www.gremese.com
29,00 € (T.T.C.)
De tout temps, la poésie, la littérature et l’art ont chanté les formes, les couleurs et la beauté du ballet, ainsi que la force évocatrice de ses images. Dans le ballet classique, les images constituent en effet un élément crucial de la UNE ANALYSE ESTHÉTIQUE ET TECHNIQUE UNE ANALYSE communication, non seulement pour leur , LES PLUS IMAGES LES PLUS PRÉCIEUSES DU BALLET CLASSIQUE DES IMAGES aptitudeDES à frapper l’imagination du spectateur et à susciter en lui des émotions, maisSOURCES INÉDITES D’UNES’VALEUR S’APPUYANT SUR DES APPUYANT SUR DE également pour la complexité des messages ARTISTIQUE ET CULTURELLE EXTRAORDINAIRE. ARTISTIQUE ET implicites véhiculés dans les gestes, les dessins spatiaux, le rythme visuel des mouvements et le style des costumes et U desNdécors. UnFONDAMENTAL choix GUIDE POUR UN GUID hétérogène de plus de 400 illustrations, puisées LES ÉTUDIANTS LES que ENSEIGNANTS ET LES PASSIONNÉS LES ÉTUDIANTS, LES dans le répertoire de la danse,,ainsi dans les arts figuratifsDE et appliqués, illustre LA DANSE , DUlesTHÉÂTRE ET DU COSTUME. DE LA DANSE, D aspects essentiels de cette forme particulière de spectacle qu’est le ballet. Les principes techniques et de style de cet art, le rapport entre danse, mode et société, la fonction des costumes et de la scénographie, ainsi que l’espace destiné à la représentation entre le XVIIIe et le XIXe siècles construisent ici une sorte de parcours idéal. Le choix iconographique – innovateur autant par sa méthode que par les documents eux-mêmes – et la structure interdisciplinaire du texte ont pour but de présenter des sources inédites de la danse classique et d’ouvrir de nouveaux points de vue d’étude et d’analyse fonctionnels à l’usage ISBN 978-88-7301-759-2 desLesélèves de lycée et de conservatoire et des premières pages de nos nouveautés sur : Les premières pages de nos nouveautés sur :
www.gremese.com
FLAVIA PAPPACENA
GUIDE À L’INTERPRÉTATION DES SOURCES ICONOGRAPHIQUES
Portrait de Jean-Georges Noverre par Jean-Baptiste Perronneau, s. d., Musée de l’Opéra, Paris.
CONTINUITÉ, DÉVELOPPEMENT ET RÉINTERPRÉTATION DE LA TRADITION AU XIXe SIÈCLE
La Sylphide de Taglioni, qui inspira en 1836 le danois August Bournonville, est l’un des ballets les plus représentatifs du mouvement romantique dans la danse. L’histoire du jeune écossais James, qui le jour même de son mariage, se met à poursuivre une petite créature ailée dans la forêt, en oubliant l’engagement pris, reflète ces contrastes intérieurs et ces aspirations cachées, qui sont si typiques de la littérature romantique. Si dans son tableau Lépaulle observe les deux interprètes d’un regard pénétrant, en sondant les replis les plus cachés de leur âme, un autre témoignage iconographique remontant environ à la même époque, nous présente par contre ce ballet sous l’aspect d’un conte. Il s’agit du livre Les Beautés de l’Opéra, publié en 1845 par Théophile Gautier, Jules Janin et Philarète Chasles, avec des dessins de Jules Collignon. Collignon accentue ici les traits poétiques et fantastiques de l’histoire. La stylisation raffinée des figures, leur lévité et leur grâce, la sinuosité des courbes irréelles des sylphides, ressemblant presque à des « petites sirènes », rappellent le style des illustrations des livres de contes fantastiques. Gautier a écrit : « Voilà le grand mérite des contes bien faits, plus ils sont impossibles et plus nous sommes tentés d’y croire ». James est en train de courir après un rêve.
175
Flavia Pappacena
Le langage de la danse classique Guide à l’interprétation des sources iconographiques
© GREMESE
TRADUIT PAR ANNIE CÉCILE PINELLO
LA BIBLIOTHÈQUE DES ARTS Textes et instruments pour l’école et l’université Section Danse dirigée par Flavia Pappacena
Titre original : Il linguaggio della danza classica – Guida all’interpretazione delle fonti iconografiche 2012 © New Books s.r.l. – Rome Traduction de l’italien : Annie Cécile Pinello Couverture : Patrizia Marrocco En couverture : Caramba, maquette de l’allégorie de la Concorde pour l’édition 1908-1909 du ballet Excelsior. Collection de la Fondazione Cassa di Risparmio di Alessandria. Mise en page : emMeCiPi – Rome
Copyright pour l’édition française 2012 GREMESE © Éditions de Grenelle SAS www.gremese.com Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite de quelque manière que ce soit ou de quelque moyen que ce soit, sans le consentement préalable de l’Éditeur.
Imprimé in Chine
© GREMESE
ISBN 978-88-7301-759-2
Sommaire
Avant-propos Du ballet de cour à l’affirmation de la danse en tant que forme d’art autonome dans la France du XVIIIe siècle
© GREMESE
Les bases du ballet classique Louis XIV : Le Roi Soleil L’Académie Royale de Danse Les principes de la danse classique La danse et le ballet dans l’opéra lyrique et dans l’opéra-ballet à la fin du XVIIe siècle L’espace destiné à la représentation « Masculin et féminin » dans la danse de couple Caractères et symbologie dans le ballet de cour Le rôle de la scénographie
9 11 17 19 20 24 31 34 38 40 45
Ballet, mode et tradition au XVIIIe siècle Le changement dans le goût Le goût dominant durant les décennies 1730 et 1740 Amour et sensualité dans l’art français du début du XVIIIe siècle Le théâtre de l’Opéra-Comique Danses paysannes, danses grotesques et pantomime dans la danse italienne au début du XVIIe siècle
47 49 54 60 65 67
La recherche d’une nouvelle identité L’essor de la technique à la moitié du XVIIIe siècle Naissance de la « pantomime noble » et du ballet d’action
73 75 80
Le ballet d’action L’espace scénique dans le ballet d’action chez Franz Anton Hilverding Le ballet d’action de Jean-Georges Noverre Les genres académiques d’après les costumes des ballets de Noverre Entre jeux malicieux et minauderies rococo : Les Petits Riens de Noverre-Mozart L’interprétation néoclassique des costumes des ballets de Noverre
87 89 90 95 111 114
De la mythologie à la vie quotidienne à la fin de l ‘Ancien Régime La danse à l’Opéra dans les années 1760-1770 L’amour de la dernière reine de France pour la danse Villages laborieux et joyeux paysans à l’Opéra à l’orée de la Révolution
121 122 126 127
L’arabesque, emblème de la danse moderne L’arabesque dans la peinture
133 134
LE LANGAGE DE LA DANSE CLASSIQUE L’arabesque dans la chorégraphie L’arabesque : entre extravagance et Beau idéal
136 137
Les innovations entre les deux siècles Le métissage entre danse et pantomime Le langage universel de la pantomime Les innovations techniques à la fin du XVIIIe siècle
143 144 145 153
Continuité, développement et réinterprétation de la tradition au XIXe siècle Les premiers chaussons de pointe Les derniers échos de la mode dans les ballets de la première moitié du XVIIIe siècle Des Zéphirs aux jeunes filles ailées du ballet romantique Giselle, entre imagination et réalité, tradition et nouvelle ligne esthétique Figures volantes suspendues entre rêve et réalité La danse en Italie : la tradition du chorégraphe-metteur en scène La stylisation du sujet populaire dans l’art français L’espace scénique dans le ballet du XVIIIe siècle Théorie et pratique dans les manuels de Carlo Blasis. L’union corps-esprit-cœur
159 160
École française et École italienne à la fin du siècle De la vraisemblance française au réalisme italien Technique et pédagogie à la fin du VIIIe siècle : le temps de la systématisation La Belle au bois dormant : le conte en tant que métaphore Tradition e modernité dans Excelsior, ballet historique, allégorique et fantastique De la scène à la caméra : l’Excelsior de Luca Comerio (1913)
163 169 190 190 192 196 199 201 205 206 208 211 216 223
Bibliographie
232
Références iconographiques
237
Remerciements
239
© GREMESE
8
Les premiers chaussons de pointe
© GREMESE
Pendant les années 1780, le soulier des danseuses subit une profonde modification. À la page 144, nous avons vu qu’en 1785 Marie-Madeleine Guimard portait des souliers très plats, attachés à la cheville par des lacets semblables à ceux des cothurnes introduites par la mode à la grecque. Au cours de la décennie révolutionnaire, le port de ce genre d’escarpin, non seulement ne subit aucun changement, mais s’impose toujours davantage. Cependant leur forme, pour suivre la mode, devient plus fuselée. Ci-dessous et sur la page de droite, quelques images choisies, documentant la coupe des souliers de promenade entre les années 1810 et la moitié du siècle. Dans ce portrait de Laure Bro par Géricault, daté 1818, la jeune femme porte des escarpins bleu clair. Les souliers à la grecque s’accordent parfaitement à la robe de style empire, c’est-à-dire avec la taille sous la poitrine.
CONTINUITÉ, DÉVELOPPEMENT ET RÉINTERPRÉTATION DE LA TRADITION AU XIXe SIÈCLE
161
Cette illustration du journal de mode Petit Courrier des Dames de 1829 (à droite) montre que la vogue des souliers féminins n’a pas encore considérablement changé depuis le début du siècle. Les lacets à la grecque sont toujours présents, l’escarpin enveloppant étroitement le pied est toujours aussi fuselé. À gauche, souliers de promenade remontant respectivement à 1820 et à 1840, exposés au Musée de la Mode du Residenzschloss de Ludwigsburg. Dernier reflet de la mode à la grecque, les lacets persistent, bien qu’à demi cachés à l’intérieur du soulier.
© GREMESE
Ci-dessous, trois photographies en blanc et noir du chausson d’Emma Livry (1860), conservé au Musée de l’Opéra de Paris, vu d’angles différents. Ainsi qu’on peut le constater, le chausson de danse reproduit avec la plus grande exactitude le soulier à la mode, exception faite pour la petite broderie autour de la pointe, qui avait la fonction d’éviter que le tissu ne se déchire en raison du frottement contre les planches de la scène. Le renfort intérieur du chausson n’a pas encore été inventé. Il ne le sera que vers la fin du siècle.
162
LE LANGAGE DE LA DANSE CLASSIQUE
© GREMESE
Cette image digne d’un grand intérêt, publiée en 1810 dans le journal Le Bon genre, résume tous les éléments caractérisant la danse théâtrale et la danse de société au début du XIXe siècle. Le maître à danser, selon la coutume traditionnelle, joue du violon. Les deux jeunes gens qui s’exercent ainsi que le couple effectuent des mouvements à la dernière mode : la jeune femme qui danse en couple a une attitude semblable à celle de la statue du Mercure de Giambologna, qui était très en vogue à l’époque et qui sera immortalisée peu après par Blasis dans son traité. Le jeune homme de dos en grand plié ainsi que la jeune fille, elle aussi de dos, qui lève la jambe à l’équerre, témoignent du fait que l’entraînement de la danse de société a atteint un haut niveau de spécialisation. L’illustration atteste aussi que le grand plié existait déjà à cette époque, comme le relate Maria Taglioni elle-même dans ses mémoires. On remarquera enfin que les chaussons de danse utilisés pour l’entraînement préparatoire sont très ajustés et souples, de même que pour la danse de société.
164
LE LANGAGE DE LA DANSE CLASSIQUE
L’influence de la mode à la grecque sur le costume de ballet
© GREMESE
Mettons ici en parallèle Mademoiselle Clotilde en 1797 dans le rôle de Calypso de Télémaque dans l’île de Calypso de Pierre Gardel (Opéra, 1790) d’une part, et de l’autre, la Diane chasseresse conservée au Musée du Louvre, copie romaine de l’original en bronze du IVe siècle av. J.-C. L’image de la danseuse s’inspire de toute évidence de la statue, dont l’aspect, comme relatent les chroniques, est reproduit avec attention dans les plus petits détails. Les sandales et la tunique courte et flottante reflètent les profonds bouleversements de la danse au début de la Révolution française. Il s’agit d’une vogue de courte durée qui laissera cependant un signe persistant, car elle contribuera à la fin de l’assujettissement technique traditionnel de la danse féminine par rapport à celle masculine. La façon dont le peintre a transformé l’attitude de la statue en mouvement dansant, sans modifier le placement des jambes, est particulièrement intéressante. Dans l’illustration en bas (Achille à Scyros, Opéra, 1806), appartenant à la Bibliothèque de l‘Opéra, un autre témoignage du style français à l’époque de Napoléon, dans les costumes, les mouvements ainsi que dans les gestes.
CONTINUITÉ, DÉVELOPPEMENT ET RÉINTERPRÉTATION DE LA TRADITION AU XIXe SIÈCLE
165
Le style empire dans le costume et dans la technique du ballet au début du XIXe siècle
© GREMESE
Revenons à l’image d’Armand Vestris et de Fortunata Conti Angiolini dans le ballet I Contadini tirolesi, dont nous avons déjà parlé (voir p. 156). Ce qui saute aux yeux en observant les habits est le mélange de certains éléments vestimentaires tirés du costume traditionnel tyrolien (couleurs, petit tablier, bretelles bigarrées, rubans flottants) avec d’autres éléments imposés par la mode Empire : la taille haut placée et le profond décolleté de la jeune fille, la chemise et la coiffure « à la Titus » d’Armand Vestris. Ce choix va de pair avec le style du mouvement dansé, qui se propose en réalité comme appartenant à l’école académique En rapprochant cette image à l’illustration du livre The Code of Terpsichore, publié par Carlo Blasis à Londres en 1828 (voir p. 156, à droite), nous pouvons constater que la position des bras du jeune tyrolien (à gauche) correspond à une des nouvelles figures d’arabesque en vogue à l’époque. Toutefois, ce genre d’abstraction ne concerne que les premiers rôles, car d’autres images de ce même ballet montrent des mouvements plus en accord avec l’atmosphère de la danse.
166
LE LANGAGE DE LA DANSE CLASSIQUE
Les derniers échos de la mode dans le ballet des années 1820
© GREMESE
Le costume du rôle-titre de Cendrillon, ballet composé par Albert (François Decombe) mis en scène à l’Opéra de Paris en 1823, reflète clairement les dernières vogues de la mode de l’époque. Ceci apparaît évident si l’on compare l’image d’Émilie Bigottini (à gauche), protagoniste du ballet, avec celle de droite, tirée de Costume Parisien, revue de mode française datée 1823. Le costume de Cendrillon reproduit différents éléments du dessin de mode : le profil linéaire et tombant de la robe, les manches bouffantes, la coupe horizontale du décolleté et d’une certaine façon aussi, le chapeau volumineux. Dans les deux documents – celui du ballet et celui sur la mode du XIXe siècle – on peut remarquer que le point de raccord entre le corselet et la jupe n’a pas encore atteint réellement le niveau de la taille, comme il arrivera quelques années plus tard. La sensibilité pour la mode paraît évidente aussi dans les costumes masculins portés par Albert lui-même et par un autre danseur étoile de l’Opéra, Antoine Paul, autant pour ce ballet que pour d’autres mis en scène au cours de ces mêmes années. Si l’on observe le costume du prince de Cendrillon (ci-dessous à gauche), on entrevoit le reflet du revival gothique et de l’engouement pour la Renaissance typiques de cette période. Ce regain d’intérêt pour la Renaissance, qui dès le Directoire (1795), influencera la conception des uniformes des charges publiques, se propagera à tous les arts (on verra L’ultimo bacio dato a Giulietta da Romeo de Francesco Hayez, 1823, ou antérieurement Gianciotto découvre Paolo e Francesca, toile d’Ingres, 1814).
CONTINUITÉ, DÉVELOPPEMENT ET RÉINTERPRÉTATION DE LA TRADITION AU XIXe SIÈCLE
167
Une nudité conquise
© GREMESE
La période de la Révolution française, nous l’avons vu page 155-164, dévoile le corps de la danseuse, laissant paraître ses contours. Le costume de danse suit d’ailleurs la nouvelle mode qui, délaissant le corset, l’éventail et les tissus précieux, leur oppose des étoffes voletantes et transparentes, enveloppées de grands châles de cachemire (image du bas). La légèreté du tissu permettra désormais à la danseuse de monter les jambes à la même hauteur que celles des hommes, ainsi que de développer la puissance des sauts, autant en hauteur qu’en largeur. En bref, le large fossé qui séparait la danse féminine de celle masculine va être comblé.
En haut à gauche : la « bayadère » Constance Gosselin en 1817, dans une reprise de l’opéra Fernand Cortez de Spontini (1809). Cette année-là, la danseuse fut la partenaire de Carlo Blasis à l’Opéra. En haut à droite : Émilie Bigottini dans le rôle de la Folie du Carnaval de Venise de Louis Milon (Opéra, 1816). Ci-contre : Madame Récamier portant un châle de cachemire, dans son portrait par F. P. S. Gérard, daté 1805 (musée Carnavalet, Paris).
168
LE LANGAGE DE LA DANSE CLASSIQUE
© GREMESE
Une fois conquise, cette nouvelle liberté le restera pour toujours. Et ceci, même lorsque la mode citadine imposera à nouveau, à la fin des années 1820, la robe ample et longue jusqu’au sol. Désormais, les jupes des danseuses ne s’allongeront ni ne s’alourdiront plus, comme l’attestent ces images. Aussi bien les danseuses que les chanteuses lyriques tireront parti des jeux de transparences ou dévoileront carrément différentes parties de leur académie. Ci-dessus, deux personnages de l’opéra La Lampe merveilleuse (Opéra, 1822) : les sopranos Isménor, le Génie de la lampe et Zarine, sœur d’Aladin. Ci-dessous, la célèbre danseuse Émilie Bigottini dans le pas gracieux de ce même opéra et le premier rôle féminin (Guerrière du Camp de Pharamond) du ballet de l’opéra Pharamond (Opéra, 1825).
Des Zéphires aux jeunes filles ailées du ballet romantique
© GREMESE
Parmi les éléments typiques du ballet romantique, les figures ailées tiennent un rôle de premier plan. Les lithographies, les dessins et les maquettes de la première moitié du XIXe siècle nous montrent des ailes de différentes dimensions, formes et origines (oiseau, papillon), mises parfois en relation à des aspects démoniaques (comme pour les Diables du Mefistofele de Blasis en 1835), mais évoquant le plus souvent une condition surnaturelle poétique (les Cupidons, la Sylphide, ou Giselle). Parmi ces figures fantastiques, celle de la jeune fille éthérée aux ailes délicates de papillon s’est imposée dans l’imaginaire collectif au point de devenir le symbole même du ballet romantique. Cependant, les ailes reproduites dans les images n’ont pas toutes la même forme : Giselle est représentée généralement avec des ailes ouvertes en éventail, alors que les ailes de la Sylphide sont souvent allongées et presque rectangulaires, ainsi que marquées d’un seul œil, comme celui de la plume de paon. Les ailes de Giselle pourraient s’interpréter comme un symbole de l’Âme (en grec, les mots papillon et âme sont des synonymes), tandis que celles de la Sylphide sont probablement la transformation et le changement de contexte d’une tradition iconographique remontant au ballet du XVIIIe siècle. Il s’agit d’un phénomène comparable à la conversion romantique de l’arabesque à deux bras, que nous avons analysée précédemment. On trouve déjà des ailes de papillon, nous l’avons vu, dans l’iconographie des Heures des ballets de cour du XVIIe siècle (voir p. 42) ainsi que dans les costumes réalisés par Claude Gillot pour l’opéra-ballet Les Éléments (voir p. 52). Ces ailes ont leur référence dans l’iconographie codifiée par Raphaël pour les Heures. Avec la diffusion du Néoclassicisme et le retour de modèles esthétiques inspirés par l’œuvre de Raphaël, les Heures du Banquet des dieux de la Villa della Farnesina à Rome étaient revenues à la mode, ainsi que la série des Heures dessinées par Raphaël et reproduites par des peintres tels que Giovanni Sanguinetti, au début du XIXe siècle. Ceci explique pourquoi Louis-René Boquet, dans son remaniement des ballets de Noverre en style néoclassique, décida de donner davantage d’importance aux petites ailes faisant partie de la parure de tête et des petites manches des Zéphires des années 1760, en leur donnant la fonction d’un véritable symbole représentatif de ces nouveaux personnages, en harmonie avec leur nouveau style dansant.
170
LE LANGAGE DE LA DANSE CLASSIQUE
Une visibilité nouvelle des ailes
Ainsi que l’on pourra aisément le remarquer, le changement du costume a son équivalent dans une différence générale de l’attitude de la figure dansante ; de même, les ailes plus grandes correspondent à une dilatation du geste dans l’espace, ainsi qu’à un dynamisme accru du mouvement dansé. Borée, dans sa version néoclassique, a de grandes ailes vibrantes et se montre tout à fait semblable aux Zéphires qui comparaissent dans les tableaux ainsi que dans les fontaines, à la suite d’Éole.
© GREMESE
Les images ci-dessous relatent l’élaboration des Vents dessinés par Louis-René Boquet pour les ballets de Noverre, depuis leur première version théâtrale de style rococo (premières années 1760) jusqu’à celle néoclassique (années 1780), plus proche à l’iconographie des arts figuratifs. Sur la gauche, Zéphir du ballet Psyché (illustration tirée du septième des onze volumes donnés par Noverre à Stanislas II Auguste de Pologne en 1766). Sur la droite, Zéphir du second des deux volumes offerts par Noverre a Gustave III de Suède en 1791.
CONTINUITÉ, DÉVELOPPEMENT ET RÉINTERPRÉTATION DE LA TRADITION AU XIXe SIÈCLE
171
De la mythologie classique au monde imaginaire du romantisme La fin du XVIIIe siècle voit la codification de l’iconographie de Zéphire. C’est ce même modèle qui convergera au début du XIXe dans les différentes versions du mythe de Zéphire et Flore chorégraphiées par Charles-Louis Didelot (1812) et Jean Coralli (1824) et, à la reprise de la création de Didelot, par Jean Rousset (1828). L’aspect extérieur des deux personnages de la mythologie classique est fixé de la façon suivante : Zéphire porte une tunique courte très légère de goût grec laissant le torse demi nu ; la jupe courte de la robe de Flore, de style néoclassique, n’est garnie que d’une simple décoration florale, harmonisée avec la couronne qu’elle porte sur la tête.
© GREMESE
Les images ci-dessous montrent Adélaïde Mersy et Jean Rousset dans Zéphire et Flore au Teatro della Pergola de Florence (1828). En bas, dans le groupe de cinq danseurs tiré du livre Letters on Dancing d’E.A. Théleur (Londres, 1831), on peut reconnaître, par les attributs conventionnels du costume qu’ils portent, Flore et Zéphire, aux deux extrémités.
174
LE LANGAGE DE LA DANSE CLASSIQUE
La Sylphide romantique
© GREMESE
Ce célèbre tableau de François Gabriel Guillaume Lépaulle, daté 1834, représente Maria Taglioni et son frère Paolo dans la scène du début du ballet La Sylphide, créé la même année par leur père Filippo Taglioni pour l’Opéra de Paris. La musique était de Jean Schneitzhöffer. Nous avons ici le témoignage le plus suggestif de la métamorphose de Sylphes et Sylphides, esprits de l’air, en Sylphide romantique. Inspiré de Trilby ou Le Lutin d’Argail de Charles Nodier (1822), la Sylphide de Filippo Taglioni a acquis une connotation humaine, ainsi que la capacité d’éprouver des sentiments. Sa nature éthérée se révèle par la transparence de ses ailes – semblables à celles d’une libellule – par ses pieds symboliquement nus, par la légèreté de son corps, apparemment affranchi de la pesanteur, ainsi que par l’impalpabilité de sa robe qui, comme celle de Flore, paraît n’avoir aucun contour. Le regard pénétrant, l’attitude attentive et la légère tension qui sous-tend le corps représentent aussi bien l’amour et le dévouement de la Sylphide, que ce qu’elle représente pour James : la tentation et le rêve défendu. Le contraste du personnage avec la « réalité » apparaît ici évident : c’est-à-dire le contraste avec l’intérieur de la maison pleine d’objets quotidiens résumant cette routine à laquelle le jeune James rêve d’échapper.