Reformes au Congo (RDC), pour un grand alternatif

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RĂŠformes au Congo ( R DC ) Pour un regard alternatif

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Avertissement de l’éditeur Cet opuscule constitue le premier jet d’une série d’analyses produites dans le cadre fructueux du Centre d’Intelligence Stratégique et des Relations Internationales, CISRI en sigle, par le professeur Henri MOVA Sakanyi. Spécialiste des relations internationales, Henri MOVA Sakanyi objective, dans ce texte, une pensée pernicieuse, de plus en plus dominante dans les analyses sur la République Démocratique du Congo. Cette pensée, qui risque de se muer en paradigme indiscutable, tendrait, de manière délibérée et systématique, à ignorer les évolutions intervenues, ces dernières années, dans divers secteurs de la vie nationale du pays. Il fallait donc sonner l’alarme ! Par un effet de mode, par un étrange mimétisme, en effet, un certain nombre de scientifiques, occidentaux principalement, congolais parfois, produisent des « réflexions », avec une facilité déconcertante, pour soutenir la fatidique thèse d’un pays voué à l’échec, d’un peuple voué à la mort… Les éditions L’Harmattan-RDC et le Centre d’Intelligence Stratégique et des Relations Internationales comptent, justement, publier un collectif de scientifiques congolais décidés à lutter contre la pensée unique négative sur la RDC. Des scientifiques parés de vraies informations qui démontrent, dossier contre dossier, les changements positifs intervenus en République Démocratique du Congo. Professeur Eddie Tambwe Directeur de collection chez L’Harmattan

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Un étrange logiciel éditorial Intitulé « Réforme au Congo (RDC). Attentes et désillusions », le dernier numéro des « Cahiers Africains - Afrika Studies », réalisé avec l’appui du Musée Royal de l’Afrique Centrale, vient de paraître aux Editions L’Harmattan1. L’ouvrage reprend une thématique classique et récurrente pour l’institution: l’évolution de la situation en Afrique Centrale. La parution de ce collectif ne constitue pas, en soi, un événement éditorial et/ou scientifique notable : les informations contenues dans l’ouvrage n’étant de quelque originalité, tant du point de vue de l’objectivité des faits rapportés que sur le plan de l’analyse scientifique. A ces insuffisances de fond - que nous allons épingler, par champ thématique, le long de l’analyse qui suit – s’ajoute un tissu d’ambiguïtés de forme qui viennent jeter de la suspicion sur l’ensemble de l’ouvrage. Dans son introduction, en effet, l’auteur principal, Theodore Trefon, présente l’ouvrage comme un approfondissement des « débats » et des « réflexions », qui ont eu lieu en février 2008, lors du colloque organisé par le Centre belge de référence pour l’expertise sur l’Afrique centrale (E-CA-CRE-AC), organisé dans le cadre d’une « conférence internationale », intitulée, « Congo : Etat, Paix, Economie et Bien-être ». Une conférence à laquelle avaient été conviées des nombreuses personnalités tant belges que congolaises, notamment le ministre congolais du Plan, Olivier Kamitatu, le président de la Chambre Herman De Croo, l’ambassadeur de la RDC en Belgique, Jean-Pierre Mutamba, le sénateur congolais She Okitundu et divers spécialistes de l’Afrique centrale, venus de Belgique, de la RDC et même de ______________________________ 1 Sous la direction de Theodore Trefon, Réforme au Congo (RDC). Attentes et désillusions, Paris : L’Harmattan, Collection Les Cahiers africains, n°76, 2009, 275 p.5

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France. Mais, dans la foulée, Trefon confesse que le contenu du livre découle, en réalité, d’ « un appel à contributions afin de réunir des textes présentant soit un bilan critique des interventions de la communauté internationale pendant la transition congolaise, soit une analyse des défis, des enjeux et des opportunités pour la Troisième République. » Car, en effet, le colloque qu’il cite n’a nullement abordé les thématiques qu’il évoque, sous un angle aussi critique et définitivement négatif. Bien au contraire, l’essentiel des interventions ont plutôt relevé les progrès accomplis ces dernières années, la plus critique étant celle du professeur Gauthier de Villers, uniquement basée sur un prétendu clivage Est-Ouest, à laquelle a répondu avec justesse, la délégation du sénateur She Okitundu. Quant au fond, dès les premières pages de l’ouvrage, le lecteur remarque tout de suite la trame de fond qui falsifie la réalité vécue sur le terrain. Le décalage dans le compte rendu des faits et les affirmations gratuites éloignent le livre de la catégorie « ouvrage scientifique », pour le classer, de fait, dans les œuvres de propagande. Deux catégories éditoriales bien distinctes. Si plusieurs intervenants de l’ouvrage s’efforcent à l’objectivité, puisque la plupart d’entre eux sont, quand même, des « scientifiques », plus ou moins connus sur la place de Belgique, le logiciel qui fait office de ligne éditoriale semble viscéralement… vicié. Sentant sans doute venir la critique, Theodore Trefon avoue que certains propos avancés sont « susceptibles de heurter des sensibilités », tant en RDC que dans le milieu des partenaires techniques et financiers occidentaux. Ce chercheur belge habitué à l’hospitalité des populations de la RDC, puisqu’il s’y rend souvent, ne s’imagine pas un seul instant que les milieux intellectuels congolais, « ses amis », pourraient s’offusquer d’un tel traitement de la réalité de leur pays. D’ailleurs, Theodore Trefon, en tant que directeur scientifique, explique, d’emblée, la raison du déséquilibre de l’ouvrage par la « non-participation des universitaires et experts congolais » : sur les 15 contributions, en effet, une seule est signée par un scientifique congolais ! Le seul Congolais qui a apporté son expertise est le 8


professeur Yoka Lye Mundaba. Mais son article, placé in extremis et en post-scriptum, apparaît quasiment sans lien thématique évident avec l’ensemble des textes. Figure bien établie de l’intelligentsia congolaise, Yoka Lye Mundaba semble, ici, comme appelé à rescousse, comme un simple faire-valoir. En tant qu’auteur de la postface, Yoka a-t-il pu lire les quatorze autres textes de l’ouvrage ? Comble d’ironie, Theodore Trefon qualifie l’apport du professeur Yoka Lye Mundaba de « simple contrepoint » dans la mesure où, avance encore Trefon, « la contribution de Lye Yoka, en post-scriptum, contraste avec les autres approches qui se basent sur des faits et des analyses. Yoka relate d’une manière subjective et personnelle, la perception qu’ont les Congolais de l’histoire récente en matière de réforme et de reconstruction de l’Etat » (p. 31) Le propos introductif prêche également par excès, par exagération, risquant de friser la caricature, pour un ouvrage à la prétention « scientifique ». Dès les premières pages, en épigraphe, le lecteur, tombe sur une fable, prétendument tirée des contes populaires de Kinshasa. La fable relate l’aventure tragique du crocodile et du scorpion, voués au suicide par la force implacable d’un étrange destin. Transposée maladroitement à la réalité congolaise, la fable soutiendrait la thèse de l’esprit de suicide collectif caractéristique des Congolais ! (p. 29). Le choix de cette fable est en soi une indication des idées arrêtées qui traduisent la vision politique d'une frange de l’intelligentsia belge. Elle ne cadre pas du tout avec l'esprit des travaux récoltés pour l'édition de cet ouvrage. Le scorpion qui se suicide par bêtise, ce n'est probablement pas le message des conclusions des différentes études. Dans tous les cas, ce positionnement politique, puisque c'est de cela qu'il s'agit, ne semble pas compatible avec une préparation « scientifique » à la lecture du volume.

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La RDC : un Etat en faillite ? Comme une illumination obsédante, une thèse récurrente traverse les écrits de Trefon : la RDC est un Etat en faillite ! Le pays ne serait même pas malade : il est tout simplement mort ! Au sens médical de l’expression. La thématique avait déjà fait l’objet de deux publications précédentes1. Une fois ce paradigme posé, tous les efforts stylistiques sont déployés pour plaquer le schème sur le reste des textes de l’ouvrage collectif. Tout est alors orienté. Tout est déterminé par cette fixation morbide. Pour lui, le positif en RDC, ne peut relever que du hasard. Lorsque les faits contredisent sa fixation originelle, il les banalise à défaut de les exclure du champ de son analyse. Même quand il énumère des succès constatés, sa dialectique ne va pas plus loin. Il revient à son socle indéboulonnable : « rares sont les signes tangibles de progrès en matière de reconstruction de l’Etat » (p. 15). La vanne ainsi ouverte, il laisse couler sa bile sur un Congo voué à une mort prochaine, à plus ou moins brève échéance : « La vulnérabilité (en termes de sécurité physique principale) et la pauvreté se sont aggravées en dépit du nombre croissant d’initiatives prises financées et mises en œuvre par les partenaires internationaux du Congo » (p.15). Plus loin, il affirme qu’une part importante des euros et des dollars consacrés à l’aide humanitaire a été gaspillée ou détournée, et continue de l’être (idem). Ces affirmations font preuve d’une ignorance coupable des mécanismes de l’aide humanitaire. La procédure d’octroi des aides, ses différents intervenants et ses nombreux exécutants se trouvent ______________ 1 Sous la direction de Theodore Trefon, Ordre et désordre à Kinshasa. Réponses populaires à la faillite de l’Etat, Paris : L’Harmattan. 10


dans les Etats donateurs. Leurs agents se sont spécialisés dans les méthodes des French doctors : sacs de riz sur les épaules devant les caméras. Comment peut-on penser qu’une telle aide fasse l’objet de détournement, de la part des Congolais ? Revenant à son leitmotiv d’Etat en faillite, l’auteur principal s’avance en terrain conquis : il ne s’empêche pas d’affirmer une énormité : « Les politologues ont une compréhension assez claire des raisons du déclin des Etats et des caractéristiques d’un Etat en faillite » (p. 15). Or tout le monde sait que cette question est l’une de plus controversées de la science politique moderne. Certes, Zartman disserte sur la question en identifiant les caractéristiques d’un « Etat en faillite » comprenant les faibles performances économiques, le dysfonctionnement des sphères politique et institutionnelle, l’incapacité à garantir la sécurité, le respect de la loi et de l’ordre public et à répondre aux attentes de la société. Mais il n’y a aucune innovation qu’il apporte sur le sujet par rapport au débat houleux sur le développement et le sousdéveloppement politiques : Schwarzenberg, Lipset, Chevalier, Robert Dahl, Huntington (la Troisième vague), etc. La capacité extractive, distributive, défensive et managériale préoccupe tous les auteurs qui se sont attelés à l’étude des rôles régaliens ou économiques de l’Etat dans un système politique. La nouveauté du terme « Etat en faillite » n’en cache pas moins sa faiblesse conceptuelle. S’agit-il d’une élaboration des sciences commerciales, du droit des affaires ou d’une nouvelle catégorie sociale qui se dérobe encore à la science ? En vérité, il émane des préoccupations des stratèges américains taraudés par les risques d’insécurité pour les Etats-Unis après la guerre froide. Les néoconservateurs américains se nourrissent des analyses élaborées par les Think tanks appelés à la rescousse de la nouvelle politique internationale de la hyper-puissance américaine (terme de Hubert Védrine). Quand Eizenstat écrit que les Etats faibles et en faillite vont inévitablement affecter la sécurité des Etats-Unis et de l’économie globale qui est à la base de sa prospérité (2005 :135), il ne fait que 11


reprendre les analyses de Martin Van Crevels. En effet, ce sont les théoriciens de la guerre qui, les premiers, font état de la notion d’Etat en faillite. Martin Van Crevels pense que depuis la fin de la guerre froide, certains Etats s’effondrent (Collapse). Ce qui détruit l’idée séculaire de l’éternité de l’Etat. Le logiciel géopolitique de l’époque trouvait sa quintessence dans la notion de « low intensity war » (guerre de faible intensité). La prolifération des guerres civiles mais aussi internationales non clausewitzienne (continuation de la politique par d’autres moyens) finit de convaincre les théoriciens qu’une nouvelle catégorie géopolitique vient de naître : l’Etat en faillite. Certains Think tanks vont se spécialiser sur la question. C’est le cas du Fund for peace qui définit l’Etat en faillite (failed state) comme celui caractérisé par : - la perte du contrôle physique de son territoire ou du monopole de l’usage légitime de la force physique ; - l’érosion de l’autorité légitime face à son rôle de prendre des décisions collectives ; - l’incapacité d’offrir des services publics raisonnables ; - l’incapacité à interagir avec les autres Etats en tant que membre à part entière de la Communauté Internationale. Les indicateurs de l’Etat en faillite sont ainsi économiques, politiques et sociaux. Mais, on ne sait pas si c’est un à un qu’il faut les considérer ou, par effet accumulatif, qu’il faut les combiner. La taxonomie du Fund of Peace dénombre en 2009, 177 Etats parmi lesquels 38 sont considérés comme « alerte », 93 comme « warning », 33 comme « modérateur », 13 comme « sustainable ». La quasitotalité des Etats du monde sont concernés. Qui dit mieux ! Le monopole de l’usage légitime de la force (Etat wébérien) par exemple n’a jamais été une effectivité au cours de l’histoire, du Moyen âge aux guerres modernes. Que dire de la présence massive des firmes privées dans les guerres que les grandes puissances mènent sur plusieurs terrains. Le Crises States Research Center, quant à lui, définit le « failed State » comme une condition d’un Etat effondré, un Etat qui ne peut durablement accomplir ses fonctions basiques de sécurité et de développement et qui n’a pas le contrôle 12


effectif de son territoire et de ses frontières. L’Etat en faillite devient ainsi un Etat qui ne peut durablement reproduire les conditions de sa propre existence. La notion d’Etat en faillite n’est donc pas opératoire comme catégorie analytique, tant il entretient un flou artistique qui dessert la cause de l’expression rigoureuse. La taxonomie et l’opérationnalité heuristique s’en trouvent obstruées et aucune connaissance nouvelle n’en procède. La combinaison des critères évoqués peut y faire figurer n’importe quel Etat du monde. Un terme fourre-tout, extensible selon le penchant idéologique du chercheur. Puisé dans l’escarcelle des conseillers aux actions militaires, il est trop marqué par son versant praxéologique et reste à la merci des officines au service des décideurs politiques. La faillite concerne les unités commerciales qui se trouvent en état de cessation de paiement. Elles mettent fin à leurs activités et voient les tribunaux nommer des curateurs pour les gérer en vue de réaliser leurs actifs et désintéresser les fournisseurs et les créanciers. L’Etat, même mercantile, n’est pas un commerçant. Keynes enseigne que l’Etat ne peut tomber en faillite car il a la prérogative, du fait du prince, de s’octroyer un droit de seigneur en battant monnaie et en levant d’autorité les impôts. La RDC est loin d’être un Etat en faillite. Notre pays a continué à payer ses dettes même en période de guerre. Le processus PPTE, en tant que procédure de réaménagement de la dette extérieure, est la preuve que l’Etat n’a pas rompu avec ses bailleurs. Les fonds vautours qui pillent les ressources externes des Etats endettés montrent qu’il y a encore des patrimoines à saisir. Malgré les semblants d’allégements, les fonds vautours obèrent les encaisses des Etats victimes des dettes odieuses. Tous les observateurs sérieux qui ont une fois utilisé le terme d’Etat en faillite se sont vite ravisés pour atténuer la portée de leur énoncé. François Fillon, par exemple, avait déclaré que l’Etat français était en situation de faillite. Il a explicité sa pensée en disant qu’il 13


s’agissait d’une image, d’une figure de style. Donc point de réalité ! Quelqu’un s’interrogeait : « ça ressemble à quoi un Etat en faillite ? » Par la suite, l’Islande a été déclarée « Etat en faillite virtuelle ». La Banque centrale islandaise avait déclaré que l’Islande, considérée comme la plus riche des nations nordiques, après la Norvège, était en faillite virtuelle : « En clair, le montant de l’argent que doit l’Islande est supérieur au montant de ses propres réserves. Une sorte de découvert, mais à l’échelle nationale. » Le ministre fédéral belge chargé du Budget avait affirmé, luiaussi, que la Belgique était en faillite virtuelle. En fait, tous le Etats vivent au dessus de leurs moyens. S’il s’agit de déficit chronique, la France n’a pas eu de budget en équilibre depuis 25 ans. La RDC a élaboré des budgets en équilibre depuis 8 ans ! Même alors, le déficit que prône Keynes est incitateur pour booster l’économie et lancer des grands travaux. S’agit-il d’Etat en faillite ou de la faillite d’une théorie de l’Etat ? Si on admet l’hypothèse de Jean-Louis Caccomo, selon laquelle l’Etat peut tomber en faillite, il y aura lieu d’atténuer ses conclusions. Déjà les exemples qu’il choisit prêtent à polémique et confusion (Empire romain, Weimar, Union soviétique…). Il met en exergue le processus suivant qui dénote de la faillite d’un Etat (en quatre étapes) : 1° dérèglement des finances publiques ; 2° âge de l’inflation ; 3° emballement (en termes d’hyper-inflation) ; 4° la remise en « ordre » (mise en place d’ordres et de castes : c’est la politisation extrême de la société)1.

La RDC ne remplit aucun de ces critères depuis sa fulgurante ascension qui est lancée depuis 2001: les paramètres macroéconomiques, la régularité croissante de la paie des ___________________ 1 Caccomo JL, « Un Etat peut faire faillite », http://www.contrepoints.org/unEtat-peut-faire-fallite.html 14


fonctionnaires, la maîtrise de l’inflation, les différentes milices de plus en plus phagocytées, etc. La question de l’armée est d’une autre nature. Il suffit de creuser davantage la complexité du processus de l’intégration de l’Armée avec plusieurs rébellions ayant fait des fausses déclarations sur leurs effectifs ; mais aussi, pourquoi s’en cacher, le détournement de la solde des militaires par certains officiers dans certaines contrées reculées. Les politiques peuvent se permettrent de parler d’Etat en faillite par goût de formules clinquantes, de langage emberlificoté et l’art d’aiguillonner les esprits « en torpeur ». Mais, il est exigé plus de rigueur aux scientifiques. Il leur faut apporter les preuves de la faillite d’un Etat après avoir donné un contenu lexical et sémantique à l’énoncé mis en exergue. Les scientifiques travaillent sur des concepts, des paradigmes, des théorèmes, des axiomes, des idées, des notions, etc. Quand on laisse libre cours au langage populaire, la cause de la science n’en sort pas indemne.

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L’auteur principal, contre les autres contributeurs… Dans le livre, tout se passe comme si l’éditeur scientifique – Theodore Trefon – s’évertue à chacune des lignes de son propos introductif à jeter sciemment une chape idéologique sur toutes les contributions afin d’en entacher les conclusions. Beaucoup de contributeurs ne se reconnaîtront certainement pas dans l’allure générale du livre et de ses soubassements philosophiques. Un exemple : Michel Liégeois. Cet auteur est-il dans la même logique que l’éditeur qui présente la République Démocratique du Congo comme un Etat en faillite ? En effet, Michel Liégeois ne présente pas la République Démocratique du Congo comme un Etat en faillite mais plutôt comme un Etat fragile, en plein processus post crise, dans lequel les acteurs ont pris conscience des enjeux et défis autour de la nouvelle organisation politique et administrative de l’Etat. En fait, Michel Liégeois souligne d’entrée de jeu que la tâche à laquelle s’attellent les acteurs politiques congolais consiste plutôt à reconstruire par le bas des fonctions étatiques qui ont, pour l’essentiel disparu durant la deuxième république. Il explique donc le débat autour de l’appropriation de la nouvelle constitution par la classe politique congolaise selon quelle soit de la majorité présidentielle ou de l’opposition, ce qui est un jeu démocratique normal, sur la compréhension commune de la décentralisation et les modalités de sa mise en œuvre. Il met particulièrement l’accent sur la délicate question de la fiscalité et les modalités selon lesquelles les provinces et les entités décentralisées vont pouvoir disposer des recettes nécessaires à leur fonctionnement et à l’exercice des compétences nouvellement dévolues par la constitution. 16


Michel Liégeois décrit l’esprit de suspicion qui a régné entre les acteurs politiques, les autorités du pouvoir central et local lors de différents débats autour des lois sur la décentralisation, et il salue par ailleurs un important travail réalisé par le gouvernement à travers l’organisation du Forum National sur la décentralisation qui a été marqué par des progrès significatifs en termes de compréhension partagée de la décentralisation, ramenant ainsi un climat assaini qui aboutit à l’adoption de différentes lois sur la décentralisation par une très large majorité tant au Parlement qu’au Sénat. Michel Liégeois part du postulat qu’en situation post crise ou post conflit ou encore dans ce qu’il qualifie d’Etat fragile, la décentralisation a souvent pour principal objet de combler le déficit de légitimité de l’appareil de l’Etat du fait de son incapacité à maitriser les conflits et à protéger sa population contre les sources d’insécurité, tant externes qu’internes, mais également par la dégradation des services publics du fait des péripéties des conflits. Il met l’accent sur le fait que la mise en route de la décentralisation, dans un pays aussi vaste que la République Démocratique du Congo, comporte énormément des risques que l’on pourra d’autant plus de chance de prévenir qu’ils auront été pris en compte dès le début. Lorsque vous lisez attentivement les analyses et les observations faites par Michel Liégeois, il ressort que ce dernier est d’avis avec l’expertise de la Banque mondiale et de l’Union européenne qui relève que la décentralisation du type Big Bang, c’est-à-dire un transfert immédiat des compétences aux nouvelles provinces et entités décentralisées est non seulement contre-productif mais aussi extrêmement couteux. Il serait donc prudent de se hâter lentement mais sûrement. L’expertise du Programme des Nations Unies pour le Développment propose à cet effet que la mise en place des nouvelles provinces débute après le début de la nouvelle législature en 2011, afin que ce délai supplémentaire soit mis à profit pour créer les infrastructures manquantes pour accueillir les nouveaux services provinciaux. Les différents experts cités ci-haut dans la note de Michel Liégeois argumentent en faveur d’une approche graduelle qui, selon 17


différents scénarios, organiserait un transfert progressif des compétences dévolues aux provinces et entités décentralisées. De ce qui précède, y a-t-il lieu de présenter la République Démocratique du Congo un Etat en faillite, comme le soutient, morducus Trefon ? Non, le terme « faillite » n’est vraiment pas approprié. Comme l’a dit Michel Liégeois, le processus de la décentralisation a souffert certainement d’un problème de planification et de timing. Le gouvernement y travaille sérieusement afin que la décentralisation soit effective et tienne compte de tous les paramètres susceptibles d’interagir sur la stabilité et l’intégrité territoriale. Encore une fois NON, la République Démocratique du Congo n’est pas un Etat en faillite. Il n’est donc pas du tout vrai d’affirmer à ce jour que « rares sont les signes tangibles de progrès en matière de reconstruction de l’Etat » De quoi parlons-nous ? de quel pays s’agitil ? Pour ne citer que les domaines de la gouvernance et de la réhabilitation des infrastructures, aller en République Démocratique du Congo pour palper les efforts consentis dans ce secteur. La même démonstration peut être faite à propos du texte de Léon de Saint-Moulin, Congolais de cœur vivant dans notre pays depuis des lustres. Son texte ne rentre pas non plus dans le droit fil idéologique du logiciel Trefon ! Saint-Moulin offre une analyse optimiste des événements politiques récents, cassant avec le propos plus que pessimiste de Trefon. Il démontre que le déroulement des élections atteste de la présence d’une participation civique positive et de la capacité de la population à prendre des décisions politiques matures, en dépit d’une forte tentation à effectuer un vote guidé par l’identité ethnique. Mais comme cette « approche optimiste » ne rentre pas dans la logique préétablie par le maître d’œuvre du livre, l’analyse de Léon de Saint-Moulin est réduite à des considérations personnelles. Lorsque son propos ne plaît pas, on dit : « Selon lui » ; comme si ce scientifique bien reconnu décollait de la réalité… 18


Sur ces questions délicates, de décentralisation et de découpage territorial, telles que prévues par la Constitution congolaise, l’esprit de déformation pousse Trefon à falsifier une donnée politique de premier ordre : la carte géographique de la RDC. Le livre frise la légèreté en avançant le chiffre de 27 provinces, au lieu, évidemment, de 26 provinces prévues ! La carte de Trefon prend l’énorme risque, conceptuel, idéologique, donc politique, de créer une nouvelle province : celle de Kolwezi ! Sur la question, Trefon a-t-il consulté le spécialiste Léon de Saint Moulin, puisque co-auteur de l’ouvrage ? Certainement pas. Légèreté scientifique ou provocation politique ?

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Pour une lecture économique alternative Comme noté déjà, la présentation de la situation de la RDC dans l'introduction (premier paragraphe) est en porte-à-faux avec certaines thèses contenues dans le livre. Ainsi, en voulant montrer d'emblée au lecteur que la situation économique de la RDC est déplorable, malgré les moyens et la compétence des experts internationaux, l'auteur tente d' infléchir l'attention de celui-ci vers la faillite des Congolais. Or cette vue est en contradiction avec l'analyse économique faite par d'autres co-auteurs qui mettent un accent sur l'insuffisance des moyens mis en oeuvre par rapport à la tâche et à des erreurs de diagnostics des experts internationaux. C'est ainsi qu'Arnaud Zacharie 1 dénonce une opération de restructuration de la dette visant à « refinancer de vieilles dettes impayables et impayées... » et leur remplacement par « un stock plus modeste de dettes, jugé « soutenable » par le FMI et pesant sur le maigre budget congolais. » Malzato2, quant à elle, pointe les lacunes dans la conception même de la réforme du secteur minier. Elle met en exergue « ...l'importance du rôle joué par les institutions financières internationales, essentiellement la Banque mondiale, dans l'élaboration de l'agenda, des orientations, du contenu et des modes d'adoption de nouveaux cadres légaux et institutionnels. » mis en œuvre. __________________ 1 Arnaud Zacharie, « De la dette au développement: chemin semé d'embûches » dans Réforme au Congo (RDC): Attentes et désillusions, L'Harmatan, PARIS, 2009 2 Marie Mazalto, « De la réforme du secteur minier à celle de l'Etat » dans Réforme au Congo (RDC): Attentes et désillusions, L'Harmatan, PARIS, 2009

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On notera, que Eric Tollens1, en parlant de l'agriculture, met en évidence le fait que « (…) Le gouvernement a très peu de latitude dans l'immédiat pour alléger la situation alimentaire, étant donné les moyens à sa disposition et la situation générale du pays ». Et lorsque Theodore Trefon s'efforce de rendre le contenu réel des auteurs dans son introduction, il est obligé de reconnaître en parlant de certaines contributions : « (...) elles révèlent que les nouvelles institutions, initiatives et approches ne sont pas des échecs en tant que tels, mais leur déconvenue résulte avant tout de l'impossibilité de les mettre en place. » On en revient notamment au problème d'expertise insuffisante évoqué par Mazalto et d'insuffisance des moyens évoqués par Tollens. Ceci semble contradictoire avec l'esprit du suicide des congolais corrompus et incapables qui transparaît (et domine les autres aspects) dans l'introduction. Le livre affirme que « la vulnérabilité (en termes de sécurité physique principalement) et la pauvreté se sont aggravées ...». Concernant la vulnérabilité, il n'est pas concevable de dire une aussi grossière inexactitude. Les Congolais, dans leur majorité, sont plus en sécurité qu'il y a quelques années. La vulnérabilité reste très forte dans les zones qui doivent encore être pacifiées. L'opposition politique est active, de plus en plus de Congolais de la diaspora rentrent au pays sans nécessairement taire leurs opinions politiques; ce qui n'aurait jamais été le cas si la vulnérabilité s'était accrue. Concernant la pauvreté, les statistiques parlent d'elles-mêmes. Les dernières tables de l'indice de développement humain du PNUD sur l'indice de développement humain (IDH) 2 fournissent les chiffres suivant: pour les années 2000, 2003, 2004, 2005 et 2006, l'indice est respectivement de 0.335, 0.350, 0.354, 0.358 et 0.361. Ce qui traduit une évolution positive et non une détérioration. La situation de 2007 ______________ 1 Eric Tollens, « Agriculture, sécurité alimentaire et développement économique: défis et enjeux» dans Réforme au Congo (RDC): Attentes et désillusions, L'Harmatan, PARIS, 2009 2 UNDP, Human Development Indices. A statistical update 2009

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n'est certainement pas pire que celle de 2006. Les années 2008 et 2009 ne constituent pas une période normale d'observation du fait des conséquences de la crise. Sur le plan de la sécurité alimentaire, Eric Tollens1, qui est le spécialiste en la matière dans le panel des auteurs, affirme qu'en l'absence de statistiques fiables, il est « ...tenté de croire que la sécurité alimentaire et l'état nutritionnel des populations ont de manière générale, connu quelque redressement... Les chiffres relatifs à la production agricole nationale cités plus haut indiquent bien un tel redressement. Mais les données statistiques qui pourraient le confirmer sont tout simplement indisponibles. » Alors, où le livre a-til trouvé les statistiques pour étayer son affirmation ? L'introduction du livre souffre d'un déficit de la compréhension des phénomènes économiques. Ainsi, lorsque l’auteur principal fait enfin preuve de pondération propre au scientifique qu'il se veut être, il pèche par ignorance et camoufle malgré lui le rôle que les politiques mises en oeuvre au Congo joue dans le (seul?) fait positif qu'il trouve dans la trame des événements. Ceci est renforcé par le manque de rigueur dans l'analyse qui voudrait que l'on distingue les périodes visées dans l'évaluation. Il affirme que « La réinvention sociale contribue à assurer la survie élémentaire au niveau individuel et familial, mais elle ne contribue pas au développement économique et politique élaboré et défendu par les théoriciens occidentaux du développement.» Son propos isole l'amélioration du bien-être, qui découle du système D., de la politique économique du gouvernement. Si cette théorie peut se justifier pour les années 80 et 90, la réalité des années 2000 est différente. Les économistes comprennent mieux les rapports qu'il y a entre le secteur informel et le secteur formel qui sont, en fait, des vases communicants. L'activité des familles en rapport avec les envois de fonds de la diaspora, l'activité du revendeur de rue qui est plus ample qu'il y a des années, le développement d'une économie « minière artisanale » ou de revente de cartes téléphoniques permettant à de nombreux __________________________ 1 Eric Tollens, op. cit. 22


étudiants de payer leurs études, est une conséquence directe des politiques économiques et autres réformes décriées par Trefon. Si l'appareil administratif était capable de « capturer » l'activité du secteur informel, l'observateur averti ne tomberait pas dans la critique facile. La lecture du livre risque d'être biaisée par la sélection des écrits et l'orientation donnée au projet. Celui-ci occulte (exception faite de la contribution d'Eric Tollens) les réalisations accomplies par l'Etat congolais, qualifié d'Etat en faillite. Elles sont plus palpables qu'on ne le croirait en lisant ce recueil. Ainsi, le développement du secteur bancaire en RDC illustre un changement des anticipations des agents économiques qui redonnent du crédit au système financier du pays, traduisant ainsi un résultat, minime pour le commun des mortels, mais crucial pour les économistes. Les politiques menées par le gouvernement depuis quelques années arrivent à modifier les incitations microéconomiques. On est loin de la caricature qui veut que les chiffres macroéconomiques n'atteignent point l'individu. Dans le même ordre d'idées, on peut citer l'émergence d'une nouvelle classe moyenne constituée de la main-d’œuvre utilisée par les investisseurs et les institutions internationales. Autre signe tangible des résultats engrangés par les politiques économiques au pays, c'est le retour (temporaire ou définitif) de plus en plus marqué des Congolais de la diaspora soit pour travailler au Congo, soit pour entreprendre une activité, sans compter les membres de la diaspora qui investissent à distance. L'amélioration du cadre de vie dans le pays d'origine en est un des facteurs majeurs. L'amélioration est telle (encore une histoire de meilleures anticipations) qu'ils projettent et réalisent des investissements pour le long terme, en témoignent les investissements dans l'immobilier. Il est possible que les concernés ne s'en rendent pas tous compte, mais ce sont les transformations institutionnelles et les politiques économiques menées par le gouvernement congolais qui en sont la base. Il y a une multitude d'effets d'entraînement de ces activités au 23


niveau du secteur informel, touchant le « petit peuple ». Si les « experts internationaux » produisent des études qui affirment qu'il n'est pas concerné par les chiffres de croissance publiés par la banque centrale du Congo, il est tenté d'y croire, et pourtant... La reprise économique en RDC est effective. Ses effets sur la population sont palpables aussi dans la structure de consommation. On assiste de plus en plus à l'émergence des activités de loisir dans les villes du pays (parcs de jeux, restauration et autres lieux de divertissement, packages de chaînes de télévision dans plusieurs foyers, etc.). Ce type de service n'est consommé que lorsque le niveau des revenus permet de faire face aux dépenses de nécessité et de dégager un surplus pour les loisirs. L'accroissement de l'offre de ces services traduit l'existence d'une demande croissante. Si la demande croît, c'est parce que les revenus ont augmenté au Congo. Il ne serait pas inutile de dire que les secteurs moteurs de la croissance économique en RDC sont en train de s'étendre vers d'autres villes des provinces. Les entreprises de télécommunication, les banques, les explorations et exploitations des matières premières ou la construction immobilière s'étendent vers les provinces qui n'étaient pas concernées avant. Que le rythme soit lent, du fait des hésitations des investisseurs, on en convient, mais on ne peut nier cette expansion.

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RDC : espace de prédilection des lieux communs Dès qu’il s’agit de la RDC, fantasmes et lieux communs se multiplient chez plusieurs analystes. Des évidences trompeuses, aussi. Il faut donc se vouer à l’œuvre de déconstruction pour saisir le fond de la pensée. Plusieurs discours sont, en effet, piégés de sophismes et des superstitions. Ainsi allégrement, on passe de l’Etat en faillite à l’Etat en banqueroute, de l’Etat sans institutions à l’Etat patriarcal, de l’Etat voyou à l’Etat incomplet, de l’Etat en déliquescence à l’Etat défaillant (failing), de l’Etat raté à l’Etat vulnérable… La liste n’est qu’indicative. Quelqu’un ne s’embarrasse nullement de précaution lorsqu’il écrit sur l’Etat en faillite. Un pays africain n’avait été capable d’organiser le pèlerinage à la Mecque de ses ressortissants musulmans ? Le lendemain, la presse a parlé de l’Etat en faillite ! Plusieurs analystes sont désemparés face au paradoxe qui voit des Etats européens exploser à la chute du mur de Berlin alors que les Etats africains censés fragiles résistent à ce funeste augure. Malgré les guerres, les massacres, les génocides, aucun Etat africain, même surendetté ne se déstructure territorialement. Après la transition sanglante à l’avènement de la Perestroïka et à l’apprentissage douloureux de la démocratie, les Etats africains ont repris la pente ascendante. Epiloguer sur la faillite de l’Etat au Congo offre de la matière pour alimenter la théorie générale du « There is no Congo ». Thèse conspiratrice initiée par toutes les multinationales qui pillent les richesses du Congo en entretenant les rébellions. Les théoriciens ultra-libéraux se sont essayés à la besogne de décréter la mort de l’Etat. Ils ont tout le temps été démentis par les 25


faits. Dans la foulée, on peut citer la fin de l’histoire de Fukuyama, le Choc des civilisations de Huntington, The Borderless world et The End of Nation State de Kenichi Ohmae, Mr. Strategy qui écrit notamment : « Nation State because inefficient, even impossible », le Consensus de Washington de John Williamson, les ajustements structurels,l’Ecole de Chicago avec Milton Friedman qui supplantent les thèses keynésiennes pourtant à la base de trente glorieuses, etc. Le Maître inspirateur de toute cette logorrhée est sans conteste Friedrich Von Hayek avec son Etat minimal. Ce grand prêtre de l’ultralibéralisme a élaboré la plus virulente critique de l’Etat et avec lui, l’idée de justice sociale. Dans la Constitution de la liberté publiée en 1960, Hayek prêche la déréglementation, la privatisation, la diminution des programmes contre le chômage, la suppression des subventions au logement et des contrôles des loyers, la réduction des dépenses de la sécurité sociale, la limitation du pouvoir syndical, etc. Pour lui, l’Etat doit être réduit à la fourniture d’un cadre juridique garantissant les règles élémentaires de l’échange. A l’avènement du thatchérisme et de la reaganomie, les adeptes de l’Etat minimal et les défenseurs du darwinisme social reprennent vie. La mise à mort programmée de l’Etat est décrétée. Le concours de l’histoire à ce processus arrive avec les signes d’émoussement de la guerre froide. Il s’en suit le délitement des Etats endettés à l’orée des années 80. D’abord, les Etats Sud Américains (Mexique, Brésil, Argentine notamment) puis les Etats africains et asiatiques. Les politiques d’ajustement structurel contribuent pour une large part à la déstructuration des rôles régaliens de l’Etat. Ainsi affaibli, l’Etat est traversé par plusieurs contradictions dont les plus violentes entraînent des guerres post guerre froide d’un genre nouveau (internationales et civiles). Des génocides en série explosent sans que le nouvel hégémon n’assume sa responsabilité de gendarme du monde. Quand il le fait, c’est soit un cuisant échec (Somalie 1992) soit hors la loi (Yougoslavie). La chute du mur de Berlin trouve les Etats africains exsangues, laminés par un pillage systématique par le biais des dettes odieuses. Il y a même eu la négation de la substance de l’Etat chez 26


certains analystes. Bertrand Badié, par exemple, décrète la fin des territoires, un Monde sans souveraineté, l’Etat importé, l’Impuissance de la puissance, etc. Tout ce qui fonde l’Etat est ainsi nié, pas seulement en ce qui concerne l’Afrique, mais l’Etat Westphalien serait dépassé par les événements sur lesquels il n’a aucune prise. Pierre de Senarciens adoucit les prétentions de l’Etat wébérien avec l’évolution récente. Il lui paraît évident que l’Etat garde souvent le monopole de la coercition intérieure, mais son autonomie politique dans la sphère économique et sociale en particulier tend aujourd’hui à se rétrécir, car il ne peut défendre ses intérêts sans développer des réseaux de coopération internationale. Reprenant Van Creveld (The Transformation of War, Free Press 1991) et Kalevi Holsti (The State, War and The State of War, Cambridge University Press 1996), Bertrand Badié considère que les Etats ont perdu le monopole des guerres au profit d’entrepreneurs multiples, religieux, tribaux, ethniques, claniques mais aussi économiques ou mafieux qui n’ont que faire de la souveraineté. Tout ce débat aurait dû s’enrichir si les auteurs s’étaient donné la peine d’y insérer les nouvelles stipulations de la théorie de l’Etat. A ce sujet, on sait que les regards se sont tournés vers le passage de l’Etat moderne à l’Etat post moderne. Yves Boisvert, par exemple, en appelait en 1997 à une nouvelle grille de lecture socio-politique. Jean-François Thuot défendait, en 1994, la thèse du déclin de l’Etat et les formes postmodernes de la démocratie. Mais déjà Jean-François Lystard, Michel Foucault, Derrida, Louis Althusser, etc. (adeptes de ce qu’on appellera la French theory), avaient posé les bases de l’analyse critique de l’Etat et sa mutation en Etat postmoderne. Thuot relève la trajectoire évolutive de l’Etat et de la démocratie dans le contexte du passage de la modernité à la postmodernité. Dans cette dynamique, l’Etat moderne, comme le modèle de la démocratie représentative qui lui est associé, constitue des structures de médiations d’activités sociales opérant la subordination des pratiques sociales particulières, concrètes des acteurs. La société 27


postmoderne invalide ce dispositif, car en soumettant le politique à l’exigence incontournable de faire corps avec la société « réelle », elle fait éclater la puissance étatique au profit d’autorités plurielles et excentrées, en même temps qu’elle suscite l’émergence d’un nouveau modèle de démocratie. Thuot appelle cette nouvelle démocratie : « la démocratie fonctionnelle ». Le monde a donc connu une mutation d’envergure ? Elle se singularise par le bourgeonnement de nouvelles modalités de régulation et de reproduction sociétales. Thuot constate qu’il s’est opéré une double rupture : 1° une trajectoire évolutive dans le sens de la dissolution ; 2° une déliquescence des formes modernes de l’Etat. En tant que formation sociale, l’Etat est un construit qui a connu des évolutions et subi des mutations de grande ampleur au point de passer d’une structure médiatisée à l’Etat postmoderne caractérisé par l’Etat fédéral, multinational tendant à être un régulateur au niveau universel. Lorsque nous parlons de l’Etat, il faut déjà s’interroger de quel Etat parle-t-on ? Luc Rouban en rend compte dans les paradoxes de l’Etat moderne. On est bien en face d’une fausse mort de l’Etat car il s’est érigée une instance ayant cédé certaines de ses prérogatives à d’autres agents sociaux. L’Etat post moderne est issu de la crise de l’autorité. Mais cette crise atteint d’autres instances qui enserrent l’individu : famille, école, Etat, église, institutions traditionnelles, etc. Sur le plan international, on retient de nouveaux acteurs qui ont fait évoluer la thèse du stato-centrisme. On retient aussi la fragmentation comme l’avènement des acteurs internes qui exercent l’ autorité indépendamment du pouvoir étatique (la société civile par exemple). Etant donné la fragmentation et la diversité d’unités actives en relation internationales, l’Etat moderne ou post moderne a appris à vivre avec d’autres acteurs qui lui disputent le monopole de ses rôles traditionnels.

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Une volonté manifeste d’ignorer les avancées démocratiques … Faisant l’économie de la complexité, et sans doute de la lourdeur de l’appareillage théorique, sur le concept de l’Etat en faillite, Theodor Trefon constate pourtant que les relations entre l’Etat et la société civile évoluent à tous les niveaux sociaux et politiques (…). Que ces nouvelles formes d’organisation sociale apparaissent en permanence enfin de compenser les lacunes de l’Etat post-colonial (certainement pas colonial). Il s’engouffre dans une contradiction inextricable. D’une part, il écrit : le processus de construction d’un Etat postcolonial n’a pas abouti à l’émergence d’un système étatique du type wébérien (…), le processus de construction de l’Etat a échoué (p. 18). D’autre part, il disserte sur l’échec de la reconstruction en période de post-conflit (p. 30). On ne reconstruit que ce qui a été construit, puis détruit. Si la construction a échoué, il est illogique de parler de reconstruction. Une autre contradiction irrésolue est celle qui fait cohabiter l’Etat en faillite et les relations entre l’Etat et la société qui permettent malgré tout « au Congolais ordinaire de survivre et d’arriver à ce que l’essentiel soit assuré » (p. 18). Que demande-t-on de plus à un Etat si l’essentiel est assuré ? Faisant fi de toute la dynamique d’un renouveau où on voit clairement le dynamisme de l’opposition dans les institutions et dans la société, il avance que les dirigeants n’ont personne à qui rendre compte. Ce qui, pour lui, entraverait sérieusement la mise en œuvre des réformes. Or la réalité est toute autre. La RDC connaît une séparation nette des pouvoirs : un exécutif à deux têtes où le 29


Président de la République ne s’occupe pas de la gestion quotidienne des affaires de l’Etat. Cette prérogative est reconnue et exercée par le gouvernement sous la houlette du Premier ministre, chef du gouvernement. Le Président est politiquement irresponsable et ses actes administratifs ont le contreseing du premier Ministre ou d’un des ministres concerné par le domaine en concerne. Le gouvernement est l’émanation du Parlement qui l’investit et peut, le cas échéant, lui retirer sa confiance. Le gouvernement peut connaître la déchéance du fait d’une motion parlementaire. Les ministres rendent compte de leur gestion au Parlement. Ils y sont interpellés. Ils ne sont pas responsables devant le chef de l’Etat qui d’ailleurs les nomme sur proposition du Premier ministre. Le pouvoir judiciaire est du ressort du Conseil Supérieur de la Magistrature qui l’organise au sein des cours et tribunaux. La justice s’organise indépendamment des pouvoirs politiques. Aucun gestionnaire n’échappe à son pouvoir au regard de la loi. Il est prévu trois branches dans la justice congolaise (pouvoirs juridictionnels ; cour de cassation ; cour constitutionnelle et conseil d’Etat), sans compter les tribunaux de commerce. Pour l’implication de la société civile dans la gestion, beaucoup de lois font l’objet d’avant-projets des lois d’inspiration citoyenne. Certains débats en commissions parlementaires intègrent l’expertise des citoyens sans qu’ils ne soient nécessairement parlementaires. Les interpellations des membres du gouvernement sont tellement nombreuses qu’elles durent parfois des jours. Tout cela est diffusé en direct à la télévision et à la radio. Le parlement est bicaméral et agit de façon indépendante et est l’expression des forces politiques qui opèrent dans le pays. La chambre haute (le Sénat) est dirigée par une personnalité (Kengo wa Dondo) issue de l’opposition. L’opposition à la chambre basse (l’Assemblée Nationale) préside plusieurs commissions permanentes sans compter les commissions ad hoc. 30


Plusieurs textes des lois sont d’origine parlementaire. Beaucoup des projets de lois ont été recalés. Il est prévu l’intervention citoyenne dans la gestion publique lors de la mise en place et de la composition du Conseil Economique et Social. On peut aussi mentionner le droit de pétition reconnu au peuple. La répartition horizontale du pouvoir telle que nous l’étalons, cohabite avec une répartition verticale du pouvoir d’Etat. Il existe des pouvoirs substantiels détenus par les autorités provinciales. Les provinces sont dirigées par des gouvernements provinciaux conduits par des gouverneurs élus par les assemblées provinciales qui peuvent les démettre. Les assemblées provinciales sont élues par le peuple. A leur tour elles élisent les gouverneurs et les sénateurs. Aujourd’hui l’opposition dirige au moins six assemblées sur 11 (Kinshasa, Equateur, Bas-Congo, Kasaï occidental, Kasaï oriental). Elle a constitué le gouvernement provincial de l’Equateur. Là où la majorité dirige, c’est grâce à des coalitions les plus larges possibles. Même dans les institutions nationales, la majorité s’est dégagée par le jeu d’alliances. Dans un tel contexte, comment rester sérieux et affirmer que « les dirigeants n’ont personne à qui rendre des comptes ». Déjà deux ministres provinciaux ont été mis en accusation et s’expliquent devant les tribunaux. Il en est de même d’un gouverneur de province. Un autre gouverneur pourtant issu de la majorité (Sud-Kivu) avait été démis de ses fonctions et de nouvelles élections ont porté au pouvoir un autre exécutif provincial. Le processus prévoit d’aller jusqu’aux entités décentralisées de base qui seront bientôt mises en place après les élections municipales et locales. Le pouvoir à ce niveau distinguera des fonctions exécutantes des fonctions législatives et de contrôle. Une presse libre veille au grain. Elle tient le haut du pavé dans les débats politiques et dénonce les malversations des gestionnaires. Elle passe en direct plusieurs débats, parlementaires ou autres sans citer certains procès. 31


Aucune démonstration ne vient étayer les affirmations gratuites de Theodore Trefon qui affirme, pince-sans-rire, que Kabila, en tant que chef de l’Etat a bénéficié du soleil du Comité international d’accompagnement de la transition (CIAT), basé à Kinshasa. La vérité est ailleurs. Le CIAT avait été voulu par les anciennes rebellions qui exigeaient des garanties pour la sécurité de leurs leaders une fois installés à Kinshasa. Etant donné la suspicion mutuelle, les négociateurs de Sun City lors du Dialogue Inter congolais avaient suggéré un accompagnement international neutre pour garantir la bonne fin et la bonne foi dans l’application des accords de Sun City. A tout considérer, l’opposition armée (sic) et non armée a beaucoup bénéficié des interventions du CIAT. C’est au contraire le président Kabila qui avait dû avaler des couleuvres dans le déroulement de la transition où il a été l’objet d’injures de protagonistes de la scène politique sans compter les immixtions du CIAT dans les affaires qui relevaient de la souveraineté congolaise. Plusieurs faits démontrent comment le CIAT a été anti-Kabila. Dominé par les grands pays impliqués dans le déclenchement de la crise au Congo, il a souvent été en porte à faux avec la volonté du président Kabila. Il n’est pas vrai, comme l’affirme Theodor Trefon, que le CIAT était fortement impliqué dans l’élaboration de stratégies et de programmes en lien avec les priorités politiques économiques et de sécurité. C’est falsifier la vérité que de passer sous silence que les programmes économiques principaux : PEG (Programme Economique du Gouvernement), PMURR (Programme Multisectoriel d’Urgence pour la Réhabilitation et de Reconstruction), PUSPRES (Projet d’Urgence de Soutien au Processus de Réunification), PIR (Programme Intérimaire de Reconstruction), DSRP (Document de Stratégie pour la Réduction de la Pauvreté), etc. Aucune stratégie économique n’a été élaborée au sein ou avec le concours du CIAT. Theodore Trefon parle d’une expression « sauver le pouvoir » que, selon lui, de nombreux Congolais évoquent ce qui est communément perçu comme un agenda caché du CIAT » (sic). A l’époque, le pouvoir était constitué d’une architecture institutionnelle qui impliquait toutes les composantes de la société congolaise, des mouvements 32


rebelles au « gouvernement de Kinshasa » en passant par toute la société civile. Celle-ci a même dirigée, de l’avis de tous les observateurs impartiaux, avec maestria et abnégation le processus électoral. A la tête de la pyramide institutionnelle trônait la fameuse formule 1+4. Alors, dans un tel cadre, « sauver le pouvoir » devrait concerner tous les participants. Comment isoler le « candidat préféré et le vainqueur probable des élections » pour qu’il bénéficie seul du soutien international aux institutions congolaises ? D’ailleurs, l’opposition (qui s’était auto-éjectée du processus) ne s’était pas empêchée d’attaquer la formule 1+4 en vilipendant tous les participants. Ceux-ci étaient tous candidats à quelque chose. Il est donc faux de soutenir que la Communauté internationale avait jeté son dévolu sur le président Kabila. C’est à l’issue d’une campagne électorale particulièrement virulente et d’un vote serré que Kabila a obtenu la faveur des Congolais. Citant Clément (2004 : 45), il se lance dans une affirmation pour le moins rocambolesque : « La promesse faite d’octroyer 3,9 milliards de dollars au financement de projets du programme d’action gouvernemental pour 2004-2006, lors d’une réunion consultative de bailleurs à Paris en décembre 2003, est un autre exemple de la stratégie de légitimation de Kabila ». A ce sujet, il faut rafraîchir la mémoire que ce sont les Congolais réunis à Sun City, opposition radicale et nihiliste, à côté des chefs de guerre de tout acabit, qui avaient librement désigné Kabila comme chef de l’Etat pendant la période de la transition. Les promesses de financement n’ont jamais légitimé un chef de l’Etat si l’acceptation populaire n’est pas acquise. Kabila était en programme avec les institutions de Bretton Woods, la Banque Africaine de Développement et les différents fonds arabes. Avant l’avènement de la formule « 1+4 », il avait satisfait aux exigences des bailleurs de fonds à travers la stabilisation de l’économie et la reprise de la croissance. En juin 2003, la RDC avait atteint le point de déclenchement du processus PPTE censé mener à 33


une annulation de la quasi-totalité de la dette extérieure une fois le point d’achèvement atteint. En décembre 2002 déjà (in tempore non suspecto) les mêmes bailleurs s’étaient réunis à Paris avec les autorités financières. A l’issue de cette réunion, Emmanuel Mbi, directeur-pays de la Banque mondiale, avait déclaré : « La Banque mondiale est très impressionnée par le progrès accomplis par le gouvernement et sont entrain d’ouvrir la voie à un soutien encore plus significatif de la Communauté internationale ».

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Un déficit d’informations de terrain Les promesses de la Communauté internationale (par ailleurs non tenues) n’ont pas attendu la formule 1+4 pour s’exprimer sur tous les tons. Alors qu’il parle de « promesses », Trefon écrit que « ce financement (sic) ne constitue alors qu’une part d’un package financier bien plus important s’élevant à près de 15 milliards de dollars et voué à soutenir, entre 2001 et 2007, les phases de transition et d’après les élections ». Ces propos appellent plusieurs remarques. D’abord, sur la notion de transition. Trefon l’étale sur une période de cinq ans (2001-2006 : phases de transition) et d’après les élections (2006-2007). La transition dont il cite pourtant les objectifs (p.19) était prévue sur la période de 24 mois à compter de la mise en place du gouvernement (30 juin 2003). Une prolongation était prévue en cas de retard dans la réalisation des objectifs de la transition pendant une période de 6 mois renouvelables une fois. Les promesses en sont restées aux vœux car la réalité des financements n’a jamais atteint la hauteur prévue. C’est alors qu’on est stupéfait face aux chiffres qu’alignent Trefon dans son tableau (p.20). En additionnant les totaux, on apprend que le Congo a reçu de la Communauté internationale environ 20 milliards de dollars sur la période 2001-2007 (sic). La réalité est pourtant tout autre. A la réunion de Paris de décembre 2003, des promesses de soutien aux différents programmes avaient été enregistrées. Mais, en réalité, les programmes de relance économique en RDC ont reçu les financements suivants après la réunion de Paris de 2003 1 : - Trust Fund (5 millions et 340 mille USD). ____________________________ 1 www.belthade-congo.be/Voir www.minfinrdc.cd/partenaires/bm/presentationmembre.pdf 35


- Le don IDA (50 millions USD). - Projet compétitivité et développement secteur privé (120 millions USD). - Trust Fund européen (9 millions 500 mille euro). - Projet d’urgence de la réunification économique et sociale (214 millions). - Programme d’appui budgétaire 2004 (200 millions USD). - PMURIS : Infrastructures socio-économiques (40 millions USD), en prêt BAD. - Programme d’appui budgétaire (42 millions USD). - PMURR (454 millions USD dont 44 millions de don). - Projet d’appui institutionnel multisectoriel PAIM (5 mil lions USD). - Southern Africa Power Market Project (184,2 millions USD). Le Crédit multisectoriel conclu pour une durée de 3 ans allant de 2002 à 2005 comportait 4 volets :  volet A (291 millions) pour la réhabilitation des infrastructures et secteur de transport, énergie et eau;  volet B (96 millions) pour l’agriculture, développement communautaire et secteurs sociaux ;  volet C (11 millions) pour le développement des stratégies de secteurs, reconstruction des capacités et réformes institutionnelles ;  volet D (10 millions) pour la gestion, suivi et évaluation du programme et mise en œuvre de la gestion du programme. La Banque mondiale s’était félicitée que la RDC ait reçu de tous ses bailleurs 1094 milliards (effectivement décaissés) en 2004 alors que les promesses faites en décembre 2003 n’étaient que de 1.048 milliards. On se demande alors où Trefon a été chercher ses statistiques de 20 milliards. Lorsque on se reporte sur le site dont il donne l’adresse1 on trouve des chiffres différents. Le tableau reprend les totaux de tous les flux financiers reçus de l’extérieur. La première colonne reprend les noms des pays bénéficiaires et les sept autres colonnes totalisent les montants par année en commençant par 1

http :stats.oecd.org/wbos/Index.aspx ?Datasetcode=ODA RECIPIENT, 36


l’année 2001 jusqu’à 2007. On apprend alors que la RDC avait reçu : (en millions USD) 2001

2002

2003

2004

2005

143.36

351.01

5009.49 1164.99 990.09

2006

2007

1500.35 788.88

Le total donne 9.948,17 USD. On est don loin de 20 milliards. Même alors, 9.948,17 USD semblent exagérés étant donné la capacité d’absorption réduite de la RDC. D’ailleurs à l’époque, les bailleurs avouaient leur désarroi face à l’incapacité des projets congolais à consommer même les budgets PPTE. En plus, le montant de 9 998 USD nous paraît exagéré d’autant qu’à partir de 2003, les bailleurs des fonds ont exigé que tous les flux financiers de n’importe quelle origine et de n’importe quelle destination, soient répertoriés au budget. Ainsi les ressources budgétaires étaient bonifiées de tout apport extérieur de quelque nature qu’il soit ; pas seulement en terme d’appui budgétaire. D’où les fameux 51 voire 53% du budget provenant de l’extérieur. On peut donc émettre un sérieux doute quant à l’effectivité et la véracité de ces chiffres. Le doute croît lorsqu’on constate que pour la seule année 2003, la RDC est censée avoir obtenu des fonds de l’ordre de 5 milliards soit environ la dette réelle (moins les intérêts et autres augmentations pour défaut de paiement qui on fait grimper la masse de l’endettement extérieur jusqu’à 11 milliards). A titre de comparaison pour corroborer nos doutes, on peut citer les trois autres grands bénéficiaires des capitaux en provenance des finances internationales (en millions USD) De 2001 à 2004 2001

2002

2003

2004

982.92

1194.64

1701.06

100.80

85

2094.98

4393.82

107.50

215

199.84

314.63

AFGHANISTAN 322.86 IRAK NIGERIA

37


De 2005 à 2007 2004

2005

2006

2007

2404.57

2992.72

4393.82 21823.10 8484.83

8991.62

AFGHANISTAN 1701.06 2166.46 IRAK NIGERIA

314.63

5931.54

10819.59 1385.22

Ces trois pays (deux grands producteurs de pétrole et un pays pivot dans la lutte contre le terrorisme) peuvent recevoir éventuellement de telles sommes. Mais étant donné le recul de la valeur géopolitique de la RDC, elle ne pourrait pas caracoler dans le peloton de tête des Etats stratégiques qui sont aux petits soins. Progressant dans sa marche héroïque de démolition de toute éclaircie en RDC, Trefon donne d’autres statistiques. Les combats entre les troupes loyales à Kabila et les milices de Bemba en mars 2006 auraient provoqué entre 330 et 500 victimes. Cette macabre comptabilité est avancée en jouant le jeu de citations en boucle. Dans ce genre d’exercice, la pirouette passe-partout généralement utilisée, c’est « des sources généralement bien informées » ou alors « des sources hospitalières », des « sources humanitaires », « selon les chancelleries occidentales », « selon les sources ecclésiastiques », « selon les observateurs généralement bien informés », etc. Tout ceci peut se dire quand bien même personne n’a mené la moindre enquête. C’est le domaine de prédilection de l’intuition, de supposition, du bon sens, des voix qu’on entend comme Jeanne d’Arc. En tout cas, Theodore Trefon ne s’embarrasse pas de vérification. Sa conclusion tombe, cinglante : « Le combat a montré combien le concept même de démocratie de type occidental paraît artificiel aux yeux de nombreux Congolais… Là est le fond de la pensée de Trefon : l’incapacité congénitale des Africains à appliquer les principes de la démocratie inventée par les Occidentaux. Il faut aux Africains une démocratie édulcorée, tropicalisée en harmonie avec leurs républiques bananières. On est en plein « white man burden » qui fonde la mission civilisatrice au profit des sauvages. L’autre disait crânement : « La démocratie est un luxe pour l’Afrique ». Le discours 38


de Dakar à l’université Cheik Anta Diop nage dans les mêmes eaux. Pour cette pensée pseudo-anthropologique, la greffe démocratique ne peut prendre au Sud. L’Afrique surtout ne paraît pas démocraticocompatible. Pour appuyer son argumentation, il fait appel à Chabal et Daloz qui écrivaient en 2006 : « les périodes de transition actuelles sont incapables de changer la nature de la politique en Afrique. La tenue régulière d’élections multipartites, qui est habituellement assimilée à la « démocratisation » est surtout le fait de pressions extérieures, mais la réalité du terrain montre que, dans la majorité des cas, c’est la démocratie qui a été adaptée à la logique et aux exigences du clientélisme, et non, comme on le soutient souvent, l’inverse. (p.21)

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Les Congolais, tous incompétents ? Ce négativisme quant aux avancées démocratiques (peut être lentes aux yeux de certains) fait les choux gras de tous ceux qui ont émis par le passé , des prophéties pessimistes. Comme la réalité se dérobe à leurs prédictions, ils s’efforcent de gommer tout fait dysharmonique. Après des constats élogieux sur l’évolution du cadre macroéconomique en RDC émis par les experts du FMI et de la Banque mondiale, Theodore Trefon crie à la trahison. Ainsi s’interroge-t-il sur le bien fondé de leurs conclusions : « Compte tenu de l’absence de données macroéconomiques fiables à l’échelon national, on est en droit de se demander sur quelle base ces experts ont échafaudé leurs plans stratégiques ». (p.23). A notre tour de nous interroger : Sur quelles bases, Trefon et ses pairs se fondent-ils dans leurs analyses pessimistes ? Où trouvent-ils les chiffres qui manquent au FMI et à la Banque mondiale ?. S’il en manque pour les uns, il devrait nécessairement en manquer pour les autres moins outillés. L’ouvrage sous examen procède d’un traitement humiliant toujours infligé aux Congolais et qui continue son bonhomme de chemin. De l’esclavage au pillage moderne en passant par la colonisation et la dictature, le viol psychologique a toujours servi de soubassement même aux intellectuels. Trefon doute de la compétence des Congolais. C’est son droit. Mais il veut fonder dessus toute une théorie générale, là commence le débat. Il affirme que l’approche par projets, sur laquelle se base une grande part du programme de réformes requiert aussi que l’on travaille avec des Congolais compétents (ce qui n’est pas toujours le cas). Ce relativisme passe encore. Mais la suite ne fait que dans la dentelle : « Ces derniers (les Congolais compétents), nommés « points focaux », « personnes-ressources » ou « coordinateurs de 40


projet », jouent un rôle essentiel mais souvent équivoque. En répétant à l’envi que « la main qui reçoit est en dessous de la main qui donne », ils transforment ce qui peut apparaître comme une situation de dépendance en une situation de subtile prééminence. Les bailleurs, les agences gouvernementales internationales et les ONG deviennent en fait dépendants de ces acteurs intermédiaires de la réforme qui profitent de leur position de pouvoir relatif pour satisfaire leur agenda personnel ». (p.24). Pour lui, il a trouvé la pierre philosophale, la cause première des malheurs des Congolais dans cette incompétence des acteurs locaux et la résistance de l’Etat ou changement. Toutes les élites y passent. Celles de la société civile ou celles des instances gouvernementales. En effet, s’appuyant sur Englebert et Tull qui ont réfléchi sur les élites africaines en général, le constat s’applique aussi au Congo : les élites « ne partagent ni le diagnostic d’échec, ni les objectifs posés par les promoteurs étrangers de politiques de reconstruction ». (p.26). Pauvre Afrique devant tout recevoir de l’extérieur, au-delà du prêt-àporter idéologique et les usines clé en main, on apprend dorénavant que même les objectifs de politiques de reconstruction sont fixés par les promoteurs étrangers. Qu’a donc apporté l’Afrique au monde ? Même sa douleur est mieux ressentie par les autres. Les stratégies de résistance existeraient à tous les niveaux, du sommet de l’Etat aux roturiers les plus démunis en passant par les paysans, les soldats, les intellectuels, les femmes, les hommes, les enfants, etc. Comme les Animaux malades de la peste :ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient atteints. Si une série d’obstacles « réels et écrasants » freinent la réforme et la reconstruction du Congo, Trefon trouve que la structure mentale tournée à l’autodestruction fait du Congo une cause perdue. C’est un tonneau de Danaïde, un trou sans fond. L’idée qui traverse toute l’œuvre s’exprime en termes de vacuité, de vanité, de vide, de non-Etat, de non Etre, de néant, etc. Des pays voisins ont agressé la RDC au nom de sa non-existence supposée :ne parlait-on pas de trou noir au centre de l’Afrique ?. Le ton sarcastique pourrait faire (office des trous pour dire office des routes). Mais ici, il 41


s’agit d’une étude qui se veut scientifique donc sérieuse… On reste interloqué… L’autodérision des Congolais qui gardent le sourire même en cas de malheur (sic), est prise au pied de la lettre. L’image artificiellement fabriquée sert de seconde nature et finit comme muse pour les analystes. « Le cœur des ténèbres » de Joseph Conrad a trouvé des émules modernes même si ils s’en cachent. Profitant d’une certaine notoriété, ils font autorité non par la pertinence de leurs analyses mais parce que leur expertise sert aux think tanks qui conditionnent les interventions politiques en Afrique en général. D’autres chroniques ou récits des voyageurs en mal d’aventure ou d’exotisme ou encore de sensations qui font monter l’adrénaline, n’appelleront pas de mise au point de notre part. Mais il s’agit de scientifiques dont l’expertise fait office d’accompagnement intellectuel aux politiques, le silence serait une complicité à la mise à mort de tout un peuple. Lorsqu’on est en face des clichés et des idées reçues, des stéréotypes et des généralisations abusives, on est en droit de redresser la vérité plutôt complexe et qui n’est pas d’un seul tenant. A lire des écrits qui décrivent un peuple à histoire figée et dont l’incapacité à se développer est présentée comme congénitale, une réaction d’équité pousse à présenter autrement les choses. Lorsque les Congolais sont peints en de si sombres propos, alors que la réalité est un mélange d’ombre et de lumière, de positif et de négatif, de défauts et de qualités, etc., la probité intellectuelle veut qu’on en dise son mot. C’est faux de penser que les structures mentales et sociales du Congolais résistent à la rationalité occidentale pour embrayer sur le logiciel qui déclenche le développement. La logique qui avait amené Léopold Sédar Senghor à sa «raison hellène» et l’ «émotion nègre», n’est pas une piste rigoureuse de découverte scientifique. Le scorpion qui perce de son aiguillon venimeux la peau en béton du crocodile ! Ca nous apprendra à raconter des histoires. Le 42


décalage que Theodore Trefon croit déceler entre la conception des Congolais et celle des Occidentaux ne tient ni à la psychologie ni à la couleur de la peau. D’ailleurs, c’est trop forcé que de mettre en exergue ce qui est périphérique et qui relève d’une survivance résiduelle d’un passé révolu. Pire, un livre d’experts trouve finalement que les beaux projets conçus en Occident ne se concrétisent pas en Afrique parce que la sorcellerie (sic) et le monde invisible tiennent le haut du pavé. Le fossé profond séparant les perceptions occidentales et congolaises du bien-être que met en exergue Yoka, relève de l’expression ironique des schémas technocratiques « qui ont réduit la condition du citoyen aux statistiques et aux épures froides et austères ». (p.250). D’ailleurs, Yoka recommande des approches à visage humain (d’autres Occidentaux l’ont déjà exigé face à l’ajustement structurel), qui prennent en compte les indicateurs culturels (notion de plus en plus usitée dans le développement humain du PNUD et de la Banque mondiale). Il conclut en recourant aux économistes et intellectuels de renom (pas nécessairement Congolais dont les Occidentaux qui ont une certaine perception du bien-être loin des canons habituels) pour soutenir que la croissance économique n’apporte pas nécessairement plus de satisfaction (Eastern 1974). Il rejette l’assimilation réductrice de la pauvreté à un état d’indigence et de misère. Non content des grandeurs que mesure le PIB, Sarkozy a institué la « Commission (Internationale) de mesure de la Performance Economique et du progrès social ». Le Prix Nobel d’Economie Joseph Stiglitz qui l’a présidée vient de démontrer que le PIB crée des conflits : les leaders politiques pris s’efforcent de le maximiser ; mais les citoyens demandent que l’attention soit fixée sur plus de sécurité, la réduction de la pollution, etc. Le PIB ne mesure pas le bien-être, selon Joseph Stiglitz, qui ne se trouve pas être Congolais. Cela implique que la réflexion sur les moyens d’échapper à une approche trop quantitativiste, trop comptable de la mesure de nos performances collectives, soit la nouvelle approche. Il faut élaborer de nouveaux indicateurs de richesses. Les membres de cette commission sont les grandes pointures de l’analyse économique: Kenneth Arrow, Stanford ; prix 43


Nobel de l’Economie ; Daniel Kahneman, Princeton ; prix Nobel Economique ; Jacques Hackman, Chicago, prix Nobel Economique ; Amartya Sen, Harvard, prix Nobel Economique ; Joseph Stiglitz, Columbia, prix Nobel Economique ; Tony Atkinson, Nuffield College ; Oxford ; François Bourguignon, directeur de l’Economie de JeanPhilippe Cotis, directeur de Paris INSEE ; Kemal Derois, PNUD ; JeanPaul Fitoussi, président de l’OFCI ; Jean Gadrey, Université de Lille I; Heiner Flassebeek, CNUCED ; Enrico Giovanni, chef statisticien de l’OCDE ; Roger Guesnerie, Collège de France, Paris ; Nicolas Stern, London School of Economics.

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Parfois, on touche les bas-fonds Theodore Trefon persiste et signe, cette fois en s’interrogeant sur la différence de perception des Occidentaux et des Congolais en matière de violences faites aux femmes. La maltraitance féminine, le viol, les violences physiques ou autres sont des tares que toutes les sociétés abhorrent. Il est vrai que les dernières années de guerre ont été catastrophiques pour les femmes victimes des hommes en armes. Sans banaliser, ces faits répugnants, absolument condamnables, aujourd’hui érigés en crimes contre l’humanité (donc imprescriptibles) se passent dans toutes les sociétés et s’aggravent avec la guerre. Partout dans le monde, les femmes ont dû batailler dur pour occuper la place qui est la leur aujourd’hui. Partout, la femme a été infantilisée souvent avec l’appui de la pseudo-science pour cautionner sa soi-disant infériorité. La femme congolaise ne fait pas exception à la règle. Mais, elle a su prendre sa revanche sur la vie. Si le Congo tient le coup, il le doit en grande partie à la femme. La dynamique sociale de survie est d’obédience féminine. Ainsi, les violences faites aux femmes au Congo sont très mal perçues par les Congolais. Les récits poignants des victimes accablent tout le monde. Il ne s’agit pas d’un carnaval joyeux. C’est une grosse douleur. Une opprobre qui entache la dignité des Congolais. C’est une atteinte à la dignité de tout un peuple et les Congolais n’en sont nullement fiers. L’ethnicité est l’autre facteur qui empêcherait le Congolais d’accéder au bonheur selon Théodor Trefon qui pense même qu’elle serait une réalité socialement déterminante. Il regrette que le facteur ethnique n’est pas pris en compte dans l’élaboration des réformes. Sauf qu’il oublie d’en suggérer le modus operandi. En fait, comment fait-on pour intégrer l’ethnie dans les réformes ? Quand on en 45


héberge des centaines sur son territoire, comment restructurer l’armée ? La chaîne de dépenses ? La bonne gouvernance ? Imperturbable, Trefon finit en apothéose en alignant l’artillerie lourde. Le Congo est un Etat en faillite ?. La raison est simple pour lui, la dimension opaque de la réalité socio-politique des Congolais (sic). Il égrène alors les exemples d’attitudes et de comportements guidés par cette opacité : « le sens extrême du secret, le besoin d’épier ses proches, l’exploitation du capital social dans les affaires, la mise à contribution de la famille étendue, la perception de l’honneur individuel, le souci d’occuper des niches de pouvoir sans se préoccuper d’atteindre des objectifs liés à la fonction, le choix de la personne à qui on serrera la main sur le cliché officiel… » (p.29). Les Congolais apprécieront ! Comme si cet égarement ne suffisait pas, il revient à la charge, enfonce le clou et en rajoute une couche : « ces attitudes et comportements aident les Congolais à masquer la réalité et à voiler la vérité lors de leurs négociations avec les experts en matière de réformes ou de développement ». (p.29). Si cela ne frise pas encore le racisme, cela commence à en prendre le chemin. Même le père Tempels n’était pas allé si profondément dans l’âme bantoue! Peutêtre que Tintin au Congo vient de trouver une caution scientifique caput mortem. Des écrits de cette nature ont existé dans l’histoire. On peut citer Joseph Conrad (Au cœur des ténèbres) qui estimait avoir effectué une plongée dans l’atmosphère de la jungle africaine. Il y découvre la sauvagerie effrayante et la nature hostile. Il prévient les candidats à la gloire qu’ils doivent s’armer d’un courage à la limite de la folie pour s’aventurer en des si ténébreux espaces. Dans la mentalité primitive, Lucien Lévy-Bruhl niait l’individualité des primitifs qui n’existaient que comme membres du groupe (individualité à plusieurs). Ces primitifs même morts restent attachés à l’ensemble du groupe. Il a fallu Lévi-Strauss(né à Bruxelles, tiens !) pour balayer la pseudo-science de la « pensée sauvage » . 46


Theodore Trefon laisse couler de source la motivation du livre : « L’échec des initiatives prises au Congo en matière de réforme est le fil conducteur de l’ouvrage ». (p.29). Il a le cœur à l’ouvrage dans la détestation de quelques signaux positifs qu’il balaie du revers de la main. Certes, il n’est pas aisé de concevoir une dynamique ascendante pour le mot « Congo ». Certains ne peuvent plus prononcer le Congo sans l’écume à la bouche, ils ont été nourris de thèses nihilistes apologisant la mort toute prochaine du géant au centre de l’Afrique. « There is no Congo », clament-ils à tue-tête. Il est presque de coutume, un sport national pour certains de soumettre à leur scalpel l’évolution de la RDC. En noir et blanc. Manichéisme quand tu nous tiens ! Le meilleur tableau pour eux ne se peint qu’en de sombres augures. Pas la peine de s’encombrer de la mesure ni de perdre son temps précieux à vérifier sur le terrain. Ils ne conçoivent qu’un funeste destin au Congo. La mort qu’ils appellent de leurs vœux traîne à venir ? Alors il faut la précipiter, par des incantations s’il sied. Et plus c’est gros, plus ça passe. Les livres sur le Congo se suivent et se ressemblent. A chaque volume sponsorisé par quelques organismes charitables, on en rajoute une couche. Si Paul Valéry conçoit que « le corps social perd tout doucement son lendemain » ; à lire les exégètes de l’histoire immédiate congolaise, c’est à grandes enjambées que la RDC se dirige vers sa tombe. Ces prophéties ne se réalisant toujours pas, ils crient au revenant. Alors bonjour la stigmatisation à grande échelle et souillure à souhait … Très peu croient au progrès social en RDC. Nous si, et en se fondant sur la réalité d’aujourd’hui qui n’est pas si macabre comme tentent de le faire croire certains auteurs réunis pour ce collectif. Claude Castel nous rappelle que croire au progrès social, « c’est penser que demain sera meilleur qu’aujourd’hui et que l’on peut miser dès à présent sur cette amélioration encore à venir et agir en conséquence. En ce sens, le progrès social n’est pas seulement une construction conceptuelle prenant sens dans une téléologie de l’histoire. » 1

CASTEL, R., La Montée des incertitudes, Paris, Seuil, 2009, p. 11

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S’efforcer à juger les réformes engagées en RDC au bout d’une période de deux ans (le programme du président Kabila est lancé depuis son investiture le 6 décembre 2006) relève de la précipitation. Epiloguer sur les résultats des réformes en deux ans d’application, est une vision étriquée et démontre l’impatience de son auteur. C’est ignorer que les résultats actuels sont les fruits de lourds sacrifices des populations congolaises ; des diverses privations et au prix de très lourds investissements humains pour s’en sortir. Les politiques d’ajustement structurel, les conditionnalités liées à l’aide octroyée et les remboursements toujours assurés aux créanciers avides des cachs. D’ailleurs, selon une étude indépendante menée par l’Observatoire international de la dette (OID), qui s’appuie sur les chiffres fournis par le FMI et la Banque mondiale, le total des remboursements effectués par les pays en voie de développement entre 1980 et 2004, représente dix fois la somme due aux créanciers.1 La descente aux Enfers semble continuer même quand on reprend avec une forte croissance, on jugule l’inflation, on met fin à la guerre, on organise les élections, on fait fonctionner des institutions démocratiques. On ne convainc toujours pas même en instaurant la décentralisation, on stabilise le cadre macroéconomique, on lance d’ambitieux projets de reconstruction, on lutte acharnement contre la corruption, etc. Les thèses déclinistes à la limite du nihilisme pullulent lorsque la situation de l’Afrique est passée au crible. Pourtant, le versant catastrophiste et l’optique pessimiste sont démentis chaque jour qui passe. Les analystes hargneux n’hésitent pas alors à faire entrer de force les catégories et études dans le cheminement négatif. Celles qui font un point d’honneur à reconnaître la dynamique sociale et le dynamisme des institutions congolaises, sont vouées aux gémonies ou placées sous le label de la propagande. —————————————————1

Manière de voir, n° 87, juin-juillet 2006, p. 75 cité par De KUYSSCHE, W., Le Congo cannibalisé, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 55-56

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Beaucoup d’auteurs qui ont contribué à l’ouvrage sous examen risquent de ne point se reconnaître dans le détournement de leurs textes pour servir un paradigme négationniste mis en vedette dans le chapitre introductif et incitateur. Celui-ci n’admet aucune éclaircie dans les affaires congolaises. Il verse dans une dramatisation excessive peut-être pour susciter un peu plus de pitié de la communauté internationale. Mais, il est fort à parier que l’effet en sera inverse. Il s’agit d’une mise en scène attentatoire à l’espoir qui renaît chez les Congolais. On se retrouve devant une situation ubuesque où on ne reconnaît pas les efforts consentis. Pire, on lui promet encore des jours sombres, encore des ronces, des épines, des cendres, des morts, un surcroît de souffrance. Quand on prévoit favorablement à l’excès, on parle de pronostic fou. Mais quand on prévoit défavorablement à l’excès, on ne peut être que catastrophiste. Lorsque les faits sous analyse démontrent qu’on s’achemine vers une embellie ; et qu’on s’acharne malgré tout à n’y voir que simple rafistolage, on joue à Nostradamus. Il arrive parfois que le malheur annoncé arrive ; et là on se targue d’avoir été plus lucide que les autres. On s’y complaît et on s’avance vers la futurologie. Mais des déconvenues vous attendent sur ce chemin tortueux ! Dans tous les cas, dans ces eaux-là, on a déjà cessé de faire de la science. On se spécialise dans l’alchimie. « Les faits sont têtus », dit-on. Mais pourquoi l’histoire est-elle si souvent hérissée d’ajouts incongrus au réel ? Pourquoi gommer les aspérités là où le caractère rêche et rugueux est la norme ? C’est la preuve que certains faits échappent à la rationalité. Les évidences se dérobent au raisonnement. Alors, on force les choses à entrer à la hussarde dans les catégories préconçues. L’Etat congolais serait en crise ? C’est peu de le dire : L’Etat est en crise partout dans le monde. Les spécialistes n’arrêtent d’en apporter des preuves probantes. Les grandes puissances peinent à juguler le terrorisme et en appellent au monde entier pour les aider dans cette croisade. La drogue, fléau du monde développé, semble inarrêtable tant les cartels narcotiques narguent les polices les plus outillées du 49


monde. La cybercriminalité, l’immigration clandestine, le blanchiment des capitaux, les bandes urbaines, les « affaires » dans la classe politique, le néo-nazisme (skin heads ou hooligans, Ku Klux Klan, etc.), les mouvements indépendantistes résiduels même dans les vieilles démocraties, … Tout cela montre que l’Etat n’est pas tout puissant, qu’il n’a pas le monopole de la violence, qu’il n’a pas la pleine emprise sur ses frontières, etc. Le slogan français « Tous pourris » résume mieux la délégitimation du pouvoir d’Etat. C’est devenu un phénomène mondial. Dans plusieurs secteurs de la société, la superstructure dirigeante est perçue comme dangereuse pour la classe moyenne (et la société civile) autant que l’était la bourgeoisie pour le prolétariat dans la conception marxiste ! Aujourd’hui, la puissance des Etats a été revisitée et elle n’est pas demeurée en l’état. En plus, la transformation du rapport au politique est une évidence. Didier Bigo 1 postule que la mise en question du rôle des élites politiques et leurs rapports à l’argent dans les pays du Nord, est expliquée comme « un plus de la démocratie ». A « l’impuissance de la puissance », Bertrand Badie avait déjà associé « l’échec de la souveraineté » auquel s’ajoutent « l’échec au territoire » et l’échec à la sécurité (…) Cette série d’échecs, qui traduisent la crise de l’Etat, se manifestent à travers un certain nombre de phénomènes auxquels l’Etat n’est pas parvenu à résister : flux transnationaux, notamment migratoires, développement d’espaces identitaires sub - nationauxou supranationaux, dissémination et internationalisation de la violence et développement de l’insécurité, perte de pouvoir de régulation économique et sociale, etc. Parmi les facteurs de crise de l’Etat, on cite (cfr Pierre Vercauteren), la perte par l’Etat de la fonction d’assurer sa propre sécurité – à l’exception notoire des USA -, la « dénationalisation » de la fonction de maintien de la sécurité et le recours à une gestion multilatérale de celle-ci comme dans le cas de l’Union Européenne. 1

In Le Discours sur le désordre et le chaos HASBI, A., Théories des Relations internationales, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 300 2

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En guise de conclusion Derrière un mur de propagande, l’écran de fumée aux allures de construction intellectuelle, il est très frappant de constater la caution politique qui accompagne les analyses des scientifiques sur la RDC. En termes de préface ou de postface, l’appui au launching et la récupération des idées pour en faire des politiques, on décèle un certain copinage politique-intellectuel. Ceux qui s’usent au labeur intellectuel de cautionner des politiques d’aide qui ont échoué, ont fort à faire car les populations du Sud qui se réveillent savent distinguer ceux qui les respectent et ceux qui les chosifient. La vie des Etats n’est pas un long fleuve tranquille. Il s’y déroule un tragique social qui structure la vie communautaire. Il ne faut pas feindre de l’ignorer en usitant de force propos lénifiants pour la consommation des politiques. Serge Halimi résume mieux la complicité politique-intellectuel.1 Si au fil des années 80 et de la décennie qui suivit, écrit-il, les « décideurs » et les commentateurs du monde occidental ont presque toujours interprété de manière identique les situations de crise et les remèdes qu’elles appelaient - , c’est que tout un travail idéologique était intervenu au préalable (…) (…) Du laboratoire à l’usine, la chaîne idéologique peut comporter bien des maillons, entre le think tank (ou boîte à idées) qui explore, qui conceptualise et la soirée télévisée qui ressasse, qui vulgarise … Le livre « Réforme au Congo (RDC) » procède de l’afropessimisme ambiant. Il verse allègrement dans les excès, l’exagération, la pétition des principes, trop de lieux communs. ———————————————— 1

HALIMI, S., Le Grand bond en arrière, Paris, Fayard, 2006, pp. 10-11

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On se contente parfois de citer les anciennes publications des auteurs concernés devenues par la magie du temps paroles d’Evangile. Il est truffé d’informations non vérifiées et parfois des ragots de la rue, des racontars… Tout cela est mâtiné d’une expression pernicieuse : la caricature.

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