Audrey Hepburn

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AUDREY

HEPBURN e Tiffany

L a p r in c e s s e d À HELEN BOURNE

L’auteur remercie la Hodder & Stoughton Limited pour avoir autorisé la publication de nombreux extraits de la biographie Audrey de Charles Higham (New English Library), ainsi que Ian Woodward, la Rupert Crew Limited et Virgin pour avoir autorisé la publication de nombreux extraits de la biographie Audrey Hepburn: The Fair Lady of the Screen, copyright © Ian Woodward 1984, publiée en 1993 (Virgin). Titre original : A Star Danced. The Life of Audrey Hepburn (Bloomsbury Publishing Limited, Gran Bretagna, 1993) 1993 © Robyn Karney Couverture et conception graphique : La Mela Verde s.n.c. (lamela.verde@tiscali.it) Mise en pages : Graphic Art 6 s.r.l. – Rome Photo de couverture : Paramount Pictures (1956) Recherches iconographiques complémentaires : Enrico Lancia Crédits photographiques : Aquarius : 28, 57, 71, 113, 141 (en haut), 144 (à gauche), 154, 155 (en bas), 160 (en bas), 164 (à droite), 165, 178, 179 (à droite) ; Archives Advertising : 46 ; Archivio Centro Studi Cinematografici : 48, 51, 55, 69, 72, 73, 80, 82, 84, 85, 86, 88, 90, 91, 92 (en haut),

qu’il lui a été possible, l’Éditeur a tenté de 95, 96, 100, 101, 104, 107, 110, 117, 119 (en retrouver les auteurs de toutes les photos bas), 123, 124, 128, 130 (en haut), 132 (en bas), publiées dans cet ouvrage, pour les signaler à 134, 135, 136 (en bas), 137, 138, 139, 142, 146, l’attention des lecteurs. Ses recherches n’ayant 147, 148, 152, 153, 156, 169 (en bas) ; Audrey hélas pas toujours été couronnées de succès, il Hepburn Estate Collection : 62, 184 ; Bob les prie de bien vouloir lui pardonner Willoughby : p. 10-11, 60 (à gauche), 102, 103, d’éventuelles erreurs, lacunes ou omissions, et 129, 140, 141 (en bas), 145 ; Camera se déclare prêt à apporter des compléments Press/Terry O’Neill : 150, 151, 158 (en haut) ; d’information lors de nouvelles rééditions de ce Douglas Kirkland : 176 ; E.T. Archive : 16 ; Eileen livre. Il est également disposé à reconnaître les Darby : 43 ; Gamma/Frank Spooner Pictures : 12 droits afférents aux clauses de l’article 70 de la (à droite), 172 (à gauche), 173, 180, 181 ; loi n° 633 de 1941. Granata Press Service, Milano : 8 ; Hulton Deutsch Collection : 29 ; Joel Finler : 66, 144 (à droite) ; John Isaac : 162 ; Katz Pictures/Peter li Piceno .A. – Asco .p S g in t Charlesworth : 172 (à droite), 183 ; Kobal in Pr n : D’Auria Collection : 39 (en haut), 42, 56-57, 78, 79, 93 Impressio ise : (en bas), 106, 112, 118, 127, 136 (en haut), 170 ; ion frança it d é l’ e d t Moviestore Collection : 159 ; New York Public Copyrigh ese Library : 64, 65 ; Paramount Picture : 190 ; GREMESE dition, 1994 Grem ée, ig é Paramount Picture/Bud Fraker : 7 ; Photofest : Première ition revue et corr d é 19, 25 (à droite), 33, 35, 37, 39 (en bas), 40, 41, e ll Nouve Rome .E. s.r.l. – 45, 50 (en haut), 52, 53, 58, 59, 76, 83, 89, 92, .G E 1 1 0 2 (en bas), 94, 98, 99, 105, 108, 109, 116, 120, une partie c u A . s é v r 121, 130, 132 (en haut), 133, 143, 157, 166, 167, s rése duite, Tous droit ne peut être repro uelque 171, 175, 179 (à gauche) ; Popperfoto : p. 12 (à q de ce livre e ou transmise, de e moyen gauche), 22, 23, 26, 30, 34, 50 (en bas), 161 ; é u r lq t e is enreg et par qu ment préalable it Rex Features : 24, 25 (à gauche), 27, 54, 155 (en o s e c e e u façon q , sans le consent haut), 158 (en bas) ; Richard Avedon, Inc., New que ce soit . York : 13 ; Ronald Grant Collection : 32, 38, 74, r de l’Éditeu 75, 81, 93 (en haut), 119 (en haut), 125, 160 (en 1-8 haut) ; Sam Shaw : 14 ; Tiffany & Co. : 182 ; 8-7301-73 Warner Brothers Pictures Ltd. : 111, 126. Autant ISBN 978-8

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E. É N S I CÈNE I U S S , I I E E J T C A À , L N , IE IT A T I P RUIT POUR R L B A E D P P U E O L C I U BEA ÉTO E N U Ù O À L …


E R U E T U L’A NTS E D E T ME NO E I C R E ET REM

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e livre a été commandé par Bloomsbury alors qu’Audrey était encore en vie. Sa mort tragique et prématurée allait transformer ce projet passionnant en un triste devoir non dépourvu de difficultés, car elle m’a empêchée de consulter non seulement le sujet même de cette biographie, mais également un grand nombre de personnes pour qui sa mort constituait un événement par trop récent et douloureux. J’ai cependant tenté de rendre compte aussi fidèlement que possible de sa vie ainsi que de ses qualités hors du commun, et j’ai du moins eu la possibilité de revoir ses films, qui constituent son testament. Je me dois d’exprimer toute ma gratitude à un certain nombre de personnes. Mon chercheur, David Oppedisano, a accompli les aspects les plus ingrats de ce travail sans jamais se départir de son habituelle bonne humeur ; Bernard Hrusa-Marlow et Tom Vallence m’ont prêté leur inestimable assistance de multiples manières, m’aidant également à accéder aux films dont j’avais besoin. Clive Hirschhorn a mis sa librairie à ma disposition, et Tim Wilson m’a envoyé du matériel filmé ou imprimé de New York. J’adresse des remerciements tout particuliers à Fred Zinnemann, qui a si généreugement consacré une grande partie de son temps à mon égard, et à John McCallum qui m’a écrit d’Australie ; et enfin à Andrew Thomas de Avedon Studio, New York, et à Avedon lui-même qui m’a permis d’utiliser ses clichés. Marion Hume, rédactrice de la rubrique de mode de l’Independent, Tasha Hudson de Caroline Neville Associates (qui représente Hubert de Givenchy), Jane Pritchard du Ballet Rambert et Terry Charman de l’Imperial War Museum m’ont beaucoup aidée, ainsi que Sue Sharp qui a traduit les interviews du français en anglais, Robin Cross, Angie Errigo, Trevor Willsmer, Patrick Palmer et Vivien Heilbron. Ma collaboratrice, Delayne Aarons, s’est appliquée avec un rare dévouement à la correction du manuscrit, et j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Anne-Marie Ehrlich aux recherches iconographiques. Mon agent Tony Peake m’a épaulée tout au long de mon travail. Je remercie spécialement David Reynolds de Bloomsbury pour ses encouragements continus, son soutien et son assistance concrète, ainsi que Penny Philips.

Robyn Kar ney

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SOMMAIRE

vie ? e tion ll e c y v u u e o d n r o e d n r U u t 5 A n 1 ’ I 1 qu 9 e c t s e ’ u Q elle ? Lady t ir Fa 1 s 13 e i u Q 5 1 é t i l i g a dy r a f L t s e r e o e d H c n r o 9 o 14 em l 21 F s n a s d e s g a a p y s o r V ie 163 l e M 31 Prem t e l l Bi , y l e l u i g B o l i , p y É l l i 7 7 1 47 W e x i i h a p p a r t g e o m e r 185 Fil 63 Guer r Paris x ou e j d n n o I B 7 8 7 1 7 e foi d s e t c A 97



INTRODUCTION s. e de fée s t n o c n i ’u plus qu difficiles… ma t n e i b é t aé son ents « Ma vie a part de mom ai affrontées se m s que j’ e J’ai eu v u N e r p » es é HEPBUR Y E R toutes l par un succès. D U A s conclue

lé par la Je ne b u o r t t démen photo. là. n l i o e f r o a r p p ap rs s i toujou rn devant mon même, toujour a r e s t e n s u « Je sui d’Audrey Hepb st toujours elle l’interpréter. O e s e a présenc l’améliorer. Elle er, je ne peux p e en r rt s t peux pa x que l’enregis st déjà. Elle po e u DON Je ne pe alter ce qu’elle plus parfait. » RICHARD AVE ex e ne peut e son portrait l m elle-mê

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omme Margot Fonteyn, son alter ego idéal dans le monde de la danse, Audrey Hepburn a toujours été accompagnée d’un halo de magie qui la suivait où qu’elle aille, aussi bien sur l’écran qu’en dehors. Audrey Hepburn – un phénomène aussi rare qu’une « girafe bleue », pour reprendre l’expression de Rex Reed – est sans conteste un personnage hors du commun. Certes, on a connu des actrices à la beauté plus frappante, plus éclatante, et aux prestations professionnelles plus brillantes ; mais sa personnalité – qui mêlait la fragilité de l’adolescence à la prestance de la jeune femme élégante, l’esprit à la grâce, la poésie et la vulnérabilité à la grande classe – était unique. Elle a été l’une des stars du cinéma les plus connues du monde entier, et sans aucun doute la plus aimée (ainsi que la mieux payée, si l’on

considère ses cachets astronomiques, comparables uniquement à ceux de Liz Taylor). Et pourtant, le début de sa carrière cinématographique est plus le fruit du hasard que d’un choix délibéré. Mais Audrey Hepburn, promptement rebaptisée la « Princesse » par Frank Sinatra, allait rapidement passer d’un anonymat relativement obscur à un premier rôle aussitôt primé par l’Oscar, comme dans les plus beaux contes de fées modernes. Les millions de mots, plus ou moins extravagants, qui ont été écrits sur elle, ainsi que les interviews qu’elle accordait avec tant de réticence (mais toujours avec une grande courtoisie) reviennent toujours sur les mêmes événements et les mêmes faits, ceux-là même que l’actrice reprenait pour communiquer à la fois ses opinions et ses ambitions, parfois contradictoires. Les rares détails qu’elle accepta de révéler sur son passé, surtout ceux qui ont trait aux an-

nées de la guerre, reviennent sous forme inchangée dans les interviews qu’elle accordait, exception faite du choix de certains termes et le style de celui qui les rapportait. La rigueur professionnelle et la recherche de la perfection ne lui firent jamais défaut, non plus que sa tendance à minimiser ses dons, son dévouement pour ses proches, pour ses enfant, et enfin pour tous les enfants dans le besoin du monde entier. Elle ne dut sa célébrité qu’à ses mérites personnels, aussi bien en ce qui concerne ses films que son élégance qui influença le style vestimentaire de deux générations ; elle sut s’assurer à la fois l’estime du public et celle de ses collègues, estime qui ne faiblit jamais, même durant ses longues absences de l’écran, et atteint des proportions universelles quand elle décida d’interpréter le rôle, avec la générosité et le dévouement que l’on sait, d’ambas-

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Sieste à trois : Audrey, le faon Ip et le petit chien Famous.

sadrice de l’UNICEF. Ce fut son dernier rôle, sur la grande scène du monde entier, et son interprétation fut, comme dans tous ses films, exemplaire. La carrière d’Audrey Hepburn connut un déroulement assez insolite. Après une enfance, pour le moins traumatisante, dans la Hollande de l’occupation nazie, elle partit s’installer en Angleterre où elle se consacra à la danse. Sa grande taille ainsi que des difficultés financières firent obstacle à sa carrière de danseuse, et elle commença à tourner ses regards vers le monde du cabaret et du cinéma. En trente-huit ans de carrière, elle a interprété un nombre de films plutôt restreint, vingt-six en tout. Dans ses six premiers films, nous la voyons dans des petits rôles et des seconds rôles mineurs qui, tout en attirant sur elle l’attention de l’industrie cinématographique anglaise, ne suscitent aucun intérêt particulier dans le grand public. Il fallut attendre 1953 pour que celui-ci, à la suite de sa prestation dans Vacances romaines (Roman Holiday, États-Unis, 1953), rende enfin hommage à son grand talent. Elle avait 24 ans et c’est à cette occasion qu’elle remporta son premier Oscar comme meilleure actrice. C’est alors que naquit sa relation idyllique avec la presse internationale, sous forme d’un déluge de critiques cinématographiques dont les termes et la teneur relevaient plus de la déclaration d’amour passionnée que du compterendu objectif et pondéré. Partout dans le monde, des cinéphiles que son charme avait envoûtés attendaient son prochain film avec impatience. L’« establishment » hollywoodien était à la fois étonné et séduit par cette actrice pareille à aucune autre. Quand l’actrice, venue du néant, « aborda » en terre hollywoodienne, il régnait en ces contrées un ordre bien établi qui distribuait les différents types de personnages féminins, d’héroïnes conventionnelles codifiées selon des catégories étanches et bien définies : la diva du sexe,

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Audrey Hepburn, 24 ans, reçoit l’Oscar de la meilleure actrice principale pour Vacances romaines des mains de l’acteur Jean Hersholt. Presque quarante ans plus tard, en 1993, le prix humanitaire Jean Hersholt lui sera décerné (à titre posthume).

la femme fatale, la féline, la femme d’à côté, la joyeuse luronne, la starlette déchaînée, la star de comédies musicales et la dame de bonne famille. Voici donc quelle était la situation à Hollywood quand elle entra en scène. C’est ainsi qu’au beau milieu de cet océan de blondes, de vamps et de beautés mûres, provenant pour la plupart des endroits les plus reculés des États-Unis, s’introduisit une petite marchande d’allumettes ; une femme-enfant gracile et mystérieuse, longue, à la mâchoire proéminente, aux sourcils arqués et aux narines dilatées.

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Cecil Beaton décrivit sa coupe de cheveux de la manière suivante : « On aurait dit que sa chevelure avait été rongée par les souris. » En outre, elle parlait un drôle d’anglais avec un curieux accent anglo-européen tout à fait intrigant. Elle se mouvait avec une grâce aérienne qui enchantait chacun de ses gestes et ravissait par son sourire à la fois radieux et mélancolique. Ses yeux étaient ce qu’elle avait de plus remarquable, deux immenses lacs sombres incroyablement expressifs qui reflétaient les nuances les plus subtiles de l’émotion – elle aurait pu être une très grande actrice du cinéma muet. Le style et la personnalité d’Audrey Hepburn pulvérisèrent les paramètres qui déterminaient le succès d’une actrice sur les écrans américains ; comme le prophétisa Billy Wilder : « À elle seule, cette fille va faire mettre au rebut l’attention qu’on prêtait jusqu’ici aux mensurations d’une femme. » Parallèlement, la façon dont elle conduisait à la fois sa vie privée et son métier d’actrice déjouait toutes les règles. Sa discrétion, sa modération, sa classe, son style, sa chaleur, son sens de l’humour, sa recherche continue de la perfection en firent rapidement une véritable idole. Habillée par Givenchy – à qui son image finira par s’identifier – à la fois sur l’écran et en dehors du plateau, les stylistes et les photographes les plus célèbres l’adoraient. Michael Korn disait d’elle : « Année après année, Audrey Hepburn a toujours projeté d’elle-même une image de style, de classe, qui n’a rien à voir avec la mode. » Isaac Mizrahi, confronté à l’entreprise désespérée de traduire sa magie par des mots, confiait : « L’émotion érotique qu’elle suscite passe plus par le cœur que par le bas-ventre. Elle conquiert à la fois le cœur, l’esprit et l’âme. En d’autres termes, elle tient de l’élévation et de l’illumination. » Audrey Hepburn fut photographiée à l’envi, et toujours avec d’excellents résultats, par les plus grands photographes contemporains : Norman Parkinson, Cecil Beaton, Karsh of Ottawa, Anthony Armstrong-Jones, et bien sûr, Avedon. Grâce, dignité, charme et chaleur humaine, alliés au dévouement total qu’elle apportait à toute entreprise à laquelle elle s’attelait, constituaient les traits saillants de la personnalité d’Audrey Hepburn. Aimable, prévenante, profonde, elle était douée d’un extraordinaire sens

de l’humour qui ressort aux moments les plus heureux de ses films ; elle était d’ailleurs connue pour sa prédisposition au rire. L’actrice comique Lucille Ball disait d’elle : « Elle est à la fois un véritable garçon manqué et une grande actrice comique. On n’aurait jamais imaginé qu’elle pouvait jouer le genre de comédie que je joue. Et pourtant … Mais elle était tellement belle, tellement éthérée que c’eût été un sacrilège que de la pousser dans ce genre. » Le garçon manqué le plus célèbre du monde se transforma en une radieuse jeune femme d’une élégance distinguée, qui laissa le souvenir inoubliable de sa grâce sublime et de son extraordinaire personnalité dans des films comme Sabrina (États-Unis, 1954), Drôle de frimousse (Funny Face, États-Unis, 1957), Au risque de se perdre (The Nun’s Story, États-Unis, 1959), Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s, ÉtatsUnis, 1961), Charade (États-Unis, 1963), My Fair

Avec Givenchy, le styliste qui modela son image et devint son grand ami.


Lady (États-Unis, 1964) et Voyage à deux (Two for the Road, États-Unis, 1967). Au cours de la cérémonie de la remise des Oscar à Hollywood du 29 avril 1993, l’Oscar Jean Hersholt lui fut attribué (ainsi qu’à Elizabeth Taylor) en hommage à son activité humanitaire. À la grande douleur de tous ceux qui y assistaient, elle n’avait pas vécu assez longtemps pour pouvoir le retirer elle-même. Tandis qu’il remettait la statuette à Sean Hepburn Ferrer, le fils d’Audrey, Gregory Peck – à la fois son partenaire dans le premier film important qu’elle tourna et un grand ami qui l’accompagna toute sa vie – se fit le porte-parole de millions de personnes en déclarant : « Durant toute sa carrière, elle a été un symbole de grâce et de beauté, de grande classe et de finesse, de profonde spiritualité et d’innocence malicieuse. Aux yeux de tous ceux qui ont eu le bonheur de travailler avec elle, elle est toujours apparue comme une artiste aussi belle que sensible. Il y avait cependant tout un pan de sa vie qui l’intéressait plus encore que sa carrière d’actrice. Comme ambassadrice spéciale de l’UNICEF, elle a voyagé sans répit à travers le monde pour défendre les pauvres, les déshérités, les affamés, tous ceux qui ne l’avaient jamais vue resplendissante de beauté sur un écran de cinéma et qui ne l’y verraient probablement jamais… L’Oscar Jean Hersholt est remis aux personnes de l’industrie cinématographique qui se sont distinguées par des œuvres humanitaires dont l’éclat rejaillit sur nous tous. Si l’un d’entre nous a jamais été à la hauteur des idéaux auxquels se réfère cet Oscar, aussi bien par ses convictions que par son dévouement, c’est bien Audrey Hepburn. » Comme l’a écrit un journaliste américain : « Audrey Hepburn a nourri notre insatiable imagination de spectateurs de manière inégalée ; elle n’a jamais déçu nos attentes, même après de longues absences. Quand elle a pris conscience d’avoir suffisamment donné au cinéma, elle a commencé à vivre uniquement en tant que personne, et c’est ainsi qu’elle s’est employée à insuffler l’espoir à des êtres qui ignoraient tout d’elle et de sa légende ». Cette histoire est celle de cette légende, de cette vie et de cette carrière qui font désormais partie des grands mythes de l’histoire du cinéma.

Richard Avedon : Audrey Hepburn, 20 janvier 1967, New York.

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QUI EST-ELLE ? QU’EST-CE QU’AUDREY ? re, inaire : maig rd o it fa à t u petite fille to un peu timide. » « J’étais une BURN eux raides, v e h c s le , e AUDREY HEP s osseu

S

i l’on s’attarde sur les circonstances et événements qui précédèrent la naissance d’Audrey Hepburn, le 4 mai 1929, on trouve déjà des éléments peu banals qui préludent à une personnalité originale. Ses parents, pour reprendre les termes de l’écrivain Charles Higham, commirent une « regrettable aussi bien qu’inconvenante alliance entre aristocratie et bourgeoisie ». Le bébé, baptisé Edda Kathleen van Heemstra HepburnRuston était « tout en longueur » avec les yeux « les plus beaux et les plus rieurs qu’on eût jamais vus ». Elle avait une apparence délicate, calme et timide. Une exception dans une famille où l’on était plutôt du genre robuste et vigoureux ! L’« alliance inconvenante » à laquelle se réfère Higham avait pour protagonistes J. A. Hepburn-Ruston, un banquier haut placé d’origine irlandaise, divorcé, à la réputation

bien assise de tombeur de ces dames, et la baronne Ella van Heemstra, une aristocrate hollandaise de haut lignage, divorcée elle aussi, mère de deux enfants, mais encore jeune et belle. Les van Heemstra étaient une vieille famille noble hollandaise de propriétaires fonciers qui cultivaient des liens étroits avec la famille royale, qu’un grand nombre de ses membres avaient servie selon les manières les plus diverses. Les hommes s’étaient distingués dans la carrière militaire, la politique, la magistrature ou l’administration. Ils étaient réputés pour leur fierté, leur loyauté, leur rectitude et leur grande culture. La mère d’Audrey était la troisième fille du baron Aarnoud van Heemstra, un célèbre et estimé magistrat de la cour de la reine Wilhelmine. Il avait occupé les fonctions de bourgmestre d’Arnhem, et on lui confia ensuite la charge de gouverneur de la

dà rrespon o c e n rn y Hepbu ne s’en trouve . » e r d u A « il e liché et s’adapter à ell ZINE c n u c u a e E MAGA ui puiss M q I T n u c u a

Guyane hollandaise (qui prit le nom de Surinam après l’indépendance) qu’il assuma de 1921 à 1928. Né en 1896, il avait épousé Elbrig van Asbeck, une baronne dont l’arbre généalogique remontait jusqu’au XIIe siècle et qui comptait des Hongrois, des Français et des Juifs parmi ses aïeux. Aarnoud et Elbrig eurent six enfants, dont cinq filles (l’une desquelles fut la dame de compagnie de la reine Juliana) et un garçon. Toute cette joyeuse nichée d’enfants vécut la plus grande partie de son enfance à Doorn, près d’Utrecht, dans un splendide château ceint d’un fossé et de plusieurs hectares de verte campagne. L’Het Kasteel De Doom, comme on l’appelait alors, se nomme aujourd’hui plus simplement Huis-Doom, et est devenu un musée ouvert au public. Les manuels d’histoire y situent la dernière résidence de l’empereur Guillaume II, qui

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Huis Doorn, propriété de la famille van Heemstra, vendu en 1918 au Kaiser Guillaume II qui en fit sa dernière demeure.

l’acheta à la baronne Elbrig van Heemstra juste après sa fuite de l’Allemagne vaincue, à la fin de la Première Guerre mondiale. C’était en 1918, et la famille van Heemstra avait installé ses quartiers aux alentours d’Arnhem. C’est là que la jeune Ella unit son destin, en 1920, à celui du noble Jan van Ufford, lui aussi un aristocrate de haut rang au service de la famille royale. Leur union fut orageuse et s’est conclue par un divorce cinq ans plus tard, après la naissance de deux enfants. La baronne Ella van Heems-

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tra, comme elle se fit appeler après son divorce, partit avec ses deux fils Alexander et Ian passer quelque temps auprès de ses parents, au Surinam, où elle fit la rencontre de Joseph Hepburn-Ruston, le directeur de la filiale bruxelloise de la Banque d’Angleterre qui, en tant que tel, était étroitement lié à l’administration du patrimoine mobilier et immobilier des van Heemstra. Ils se marièrent à Batavia (rebaptisée Djakarta entre-temps) en 1926 et vinrent s’installer aux alentours de Bruxelles. C’est là, dans une belle demeure du XIXe siècle vaste et élégante, que leur unique enfant vit le jour. En dépit de ses antécédents familiaux, la petite Edda n’hérita ni de la robustesse proverbiale de la fibre hollandaise ni de la personnalité désinvolte et pleine d’assurance qui dérivait de son haut lignage.

La vie d’Audrey devait ensuite être profondément influencée par les conséquences d’une enfance et d’une adolescence vécues dans un mélange contrasté de privilèges et de privations. On lui inculqua les bonnes manières, la culture, la discipline et l’histoire de la famille van Heemstra (dont les portraits ornaient, outre les musées et les galeries du pays, les murs des demeures raffinées). Son enfance se déroula dans un monde idyllique, elle n’avait aucun désir à exprimer qui ne fût déjà satisfait. Elle s’entendait à merveille avec ses deux demifrères. En leur compagnie, elle mettait sa timidité de côté et devenait un véritable garçon manqué. Elle était très attachée à sa mère, à tel point qu’elle déclara un jour que l’influence la plus forte qu’elle ait subie lui venait justement d’elle.


Elles conservèrent des liens très étroits jusqu’à la mort d’Ella, en 1984. Si la baronne possédait un grand pouvoir de séduction, elle avait également une volonté de fer. Elle fut toujours le défenseur le plus acharné des intérêts de sa fille, et son désaccord quant à certains choix de celle-ci surtout à propos des hommes de sa vie, fut la cause de périodes de rupture entre elles.

Dès sa plus tendre enfance, Audrey manifesta un grand amour pour les animaux et, d’une manière générale, pour la campagne toute entière. Quand elle ne jouait pas avec ses demi-frères, elle devenait une enfant solitaire qui, à la compagnie d’autres enfants, préférait s’amuser avec des chatons, des lapins ou des chiots. So-

Dans les dernières années de sa vie, Audrey, qu’une incessante quête d’amour et d’affection avait habitée, évoquait sa mère dans une interview du professeur Richard Bown pour la télévision : « C’est vrai, j’ai eu une mère extraordinaire. Mais elle n’a jamais été affectueuse, dans le sens que j’attribue à ce mot aujourd’hui. L’affection ! J’ai passé des années à la chercher… et je l’ai trouvée. Certes, elle a été une mère fabuleuse, mais elle appartenait à une autre époque – elle était née en 1900 – une époque encore sous l’influence de la reine Victoria, une époque imprégnée d’un profond sens de la discipline et d’une grande rigueur morale. Il y avait beaucoup d’amour en elle et pas la moindre capacité de l’exprimer. Elle était vraiment sévère. » À l’époque de la jeunesse d’Ella, son père partageait la traditionnelle opinion du milieu où il évoluait, selon laquelle il était absolument inconcevable qu’une jeune fille de bonne famille fréquentât le monde du théâtre, que l’on estimait fort peu digne de considération. La baronne cependant, dont la mentalité était assez indépendante pour se démarquer de l’opinion commune, ne fut pas longue à s’éloigner de celle-ci. En dépit du mode autoritaire selon lequel elle interprétait son rôle de mère, elle favorisa dès le début la passion de sa fille pour la musique et la danse et encouragea ses ultérieures ambitions artistiques.

Audrey enfant. Pas de signe de la beauté fascinante qui doit encore se manifester.

la la culture, , s e r iè n a stra (dont onnes m m b e s e H le n a a u v lq On lui incu histoire de la famille es et les galeries du t l’ sé discipline e rnaient, outre les mu s). Son enfance se ée so les portrait s des demeures raffin n’avait aucun désir ur elle pays, les m un monde idyllique, . ns déroula da i ne fût déjà satisfait qu à exprimer

litaire, hypersensible, elle réagissait assez mal aux tensions et aux infortunes, bien qu’elle sût également se montrer joyeuse et malicieuse et faire preuve d’un irrésistible sens de l’humour. C’était une rêveuse dotée d’une grande sensibilité musicale et qui aimait s’habiller avec les vêtements de sa mère. Dès qu’elle sut lire, elle se mit à dévorer d’impressionnantes quantités de livres, très influencée en cela par son demifrère Ian. Cet enthousiasme partagé pour la lecture est l’un des quelques souvenirs personnels qu’Audrey évoqua en détails des années plus tard au cours d’une interview de l’Evening News de

Londres : « Ian était un véritable rat de bibliothèque, et quand nous étions enfants, il adorait Kipling. Je l’admirais tellement que je me suis mise à lire tous les livres de Kipling rien que pour lui ressembler… et le résultat fut que, à 13 ans, j’avais déjà lu tout Edgar Wallace et tout E. Phllipps Oppenheimer. Ça oui, c’étaient des romans d’aventure ; et la fascination qu’ils exerçaient sur moi était bien supérieure a celle qu’opéraient des livres comme par exemple Topsy va a` l’e´cole. Le grand intérêt que la petite Audrey vouait à la littérature allié à son refus de jouer à la poupée – elle les trouvait stupides – sont des indications précoces des paradoxes qui, dans un avenir encore indéfini, allaient caractériser sa personnalité et l’image qu’elle donnerait d’elle-même. La petite fille qui délestait les poupées allait apprendre à aimer les enfants, puis à éduquer les siens ; son enthousiasme pour les récits d’aventures et les romans policiers allait, sans rien perdre de sa force ni de sa profondeur, se tourner vers le monde merveilleux des fées, de la magie. Audrey Hepburn déclarait, dans l’interview mentionnée plus haut : « S’il me fallait souligner un aspect particulièrement important commun à tous les spectacles, j’évoquerais sans doute l’élément fantastique. Les gens vont au théâtre et au cinéma simplement parce qu’ils appartiennent à l’univers du fantastique – parce qu’ils ont le sentiment d’assister à quelque chose d’irréel. À mon avis, le fantastique est l’essence même du spectacle. » La prime enfance d’Audrey se déroula sous les heureux auspices et dans l’aisance confortable d’un milieu particulièrement protégé ; ce fut une période privilégiée de jeux en plein air dans un cadre naturel à la splendeur inégalée, sous l’œil attentif et la tendre sollicitude d’une armée de nourrices, gouvernantes et précepteurs aux soins dévoués. Le temps s’écoulait entre les demeures estivales que la famille possédait en Hollande et en Belgique, et les hivers en Angleterre dès qu’Audrey eut atteint quatre ans. Cependant, une ombre commençait à se préciser et à altérer l’harmonie de ce cadre parfait : une mésentente incessante et des tensions de plus en plus fréquentes minaient la vie conjugale de ses parents. Il sem-

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blerait, aux dires de tous, que la cause principale des différends qui opposaient les Hepburn-Ruston résidât dans la manière dont le mari administrait le patrimoine familial et les affaires financières de sa femme. Les disputes et divergences d’opinion finirent, avec le temps, par dégénérer en un véritable conflit ouvert entre les deux époux, qui pesait lourdement sur l’atmosphère de la maison et troublait profondément l’hypersensible Audrey. Pendant les absences de son père, que ses affaires appelaient souvent à l’étranger, on la voyait, dans la mesure où le lui permettaient sa timidité et son tempérament mélancolique, manifester une certaine joie de vivre que venait perturber le retour de son géniteur. Elle se retirait alors dans sa coquille et allait se réfugier dans la campagne environnante où elle s’abandonnait au plus classique de tous les syndromes d’angoisses, la boulimie. Sa préférence allait aux chocolats et pendant une certaine période, elle devint une petite fille potelée aux joues bien rondes, en dépit de la légendaire minceur qui l’accompagna presque toute sa vie. En 1935, alors qu’elle avait à peine atteint ses 6 ans, son père quitta la maison sans préavis et sans explication, pour n’y plus jamais revenir. Il alla s’établir à Londres. Il fréquentait les clubs privés où se retrouvait la haute société et où il côtoyait des personnages comme Sir Oswald et Lady Diana Mosley, ainsi que Unity Mitford, qui était alors la petite amie de Hitler. Il approfondit et resserra ses liens avec ces relations et devint un fervent supporter du mouvement fasciste de Mosley, allant même jusqu’à défiler avec les Chemises Noires anglaises. Le point de vue de sa fille sur ces événements n’a jamais été rendu public. Il semblerait qu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale HepburnRuston vivait en Irlande. On ne sait si Audrey a revu ou non son père après le début du conflit ; les informations recueillies à ce propos se contredisent toutes. Toujours est-il que quand le divorce des parents d’Audrey fut prononcé (bien après le départ de Hepburn-Ruston) et contrairement à toute attente, celui-ci insista pour obtenir un droit de visites régulières à sa fille. Il l’obtint, et ceci eut pour conséquence l’inscription d’Au-

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drey dans un collège pour filles sélects des environs de Londres ; Audrey qui n’avait pas encore 10 ans, avec sa timidité, son tempérament inquiet, son attitude critique envers son apparence (dont elle était parfaitement consciente) et sa personnalité si peu préparée aux rigueurs de l’éducation anglo-saxonne dut pourtant s’y adapter. La ferme détermination à envisager les événements sous un aspect positif, même quand ils sont négatifs, qui a toujours caractérisé ses déclarations publiques, la poussera à confier, des années plus tard que cette expérience l’avait « terrorisée » mais qu’« elle y avait gagné une salutaire leçon d’indépendance ». Et en effet, son séjour relativement bref au collège eut une profonde influence sur son avenir. Les sévères exigences de la discipline du collège alliées aux contraintes de la vie communautaire et académique auraient pu traumatiser une enfant aussi sensible que l’était Audrey. Elle était par ailleurs de santé délicate ; c’est justement là qu’elle commença à souffrir des fortes migraines qui l’affligèrent toute sa vie. Ses problèmes d’adaptation furent bientôt compensés par le plaisir qu’elle prenait aux leçons de danse qu’elle débuta au collège. Quand la baronne van Heemstra vint rendre visite à sa fille à la fin du premier semestre, elle se trouva en présence d’une Audrey inconnue : pleine de vie, enthousiaste et éprise de danse. À partir de ce moment, la danse devint sa grande passion, Anna Pavlova son héroïne et la célébrité son plus cher désir. Londres lui entrouvrit d’autres horizons. Elle visita les monuments les plus importants, comme par exemple la Tour, où plusieurs reines avaient été enfermées toute leur vie durant ; elle se rendit à la National Gallery et devint une visiteuse assidue du zoo de Regent’s Park (sa mère louait un appartement dans les environs), alla admirer le musée de cire de Madame Tussaud et se prêta avec enthousiasme aux préparatifs typiquement anglais qui accompagnent la représentation du mystère de Noël. La vie d’Audrey semblait ainsi tracée pour de nombreuses années encore quand, le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne déclara la guerre à l’Allemagne d’Adolf Hitler. La baronne van Heemstra, dans la crainte de l’in-

vasion de l’Angleterre, exigea le retour immédiat de sa fille en Hollande où elle pensait qu’elle serait plus en sécurité. Elles s’installèrent à Arnhem, une petite ville à proximité de la frontière allemande qui allait bientôt connaître les plus graves conséquences de l’occupation nazie. Les malheureux effets de cette décision intempestive ne se firent pas sentir jusqu’au printemps suivant. En septembre 1939, Arnhem était en effet un bourg médiéval à l’architecture raffinée, plein des vestiges d’un riche passé historique, entouré de forêts profondes et de collines aux courbes harmonieuses, un paysage très différent de celui, plat et monotone, que la Hollande offre habituellement. Outre des musées, des galeries d’art et des abbayes séculaires, on y trouvait de nombreux parcs que la belle saison recouvrait d’un tapis de tulipes aux couleurs vives. Il y avait même un orchestre symphonique municipal, et puis le pont, bien sûr, le pont appelé à devenir tristement célèbre pour la sanglante défaite que les alliés y subiraient cinq ans plus tard. Arnhem comptait également une nombreuse communauté anglaise. Un grand nombre de familles britanniques s’y étaient installées au cours du XVIIe siècle, et c’est là qu’était mort le célèbre poète et condottiere anglais, Sir Philip Sidney. La baronne van Heemstra devint présidente de la section locale de la British-Netherlands Society. Pendant la guerre, cette association deviendra le théâtre de la résistance, à laquelle la baronne apportera une large contribution personnelle. Quand Audrey rejoignit sa mère et ses frères à Arnhem, elle se retrouva dans un magnifique domaine que la famille possédait aux environs de la petite ville. On inscrivit Audrey à l’école publique d’Arnhem pour qu’elle puisse poursuivre ses études, ce qui était tout à fait naturel pour une petite fille de 10 ans, mais qui lui créa de grandes difficultés, du moins tout le temps qu’elle ne fut pas en mesure de s’exprimer correctement en hollandais. Audrey Hepburn évoque ainsi ses premiers jours d’école : « J’étais assise à ma place, complètement perdue. Pendant un certain temps, je rentrai tous les jours en larmes à la maison. Mais je savais qu’il fallait absolument que j’y arrive. Je n’avais


Maman Ella avec la petite Audrey.

qu’à apprendre la langue le plus vite possible. Et je finis par l’apprendre. » À la grande joie d’Audrey, sa mère s’arrangea pour qu’elle continue à prendre des cours de danse au Conservatoire de Musique et de Danse d’Arnhem. Bien que le niveau des leçons ne fût pas des meilleurs, celles-ci lui permirent tout de même d’apprendre correctement les positions de la danse classique, de renforcer sa colonne vertébrale et de se débarrasser de la rigidité de ses mouvements, qui aurait pu constituer un obstacle de taille pour une future danseuse. Elle avait les pieds et les chevilles plutôt délicats, mais à force de ténacité et de persévérance, elle réussit à les renforcer suffisamment pour pouvoir danser sur les pointes. Les premiers mois du printemps de l’année

1940 virent s’amasser dans le ciel de Hollande les nuages lourds de menaces de la guerre qui pénétrait à l’intérieur du pays. On voyait défiler des soldats en uniforme dans les rues, des chevaux de frise recouverts de fil barbelé étaient éparpillés par toute la campagne hollandaise (on en apercevait depuis les fenêtres

de la demeure des van Heemstra) et le vacarme de l’artillerie le long de la frontière brisait le silence de la campagne à intervalles réguliers. Ce printemps-là, malgré le péril imminent, le Sadler’s Wells Ballet qui poursuivait sa tournée en Hollande arriva un soir à Arn-

il i talent S . y e r d ’Au talent d nt, je pourrais e l s n a u nd me e en rie mérite. Autre ’un ciel bleu o r t n e ’ n d le « Je ieu en a même manière cademy. » D l u e s RA y a, llir de la és à la Royal A VAN HEEMST i e u g r o v E er m’en BARONN ux cons a e l b a t des

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hem, où il devait se produire. La courageuse compagnie, sous la direction de la célèbre chorégraphe et professeur de danse Ninette de Valois (nommée ensuite Dame de l’Empire britannique) et du chef d’orchestre Constant Lambert, comprenait Margot Fonteyn, Robert Helpmann et Frederick Ashton comme premiers danseurs. Leur répertoire présentait entre autres The Rake’s Progrus, La Façade de Walton et Les Patineurs. Cette représentation fut sans aucun doute l’événement le plus extraordinaire qu’ait vécu la toute jeune Audrey jusqu’alors ; le caractère exceptionnel de cette soirée fut encore accru par le fait que sa mère, en tant que présidente de la British-Netherlands Society, fit office de marraine à ce mémorable spectacle, et dut donc présenter la troupe au public. Il y a à ce propos une anecdote particulièrement évocatrice de l’atmosphère que l’on respirait ce soirlà pendant ce spectacle hors du commun. Debout devant le lourd rideau baissé, la baronne van Heemstra présenta donc au public la troupe qui allait danser devant ses yeux. Alors qu’on entendait au loin résonner le tonnerre de l’artillerie en action, apparemment ignorante du danger imminent qui commen-

çait à oppresser la salle, elle se lança dans une introduction aussi longue qu’ennuyeuse. En plus des remerciements et hommages de rigueur en pareille circonstance, elle contraignit les danseurs dont les nerfs étaient tendus comme les cordes des violons de l’orchestre à écouter un interminable historique du Sadler’s Wells Ballet, ne leur faisant grâce d’aucun détail. Quand, enfin, elle eut terminé son discours de bienvenue, elle annonça qu’un dîner les attendait à la sortie du spectacle et invita toute la troupe à y prendre part ; Audrey fut également de la partie et put ainsi faire la connaissance de ses idoles et leur offrir de magnifiques bouquets de fleurs. Dès qu’ils purent s’esquiver sans paraître impolis, les danseurs se précipitèrent dans leur autocar en direction de la côte ; il leur restait à accomplir un dangereux voyage de retour. Ils durent ainsi abandonner et sacrifier tous les décors, costumes, et divers objets dont ils se servaient sur scène à la fuite désespérée devant l’imminente invasion de la Hollande. L’étrange comportement de la baronne van Heemstra à cette occasion n’était pas sans une explication fondée ; en effet, elle avait parfaitement conscience de la présence, dis-

e certaine n u t n a d n e p et ux chocolats telée aux joues bien a it a ll a e c n Sa préfére tite fille po e p e n u t in v de minceur qui e ir a d période, elle n e g lé épit de la vie. rondes, en d que toute sa s re p a n g a p l’accom

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séminée dans le public, de sympathisants nazis, en conséquence de quoi elle avait décidé d’adopter une attitude volontairement non provocante à l’égard des Allemands, donnant au contraire l’impression qu’elle se souciait peu de la sécurité de ses visiteurs anglais, C’était le premier acte d’une vaste mise en scène que la baronne interprétera durant toute la guerre, qui avait le rôle de laisser supposer de manière à la fois subtile et explicite que les antiques liens entre sa famille et le dernier empereur impliquaient de sa part une position favorable à l’égard de la cause allemande. Parfaitement consciente de la présence de sang juif dans ses veines, elle ne pouvait se permettre le luxe de s’opposer ouvertement à l’ennemi. Le 10 mai 1940, après une longue nuit entrecoupée d’alarmes aériennes, de rugissements de sirènes et hantée par le vacarme des armes à feu, les Allemands franchirent le Rhin et envahirent la Hollande, tandis qu’un renfort nazi parachuté noircissait le ciel du pays des moulins et des tulipes. Le 15 mai, les Hollandais furent contraints à capituler. Arnhem et toute la Hollande se trouvaient à présent dans les mains des forces armées d’occupation du Troisième Reich.


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