Fisheye #16 • Les auteurs s'emparent des machines

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N° 16 janvier-février 2016

le magazine lifestyle de la PHOTOGRAPHIE

Portrait

EILEEN GITTINS, MADAME BLURB

Portfolio

LES HÉRITIERS PAR GÉRALDINE MILLO

Sport

DAVID BURNETT, L’ATHLÈTE DU REGARD

Art vidéo

LE GOÛT DE L’INDISCIPLINE DU COLLECTIF MU

Musique

QUELQUE CHOSE D’ANGELA DAVIS

CHINE LA RÉVÉLATION CULTURELLE EN MARCHE

L 19203 - 16 - F: 4,90 € - RD

N° 16 janvier-février 2016

BEL.: 5,20 € I www.fisheyemagazine.fr

PHOTOTHÉRAPIE LA TRAVERSÉE DU MIROIR

L’IMAGE AUTOMATISÉE

LES AUTEURS S’EMPARENT DES MACHINES #fisheyelemag


P. 24

— DOSSIER

IMAGES AUTOMATISÉES, LA DISPARITION DES AUTEURS T E N DA N C E

Projet 27 Poses P. 13 T E N DA N C E

P. 8 LES DESSOUS DE L A COUV

P. 16 VO I X O F F

Ta mère sur la boîte aux lettres

Sasha Kurmaz

Jean-Christophe Béchet Le retour du réel

La clinique Hasselblad Éric Moulé, réparateur

P. 14 I M AG E S S O C I A L E S

André Gunthert Mai 68 ou la construction de l’histoire par l’image

Eileen Gittins booste l’auto-édition P. 18

MÉTIER

P. 2 0 P O RT R A I T

© Jon Rafman. © SaSha KuRmaz. © fRédéRic TaceR. © maRie abeille. © JéRôme bonneT / moddS.

P. 11

instantanés


agrandissement

sensibilité

P. 4 5

P. 95

EXPOSITIONS

A RT V I D É O

Vu d’ailleurs

Collectif MU : le goût de l’indiscipline

P. 4 8

P. 9 8

FOCUS

Révélation culturelle en Chine

P O RT F O L I O D É C O U V E RT E

Estelle Hanania

P. 5 4 P O RT F O L I O

Qian Haifeng The Green Train labo

P. 8 3 CAMÉR A TEST

Caroline Test en cuisine

P. 10 4 S P O RT

L’athlète du regard P. 10 6 E N A PA RT É

P. 6 0

LO/A, une librairie particulière

H I S TO I R E

Mariela Sancari et la fiction familiale

P. 10 8 ÉDITION

mise au point

L’œil de Clairvaux P. 110 P. 8 5 AT E L I E R P H OTO

P. 6 3 SOCIÉTÉ

© Qian haifeng. © beRTRand deSpRez / agence Vu’. © maRie abeille. © eSTelle hanania.

La photothérapie traverse le miroir

P. 78

Le procédé Van Dyke P. 8 6

É D U C AT I O N

La Maison du geste et de l’image au fil de l’eau

PRISE EN MAIN

S H O P P I N G A P PA R E I L S

Le business de be.ez

Photothèque P. 9 0

P O RT F O L I O

S H O P P I N G AC C E S S O I R E S

Géraldine Millo Les Héritiers, une jeunesse en formation

Blue is the new black P. 9 2 P H OTO M O B I L E

P. 8 0

P. 7 7

P. 114 LIVRES

Matos

P. 6 8

Reportages en ligne sur abonnement

P. 112 P RO J E T W E B

P. 8 8

ÉCONOMIE

S E RV I C E

Femmes de tête

Une plate-forme de master class

Sony Alpha 7R II

P. 6 6

MUSIQUE

La photo automatisée

P. 116 AG E N DA

Des expos pour passer l’hiver P. 119 FLASH

Une photo, une expo

F O N DAT I O N

La Fondation Henri Cartier-Bresson

P. 12 0 COMMUNIT Y

Tumblr des lecteurs P. 12 2 C H RO N I Q U E


Contributeurs

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Sofia Fischer

Jacques Hémon

Née en 1992 dans le sud de la France de parents globetrotters, Sofia Fischer a grandi entre l’Afrique et l’Asie. De retour en Europe à 17 ans, elle a suivi des études de sciences politiques où elle a notamment étudié le pouvoir politique de la photographie. Elle est passée par l’ESJ Lille, Sipa Press, le desk de l’AFP, puis a travaillé pour la presse écrite (Libération). Elle nous raconte l’enquête photographique en forme d’exorcisme de Mariela Sancari, en pages Histoire.

Journaliste et analyste du secteur de la photographie, cet observateur expert n’a cessé, depuis plus de trente ans, de publier des articles et chroniques sur l’évolution des usages et des techniques photographiques. Coauteur de l’ouvrage Une autre histoire de la photographie, publié en 2015, il enseigne à l’École nationale supérieure Louis-Lumière. Il signe dans notre dossier un lexique sur les processus d’automatisation des prises de vue.

Mathieu Oui

Géraldine Millo

Journaliste indépendant et photographe dans la presse culturelle, Mathieu Oui écrit sur la photographie, l’architecture et la création. Son goût pour l’image et son intérêt pour la psychanalyse l’ont conduit à s’intéresser à la photothérapie, qu’il a pu tester de l’intérieur et dont il nous livre son expérience dans nos pages Société. Il développe également des projets personnels, comme une exposition visuelle autour de l’étreinte : www.embrassement.net

Formée à l’École nationale supérieure Louis-Lumière et maître de conférences en esthétique, Géraldine Millo mène des travaux documentaires au long cours. Ses séries interrogent la société française et la culture européenne. En 2015, elle a rejoint le projet de Mediapart et ImageSingulières, La France vue d’ici. Représentée par la maison de photographes Signatures, elle publie un portfolio sur les jeunes en formation intitulé Les Héritiers.

Qian Haifeng

Estelle Hanania

Qian Haifeng s’est intéressé à la photographie en visionnant la chaîne du National Geographic. Attiré par les paysages, cet électricien dans un hôtel a régulièrement effectué des voyages à bord du Green Train dans tout le nord de la Chine. Au fur et à mesure de son périple, il s’est attaché à rendre compte de la vie quotidienne des gens ordinaires. Ce reportage est publié en portfolio dans notre rubrique Agrandissement.

Diplômée de l’École des beaux-arts de Paris et lauréate du Festival international de mode et de photographie de Hyères en 2006, Estelle Hanania a été directrice artistique chez Ogilvy, avant de se lancer dans la photo. Elle fait preuve d’un style aussi poétique qu’épuré. Masques et déguisements sont des motifs récurrents de son iconographie. Elle signe le portfolio Découverte de cette édition.

Rédacteur en chef Éric Karsenty eric@becontents.com Directeur artistique Matthieu David matthieu@becontents.com assisté de Alissa Genevois alissa@becontents.com Secrétaire générale de la rédaction Gaëlle Lennon gaelle@becontents.com assistée de Anaëlle Bruyand

Rédactrices Marie Abeille marie@becontents.com Marie Moglia moglia@becontents.com assistées de Hélène Rocco helene@becontents.com Ont collaboré à ce numéro Jean-Christophe Béchet, Julien Damoiseau (Pix Populi), Maxime Delcourt, Jacques Denis, Quitterie Duputel-Bonnemaison (Dans ta cuve !), Sofia Fischer, Gwénaëlle Fliti, André Gunthert, Jacques Hémon Régie externe Alexandra Rançon Objectif Média alexandra.objectifmedia@gmail.com 00 32 484 685 115 www.objectif-media.com

Directeur commercial, du développement et de la publicité Tom Benainous tom@becontents.com 06 86 61 87 76 Chef de publicité Joseph Bridge joseph@becontents.com Directeur administratif et financier Christine Jourdan christine@becontents.com Comptabilité Christine Dhouiri compta@becontents.com

Marketing de ventes au numéro Otto Borscha de BO Conseil Analyse Média Étude oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34 Impression Léonce Deprez ZI « Le Moulin », 62620 Ruitz www.leonce-deprez.fr Photogravure Fotimprim 33, rue du Faubourg-SaintAntoine, 75011 Paris

Service diffusion, abonnements et opérations spéciales Joseph Bridge joseph@becontents.com Fisheye Galerie Quitterie DuputelBonnemaison quitterie@becontents.com

Fisheye Magazine est composé en Centennial et en Gill Sans et est imprimé sur du Condat mat 115 g Fisheye Magazine est édité par Be Contents SAS au capital de 10 000 €. Président : Benoît Baume. 8-10, passage Beslay, 75011 Paris. Tél. : 01 77 15 26 40 www.becontents.com contact@becontents.com

Dépôt légal : à parution. ISSN : 2267-8417. CPPAP : 0718 K 91912. Tarifs France métropolitaine : 1 numéro, 4,90 € ; 1 an (6 numéros), 25 € ; 2 ans (12 numéros), 45 € Tarifs Belgique : 5,20 € (1 numéro). Abonnement hors France métropolitaine : 40 € (6 numéros). Bulletin d’abonnement en p. 118. Tous droits de reproduction réservés. La reproduction, même partielle, de tout article ou image publiés dans Fisheye Magazine est interdite.

Fisheye est membre de Photo de couverture Sasha Kurmaz.

Mention contractuelle : « Patrick Martin et Denis cuisy, associés fonDateurs »

Ours Directeur de la rédaction et de la publication Benoît Baume benoit@becontents.com


Édito PERTE DE CONTRÔLE BENOÎT BAUME, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

Ce n’est pas tous les ans qu’il y a un 7 janvier et un 13 novembre. Ce n’est pas tous les ans que l’état d’urgence est décrété. Ce n’est pas tous les ans que l’écrasante majorité des Français s’accorde sur une réduction des libertés individuelles. La rédaction de Fisheye se situe à 500 mètres de l’ancien siège de Charlie et à 150 mètres du Bataclan. Nous sommes donc les témoins privilégiés de cette montée en puissance de l’État dans sa volonté sécuritaire. Un des éléments majeurs, dans les enquêtes sur les attentats, a été les analyses de la vidéosurveillance. Son utilité, dans ce cas précis, n’est pas questionnable. Ce n’est pas un sujet nouveau à Paris, qui a fini de déployer son grand plan de vidéosurveillance en 2012. Ce procédé fut massivement introduit dans les années 1980 à Londres pour la première fois, à l’époque des attaques de l’IRA. On compte aujourd’hui environ 500 000 caméras dans la capitale anglaise. Tous ces dispositifs génèrent des images automatisées, comme bien d’autres systèmes qui représentent la grande partie des photos et des vidéos enregistrées. Nous posons donc cette question de ces images sans auteur. Qu’apportent-elles ? Que racontent-elles ? Quels sont leurs usages ? Comment les artistes en reprennent-ils possession ? Le sujet est vaste, car derrière la photo automatisée demeure la question de la liberté et de nos choix de société. Nous contribuons à cette imagerie sans âme en acceptant sans regarder – et moi le premier – les conditions générales des réseaux sociaux, qui sont en elles-mêmes d’une violence inouïe. Avec cette masse d’images, la réflexion se pose désormais sur leur analyse et leur exploitation dans cet ensemble « merveilleux » qu’est le Big Data. Des sociétés comme Palantir Technologies (le nom vient de la « pierre de vision », un objet magique décrit dans les ouvrages de Tolkien) analysent ces documents pour livrer des informations aux offices étatiques de sécurité et de renseignement, mais aussi pour informer les entreprises sur la consommation des individus. Cette start-up vient d’être valorisée 20 milliards de dollars et se situe juste derrière AirBnB et Uber. Donc chaque image automatisée contribue à un système pour le moins discutable, et que pourtant personne ne réfute. En tant que magazine de société sur la photo, nous nous devions d’ouvrir le débat et d’apporter nos pistes de réflexion. Sinon, la rédaction et les équipes de Fisheye s’associent à moi pour vous souhaiter une très belle année, riche de nombreuses images, mais avec de vrais auteurs. Ils ont toujours été défendus dans ces pages et cela ne va pas changer en 2016.


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LE S

I N S TA N TA N É S

D E S S O U S

DE

L A

C OU V

Utilisant la photographie et la vidéo, cet activiste urbain déconstruit les images et détourne les codes pour mieux interroger nos systèmes de représentations. TexTe : Éric KarsenTy – PhoTos : sasha Kurmaz

Sasha Kurmaz Diplômé de l’Académie nationale des arts de Kiev, en Ukraine, où il est né en 1986, Sasha Kurmaz a débuté sa pratique artistique par le graffiti. Changeant de technique au fur et à mesure de son évolution, il a conservé l’espace public comme domaine principal d’intervention. Sasha met en œuvre des stratégies de détournement d’images publicitaires avec humour, et critique ouvertement les instruments de pouvoir. Cet artiste pluridisciplinaire, activiste et poète, n’hésite pas à utiliser tous les moyens photo ou vidéo à sa disposition pour questionner notre rapport aux images. Distingué par de nombreux prix et désigné comme l’un des talents à suivre par diverses institutions, il est exposé par des musées et galeries en Allemagne, en Russie, en Ukraine, en Autriche, en Suisse et au Royaume-Uni.

AVEC CETTE IMAGE EXTRAITE DE LA SÉRIE HACKING ADVERTISING, LE PHOTOGRAPHE RECONSIDÈRE L’ESPACE URBAIN EN SUPPRIMANT LES INFORMATIONS INUTILES. UNE MANIÈRE DE DISCRÉDITER LE SYSTÈME DE CONSOMMATION.

www.sashakurmaz.com

POUR CETTE PHOTO INTITULÉE LOOK AT ME, SASHA A INSTALLÉ UNE IMAGE PORNOGRAPHIQUE FACE À UNE CAMÉRA DE SURVEILLANCE. LOIN D’ÊTRE UN ACTE DE VANDALISME, CETTE INTERVENTION A POUR BUT DE PROVOQUER UN DIALOGUE AVEC LA PERSONNE CHARGÉE DE VISIONNER CES IMAGES.


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PHOTOGRAPHIÉE EN 2014 À LA SUITE DES ÉMEUTES DE LA PLACE MAÏDAN À KIEV, CETTE MASSE EST L’UN DES OBJETS UTILISÉS PAR LA POPULATION POUR SE DÉFENDRE CONTRE LA POLICE DU PRÉSIDENT VIKTOR IANOUKOVITCH. L’IDÉE ÉTAIT DE CONSTITUER UN DOCUMENT ANTHROPOLOGIQUE, À LA FRONTIÈRE DU REPORTAGE ET DU DOCUMENT CONCEPTUEL.

LA SÉRIE LOST AT HOME PRÉSENTE DES IMAGES DE SANS-ABRI RÉALISÉES PAR LE PHOTOGRAPHE, PUIS INSTALLÉES SUR DES PANNEAUX PUBLICITAIRES À PROXIMITÉ DU LIEU DE LEUR PRISE DE VUE.

CES TROIS IMAGES SONT ISSUES DE LA SÉRIE RESISTANCE. COLOR, DESTINÉE À EXPLORER LES MARQUEURS VISUELS PSYCHOLOGIQUES ATTACHÉS AUX COLORIS ET À LEUR REPRÉSENTATION POLITIQUE. LES TEXTES ONT ÉTÉ SUPPRIMÉS DE CHAQUE IMAGE POUR LAISSER À LA COULEUR TOUTE SA PUISSANCE EXPRESSIVE.


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I N S TA N TA N É S

MÉTIER

Dans le 11e arrondissement de Paris, un petit atelier de réparation voit passer, depuis plus de dix ans, des Hasselblad en détresse venus de toute la France. Découverte d’un travail d’orfèvre et d’un métier en voie de disparition. TexTe eT phoTos : Marie abeille

La clinique Hasselblad Éric Moulé, réparateur

Passer les portes de l’usine Spring et labels musicaux. En parlant de Court, dans le petit passage Piver Magnum, c’est dans l’ancien bureau ÉRIC MOULÉ DANS L’ATELIER LES VICTOR, SEUL POINT du 11e arrondissement parisien, de René Burri que nous avons renSERVICE AGRÉÉ HASSELBLAD c’est déjà plonger dans plus de dez-vous. Fini l’odeur de cigare qui EN FRANCE. trente ans d’histoire de la photo. accompagnait le photographe : depuis Au début des années 1980, la production de dix ans, les archives ont laissé place aux pinces, la chaussure du même nom est délocalisée en aux mires et aux tournevis de toutes tailles. Thaïlande et l’usine se transforme en un lieu Nous sommes chez Les Victor – du prénom de incontournable de la création en tout genre. En Victor Hasselblad –, un point service agréé par la particulier en photo, avec l’installation de l’agence marque, le seul en France et même au-delà. Ici Magnum à la fin de la décennie, mais aussi avec passent les appareils blessés ou vieillissants, de l’arrivée d’éditeurs, de graphistes, de producteurs la grosse urgence au simple bilan de santé. Éric

Moulé a suivi des études de micromécanique. « Comme quoi, le matériel de bord d’aviation, ça mène à tout », s’amuse-t-il. À 17 ans, lassé par le système éducatif, il vient grossir les rangs des techniciens de Télos, ancien importateur de marques comme Pentax, Tetenal ou Hasselblad. « C’était en 1978, la photo prenait bien, nous étions une trentaine de techniciens. Tout le monde se refilait ses notes, ses bouquins, chacun apprenait à l’autre. C’est comme ça que l’histoire a commencé. » En 1984, Hasselblad crée sa filiale française. Éric quitte Télos pour suivre la marque


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et devient responsable du SAV Hasselblad France quelques années plus tard. Vers la fin des années 1980, Éric embauche Richard Grigny, suivi de près par Laurent Henn, un ancien de chez Pentax. L’un a fait des études d’horlogerie, l’autre, d’optique. En 2005, la restructuration d’Hasselblad entraîne la fermeture du SAV français. Qu’à cela ne tienne, Éric, Richard et Laurent créent la société Les Victor en juillet de la même année, soulageant, au passage, les propriétaires d’Hasselblad, inquiets pour l’avenir de leur précieux boîtier. Le trio reprend donc vite du service. Seul point agréé par le fabricant suédois en France, Les Victor dispose des pièces et du matériel nécessaires à la réparation, au contrôle et à la restauration des boîtiers et optiques de la marque. Plus encore, l’atelier assure la réparation des produits Profoto, dont la distribution fut un temps assurée par Hasselblad, et propose les gammes des deux constructeurs à la vente et à la location. EN SAUVER UN

Chez Les Victor, ils en ont vu passer, des boîtiers. « Le pire et le meilleur », assure l’équipe. Le pire ? Une optique coincée sur un boîtier à la suite d’une fausse manœuvre du photographe. Un réparateur sans scrupule n’a pas

hésité à bloquer l’appareil dans un étau et ÉRIC MANIPULE L’OBTURATEUR D’UN OBJECTIF à forcer l’optique avec DE LA SÉRIE C D’HASSELBLAD. une pince. Le pire, parce que, face au coût d’une telle intervention, il n’y a plus rien à faire. Des histoires à faire frémir les amoureux d’Hasselblad (et ils sont nombreux), les trois urgentistes de la photo en ont beaucoup. « Il y a des trucs hallucinants, dus à un mauvais traitement sur des problèmes parfois tout simples », insiste Éric. Mais il y a aussi de beaux sauvetages, comme cet ancien modèle tombé à la mer, qu’ils ont pu entièrement restaurer. Ou encore cet autre, échoué dans une cuve pendant la visite d’une usine de colle, que Richard a entièrement nettoyé à l’acétone : « C’était horrible, se souvient-il, mais ce n’est pas le pire, parce que l’appareil n’avait pas commencé à s’oxyder. » En revanche, les trois sauveteurs ont eu des sueurs froides lorsqu’un photographe a débarqué à l’atelier, son boîtier trempé. « Il le cachait dans son lavelinge lorsqu’il s’absentait. Sa sœur, de passage chez lui, l’ignorait et a lancé une machine, LES VICTOR DISPOSE DE TOUT expliquent-ils. Dans ces LE MATÉRIEL POUR RÉPARER LES BOÎTIERS HASSELBLAD. cas-là, chaque minute compte : tout le monde

stoppe son activité, on démonte tout et chacun en prend un morceau. » Au-delà des grosses catastrophes, la restauration de boîtiers occupe une bonne partie de leur activité. Ils sont quasiment les seuls à encore travailler sur l’ancienne gamme Hasselblad : « On y passe beaucoup de temps, on reprend tout de A à Z. Ça ne rapporte pas, c’est histoire de dire : “On en a sauvé un.” » UN MÉTIER DE DINOSAURE

Impossible de nier le lien affectif entre Les Victor et ces magnifiques boîtiers. Mais aussi avec les photographes qui passent à l’atelier depuis de nombreuses années. On y croise une clientèle majoritairement française, mais aussi suisse, belge ou luxembourgeoise. Plus loin de chez nous, un Japonais, un Coréen, un Chilien, ou ce client allemand qui habite aujourd’hui au Japon mais qui profite de chaque voyage en Europe pour faire un saut passage Piver. Il y a les photographes qui ont des demandes très spécifiques, une modification sur leur boîtier. Celui qui souhaite avoir sa griffe porte-flash sur le côté plutôt que sur le dessus. Il y a les assistants qui ont fait carrière, quinze ans après avoir apporté pour la première fois le boîtier d’un autre. Les trois réparateurs sont très discrets quand on demande des noms. Exception faite de Josef Koudelka, qui est venu fêter la sortie de son livre Gitans avec une bouteille de vodka, un vendredi à 9 heures du matin, une anecdote qu’ils ne peuvent résister à nous raconter. « À cause de lui, on n’a rien fait de la journée », se souviennent-ils en souriant. Depuis quelques années, une nouvelle recrue s’est installée dans l’atelier. Damien Moulé, le fils d’Éric, a fait des études en ingénierie. Il s’est formé en Suède, directement à l’usine Hasselblad, et est spécialisé dans les scanners de la marque. Un moyen d’assurer la relève, tant la question de la transmission du savoir se pose : « C’est un métier de dinosaure, un métier en train de disparaître, reconnaît Éric. Maintenant, tout est centralisé. » Pourtant, le soin porté à ces appareils ne se trouve nulle part ailleurs, ou si peu, et le savoir-faire dont ils font preuve à l’atelier est bien loin d’un simple manuel d’instruction. Amoureux d’Hasselblad, pas d’inquiétude pour l’heure : l’esprit photo des années 1990 est encore présent à l’usine Spring Court, et Les Victor a bien l’intention d’y contribuer. www.lesvictor.com



I N S TA N TA N É S

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PORTRAIT

La fondatrice de Blurb, start-up qui va fêter ses 10 ans en mars prochain, est passée à Paris pour faire la promotion de la plate-forme d’édition de livres numériques la plus populaire au monde. Rencontre avec une amoureuse de la photo au caractère bien trempé. TexTe : BenoîT Baume – PhoTo : Jérôme BonneT / modds

Eileen Gittins booste l’auto-édition La voix est un peu grave, mais la chaleur n’est pas absente. Quand elle vous regarde par-dessus ses lunettes avec profondeur, vous comprenez vite qu’Eileen Gittins aurait pu faire carrière dans les rôles de femme de pouvoir à Hollywood. Mais elle a décidé de se réaliser dans la vraie vie. Née à Manhattan, d’un père anglais et d’une mère irlandaise qui se sont rencontrés à New York après la Seconde Guerre mondiale, Eileen a 5 ans quand elle déménage avec sa famille pour la Californie, au nord de San Francisco. Son père, directeur marketing dans une importante société agroalimentaire, passe son temps à photographier ses enfants. « Quand je suis arrivée à l’université de Berkeley pour mes études de journalisme, je suis devenue l’éditrice photo du magazine de la fac. J’y avais été initiée par mon père dès l’âge de 11 ans, lors d’un voyage à Londres. Il m’avait offert un Kodak Retina et j’ai toujours suivi ses conseils sur le sens du cadre. » Son diplôme en poche, Eileen poursuit dans la photo en entrant au très recherché Photographic Art Master de la San Francisco State University, où elle parfait sa formation avant d’affronter le monde du travail. « Je me suis dit que je devais travailler pour Kodak. J’ai mis un an, mais ils m’ont prise. Je faisais partie des jeunes qui devaient expliquer, dès 1985, le futur développement numérique de Kodak. Mais pour ne pas affoler la Bourse, tout ce que l’on racontait n’a jamais été mis en pratique, afin de sauvegarder l’argentique. Je me suis dit qu’il était temps de partir. » C’est là qu’elle lance sa première start-up dans le monde pharmaceutique. Un échec. Mais elle apprend à connaître les fonds d’investissement. Elle rejoint alors Wall Data à Seattle, qui travaille sur les bases de données dans l’environnement Apple. En charge des partenariats avec les grandes sociétés, Eileen mène avec succès sa mission jusqu’à l’introduction en Bourse qui fait exploser la valeur de son employeur. « Mon boss m’a demandé ce que je voulais faire, et il m’a permis de créer une start-up en mode incubateur. Ma petite entité, qui travaillait sur le visual database, s’est tellement développée qu’on a été intégré en 1996. Il était temps pour moi de partir et de revenir à San Francisco. » Et une décennie avant la fondation de Blurb, Eileen Gittins devient une familière des

fonds de pension et des conseils d’administration. Aidant un tel à se capitaliser ou un autre à se faire racheter. Elle a notamment contribué à Personify, une jeune entreprise florissante qui lève 17 millions de dollars avant que le crash des dotcom en 2000 ne l’emporte. CONCRÉTISER LES PROJETS DE LIVRES

« On était l’une des plus belles boîtes de l’époque sur le Net, mais nous avons manqué de liquidités quand les fonds se sont retirés. Cela m’a donné de la visibilité, et de nombreuses personnes ont fait appel à moi, notamment Verb, une société de recommandation que j’ai aidée dans son rachat. Mais après toutes ces années, j’en ai surtout eu marre, j’avais besoin d’un projet plus personnel, et je me suis replongée dans la photo. J’ai envoyé un mail à tous les gens avec lesquels j’avais travaillé dans les nouvelles technologies afin de leur tirer le portrait. Durant dix-huit mois, j’en ai réalisé quarante. Ces images au moyen format et en noir & blanc rassemblaient une communauté qui se connaissait. Je devais partager ça avec eux : l’idée d’un livre s’est vite imposée. Je pensais que ce serait facile, mais je me suis aperçu que rien de viable économiquement et qualitativement n’existait. » Eileen prend alors le dossier à bras-le-corps : elle passe des annonces sur Craigslist et rencontre dans des cafés des gens qui ont des projets de livre qu’ils n’arrivent pas à concrétiser. « J’ai vu des personnes incroyables, mais l’économie pour leur projet n’existait pas. Le vrai problème résidait dans le nombre d’exemplaires et le prix unitaire des ouvrages. » L’idée de proposer une solution en ligne, facile et qualitative, de livre à la demande émerge. Avec son carnet d’adresses, cette femme de poigne arrive à fédérer des ingénieurs de

Google, Yahoo! ou Adobe autour de son projet en échange d’actions de la future structure. « En 2005, j’avais le business model et je suis allée voir un fonds d’investissement qui pèse deux milliards de dollars dans la Silicon Valley, Canaan Partners. Ils étaient d’accord pour nous prêter un million, mais on devait trouver le deuxième. On l’a fait ! » Blurb est né. Un logiciel pour concevoir les livres de manière intuitive voit le jour : un million d’euros de chiffre d’affaires est réalisé dès la première année. En bonne spécialiste du financement des entreprises, Eileen lève 18 millions de dollars en deux ans. Dès 2009, les professionnels s’emparent du site pour commander leurs ouvrages, les communautés créatives s’approprient l’outil. Toute la fabrication est, elle, externalisée – comme Apple ou Uber. « Nous avons neuf points de production dans le monde, dont deux en Angleterre et aux Pays-Bas. Nous maîtrisons la calibration des photos du début à la fin. La France est notre premier marché en Europe. Et bientôt nous attaquerons l’Asie. » Avec 4,5 millions de livres vendus en dix ans et 70 millions de dollars de chiffre d’affaires pour 2015, plus rien ne semble résister à Blurb. « Nous voulons révolutionner le modèle de l’édition. Nous pensons qu’à terme, la valeur sera dans la curation, et nous nous engageons fortement dans cette voie. Nous travaillons sur les papiers et sur le nombre de pages de nos livres, nous essayons toujours de proposer mieux. » Bien qu’elle n’ait pas terminé son assiette, cette épicurienne a apprécié ses pâtes aux gambas flambées. Vigneronne à ses heures perdues, elle a une propriété viticole de quatre hectares dans la très réputée Dry Creek Valley, où son mari architecte a construit une belle maison. C’est un peu ça peut-être, le génie d’Eileen Gittins : savoir sublimer l’instant. Et avec des livres et du vin, cela ressemble un peu à une extase.

« J’AI VU DES PERSONNES INCROYABLES, MAIS L’ÉCONOMIE POUR LEUR PROJET N’EXISTAIT PAS. LE VRAI PROBLÈME RÉSIDAIT DANS LE NOMBRE D’EXEMPLAIRES ET LE PRIX UNITAIRE DES OUVRAGES. »


DOSSIER L'IMAGE AUTOMATISÉE

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IMAGES AUTOMATISÉES, LA DISPARITION DES AUTEURS Les images automatisées, celles qui sont réalisées par des machines sans aucune intention humaine, se développent et prolifèrent autour de nous. Photomatons, caméras de surveillance, satellites, drones… Elles nous racontent quelque chose de notre époque. À la croisée de la photographie et des nouvelles technologies, nombre d’artistes en ont pris acte, entrant dans ce que certains nomment la “condition postphotographique”. Car si les images automatisées pouvaient laisser croire de prime abord à la disparition des auteurs, ceux-ci retournent le paradoxe en se servant d’elles comme matériau pour retrouver leur autorité. “From Here On”, l’exposition manifeste présentée aux Rencontres d’Arles en 2011, le démontrait déjà. Explorant de nouveaux territoires, les chercheurs, universitaires et artistes de ce dossier nous ouvrent les yeux. Ils nous rappellent que ces images produites par des machines ont elles aussi une histoire, dont on trouvera l’esquisse à travers un lexique étayant ces pages. Le développement des techniques est toujours un révélateur des préoccupations d’une société et de son inconscient technologique.

© JON RAFMAN.

TexTes : BenoîT Baume, maxime DelcourT, Gwénaëlle FliTi, anDré GunTherT, Jacques hémon, éric KarsenTy eT hélène rocco.


Jon Rafman, The Nine Eyes of Google Street View, coll. FOLLOW ME, Collecting Images Today, Jean Boîte Éditions, Paris, 2011.

DOSSIER L'IMAGE AUTOMATISÉE

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DOSSIER L'IMAGE AUTOMATISÉE

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À l’origine de l’ouvrage collectif “Drone : L’Image automatisée” en 2013, l’écrivain anglais Paul Wombell défend l’idée selon laquelle les appareils photo seraient devenus une sorte d’extension de notre corps. Pour Fisheye, il s’explique.

“CE QUE L’ON A TENDANCE À CONSIDÉRER COMME UNE RÉVOLUTION EN 2016 L’ÉTAIT TOUT AUTANT AU XX E SIÈCLE.” Fisheye À la lecture de votre ouvrage, on comprend que vous faites partie de ceux qui considèrent que le Web a changé notre rapport à l’image… Paul Wombell En 1999, lorsque nous avons eu notre propre site officiel à la Photographers’ Gallery, le Web était surtout intéressant pour voyager et se tenir au courant de l’actualité, mais pas pour rechercher des photographies et de l’art. Aujourd’hui, c’est devenu indispensable. Donc oui, je suis indéniablement de ces gens-là ! Sans renier pour autant l’importance des magazines, tant ce support a lui aussi largement contribué à la diffusion de photographies de qualité. On a aujourd’hui encore trop tendance à l’oublier, mais ce que l’on considère comme une révolution en 2016 l’était tout autant au XXe siècle. À l’époque, déjà, l’image créait de nouveaux rapports sociaux. Justement, avec Internet, de plus en plus de gens osent publier leurs propres photographies via des blogs ou des réseaux sociaux. Pensez-vous que le Web est un outil de démocratisation ? Sous prétexte que les appareils sont aujourd’hui accessibles à tous, beaucoup de gens prétendent que la photographie est un outil démocratique. Pareil pour Internet. Dans l’idée, c’est assez vrai. Malheureusement, on se rend vite compte qu’Internet permet aussi la diffusion d’idées et de valeurs antidémocratiques, comme celles propagées ces dernières années par l’État islamique. Autrement dit, la technologie ne peut pas être considérée d’un point de vue politique, tout simplement parce qu’elle ne peut pas rendre notre monde meilleur. Certes, elle peut parfois être utilisée à bon escient, comme on le voit avec le journalisme citoyen ou les Anonymous, mais elle peut aussi aller à l’encontre de lois fondamentales.

Malgré tout, on ne peut pas nier que les drones, Google Street View ou les smartphones ont changé notre vie de tous les jours. Comment l’expliquez-vous ? Toutes les formes de technologie ont joué un rôle essentiel dans la manière de repousser les limites de l’être humain, que ce soit en devenant des extensions de notre anatomie ou en protégeant notre corps contre une certaine maladie. Le téléphone, par exemple, permet à la voix humaine de voyager au-delà des frontières du corps et d’être entendue à des milliers de kilomètres. De fait, l’appareil photo remplit également sa fonction : à savoir permettre à l’œil humain de distinguer des détails trop petits pour être perçus au premier regard, mais aussi de prolonger au-delà de ses propres limites certains souvenirs, de garder en mémoire des situations ancrées dans le passé. Sherry Turkle, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), a écrit que l’ordinateur n’est pas un outil, mais une partie intégrante de notre vie psychologique et sociale. Je pense que l’appareil photo doit être considéré exactement de la même façon, tant il est aujourd’hui pleinement intégré à notre façon de penser. Comment expliquez-vous que notre époque soit obsédée par l’idée de progrès ? Depuis la période des Lumières, au XVIIIe siècle, le progrès et la technologie sont tellement liés qu’il semble impossible de parler de l’un sans mentionner l’autre. Aujourd’hui encore, les nouvelles technologies sont promues selon l’idée qu’elles incarnent l’évolution et permettent d’améliorer la condition humaine. Toutefois, comme le suggère l’auteur canadien

Ronald Wright, les progrès technologiques reposent sur une croissance continue et sont donc un piège qui pourrait nuire à l’avenir de toute l’humanité. Dans ce cas, comment définiriez-vous les images automatisées en 2016 ? Je pense surtout que cela n’a rien de nouveau. Depuis les années 1930 avec le Kodak Super Six-20, qui comprenait des cellules photoélectriques pour contrôler la captation d’un rayonnement lumineux, jusqu’au début des années 1970 avec le Pentax Spotmatic The Computer Camera, les appareils photo n’ont cessé de s’automatiser. L’implication du photographe dans un travail photographique s’est donc réduite au fil des décennies. Les drones entrent bien évidemment dans la même démarche, mais ils font également partie d’un changement bien plus global dans l’automatisation du travail. Après tout, depuis toujours, la technologie a constamment servi à améliorer les conditions des salariés dans les travaux manuels et administratifs, voire à les robotiser. Et c’est ce qui m’intrigue dans les drones : non pas l’utilisation faite par l’armée américaine, qui s’en sert essentiellement pour tuer à distance en Afghanistan ou à des fins de surveillance, mais cette façon de les employer comme une extension du corps humain. Comment voyez-vous le futur de la photographie ? Je pense que la question devrait plutôt être : « Quel est l’avenir de l’homme ? », tant la photographie et les autres formes de technologie sont en train de redéfinir ce que signifie être humain. Lorsque Mona Hatoum, par exemple, insère une caméra dans son corps pour l’explorer, cela prouve bien que la technologie nous permet de découvrir des choses de nous-mêmes que nous ne savons pas. Lorsque nous accepterons cette idée, il y aura un avenir pour l’humain et la photographie.

© Dr. © Thomas ruFF, courTesy GaGosian Gallery lonDon. © GeorGe leGraDy / expVislaB. © DouG ricKarD, courTesy yossi milo Gallery, new yorK.

Paul Wombell


L’installation interactive Swarm Vision, composée de trois caméras sensibles aux mouvements humains et mise au point par le collectif d’artistes ExpVisLab (pour Experimental Visualization Lab), est un dispositif optique intelligent propre à ce que l’on nomme la « photographie informatisée ». Basés en Californie, les trois membres de ce collectif (George Legrady, Danny Bazo et Marco Pinter) présentent leurs œuvres multimédias un peu partout dans le monde. www.georgelegrady.com

George Legrady

George Legrady, Swarm Vision, 2013.

Thomas Ruff, ma.r.s. nudes.

Doug Rickard, photo issue de la série A New American Picture #33.665001, Atlanta, GA (2007), 2010.

Dans sa série sur Mars, Thomas Ruff poursuit son intérêt pour l’exploration spatiale en réalisant des images à partir de celles envoyées par la sonde Mars Reconnaissance Orbiter (MRO). Il les transforme en leur ajoutant de la couleur et en modifiant leur perspective, nous donnant à penser que la sonde plane au-dessus de la planète. Obtenues à l’aide d’un studio virtuel et d’un logiciel spécifique, les images de Thomas Ruff sont aussi complexes à réaliser qu’elles nous laissent rêveurs. www.gagosian.com/artists/thomas-ruff

Thomas Ruff

Jon Rafman est un artiste canadien qui passe le plus clair de son temps à écumer Internet à la recherche d’images. Avec son projet The Nine Eyes of Google Street View, titre faisant référence aux neuf caméras équipant les véhicules dépêchés par Google pour cartographier le monde, il nous livre une vision troublante et mystérieuse de notre univers. « Cette nouvelle forme de photographie a peut-être supprimé le photographe du processus, mais les images de Google Street View restent malgré tout des documents culturels qui appellent une interprétation », précise l’artiste dans le livre publié aux éditions Jean Boîte. www.jonrafman.com

Présenté en France lors de l’exposition From Here On aux Rencontres d’Arles en 2011, le travail de Doug Rickard intitulé A New American Picture donne à voir une image des États-Unis à travers les captures d’écran de Google Street View. Une Amérique pauvre et déboussolée, anonyme et surveillée, qui va à l’encontre de l’imagerie publicitaire de l’American way of life. Cette vision critique utilisant les images impersonnelles de Google nous révèle la brutalité de l’Amérique contemporaine. www.dougrickard.com

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Jon Rafman

Doug Rickard

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© KeVin schmiDT. © DeVon linDsay.

Kevin Schmidt, High Altitude Balloon Harmless Amateur Radio Equipment, 2013. Image tirée d’une vidéo réalisée au moment du déclenchement de l’obturateur de l’appareil photo 4 x 5 pouces durant le premier essai, 2012.

Afin de pouvoir créer High Altitude Balloon Harmless Amateur Radio Equipment (Habhare), Kevin Schmidt a envoyé un appareil photo 4 x 5 pouces à 35 000 mètres d’altitude avec un ballon météorologique. L’instant du déclenchement a été calculé pour que l’appareil ne soit pas orienté vers le Soleil et puisse réaliser une image correcte de la stratosphère. Dans sa présentation au public, cette photo est projetée sur un mur de telle manière que le spectateur passe devant le faisceau lumineux et voit sa silhouette s’intégrer à l’image.

Kevin Schmidt

DOSSIER L'IMAGE AUTOMATISÉE

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DOSSIER L'IMAGE AUTOMATISÉE

Depuis cinq ans, Mishka Henner a mis de coté la photo traditionnelle pour embrasser la création à partir d’images trouvées sur Google Earth et Google Street View. Il évoque sa vision du droit d’auteur et la question d’authenticité.

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MISHKA HENNER, L’INTELLIGENCE GÉOSPATIALE

© mishKa henner.

lui appartiennent. « Je travaille avec différents ensembles de données que j’interprète sur le plan visuel. Certes, les photos sont générées par Google Street View ou par des satellites, mais j’associe des éléments jusqu’à ce que je trouve quelque chose qui a du sens. »

DE LA PHOTO DOCUMENTAIRE À LA PHOTO OBJECTIVE Tout commence en 2010 avec la série Fifty-One US Military Outposts. « C’était la première fois que je laissais le contrôle à l’appareil lui-même, et cela m’a permis de travailler d’une manière inédite », explique Mishka. Sur les images, des zones militaires américaines à ciel ouvert ou

dissimulées, vues de dessus, dans 51 pays. Pour les localiser, l’artiste a récolté des informations du domaine public, mais aussi des documents officiels et des rapports confidentiels. Le procédé lui plaît : il réitère l’expérience avec les séries Dutch Landscapes (2011), qui questionne la censure des gouvernements à l’heure des photos aériennes, No Man’s Land (2011) sur les prostituées italiennes et espagnoles, Eighteen Pumpjacks (2012) sur les pompes à pétrole, Feedlots (2013) sur les parcs d’engraissement des bovins et The Fields (2013) sur les exploitations agricoles. Devenir photographe était pourtant loin d’être une évidence pour lui. Après un diplôme en sociologie et Mishka Henner, Wasson Oil and Gas Field, Texas.

Mishka Henner, artiste de 39 ans, n’aime pas que l’on réduise ses œuvres à de la photo pure. « Il s’agit plutôt de données. Une photo, pour moi, résulte d’un procédé chimique sur du papier sensible. Or ce n’est pas ce sur quoi je travaille », précise-t-il. Il nous met même au défi de le suivre durant plusieurs semaines pour l’observer et, à aucun moment, selon lui, on ne qualifierait son activité de photographie. « Je crois que ce que je fais depuis plusieurs années est une sorte d’intelligence géospatiale », poursuit-il. Concrètement, il collecte des données et fabrique des images à partir de captures d’écran de vues aériennes appartenant au domaine public. Dès lors qu’il recadre, retouche les couleurs et les contrastes des images, il considère qu’elles


AGRANDISSEMENT


AG RAN DISSEMENT

EXPOSITIONS

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En 2016, Fisheye vous emmène explorer la condition féminine et la place de la communauté bangladaise à New York, rendre hommage au travail de Cindy Sherman à Berlin, et redécouvrir les Twin Towers à Amsterdam. TexTe : GaëLLe Lennon eT marie moGLia

© Thomas Kuijpers & LhGWr. © TasLima aKhTer, courTesy BanGLadeshi american creaTive coLLecTive (Bacc).

VU D’AILLEURS THOMAS KUIJPERS : WHEN THE TWINS WERE STILL BEAUTIFUL

TRANSITIONS : NEW PHOTOGRAPHY FROM BANGLADESH

AMSTERDAM

NEW YORK

Avec Foam 3h, les curateurs du Foam d’Amsterdam ouvrent un lieu aux artistes et photographes émergents et les y invitent à présenter leur première exposition muséale en solo. Ici, c’est Thomas Kuijpers qui s’y colle. Cet artiste visuel néerlandais a étudié la photographie à l’académie d’art et de design St Joost, à Breda, aux Pays-Bas. Son travail est basé sur la collecte de textes et d’images, et Jusqu’au interroge la façon dont ceux-ci sont utilisés 31 janvier 2016. pour créer une narration autour d’événewww.foam.org ments de l’actualité. Au Foam, il présente When the Twins were still beautiful, un diorama dédié aux Twin Towers. Cette installation a pour point de départ l’achat par Kuijpers d’une peinture anonyme représentant les tours jumelles avant le 11-Septembre. L’artiste a ensuite constitué une sorte de recueil absurde et kitsch d’objets souvenirs de ces deux monuments iconiques : photos de touristes, papiers PHOTO DE TOURISTE, ISSUE peints, puzzles, maillot de bain, chaussettes… DE L’INSTALLATION WHEN THE Le tout dans le but de reconstituer l’imagerie TWINS WERE STILL BEAUTIFUL PAR THOMAS KUIJPERS. romantique de la Skyline new-yorkaise avant l’effondrement des Twin Towers et avant que le drame ne s’imprime dans la mémoire collective. Une façon drôle et pertinente de questionner notre rapport à l’image.

À l’initiative du Bangladeshi American Creative Collective (BACC), neuf photographes bangladais sont invités par le Bronx Museum of the Arts à exposer leurs travaux. L’idée de Transitions : New Photography from Bangladesh (qui est en fait une évolution de l’exposition Eyes on Bangladesh ayant déjà eu lieu aux studios SoundView Jusqu’au Broadcasting dans le Queens) est 14 février 2016. de donner une visibilité à cette bacc-nyc.org communauté encore largement bronxmuseum.org dissimulée et stéréotypée dans la majorité des médias américains (et occidentaux en général). Ainsi, les artistes exposés (Arfun Ahmed, Taslima Akhter, Debashish Chakrabarty, Rasel Chowdhury, Samsul Alam Helal, Jannatul Mawa, Manir Mrittrik, Saikat Mojumder et Tapash Paul) sont tous nés au Bangladesh et aujourd’hui installés aux États-Unis. Une volonté des curateurs qui poursuivent là deux buts : créer une plateforme pour les artistes bangladais sur la scène artistique et culturelle new-yorkaise, et combler le fossé de génération entre les immigrants bangladais et leurs enfants qui ont grandi sur le sol américain. À travers leurs images, les artistes témoignent des mutations de leur pays et de leurs compatriotes, et tentent ainsi de redonner une place de choix à une communauté AKHTER, qui exprime sa volonté d’évoluer tout en restant TASLIMA FROM DEATH OF A THOUSAND DREAMS, 2014. proche de ses racines.


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AG RANDIS S EMENT

FOCUS

Créations de festivals, projets de musées, prolifération d’écoles, de galeries et de foires… En Chine, les questions sur la manière de montrer, développer et promouvoir la photographie font l’objet de multiples initiatives. Enquête sur le grand bond en avant du huitième art dans l’Empire du Milieu. TexTe : Éric KarsenTy

Révélation culturelle en Chine La photographie en Chine connaît un développement à l’image de son économie et de la démesure du pays. « La photo est un art jeune et nouveau pour le public qui a une soif d’exposition, ce qui nous rappelle ce que pouvait être Arles il y a trente ans », déclare Sam Stourdzé, directeur des Rencontres d’Arles et co-organisateur du Jimei x Arles East West Encounters International Photo Festival.

Ce nouvel événement photo, qui a pris place dans la ville de Xiamen, du 15 novembre au 16 décembre 2015, a été mené avec RongRong. Le photographe chinois est aussi responsable du Three Shadows, musée de Pékin dédié à la photographie, qui a permis de présenter une quarantaine d’artistes chinois et étrangers, dont huit expos issues de la dernière édition arlésienne. « Les choses se font avec une

énergie et une spontanéité assez agréables », précise Sam Stourdzé en nous expliquant qu’une extension du musée de Pékin a été inaugurée en même temps à Xiamen, alors qu’elle n’était pas prévue à l’origine. Là, sur une surface d’environ 2 000 m2, on trouve des salles d’expositions, de conférences, un café, une librairie… Et si le festival ne dure qu’un mois, le lieu ouvert à l’année accueillera, lui, trois ou quatre accrochages.


AG RANDIS S EMENT

© Éric KarsenTy. © Li Bigang. © LiuLinyu.

Une programmation prise en charge par Three Shadows, avec une parenthèse pour l’expo d’été, qui fera écho au programme des Rencontres. La création d’un prix attribué à un photographe chinois – sous la forme d’une aide à l’édition ou d’une exposition – est actuellement à l’étude et devrait permettre un « échange de vues », l’été prochain à Arles. Cette collaboration enrichissante permet aux Rencontres, au-delà de leur rayonnement, de financer une partie de leur budget. Sam Stourdzé note également que, de la part des Chinois, « c’est un signe intéressant de ne pas seulement jouer la carte des centres commerciaux et des boutiques, et de commencer à comprendre que la culture est un vrai facteur de développement économique ». La référence aux Rencontres d’Arles revient souvent parmi les interlocuteurs interrogés, comme Duan Yuting, la directrice du Lianzhou EXPOSITION THE CHINESE PHOTOBOOK À L’OCCASION Foto Festival, qui orDE LA PUBLICATION DE ganisait sa 11e édition L’OUVRAGE DE MARTIN PARR CONSACRÉ AUX LIVRES DE en novembre dernier. PHOTOGRAPHIES CHINOISES. « Les Rencontres LIANZHOU, NOVEMBRE 2015. d’Arles ont exposé beaucoup d’artistes étrangers et je pense que c’est ce qui a permis au festival de devenir ce qu’il est. C’est cette manière de faire que j’espère reproduire en Chine en invitant de nombreux photographes du monde entier. » Un argument pour expliquer pourquoi, pour la première fois cette année, le nombre d’artistes étrangers exposés était supérieur à celui des photographes chinois. L’histoire de ce festival est exemplaire de la situation que traverse la Chine. La ville de Lianzhou, située à 300 km au nord de Canton, ne bénéficie d’aucun capital touristique qui la rende attractive pour le public. Vous ne la trouverez ni dans le Guide du Routard ni dans le Lonely Planet. Et c’est justement cette volonté de « se faire connaître et reconnaître » sur la carte qui est à l’origine de ce projet, explique Robert Pledge, directeur de l’agence Contact Press Images et grand connaisseur de la photographie en Chine. PROGRAMMATION INTERNATIONALE

En effet, les créations du festival de Pingyao, en 2001, initié par le Français Alain Julien, et de celui de Dali, en 2009, ont permis de doper le pouvoir d’attraction de ces villes, qui disposaient déjà toutes deux d’un centre historique et d’un patrimoine reconnus. Et c’est bien en

LI BIGANG, SÉRIE AT THE FESTIVAL, FÉVRIER 2015.

PHOTO DE LIULINYU DE L’EXPOSITION DE DAIDO MORIYAMA. XIAMEN, NOVEMBRE 2015


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AGR A N DIS S EMENT

P O RT FOL IO

Pour documenter un certain style de vie rattrapé par la modernité et menacé de disparition, le photographe Qian Haifeng sillonne la Chine depuis sept ans dans le train économique qui traverse le nord-est du pays. Embarquez avec lui à bord du Green Train. TexTe : Éric KarsenTy – PhoTos : Qian haifeng

The Green Train

« C’est vraiment le train des pauvres, le train des gens qui viennent chercher du travail, des étudiants, des paysans qui vendent leurs produits en ville », nous raconte Qian Haifeng dans sa série The Green Train, exposée et récompensée au dernier Lianzhou Foto Festival. Sur ses images, apparaît une population qu’on devine défavorisée, qui voyage sans confort et dans une grande promiscuité. Pas de climatisation, ni de chauffage, « ceux qui voyagent et qui ont un travail ne prennent pas ce train », précise encore le photographe qui s’est embarqué dans cette aventure depuis 2006, et dont les premières photos datent de 2008. Rien ne prédisposait cet électricien employé dans un grand hôtel de Wuxi, dans la province de Jiangsu – où il est né en 1968 –, à faire ce reportage qui vient de recevoir le Punctum Photography Award, la plus haute distinction du festival de Lianzhou. Qian Haifeng découvre la photographie en prenant les premières images de sa fille et en regardant la chaîne du National Geographic durant ses heures creuses, au travail. Ces documentaires lui « donnent envie de voyager avec un sac à dos », ce qu’il commence à faire au cours de ses vacances. Peu fortuné, il prend le Green Train et part à l’aventure. Il retrouve, dans les villages où il fait étape et dans les wagons qu’il emprunte, des personnes avec lesquelles il partage un certain mode de vie. Au fil de ses 227 voyages, lors desquels il a parcouru plus de 100 000 km et réalisé plus de 150 000 photos, Qian Haifeng dresse une fresque haute en couleur des Chinois les plus pauvres. Il est l’un des leurs, et son empathie nous touche directement, sans artifice. Parce que le Green Train est menacé de disparition – remplacé progressivement par des trains à grande vitesse –, le photographe poursuit ce reportage en immersion pour défendre ce mode de transport économique et pour documenter la vie quotidienne de ses pairs.



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AGR A ND IS S EM ENT

H I STOIRE

L’histoire commence en 1980, à Buenos Aires, avec le suicide brutal de Moisés Sancari. L’homme laisse des jumelles adolescentes à qui on refusera la vue du corps. L’une d’elles, Mariela, devient photographe et se lance, vingt ans plus tard, dans une quête artistique en forme d’exorcisme. TexTe : Sofia fiScher – PhoToS : Mariela Sancari

Mariela Sancari et la fiction familiale Au fond du café où elle nous a donné rendez-vous, sur une avenue bruyante de Mexico, difficile de donner un âge à cette photographe au passé morcelé. Elle a passé l’été aux Rencontres d’Arles pour y présenter son ouvrage, Moisés – du nom de son père – , en lice pour le prix du Livre, et l’a également défendu à Paris Photo en novembre. « Je crois que je suis déjà allée au Grand Palais il y a dix ans, je ne me souviens pas très bien. Je ne pensais pas y revenir pour présenter un bouquin », dit-elle en souriant. Mariela se livre ainsi sans méfiance, en s’excusant de « radoter ». Mariela avait 14 ans quand son père, de confession juive, s’est suicidé. « On n’a jamais pu voir le corps. Pour comprendre, dire au revoir », explique la photographe. Le judaïsme considérant le suicide comme un péché, Moisés Sancari sera enterré à part, derrière un mur, dans un cimetière de Buenos Aires. Les jumelles, inconsolables, se mettent alors à la recherche de leur père disparu dans les rues, aux terrasses des cafés, sur les plages… Elles imaginent sa nouvelle vie avec, qui sait, une nouvelle famille. À 18 ans, elles font le tour de l’Amérique latine, arrivent à Mexico un an plus tard et s’y installent. Dans la mégalopole, Mariela enchaîne les petits boulots avant de découvrir la photo à 27 ans, en tombant sur le travail d’un ami d’enfance. « Je suis restée scotchée face à tout ce qu’il exprimait. Jusque-là, je pensais que la photo était réservée aux anniversaires et aux fêtes de Noël », avoue-t-elle. IMAGE MANIPULÉE ET MANIPULABLE

Mariela suit alors une formation, puis intègre l’équipe des photojournalistes du grand quotidien Reforma. Elle y travaille six ans avant de claquer la porte. « Je crois que je suis entrée dans le métier avec une vision un peu naïve de la photo. Le côté va-t-en-guerre avec des grandes vérités à dire. J’ai vite compris que je m’étais trompée. Les gens prêtent au photojournalisme un pouvoir qu’il n’a pas. Celui de l’objectivité, de la documentation. Mais la

photo est toujours manipulée et manipulable, et n’illustre rien d’autre que le point de vue de son commanditaire », déclare-t-elle avec énergie. Avant de préciser : « Je comprends que certains y trouvent leur compte. Je parle pour moi. Moi, je ne supportais pas. » « JE ME RAPPELLE Au journal, elle prend ses distances M’ÊTRE DIT : avec son travail. « Je suis devenue une machine à produire des images, “ÇA Y EST, mais je n’y mettais plus du mien. » J’AI ENFIN TROUVÉ Alors, timidement, elle entreprend MA FAMILLE des projets personnels, le week-end PHOTOGRAPHIQUE.” et durant ses vacances. On raille sa IL Y AVAIT DES GENS façon de « jouer à l’artiste », mais elle s’accroche. En 2011, elle préUN PEU TIMBRÉS QUI, sente un dossier pour une résidence TOUS, GÉRAIENT d’un an au prestigieux Centro de LEURS NÉVROSES la Imagen de Mexico et se promet À LEUR FAÇON. de tout plaquer s’il est accepté. Ce qui sera le cas quelques mois plus JE ME SUIS SENTIE tard, marquant ainsi un tournant CHEZ MOI. » décisif dans sa carrière. « Je me rappelle avoir regardé autour de moi et m’être dit : “Ça y est, j’ai enfin trouvé ma famille photographique.” Il y avait des gens un peu timbrés qui, tous, géraient leurs névroses à leur façon. Je me suis sentie chez moi. » Elle se lance dans sa première série, Le Cheval à deux têtes, une introspection photographique sur la relation de gémellité avec sa sœur, dans l’ombre d’un père absent. « Le timide début de l’exorcisme », concède-t-elle. Deux ans plus tard, la jeune femme s’attaque au tabou familial en plongeant dans la fiction pour mettre en images les mille vies d’un père continuellement ressuscité. Dans la presse locale et sur les murs de la ville, elle publie une annonce : « Recherche hommes entre 68 et 72 ans, yeux clairs… » Puis elle retient les personnes qui sont les plus proches de l’idée qu’elle se fait de ce que serait devenu son père. Les mois de travail qui suivent sont longs et douloureux. Chaque matin, avant de se rendre dans le studio éphémère installé dans le parc près de l’appartement où elle a grandi, Mariela prie pour qu’un orage annule la séance. « J’y allais


HISTOIRE

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« JE VOULAIS QUE LE LECTEUR DÉCOUVRE LES PORTRAITS DE CES HOMMES AVEC LE MÊME SENTIMENT DE CONFUSION QUE MOI. »

comme un zombie », se souvient-elle. Elle va alors à la rencontre de ces substituts de la figure paternelle, les habille avec ses vieux pulls avant de les photographier. « Je n’arrêtais pas de me demander : “Mais putain, dans quoi tu t’es encore foutue ?” » Une fois la série achevée, elle mettra six mois avant de pouvoir regarder les images. SOIGNER LE PROCESSUS

« L’expérience m’a, en partie, guérie de mon obsession et m’a réconciliée avec la photo, mais ça m’a énormément coûté », concèdet-elle. Incapable de reprendre son appareil, elle se lance alors dans la maquette d’un livre pour y publier sa série Moisés avec l’éditeur La Fabrica, à Madrid. « C’était un peu l’aboutissement du chemin parcouru. Après six ans au journal à ne jamais penser au comment, j’ai pris mon temps, j’ai enfin soigné le processus, le “vivre l’image” qui est finalement la partie la plus importante de la photo. Je ne voulais pas faire un beau livre. Je me suis dit : “C’est ton premier bouquin, c’est le moment de prendre des risques.” » Finalement, Moisés prendra la forme d’un triptyque, les pages se dépliant de droite à gauche, puis de gauche à droite, sans légende ni explication. Les premières photos sont des images morcelées de Moisés : une joue, la naissance des cheveux, une oreille… Des fragments rappelant les souvenirs enfouis de Mariela. « Je voulais que le lecteur découvre les portraits de ces hommes avec le même sentiment de confusion que moi », précise la photographe. Sur la dernière image, un homme pose de profil, rasé de frais, l’air paisible. Il ne ressemble sûrement pas au vrai Moisés. Qu’importe, il l’incarne. www.marielasancari.com


MISE AU POINT


M IS E AU

POINT

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SOCIÉTÉ

Durant quatre jours, fin octobre dernier, un envoyé spécial de Fisheye a suivi une formation de photothérapie avec Émilie Danchin, photographe et thérapeute. Une plongée dans le pouvoir émotionnel des images qui secoue les méninges. TexTe eT phoTos : MaThieu oui

La photothérapie traverse le miroir

Jeudi 29 octobre, 10 heures. J’ai rendez-vous dans les locaux de l’Union des photographes professionnels (UPP), dans le 10e arrondissement de Paris, pour quatre jours de formation continue en photothérapie. La veille, dans un restaurant proche de la gare de l’Est, Émilie Danchin, la formatrice, a convié les participants pour faire connaissance. Nous sommes neuf inscrits (sept femmes et deux hommes) à ce premier module de formation, dont plusieurs photographes, des personnes en reconversion

professionnelle qui se forment à l’art-thérapie, une sophrologue, une iconographe… Si les Parisiens sont majoritaires, certains ont fait des milliers de kilomètres, depuis Berlin et même Nouméa ! La prof arrive, elle, de Belgique. Depuis des années, cette Française installée à Bruxelles mène de front ses deux activités de photographe et de thérapeute. JEUDI MATIN

Émilie revient sur l’histoire récente de la photothérapie et sur sa spécificité par rapport aux thérapies traditionnelles,

souvent basées sur la parole. Cette technique encore émergente ne se limite pas à un aspect verbal, mais utilise l’image comme support d’émotions. Devant une photo, on peut se contenter de décrire son contenu visuel (un portrait, un paysage, une maison…), mais on projette généralement des significations très personnelles, des émotions ou des souvenirs parfois enfouis. L’image permet donc une connexion directe avec notre inconscient. Émilie rappelle l’importance du cadre, question d’autant plus cruciale que la

moitié des inscrits ne sont pas thérapeutes. Dans quel cadre intervient-on ? Un atelier photo ? Une thérapie ? Quelles sont les attentes des participants ? Quel est l’objectif ? Surtout, s’interroge l’un d’entre nous, à partir de quand peut-on se déclarer photothérapeute ? « Cette formation n’est pas certifiante, mais relève de la formation professionnelle continue, tranche Émilie. Se déclarer photothérapeute relève de ta responsabilité personnelle. Mais je ne vais pas faire de vous des psychothérapeutes.



MISE AU

POINT

PORTFOLIO

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En résidence dans des lycées professionnels depuis cinq ans, Géraldine Millo a entrepris de dresser un portrait d’une jeunesse en formation. Un point de vue singulier pour questionner le monde du travail, les a priori de notre société, ses hiérarchies… et porter un regard bienveillant sur toute une partie de cette génération souvent déconsidérée. ProPos recueillis Par Éric Karsenty – Photos : GÉraldine Millo / siGnatures

Les Héritiers Une jeunesse en formation


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M IS E AU

Fisheye Comment est née l’idée de cette série sur les jeunes en formation professionnelle ? Géraldine Millo J’ai commencé à travailler en lycée agricole en 2010, dans le cadre d’une résidence d’artiste, parce que je m’intéressais à l’agriculture. J’ai continué avec un établissement des métiers de la filière bois-forêt puis de la mer. Au fur et à mesure, j’avais envie de me pencher sur le sujet des jeunes et de la formation professionnelle. Un sujet qui permet de parler du monde du travail, de notre société, de ses a priori, ses attentes, ses hiérarchies, de l’avenir… Je trouvais que la vision qui en était donnée – comme celle de Depardon sur le monde paysan – était trop conservatrice. Je voulais en finir avec la nostalgie. C’était les jeunes qui me touchaient le plus, avec leurs enseignants. Ce sont eux, les élèves et les profs, qui m’ont fascinée. Pouvez-vous nous expliquer votre titre, Les Héritiers ? J’ai une formation en philosophie et en sociologie. J’ai beaucoup lu sur la formation professionnelle, l’école, la reproduction sociale ; et je suis tombée sur le livre de Pierre Bourdieu, Les Héritiers, publié en 1964. Du coup, je trouvais pertinent de reprendre ce titre, car ce qui m’intéresse, c’est la question de l’héritage. Qu’est-ce qu’on fait à cet âge-là de ce qu’on nous a transmis ? Des modèles sur lesquels on nous demandait de nous projeter ? Les attentes de notre milieu, de notre famille, ce qu’on croit qu'on est capable de faire et ce qu’on s’interdit. Reprendre ce titre, c’est aussi une manière d’interroger quelle reproduction sociale est à l’œuvre dans l’école. Qui sont les jeunes qui viennent en lycée pro ? Où vont-ils ? Que deviennent-ils ? Et comme ce sont des jeunes, ça déborde le présupposé sociologique qu’il y aurait un déterminisme total et absolu. C’est un moment charnière où on a envie de liberté et où on a du mal avec le cadre. Vos images au format carré, à l’approche documentaire, proposent une vision très éloignée du reportage traditionnel. Pouvez-vous nous expliquer votre point de vue ? La photo documentaire, telle qu’elle m’intéresse, est écartelée entre le reportage d’auteur (empathique, subjectif, narratif…) et des méthodologies plus arides, conceptuelles et rigoureuses, qui viennent en partie des sciences humaines. Mon approche s’est radicalisée au fur et à mesure. J’avais initialement deux appareils : un 24 x 36 numérique et un 6 x 6 argentique. Puis, très vite, le format carré s’est imposé. Je travaille désormais avec un boîtier muni d’un seul objectif (un Hasselblad avec un 80 mm), c’est une contrainte que je trouve intéressante. Il y a

PO INT

PORTFOLIO

des choses que je ne peux pas photographier, je suis tout le temps « sur les gens », ce qui me permet de recentrer sur la scène. En enlevant ce qui est périphérique dans l’image, j’introduis un hors-champ. Pas mal de mes photos sont tronquées, un peu comme des images mentales, avec une dimension contemplative. Je pense que je suis plus proche d’un désir de tableau, d’une photographie qui parle à l’imaginaire, à ce qui se joue derrière l’image, c’est-à-dire à ce que l’image crée en nous. Que cherchez-vous à montrer à travers ces images sur le monde du travail et de l’apprentissage ? Quel est le message politique ? Il y a une dimension politique dans mon travail, même s’il n’y a pas de narration ou d’explication. Mes photos sont plus de l’ordre de l’allusion ou de la poésie : je cherche à montrer par capillarité, par contagion. Avec ce travail, j’avais envie de donner une visibilité autre à ces jeunes. On ne peut pas dire que l’enseignement pro est sur un pied d’égalité avec l’enseignement général. Il y a des raisons historiques à cette hiérarchisation, c’est très politique. Le regard qui est porté en France sur les ouvriers et les métiers techniques est très dur. On pouvait, il y a un certain temps, parler de lutte des classes. Aujourd’hui, on passe pour le plus arriéré des communistes en employant cette notion : mais alors quels sont les outils pour une plus grande justice sociale ? Ces inégalités gangrènent notre société. On retrouve des hiérarchies au sein de ces écoles avec les différents corps de métier. Avec mes images, je tente de remettre un peu les choses à niveau. Chaque personne a une puissance d’être, c’est le rôle de l’école de lui permettre d’éclore. Quand ils arrivent en lycée pro, les élèves sont déjà abîmés par le regard qu’on a porté sur eux durant leur scolarité. Ce n’est pas tant au sein de ces établissements qu’il y a un problème, mais tout autour, avant et après. Comment sont perçues vos images par les jeunes photographiés ? Chaque résidence s’accompagne d’ateliers avec les élèves où l’on fait de la photo, de la vidéo, où j’ai de nombreux entretiens avec eux et leurs professeurs, et où mon travail est exposé à la fin. Il y a un truc de transmission et de réception :

un véritable échange dans les deux sens, pour que le savoir circule, qu’ils me fassent découvrir leurs apprentissages et que je partage avec eux ma passion de l’image. Les enseignants sont très impliqués aussi. Il y a une culture de la réflexion pédagogique, beaucoup travaillent avec la notion de projet. Pendant longtemps, c’était d’anciens professionnels qui enseignaient dans ces établissements, ce qui est en train de changer progressivement. J’ai l’impression que les élèves sont fiers de ce rendu, ils adorent se voir sur les photos. Même si, il faut être honnête, c’est assez loin de leur monde. Mais je crois que c’est utile d’avoir un artiste en résidence dans un lycée durant plusieurs mois. On ne sait pas trop où, ni comment ça agit, mais peut-être qu’ensuite il y aura des élèves qui se diront : « Pourquoi pas moi ? » Ou qui regarderont autrement les œuvres, comme quelque chose qui est aussi fait pour eux, quelque chose qui peut leur parler. C’est un travail que vous continuez ? Je me penche sur les filières de l’industrie et de l’écologie (éoliennes), et aussi sur les disciplines qui attirent les filles. Parce que si les filières mécaniques et techniques sont masculines, celles du soin et du service sont féminines. Je travaille également sur les jeunes en grande difficulté pour voir ce qu’on fait de ceux qui avancent moins vite. L’école pro est le symptôme de beaucoup de choses dans notre société, les réalités y sont plus franches et tranchées que dans la filière générale. Les jeunes ont le sens de l’inconvenance. Ils cherchent à se frotter au cadre et n’arrivent pas toujours à s’y conformer. Soit parce que ce dernier ne leur va pas, soit parce qu’ils ont vécu des choses trop dures, qu’ils sont abîmés. Ils butent sur le cadre. Ils ont souvent beaucoup d’humour par rapport à ça. Et ils ont tous une forme de délicatesse et de sauvagerie : des corps élégants et maladroits. Cette finesse qu’ils portent, c’est notre bien le plus précieux et c’est compliqué de lui permettre de s’épanouir. Le cadre est nécessaire, comme pour la photo, mais il doit être plein d’imagination et de perspectives. Si on ne les regarde pas comme ça à leur âge, le combat pour une société plus juste est perdu d’avance.

« Avec mes images, je tente de remettre un peu les choses à niveau. Chaque personne a une puissance d’être, c’est le rôle de l’école de lui permettre d’éclore. »

www.geraldinemillo.com



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É D U C AT I O N

Depuis plus de trente ans, la Maison du geste et de l’image, installée au cœur de Paris, organise des stages pour faire découvrir la photographie au public scolaire d’Île-de-France. Reportage lors d’une journée, animée par Bertrand Desprez, sur les aventures de la bouteille d’eau dans le cadre de la COP21. TexTe : Éric KarsenTy – PhoTos : BerTrand desPrez / agence VU’

La Maison du geste et de l’image au fil de l’eau Ils sont dix-neuf à arriver ce mardi matin en jouant avec des images, des sons et des à la Maison du geste et de l’image (MGI) mouvements qui donneront naissance à un dans un joyeux désordre. On les sent de film en stop motion d’une minute, diffusé sur bonne humeur, ils savent qu’ils vont retrouver le site de la MGI et ailleurs. Bertrand Desprez, le photographe Mais, pour l’instant, la petite troupe LA THÉMATIQUE DE qui va les accompagner toute la s’installe dans les gradins de la L’EAU EST L’OCCASION journée pour un atelier photo inscrit grande salle de la MGI où Bertrand D’INVENTER DES FICTIONS PHOTOGRAPHIQUES. dans le cadre de la COP21. Ils vont Desprez a déjà préparé les appareils travailler sur le thème de l’eau, photo et les éclairages de deux des

trois ateliers qu’il a imaginés pour cette journée marathon. Heureusement pour lui comme pour eux, il sera épaulé par Isabelle et Bénédicte, professeurs de français et de musique de cette classe de 3e de l’établissement Camille-Sée, dans le 15e arrondissement de Paris. C’est l’heure du briefing : avec son paperboard, Bertrand indique quelques bases sur la lumière, le cadre et la mise en scène, avant de faire l’éloge des pratiques


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É D U C AT I O N

L’ASPECT LUDIQUE DES ATELIERS PERMET D’IMPLIQUER PLUS FACILEMENT LES ÉLÈVES DANS LE PROJET PÉDAGOGIQUE.

croisées où la photo se frotte à la musique, à la danse, au cirque et à d’autres disciplines. Puis il annonce le programme de la journée et précise les ateliers où chacun des trois groupes devra passer, avant de lancer : « Amusez-vous ! » CHORÉGRAPHIE IMPROVISÉE

Sur le plateau où se trouve le matériel de prise de vue, installé avec François – l’un des onze permanents de la MGI –, les collégiens vont inventer une chorégraphie. Sous la direction du photographe, qui n’hésite pas à les diriger comme un véritable metteur en scène, les élèves improvisent une « danse de la pluie ». En fond de scène, un film sur l’eau d’un caniveau est projeté en boucle. Bertrand shoote en rafale avec son appareil sur trépied et la petite troupe regarde le résultat, ce qui lui permet de corriger la chorégraphie au fur et à mesure. Pendant ce temps, sur le même plateau, un autre groupe travaille avec Isabelle à la création d’une histoire basée sur des bouteilles d’eau, certaines vides et d’autres pleines. Il s’agit d’inventer une fiction à réaliser en stop motion, où les élèves déplacent les objets et voient directement les images s’animer sur un ordinateur. Les collégiens imaginent un story-board (ensemble de cases représentant les différents plans d’un film) pour prévisualiser leur histoire. Isabelle, la prof de français, les relance et les guide quand ils sèchent. Un peu gauches au début, et après une fausse manip qui leur fait perdre leur première heure de travail, ils composent leur histoire où plusieurs bouteilles vides et « agonisantes » partent à l’assaut d’une grosse bouteille pleine symbolisant la vie. Il faut déplacer légèrement les objets et faire les prises de vue à chaque étape, c’est un peu fastidieux. Les élèves se contorsionnent pour tenir les récipients en équilibre tout en restant en dehors du cadre.

Au sous-sol, la troisième équipe s’est installée dans la cabine son qui équipe la MGI. Là, sous la direction de Bénédicte, leur prof de musique, les ados s’enregistrent à tour de rôle, casque sur les oreilles devant un micro de pro. Ils improvisent des vocalises en déclinant des « eau » de différentes hauteurs, avant de se retrouver tous ensemble pour produire en chorus un véritable canon à « eau » ! Jeux de rythmes et de timbres, ils s’en donnent à cœur joie. Puis chacun enregistre une phrase dans une des langues d’origine de cette petite bande métissée liée à la Guinée, à la Tunisie, à l’Italie, au Congo… La troupe s’agite un peu, pouffe de rire et échange quelques snapchats en postant des images sur Instagram. On est bien dans la Maison du geste et de l’image, pas de doute. Plus tard, un autre groupe s’appuiera sur des poèmes pour les déclamer façon slam. Autant d’éléments qui seront assemblés dans le film que Bertrand Desprez devra monter par la suite. Plein d’énergie, le photographe virevolte d’un groupe à l’autre, corrige le geste d’une danseuse, ajuste le plan d’un stop motion, propose un autre mouvement pour la chorégraphie, encourage un collégien un peu en retrait… Véritable chef d’orchestre, il arrive même à shooter les coulisses de l’atelier qu’il dirige ! Il faut dire que ce photographe amoureux du cirque a l’habitude d’animer des stages, travaille souvent en milieu scolaire et sait partager son enthousiasme à faire de la photo un espace de jeu. Un jeu qui les amènera peut-être à réfléchir sur la problématique de l’eau dans le cadre de la COP21, mais qui dans tous les cas leur aura fait découvrir, en s’amusant, quelques-unes des facettes de la photographie. www.mgi-paris.org

MISE EN SCÈNE ET HUMOUR, DEUX DES INGRÉDIENTS ESSENTIELS À LA RÉUSSITE DE CETTE JOURNÉE DÉCOUVERTE DE LA PHOTOGRAPHIE.

DES ATELIERS À LA CROISÉE DES ARTS

Créée en 1983 pour un public scolaire « éloigné de la culture », la Maison du geste et de l’image (MGI) est un centre SUPER LÉGENDE de recherche et d’éducation artistique qui met en contact créateurs, élèves et personnel enseignant pour partager les pratiques artistiques. La transmission est l’un des mots-clés de cette structure financée à 80 % par la Ville de Paris, qui organise des ateliers de théâtre, de vidéo et de photo. La MGI coordonne également d’importantes opérations comme Objectif photo, regroupant 60 centres de loisirs en partenariat avec la MEP et le Centquatre, où sont exposées les réalisations. La MGI fait travailler une soixantaine de photographes créateurs durant toute l’année scolaire afin de favoriser la diversité des approches artistiques. Elle organise également des séminaires critiques avec l’historien d’art Michel Poivert, entretiens qui sont à retrouver sur son site.


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F O N DAT I O N

Créée en 2003, la Fondation Henri Cartier-Bresson abrite des dizaines de milliers de tirages du célèbre photographe et de sa femme Martine Franck, et accueille trois expositions par an. Reconnu d’utilité publique, l’établissement est devenu en douze ans un haut lieu de la photographie. TexTe : Hélène Rocco – PHoTos : MaRie abeille

La Fondation Henri Cartier-Bresson

À quelques centaines de mètres de la tour Montparnasse, à Paris, se dresse sur trois étages un bâtiment style 1900 aux immenses baies vitrées. Depuis 2003, cet immeuble abrite la Fondation créée par Henri Cartier-Bresson, cofondateur de l’agence Magnum, son épouse, la photographe Martine Franck, et leur fille Mélanie. À l’époque, le célèbre photojournaliste, alors âgé de 94 ans, souhaite pérenniser son œuvre, mais pas question de bâtir un mausolée à sa gloire ! L’idée d’une fondation fait son chemin. Robert Delpire, son éditeur complice, en prend la direction la première année. Agnès Sire, ex-directrice artistique de Magnum, lui succède rapidement. Très proche des deux photographes, elle est ravie de venir « donner un coup de main » à celle qu’elle appelle affectueusement Martine. D’une main qu’on devine tremblante, CartierBresson avait écrit, à l’occasion de l’exposition inaugurale : « J’ai choisi ces quelques images qui me stimulent, me réjouissent ou me touchent. Photographes engagés, poètes, géomètres ou simples observateurs de talent, la liste est longue, et il faudrait plusieurs expositions pour les présenter tous. » Cette philosophie est l’essence de la fondation. Après la mort du photographe, en 2004, le même esprit a perduré : le lieu a été pensé comme une porte ouverte à la photo contemporaine, une célébration de la photographie du réel, si chère à l’artiste humaniste. Au premier et au deuxième étage, les travaux de photographes très différents sont exposés trois fois par an. « La plupart du temps, nous produisons les expos à partir d’œuvres qui existent déjà,

comme Smaller Pictures de Jeff Wall. Mais il nous arrive aussi de reprendre des événements itinérants », précise Agnès Sire. De janvier à mai prochains, le public pourra découvrir le travail d’Ugo Mulas, photographe italien du XXe siècle, célèbre pour avoir questionné les présupposés de la photographie avec sa série Les Vérifications. Son livre La Fotografia, publié peu de temps après sa mort en 1973, réunit une centaine d’images d’époque en noir et blanc. Parallèlement à chaque exposition, la fondation édite un catalogue ou distribue l’ouvrage déjà existant. DES EXPOS VIVANTES

Au troisième étage, quelques tirages d’Henri Cartier-Bresson sont présentés de manière permanente. « Les visiteurs chinois ou japonais sont souvent déçus qu’il n’y ait pas plus de clichés du photographe, mais cela n’a jamais été sa volonté. Il voulait que les expos soient vivantes », rappelle Agnès Sire. Sous la verrière classée ont aussi lieu des grands entretiens et des « conversations ». Tête-à-tête entre Clément Chéroux, conservateur pour la photographie au centre Pompidou, et des photographes, artistes ou critiques francophones, les entretiens sont organisés huit fois par an. Le public est invité à y assister gratuitement et sur inscription. Le prochain rendez-vous se tiendra le 19 janvier avec la photographe Sophie Calle. « D’ici quelque temps, nous avons le projet de sortir un livre regroupant tous ces entretiens, mais le travail est fastidieux », avoue la directrice de la fondation.


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Les conversations, elles, sont des conférences autour de la photo animées par Natacha Wolinski, critique d’art. Pour donner un coup de pouce à la création contemporaine, Henri Cartier-Bresson a souhaité rééditer le prix HCB en 2003. Créée initialement en 1988 par Robert Delpire, alors directeur du Centre national de la photographie, la récompense avait été interrompue après deux éditions. Elle est désormais décernée tous les deux ans. « L’objectif est de permettre à un photographe de réaliser un projet qu’il ne pourrait pas mener à bien sans la dotation de 35 000 euros », précise Agnès Sire. Le lauréat expose ensuite son travail à la Fondation, puis aux États-Unis à la fondation Aperture. « Pour gagner, il faut un projet solide. Chaque participant doit présenter une lettre de recommandation rédigée par une institution. Ce prix ne s’adresse pas vraiment aux photographes émergents. » Un jury de sept personnes étudie des centaines de dossiers. L’an dernier, c’est Claude Iverné, un photographe français, qui a été désigné lauréat avec un projet sur le Soudan du Sud. Enfin, dans les sous-sols du bâtiment, à l’abri des regards, se cachent les archives d’Henri Cartier-Bresson et de Martine Franck. Le fonds comprend des dizaines de milliers de tirages, des planches-contacts, des dessins, des correspondances, des affiches, des enregistrements sonores et des vidéos. Les chercheurs peuvent les consulter sur rendez-vous. L’agence Magnum, elle, continue à gérer la diffusion des images et des expositions qui font partie des collections de la Fondation. Quelques tirages peuvent être vendus, sur décision du conseil d’administration et sous des conditions très précises, comme lorsqu’il s’agit de rénover les futurs locaux. « En 2018, nous déménagerons rue des Archives [à Paris, ndlr], dans un espace de 800 mètres carrés. Et nous continuerons à faire rayonner les œuvres du couple. Peut-être y aura-t-il une exposition permanente d’Henri Cartier-Bresson », nous confie la directrice. Rendez-vous dans deux ans.

« NOUS CONTINUERONS À FAIRE RAYONNER LES ŒUVRES DU COUPLE. »

www.henricartierbresson.org


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C AMÉRA TEST

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Pour cette nouvelle année, on se met en appétit avec un test graphique et sucré. À consommer sans modération. TexTe eT phoTo : Marie abeille

Caroline Test en cuisine

Caroline, 29 ans — Après une prépa en communication visuelle, Caroline a passé cinq ans à l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art Olivier de Serres. En 2011, elle crée avec Laura, une autre étudiante, le collectif Goûte-moi ça ! dans le cadre de leur diplôme : une cuisine mobile, en lien avec une association qui travaille sur le lien social, permet aux deux copines d’utiliser des outils

de graphisme sur la nourriture pour donner la parole aux habitants du quartier parisien de la Goutte-d’Or. Ateliers de sérigraphie pour imprimer sur des crêpes, création d’expressions culinaires avec les enfants… L’idée est de créer des images qui se mangent. À l’issue de leurs études, Caroline et Laura décrochent une bourse pour amener Goûte-moi ça ! à Berlin pendant six mois. De retour à Paris, Caroline passe un

CAP en pâtisserie et ouvre, en 2013, son atelier de création culinaire. La « graphiste pâtissière » y réalise gâteaux et sablés complètement délurés, pour les événements de marques ou de particuliers en quête d’originalité.

www.carolinebourgeois.com Instagram : @carobourgeois


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PRISE

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MAIN

Après avoir testé dans les précédents numéros de Fisheye les Pentax 645Z et Canon 5DS qui s’affrontent sur le créneau des reflex à 50 millions de pixels, je continue mon exploration des stars de la haute définition (et des tarifs élevés !) en m’intéressant cette fois au roi des hybrides, le Sony Alpha 7R II. TexTe eT phoTos : Jean-ChrisTophe BéCheT

SONY ALPHA 7R II Haute définition & haute technologie

Cet élégant bloc de métal surmonté d’un viseur électronique est doté d’un capteur de 42 millions de pixels. Un chiffre impressionnant pour un compact à objectifs interchangeables, d’autant que ses 42 millions de pixels sont concentrés sur un CMOS 24 x 36 mm ultra-performant : dépourvu de filtre passe-bas, ce capteur est à la fois stabilisé et de type BSI (Back Side Illuminated, ou rétro-éclairé en français). Dans le détail, l’absence de filtre passe-bas améliore le piqué des images, la stabilisation (sur 5 axes !) permet d’obtenir des images statiques nettes, même en vitesse lente, et le rétro-éclairage rend le capteur davantage sensible à la lumière ambiante. En théorie, cela permet de gagner environ deux valeurs en sensibilité ISO ou, pour le dire plus simplement, d’obtenir à 6 400 ISO un rendu équivalent à celui qu’on obtient à 1 600 ISO avec un CMOS classique de même définition. Autant de caractéristiques impressionnantes qui font de ce capteur le « cœur » de l’Alpha 7R II. En cela, Sony poursuit un concept développé depuis deux ou trois ans autour de la notion d’un « bloc capteur » polyvalent sur lequel viennent se greffer divers objectifs. Pour bien comprendre ce principe, un petit flash-back s’impose. SONY FLASH-BACK

Sony est un « jeune » fabricant d’appareils photo. Dans les années 2000, le développement du numérique a incité des marques spécialisées en électronique, comme Sony, Panasonic ou Samsung, à venir défier les cadors de la place

que sont Canon, Nikon, Pentax, Olympus ou Fujifilm. Aujourd’hui, en 2016, Sony a le vent en poupe – contrairement à Samsung qui vient de mettre sa division photo en sommeil. Pour s’implanter sur le marché photo, Sony a d’abord récupéré les vestiges de la marque Minolta. Ce choix intelligent lui a permis de disposer d’emblée d’une monture d’objectifs populaire et de récupérer un savoir-faire dans la fabrication des reflex. Sony a ensuite trouvé son propre espace commercial avec la généralisation des viseurs électroniques. En effet, en gamme reflex « classique », il était illusoire de vouloir lutter contre le duo Canon-Nikon qui représente plus de 85 % du marché. Alors Sony s’est lancé à fond dans l’univers des hybrides, aussi appelés

compacts à objectifs interchangeables. Après les succès rencontrés par la gamme Nex, Sony a décidé de labelliser tous ses appareils haut de gamme du nom d’Alpha. Les Alpha 7 sont le fleuron de cette famille. Ils ont révolutionné le monde du compact en intégrant un capteur full frame, un vrai 24 x 36. Rappelons au passage que la marque japonaise maîtrise parfaitement la fabrication de ces gros capteurs, puisqu’elle est un des leaders du secteur. UNE FICHE TECHNIQUE TOUFFUE

Une fois l’Alpha 7R II déballé, j’ai tout de suite apprécié sa parfaite tenue en main et sa belle fabrication. L’ergonomie


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n’a rien de très original, tous les appareils hybrides aujourd’hui se ressemblent peu ou prou (hormis les Leica M) avec, sur le haut du capot, un duo de molettes crantées et, au dos du châssis, une multitude de petits boutons qui entourent une roue codeuse. La présence d’une touche Fn (Fonction) et de quatre possibilités de customisation (C1, C2, C3, C4) permet de calibrer l’appareil en fonction de ses priorités. Certains apprécient cette délicate attention. Pour ma part, au-delà de deux touches de personnalisation, j’oublie à quoi correspond chaque bouton. Même constat pour les menus déroulants, plutôt complexes, avec d’étranges pictogrammes. Une conclusion s’impose : si cet Alpha 7R II est votre appareil de base et que vous l’utilisez souvent, cette multitude de réglages sera vite maîtrisée. Si en revanche vous pensez vous en servir ponctuellement, en complément par exemple d’un reflex, vous risquez d’être un peu agacé par cette ergonomie à tiroirs. Mais comment faire autrement quand un appareil est à la fois destiné aux pros et aux amateurs, aux photographes et aux vidéastes (l’appareil filme en 4K et HD avec de nombreux modes dédiés) : la quadrature du cercle photographique n’est toujours pas résolue. D’autant que la philosophie de Sony est d’offrir le nec plus ultra en matière de connexions et de développements électroniques. On ne s’étonnera

3 200 ISO, F/3,2, 1/125 S : À CETTE HAUTE SENSIBILITÉ, L’APPAREIL CONTINUE DE DÉLIVRER DES IMAGES DE TRÈS BONNE QUALITÉ. UNE SOUS-EXPOSITION, DE - 2 IL, A PERMIS DE RESTITUER CETTE AMBIANCE « POLAR ».

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donc pas de la cohérence du produit sur ce terrain : wi-fi, écran inclinable, autofocus hybride avec 399 points en détection 3D, viseur Oled Tru-Finder avec un grossissement à 0,78x… On s’interrogera en revanche sur certaines lacunes pratiques : faible autonomie des batteries (et absence de chargeur), déclencheur trop sensible que l’on a du mal à dompter, absence d’un double slot pour carte mémoire… Bref, sur le plan de l’usage professionnel, Sony peut encore faire des progrès. Et c’est là-dessus que devront porter les futures améliorations, car sur la question de la qualité d’image et de la sensibilité ISO, ce petit boîtier de 600 grammes est proche du top niveau. UNE QUALITÉ D’IMAGE IMPRESSIONNANTE

En sortie d’appareil, les fichiers font 67 x 45 cm à 300 dpi pour un poids de 15/20 Mo en JPEG qualité maximale. Largement de quoi envisager des tirages d’exposition qui dépassent le mètre carré ! Le capteur CMOS BSI 24 x 36 supporte parfaitement cette résolution et l’image est du niveau des meilleurs reflex pros. Logiquement, c’est en haute sensibilité, et donc en basse lumière, que l’appareil montre vraiment son excellence. Là, pas de doute, on peut travailler jusqu’à 6 400 ISO sans aucun souci de qualité. Au-delà, je n’ai pas trouvé que

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cet Alpha faisait mieux que ses concurrents directs, le rétro-éclairage n’est pas une formule magique ! Après une semaine d’utilisation, il me semble évident que cet appareil est d’abord destiné à ceux qui font des images posées (paysages, natures mortes, architecture…) plutôt qu’aux reporters ou aux photographes animaliers. Toutefois, je me suis bien amusé en faisant pour la première fois de la street photography nocturne en poussant la sensibilité jusqu’à 20 000 ISO. Bien sûr, l’autofocus a parfois patiné, et le rendu des images est assez bruité, mais l’exercice est vraiment étonnant. De plus, cet Alpha 7R II peut être associé à un grand nombre d’objectifs anciens et modernes, grâce aux multiples adaptateurs disponibles. Du coup, il devient presque une sorte de chambre folding moderne ! À son tarif, entre 3 000 et 3 500 euros, on trouve des reflex assez proches en termes de qualité d’image. Pour la polyvalence et la rapidité d’action, ces reflex gardent l’avantage. Mais dans le cadre d’une pratique plus calme, avec l’envie de réutiliser de vieux objectifs 24 x 36 de référence, le Sony Alpha 7R II est une très belle opportunité. Et ceux qui n’ont pas besoin d’autant de pixels pourront se tourner vers l’Alpha 7 II, un petit frère de 24 millions de pixels qui est plus léger, presque deux fois moins cher, et quasiment aussi bon.

800 ISO, F/6,3 AU 1/640 S : MANIFESTATION PENDANT LA COP21. LE SONY ALPHA 7R II PERMET D’ÊTRE AUSSI DISCRET QU’UN AMATEUR MUNI D’UN SMARTPHONE, TOUT EN FAISANT DES IMAGES DE QUALITÉ PROFESSIONNELLE.


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APPAREILS

Une nouvelle année qui commence et de nombreuses sorties matos à venir… C’est l’occasion pour Fisheye de faire le bilan avec une sélection des produits phares de 2015. TexTe eT sélecTion : Marie abeille

MATOS FUJIFILM X-T10

CANON EOS 5DS R

OLYMPUS OM-D E-M5 II

Fujifilm et Olympus, même combat ? On se répète, mais c’est important de le souligner. Il faut dire que la formule est bonne – design rétro et version allégée d’un hybride expert – et que le X-T10 fait le taf. Même capteur APS-C de 16 millions de pixels que le X-T1, sensibilité extensible à 51 200 ISO, AF à 49 collimateurs avec un petit mode Wide/Tracking de derrière les fagots pour s’étendre à 77 collimateurs pépouze, écran orientable, viseur OLED, flash intégré… Tout ça, quoi.

On vous l’accorde, c’est un peu facile, mais il faut reconnaître que le reflex haute définition par Canon a quand même fait de l’ombre à ses petits copains en 2015, non ? Ne soyez pas de mauvaise foi, on a horreur de ça. 50 millions de pixels, ça n’est pas utile à tout le monde, mais la performance est là. Et tant qu’à faire, on penchera pour la version R, sans filtre passe-bas. À associer avec une optique de qualité, SVP, sinon autant shooter à l’iPhone, merci.

Ça va finir par se voir… Tant pis, on assume, on adore la famille OM-D depuis les premiers pas de l’E-M5. On a suivi avec émotion l’arrivée du grand frère E-M1, suivie de la naissance du petit E-M10 (c’est tellement mignon quand c’est petit). C’est vrai qu’on a toujours eu une petite préférence pour le premier, c’est comme ça, dans chaque famille il y a un chouchou. Puis l’E-M5 a grandi et, au lieu de trouver un adolescent ingrat et boutonneux, nous n’avons pu que nous incliner face à la maturité de son nouveau viseur, son écran orientable et sa stabilisation de compétition.

TAMRON SP 35 MM F/1,8 DI VC USD On vous épargne l’enthousiasme de la première présentation de la nouvelle ligne de Tamron (voir Fisheye n° 15) et on reste cool. Enthousiasme provoqué par un nouveau design, une belle ouverture f/1,8 et une stabilisation intégrée. On passe aussi sur la formule de 10 éléments en 9 groupes, le revêtement fluorine de la lentille frontale, les verres à faible dispersion (voire à très faible dispersion), la motorisation USD et la distance minimale de mise au point de 20 cm. On reste cool, on vous dit.

SIGMA 24-35 MM F/2 DG HSM | A Vous hésitez entre un 24, un 28 et un 35 mm ? OK, super, Sigma l’a fait, réjouissez-vous (même s’il est sorti il y a déjà plusieurs mois, ce n’est pas grave, ça fait toujours plaisir) : un 24-35 mm à ouverture constante f/2 rien que pour vous. Il est beau, il a 18 éléments en 13 groupes, un diaphragme circulaire à 9 lamelles, bref, 940 g de bonheur.


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APPAREILS

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PANASONIC LUMIX FZ300

RICOH THETA S On n’allait tout de même pas l’oublier, le petit inclassable par Ricoh. Cette fois, impossible de crier au scandale : le Theta S gagne d’office sa place dans la sélection des produits phares de 2015. Il y avait déjà le Theta qui photographiait à 360 ° par une simple pression, puis le Theta M15 qui crânait avec son mode vidéo, toujours à 360 °. Le Theta S, c’est celui qui vous fait oublier les deux autres, avec un capteur amélioré, une prise de vue continue étendue à 25 minutes et une vitesse d’obturation de 1/8 000 à 1/30 de seconde en vidéo.

LEICA Q

NIKON COOLPIX P900

Est-il vraiment nécessaire de revenir sur le compact star de 2015 ? Un peu quand même, parce que ce n’est pas tous les jours que Leica parvient à mettre tout le monde d’accord. On a eu beau chercher, on n’a pas trouvé une personne qui ne rêve pas d’avoir le compact 24 x 36 par Leica dans son fourre-tout. Bon, on n’a pas trouvé non plus quelqu’un qui pouvait se l’offrir, mais c’est un autre débat. Donc, pour résumer, capteur 24 x 36 de 24 millions de pixels + objectif Summilux 1:1,7/28 mm ASPH = cœur.

« Encore un bridge ? » Oui, si vous n’aimez pas ça, on vous prévient, il en reste même un dernier après celui-ci. « Mais le P900 ? » À nouveau : oui, si vous n’aimez pas, vous n’êtes pas obligé de traîner sur cette page non plus. Trêve de bavardages, on l’a choisi pour plusieurs raisons. Premièrement, un zoom 83x, c’est un record et ça mérite tout de même d’être souligné. Deuxièmement, parce qu’il ouvre quand même à f/2,8 au grand-angle. Et troisièmement, parce qu’un 2 000 mm aussi léger et abordable, vous n’en trouverez pas beaucoup sur le marché.

Alors, Panasonic, c’était plus compliqué. Tout simplement parce que la marque a profité de 2015 pour sortir une flopée de boîtiers, mais qu’en plus il faut avouer que ce ne sont pas les plus dégueu. Alors pourquoi le FZ300 dans cette sélection, et pas le G7 ou le GX8 ? Parce que, tout d’abord, on souhaite faire un certain mea culpa vis-à-vis des bridges qu’on a longtemps méprisés (pour notre défense, ce n’était pas terrible non plus de ce côté-là il y a quelques années). Et ensuite parce que le FZ300, c’est comme un FZ200 (celui qui nous a réconciliés avec le bridge), mais en mieux : toujours le zoom 24x à ouverture f/2,8 constante et la stabilisation 5 axes, la tropicalisation et l’enregistrement 4K en prime.

SONY CYBER-SHOT RX10 II

Et le dernier bridge de cette sélection est le RX10, deuxième du nom. Après, on arrête parce que ça va finir par jaser (« C’est bizarre, cette haine du bridge, ça cache quelque chose… »). Sony reprend la formule du bridge expert avec un capteur CMOS de 1 pouce et 20 millions de pixels avec mémoire intégrée, un objectif 24-200 mm f/2,8 constant, un viseur OLED de 2 350 900 points et un enregistrement vidéo 4K.


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La photo automatisée

PHOTO

MOBILE

Les smartphones ont changé la donne. Le grand public a désormais accès à un appareil photo en tout lieu et à tout moment. N’oublions pas que ces téléphones intelligents sont de véritables ordinateurs tenant dans le creux de la main. Rien de tel pour profiter d’applications mettant en œuvre des programmes automatisés qui permettent des utilisations différentes d’un boîtier classique.

Pix Populi imprime facilement vos photos où qu’elles soient (Facebook, Instagram, Dropbox, votre ordinateur…) et vous fait découvrir l’actu photo de la génération smartphone. www.pixpopuli.com 1-HOUR PHOTO À L’ANCIENNE

HYPERLAPSE LE TIME-LAPSE FACILE

La magie de découvrir ses images bien après la prise de vue, voilà ce que propose l’application 1-Hour Photo. Bien que l’idée puisse paraître saugrenue, 1-Hour Photo vous fait patienter une heure avant de visualiser votre nouvelle image. Cela rappellera des souvenirs à ceux qui ont connu les grandes heures de la photo argentique et de la chambre noire, et restituera ce côté magique à ceux qui n’ont jamais goûté au charme des images latentes. 1-Hour Photo : disponible sur iOS (0,99 €) www.nevercenterlabs.com/1hourphoto

TOUCHRETOUCH LA SUPPRESSION AU BOUT DES DOIGTS

Imaginez un instant que vous puissiez éliminer votre belle-mère de votre photo de famille en un claquement de doigts : c’est exactement ce que propose TouchRetouch. Grâce à cette application, vous pourrez facilement supprimer certains éléments gênants de vos clichés : il suffit de les sélectionner et l’application se charge du reste grâce à son algorithme. TouchRetouch : disponible sur iOS (1,99 €) et Android (1,89 €)

Lorsqu’Instagram propose sa solution de time-lapse, elle sort Hyperlapse, une application avec un logiciel de stabilisation de l’image. Contrairement à d’autres systèmes où vous devez rester en plan fixe pour avoir un bon résultat, avec Hyperlapse, vous appuyez sur un bouton, vous vous déplacez, vous relâchez le bouton et, quelques secondes plus tard, le résultat dépasse vos espérances ! Hyperlapse : disponible sur iOS (gratuit) OSNAP ! Ô ! BEAU TIME-LAPSE !

DIANA PHOTO LA DOUBLE EXPO EN DEUX SECONDES

Le time-lapse est un procédé qui assemble plusieurs images prises à intervalles de temps réguliers (de quelques secondes à plusieurs minutes) pour donner un film accélérant fortement une action, comme l’éclosion d’une fleur ou le défilement des nuages sur un paysage. Grâce à OSnap !, vous réaliserez vos time-lapses automatiquement et très facilement. Une application utile aux vidéastes amateurs à la recherche du temps qui passe… OSnap ! Pro : disponible sur iOS (3,99 €) www.osnapphotoapp.com

Vous adorez les images produites par une double exposition, mais ne savez pas trop comment vous y prendre ? En effet, ce procédé se révèle aléatoire et, en numérique, il est préférable de maîtriser un minimum d’outils de retouche. Heureusement, avec Diana Photo, il vous suffit de prendre deux photos avec votre téléphone, de le secouer et d’admirer le résultat. S’il ne vous plaît pas, il n’y a qu’à recommencer ! Diana Photo : disponible sur iOS et Android (gratuit) www.dianaphotoapp.com

MICROSOFT HYPERLAPSE MOBILE L’HYPERLAPSE VERSION ANDROID

Ironie du sort, l’équivalent sur Android de l’application Hyperlapse d’iOS dont nous parlons dans cette page a été créé par Microsoft, entreprise concurrente de la marque à la pomme. Le principe est le même : un bouton, une stabilisation automatique, et une facilité d’utilisation à toute épreuve. Pour peu que vous ayez de l’imagination, vous pourrez réaliser des vidéos sympathiques à partir de votre téléphone Android. Microsoft Hyperlapse Mobile : disponible sur Android (gratuit)


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SENSIBILITÉ


S ENSIBILITÉ

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ART VIDÉO

À une époque où les regroupements d’artistes se multiplient, le Collectif MU, fondé en 2002 par d’anciens membres du Fresnoy-Studio national des arts contemporains à Tourcoing, s’est fait une spécialité des installations sonores immersives et séduit pour cette faculté à faire rêver les curieux tout en pensant les pratiques de demain. Portrait. TexTe : MaxiMe DeLcourT

© Lucian Perkins.

Collectif MU : le goût de l’indiscipline Le Collectif MU est arrivé sur la pointe des audioguides est indéniable. Suivront notamment pieds, comme une bonne nouvelle qu’on une exploration d’un monde parallèle avec Sonic n’attendait pas. Formé par les producteurs Moons en 2006, le festival Filmer la Musique Olivier Le Gal et David Georges-François, rapi- en 2007, une balade de deux mois et demi dement rejoints par Éric Daviron, aujourd’hui à en 2008 sur deux péniches entre le Danube et la programmation musique, il a pourtant eu un le Rhin avec une trentaine d’artistes (musiciens, effet immédiat. En 2004, deux ans à peine après compositeurs, plasticiens), la mise en place des sa création, le collectif met en place son premier festivals Magnétique Nord et Barbès Beats, ou projet : Édith@Paname, une exploration géopoé- encore la création en 2012 du Garage MU, salle tique de la Goutte-d’Or aux Halles proposant de concert de 120 places ayant accueilli plus aux habitants de parcourir leur quartier et d’en de 80 artistes, oscillant entre noise et électro, construire une cartographie imaginaire à l’aide rock et minimal wave. de photos, de fragments vidéo, de « Le Garage MU est un peu notre bruits, de sons, de témoignages socle, précise Éric Daviron. Autour LUCIAN PERKINS, HARD ART DC, et d’impressions manuscrites. On 1979. PHOTO PRÉSENTÉE DANS de ce projet, on a vraiment à cœur LE CADRE DE LA 2E ÉDITION est avant la démocratisation des de pérenniser nos deux festivals, DU FESTIVAL MAGNÉTIQUE NORD EN DÉCEMBRE 2015. smartphones, mais le succès de ces qui témoignent de deux approches

différentes de notre travail. Tandis que Magnétique Nord est un peu le prolongement de notre programmation pointue – mais pas élitiste – au Garage MU, Barbès Beats rejoint ce que l’on faisait dix ans plus tôt avec Édith@ Paname. Il y a un réel aspect documentaire : c’est en quelque sorte un événement permettant aux spectateurs de découvrir l’histoire du quartier à travers le prisme de la musique. » Faisant cela, le collectif invente ainsi un ton, une ligne de conduite, une manière de considérer la musique comme une petite capsule narrative, souvent une déambulation avec la ville comme terrain de jeu. Olivier Le Gal : « On se situe dans l’idée que la ville est un décor et un support d’images à nos projets. Sur un plan plastique et visuel, le but est donc de se servir de ce


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S EN S IB I LITÉ

L’athlète du regard

SPORT

Grand reporter ayant couvert l’actualité internationale des quatre dernières décennies, le photographe américain David Burnett s’est pris au jeu des Jeux olympiques, dont il a photographié une dizaine d’éditions. D’une manière aussi ludique que décapante, il multiplie les techniques et les appareils, cherche de nouveaux points de vue et réinvente la photo de sport.

TexTe : Éric KarsenTy – PhoTos : DaviD BurneTT / conTacT Press images La photo de sport est une discipline aussi exigeante que conventionnelle. Les images qui illustrent les quotidiens et les magazines sportifs obéissent généralement à un ensemble de codes non écrits qui font référence dans la profession. Visage extatique du coureur franchissant la ligne d’arrivée, cycliste levant les bras après le sprint final, grimace du lutteur pendant l’effort… souvent en gros plan, ces clichés répètent à l’envi une grammaire visuelle efficace, donnant fréquemment un sentiment de déjà-vu. Seuls les visages changent, les couleurs des maillots et les logos des sponsors. Quand David Burnett couvre ses premiers Jeux olympiques à Los Angeles en 1984, il a déjà une quinzaine d’années de reportages derrière lui. Il a été au Vietnam pour suivre la guerre des Américains, au Chili pour le putsch de Pinochet,

en Iran pour le départ du Shah et le retour de l’ayatollah Khomeini, et a déjà portraituré pas mal des grands de ce monde, de Ronald Reagan à François Mitterrand. En arrivant dans cet univers sportif qui n’est pourtant pas le sien, il est galvanisé par la concentration des sportifs et l’enthousiasme du public. Il se met à l’unisson de la fête olympique et entreprend, lui aussi, une course de fond qui le conduira à remettre en cause sa manière de travailler. CORPS ET DÉCORS

Petits, moyens ou grands formats, noir et blanc ou couleur, argentique ou numérique, il cherche, expérimente, invente… Du 24 x 36 au 6 x 6 en passant par le célèbre Speed Graphic

(l’appareil photo mythique de Weegee, le photographe du New York nocturne des années 1940-1950), David Burnett recherche d’autres manières de photographier le sport. Totalement libre quant au sujet à photographier, il prend ses distances avec ses confrères pour montrer autre chose. Ce ne sont pas les personnalités qui l’intéressent, mais les corps et les décors. Tout le théâtre qui se déploie devant lui. « Il est au spectacle des beautés sportives, pas des victoires », détaille Paul Fournel, écrivain qui signe l’un des textes de L’Homme sans gravité, l’ouvrage que David Burnett vient de publier aux éditions Marabout. Prenant souvent du recul, il BASE-BALL, PÉKIN, CHINE, AOÛT 2008. inclut le décor, les spectateurs, l’architecture du stade, ses


S ENSIBILITÉ

SAUT À LA PERCHE HOMMES, PHILADELPHIE, PENNSYLVANIE, ÉTATS-UNIS, AVRIL 1996.

éclairages et jusqu’à la ville, dans le cadre. Jouant avec la vitesse, il met en évidence un détail avec une précision hallucinante, comme ce moment de grâce où un perchiste se retrouve suspendu en l’air, debout à côté de sa perche : une fraction de seconde transformée en éternité par la puissance d’un athlète du regard. Ou c’est avec le flou qu’il s’amuse dans le fond d’un bassin pour métamorphoser un nageur en torpille vivante. Trop fugaces, les mouvements des champions ne se laissent pas souvent saisir par la télévision et ses images qui bougent. L’image fixe de David Burnett extrait dans son flux un instant ou une durée qui exprime davantage la dramaturgie de ce qui se joue à travers ces corps affûtés à l’extrême. « La télévision apporte le vif du direct, la photographie propose une profondeur », détaille-t-il. LE GESTE ÉLÉGANT

Jeux d’été ou Jeux d’hiver, le photographe est fidèle aux rendez-vous olympiques. Entre les reportages d’actualité qui font son quotidien, ces parenthèses sportives sont pour lui une récréation active lors de laquelle il poursuit ses expérimentations. Utilisant son Speed Graphic et jouant sur la profondeur de champ, il transforme des joueurs de base-ball en figurines dérisoires. Ailleurs, il isole des plongeurs dans le ciel comme des corps pétrifiés dans l’effort. Le ski, et plus encore le saut à ski, donne lieu à des images aériennes. « Je cherche le geste élégant, le détail étonnant qui dure un éclair de seconde et qui peut être d’une beauté si parfaite », déclare le photographe. Souvent, il prend des risques en choisissant

SPORT

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NATATION HOMMES, PHOENIX, ARIZONA, ÉTATS-UNIS, MAI 1996.

des points de vue inédits, décalés, prenant le désespéré que David Burnett immortalise, juste contre-pied de ses confrères. Comme ce 10 août devant lui. « Mes images ne cherchent pas 1984 aux J.O. de Los Angeles, lors de la finale à sauter au visage, elles sont plus paisibles des 3 000 m où l’Américaine Mary Decker est et conçues pour arrêter le regard », précise donnée grande favorite, et où il ne se place encore celui qui n’hésite pas à se confronter pas sur la ligne d’arrivée mais le long à des disciplines qui ne l’attirent pas de la piste. Et puis le hasard, ou la pour corser la difficulté et stimuler sa TRIPLE SAUT FEMMES, chance (selon le point de vue), fait le créativité. Une émulation qui l’oblige PÉKIN, CHINE, AOÛT 2008. reste. Mary Decker chute et suit la fin à aller, lui aussi, plus vite, plus loin et de la course au sol avec un regard plus fort dans ses clichés.



SENSIBILITÉ

EN APART É

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Au cœur du Marais, entre la rue de Turbigo et la rue Saint-Martin, se trouve une librairie particulière. À la fois galerie, bibliothèque, maison d’édition et studio, la Library of Arts (LO/A) est un bel espace de rencontre qui accueille régulièrement des expositions photo thématiques. TexTe : Hélène Rocco – PHoTos : MaRie abeille

LO/A, une librairie particulière « On n’espérait pas trouver un lieu dès le lancement de notre projet », s’étonne encore Jeanne Holsteyn, cofondatrice de la Library of Arts (LO/A). Ouvert en octobre 2013, ce lieu hybride propose de beaux livres photo, des fanzines pointus, et héberge un espace galerie depuis l’hiver dernier. Venus du monde de la mode et passionnés d’images, Jeanne et son associé Maxime Dubois souhaitaient au départ créer une bibliothèque virtuelle, un panorama d’œuvres de contre-culture classées par thématiques. « Ouvrir un lieu est difficile et coûteux à Paris : on cherchait simplement un bureau », précise Jeanne. Au Library of Arts LO/A hasard de leurs recherches, ils tombent sur un fonds de 17, rue Notre-Dame-de-Nazareth, 75003 Paris. commerce idéal au 17, rue Ouverte du mardi au vendredi Notre-Dame-de-Nazareth, de 13 heures à 19 heures, dans le Haut Marais. « Le le jeudi jusqu’à 20 heures et le samedi de 14 heures à 19 heures. quartier est central et il y a une bonne ambiance libraryofarts.com entre les jeunes galeristes du voisinage. Dans cette rue, il y a plein d’initiatives intéressantes et de projets qualitatifs : nous avons immédiatement été emballés. » Le lieu a été pensé comme un espace modulable. Jeanne et Maxime se sont fait aider par des collectifs de designers, Le Creative Sweatshop et Bien des choses, pour concevoir une librairie à l’architecture minimale et boisée qui évolue à l’envi. « La boutique est notre vitrine. Elle attire les gens : ils entrent pour les livres et découvrent l’expo du moment. Tout est fait pour les happer, les inspirer, les faire voyager. » Tous les trois mois, LO/A propose une nouvelle sélection de livres, de photos, de vinyles et de films autour d’un thème inédit. Ouvertes du

mardi au samedi, la librairie et la galerie sont en accès libre, et les prix des magazines, des fanzines et des ouvrages sont abordables. SORTIR LA PHOTO DU LIVRE

L’image est au centre du projet ; la grande majorité des ouvrages que Jeanne et Maxime mettent en avant sont d’ailleurs des livres photo qui traitent aussi bien d’érotisme et de culture urbaine que de cuisine. Et si les propriétaires ont lancé une galerie au bout d’un an et demi, c’est pour sortir l’image du livre. « Nous n’avons pas la prétention d’être galeristes, nous voulons juste faire réfléchir le public par le biais des arts visuels. » Avec des thèmes approfondis comme le graffiti italien, l’avènement du hip-hop à Paris ou les questions de genre, les visiteurs découvrent les expositions avec plaisir. « Le public varie pas mal, nous accueillons des personnes de 25 à 65 ans qui sont ravies d’échanger avec les artistes et avec nous », explique Jeanne. Depuis son lancement, l’espace d’exposition a présenté les travaux des photographes Kevin Amato et Marie Baronnet. Mais le lieu n’est pas seulement une librairie et une galerie. En ligne, les propriétaires ont mis à disposition une vaste bibliothèque de référence, qui ne cesse de s’étoffer. En parallèle, leur studio de création réalise des projets de graphisme, de direction artistique et d’événementiel pour des marques. LO/A est aussi une maison d’édition indépendante qui a notamment publié le premier livre du photographe Mathieu César, Vers l’infini et au-delà, en 2014. Et si vous avez raté les précédents événements de cette librairie particulière, une rétrospective de tous les travaux exposés sera organisée jusqu’au 20 janvier 2016.


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S EN S IB I LIT É

AGENDA

Des expos pour passer l’hiver TexTe eT sélecTion : éric KarsenTy

Rendez-vous unique sur les pratiques contemporaines de l’image en mouvement, ces rencontres à la Gaîté lyrique rassemblent une centaine d’artistes et de réalisateurs présentant 120 œuvres de 40 pays. Au programme : performances, cartes blanches, tables rondes et projections exceptionnelles, comme celle du film Vapour d’Apichatpong Weerasethakul, Palme d’or du Festival de Cannes 2010. À noter également, une séance spéciale consacrée à Rodolphe Burger, en sa présence, avec la projection d’un film-concert inédit. Un moment unique qui permettra aux artistes de se rencontrer, de lancer de nouveaux projets et de dialoguer avec un large public. Une plate-forme unique en Europe à ne pas rater. Du 12 au 17 janvier 2016 à la Gaîté lyrique, 3 bis, rue Papin, Paris (75). www.gaite-lyrique.net

UNKNOWN PLACES

« Je voyage vraiment n’importe où, dans les villes, sur les littoraux, dans les campagnes, sans jamais avoir de destination. Je vais partout, seulement pour trouver, parfois, une photographie », déclare Polly Tootal, qui a remporté cette année le Prix du public et de la Ville de Hyères, et dont le travail a été présenté récemment au festival Unseen à Amsterdam. Cette photographe anglaise, qui vit et travaille à Londres, construit image par image une vision aussi familière qu’énigmatique des paysages urbains britanniques. Bien qu’on ne trouve jamais la moindre présence humaine sur ses photos prises à la chambre (avec dos numérique), la qualité de la lumière, la présence végétale ou la singularité du décor nous procurent immanquablement un sentiment d’irréalité. Une beauté surnaturelle et magnétique dont on a du mal à s’abstraire. Du 9 janvier au 19 mars 2016 à la Galerie Intervalle, 12, rue Jouye-Rouve, Paris (75). www.galerie-intervalle.com

RÊVER D’UN AUTRE MONDE REPRÉSENTATIONS DU MIGRANT DANS L’ART CONTEMPORAIN

JEUNES PHOTOGRAPHES DE LA BOURSE DU TALENT

Découvrir les nouvelles lignes de force de la photographie contemporaine, telle est l’ambition de cette exposition présentée, chaque année depuis 2007, à la BnF François-Mitterrand. Quatre photographes ont été distingués. Laura Bonnefous, lauréate de la bourse Mode pour son travail sur le corps, l’espace et le vêtement. Karolin Klüppel, lauréate de la bourse Portrait pour ses images sur les jeunes filles Khasi du nordest de l’Inde. Laurent Kronental, lauréat de la bourse Paysage pour sa série Souvenir d’un futur, sur la vie des seniors dans les grands ensembles urbains. Et enfin Michel Slomka, lauréat de la bourse Reportage pour son sujet Srebrenica, le retour à la terre. Ce rendez-vous est toujours un moment privilégié pour découvrir les talents émergents.

C’est traditionnellement le photojournalisme qui est convoqué pour aborder visuellement les grandes questions de société, comme celle de la migration. Un sujet « vieux comme le monde », même si l’accélération récente du phénomène a engendré un déferlement d’images qui nous submerge. C’est aux artistes et aux photographes contemporains qu’il est fait appel ici afin de découvrir la chronique sensible qu’ils nous livrent d’un des faits majeurs de ces trente dernières années. Mathieu Pernot, Bruno Serralongue, Bertrand Gaudillère, Patrick Zachmann… des photographes, mais aussi des géographes et des cartographes qui nous embarquent dans une aventure sensible faisant le pari de l’expérience artistique. Du 4 février au 29 mai 2016 au Centre d’histoire de la résistance et de la déportation, 14, avenue Berthelot, Lyon (69). www.chrd.lyon.fr

Jusqu’au 7 février 2016 à la BnF François-Mitterrand, quai François-Mauriac, Paris (75). www.bnf.fr IMAGE EXTRAITE DU FILM S’ENVOLENT LES COLOMBES, MIS EN SCÈNE PAR LE PHOTOGRAPHE BENOÎT PEVERELLI.

POLLY TOOTAL, #43545, 2014, SOUTH KIOSK.

LAURA BONNEFOUS, OUT OF LINES.

BARTHÉLÉMY TOGUO, ROAD TO EXILE II, 2010-2015.

© BenoîT Peverelli. © Polly TooTal, courTesy Galerie inTervalle. © laura Bonnefous. © BarThélémy ToGuo / Galerie lelonG.

LES RENCONTRES INTERNATIONALES NOUVEAU CINÉMA ET ART CONTEMPORAIN


L’Hexagone en Diagonal TexTe : éric KarsenTy Les 16 photographes présentés dans cette exposition ont été soutenus chacun par l’un des 16 membres du réseau Diagonal pour produire un projet sur la France contemporaine. De Lorient à Carcassonne en passant par Niort, Strasbourg ou Pontault-Combault, ils ont pu développer leur écriture photographique particulière, réelle ou fictionnelle, en toute liberté. Créé en 2009, le réseau Diagonal réunit des structures de production et de diffusion de la photographie contemporaine, qui se consacrent également à l’éducation à l’image. Parce qu’il n’y a pas qu’à Arles, à Paris, à Perpignan ou à Chalon-surSaône que se trouvent des lieux qui défendent la photo, ce Panorama Diagonal vous fera arpenter l’Hexagone à travers d’autres regards.

JEAN-GABRIEL LOPEZ, ATLAS DES NUAGES, SÉRIE LA MESURE DU REGARD, 2013.

Du 22 janvier au 9 avril 2016, Panorama Diagonal, Carré de Baudouin, 121, rue de Ménilmontant, Paris (75). www.carredebaudouin.fr www.reseau-diagonal.com

© JEAN-GABRIEL LOPEZ. © LARS TUNBJÖRK. © NOLWENN BROD. © AMAURY DA CUNHA.

NOLWENN BROD, MAIWENN.

AMAURY DA CUNHA, SÉRIE APRÈS TOUT, 2011.

LARS TUNBJÖRK, SÉRIE EVERYDAY, 2012.


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texte : Éric Karsenty

Galerie L’Oiseau C’est un nouveau lieu qui a ouvert ses portes en septembre dernier. Une élégante galerie en appartement, au premier étage, au-dessus d’un restaurant dont elle est le prolongement privatisable. La direction artistique de cet espace, lieu ouvert à l’initiative du photographe Benjamin Loyseau, est assurée par Guillaume Binet, cofondateur de la galerie La Petite Poule noire, qui trouve ainsi un nid douillet pour poursuivre une programmation exigeante après sa fermeture en décembre 2013. Inaugurée avec la collection de photos de Jean-François Leroy, la galerie a déjà présenté le travail d’Olivier Jobard, de Davide Monteleone et de Stéphane Lagoutte.

FLASH

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Guillaume Herbaut L’Ukraine est une destination fétiche pour Guillaume Herbaut, qui découvre le pays en 2001 à l’occasion d’un reportage sur Tchernobyl. Depuis, il y retourne chaque année, soit une trentaine de voyages, pour raconter l’histoire douloureuse de ce pays, ses personnages et ses paysages qui lui rappellent son enfance. Cette photo de la chef des pionniers du Parti communiste de Simferopol sera l’un des documents présentés lors de cette exposition particulière accueillant trois autres photographes : Grégoire Eloy, Ljubisa Danilovic et Christopher Morris. Chacun accrochera un ensemble d’éléments donnant à voir son univers personnel, à la façon d’un journal intime.

Exposition Walls, du 20 janvier au 28 février 2016. Galerie L’Oiseau, 25, rue Beautreillis, 75004 Paris. www.loiseauparis.com www.lapetitepoulenoire.com

UNE EXPO

UNE PHOTO © Guillaume Herbaut, MARIA KACHAIVA, CHEF DES PIONNIERS DU PARTI COMMUNISTE DE CRIMÉE, DANS LE BUREAU DE L'ORGANISATION À SIMFEROPOL, LE 25 OCTOBRE 2008.

S ENSIBILITÉ


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COMMUNITY

Tumblr des lecteurs

3 MONTHS IN PORTLAND, OREGON

Gwénaëlle a passé trois mois à Portland, aux États-Unis. De ce séjour, elle a rapporté une ribambelle d’images. Entre les scènes de nuit éclairées par les néons des motels ou des diners, les paysages marqués par les cimes des arbres et les horizons perdus dans l’océan, on navigue sur ce Tumblr comme dans les pages d’un bon polar froid et sombre. Cette jeune photographe nous plonge en plein cœur de la ville. C’est une balade obscure, mais un beau récit de voyage. 3monthsinportland.tumblr.com

Cont nous inuez à e vos phnvoyer otos, Fish faire eye adore de décou nouvelles ver te s: m becon oglia@ tents .com

LET REALITY NEVER STRIKE AGAIN

Originaire des Pays-Bas, Lisette Rijkenberg s’est installée à Bordeaux il y a quelques mois. Une expérience de la nouveauté qui lui inspire des clichés empreints de douceur et de légèreté. Lisette est aussi une baroudeuse, à la fois étrangère mais chez elle partout. D’où cette distance qui la sépare des scènes qu’elle photographie. Une frontière qu’elle a du mal à franchir. Mais c’est bien cette pudeur qui fait tout le charme de ses images. letrealityneverstrikeagain.tumblr.com


COMMUNITY

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DROM

« La photographie, c’est avant tout raconter une histoire. » C’est à l’âge de 7 ans que Fanny découvre la photo. À travers elle, la jeune femme recherche « l’instant décisif » qui scelle une rencontre entre l’objectif et l’inconnu dont elle tire le portrait. « Aujourd’hui, je suis journaliste, et le travail de l’image est quelque chose qui compte beaucoup pour moi. » Fanny a trouvé le juste milieu entre son métier et sa passion. Son Tumblr est donc une jolie galerie de portraits délicats, de paysages épurés et d’empathie envers le monde. fannymarlier.tumblr.com

MANON MARTHA

Pour Manon, voyager est essentiel. Être ailleurs, c’est faire un pas vers la création. Quant au geste, c’est « une empreinte visible de [son] esprit » figé sur une pellicule. Le regard de la jeune femme est attiré par « l’unité de la lumière et des corps en mouvement. Un fond cependant transparaît, celui de l’urgence d’un parfum toujours et bien trop tôt consumé ». manonmartha.tumblr.com

davidmaurel.tumblr.com

DAVID MAUREL

David s’est initié à la photographie après une expérience dans une fondation agricole en Bolivie. Depuis, il produit sans relâche, là où ses pérégrinations, à Paris et à l’étranger, le mènent. Avide de rencontres, il réalise surtout des portraits. Mais le jeune homme est aussi sensible à l’actualité, aux épreuves du temps dont il témoigne sans fard à travers son viseur.

dr-sechaud.tumblr.com

PTITES PHOTOS D’SECHAUD

Depuis plusieurs mois, Louis Sechaud s’éclate à l’argentique, en noir et blanc ou en couleur. Sur son Tumblr, il y a « un petit peu de tout ». Si ce photographe amateur tâtonne encore dans ses prises de vue, c’est parce qu’il peine à canaliser toute la fraîcheur et l’intensité du regard qu’il porte sur ce qu’il aime. Comme il l’explique lui-même : « Mes photos, c’est avant tout du kif ! Parce que c’est ce qu’on essaie de partager, n’est-ce pas ? » Il a tapé dans le mille.


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