le magazine lifestyle de la PHOTOGRAPHIE
Portrait
Portfolio
JEAN-LUC MONTEROSSO, DIRECTEUR DE LA MEP
SREBRENICA, VINGT ANS APRÈS
N° 13 juillet-août 2015
I BEL.: 5,20 € I www.fisheyemagazine.fr
RENCONTRES D’ARLES LES PARADIS FISCAUX PAR PAOLO WOODS ET GABRIELE GALIMBERTI
ME-MO, LA MÉMOIRE EN MOUVEMENT
Monde
LA PHOTO AFRICAINE A LA COTE
Politique
LES NOUVELLES TÊTES DE L’EXTRÊME DROITE
Art vidéo
RÉALITÉ VIRTUELLE, L’ÉCHAPPÉE BELLE
2 ANS
D’AVENTURES PHOTOGRAPHIQUES
10 PHOTOGRAPHES INTERNATIONAUX LES CHOIX DE LA RÉDACTION
ROAD TRIP DANS LES PAS DE MEFFRE ET MARCHAND
#f is he ye le m ag
L 19203 - 13 - F: 4,90 € - RD
Projet Web
SOCIÉTÉ #FOODPORN À TOUTES LES SAUCES
instantanés
P. 8 AC T U A L I T É
Bülent Kiliç « Un photojournaliste doit rester discret » P. 11 T E N DA N C E
Pixelstick Jouez avec la lumière ! P. 13 T E N DA N C E
Ça bouge dans les images… P. 15 VO I X O F F
Jean-Christophe Béchet P. 16 MÉTIER
Reuters, dealers d’images Estelle Véret, Fabrice Bessière, Jérôme Pelet, éditeurs commerciaux P. 18 P O RT R A I T
Jean-Luc Monterosso Le conquérant pacifiste P. 2 2
— DOSSIER
En toute subjectivité 10 JEUNES PHOTOGRAPHES INTERNATIONAUX : LES COUPS DE CŒUR DE LA RÉDACTION DE FISHEYE
© AdAm BirkAn. © Jérôme Bonnet / modds. © ArnAud deroudilhe.
agrandissement
mise au point
P. 4 5 EXPOSITIONS
P. 6 3 POLITIQUE
Vu d’ailleurs P. 4 8
Loup, ou le FN déguisé en agneau Par Raphaël Helle
FOCUS
Road trip avec Meffre et Marchand P. 56 P O RT F O L I O
Srebrenica (nuit à nuit) Par Adrien Selbert
P. 70 SOCIÉTÉ
#foodporn à toutes les sauces !
P. 74 E X P E RT I S E
La preuve par l’image
P. 76 ÉCONOMIE
À quoi reconnaît-on un paradis fiscal ? Par Paolo Woods et Gabriele Galimberti
P. 110 E N A PA RT É
Le Salon du Panthéon Du septième au huitième art P. 112
P. 12 2 AG E N DA
Rencontres d’Arles Les commissaires mènent la danse P. 124
P RO J E T W E B
Me-Mo La mémoire en mouvement P. 8 5 F O N DAT I O N
La Fondation Luma à la rencontre d’Arles
P. 114 ÉDITION
sensibilité
P. 101 A RT V I D É O
Réalité virtuelle, l’échappée belle CAMÉR A TEST
JEUX
P. 10 4
P. 12 0 Photothèque
P. 12 5 FLASH
P. 127 I M AG E S S O C I A L E S
André Gunthert
Les jeux de l’été LIVRES
P. 8 7
Expositions d’été
Une photo, une expo
This is not a map La carte sans le territoire P. 116
labo
AG E N DA
P. 12 8 COMMUNIT Y
Tumblr des lecteurs
P O RT F O L I O D É C O U V E RT E
Loïc Designer testeur
Tomasz Lazar Theater of Life
P. 13 0 C H RO N I Q U E
P. 9 0 AT E L I E R P H OTO
Le cyanotype P. 9 2 PRISE EN MAIN
Pentax 645Z P. 9 4 S H O P P I N G A P PA R E I L S
P. 9 6 S H O P P I N G AC C E S S O I R E S
Farniente
P. 9 9 P H OTO M O B I L E
Le mercato des applis photo
© PAolo Woods et GABriele GAlimBerti / institute. © tomAsz lAzAr.
Matos
Contributeurs
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Gabriele Galimberti
Christian Chavagneux
(À GAUCHE) Né en 1977 en Italie, Gabriele Galimberti a dirigé un studio professionnel et une galerie à Florence avant de se consacrer à ses projets personnels. Son approche de la photographie documentaire l’amène à travailler en série, et ses travaux ont fait l’objet de livres à succès : Toy Stories, In Her Kitchen, Switzerland Versus The World… Il signe, avec Paolo Woods, les photos sur les paradis fiscaux.
Éditorialiste au mensuel Alternatives économiques et au quotidien numérique AlterEcoPlus, Christian Chavagneux débat tous les samedis matin sur France Inter dans l’émission On n’arrête pas l’éco. Spécialiste des paradis fiscaux et de la finance, il est notamment l’auteur d’Une brève histoire des crises financières (La Découverte, 2013). Pour Fisheye, il met en perspective le travail de Paolo Woods et Gabriele Galimberti sur les paradis fiscaux, présenté dans la rubrique Économie.
Adrien Selbert Diplômé des Beaux-Arts de Nantes et des Arts décoratifs de Paris, Adrien Selbert, 30 ans, est réalisateur et photographe. Il travaille également comme scénographe vidéo pour le théâtre et mène une activité d’éducation à l’image. Son portfolio Srebrenica (nuit à nuit) constitue la première étape d’un travail photographique autour de la question : la Bosnie existe-t-elle ?
Paolo Woods
Tomasz Lazar Né en 1985 à Szczecin, en Pologne,Tomasz Lazar est un photographe indépendant déjà reconnu par de multiples distinctions internationales et de nombreuses expositions à travers le monde. Son regard très personnel explore le « théâtre de la vie » dans une approche surréaliste utilisant un noir & blanc halluciné.Tomasz interroge notre quotidien où il débusque toujours une étrangeté inquiétante. Son portfolio n’a pas fini de vous surprendre.
(À DROITE) Associant journalisme d’investigation et photographie, les travaux de Paolo Woods ont fait l’objet de nombreuses parutions en presse et en édition. Son livre Chinafrica, réalisé avec le journaliste Serge Michel, a été traduit en onze langues. Régulièrement exposé et présent dans de nombreuses collections publiques, il a aussi été distingué par plusieurs prix, dont deux World Press Photo. Avec Gabriele Galimberti, il a mené l’enquête sur les paradis fiscaux.
Raphaël Helle Travaillant surtout pour la presse, Raphaël Helle commence sa carrière en couvrant l’installation du FN à la mairie de Vitrolles, en 1997. Habitué aux sujets société (jeunesse, écologie, monde du travail…), il collabore avec la maison de photographes Signatures. Engagé dans le projet La France vue d’ici, il suit la campagne de Loup Viallet, jeune candidat FN, aux dernières élections départementales, présentée à la rubrique politique.
Rédacteur en chef Éric Karsenty eric@becontents.com Directeur artistique Matthieu David matthieu@becontents.com assisté de Alissa Genevois alissa@becontents.com Secrétaire générale de la rédaction Gaëlle Lennon gaelle@becontents.com assistée de Anaëlle Bruyand
Rédactrices Marie Abeille marie@becontents.com Marie Moglia moglia@becontents.com assistées de Élodie Londas-Hoarau, Hélène Rocco Ont collaboré à ce numéro Dominique Baqué, JeanChristophe Béchet, Christian Chavagneux, Dorian Chotard, Julien Damoiseau (Pix Populi), Maxime Delcourt, Quitterie Duputel-Bonnemaison (Dans ta cuve !), Gwénaëlle Fliti, André Gunthert, Sylvain Morvan, Olivier Remy, Antoine Védeilhé Régie externe Alexandra Rançon Objectif Média alexandra.objectifmedia@gmail.com 00 32 484 685 115 www.objectif-media.com
Directeur commercial, du développement et de la publicité Tom Benainous tom@becontents.com 06 86 61 87 76 Chef de publicité Joseph Bridge joseph@becontents.com Directeur administratif et financier Christine Jourdan christine@becontents.com Comptabilité Antoine Bauvineau compta@becontents.com Service diffusion, abonnements et opérations spéciales Joseph Bridge joseph@becontents.com assisté de Marine Schneider
Marketing de ventes au numéro Otto Borscha de BO Conseil Analyse Média Étude oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34 Impression Léonce Deprez ZI « Le Moulin », 62620 Ruitz www.leonce-deprez.fr Photogravure Fotimprim 33, rue du Faubourg-SaintAntoine, 75011 Paris
Fisheye Magazine est composé en Centennial et en Gill Sans et est imprimé sur du Condat mat 115 g Fisheye Magazine est édité par Be Contents SAS au capital de 10 000 €. Président : Benoît Baume. 8-10, passage Beslay, 75011 Paris. Tél. : 01 48 03 73 90 www.becontents.com contact@becontents.com
Dépôt légal : à parution. ISSN : 2267-8417. CPPAP : 0718 K 91912. Tarifs France métropolitaine : 1 numéro, 4,90 € ; 1 an (6 numéros), 25 € ; 2 ans (12 numéros), 45 € Tarifs Belgique : 5,20 € (1 numéro). Abonnement hors France métropolitaine : 40 € (6 numéros). Bulletin d’abonnement en p. 126. Tous droits de reproduction réservés. La reproduction, même partielle, de tout article ou image publiés dans Fisheye Magazine est interdite.
Fisheye est membre de Photo de couverture Alexis Vasilikos, Grandmother, 2013.
Mention contractuelle : « Patrick Martin et Denis cuisy, associés fonDateurs »
Ours Directeur de la rédaction et de la publication Benoît Baume benoit@becontents.com
Édito QUAND LES CHOSES VOUS ÉCHAPPENT
© shutterstock / VlaDiMir sazonoV.
BENOÎT BAUME, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
Voilà, Fisheye a deux ans. Deux ans d’aventures intenses qui mêlent photo, auteurs, enjeux de société, tendances, artistes et chemins de traverse. Deux ans que vous, lecteurs, nous donnez une belle énergie pour mener à bien ce projet un peu fou : réinventer le magazine photo en phase avec des aspirations qui vont de l’argentique aux réseaux sociaux, du photojournalisme à la photo plasticienne, et qui n’oublie pas l’imprévu, la joie et les nouvelles pratiques. Fisheye trouve son rythme de croisière, mais ne s’endort pas. Notre site www.fisheyemagazine.fr a réuni plus de 80 000 visiteurs uniques par mois ces derniers temps. Nous venons de lancer notre première émission filmée sur le Web. Nous sommes partenaires de nombreux festivals et expositions. Et nous vous préparons encore plein de belles surprises. Mais le vrai début de la maturité se remarque autrement. De manière plus diffuse et pourtant terriblement éclairante, dans la patouille de la cuisine du quotidien. Là où on invente le magazine tous les jours. Au-delà de l’équipe permanente, désormais conséquente et terriblement impliquée, il faut saluer nos collaborateurs extérieurs. Les pigistes, les photographes et les chroniqueurs. Ils contribuent activement à l’âme de ce journal et ils y apportent leur souffle. En tant que directeur de la rédaction, je suis censé connaître tout le monde et contribuer à leur recrutement. Mais voilà, certaines choses nous échappent. Je ne connais plus personnellement tous les auteurs qui écrivent dans Fisheye car il y en a trop. Il existe une flopée de photographes dont nous reproduisons les images et dont je ne suspectais pas l’existence voici encore peu. Cette maturité vient de la capacité de faire de Fisheye une œuvre collective, plurielle et en évolution. Fisheye est encore un préadolescent plein de boutons qu’on n’est pas prêt à laisser quitter le nid, mais ce magazine nous glisse un peu entre les doigts. Il devient autonome et ses aspirations évoluent. Ceci est à l’image de notre dossier où nous avons mis en avant 10 jeunes photographes internationaux selon le seul critère de notre subjectivité. Ils sont notre vision de cette nouvelle génération, après avoir visionné des centaines de portfolios et avoir engagé d’âpres discussions entre nous. Notre vérité n’est pas absolue, mais c’est une vérité que nous aimons partager avec vous. Ce qui rend l’exercice aussi plaisant. Alors merci pour ces deux belles années. Continuez de vous abonner, de nous acheter, de nous lire, de nous recommander, de nous liker, de nous follower, de nous solliciter. Mais surtout, continuez à vous faire plaisir en lisant Fisheye, il s’agit là d’une vérité qui ne doit en aucun cas être relative.
La création photographique a Tenter de rendre compte du 22 rarement été aussi prolifique. foisonnement de la création Les expositions, festivals, photographique contemporaine projections et événements consacrés dans un dossier de vingt pages aux talents émergents, en France aurait été un pari insensé. Établir comme à l’étranger, sont légion. un classement des dix meilleurs De l’exposition reGeneration3, qui photographes à suivre, une illusion. présente les travaux de 50 artistes C’est pourquoi nous avons préféré de 18 pays, à Photoquai, qui met laisser s’exprimer les choix de en avant les regards d’artistes l’équipe de Fisheye, du directeur non européens, en passant par le de la rédaction aux stagiaires, pour festival Circulation(s) consacré à vous présenter, en toute partialité, la jeune photographie européenne, une dizaine de photographes les occasions de découvrir de comme autant de partis pris nouveaux talents ne manquent pas. assumés par chacun. Et comme un écho au premier numéro de Dans le même temps, les Fisheye qui proposait le portrait écritures photographiques se sont d’une nouvelle génération à travers diversifiées, prenant en compte une vingtaine d’auteurs français, les expérimentations menées par les photographes que nous vous les photographes-chercheurs qui montrons aujourd’hui ont tous été s’autorisent toutes les libertés. choisis en dehors de l’Hexagone. Fouinant dans d’autres domaines que la « photographie orthodoxe », Car ce numéro que vous tenez jouant avec la vidéo ou la sculpture, entre les mains est aussi celui de faisant un détour par la fiction et notre deuxième anniversaire. Notre la mise en scène, empruntant aux aventure est encore assez neuve, mais arts plastiques leurs techniques, les retours que vous avez pu nous certains de ces nouveaux pratiquants faire, sur les réseaux sociaux ou par abordent la photographie sans courrier, lors des manifestations où complexe. Ils laissent libre cours à nous sommes présents ou par vos leurs désirs qu’ils traduisent dans des abonnements, nous encouragent images que d’aucuns jugeront parfois à poursuivre notre route en toute impures. La circulation des photos indépendance. Une route qui passe sur Internet et les réseaux sociaux aussi par notre site Web qui continue donnent accès à une multitude de son inlassable travail de défrichage travaux dont la diversité provoque pour vous offrir régulièrement parfois le vertige, mais laisse tous les nouveaux talents. apparaître de véritables pépites.
TEXTES : MARIE ABEILLE, ÉRIC KARSENTY, ÉLODIE LONDAS-HOARAU, MARIE MOGLIA ET HÉLÈNE ROCCO.
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ALEXIS VASILIKOS GRÈCE 1977 Naissance à Athènes, en Grèce. 2001 Diplômé de l’école de photographie et vidéo d’Athènes.
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LE CHO
n Lenno Gaëlle E GÉNÉRALE
AIR E SECRÉT À FISHEY ACTION ÉD R DE LA
2003 Première exposition personnelle au Thessaloniki International Festival of Photography. 2012 Création de Phases Magazine, média en ligne consacré à la photographie contemporaine, avec Jérôme Montagne. 2015 Sortie du livre All In, réalisé en collaboration avec Jérôme Montagne. alexisvasilikos.net
Alexis Vasilikos est né et a grandi à Athènes. C’est au cours de ses années d’études au lycée qu’il s’intéresse à la photographie, devenue son métier depuis déjà vingt ans. « Je vais dehors et je me promène. Je m’inspire de mon environnement, puis j’en fais un mélange d’amour et de mes sentiments », déclare-t-il en guise de démarche artistique. Il n’aime pas capturer des choses en particulier. Ce qu’il cherche, c’est être là au bon moment. « D’une certaine manière, il n’y a qu’un seul thème qui m’intéresse, c’est la vie en elle-même car elle est unique. Je peux dire que mon travail est autobiographique dans le sens où il reflète ma vision de la vie. Je suppose que c’est ça, mon thème favori : vivre. » Alexis Vasilikos trouve des choses qui sortent de l’ordinaire dans les endroits les plus inattendus, et a la capacité de les enregistrer dans ses images. Il est très sensible aux couleurs vives : « C’est
très important, car ça détermine l’énergie de l’image, mais je ne fais pas que ça. J’aime aussi prendre des photos en noir & blanc », précise-t-il. Avec une approche minimaliste, ses photos ont un charme singulier. Elles saisissent la complexité du quotidien dont elles soulignent avec finesse les détails et les hasards. Des détails qui nous interpellent sur notre capacité à cueillir la vie qui passe. Ce qu’Alexis aime dans la photographie, c’est la qualité de la photo en elle-même, indépendamment de ce qu’elle nous évoque. Sa démarche s’apparente à une forme de méditation, dont l’objectif n’est pas de raconter une histoire mais de guider nos esprits à l’endroit où pourrait naître cette histoire. Par ce qu’il nous montre, il suggère d’autres significations en mélangeant l’ordinaire à l’extraordinaire. Prochainement, il publiera All In, avec Jérôme Montagne, avec lequel il avait déjà créé Phases Magazine en 2012.
Portrait © Panayiotis LamProu. © aLexis VasiLikos.
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RÉDA CTEU
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DANILA TKACHENKO RUSSIE 1989 Naissance à Moscou, en Russie. 2011 Admis à la Rodchenko School of Photography and Multimedia, à Moscou. 2012 Prix Silver Camera, en Russie, pour la série Transition Age. 2014 Reçoit un World Press Photo (rubrique « Portraits », 1er prix Stories) avec la série Escape.
Après avoir suivi une école de photojournalisme et travaillé pour la rédaction d’un journal, Danila Tkachenko réalise progressivement que cette manière de faire de la photographie ne lui convient pas. Il étudie par ailleurs à la Rodchenko School of Photography and Multimedia, à Moscou, et décide de s’éloigner du reportage pour aller vers une approche plus documentaire. Son projet Escape s’intéresse aux personnes vivant en marge de la civilisation, qui se sont retirées en ermites, comme Henry David Thoreau, l’écrivain américain du XIXe siècle, auteur de Walden ou la vie dans les bois. Il passe trois ans sur cette série qui l’entraîne un peu
partout en Russie et en Ukraine. C’est le conflit entre l’homme et la société qui l’intéresse, plus que les personnes en elles-mêmes. Après ce travail distingué en 2014 par un World Press Photo, exposé au Mois de la Photo à Berlin et qui a fait l’objet d’un livre, Danila entreprend une nouvelle série, Restricted Areas, où il propose une réflexion sur la course au progrès technologique, ses usages et ses conséquences, dans un style post-apocalyptique proche de la science-fiction. « Ce projet est une métaphore de la désolation et de la mort résultant du progrès technique », précise le photographe, qui a voyagé pendant quatre ans en Russie, en Bulgarie et au Kazakhstan.
Son prochain travail traitera des villages russes désertés. Pour Danila Tkachenko, « la photographie ne reflète pas la réalité ». « N’importe quel objet peut être photographié et interprété d’un million de façons, et le résultat d’une telle interprétation différera toujours de la réalité. […] La photographie contemporaine est plus proche que jamais de l’art contemporain, et ce dernier ne signifie quelque chose que quand il produit de nouveaux sens, qu’il crée une nouvelle interprétation du monde. C’est ce que j’essaie de faire avec la photographie. » Jusqu’au 26 juillet 2015, Restricted Areas est exposé au Athens Photo Festival, en Grèce.
2015 Lauréat de l’European Publishers Award for Photography, avec la série Restricted Areas. danilatkachenko.com
Š DaniLa tkachenko.
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IX DE
LE CHO
Rocco Hélène GIAIRE À FISHEYE STA
KENT ANDREASEN AFRIQUE DU SUD
1991 Naissance à Johannesburg, en Afrique du Sud. 2011 Intègre l’école de cinéma AFDA à Johannesburg. 2013 Diplômé d’une licence de dessin animé. 2014 Devient photographe professionnel. 2015 Sortie de son premier livre, intitulé 1991. kentandreasen.com
À 24 ans, le photographe sud-africain Kent Andreasen a déjà acquis une renommée internationale et enchaîné les collaborations avec des marques prestigieuses. Cet autodidacte a découvert la photographie sur le tard. Après une enfance au Cap, il réalise ses premières vidéos à l’âge de 19 ans et décide d’intégrer une école de cinéma afin de développer ses compétences. À peine trois ans plus tard, il obtient une licence de dessin animé. Cette formation de cinéaste lui fait prendre conscience d’une chose : il préfère les images fixes au mouvement, la photographie aux films d’animation. Sûr de lui, Kent devient photographe professionnel en 2014. « J’ai de la chance : durant mes études, j’ai tissé quelques belles amitiés et j’ai construit mon réseau. Cela m’a permis de trouver des clients rapidement et de pas mal voyager en Afrique », nous raconte-t-il. Kent photographie des objets ordinaires et privilégie les cadrages simples, ne voyant pas l’intérêt de faire compliqué. Il se sert « des couleurs et des formes pour construire
des images qui laissent aux spectateurs le choix de les interpréter comme ils le souhaitent ». Sans jamais planifier ce qu’il photographie, le jeune Sud-Africain observe en permanence ce qui l’entoure : barrières, chemins de fer, objets cassés… tout est matière à inspiration. Dans une interview accordée au magazine sud-africain Between 10 and 5, Kent évoque ses maîtres en la matière : « Quand on atteint un certain niveau, comme celui de Martin Parr ou William Eggleston, on peut tout se permettre. Si on parvient à rendre émouvant un lampadaire ou un tuyau d’arrosage, imaginez tout ce qu’on peut faire quand on doit photographier quelque chose d’aussi impressionnant qu’un volcan ou un glacier. » Déjà reconnu par la profession, Kent espère continuer à progresser. Très prolifique, le jeune artiste a publié 1991, son premier livre, après trois ans de photographie seulement. Cette année, il souhaite produire moins d’images au quotidien pour se focaliser sur des projets à long terme. Sa prochaine série portera sur les États-Unis : « Je souhaite comparer les objets que je vais photographier là-bas et ceux que je prends en photo en Afrique du Sud. Je suis curieux de voir si mon travail change beaucoup selon l’endroit du monde où je me trouve. »
© KENT ANDREASEN.
RICE RÉDACT
30 ADAM BIRKAN ÉTATS-UNIS
1990 Naissance à Jérusalem, Israël. 2013 Premières publications dans le quotidien The Cincinnati Enquirer. 2014 Publication dans le magazine PDN Emerging Photographer. 2015 Lauréat du concours Magnum 30 Under 30. adambirkanphoto.com
Discret. C’est le mot qui nous vient à l’esprit pour décrire Adam Birkan. Né en Israël, il a grandi à Cincinnati, dans l’Ohio, où il a suivi des études de communication visuelle avec une spécialisation en photojournalisme. « J’ai choisi cette voie un peu par hasard. Je suis, en quelque sorte, tombé dedans, puis tombé amoureux », explique-t-il en s’excusant presque qu’on s’intéresse à lui. Pourtant, loin d’être un imposteur, Adam Birkan jette un regard rafraîchissant sur le monde qui l’entoure. Après plusieurs années passées à Bangkok, il est récemment revenu s’installer aux États-Unis. Fortement influencé par son éducation documentaire, Adam est passionné de storytelling et développe un style narratif dans ses séries. Il aime dénicher « de vieilles histoires » auxquelles il insuffle une perspective différente. « J’adore trouver des moments calmes, peut-être que cela vient juste de ma personnalité, mais ces moments qui défient le chaos m’attirent comme un insecte vers la lumière. »
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Lorsqu’il cherche à faire une photo, chaque chose a la même importance. Chaque pierre, chaque immeuble ou chaque personne qu’il croise retient toute son attention. « Qu’est-ce qu’un photographe, sinon quelqu’un qui observe ? » lance-t-il comme pour lui-même. Adam aime trouver des sujets considérés comme ennuyeux et montrer aux gens qu’ils ne le sont pas. « Je travaille d’abord ma composition, puis j’attends un moment et, parfois, j’ai de la chance avec la lumière. » Tout ne serait donc qu’une question de chance et de patience ? Pas sûr. Lorsqu’on lui demande quelle photographie il rêverait de prendre, il répond : « La photographie que je voudrais faire, c’est celle que je fais aujourd’hui. Explorer chaque mètre carré et trouver toutes les histoires possibles à raconter. » Et d’ajouter, pour achever de nous convaincre de le tenir à l’œil : « Si je peux faire des photos documentaires astucieuses et intelligentes, alors je mourrai heureux. Le monde est si vaste et plein de mystères, je me détesterais de ne pas essayer de voir tout cela. »
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LE CHOIX DE
Alissa Genevois GRAPHISTE À FISHEYE
Photographe irlandais, Richard Gilligan est connu pour son traitement du portrait et de la mode. Son style photographique, à mi-chemin entre reportage et photographie documentaire, lui permet de créer des œuvres personnelles centrées sur la nature des gens, ainsi que sur leur relation avec leur environnement. Son travail intitulé DIY (pour « Do It Yourself ») présente une collection de portraits de skateurs et de paysages de skateparks à travers le monde. Ces skateparks, constructions non autorisées et souvent illégales faites de matériaux de récupération, fascinent le photographe qui a passé quatre ans à arpenter ces espaces éphémères à travers l’Europe et les États-Unis. Ses images illustrent ce qui pousse ces skateurs constructeurs à s’affranchir des règles et à créer leur propre espace en marge des zones urbaines ; une quête de liberté, de jeunesse et de plaisir, quasi obsessionnelle. Cette série, très largement reconnue au niveau international, a fait l’objet d’un livre aux éditions 19/80, en 2012. Richard Gilligan est titulaire d’une maîtrise en photographie de l’université d’Ulster, à Belfast, en Irlande du Nord, et d’un bachelor en photographie documentaire de l’université de Wales, à Newport, au Royaume-Uni. Ses images sont exposées partout dans le monde. Il a récemment été
montré à Dublin, Londres, Munich, Los Angeles, New York, Paris, Sydney et Copenhague. En 2013, il a remporté le prix Showcase de la Gallery of Photography en Irlande. Cette distinction récompense les jeunes talents européens émergents. Il est aussi apparu dans la sélection des 9 photographes irlandais à suivre par le Time Magazine. Actuellement, Richard est basé à Brooklyn où il travaille sur un nouveau projet personnel, dont on sait juste qu’il comprendra des humains et des paysages. Cet été, sa série DIY sera exposée aux journées photographiques de Bienne, en Suisse, du 28 août au 20 septembre 2015, ainsi qu’au 5e Festival international de Dali, dans la province du Yunnan, en Chine, du 1 er au 5 août 2015. D’autres travaux seront présentés à la Doomsday Gallery à Melbourne, en Australie, en août.
RICHARD GILLIGAN IRLANDE
1981 Naissance à Dublin, en Irlande. 1999 Autoédite son propre zine de skateboard, Killing Time. 2009 S’inscrit en maîtrise de photographie à l’École d’art de Belfast. 2012 Publie son premier livre, DIY, aux éditions 19/80. 2015 S’installe à Brooklyn, à New York. Il est sélectionné par Time Magazine comme l’un des 9 meilleurs photographes d’Irlande à suivre. richgilligan.com
PORTRAIT © AL HIGGINS. © RICHARD GILLIGAN.
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À tout juste 28 ans, Ren Hang est déjà un artiste reconnu internationalement, qui expose et publie dans le monde entier. Emblème d’une jeunesse chinoise en quête de liberté et de nouvelles expériences, il fait partie de cette génération post-1989 ayant grandi dans une société traumatisée où le gouvernement a tout mis en place pour qu’elle n’ait pas conscience de ses droits.
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REN HANG CHINE 1987 Naissance à Changchun, dans le nord-est de la Chine. 2006 Rejoint Pékin pour suivre des études de communication et commence à prendre des photos. 2013 Participe à l’exposition Fuck Off 2, au Groninger Museum aux Pays-Bas, à l’invitation d’Ai Weiwei. Participe au festival de Lianzhou, puis à la foire Unseen, à Amsterdam. 2014 Expose au Magasin de jouets (à Arles), à la Nue Galerie (Pantin), à Paris Photo sur deux stands (Paris-Beijing et Three Shadows), et à la galerie Nicolas Hugo (Paris). renhang.org
Pour Ren Hang, « Quand on est nu, tout est plus naturel. Comme tout le monde a un corps, je trouve normal de prendre des photos de nus. Avec mes modèles, je joue une sorte de jeu… Mes photos sont souvent interdites par le gouvernement chinois, mais ça m’indiffère complètement. » Photographiant les corps de ses amis ou modèles, sans aucun tabou et de façon intuitive, avec un appareil argentique rudimentaire, il semble utiliser la chair comme un accessoire pour composer des natures mortes. Il évacue toute conception morale pour considérer le corps comme une entité naturelle à mettre en scène. Le sexe et la nudité deviennent des outils poétiques permettant la matérialisation d’émotions. Et si, pour lui, « le sens politique de [s]es photos vient après », il précise ailleurs : « Je ne suis pas intéressé par la politique, mais la politique s’intéresse beaucoup à des artistes comme moi. » Qualifié de « Terry Richardson chinois » par la presse internationale, il déclare : « Il n’y a pas de symbolique dans mes mises en scène. Je ne suis pas dans la provocation, mais je suis content des réactions que mes images provoquent. » La recherche de liberté est sans doute l’un des fils rouges de ce travail qui dérange dans une Chine particulièrement répressive vis-àvis de tout ce qui fait référence à la nudité, la pornographie ou l’homosexualité. Au-delà du malaise de la jeunesse chinoise, on peut aussi lire dans ses images une dimension ironique et ludique, ainsi qu’un certain plaisir d’être ensemble. Artiste hyperactif, Ren Hang incarne une génération décomplexée, plus avide de sensations que de revendications. Le travail de Ren Hang sera montré à Arles du 6 au 12 juillet 2015 lors de l’exposition Une Movida chinoise présentée par la galerie Nicolas Hugo, au siège du PCF, place Voltaire. Dans le même lieu, les éditions Pierre Bessard – qui ont publié l’an dernier The Brightest Light Runs Too Fast, un livre à la couverture thermique pour éviter la censure – préparent un nouvel ouvrage de l’artiste avec des photos plus personnelles pour la fin de l’année.
© REN HANG / COURTESY OF GALERIE NICOLAS HUGO.
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1986 Naissance à Istanbul, Turquie. 2010 Bachelor of Visual Arts and Visual Communication Design à l’université de Sabanci, Istanbul. 2012 Prix de la meilleure vidéo musicale aux 18es Kral Music Awards et aux 39es Golden Butterfly Awards. 2012 Première exposition collective au musée d’Art moderne d’Istanbul. 2013 Master des Beaux-Arts en photographie, vidéo et médias connexes à l’École d’arts visuels de New York. Sinan Tuncay n’est pas vraiment photographe. C’est plutôt un artiste qui travaille aussi bien l’image fixe qu’animée. Lorsqu’il entreprend des études en arts visuels, il ignore encore la direction qu’il souhaite prendre. Il s’intéresse au diorama, procédé inventé par Daguerre en 1822 qui crée l’illusion du réel grâce à un décor en trompe-l’œil et à un jeu de lumière. Le jeune étudiant construit des maquettes qu’il utilise comme décor pour ses photos. « Mixer photographie et diorama offre une expression visuelle à la fois réaliste et illusionniste qui m’a beaucoup intéressé », explique-t-il. Son parcours artistique prend un virage en 2011 lorsqu’il se lance dans un projet vidéo sur Sezen Aksu, une chanteuse turque très populaire. « J’étais obsédé par sa maison à Istanbul. J’ai donc tourné un clip pour lequel j’avais réalisé une maquette de cette bâtisse en l’observant avec des jumelles. » Quand la « Piaf turque » découvre le clip, elle décide d’en faire la vidéo officielle d’une de ses chansons, Vay, doublement récompensée l’année suivante. Diplôme en poche, Sinan quitte Istanbul pour suivre un master en photographie, vidéo et médias
sinantuncay.com
connexes à l’École d’arts visuels de New York, où il vit aujourd’hui. À travers ses œuvres, il s’interroge sur les notions de culture et de genre, et puise dans les rituels, les traditions, la culture populaire et le kitsch. « Mon imagerie reflète l’équilibre entre ma connexion traditionnelle à la culture turque, dans laquelle j’ai grandi, et ma prise de position individuelle à son égard. Finalement, mon travail est la manifestation du conflit entre mon point de vue conventionnel et la volonté de le défier. » Sa série Public Intimacy décline l’image du mariage traditionnel turc en cinq tableaux. Sinan emprunte aux codes de l’art pictural ottoman pour explorer la représentation sociale dans la Turquie moderne « obsédée par l’image de la femme vierge et la figure masculine hétéro-normative ». Sinan Tuncay est exposé au musée de l’Élysée, à Lausanne, dans le cadre de la troisième édition de reGeneration sur les photographes émergents, jusqu’au 23 août 2015.
Portrait Š rehan miskci. Š sinan tuncay.
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d’une guerrière ». En 2011, elle gagne le prix du public d’un concours photo (grâce à sa communauté Facebook de 122 000 followers) et réalise des couvertures de magazines – dont Elle Belgique –, alors qu’elle termine le lycée. Son caractère s’affirme en même temps que ses images gagnent en densité. « Plutôt qu’une jeune photographe, j’aimerais que les gens retiennent le fait que je sois une femme qui porte son regard sur la jeune génération féminine », déclare Charlotte au magazine Paulette. Elle débarque alors à Paris, est admise aux Gobelins en 2013, et reçoit le prix Picto de la jeune photographie de mode à l’automne dernier.
Gobelins l’École de l’image devient sa « deuxième maison », où elle prend garde à rester elle-même et ne pas être « formatée ». Son œil s’aiguise au contact des enseignants « qui nous conseillent sans jamais nous dicter les choses », et l’émulation entre étudiants stimule sa créativité. « Je suis devenue beaucoup plus perfectionniste et exigeante envers moi-même, déclare-t-elle, et mon rapport à la technique a changé une grande part de mon rapport à la photographie. » Elle qui avait « une peur bleue du studio » a réussi à y développer un univers qui lui plaît, « une esthétique assez minimaliste montrant des personnages dans des poses contemplatives, comme s’ils
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étaient fatigués de la vie ou plongés dans leurs songes, avec une touche d’humour parce qu’il faut quand même rigoler dans la vie ». La photographe vient de terminer sa formation, et ses cahiers débordent de projets. « J’ai quelques commandes en cours », déclare Charlotte, qui a aussi « un projet d’exposition avec une petite galerie parisienne ». Vigilante sur la manière de mener sa carrière, elle prend garde à ne pas s’enfermer dans un genre. « J’aimerais expérimenter d’autres types de photographies. Même si j’adore la mode et que j’essaie d’en faire quelque chose d’artistique et de réfléchi, je ne veux pas borner mon esprit à cela », conclut la tout juste diplômée.
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CHARLOTTE ABRAMOW BELGIQUE
1993 Naissance à Bruxelles, en Belgique. 2009 Premiers shootings « scénarisés ». 2010 Workshop avec Paolo Roversi aux Rencontres d’Arles. 2013 Admission à Gobelins l’École de l’image. 2014 Lauréate du prix Picto de la jeune photographie de mode. charlotteabramow.com
PORTRAIT © SASHA MARRO. © CHARLOTTE ABRAMOW.
À presque 22 ans, Charlotte Abramow a un parcours qui impressionne. À 13 ans, pour combattre l’ennui d’une journée d’été, elle fait des photos de fleurs dans son jardin et commence à photographier ses amis avec son appareil numérique. Trois ans plus tard, elle réalise des shootings qu’elle organise autour d’une histoire, d’une ambiance… Elle choisit un modèle, le maquille et l’habille avant de construire ses images. L’année suivante, en 2010, elle rencontre Paolo Roversi, qu’elle admire, lors d’un stage à Arles. Entre les deux, le courant passe. Charlotte « boit les paroles du photographe de mode », ce dernier dira d’elle qu’elle « fait preuve de beaucoup de volonté, d’énergie, et a l’âme
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MILA TESHAIEVA UKRAINE 1974 Naissance à Kiev, Ukraine.
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En 2004, après avoir travaillé six ans comme analyste financière, Mila Teshaieva, 30 ans, décide de se consacrer à la photographie documentaire. Basée à Berlin, elle mène ensuite différents projets dans le Caucase et autour de la mer Caspienne. En 2009, vingt ans après la chute de l’Union soviétique, elle se penche sur les réalités économiques de l’Azerbaïdjan, du Kazakhstan et du Turkménistan. Ces trois pays se livrent alors une guerre sans merci pour le contrôle des ressources pétrolières de la mer Caspienne. Éternelle promesse d’un avenir meilleur, l’or noir a pourtant causé des dégâts irréparables sur l’environnement ainsi que des grands
mouvements de population. Seuls quelques privilégiés en ont tiré une prospérité économique. « J’ai souhaité dénoncer l’absurdité de cette illusion avec ma série Promising Waters », explique la photographe. Des migrants ouzbeks aux réfugiés d’Azerbaïdjan, Mila capture la désolation et les paysages vides. Sur ses images, les regards sont fuyants, comme déboussolés. Dans une interview accordée au Time, la photographe évoque une anecdote qui résume l’esprit de sa série. Au cours d’un séjour au Turkménistan, son chauffeur ne parvenait pas à lire les panneaux écrits en alphabet latin – il ne connaissait que l’alphabet cyrillique –, et s’est fié à son intuition pour trouver sa route.
« Dans cette série, j’ai voulu raconter l’histoire de ces sociétés qui ont perdu leur chemin et essaient de trouver leur voie, bien qu’elles ne puissent pas lire les panneaux. » Promising Waters, qui a demandé quatre ans de travail, a fait l’objet d’un livre en 2013. Primées à plusieurs reprises, ces photos sont exposées en ce moment à la Blue Sky Gallery de Portland, aux États-Unis. Mila Teshaieva travaille actuellement sur la notion de nation en Ukraine, souhaitant montrer à travers ses photos le lien qui unit les habitants d’un même pays. Son travail sera exposé dans le cadre de la biennale Photoquai 2015, du 22 septembre au 22 novembre, à Paris.
2004 Commence à s’intéresser à la photographie documentaire. 2012 Master de photographie, Ute Mahler, Academy of Art Burg Giebichenstein à Halle, en Allemagne.
2013 Publication de son livre, Promising Waters. 2015 Exposition au Haggerty Museum of Arts, à Milwaukee, aux États-Unis. www.milateshaieva.com
© MILA TESHAIEVA.
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NAMSA LEUBA SUISSE 1982 Naissance dans la région de La Béroche, en Suisse, d’un père suisse et d’une mère guinéenne.
2008 Entrée à l’École cantonale d’art de Lausanne (Ecal). 2011 Voyage de deux mois en Guinée-Conakry, pays d’origine de sa mère. 2012 Lauréate du Festival international de mode et de photographie d’Hyères. 2013 Lauréate du Flash Forward Emerging Photographers (États-Unis). 2014 Résidence d’artiste en Afrique du Sud avec la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia. namsaleuba.com
Issue d’une double culture occidentale et africaine, par son père suisse et sa mère guinéenne, Namsa Leuba fait dialoguer la cosmogonie africaine avec ses origines. En 2011, elle passe deux mois en Guinée-Conakry, durant lesquels elle participe à des cérémonies et des rituels religieux. Cette expérience déterminante est l’occasion d’en apprendre plus sur sa culture et de réaliser le projet Ya Kala Ben. Ce travail la conduit à poursuivre ses recherches en Afrique du Sud où l’histoire complexe de ce pays lui paraît intéressante « pour examiner ces mécanismes de syncrétisme. D’une part, la colonisation a participé à une reconfiguration en profondeur des sociétés et des pratiques locales ; d’autre part, l’abolition de l’apartheid a engendré un discours officiel valorisant la richesse de la diversité, du métissage et du vivre-ensemble », explique la photographe. Inyakanyaka, terme qui signifie « trouble » en zoulou, son dernier projet en Afrique du Sud, désacralise les fétiches et leur charge mystique en les figeant dans une construction occidentale. Une manière d’interroger l’ambiguïté de l’ethnocentrisme, et de faire converger cultures africaine et occidentale dans un récit culturel que la photographie incarne. Composé de quatre séries – Zulu Kids, Ndebele Pattern, Khoi San et The Kingdom of Mountains –, Inyakanyaka tente d’établir, de différentes manières (statues, enfants ou modèles), un dialogue entre l’identité africaine et le regard occidental. Son travail a été publié dans de nombreuses revues (Foam Magazine, Vice, New York Magazine, British Journal of Photography, European Photography…), distingué par plusieurs prix et exposé dans beaucoup de manifestations. Prochainement, elle sera présentée à l’espace Art Twenty One, à Lagos au Nigeria jusqu’au 10 septembre 2015, à la galerie Saatchi, à Londres, du 9 au 13 septembre 2015, à Photoquai, à Paris, du 22 septembre au 22 novembre 2015, et au musée Guggenheim de Bilbao d’octobre 2015 à février 2016.
Portrait © tim BarBer. © namsa LeuBa.
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Depuis leurs célèbres images des ruines de Detroit, Yves Marchand et Romain Meffre sont considérés par le milieu de la photo comme des pionniers de « l’urbex », l’exploration urbaine. Voilà plus de dix ans qu’ils arpentent le monde à la recherche des vestiges construits puis délaissés par l’homme. Je les ai accompagnés sur les routes polonaises. Lieux désaffectés, paysages en friche… Récit d’une semaine hors des sentiers battus. texte : Dorian ChotarD
Road trip dans les ruines de Pologne 1 800 km avec les photographes Yves Marchand et Romain Meffre
AG RANDISSEMENT
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PROLOGUE — UN MATIN COMME LES AUTRES
© Dorian ChotarD. © Yves MarChanD et roMain Meffre.
Ici, il neige en avril. Par - 2 °C, je marche dans les décombres d’une ancienne cimenterie à Grodziec, en banlieue de Katowice. De gros blocs de béton pendent au-dessus de ma tête, et ce qui reste de la structure semble près de s’effondrer. Les murs encore debout sont tagués de slogans nationalistes et de croix gammées. Déchets et bouteilles cassées jonchent le sol de cet endroit fréquenté par des marginaux. Une femme emmitouflée dans plusieurs manteaux promène son berger allemand. Derrière elle, deux hommes creusent le sol à la pioche pour récupérer du métal. Un décor qui n’a rien à envier à Mad Max. Mais je commence à avoir l’habitude. Voilà bientôt une semaine que j’accompagne Yves Marchand et Romain Meffre dans leurs pérégrinations photographiques en Pologne. Une semaine que je passe mon temps dans des paysages d’apocalypse. Romain est dans son élément : « L’état de délabrement est maximal, difficile de faire plus en ruine. C’est l’une des plus anciennes cimenteries du pays, son architecture est unique. Tu vois les barrières
orange en plastique ? Ça veut dire qu’ils vont bientôt détruire le site. Ce sont peut-être les dernières photos qu’on peut faire ici. » J’ai rencontré Romain en février, lors d’une expo des photos du duo à Paris. Avec ses cheveux en bataille et sa voix grave, il donne l’impression de sortir du lit. Une nonchalance de façade, car c’est avec précision qu’il répond à mes questions sur son travail. J’apprends que ni Yves ni lui ne possèdent leur permis de conduire : cela fait plus de dix ans qu’ils embarquent à chaque périple un chauffeur trouvé dans leur entourage. En plaisantant à moitié, je me porte volontaire. « On cherche souvent des gens dispos, donc ça peut se faire. Je te tiens au courant ! » Je me prends à rêver d’un road trip aux États-Unis, d’un voyage au Japon… Trois semaines plus tard, message de Romain : « Partant pour la Pologne ? » Banco ! Les billets d’avion sont pris au dernier moment, nous partirons six jours. Yves m’envoie la carte GPS des lieux à explorer. Il y en a une trentaine, beaucoup plus que ce à quoi je m’attendais. Au fil des années, ils se sont spécialisés dans l’art du repérage sur Internet. Romain peut passer des nuits blanches à nourrir leur base de données classée par pays et riche de centaines d’adresses et de milliers d’images. Photos satellite, articles de journaux locaux, galeries Flickr ou recherches de mots-clés dans la langue PRISES DE VUES SOUS du pays ciblé servent à LA NEIGE, DANS LES DÉBRIS DE L’ANCIENNE localiser les lieux à enCIMENTERIE DE GRODZIEC. registrer avant qu’ils ne
disparaissent. Leur travail est une course contre le temps. YVES MARCHAND ET ROMAIN MEFFRE, S’ils finalisent un projet de CEMENTOWNIA, livre sur les cours intérieures GRODZIEC, 2015. de Budapest, leur série sur les vestiges industriels – entamée il y a quinze ans et pour laquelle nous partons en Pologne – ne sera pas bouclée avant 2020.
JOUR 1 — MON BAPTÊME DE L’EXPLORATION URBAINE Arrivés à l’aéroport à la mi-journée, pas de temps à perdre. Alors que les touristes filent vers Cracovie, nous prenons la route dans l’autre sens. Direction Katowice, chef-lieu de la région minière de Silésie, qui concentre sur un périmètre restreint de nombreuses ruines industrielles. Le paysage défile : les forêts de bouleaux en nuances de gris, quelques hameaux colorés, et nous voici au cœur de la campagne polonaise. Les voies se font plus étroites. Une fois en pleine forêt, le chemin n’est qu’un amas de boue : il faut faire le tour et garer la voiture dans une impasse. Yves et Romain ont à peine le temps de saisir leur matériel qu’un gardien sort d’une guérite posée au milieu de nulle part. Il est plutôt agressif et parle aussi bien anglais que nous polonais. Impossible de communiquer, il faut dégager. « Les sites des anciens pays soviétiques sont souvent protégés par des gardes très zélés, m’explique Romain en rentrant dans la voiture. Parfois, ils sont même plusieurs pour surveiller un tas de briques, ça n’a pas de sens. »
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« T’INQUIÈTE, ÇA NE SERA PAS TOUJOURS AUSSI GALÈRE ! » Mais il en faudrait plus pour décourager Yves et Romain qui décident de garer la voiture 500 mètres plus loin et de couper à travers champs pour rejoindre le site. Ils se frayent un passage entre les ronces à grandes enjambées. J’ai du mal à suivre, je ne pensais pas que l’expédition serait aussi sauvage. Pour traverser une petite rivière, nous installons un rondin qui craque sous mon passage… et mon pied s’enfonce dans la vase. Pire qu’un baptême, on croirait un bizutage. Romain me rassure : « T’inquiète, ça ne sera pas toujours aussi galère ! » Nous atteignons une étrange structure hexagonale en béton. « C’est un reste de refroidisseur, il y avait une cimenterie ici. » Yves grimpe sur un rebord étroit pour caler le trépied. Gêné par une branche, il effectue certaines opérations à l’aveugle. Ses gestes sont précis malgré l’espace réduit. Les deux complices travaillent depuis dix ans avec une chambre 10 x 12 cm, en argentique. Le temps de monter l’appareil, de charger les films et d’essayer deux focales, la prise de vue dure vingt minutes pour deux clichés seulement. Nous rebroussons chemin discrètement. Trois châteaux d’eau plus tard, la journée se termine dans un hôtel d’affaires au bord de l’autoroute. En moyenne, Yves et Romain voyagent ensemble quatre mois sur douze. Ils ont déjà parcouru une vingtaine de pays. Je leur demande s’ils en profitent pour faire un peu de tourisme. « Non, pas vraiment, répond Yves. Une fois sur place, on n’a pas envie de rater des trucs, on est assez boulimiques ! »
© YVES MARCHAND ET ROMAIN MEFFRE.
JOUR 2 — GLIWICE, ZABRZE, BYTOM, CHORZÓW, RADOM, RUDA SLASKA ET AUTRES VILLES QUE LE LONELY PLANET NE CONNAÎT PAS J’ai bien compris que j’aurais du mal à écrire un guide touristique après ce séjour. Ce dimanche, nous avons pris la route à neuf heures et passé la matinée à enchaîner les échecs : un site inaccessible, un château d’eau en rénovation et une petite usine détruite sans intérêt. Des kilomètres avalés pour rien. Si ce n’est le plaisir de rouler sur ces YVES MARCHAND ET ROMAIN chemins que le voyageur lambda MEFFRE, NA GROBLI WATERWORKS, WROCLAW, 2015. n’a aucune raison d’emprunter.
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En 1995, la guerre de Bosnie-Herzégovine opposant les populations serbes, croates et bosniaques s’achevait. Vingt ans plus tard, la ville de Srebrenica peine encore à panser les plaies du massacre qui l’a ravagée. Adrien Selbert, photographe français de 30 ans, s’est intéressé à cette nouvelle génération qui a l’âge de la guerre et doit faire face aux préjugés, au chômage et à la corruption. TEXTE : GWÉNAËLLE FLITI – PHOTOS : ADRIEN SELBERT
Srebrenica (nuit à nuit) Portrait d’une génération post-génocide
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En mars, lors des élections départementales, le photographe Raphaël Helle a suivi le jeune candidat Loup Viallet, visage emblématique de la classe biberon du Front national. TexTe : Sylvain Morvan – PhoToS : raPhaël helle / la France vue d’ici / SignaTureS
Loup, ou le FN déguisé en agneau Au milieu des bouquets, un jeune en costume noir, les cheveux impeccablement plaqués en arrière, tient son chiot en laisse. La fleuriste l’accueille chaleureusement dans sa boutique, caressant l’animal. L’homme au visage poupin a 24 ans et s’appelle Loup Viallet. Il tient dans sa main des tracts du Front national. Le FN millésime 2015 a changé de look. Les borgnes aux allures de bouledogues ont fait leur temps. Le fondateur, Jean-Marie Le Pen, réputé pour son obsession à changer les chambres à
gaz en « détail de l’histoire », a été arborent sans peine le sourire et la suspendu par le Front national après LOUP VIALLET, CANDIDAT cravate. Dans la pose comme dans FN À L’ÉLECTION une énième provocation. Désormais, DÉPARTEMENTALE l’habillement, les leaders frontistes DU le parti situé à l’extrême droite de CANTON D’AUDINCOURT. prennent des airs de notables pour DOUBS, 12 MARS 2015. l’échiquier politique est gouverné par mieux coller à la stratégie de norsa fille Marine, secondée dans sa tâche malisation du parti politique. Loup par l’énarque Florian Philippot, vice-président Viallet, titulaire d’une maîtrise en histoire et en chargé de la stratégie et de la communication. lettres, fait partie de cette génération de « bébés Derrière eux, une armée de nouvelles têtes Philippot », classe biberon d’un mouvement symbolise cette génération montante. Souvent que ses dirigeants voudraient dédiaboliser pour plus avenants que leurs prédécesseurs, ils accéder au pouvoir. En 2011, il travaillait
ENTRE LES DEUX TOURS DES ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES POUR LE CANTON D’AUDINCOURT, LOUP VIALLET (À GAUCHE), LE CANDIDAT FN, EST EN CAMPAGNE. DAMPIERRE-LES-BOIS, DOUBS, 27 MARS 2015.
EN CAMPAGNE ENTRE LES DEUX TOURS, LOUP VIALLET (À DROITE) ÉCRASE SYMBOLIQUEMENT LE VISAGE DE SON ADVERSAIRE SOCIALISTE, CHRISTINE CORENGASPERONI. HÉRIMONCOURT, DOUBS, 26 MARS 2015.
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POLITIQUE
« J’AI VOULU RENDRE COMPTE DE LA CAMPAGNE ÉLECTORALE DE LA MANIÈRE LA PLUS IMPARTIALE POSSIBLE. » auprès du chevènementiste Georges Sarre au Conseil de Paris. Il est désormais assistant de Dominique Bilde, députée européenne du parti à la flamme. Raphaël Helle, membre de l’agence Signatures, a suivi le jeune frontiste en mars, dans le cadre de La France vue d’ici, vaste enquête photographique lancée par Mediapart sur un pays en plein bouleversement. « En 2013, j’ai effectué un reportage au sein de l’usine Peugeot de
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un frontiste lors des élections départementales du mois de mars, sur cette terre hautement symbolique, abritant le plus grand site industriel de France. Il se rend à la conférence de presse de présentation des candidats. Et rencontre Loup Viallet, qui accepte aussitôt la proposition. LES MILITANTS OCCUPENT LE TERRAIN
Raphaël Helle connaît bien le FN. En 1997, cet ancien technicien du textile, qui fut aussi commercial et même bûcheron, avait saisi un boîtier pour couvrir les élections municipales Sochaux, raconte ce Franc-Comtois. J’ai suivi de Vitrolles (Bouches-du-Rhône), remportées durant six mois les ouvriers au quotidien et par la frontiste Catherine Mégret. Ses clichés j’ai été frappé par le grand nombre d’entre eux avaient été publiés dans Le Nouvel Observateur, qui me confiaient voter pour l’extrême droite. » Libération, le New York Times. Il entamait ainsi sa carrière de photographe de presse. En février, la candidate du FN dans le LOUP VIALLET DANS « Les membres du parti que j’ai renDoubs, Sophie Montel, frôle la victoire UN BAR FRÉQUENTÉ PAR DES FRANÇAIS contrés à l’époque étaient revêches et lors de l’élection législative partielle, ORIGINAIRES DU sur la circonscription de l’ancien MAGHREB. AUDINCOURT, méprisants, se souvient-il. Ils entreteDOUBS, MARS 2015. naient des relations houleuses avec ministre socialiste Pierre Moscovici. les journalistes. Une sorte de milice Raphaël Helle se met en tête de suivre
SECOND TOUR DES ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES : LOUP VIALLET AU MAQUILLAGE AVANT LE PLATEAU TÉLÉ DE FRANCE 3 BESANÇON. IL VIENT JUSTE D’APPRENDRE SA DÉFAITE. BESANÇON, DOUBS, 29 MARS 2015.
faite de gros bras intimidait constamment les opposants. » La campagne à laquelle a assisté le photographe, dix-huit ans plus tard, a peu de choses à voir avec la première. Ses photos suivent la déambulation de Loup Viallet et son chiot dans les rues d’Audincourt. « Il se montre affable et courtois, constate Raphaël Helle. Les commerçants lui réservent, la plupart du temps, un excellent accueil. » Qu’elle semble loin, cette époque où la propagande du FN lors des élections locales se limitait à quelques prudentes campagnes d’affichage nocturne ! Désormais, les militants ne se cachent plus et occupent le terrain. « Loup Viallet n’a d’ailleurs pas hésité à entrer dans un café fréquenté en majorité par des clients d’origine maghrébine, où il a provoqué un débat assez tendu », raconte Raphaël Helle. Le photographe s’interroge encore : « Est-il entré dans ce bistrot parce que j’étais avec lui, dans le seul but d’y obtenir de bonnes images ? » Il est parfois périlleux, pour le photographe comme pour le journaliste, d’évoquer le Front
national avec justesse, sans être taxé de partisan. En octobre 2013, le bimestriel masculin Elle Man était accusé de complaisance pour avoir posté sur son site Internet un article sur le look de Julien Rochedy, le leader des jeunes militants d’extrême droite. « Julien Rochedy, it boy ou hate boy ? », s’interrogeait le magazine, avant de passer en revue le look « Milosevic mi-baba cool » du frontiste. L’article, incroyablement maladroit, a vite été retiré de la Toile. En mai dernier, Grazia publiait une enquête tout aussi controversée sur les jeunes adhérentes du FN. On y faisait la connaissance d’Anaïs, 23 ans, tout sourire dans sa robe bleu-blanc-rouge, ou de Mathilde, 19 ans, tenant fièrement son drapeau tricolore. Des internautes ont crié au scandale sur Twitter, y voyant une promotion honteuse du parti. Le journal féminin a-t-il cherché à glamouriser le FN ? « Les gens se sont focalisés sur les images, sans avoir lu l’article, déplorait Joseph Ghosn, directeur de la rédaction, dans Les Inrockuptibles. On ne les a pas fait poser
SECOND TOUR DES ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES : LOUP VIALLET SUR LE PLATEAU TÉLÉ DE FRANCE 3 BESANÇON. IL A PERDU L’ÉLECTION. BESANÇON, DOUBS, 29 MARS 2015.
SUR LE PLATEAU DE FRANCE 3 FRANCHECOMTÉ, AVANT LE DÉBAT AVEC LOUP VIALLET, CANDIDAT FN ARRIVÉ EN TÊTE AU PREMIER TOUR (AVEC 37,57 % DES SUFFRAGES EXPRIMÉS) DANS LE CANTON D’AUDINCOURT. BESANÇON, DOUBS, 23 MARS 2015.
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Instagram, blog, papier glacé des magazines, chaîne télé… les photos culinaires déferlent de toutes parts. Les images signées par des photographes professionnels côtoient celles des curieux de street food, tandis que des restaurateurs mâtinés de marketing inventent la « foodography ». Mariant envie et plaisir, le fooding se décline en une myriade de recettes et interpelle les industriels avides de parts de marché. Fisheye s’invite côté cuisine, où les photos se partagent comme une bonne bouffe. TEXTE : DORIAN CHOTARD
#foodporn à toutes les sauces !
© ArnAud deroudilhe. © Pierre lucet PenAto.
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Ça commence par un plateau d’huîtres et un verre de vin blanc sur un marché de Seattle. Puis, dans l’heure qui suit, ce sont des beignets de boudin noir dans un bistrot parisien à la mode, un juteux burger sauce chimichurri dans un resto à Barcelone, un plateau de fromages et ses gros cornichons dégustés face à la campagne toscane et, pour finir, une tarte aux fruits rouges déstructurée dans un étoilé new-yorkais. Cette avalanche de (bonne) bouffe n’est pas le menu de la semaine d’un jet-setteur gourmet, mais quelques-unes des notifications reçues sur Instagram par la responsable communication du Fooding pendant l’interview qu’elle nous a accordée. « Je suis très sollicitée, car je reposte chaque jour plusieurs photos. Je publie régulièrement et à des heures stratégiques. Une belle image de sucré au goûter, par exemple, ça cartonne toujours », détaille Victoire Louapre, fière d’avoir fait passer ce compte de 9 000 à 34 000 abonnés en six mois. Créé il y a quinze ans dans le but de dépoussiérer la critique gastronomique, le guide culinaire a forgé sa réputation grâce à ses textes et ses illustrations. Sur son site Internet, une image de l’addition froissée a longtemps suffi à illustrer les chroniques des établissements. Mais les temps ont changé, et Le Fooding mise désormais sur la photo et les réseaux sociaux pour agrandir sa communauté. « Même s’il est très populaire, je n’utilise pas le hashtag “foodporn”, nuance Victoire. Je trouve qu’il renvoie surtout à ce qui est très gras ou très sucré, et ce n’est pas le cas de toutes nos publications. » Cependant, avec plus de 56 millions d’occurrences sur Instagram, ce mot-clé est employé pour à peu près tout ce qui est comestible, du plat de grand chef au poulet du dimanche fait à la maison, du plus calorique au plus diététique. UNE ENVIE UN PEU SAUVAGE
Julien Pham, cofondateur et rédacteur en chef du magazine culinaire Fricote, propose une définition plus large du concept. « Pour moi, le
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« POUR MOI, LE FOODPORN, C’EST L’IDÉE DE SUSCITER L’ENVIE IMMÉDIATE À LA VISION D’UNE PHOTO DE BOUFFE. JE DIRAIS MÊME QUE C’EST CENSÉ GÉNÉRER UNE ENVIE UN PEU SAUVAGE, CELUI QUI REGARDE L’IMAGE DEVRAIT PRESQUE AVOIR LA BAVE AUX LÈVRES. »
SOIRÉE DES 15 ANS DU FOODING, EN JUIN DERNIER.
foodporn, c’est l’idée de susciter l’envie immédiate à la vision d’une photo de bouffe. Je dirais même que c’est censé générer une envie un peu sauvage, celui qui regarde l’image devrait presque avoir la bave aux lèvres. Tu peux tout qualifier de foodporn tant que tu obtiens cet effet-là ! » Avec 37 000 abonnés, le compte Instagram du magazine qui cible les « épicuriens urbains » partage ses bons plans pour se remplir la panse. « Fricote s’adresse à ceux qui, comme moi, aiment manger mais ne cuisinent pas forcément. Ce que je poste correspond à ce que je mange au quotidien. Il y a de tout : du gastronomique, de la street food et même des produits de supermarché, au prorata de ce que ça représente dans ma vie. Même si j’adore les restos étoilés, je n’y vais pas tous les jours ! » Que ce soit pour une grande occasion ou un déjeuner sur le pouce entre collègues, le choix d’un établissement se fait de plus en plus grâce aux photos.
« J’ai plein d’amis qui choisissent leurs adresses uniquement grâce à Facebook ou Instagram. Le bouche-à-oreille sur les réseaux sociaux est très efficace. Cette profusion d’images ramène à une tendance plus large : celle de l’intégration du téléphone portable à table, analyse Julien. C’est devenu une évidence : il t’accompagne avant pour trouver le resto, pendant pour prendre des photos, et après pour les partager. »
UN « FOODIE », LORS DE LA SOIRÉE DES 15 ANS DU FOODING.
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Vous aimez le cyan, le bleu de Prusse ? Ça tombe bien, c’est la couleur que l’on obtient avec le cyanotype, un procédé photo monochrome négatif ancien. On doit cette technique à Sir John Frederick William Herschel, qui l’a découverte en 1842. Maintenant que les présentations sont faites, entrons dans le vif du sujet ! TexTe eT phoTo : QuiTTerie DupuTel-Bonnemaison
Temps de réalisation : 45 minutes Temps de séchage : entre 30 minutes et 1 heure Niveau de difficulté : facile
Le cyanotype
LES INGRÉDIENTS • 8 g de ferricyanure de potassium et 20 g de citrate de fer ammoniacal vert / ou un kit de cyanotype • De l’eau • De l’eau oxygénée
MATÉRIEL NÉCESSAIRE • Deux flacons de verre brun • Une photo numérique ou le scan d’un négatif, avec suffisamment de contraste • Une imprimante • Des feuilles de plastique transparentes pour imprimante • Du papier Canson 180 g ou du papier à aquarelle • Du ruban adhésif de masquage (facultatif) • Un sèche-cheveux (facultatif) • Deux seringues sans aiguille • Une petite coupelle en plastique • Un pinceau mousse • Un sous-verre classique • Du soleil ou une lampe à UVA, type solarium facial • Deux cuvettes • Une cuillère à café
Dans ta cuve ! est né de la rencontre de passionnés de photographie argentique. Tels les trois mousquetaires de l’émulsion photosensible, Quitterie, Anaïs et Rémy constituent la base de l’association. Dans ta cuve ! leur donne une bonne excuse pour éplucher les grimoires de grand-mère, dans le seul but de faire passer toujours plus de temps dans leur labo photo aux autres amoureux de pellicule et de jouer aux petits chimistes. Et comme ils aiment bien aussi picoler, ils organisent des apéros, le fameux #TAAG, pour papoter photo une fois par mois autour d’un verre dans le 11e arrondissement de Paris. www.danstacuve.org
Étape 1 Sélectionnez la photo que vous voulez traiter et transformez-la en négatif avec une résolution de 300 dpi.
Choisissez de préférence une photo contrastée.
Et voici la fameuse Étape 4 recette du cyanotype, si vous souhaitez maîtriser l’ensemble du processus. Tout d’abord, prenez deux flacons de verre brun. Dans le premier, mélangez 20 g de citrate de fer ammoniacal vert avec 100 ml d’eau et, dans le second, 8 g de ferricyanure de potassium avec 100 ml d’eau également. Si vous voulez conserver ces solutions pendant six mois, ajoutez 1 ml de formol dans chacune des préparations. Pensez à bien garder les flacons à l’abri de la lumière.
Étape 5 Dans une pièce ne recevant pas de lumière du soleil ou de lumière à UV (attention aux ampoules dernière génération), préparez votre solution en mélangeant à parts égales la solution de ferricyanure de potassium et la solution de citrate de fer ammoniacal vert. À l’aide des seringues sans aiguille, prélevez 2 ml de chacune des solutions et mélangez-les dans une coupelle à l’aide du pinceau mousse durant 40 secondes pour obtenir une solution homogène.
Étape 2 Imprimez votre négatif sur une feuille transparente.
Sur votre feuille Étape 3 Canson, utilisez du ruban adhésif de masquage en reprenant les dimensions de votre négatif et faites un cadre avec, si vous souhaitez des bords nets.
Badigeonnez votre Étape 6 feuille Canson avec la solution obtenue préalablement. Avec votre pinceau mousse, étalez la préparation en faisant des bandes de façon horizontale puis verticale, l’essentiel étant qu’il n’y ait pas trop de produit et que l’émulsion soit étalée de façon régulière.
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Étape 7 Si la patience n’est pas votre fort, vous pouvez donner un coup de sèche-cheveux sur votre feuille, de préférence en position air froid. Sinon, attendez. Vous pouvez méditer et aller ouvrir vos chakras !
POUR ALLER PLUS LOIN
Si vous avez mis du Étape 8 ruban adhésif de masquage, vous pouvez désormais l’enlever.
Étape 9 Ouvrez votre sous-verre, installez votre feuille, puis votre négatif, remettez la plaque de verre et installez les crochets.
• Je vous conseille de visionner sur notre site www.danstacuve.org l’excellente intervention du photographe Paul Allain, faite à l’occasion du Salon de la photo 2014, « Application de procédés anciens sur photos numériques ». • Lisez Blueprint to Cyanotypes de Malin Fabbri et Gary Fabbri pour apprendre à faire des tirages au thé, au café et plus encore ! • Vous pouvez remplacer le négatif par des fleurs ou des plantes. Regardez à ce sujet les cyanotypes de la botaniste anglaise du XIXe siècle Anna Atkins.
Étape 10 Votre cyanotype est prêt à être insolé.Vous avez deux options : soit il fait grand beau temps, soit vous avez une lampe à UVA. Si vous êtes chanceux, laissez votre cadre en plein soleil pendant 5 à 15 minutes (à vous d’expérimenter le temps nécessaire en fonction de la luminosité). Si vous possédez une lampe à UVA, disposez votre cadre à 10 cm au minimum de la lampe, il vous faudra environ 15 minutes. Idem, c’est à vous de tester le temps nécessaire.
Défaites le sousÉtape 11 verre, plongez votre feuille dans une cuvette d’eau et agitez pendant 2 minutes. Recommencez cette étape deux fois encore.
Dans la seconde Étape 13 cuvette, ajoutez une cuillère à café d’eau oxygénée à l’eau et immergez votre feuille. Plongez votre feuille pendant 1 minute à peine, le cyanotype va prendre une couleur plus soutenue.
Étape 14
Étape 12 Attention à la nocivité du cyanotype qui contient du formol et du ferricyanure de potassium. Pensez à mettre votre eau de rinçage dans un bidon que vous amènerez à recycler.
Laissez sécher.
LE RÉSULTAT
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LABO
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ART VIDÉO
L’art contemporain se réinventera par le virtuel. Forts de ce constat, des dizaines d’artistes formés aux nouvelles technologies apparaissent ces dernières années dans le circuit. Ils s’appellent David Guez, Ziv Schneider, Mark Farid, Sara Vogl ou encore Adelin Schweitzer, et tous ont choisi d’explorer la réalité virtuelle. Fisheye est allé à leur rencontre. texte : MaxiMe DelCourt
Réalité virtuelle, l’échappée belle
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DAV I D G UE Z >> CELUI QUI VEUT CHANGER NOTRE RAPPORT AU MONDE
« La réalité virtuelle est un espace encore vierge, un nouveau terrain de jeu pour les artistes, l’équivalent du Web au croisement des années 1990-2000. » Fort de ce constat, David Guez, fondateur du collectif VRLab, qui « propose de réunir de façon plus ou moins informelle des artistes, chercheurs, critiques, penseurs autour des questions que pose la réalité virtuelle », voit en ce médium le possible futur de l’art contemporain. Une façon d’engager le spectateur vers de nouvelles esthétiques, de questionner notre rapport à la vision, au corps, à l’espace, au temps ou à l’environnement. « Je pense que la réalité virtuelle va complètement transformer notre rapport au monde et à l’autre, nous faire entrer dans des illusions tellement parfaites que les enjeux se passeront aussi au niveau cognitif et psychologique. » Dans ces conditions, comment douter de la démocratisation d’une telle technologie ? Alors
© Jonathan Coryn.
PROJET LÉVITATION DE DAVID GUEZ.
que les principaux casques de réalité virtuelle arrivent en 2016 en version grand public pour moins de 300 euros et que les grands acteurs du marché investissent lourdement dans ce secteur (Sony avec la PlayStation, Facebook avec Oculus Rift, Google avec Magic Leap, Microsoft avec HoloLens), comment douter de cette révolution visuelle qui arrive ? Pour David Guez, c’est bien simple, « la technologie est quasi prête, et les investisseurs, déjà engagés. Internet et les réseaux sociaux offrent également sur un plateau plusieurs millions d’utilisateurs déjà prêts à s’interconnecter dans de nouveaux mondes parallèles. » Présent sur tous les fronts, David Guez développe d’ailleurs actuellement trois projets artistiques : Lévitation, Multivr et Homni, une application de réalité virtuelle multi-utilisateur pour smartphone permettant de se transporter dans le regard des autres. www.guez.org
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ZIV SCHNEIDER >> CELLE QUI VEUT RÉHABILITER L’ART
Au sein de cette nouvelle génération d’artistes, l’Israélienne Ziv Schneider fait figure d’exemple et de dissidente, tant le territoire qu’elle occupe depuis ses débuts semble étranger à tout effet
de mode. Son projet nommé A Museum of Stolen Art est né lors d’un travail de fin d’études à l’ITP (Tisch School of the Arts) de New York. L’idée ? Mettre à disposition la collection la plus recherchée du monde, comprenant des œuvres et des sculptures disparues et répertoriées dans les archives du FBI et d’Interpol. « Je suis fascinée par la frontière qui existe entre l’art et les différentes motivations qui incitent les gens à piller une œuvre. Je suis également intéressée par l’idée qu’une œuvre d’art volée puisse se trouver n’importe où, que l’on puisse tomber par hasard sur une partie de cette œuvre. » Dans son musée des œuvres volées, que l’on parcourt à l’aide d’un casque de réalité virtuelle, trois expositions sont d’ores et déjà créées : Le Pillage de l’Afghanistan, Le Pillage de l’Irak et Célèbres peintures volées. Cette dernière comprend notamment des tableaux des maîtres flamands Rembrandt et Vermeer, et du Français Edgar Degas, dérobés à l’Isabella Stewart Gardner Museum en 1990. Quant à la technique utilisée, Ziv Schneider se veut plutôt claire : « Il y a différentes façons de mettre en place un projet de réalité virtuelle. Beaucoup utilisent des moteurs de jeu qui ont une intégration avec des logiciels tels que Google Cardboard ou Oculus Rift, ce qui est mon cas. Mais vous pouvez également créer différentes expériences de navigation et les exécuter sur différents appareils mobiles. » Consciente que le casque Oculus « ne donne pas encore lieu à une expérience parfaite », l’artiste, qui a utilisé une manette PlayStation pour créer les mouvements, prévoit actuellement de développer une version de son musée sur Internet. www.zivschneider.com
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LE DESSIN MYSTÈRE
C’est l’été, le soleil brille. Fisheye a décidé de vous accompagner à la plage en vous concoctant ces quelques pages de jeux. L’occasion de tester vos connaissances tout en vous faisant dorer la pilule.
Mais qui est donc l’auteur de la photo qui se cache derrière ce dessin mystère ? Reliez les points en suivant les numéros pour dévoiler l’image.
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A deviner en 9 lettres Application pour partage de photos Prix pour jeunes photographes
Enlevée
Photographe péruvien
Gel de nouveau
Fin de prière
Le chlore au labo
Subjonctif présent de possèdes
Machine
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MOTS FLÉCHÉS PHOTO
Noire pour la photo
CHRISTOPHE LEVERD Son vrai nom est Valérie Gilard Avalé
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Est grand ouvert
Fleur
Habitai
Installe Hommes chez les Anglais Lustrera Squelette
5 Union d'Europe
Élégants
Festival de la photo dans le 13
Pleines
Cours préparatoire Hypothèse
3 Le strontium pour le chimiste
Poil de l'œil
Dirigea
Se tromper "Se…"
8 Patronyme
Perdit
Ajoutiez du poids
Membre d'une secte juive
Sonde
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Ventilées Célèbre photographe
Pour un régiment territorial
Gros tas de sable
Equerre
Informai
Amoureuse
Pesa
Lisière
Expo de Patrick Zachmann
On le boit avant de manger
Implorai
Rapport Organisation du pétrole Habillée
Couronne scandinave
Brame
Adolescent
Lombric
Eclos
Décore Noël
Cité chaldéenne
Existes
Impartial
Un "James" d'antan au cinéma
Procédé pour obtenir du relief
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INSTA-QUIZ Mais de quels comptes Instagram sont tirés ces clichés ?
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- James Franco - Amber Heard - Seth Rogen
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- Héloïse Letissier - Calista Flockhart - Axelle Laffont
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- Lena Dunham - Ellen Page - Lena Headey
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- Lindsay Lohan - Jessica Simpson - Shakira
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- Avril Lavigne - Madonna - Kesha
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- Satya Oblette - Lenny Kravitz - Ben Harper
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- Ashton Kutcher - Justin Timberlake - Josh Hartnett
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- Jared Leto - RuPaul - Conchita Wurst
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- Michelle Rodriguez - Rose McGowan - Charlize Theron
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- Jared Leto - David Beckham - Jake Gyllenhaal
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- Norman Reedus - Terry Richardson - Andrew Lincoln
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- Léa Seydoux - Kate Moss - Cara Delevingne
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- Matt Pokora - Justin Timberlake - Ryan Gosling
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- Rihanna - Nicki Minaj - Azealia Banks
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- Cristiano Ronaldo - Neymar da Silva Santos Júnior ❑ C - James Rodríguez
- Ellen DeGeneres - Jane Lynch - Portia de Rossi
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- Zooey Deschanel - Lady Gaga - Katy Perry
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- Marilyn Manson - Daniel Radcliffe - Dave Grohl
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- Britney Spears - Gisele Bündchen - Taylor Swift
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- Liv Tyler - Mick Jagger - Joe Perry
- Justin Bieber - Cody Simpson - Zac Efron
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- Paris Hilton - Lady Gaga - Jennifer Aniston
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- Alyson Hannigan - Maisie Williams - Sophie Turner
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- Serena Williams - Oprah Winfrey - Venus Williams
Le premier plot de signalisation a perdu une bande orange. Le panneau au centre de la sculpture s’est agrandi. La plaque derrière la sculpture a disparu. Un second spot a fait son apparition sur le mur du fond. La rambarde à droite a une barre verticale supplémentaire. Un immeuble en arrière-plan a disparu. Une branche qui dépassait du mur à gauche a disparu.
LES 7 DIFFÉRENCES
Larry Clark, Billy Mann, série Tulsa.
[1 - James Franco] [2 - Lady Gaga] [3 - Justin Bieber] [4 - Taylor Swift] [5 - Marilyn Manson] [6 - Katy Perry] [7 - Héloïse Letissier (Christine and the Queens)] [8 - Liv Tyler] [9 - Ashton Kutcher] [10 - Jared Leto] [11 - Justin Timberlake] [12 - Ellen DeGeneres] [13 - Lena Dunham] [14 - Madonna] [15 - Conchita Wurst] [16 - Terry Richardson] [17 - Rihanna] [18 - Sophie Turner] [19 - Lindsay Lohan] [20 - Lenny Kravitz] [21 - Michelle Rodriguez] [22 - Cara Delevingne] [23 - Neymar] [24 - Serena Williams]
INSTA-QUIZ
DESSIN MYSTÈRE
LES SOLUTIONS Deux photos a priori identiques, et pourtant… Sept différences s’y sont glissées, à vous de les trouver.
LES 7 DIFFÉRENCES S ENSIBILITÉ
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L’ÉTÉ
Salon du Panthéon 13, rue Victor-Cousin, 75005 Paris. Tél.: 01 40 46 01 21. Ouvert au public du lundi au vendredi, de 12 heures à 19 heures. whynotproductions.fr/pantheon Pour contacter Alexandra de Comarmond : alexandra@unefeteaparis.com
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EN APART É
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Entre la Sorbonne et le Panthéon, au-dessus d’un cinéma mythique de la capitale, se niche un salon très cosy. Un écrin décoré par Catherine Deneuve et Christian Sapet, qui ouvre ses murs à la photographie. TexTe : Éric KarsenTy – PhoTos : Marie abeille
Le Salon du Panthéon
Du septième au huitième art Tapis épais et canapé en velours rouge assorti, fauteuils et poufs en cuir patiné, abat-jour et spots distillant une lumière douce, bienvenue au Salon du Panthéon, un lieu méconnu qui accueille régulièrement des expositions photo dans un cadre raffiné. Ce loft de 150 mètres carrés, situé à quelques pas de la Sorbonne et à un jet de pierre du Panthéon, surmonte le cinéma du même nom, l’un des plus anciens de Paris. Propriété de la société Why Not Productions, qui possède aussi la salle de projection et la librairie spécialisée qui le jouxte, le Salon du Panthéon est un lieu où le cinéma a ses quartiers. Conférences de presse, interviews, réunions de travail ou cocktails, c’est principalement le petit monde du septième art qui se retrouve dans cette atmosphère cosy, amoureusement entretenue par Catherine Deneuve et son décorateur complice, Christian Sapet. Chaque élément de l’aménagement, de la couleur des tapis aux choix des luminaires en passant par les faïences de la cuisine, est validé par l’actrice qui a agencé l’espace, jusqu’à la terrasse chauffée qui prolonge le salon. Le cinéma, c’est aussi la thématique qui préside au choix des expositions organisées ici. Si la première d’entre elles, en 2010, était consacrée à Elliott Erwitt, on a pu voir les travaux de Romain Meffre et Yves Marchand (voir aussi pages 48 à 53 de ce numéro), ceux de Stephan Zaubitzer sur les salles de cinéma au Maroc, ou encore les précieux Polaroids de Philippe Guionie sur la mer Noire, présentés dans le cadre du dernier Mois de la Photo. Actuellement, et jusqu’au 31 juillet, vous
y verrez le très beau travail d’Alain Cornu, Sur Paris, où le photographe arpente, la nuit, les toits de la capitale qu’il photographie à la chambre. Des images à l’atmosphère cinématographique évidente (un clin d’œil à Sous les toits de Paris de René Clair), comme autant de plans arrêtés d’un film à venir. La lumière tamisée qui les éclaire participe à l’ambiance, et c’est sans doute l’une des contraintes de ce lieu qui ne peut accrocher de grands formats : la place y est en effet limitée, et l’éclairage, fixe. Les candidats souhaitant présenter leur dossier doivent s’adresser à Alexandra de Comarmond, une femme de goût ayant opté pour la restauration après avoir suivi un cursus à l’École du Louvre. La chef opère une première sélection, avant de la soumettre à Catherine Deneuve qui conserve le final cut. Si les photos sont en vente comme dans n’importe quelle galerie, le lieu ne prend aucune commission et renvoie les acheteurs vers l’artiste ou son agent attitré. Le Salon du Panthéon est aussi un lieu où vous pouvez déjeuner (sur réservation) ou passer prendre un verre l’après-midi (en semaine) si vous êtes dans le quartier, ou juste après une séance de ciné dans la salle au-dessous. Vous y croiserez peut-être une actrice ou un réalisateur, vous y verrez des photos (en septembre, le chef-opérateur David Nissen y organise sa première expo) et vous y passerez certainement un moment agréable dans une ambiance unique. Et si vous êtes fortuné, vous pourrez même privatiser le lieu pour un événement de votre choix. De quoi vous faire votre propre cinéma.
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S EN S IB ILITÉ
PROJET WEB
Me-Mo, contraction de « Memory in Motion », est un magazine digital indépendant, trilingue et interactif, qui a vu le jour le 19 janvier dernier. Son ambition : valoriser le photojournalisme à travers des reportages longs, enrichis et immersifs. texte : Marie MoGlia
Me-Mo La mémoire en mouvement
« Multimédia, documentaire et social », c’est ainsi que Maral Deghati, rédactrice en chef de Me-Mo, définit son média. Derrière ce projet innovant et audacieux, il y a une bande de cinq photoreporters : Manu Brabo, Fabio Bucciarelli, José Colón, Diego Ibarra Sánchez et Guillem Valle. Ce sont eux qui ont convaincu Maral de se joindre à leur projet de coopérative, et c’est grâce à la plate-forme de crowdfunding Indiegogo que Me-Mo a vu le jour. Le projet avait reçu 22 000 euros de recettes pour un objectif fixé à 15 000 euros, « ce qui nous a permis de bien faire le travail », précise Maral. Et le 2 septembre 2014, lors du festival Visa pour l’image, Me-Mo est dévoilé au grand public. « Ce n’est pas juste un magazine, notre business plan est plus approfondi que ça », détaille la rédactrice en chef. Car Me-Mo est aussi une boîte de production et une agence de photo. Leur
modèle économique « tient la route » parce que la petite bande de trentenaires fonctionne sans hiérarchie et partage la même passion pour la photo. Seule contrainte : ils sont tous éparpillés aux quatre coins du monde. Maral est à Paris, Diego à Beyrouth, et les autres entre Turin et l’Espagne, « mais sont souvent sur la route ». IMMERSION
Quelques mois plus tard, en janvier 2015, le premier numéro, Miedo (centré sur la thématique de « la peur »), est lancé sur l’App Store. Disponible en anglais, en espagnol et en italien, vendu à 9,99 euros, Me-Mo séduit d’emblée près de 3 000 utilisateurs, alors qu’« il fallait
1 000 abonnés pour pouvoir continuer », explique Maral. Car l’originalité de ce magazine digital, c’est qu’il n’est conçu que pour un seul support : la tablette. Ce qui a demandé un budget important pour le développement – soit quarante jours de postproduction –, réalisé par l’agence Libre. La barre a été placée très haut pour ce premier opus, qui nous embarque dans les affres de la guerre
© Jose Colon / Me-Mo (issue #2). © GuilleM Valle / Me-Mo (states of identity, issue #1). © fabio buCCiarelli / Me-Mo (issue #1).
S ENSIBILITÉ
en Libye, lorsqu’elle a éclaté en 2011. Le lecteur voyage aussi en Ukraine, au Pakistan et en Espagne. Il faut compter environ treize minutes pour lire chacun des contenus. En scrollant, en regardant une vidéo, en déroulant les informations d’infographies interactives, mais aussi en explorant des photographies comme si on y était, grâce à un effet gyroscopique (en faisant varier l’orientation de la tablette dans l’espace). L’effet est bluffant. Tous les reportages proposés dans ce premier numéro ont été réalisés par les photojournalistes fondateurs du projet. EXPLORATION
Me-Mo évolue constamment, comme l’explique Maral : « C’est un produit vivant. Notre force, c’est l’innovation. » La difficulté
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PROJET WEB
d’une telle position éditoriale et économique implique d’avoir une réflexion permanente pour repousser ses propres limites et proposer un produit toujours amélioré. Ainsi, le code qui génère les effets d’immersion et de lecture est modulable : « C’est une exploration. » C’est cette audace qui permet à l’équipe de proposer l’information et le journalisme auxquels elle croit. Maral explique qu’elle a souvent recours à des pigistes, « toujours bien rémunérés ». Chaque nouveau numéro présentera un photographe méconnu du grand public et du milieu, « parce qu’on est un pont, un médium. On peut amener notre contenu et celui d’autres auteurs », poursuit Maral. Ce qui lui donnera une belle exposition, puisqu’en parallèle, Me-Mo publie aussi le travail de photographes confirmés, comme celui de Stanley Greene, prévu pour le deuxième numéro de juillet. « Ce qui nous a
réunis, c’est la frustration, explique Maral. Il y a des professionnels qui font un travail incroyable. Ils mettent leur vie de côté pour raconter une histoire. Ils sont sur le terrain avec leurs propres moyens en se finançant par eux-mêmes. Et ça peut durer des années. Or, aujourd’hui, il n’existe aucune plate-forme capable de diffuser leur travail dans son intégralité. C’est pour cela que l’on existe. » Pour que les lecteurs reprennent le goût et le temps de s’informer à travers un travail enrichi, adapté aux nouvelles pratiques de consommation de l’information.
memo-mag.com
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LIVRES
Sélection et texte : éric KarSenty – PhotoS : Marie abeille
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A — Une collection
MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE Les 320 photos publiées dans cet imposant ouvrage de plus de 400 pages présentent un condensé de la création photographique depuis les années 1970, de manière chronologique. Une « photoscopie », pour citer Jean-Luc Monterosso, directeur de la MEP, qui rappelle que : « Collectionner, c’est rassembler, mais aussi choisir. » Un choix qui l’a conduit à privilégier les ensembles significatifs d’auteurs majeurs, avec une prédilection pour la photographie américaine et japonaise. Éd. Actes Sud, 59 €, 424 pages.
B — Ex Time
FRANCK LANDRON Des gamins qui s’amusent à la récré, des virées à mobylette ou des filles qui
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dévoilent leurs charmes… Les photos de Franck Landron font défiler le film des années 1970 dans un noir & blanc granuleux, ponctué de quelques images couleur. Le photographe devenu cinéaste nous dévoile ses images restées secrètes dans un gros cahier façon Moleskine. Un livre qu’on trouvera cet été à la Maison Robert Doisneau, où se tient son exposition Ex Time, et en librairie à la rentrée à l’occasion d’une seconde expo, Out Time, à la galerie Binôme. Éd. Contrejour, 30 €, 350 pages.
C — L’Esprit des hommes
de la Terre de Feu Selk’nam, Yamana, Kawésqar MARTIN GUSINDE Le photographe et prêtre allemand Martin Gusinde est l’un des rares Occidentaux à avoir vécu avec les peuples de
la Terre de Feu, entre 1918 et 1924. Au cours de quatre longs séjours, il a recueilli leurs paroles, a été initié à leurs rites, et a rapporté 1 200 clichés. Les 230 photos du livre constituent un témoignage unique de ce missionnaire devenu ethnologue. Ce travail est exposé aux Rencontres d’Arles. Éd. Xavier Barral, 60 €, 300 pages.
D — Ceux qui restent WILLIAM GUIDARINI Cinq ans durant, William Guidarini a parcouru l’Europe pour nous en livrer une vision inquiète dans un noir & blanc très personnel. Belfast,Trieste, Göteborg, Manchester, Ostende, Séville, Palerme… au cœur de paysages urbains mélancoliques, l’auteur développe une poésie de l’intime qui ne laisse pas indifférent. Éd. Arnaud Bizalion, 25 €, 84 pages.
E — Une autre histoire
de la photographie Les collections du Musée français de la photographie En donnant à plus d’une quinzaine d’auteurs (chercheurs, historiens, sociologues, galeristes…) la liberté de sonder une partie des collections de ce musée méconnu (900 000 photos, 25 000 appareils photo, et un important fonds documentaire), le MFP propose Une autre histoire de la photographie. Une manière d’interroger les usages sociaux du 8e art à la lumière de l’histoire des techniques et des pratiques, tant professionnelles qu’amateurs. Stimulant ! Coéd. Flammarion et Musée français de la photographie, 39 €, 240 pages.
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CLAUDE NORI Réédition d’un album publié en 1991, Stromboli est un hommage photographique d’un noir & blanc intense à Roberto Rossellini et Ingrid Bergman. Procédant à un editing enrichi de nouvelles images et à une maquette refondue, le photographe-éditeur Claude Nori a également invité Alain Bergala, cinéaste et critique aux Cahiers du cinéma, qui signe une très belle préface. Éd. Contrejour, 30 €, 64 pages.
G — Le Grand Incendie SAMUEL BOLLENDORFF Recueillant les paroles des proches et photographiant les lieux où onze personnes se sont immolées par le feu, en France et à l’étranger, Samuel Bollendorff nous raconte la quasi-disparition de la lutte collective, la fin des solidarités et le délitement du service public dans une vision aussi sobre que glaçante. Ce travail est exposé aux Rencontres d’Arles. Éd.Textuel, 29 €, 72 pages. H — Lartigue, la vie en couleurs Toute une partie inédite de l’œuvre de Jacques-Henri Lartigue est à découvrir dans cet ouvrage conçu par Martine d’Astier et Martine Ravache, deux historiennes de la photographie, qui signent aussi le commissariat de l’exposition présentée simultanément à la
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F — Stromboli
LIVRES
MEP. Des autochromes de jeunesse aux Kodachromes qu’il utilise jusqu’à la fin de sa vie, la couleur sera pour Lartigue ce qui est « le mieux capable d’exprimer le charme et la poésie ». Une relecture haute en couleur. Éd. du Seuil, 29,90 €, 168 pages.
I — Elvis and the Birth of Rock and Roll ALFRED WERTHEIMER Un album démesuré à l’image du King, c’est ce que proposent les éditions Taschen dans ce colossal ouvrage qui rassemble les grandes photos d’Alfred Wertheimer, jeune photographe allemand débarqué à Brooklyn à qui l’on demande, en 1956, de suivre les débuts d’un crooner inconnu : Elvis Presley. Un voyage dans le temps qui démontre la complicité entre photographie et rock and roll, depuis le début de son histoire. Éd.Taschen, 49,99 €, 360 pages. J — America AYLINE OLUKMAN On a tous en tête des images de ce à quoi ressemble l’Amérique, à travers les films et les séries qui nourrissent notre imaginaire. Ayline Olukman nous entraîne dans un road trip aux couleurs légèrement surannées, distillant ses images entre oubli et réminiscence, avec un délicieux sentiment de déjà-vu. Éd. Médiapop, 20 €, 272 pages.
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S EN S IB ILITÉ
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Tumblr des lecteurs
THE SOUND OF SILENCE
Errances en solo où le tumulte du monde s’étouffe dans les paysages avalés par la brume, les cimes des pins qui découpent le ciel. Dans les images d’Olivier, la nature omniprésente fait écho à la solitude du photographe, happé lui aussi par la beauté du silence.
Cont nous inuez à e vos p nvoyer Fishey hotos, e ado faire re de décou nouvelles ver te s: m becon oglia@ tents .com
oliviergimeno. tumblr.com
YANNICK DÉLEN
Convaincu que l’intérêt de la photographie est d’affiner notre perception du monde, Yannick s’intéresse au détail, à l’anodin. À ce qu’on ne voit pas, « à ce qui est délaissé par le regard ». Il cherche l’interaction entre les ombres, les formes et les couleurs desquelles se dégagent des évidences. yannickdelen.tumblr.com
RENÉ HITIMANA
Attentif aux lignes, aux matières et aux couleurs, cet étudiant en architecture compose ses images avec beaucoup de soin. La qualité esthétique de ses photographies, prises avec un Nikon L35AF, reflète l’exigence d’un regard à l’affût du moindre détail. blackxsel.tumblr.com
LAURA MA
« La photographie nous rappelle que nous sommes tous humains et mortels. » Laura a 21 ans, mais elle est déjà obnubilée par le rejet et la peur de perdre la mémoire. Elle prend des clichés pour se souvenir et utilise la photo « comme un moyen de compréhension et de remise en question ».
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S ENSIBILITÉ
CÉLINE.U
Ce qui accroche le regard dans le travail de Céline Uréna, ce sont ses images désuètes, vintage, au grain très doux, faites au Polaroid ou à l’argentique. Il s’en dégage une atmosphère de rêverie, aux couleurs et à la lumière éthérées. La photo de mode est son genre de prédilection, le terrain de jeu de son imagination, grâce auquel elle peut créer sans limite.
laura-ma.tumblr.com pluspossibleavecmoinscontre.tumblr.com
ROMAIN CAILLEAUD
C’est l’un de ses premiers émois d’adolescent : lorsqu’à 15 ans, il tient entre ses mains son premier appareil photo. Il n’a jamais photographié autrement qu’à l’argentique. Romain, qui a aujourd’hui 31 ans, est devenu un véritable boulimique de l’image. Il shoote en abondance, avec une appétence particulière pour le noir & blanc. Ses photos sont instinctives et réalisées avec rigueur et justesse.
JULIO IFICADA
Graphiste et photographe, Ific de Orestis est également le fondateur d’un collectif artistique basé à Brest. L’esthétique de ses images s’inscrit dans une veine minimaliste, un brin branchouille. Le jeune homme parvient à sublimer la simplicité : un coucher de soleil, un verre brisé, l’écume s’échouant sur la plage. C’est beau, quasi poétique.
audeseguinier.tumblr.com julioificada.tumblr.com
ish00tfilm.tumblr.com
AUDE SÉGUINIER
Il aura fallu du temps à Aude pour oser montrer ses clichés, qu’elle a longtemps gardés pour elle. C’est cette pudeur et cette timidité qui font le charme de ce Tumblr. Les images qu’on y voit sont sincères, réfléchies non pas pour être vues mais pour préserver le vécu d’une expérience personnelle.
Chronique TOUS CURATEURS L’été nous emplit de son intensité et de son flot ininterrompu d’expositions, de festivals et de manifestations photographiques. Et là, les problèmes commencent car, de La Gacilly à Arles en passant par Vendôme ou Vichy, il faut choisir. Et même lorsque nous nous retrouvons face à 50 expositions à Arles, il n’y aura de possibilité que d’en sélectionner une partie si l’on veut pouvoir aussi assister aux conférences et aux projections. En parlant des Rencontres, le nouveau boss des lieux, Sam Stourdzé, prêche pour une mise en avant des commissaires d’expositions au cœur de la création photographique. Plutôt que ce titre, emprunté au vocable de la maréchaussée, les Anglo-Saxons ont imposé le terme de « curator », qui semble s’imposer peu à peu. Francisé en « curateur », il signifie, selon son étymologie latine, « celui qui prend soin ». Un curateur est celui qui parle avec l’artiste, qui l’oriente, qui le guide, qui sélectionne et qui montre. Il prend soin de l’œuvre et de ses auteurs. Mais désormais, en tant que spectateurs, nous ne pouvons plus nous permettre d’être passifs face à des images. Il devient nécessaire de se mettre dans la peau du curateur pour faire notre sélection personnelle. À chaque étape, nous devons nous demander ce que cet artiste va nous apporter dans notre rapport à la photo, comment cela vient en écho ou en opposition à notre vision que l’on construit petit à petit. Cette démarche que l’on entame de manière inconsciente doit devenir une réflexion active et présente pour celui qui considère que la « chose photographique » est une affaire sérieuse. Au-delà du plaisir de soutenir un discours de spécialiste sur tel ou tel auteur, cela permet de donner du sens. Car le rôle d’un curateur est bien celui-là, donner du sens à une œuvre dans la membrane méditative qui la révèle au public. Faites l’exercice de vous demander, avant et après une exposition, ce qu’elle a engendré comme réflexion en vous. Avec ce prisme, ce qui va compter, ce n’est plus tant l’exposition mais l’interaction qu’elle va générer avec votre vision. Évidemment, il faut que le plaisir reste premier, mais ajouter cette couche analytique à vos visites ne devrait que le renforcer. Bel Benoît Baume été, donc.