). La technologie est prête, son avènement auprès du grand public semble imminent (lire l’encadré page suivante). L’industrie du divertissement a commencé le développement de productions adaptées : jeux vidéo, fictions, clips ou documentaires, tout est possible dans ce nouveau champ d’expérimentations visuelles.

Quid des contenus pornographiques ? La question n’a rien de futile. L’industrie du X a souvent joué un rôle moteur dans l’adoption de nouveaux supports. « La première VHS vendue en France en 1983 était un film X de Marc Dorcel, raconte Gérome Lorenzo, journaliste à Hot Vidéo. Les ventes de magnétoscopes ont explosé en même temps que celles des K7 pour adultes, c’est l’âge d’or du porno des années 1980 et 1990. » La même alchimie s’est répétée à l’apparition du DVD et d’Internet. « Marc Dorcel avait lancé sa plate-forme de vidéo à la demande en 2002, soit trois ans avant la création de YouTube, rappelle Ghislain Faribeault, vice-président média des éditions Marc Dorcel, leader européen de la production pour adultes. Dans ce milieu, il faut s’adapter pour survivre, donc le porno

a toujours un train d’avance. » Sauf que de nouveaux acteurs du Web ont fini par changer la donne : « Depuis l’arrivée des tubes de vidéos gratuites au milieu des années 2000, les gens n’ont plus l’habitude de payer pour mater du X, affirme Gérome Lorenzo. Les producteurs ont donc beaucoup moins de moyens qu’avant. » L’éclosion de la VR est-elle une aubaine pour le milieu du X ? Le porno va-t-il contribuer à une propagation rapide de la réalité virtuelle ? EXPÉRIENCE SEXUELLE IMMERSIVE

C’est ce que les professionnels du secteur imaginaient pour les télés 3D quand elles sont apparues, il y a quelques années. « Tout le monde a cru que les gens allaient s’équiper


© ShuTTerSToCk.


M IS E AU

et que ça relancerait l’industrie du X. Partout, ça tournait en 3D. C’était la folie, se souvient Gérome Lorenzo. Au final, ça a été un pétard mouillé. La 3D n’a pas pris, le porno n’a pas suffi à la populariser. À cause de cet épisode, les producteurs se montrent un peu plus frileux face à la réalité virtuelle et préfèrent attendre que les gens s’équipent avant d’investir dans des contenus. » Rédacteur en chef du webzine spécialisé Le Tag Parfait, Stephen des Aulnois reste lui aussi nuancé : « Le porno ne fait pas la pluie et le beau temps en matière de nouvelles technologies, mais c’est toujours un plus. C’est une industrie pragmatique et réactive qui peut se déployer très vite sur le marché de la VR à la conquête de nouveaux clients. » À l’heure actuelle, plusieurs « expériences sexuelles immersives », comme les appelle Stephen, ont déjà été tournées. Rendez-vous est pris avec lui pour une démonstration dans les locaux de Blackship, une société de production parisienne. Romain Vissol, l’un des associés, nous accueille et configure le casque dans une salle de montage. Pionnier en la matière, le studio espagnol Virtual Real Porn propose des clips filmés à 180 degrés qui mettent le spectateur dans la peau d’un homme ou d’une femme dans des scènes hard d’une demi-heure. C’est parti pour une séance de projection pendant laquelle le casque passe de tête en tête. Une heure plus tard, les avis sont unanimes : c’est terriblement efficace. Surtout quand la sensation de réalité est subtilement exploitée : voir une fille s’approcher à deux centimètres de son visage et avoir l’impression de pouvoir l’embrasser sur le champ est encore plus troublant que l’acte sexuel qui suit. « Quand le porno immersif se sera démocratisé, je pense que ce sera très dur de revenir à des vidéos normales », conclut Romain à l’issue du test. Lui-même est en pleine phase d’écriture d’un projet en réalité virtuelle. « Comme beaucoup de boîtes en ce moment, on cherche à produire un court-métrage en VR qui sera une vitrine de notre savoir-faire. » Dans un premier temps, il ne s’agira pas de sexe. Mais plus tard, qui sait ? « J’avoue que le porno nous titille un peu. Tous ceux qui développent des projets en réalité virtuelle comprennent que les jeux vidéo et le porno sont d’excellents filons. Ce sont à la base des expériences qui vous plongent dans un autre point de vue, donc c’est très cohérent avec ce nouveau média. » Stephen, qui ambitionne de réaliser avant la fin de l’année « la vidéo en

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SOCIÉTÉ

réalité virtuelle la plus excitante, perverse et vicieuse possible », renchérit : « L’autre avantage du porno, c’est que le niveau d’exigence du spectateur est moindre, ça marche à tous les coups. Un gros studio hollywoodien prendrait beaucoup plus de risques à se lancer dans une fiction à gros budget si derrière les spectateurs ne suivaient pas. » RENDRE L’ILLUSION PARFAITE

Stephen et Romain évoquent ensuite les contraintes techniques de la VR (il n’existe pas encore de standard idéal pour filmer à 360 degrés) et les façons d’exploiter les nouvelles possibilités de narration, d’écriture et de mise en scène induites par ce nouveau système. Comment gérer le fait que le spectateur soit immergé dans une autre réalité tout en restant physiquement immobile ? Comment ne pas perturber le cerveau de l’utilisateur pour rendre l’illusion parfaite ? Au-delà du porno, nous sortons de cette table ronde improvisée avec l’idée que les casques risquent de changer radicalement notre façon de consommer des vidéos. C’est vertigineux, tous les contenus sont potentiellement à réinventer. Chez Marc Dorcel aussi, on tâtonne. « Nous avons tourné quelques tests de vidéo à 360 degrés et nous continuons nos essais, mais ce n’est pas encore satisfaisant, explique Ghislain Faribeault. Notre objectif n’est pas de sortir quelque chose au plus vite pour faire le buzz, mais d’offrir un contenu de qualité. » À l’affût de toutes ces évolutions pour Hot Vidéo, Gérome Lorenzo estime, quant à lui, que nous ne sommes qu’au début de l’histoire : « À long terme, l’industrie du sexe voit déjà plus loin et imagine le développement de sex-toys connectés et de robots partenaires sexuels. » La réalité virtuelle, porte ouverte à tous les fantasmes…

« Tous ceux qui développent des projets en réalité virtuelle comprennent que les jeux vidéo et le porno sont d’excellents filons. » QUAND EST-CE QU’ON CASQUE ?

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C’est la société Oculus, rachetée par Facebook l’an dernier pour deux milliards de dollars, qui a relancé en 2012 l’engouement pour la réalité virtuelle. L’annonce officielle se fait attendre, après deux modèles destinés aux développeurs, une version grand public de leur casque ne serait pas disponible avant 2016 [1]. En collaboration avec Samsung, Oculus a aussi développé un casque qui fonctionne avec un smartphone sans être branché à un ordinateur. Le Gear VR [2] est commercialisé en France pour 199 euros. L’idée a inspiré plusieurs fabricants qui proposent des produits similaires à des tarifs très abordables. De quoi tester la réalité virtuelle à moindres frais. L’outsider surprise a été annoncé en mars. Il s’agit d’un casque développé par le fabricant taïwanais HTC et le studio de jeux vidéo américain Valve [3]. Enfin, Sony travaille sur un casque compatible avec la console PS4 pour début 2016 [4].


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M IS E AU

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PORTFOLIO

Une mission photographique initiée par le festival ImageSingulières et le site Mediapart propose de dresser un portrait de la France sur trois ans. Premier bilan d’étape et premières images depuis le début de l’aventure. TexTe : Éric KarsenTy

La France vue d’ici

Lancé en septembre 2014, La France vue d’ici est un projet un peu fou, initié par un festival photo consacré à la photographie documentaire, ImageSingulières, à Sète, et un site d’information indépendant, Mediapart, pour tirer le portrait de la France d’aujourd’hui. Réalisé sur trois années par une trentaine de photographes et de journalistes, ce reportage racontera les mutations à l’œuvre dans la société hexagonale, à la veille de la prochaine élection présidentielle, avec comme horizon une exposition et un livre en 2017. Une campagne de financement participatif a permis de récolter 24 000 euros, afin de financer neuf photographes et une journaliste et d’ouvrir le site Internet. Une première esquisse de ce travail sera exposée lors de la prochaine édition d’ImageSingulières, du 13 au 31 mai 2015. Pour assurer la continuité et permettre à de nouveaux photographes de travailler sur le sujet, une deuxième campagne de financement est lancée. Ces derniers seront choisis à la suite

d’un appel à candidatures, le jury étant composé de personnalités du monde économique et social, de cinéastes, d’auteurs, d’enseignants, de journalistes et de photographes. Le site Web, qui permet de voir les séries réalisées et de suivre celles en cours, donne aussi la possibilité aux photographes d’échanger avec le public et de bénéficier d’aides ponctuelles pour réaliser leurs reportages. Informations, hébergement ou aide matérielle et logistique, tout ce qui leur permet de travailler dans de meilleures conditions est bon à prendre. Pour les prochains sujets, Gilles Favier, le créateur du festival ImageSingulières à l’origine du projet, n’exclut pas de donner des directions de travail pour affiner et diversifier les images à venir. Les ravages de l’amiante, les grands problèmes sanitaires, la France vue du train… autant de voies à explorer. Le modèle de La France vue d’ici se réfère à la mission menée aux États-Unis, de 1935 à 1942, par la Farm Security Administration

(FSA), qui a produit un ensemble d’images devenues mythiques, signées notamment par Walker Evans, Dorothea Lange, Ben Shahn et d’autres. On peut aussi citer, plus près de nous, la mission de la Datar, de 1984 à 1989, destinée à « représenter le paysage français des années 1980 », le collectif Facing Change: Documenting America, qui en 2009 s’était donné pour mission de dresser un portrait sans concession des États-Unis par des photographes, des écrivains et des journalistes, ou encore l’opération France[s] Territoire Liquide commencée en 2011 (lire Fisheye n° 8). Documenter, raconter, montrer, expliquer… le projet de La France vue d’ici est courageux, ambitieux et généreux. Nous vous en livrons ici les premiers extraits, mais l’aventure continue. Elle est à suivre, à aider et à faire connaître à travers son site Internet.

www.lafrancevuedici.fr

© raphaël helle / signaTures.

« LE CHANGEMENT, C’EST MAINTENANT » ÉTAIT LE SLOGAN DE CAMPAGNE DE FRANÇOIS HOLLANDE POUR L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE DE 2012. À SOCHAUXMONTBÉLIARD, FIEF DE PIERRE MOSCOVICI QUI A ÉTÉ SON DIRECTEUR DE CAMPAGNE, CERTAINS L’ATTENDENT ENCORE, LE CHANGEMENT.


© raphaël helle / signaTures.

Sochaux est le plus ancien et le plus grand site industriel français de PSA, et la capitale de l’automobile. Le projet de Raphaël Helle est de rencontrer les ouvriers, de les écouter et de les photographier. Une manière de les rendre visibles et audibles.

PASCALINE TRAVAILLE EN DEUX-HUIT. ELLE ALTERNE LES SEMAINES DU MATIN, QUAND ELLE COMMENCE À 5 H 21 ET TERMINE À 13 H 10, AVEC LES SEMAINES DE L’APRÈS-MIDI, DE 13 H 10 À 21 H 12.

LE TRAVAIL DE FRED REQUIERT EXPÉRIENCE ET INTUITION. LORSQU’UNE PANNE EST SIGNALÉE SUR LES CIRCUITS DE FLUIDES (HUILE, ESSENCE, EAU…), ON LUI AMÈNE LA VOITURE ET IL DOIT RÉSOUDRE LE PROBLÈME EN QUELQUES MINUTES.

MOMENT DE PAUSE POUR ROMAIN, OPÉRATEUR À LA FINITION MONTAGE DE LA PEUGEOT 308. LUI DIT « ESCLAVE » ET NON « OPÉRATEUR MONTAGE ».


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R É V É L AT E U R

ÉCONOMIE

Alors que le numérique a révolutionné l’industrie de la photo, on trouve encore de nombreux îlots de résistance pour faire vivre l’argentique. Fabricants de films et d’appareils photo, labos, nostalgiques de procédés anciens ou amoureux du vintage et des procédés instantanés… autant de passionnés qui s’attachent à faire vivre des pratiques encore bien présentes. TexTe : Sylvie HugueS – illuSTraTionS : MaTTHieu DaviD

L’argentique fait de la résistance En février dernier, un accord historique a été signé entre Kodak et les studios de Hollywood afin de pérenniser la pellicule argentique cinéma. Fruit d’un intense lobbying mené par trois réalisateurs américains – Quentin Tarantino, Christopher Nolan et J. J. Abrams –, cette entente a permis de sauver le site de production de la marque américaine, dernier acteur du marché, Fujifilm ayant jeté l’éponge en 2013. Le numérique a supplanté l’argentique dans le domaine du cinéma à une vitesse vertigineuse et, depuis 2006, les ventes de pellicules ont chuté de 96 % ! Or les industries du cinéma et de la photographie sont étroitement liées. Les films, qu’ils soient destinés à être projetés dans les salles ou chargés dans les appareils photo, sortent des mêmes sites de fabrication. Il s’en est fallu de peu que la mythique Kodak Tri-X 400 noir & blanc ou que la populaire Portra 400 couleur deviennent des vestiges du passé. LA MODE DE L’INSTANTANÉ

Si Fujifilm a abandonné le marché du cinéma, en revanche ses films instantanés Instax, surtout ceux de la gamme Mini, connaissent un succès étonnant depuis deux ans. À Noël dernier, en France, la marque n’a pu répondre à la demande pour la deuxième année consécutive. « La croissance dépasse les 300 % », confirme Franck Portelance, responsable des relations extérieures chez Fujifilm France. Et depuis 2013, le phénomène prend de l’ampleur, ce qui a conduit la firme nippone à ouvrir une nouvelle ligne de production au Japon. Fujifilm envisage même, pour février 2016, d’avoir quatre nouvelles unités opérationnelles. Effet de mode ou phénomène durable ? À voir. En parallèle, The Impossible Project, marque lancée par les anciens ingénieurs de Polaroid, vient de fêter ses 5 ans. Preuve qu’on peut durer dans le domaine de l’instantané !


R É V É L AT E U R

À L’HEURE OÙ TOUT VA TROP VITE, L’ARGENTIQUE PERMET DE REVENIR À UNE PHOTO OÙ ON PREND SON TEMPS, OÙ ON EST VRAIMENT PHOTOGRAPHE ET PAS UN PHOTOSHOPEUR.

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ÉCONOMIE

Églantine Aubry, responsable du magasin de la rue Charlot, à Paris, nous précise que l’usine située aux Pays-Bas a sorti un million de films en 2014 (contre 900 000 en 2013). « Et on n’est pas loin d’avoir tout vendu », confie-t-elle. En France, la demande se tasse un peu, mais en Angleterre et aux États-Unis, l’engouement est réel. Seul souci, selon Églantine : « Nos films instantanés 600 couleur se développent en trente minutes, c’est encore trop long. Mais avec le BW600 Generation 2.0 qu’on vient de lancer, on retrouve la magie de l’instantané. Ce film est très proche du Pola d’origine, l’image ne met que trois minutes à apparaître. Et nous sortons un nouvel appareil en fin d’année ! » Bref, le film au format carré et aux marges blanches garde un charme unique qui séduit des utilisateurs de plus en plus nombreux. NOIR & BLANC TOUJOURS VIVANT

Si on s’intéresse au marché du film classique, on s’aperçoit qu’il se vend encore plus de 200 millions de pellicules dans le monde, dont plus d’un million en France. Ce n’est pas rien ! Le noir & blanc ne représente que 10 % du marché, ce qui ne décourage pas les passionnés. Aurélien Le Duc, jeune entrepreneur de 33 ans, fondateur du site labo-argentique.com, vient même de racheter la marque de produits noir & blanc Bergger et compte lancer un nouveau film, le Pancro 400 ISO, très prochainement : « Je crois que l’avenir de l’argentique est dans les petites structures. Kodak et Fuji souffrent du fait que leurs usines sont surdimensionnées par rapport à ce qu’est devenu le marché. En ce qui concerne le noir & blanc, c’est en train de repartir. Ilford, qui détient 99 % du marché du papier argentique noir & blanc, a annoncé que ses ventes avaient augmenté au niveau mondial depuis un an et demi. » La chimie, les films 120 et grand format, eux, se maintiennent. C’est la pellicule 24 x 36 qui a été le plus fortement concurrencée par le numérique, en particulier la pellicule couleur amateur. Les Kodacolor et Fuji Superia qu’on trouvait en supermarché sont les plus menacées. Anne-Laure Vaquette, business manager chez Kodak Alaris (société qui a repris sous licence les solutions d’impression et consommables de Kodak) confirme : « On note un regain d’intérêt pour le film, surtout sur la partie professionnelle – films Portra négatifs couleur, Tri-X et T-Max. Les jeunes qui n’ont pas connu l’argentique découvrent que la pellicule leur permet d’exprimer une vraie p e r s o n n a l i t é, d e

donner une patte à leurs images. La mode du vintage nous aide bien. À l’heure où tout va trop vite, l’argentique permet de revenir à une photo où on prend son temps, où on est vraiment photographe et pas un photoshopeur. » Apparemment le noir & blanc argentique ne risque pas de disparaître. Trois usines en Europe continuent à fabriquer du film et du papier noir & blanc : Foma en République tchèque, Harman en Angleterre, et InovisCoat en Allemagne. Harman Technology (qui détient Ilford) a même annoncé pour 2014 des résultats en croissance, ça faisait des années qu’on n’avait pas vu ça ! Et une grande enquête commandée par Ilford en 2013 a confirmé que plus de 30 % des acheteurs de films noir & blanc avaient moins de 30 ans, ce qui donne de l’espoir pour l’avenir. Seul problème, les prix de ces films, papiers et chimie ont pris un sérieux coup de chaud ces dernières années, ce qui freine d’autant le développement de la pratique argentique. 100 ANNÉES DE PLUS

Chaque mois, il se murmure que Kodak et Fuji seraient tentés d’arrêter la production de films argentiques. Alors, face à ce risque, deux Italiens, Nicola Baldini et Marco Pagni, des réalisateurs venus du cinéma, ont redécouvert l’usine Ferrania laissée à l’abandon. Créée en 1923 et située dans le nord de l’Italie,

APPAREILS ARGENTIQUES

Affirmer que l’argentique fait un grand retour au niveau des appareils photo serait un mensonge. Au-delà de l’univers vintage de la Lomographie et des autres toy cameras, si on regarde les ventes de matériel photo neuf, la messe est dite : le capteur au silicium a laminé les appareils à film. Seul Leica a osé sortir un appareil argentique en 2014, le Leica M-A (sans cellule !), mais son prix – près de 4 000 euros, boîtier nu – le destine à une clientèle fortunée. Nikon conserve encore deux reflex argentiques à son catalogue, un F6 et un FM10, ce dernier est en réalité fabriqué par Cosina. Cosina qui fabrique toujours les Voigtländer Bessa R3 et R4. Sur le marché du neuf, on peut encore trouver des chambres grand format. Reste l’immense marché de l’occasion qui permet de s’équiper avec des bons boîtiers à des prix raisonnables et en bon état.


LABO


LABO

C AMÉRA TEST

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Le printemps est là, les fleurs bourgeonnent et les oiseaux gazouillent. L’occasion pour Fisheye de se pencher sur la macrophotographie avec le Muséum national d’histoire naturelle. TexTe eT phoTo : Marie abeille

Diane et Martin Testeurs des champs

Martin, 25 ans — Martin a grandi en pleine campagne dans le sud de l’Ardèche. Après des études de biologie, il s’est dirigé petit à petit vers la biologie de la conservation et s’est intéressé à la biodiversité en milieu urbain. Il travaille aujourd’hui au Muséum national d’histoire naturelle dans le cadre de sa thèse sur les relations entre les espèces et leur habitat. Côté photo, Martin a acquis, il y a quelques années, un compact expert Panasonic LX3 avec lequel il s’est mis à tout photographier, principalement pour documenter des bases naturalistes personnelles. Depuis, il a étoffé son équipement avec un Nikon D7000, un 35 mm

et un 100 mm Macro, auxquels s’ajoutent un 80-200 mm f/2,8 et un 500 mm f/8 pour la photo animalière, et une dizaine d’appareils argentiques, dont un Rolleiflex qu’il adore et un Olympus OM-1 acheté à son arrivée à Paris pour s’adonner à la photo de rue. Diane, 26 ans — Diane est née à Lyon où elle a suivi un Master 2 en écologie avant de s’installer à Paris en 2013. Ingénieure écologue, elle travaille dans le même laboratoire de recherche que Martin, où elle élabore des indicateurs de biodiversité à partir de données de sciences participatives. Côté matos, elle possède un Canon 450D – qu’elle associe selon les situations à

l’optique de kit 18-55 mm, à un objectif fish-eye ou à un 90 mm Macro –, un petit compact numérique, un Polaroid, un Diana F+ de Lomography et un vieil appareil Voigtländer. Nos deux testeurs du Muséum baignent dans la macrophotographie, à travers leur amour de la nature, mais aussi via le programme Spipoll mis en place par leur laboratoire pour le suivi photographique des insectes pollinisateurs, un réseau participatif sur lequel les photographes des quatre coins de la France postent leurs images d’insectes en plein butinage afin de récolter et d’analyser un maximum de données (www.spipoll.org).


SENSIBILITÉ


S ENSIBILITÉ

Ryoji Ikeda : la science des sons

ART VIDÉO

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Invité jusqu’au 31 mai par la Vinyl Factory de Londres à présenter « supersymmetry », une exposition produite l’année dernière au Lieu unique de Nantes, l’artiste japonais Ryoji Ikeda y poursuit son obsession : questionner les frontières entre les objets sonores et visuels, entre la science et les arts.

© Ryoji ikeda, photo paR Ryuichi MaRuo, couRtesy kyoto expeRiMent.

texte : MaxiMe delcouRt

La scène se passe à New York en novembre 2011. Invité à expliquer les éventuels concepts cachés derrière ses œuvres, l’artiste Ryoji Ikeda tend son doigt vers l’extérieur et s’exclame : « This is everything ! » Convaincu par ce qu’il est en train de démontrer, il ajoute, un léger sourire au coin des lèvres : « Je ne veux vraiment pas parler d’un quelconque concept. Tout simplement parce qu’il n’y en a pas. » Rapportés par le New York Observer, ces mots en disent long sur le rapport du Japonais avec la pratique artistique, lui qui a presque toujours refusé d’accorder des entretiens à la presse. Non par snobisme, mais parce qu’il préfère laisser son travail ouvert à l’analyse et à l’interprétation, parce que le spectateur se doit d’être confronté à « une infinité de réponses ». Pour tenter de comprendre un personnage aussi avare en confidences biographiques et techniques, il faut donc remonter aux origines. Artiste sonore et visuel né au Japon en 1966, Ryoji Ikeda, qui vit aujourd’hui à Paris, est repéré dès les années

projet matrix et le prix Giga-Hertz dans 1990 grâce à une série de disques RYOJI IKEDA, le cadre de Sound Art 2012 au ZKM de expérimentaux publiés par des labels SUPERSYMMETRY / EXPERIENCE, Karlsruhe pour sa publication cyclo.id exigeants – CCI, qu’il a créé, Touch, AUDIOVISUAL en collaboration avec Carsten Nicolai –, Staalplaat et Raster-Noton –, et sous INSTALLATION, 2014. il a surtout parcouru le monde : Payshaute influence de Terry Riley et Steve Reich. Des débuts assez confidentiels donc, pour Bas, Finlande, Turquie, Espagne, États-Unis… un artiste qui entreprend rapidement de confron- Autant d’occasions d’explorer la capacité du ter sa passion pour le DJing à d’autres pratiques spectateur-auditeur à percevoir les données artistiques. Chacune de ses œuvres-installations informatiques qui pénètrent jour après jour notre ayant pour but d’aller « au-delà des limites de quotidien (la série datamatics), et de développer la rationalité et de la cognition humaine, à la certains de ses projets sous plusieurs angles : recherche d’une beauté dépouillée et sublime », test pattern [n°4], par exemple, est à la fois un comme le souligne John Zeppetelli, directeur du album, un concert audiovisuel et une exposition. musée d’Art contemporain de Montréal. Depuis la fin du XXe siècle, les compétences affichées sur DES ATOMES, DES PARTICULES ET son CV ne font d’ailleurs que confirmer davantage DE LA MUSIQUE ÉLECTRONIQUE l’importance et la singularité de Ryoji Ikeda au sein de l’art contemporain. S’il a longuement En quête de transversalité, Ryoji Ikeda est collaboré avec le collectif multimédia japonais aussi de ces personnes qui peuvent se vanter Dumb Type et reçu différents prix – le Golden d’avoir rendu cool les mathématiques, d’avoir Nica Award à Ars Electronica en 2001 pour son abordé avec brio la mécanique quantique à


Massimo Siragusa


Massimo Siragusa nous fait découvrir son Italie, loin des clichés de l’habituelle « dolce vita ». Il faut dire que cet éternel voyageur a eu l’occasion dans sa carrière de reporter de parcourir toute la géographie transalpine, des bords de mer aux chaînes montagneuses, sans oublier de faire escale dans les cités célèbres. Il parvient à nous en rapporter des images poétiques saturées de lumière, des étendues rêveuses où l’œil se plaît à vagabonder. Des images qui redessinent l’espace et le transforment en scènes d’un théâtre imaginaire, dont il nous fait spectateurs pour notre plus grand plaisir. Ce travail sera exposé dans le cadre du festival de La Gacilly, du 5 juin au 30 septembre 2015. Il fait aussi l’objet d’un livre, Teatro d’Italia, Éric Karsenty publié aux éditions Contrasto. www.massimosiragusa.it




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S EN S IB ILITÉ

GRAPHISME

Le festival Chaumont design graphique est l’un des principaux rendez-vous du graphisme, en France et dans le monde, depuis vingt-cinq ans. À l’occasion de sa prochaine édition, du 27 mai au 14 juin 2015, son directeur artistique, Étienne Hervy, décrypte pour nous quatre productions. ProPos recueillis Par Éric Karsenty

Journées européennes du patrimoine, 2013, par Building Paris

« Depuis deux ans, nous confions l’affiche des Journées européennes du patrimoine pour Chaumont au studio Building Paris – Guillaume Grall et Benoît Santiard. Ils convoquent le patrimoine graphique de la ville : son blason, une typographie conçue pour Chaumont par The Entente [studio de graphisme et design anglais, ndlr] dans une affiche en deux couleurs présentées seules ou ensemble. La

composition, très lisible, n’est pas sans rappeler celles des non-affiches à proximité des grandes surfaces. Malgré cette ironie complice, ou grâce à elle, les gens ont adhéré à l’affiche et à l’événement. Parfois, il faut accompagner un projet. Là ça n’a pas été nécessaire : tous ont compris que regarder le patrimoine implique de questionner l’actualité de l’espace public. »

© building Paris. © Vincent Perrottet et anette lenz. © susanna shannon et Étienne herVy.

Chaumont à l’affiche


S ENSIBILITÉ

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GRAPHISME

Droit de citation, exposition d’affiches anciennes 2014

Affiches du Nouveau Relax 2012 par Vincent Perrottet et Anette Lenz « Quand Chaumont, la capitale de l’affiche, a rouvert son théâtre, la municipalité a demandé au nouveau directeur de confier sa communication à des graphistes de renom. Ce dernier était réticent à cause du budget qu’il craignait de voir s’envoler, et parce qu’une campagne de presse accusait le théâtre d’élitisme. Lauréats de l’appel d’offres, Vincent Perrottet et Anette Lenz ont choisi les codes graphiques de la presse quotidienne régionale, populaires par excellence, pour construire un programme imprimé en rotative. Ils ont ensuite réalisé des affiches en travaillant avec le photographe municipal : paysages, groupes (l’équipe de volley, les commerçants, etc.), portraits… Le duo est intervenu sur les images en ajoutant typographie et couleurs. Lors de l’exposition rétrospective, ce sont eux-mêmes que les gens venaient voir sur les affiches. »

LE GRAPHISME INVESTIT LA VILLE Chaumont, en Haute-Marne, est placé sous le signe du graphisme grâce à un député, Gustave Dutailly, qui a légué à sa ville en 1905 une étonnante collection de 5 000 affiches. Afin de valoriser et compléter ce

« Les 5 000 affiches anciennes du fonds historique de la ville sont réputées pour avoir plus de valeur que leurs 45 000 parentes contemporaines. Sans doute parce que des signatures comme celles de Toulouse-Lautrec ou de Pierre Bonnard rassurent. Sans doute aussi parce qu’elles se comprennent plus facilement, et qu’il y a de la beauté et du plaisir à les regarder, quand aujourd’hui certaines affiches sont plus complexes à déchiffrer. Dans cette exposition, chaque affiche ancienne était encadrée par deux créations contemporaines au même format. Pour celle de gauche, un graphiste devait réinterpréter le texte original sans connaître l’affiche historique. Sur celle de droite, en revanche, un second graphiste devait la commenter visuellement à travers une création pouvant servir d’affiche d’annonce à l’exposition même. Outre la présentation des affiches anciennes, les triptyques permettaient à chacun de porter son goût vers l’ancien ou le contemporain. Si les affiches anciennes ont été appréciées, nombreux sont ceux qui ont préféré les créations contemporaines. Cette démarche visait à montrer que les affiches actuelles reçoivent une exigence comparable à celles d’antan. »

fonds, la municipalité a créé, en 1990, le premier Festival de l’affiche, qui s’est ensuite ouvert à toutes les formes de graphisme. Les concours qui s’y tiennent chaque année attirent des étudiants des écoles françaises et européennes, drainent 15 000 visiteurs durant trois semaines, et permettent d’enrichir les collections d’affiches qui dépassent aujourd’hui

Journal quotidien La Life 2012 et 2014, par Susanna Shannon et Étienne Hervy « La Life est un projet que nous avons développé avec Susanna Shannon, directrice artistique ayant collaboré avec Libération et Les Inrockuptibles. Lorsqu’elle a récupéré auprès de l’imprimeur les plaques offset d’un de ses livres (elle édite chaque année un agenda), nous avons utilisé ce matériau pour construire une cabane abritant un traceur : le local de La Life, plus petit quotidien du monde, édité exclusivement pendant le festival et publié chaque jour à 14 heures précises, via une imprimante Riso. En une quinzaine de jours, nous avons imprimé 120 000 pages. L’impact a été énorme : les graphistes venaient chaque jour chercher leur journal, les élus voulaient voir ce qu’il s’y écrivait avant de s’y intéresser réellement… Nous avons demandé à Ed Fella, pape postmoderne, d’être notre correspondant permanent en Californie et de nous envoyer une image chaque jour. Ultra-locale, La Life a été sélectionnée au Type Directors Club de New York. »

les 45 000 pièces. Au-delà de l’aspect historique et patrimonial, Chaumont est avant tout un lieu de création où le graphisme d’auteur investit la ville et interpelle le public par des initiatives originales. En 2016 sera inauguré un lieu permanent dédié au design graphique. cig-chaumont.com


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S EN S IB ILITÉ

PROJET WEB

La meilleure façon de découvrir une ville étrangère, c’est sans doute à travers le regard de ses habitants. Lucie Bascoul et Charles-Antoine de Sousa ont donc demandé à des inconnus à l’autre bout du monde de photographier leur environnement et en ont fait un webdocumentaire. TexTe : Marie Moglia – PhoTos : local eyes

Local Eyes Une autre manière de voyager

Tout a commencé par des photos de voyage d’amis partis en Bolivie et en Alaska. Séduits par les images, Lucie Bascoul et Charles-Antoine de Sousa ont à leur tour rêvé d’évasion. Et ces rêves leur ont donné envie de partager le quotidien des habitants de ces régions lointaines qu’ils voulaient découvrir. Féru de photographie, ce jeune couple de graphistes a imaginé un projet alliant leurs passions pour l’image et pour les voyages : envoyer des appareils photo jetables à des locaux des deux Amériques pour qu’ils photographient ce qu’un touriste ne pourrait observer, et aller sur place pour les rencontrer et récupérer les images. C’est ainsi que Local Eyes est né. AVENTURE ESTHÉTIQUE ET DOCUMENTAIRE

Il aura fallu un mois et demi à Lucie et Charles-Antoine pour trouver les vingt inconnus acceptant de se prêter au jeu, et définir ainsi leurs destinations. « Ça a été la partie la plus complexe », explique le jeune homme. C’est en sollicitant leurs connaissances via les réseaux sociaux que les deux baroudeurs ont tissé leur toile et trouvé les protagonistes de leur périple. Juin 2014, un mois avant de rejoindre les

Amériques, ils expédient enfin la vingtaine d’appareils photo jetables. « Si tout le monde a le même appareil, alors tout le monde est au même niveau. C’est un objet ludique et ça limite le nombre de photos. Puis ça donnait une cohérence globale à l’esthétique de notre projet », précise Lucie. Car c’est finalement le choix du jetable qui confère à cette écriture une force émotionnelle associant esthétique et documentaire. L’appareil photo jetable évoque les souvenirs, et les images qu’il saisit sont d’autant plus précieuses qu’elles sont uniques. « C’était une prise de risque, car on ne savait pas du tout ce que rendraient les pellicules », ajoute l’initiateur du projet. Et l’aventure ne s’est pas déroulée sans incident. Charles-Antoine évoque avec amusement cette tribu quechua, au Pérou, qui n’avait pris qu’une seule photo « parce qu’ils n’avaient pas remarqué la molette à tourner pour passer à la vue suivante ». Ou encore ces Brésiliens qui n’ont reçu les appareils qu’une semaine ou deux avant que les deux complices ne débarquent. L’autre difficulté, c’était aussi

cette impression « d’en demander trop. Sur place, on logeait chez eux, on les filmait, on les interviewait », révèlent Lucie et Charles-Antoine. FAIRE PARTIE D’UN TOUT

Local Eyes, c’est une aventure aussi spontanée et surprenante qu’elle est réfléchie et organisée. La réussite du projet reposait essentiellement sur la qualité des photos recueillies, car « les pellicules ont dû endurer le soleil, l’humidité, les rayons X aux aéroports… », précise Charles-Antoine. Le rendu final étonne par sa cohérence. Ce qui ressort de chaque cliché, c’est un attachement profond de chacun à son lieu de vie. Et surtout une envie de partage : « Ce qui a été génial aussi, c’est qu’une fois le documentaire en ligne, les locaux se sont découverts les uns les autres et se sont rendu compte qu’ils faisaient partie d’un tout. » Expérience inédite de voyage, aventure humaine et numérique, Local Eyes est un documentaire unique, nostalgique et terriblement inspirant.

www.localeyesproject.com


KENDRA ANCHORAGE ALASKA ÉTATS-UNIS

ELLIOT FAIRBANKS ALASKA ÉTATS-UNIS

BRYAN VANCOUVER CANADA

ANDREIS SANTA CRUZ BOLIVIE

HERMINIA RIO DE JANEIRO BRÉSIL

KENDRA ANCHORAGE ALASKA ÉTATS-UNIS

LYARA CAMPO GRANDE BRÉSIL

JORDAN SENDA VERDE BOLIVIE

LILY PORTLAND ÉTATS-UNIS

RYAN BELLINGHAM ÉTATS-UNIS

KATHRYN SEATTLE ÉTATS-UNIS

HENRIIQUE SAO PAULO BRÉSIL

ALBERTO CUZCO PÉROU

JORDAN SENDA VERDE BOLIVIE

JABEZ HOMER ALASKA ÉTATS-UNIS


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S EN S IB ILITÉ

COMMUNITY

Tumblr des lecteurs

DOUCEUR BRUTALE

Chloé Guilbert est étudiante en graphisme et la photographie est au cœur de ses différents projets. Sur Tumblr, elle publie des instantanés de son quotidien, des images vaporeuses, douces et poétiques.

Cont nous inuez à e vos p nvoyer Fishey hotos, e ado faire re de décou nouvelles ver te s: m becon oglia@ tents .com

chloe-guilbert. tumblr.com

DISRUPTIVE PHOTOGRAPHY Entre street art, ambiances musicales et paysages de carte postale, Gwael Desbont nous offre une vision originale de son île, loin des images traditionnelles, lisses et sans personnalité utilisées pour nous faire rêver de La Réunion. gwaeld.tumblr.com

TERRITOIRES EUROPÉENS

Dorian est un explorateur, passionné d’architecture et d’urbanisme. Il a parcouru l’Europe pendant plusieurs mois pour capturer la richesse et la diversité de ces territoires. Attentif aux paysages, il a photographié les particularités de chaque environnement qu’il a traversé. doriansacher.tumblr.com


S ENSIBILITÉ

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COMMUNITY

ÉLOÏSE ROCCO

Elle voyage beaucoup mais « rêve d’aller toujours plus loin ». À 21 ans, Éloïse a déjà parcouru l’Europe et l’Asie. Les pays étrangers sont propices aux rencontres et à la découverte. Ce sont ces instants privilégiés, qui la rendent vivante, qu’elle photographie pour que l’on puisse, nous aussi, voyager avec elle. eloiserocco.tumblr.com

CÉCILE JAILLARD

Depuis quelque temps, Cécile travaille essentiellement à l’argentique. Avec son Canon AE-1 50 mm, elle photographie son quotidien et surtout ses proches. Des images prises sur le vif, pour essayer de préserver la spontanéité de ces instants qui la touchent et qu’elle veut immortaliser. cecilejaillardphoto.tumblr.com

B-SIDE

Ce Tumblr est la face B du travail de Gilles Bolland. Des images qu’il redécouvre au fil du temps et qui n’ont leur place dans aucune des séries qu’il a travaillées. Ce sont des fragments, des souvenirs, des photos très personnelles et nostalgiques. bollzy.tumblr.com

MES PIERRES DE PASSAGE David Tatin est un baroudeur qui aime arpenter les marges, les bordures, les extrémités. Les images qu’il publie sont tirées d’un projet personnel en cours, dans lequel il questionne son « sentiment d’être européen » en scrutant les limites, les enclaves ou les frontières. davidtatin.tumblr.com

DAWNCORE

Aurore Core nous livre un Tumblr coloré, où se mêlent sans prise de tête des photos d’architecture, de paysages et des portraits de tortues Ninja. Un mélange des genres spontané et sincère. dawncorecaptures.tumblr.com


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