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Non aux blessures ! Si c’était si simple… LA DOULEUR SURVIENT MAIS LE COUREUR INSISTE UN PEU (TROP) QUAND MÊME. LE DIAGNOSTIC TOMBE, AVEC SON LOT DE MÉDICAMENTS POUR SOULAGER ET GUÉRIR. MAIS AVEC CE TYPE DE FONCTIONNEMENT, LE MONDE MÉDICAL NE PERMET PAS VRAIMENT AU COUREUR DE COMPRENDRE LE MÉCANISME QUI A ENGENDRÉ SA BLESSURE. D’OÙ UN FORT RISQUE DE RÉCIDIVE. DES SOLUTIONS EXISTENT, À CONDITION DE SAVOIR ÉCOUTER SON CORPS. Par Frédéric Brigaud – Photos Laurent Reviron, Fotolia et D.R.
L’expert
Frédéric Brigaud, consultant en biomécanique humaine et sportive. Ostéopathe. DO. Audit, conseil et management du geste technique et sportif. www.eadconcept.com
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ue faire lorsque survient chez un coureur une douleur au niveau du tendon d’Achille ? Une douleur qui apparaît par intermittence au cours des entraînements jusqu’à devenir omniprésente puis invalidante. Une douleur qui, après consultation, prend le nom de « tendinopathie » qui signifie tout simplement « pathologie du tendon ». Mais le coureur savait bien avant de consulter que son tendon était pathologique… donc, que faire ? On sait que les thérapies actuelles permettent, grâce à un traitement local, de faciliter le processus de régénération des tissus, de faire disparaître l’état inflammatoire et la douleur. On sait aussi que si le traitement est davantage holistique (ndlr : doctrine qui consiste à considérer les phénomènes comme des totalités), l’action s’étendant alors aux éléments musculaires, tendineux, aponévrotiques, sus et sous-jacents, le résultat sera plus probant. Mais avec
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certaine dépendance… À s’en remettre seulement au monde médical dès qu’une douleur apparaît, on oublie qu’en l’absence de traumatisme direct indépendant de notre volonté, nous sommes responsables de nos propres maux. La pathologie n’est qu’une conséquence.
Le tendon est rarement le seul à être touché Effectivement, il faut également percevoir dans cette irritation la pointe de l’iceberg mettant en évidence une faiblesse généralisée d’un système, d’une structure, car le tendon d’Achille ne vit pas tout seul dans son coin. Il fait partie d’un ensemble employé dans une mécanique globale, l’élément d’un tout. Dès que vous êtes debout les talons légèrement décollés, vous mettez en tension, instantanément et simultanément pour chaque jambe, le quadriceps, le mollet, le tendon d’Achille, l’aponévrose plantaire… C’est une continuité, et le tendon
C’EST L’ENSEMBLE DU CORPS QUI ABSORBE ET RÉPARTIT LES TENSIONS. ce type de fonctionnement, le monde médical permet-il au coureur de réellement comprendre l’origine de sa problématique ? Si tant est qu’il ait compris lui-même les mécanismes qui l’ont amené à produire une dégénérescence de son tendon d’Achille…
Non aux récidives ! Pourquoi se poser cette question, me direz-vous, puisque le problème semble être résolu ? Premièrement pour limiter les récidives, deuxièmement pour arrêter de croire que le monde médical est là pour prendre en charge des incompétences. Cette problématique n’est pas le domaine réservé du monde médical, elle concerne directement le coureur, et plus précisément sa façon d’agir. Si sa vie était en jeu, ne chercheraiton pas à mieux l’informer pour qu’il puisse se comporter différemment ? La réussite d’un traitement local ne doit pas occulter les mécanismes qui ont abouti à cette pathologie… Ce n’est donc certainement pas en traitant isolément cette tendinopathie que nous y parviendrons. Mais comme ce mode de fonctionnement semble être en adéquation avec le modèle économique actuel, il va être difficile de le remettre en cause. Même si, en regardant de plus près, il limite l’autogestion et entretient une
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d’Achille est un élément de cet ensemble. Nous devons inclure dans cette conceptualisation les éléments osseux – fémur, tibia, péroné –, mais également le bassin, le buste, les bras… car c’est l’ensemble du corps qui absorbe et répartit ces tensions, sans quoi nous ne serions pas en mesure de nous ériger et de maintenir notre forme. Le tendon d’Achille n’est qu’un élément de cette longue chaîne qui englobe tout le corps. Apporter un traitement local au niveau du tendon,
comme nous l’évoquions précédemment, sans avoir cette vue d’ensemble amène le coureur à prendre des risques en lui permettant de poursuivre ses entraînements sans rien changer. Chez certains, cela se traduira par l’apparition de fasciites plantaires qui prendront le pas sur la douleur du tendon, le coureur n’hésitant pas alors à parler de « jambe faible ». Chez d’autres, les problèmes s’enchaîneront touchant des zones différentes, et ils sombreront alors dans un certain fatalisme, ne parvenant pas à appréhender les mécanismes qui aboutissent à cela. Alors que ce sont les éléments d’une même chaîne qui sont en souffrance et non différentes problématiques. Il faut donc prendre en considération l’ensemble de la structure et pas seulement la partie qui dit « stop » !
D’où peut venir cette faiblesse ? Lorsque le coureur, sans rien changer à sa technique de course, augmente sa charge d’entraînement, le corps est soumis à davantage de contraintes. Il subit un stress mécanique plus important et réagit en renforçant sa structure, il s’adapte (adaptation du corps face à l’entraînement), à l’image de la peau des pieds qui s’épaissit dès que nous marchons pieds nus, du biceps qui se développe lorsque nous soulevons des haltères régulièrement, mais également de l’os qui se répare après une fracture. Notre corps est en quelque sorte en remaniement perpétuel, ce qui lui donne cette faculté d’adaptation. Cependant, si le stress mécanique est plus important dans la durée, la fréquence ou l’intensité, que ce que la structure est à même de supporter, celle-ci dégénérera plus rapidement qu’elle ne se renforcera. Et ce jusqu’à ce que cette dégénérescence devienne symptomatique. Retenez également que ce n’est qu’à partir d’un certain seuil que la douleur apparaît, en dessous de ce seuil, on ne perçoit rien. Mais ce n’est pas parce que l’on ne sent rien qu’il ne se passe rien. Il suffit alors de pincer légèrement le tendon indolore dans la marche et la course pour prendre conscience d’un état inflammatoire. C’est là, mais imperceptible.
Le problème est donc complexe… Le tendon d’Achille n’est qu’un élément d’une longue chaîne qui englobe tout le corps et relie directement les muscles du mollet au talon.
Et ce problème ne se résume pas simplement à une augmentation de la charge d’entraînement. Il faut appréhender les différents paramètres qui déterminent le niveau de contraintes qui s’appliquent sur
Technique de prise d’appui
Planning d’entrainement
- Avant-pied - Talon ...
- Fréquence - Durée - Intensité - ...
Aspects techniques - Allure - Cadence - Posture ...
Surface de course - Sable - Bitume - Sentier ...
Passé traumatique
Dénivelé
Passé sportif
- Montée - Descente - ...
Alimentation Sommeil, récupération Objectifs personnels )%
Matériel
...
La gestion des contraintes mécaniques une question de complexité
Illustrations - Frédéric Brigaud © 2016
TOUT CASSÉ
LA FIN DES BLESSURES CHRONIQUES
L’amplitude musculaire est un élément qui s’entretient. Mais en douceur bien sûr.
À chaud, un étirement peut être pratiqué à condition de ne pas forcer. Mais après un entraînement intensif, il devient source de blessure. À éviter dans ce cas précis.
À bientôt 45 ans, Olivier, rédacteur en chef du magazine, s’est à peu près tout cassé. Il a commencé très jeune à moto. Une première chute sévère sur la route (paf, la jambe gauche, un an avant de remarcher) puis d’autres sur circuit (ligaments, tendons...) ; un gros crash en wingsuit il y a deux ans (mais si, ces idiots qui se jettent des falaises en combinaison de chauvesouris…) et un nombre de fractures incalculable. Malgré un physique que l’on pourrait penser « fragilisé », il ne se blesse plus (enfin presque…) depuis quelques années. « J’ai dû apprendre à écouter mon corps, et surtout à effectuer des reprises très progressives du sport après chaque phase de rééducation. Les tentatives trop ambitieuses se soldaient par des tendinopathies en tous genres et surtout répétitives. J’ai appris à reprendre avec une progressivité extrême, même après un arrêt de quelques jours seulement. Comme l’indique Frédéric Brigaud, les causes de blessures sont souvent multiples et corrélées. Me concernant, l’arrêt des laitages a été un “plus” décisif dans la disparition des tendinopathies. Aujourd’hui, les blessures sont devenues rarissimes et toujours dues à un manque d’attention. »
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Ne pas confondre ses limites et celles des autres. Attention à choisir correctement ses partenaires d’entraînement, ses objectifs ne sont peut-être pas les vôtres.
le corps, le niveau de stress mécanique. Comme nous l’avons précédemment évoqué, le problème ne vient pas du tendon mais de son « emploi », de la façon dont on le sollicite… Une démarche plus efficace pour préserver sa santé serait d’appliquer un niveau de stress mécanique toujours adapté aux capacités du moment de l’organisme, que cela soit pour entretenir son capital ou développer son potentiel. La question est donc, quels sont les facteurs/paramètres qui déterminent le niveau de stress mécanique ? Ils sont multiples : l’entraînement (durée, intensité, fréquence), le matériel employé, la surface sur laquelle on court (souple, rigide, dure, élastique…), la technique de course (cadence, allure, gestuelle…), la symétrie de la gestuelle… À cela, il faut ajouter l’alimentation, le sommeil, la récupération, le passé sportif et traumatique… Plus en détail, je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’un changement de technique de prise d’appui modifie
pourquoi une conceptualisation plus complexe du fonctionnement du corps et de ses relations avec le milieu extérieur nous donne les moyens d’interagir davantage avec celui-ci. C’est source d’efficacité et de préservation. Par ailleurs, c’est en comprenant et en acceptant les limites de son corps, ses propres limites et pas celles des autres, que nous serons à même de les utiliser à notre avantage, comme l’exprime si bien Henri Laborit : « Tant que l’on a ignoré les lois de la gravitation, l’Homme a cru qu’il pouvait être libre de voler. Mais comme Icare, il s’est écrasé au sol. Ou bien encore, ignorant qu’il avait la possibilité de voler, il ne savait être privé d’une liberté qui n’existait pas pour lui. Lorsque les lois de la gravitation ont été connues, l’Homme a pu aller sur la Lune. Ce faisant, il ne s’est pas libéré des lois de la gravitation mais il a pu les utiliser à son avantage. » Il en est de même pour le fonctionnement du corps… Reste alors à repenser sa pratique,
CE N’EST PAS PARCE QUE L’ON NE SENT RIEN QU’IL NE SE PASSE RIEN !
Les ischio-jambiers, tout comme le tendon d’Achille, ne fonctionnent pas seuls dans leur coin. Le corps est un tout indissociable.
Être davantage en phase avec soi et le milieu qui nous entoure, profiter d’un torrent glacé pour récupérer (!), bref, se servir des éléments pour prendre du plaisir et ne plus se blesser. Tout un programme !
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la localisation et la répartition des contraintes avec le risque de surcharger une zone encore non adaptée à ce type de sollicitation. D’autant plus si l’on ne diminue pas son allure, son temps de course… et que l’on n’apporte pas une attention particulière à sa gestuelle. Tout comme un changement de chaussure, passer d’une chaussure épaisse à une chaussure minimaliste, ou encore un changement de surface d’entraînement, d’allure, de gestuelle… peut augmenter le stress mécanique. Si le coureur n’a pas connaissance des mécanismes en jeu, la blessure surviendra facilement. Il incriminera la chaussure, la technique, l’entraînement… alors que cela provient uniquement d’un management inadapté de sa pratique sportive. Nous sommes très loin du « une cause, un effet » que l’on nous vend à tour de bras pour vanter les mérites de tel ou tel produit. C’est
ses motivations, ses entraînements. Pourquoi je cours ? C’est une question à se poser et à poser. Au-delà des premières réponses, creusons un peu pour découvrir ses réelles motivations. Comment je cours ? Depuis quand ? À quelle fréquence, avec quel matériel ? À quelle allure ? En groupe, seul… ? Le groupe est-il de mon niveau ? Quelle technique employons-nous (et l’on parlera alors de la part technique du geste) ? Quelle place socioculturelle représente la course ? Autant d’éléments, de facteurs qui déterminent directement ou indirectement le niveau de stress mécanique que l’on applique à notre architecture. Rien n’est simple, tout est complexe mais pas compliqué, pour paraphraser Edgar Morin. Pourquoi alors ne pas courir avec davantage de conscience et de connaissance, pour courir plus longtemps tout en se préservant ?