Jacques Wener au bar Hemingway

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Au bar Hemingway avec Jacques Weber


 Colin Field

P

our la première fois Jacques Weber découvre le bar caché au bout de la grande galerie du Ritz : « Il est extraordinaire ce bar, prendre ici un grand whisky d'âge avec un bouquin, c'est génial ! ». Colin Field acquiesce :

« Le Times a écrit il y a quelques années que c'était le secret le mieux gardé de Paris. Chaque élément ici à une histoire, rien n'est dû au hasard, le fusil au-des-

sus du bar date de 1946, une crosse anglaise qu'Hemingway affectionnait particulièrement ». On ne s'ennuie jamais avec Colin Field, ses histoires fantastiques, sa culture et son humour en font un bartender de très grande classe. « C'est le Flaubert des barmans » dira Jacques Weber qui joue dans quelques heures au théâtre Antoine. Il incarne le fameux César, patron de bar, ça tombe bien car ils nous faut déguster tout de même une quinzaine de whiskies. Un livre à la main, la force tranquille, confortablement installé dans les sièges en cuir du bar Hemingway, nous parlons un peu avec lui de littérature, d'amour et de whiskies, bref des plaisirs de la vie...

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Entretien avec Jacques Weber RÉCEMMENT VOUS AVEZ INCARNÉ GUSTAVE FLAUBERT À LA GAÎTÉ MONTPARNASSE : QU'EST-CE QUE VOUS PENSEZ DE LA CÉLÈBRE PHRASE DE D'ÉCRIVAIN : MME BOVARY C'EST MOI ?

« La Bovary c'est moi », au fond ça veut dire quoi ? C'est un homme qui tempêtera toute sa vie contre sa propre émotivité, l'émotivité n'étant pas loin du sentimentalisme, du moi exacerbé, on tombe dans le romantisme. Ce qui semble être pour Flaubert le courant le plus dangereux pour l'humain. Pour lui le romantisme est un leurre absolu. Et il en sait quelque chose car il a une profonde tendance romantique : le sur émotif, le sur-amoureux, celui que l'on trouve dans l'éducation sentimentale. Ce qui fait le talent c'est souvent la faille, la brutalité d'une opposition que l'on n'arrive pas à résoudre... VOUS ÊTES À L'AFFICHE DE CÉSAR, FANNY ET MARIUS, EST-CE QU'IL Y A UNE APPRÉHENSION LORSQUE L'ON REPREND LE RÔLE DE CÉSAR INCARNÉ BRILLAMMENT PAR RAIMU ?

Oui forcément, ça vous passe par la tête, Raimu était considéré par Orson Welles ou Marlon Brando comme le plus grand acteur du monde. Il n'y a pas de compétition, ce n'est plus la même époque, le Marseille d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec ce qu'il était avant guerre. Lorsqu'on reprend un rôle, on est comme un peintre devant une toile blanche, à ceci près qu'il y a une partition, entre les phrases, derrière les mots, il y a des milliers d'histoires possibles. Aujourd'hui la pièce prend un tout autre sens : qu'est-ce que le grand large maintenant ? Est-ce l'avenir, l'espoir ou le désespoir ? Ce bar... est-ce un endroit de bonheur confiné ou un îlot désespéré pour briser la solitude ? Car n'oublions pas, ils sont

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tous veufs et seuls. Les amours se conjuguent en cachette, à l'arrière et si vous opposez le bar de Marseille au grand large, vous retrouvez ce mouvement perpétuel, cette opposition entre la sédentarité et le nomadisme. Ce sont les grandes histoires des petites vies, je crois que Pagnol c'est aussi grand que Tchekhov ! Pour reprendre la phrase géniale de Léo Ferré ce sont : « Les mots des pauvres gens ». Ce qui est extraordinaire c'est cette acuité qu'a Pagnol : lorsqu'un enfant quitte son père, et partir en mer à l'époque, c'était partir pour des années. Le fils dit « je t'aime papa » et le père répond moi aussi « je t'aime bien et il baille... » Au moment où l'un des plus grand drame se noue entre deux individus, un autre drame se joue, car on est épuisé par le travail au moment même de l'émotion, du sentiment. Parfois le drame, c'est de ne pas avoir le temps d'écouter son cœur battre. COMMENT AVEZ-VOUS FAIT POUR PRENDRE L'ACCENT MÉRIDIONAL ?

Il n'y a pas vraiment besoin de le prendre, il suffit de se laisser guider par la musique. Quant un type dit : « Tu es le portrait de ton oncle Émile, celui-là ne passait jamais le soleil parce que ça le fatiguait de trainer son ombre » Il n'y a pas à forcer, ça vient tout seul. CE N'EST PAS L'ACCENT DE GÉRARD LANVIN DANS MESRINE ?

Ça je ne ferai pas commentaire. C'est un bon acteur mais il se prend un peu au sérieux dans le genre je suis un mec, un vrai, c'est pas Lino Ventura ! Vincent Cassel est un grand acteur. Et quand on voit Depardieu dans Mesrine en dix minutes il règle le compte à tout le monde. DANS LE BAL DES ACTRICES DE MAÏWENN, ON VOUS VOIT PIQUER UNE GROSSE COLÈRE CONTRE MURIEL ROBIN, VOUS ÊTES COMME ÇA DANS LA VIE ?

Non je suis tout le contraire, d'ailleurs ça fait rigoler tous les gens que j'ai mis en scène. AVANT D'ENTRER EN SCÈNE, EST-CE QU'IL VOUS ARRIVE DE BOIRE UN VERRE POUR L'IMPULSION ?

Très honnêtement, j'adore le Caol Ila, mon whisky préféré, ce qui est formidable c'est d'en prendre un de puissance moyenne, 44 ou 45° avant de jouer, en petite quantité, par ce que ça durcit les cordes vocales, ça donne du timbre.


VOUS SOUVENEZ-VOUS DE VOTRE PLUS BELLE DÉGUSTATION DE WHISKY ?

Oui, c'était à Lyon dans le restaurant de l'hôtel de la Tour Rose, c'est une des plus belles Maisons que j'ai vu de ma vie, dans la salle du bar, la cheminée du XVIIIème a été creusée à l'endroit même où s'appuyait la scène de Molière lorsqu'il a créé « l'Etourdi ». C'était pour moi une vraie découverte du whisky, Philippe Chavent, un homme extraordinaire, l'ancien propriétaire a fait mon apprentissage. Mais je ne suis pas un spécialiste, au final je me fis très simplement à mon plaisir.

EN PARLANT DE BOUTEILLE, CONNAISSIEZ-VOUS LA CITATION TRÈS MISOGYNE DE FLAUBERT : « UNE BOUTEILLE, VOILÀ UNE DISTRACTION BIEN SUPÉRIEURE À LA FEMME. LA BOUTEILLE VIDE, C'EST FINI. ELLE NE VOUS DEMANDE NI VISITE NI SOUVENIR LA BOUTEILLE. ELLE NE VOUS DEMANDE NI RECONNAISSANCE, NI AMOUR NI MÊME DE POLITESSE... »

Ça correspond à cette phrase de Flaubert : « L'amour n'est pas la première chose de la vie mais la seconde, c'est un lit où l'on met son cœur pour le détendre... »

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SCAPA « ORCKADIAN » whisky 16 years old 40 ° Aspect miel d’Acacia Miel gingembre et poivre au premier palais Finition orange et gingembre Prix de vente conseillé : 57 Euros

LONGROW 10 ans 55.6° cambletown Springbank distilleri Brillant, distillé en Février 1995 et mise en bouteille en 2005. Fantastique ! Pour les aficionados qui comprennent la manière dont un grand whisky communique avec nous les mortels. Le nez est fermé au début. Il faut lui donner au moins 5 minutes pour s’ouvrir. Alors vient l’odeur de l’orge malté. Vous vous trouvez sur un « malting floor », vous sentez le fût, l’endroit de la distillation. Vous sentez la brume et le froid dehors , le whisky vous parle de son vieillissement, bien sûr si vous êtes

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de ceux qui comprennent sa manière de vous parler… Un whisky pour les hommes égoïstes. Prix de vente conseillé : de 70 à 80 Euros

souhaite pas vraiment entrer. Prix de vente conseillé : 72 Euros

HEDONISME, whisky de grain 43° Compass Box.

Oh Brillant ! Quel bonheur! C’est un whisky de Noël. On sent une touche de « cream sherry ». Je sens le pudding de Noël en Angleterre avec le beurre de cognac qui se fonde sur le pudding chaud. Le Oloroso sherry commence à envahir le palais et je me rends compte que je suis en présence d’un whisky très féminin. Non seulement un whisky que les femmes peuvent apprécier... Certains whiskies sont puissants, poivrés avec un arrière-goût de popcorn salé et bien chauffé, comme au cinema. Un haleine qui, pour le moins, n’est pas très sexy. Sachez que si vous embrassez une dame après avoir gouté ce whisky, elle voudra vous embrasser une deuxième fois. Après

Je ne suis pas emballé. J’attendais plus de puissance, plus de complexité dans le nez. Je me souviens d’une bouteille d’Hedonisme , au début des années 2000, qui me semblait avoir plus de caractère. Je sens bien que je ne rends pas justice à ce Whisky qui est fait avec passion et amour. Je decide donc de revenir vers lui le lendemain. J’avoue que je perçois un souvenir de polenta et vaguement du popcorn, très légèrement salé. Je sens très gentiment au nez une touche de bruyère, de citron ou de peau de citron. Un whisky au goût très réservé. Un peu comme un étranger qui frapperait gentiment à la porte de chez vous, mais ne

A’BUNADH non chill filtered batch 24.SINGLE Speyside malt. Ask 60.2°abv


les notes de chrismas pudding et de crème vanille viennent des arômes de chocolat et d’épices. Vous sentirez les raisins séchés sur paille qui évoque le souvenir d’un grand sauternes. Une finale sur le raisin et le chocolat avec des notes de rhum à la vanille avec la peau d’orange enrobé de chocolat noir. Prix de vente conseillé : 49 Euros

LEDAIG, Ile of Mull Tobermory distillerie 10 year old 43° On sent bien la tourbe, l’iode, « seaweed ». On pourrait facilement être ici sur un whisky d’Islay comme Port Ellen ou Caol Ila. Un whisky qui est très phénolique qui vous donne envie de conserver le whisky sur le palais. Très médicinal et d’ailleurs c’est ce gout qui reste sur la finale. Un whisky de gentleman qui se mérite. On ne peut pas approcher un tel whisky avant d’avoir d’abord expérimenté les whiskies du Speyside…

Prix de vente conseillé : 37à 40 Euros

GLENMORANGIE Signet Highland malt 46°

TALISKER 57 NORD.

…avec une présentation hors norme. La bouteille est de toute beauté et le diagramme celte en or ne fait qu’embellir le flacon lourd et d’une classe indéniable. Qui a dit déjà : « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse », Alfred de Musset, et bien il avait bien tort ! Le voyage commence à la vue de la bouteille, plutôt une carafe, même le bouchon est bien lourd. Avant même de déguster, on sait déjà que le trajet va se faire dans un coupé Bentley .Aspect bien orang,e miel avec des notes de Xérès amontillado, fleur d’orange. On sens la bruyère des Highlands, on peut presque voir les chiens qui font lever le « grouse », vous êtes transportés immédiatement. Des notes de gingembre arrivent sur le palais, de noisette, de pêche, poire et abricot. Un bouquet d’arômes d’un grand raffinement, d’une grande éloquence. Je

Attaque en bouche puissante pour ce whisky de fort caractère. La Premier impression est très agressive sur la langue, la deuxième révèle un goût de tourbe et de sel, un gout de varech, hareng fumé flotte sur la langue. Le whisky se révèle de plus en plus intéressant. Ce whisky aussi reste fermé pendant un moment avant de commencer à communiquer avec le « taster ». Des arômes de miel, de citron percent. Un goût d’iode commence à envahir le palais avec des notes de cire d’abeille et de noisettes, chocolat et l’orange comme un petit soldat qui perce la brume et vient se présenter a vous. Quel magnifique travaille, je suis franchement ravi d’avoir eu l’occasion de découvrir ce whisky d’initiés. Prix de vente conseillé : 67 Euros

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respire et je respire, quelle richesse ! Et jamais les vapeurs ne brûlent mon nez. Je détecte du Marzipan de Lubeck qui quoique souvent présent en bouche l’est que rarement au nez, mais là, on sens vraiment ce bouquet d’almonde sucré. Discret et subtile mais attention. Je pense a Beau Brummel qui en Angleterre avait entendu qu’un monsieur etais si bien habillé que tout le monde s’en était aperçu. Brummel répondra : « Si le monsieur avait été vraiment si bien habillé, personne se s’en serait aperçu !! » Ce whisky arrive sur la langue comme une couverture de soie puis glisse le long de la langue avant de descendre dans la gorge toute en subtilité, vous ne sentez aucune agressivité sur l’arrière-gorge, juste des notes de miel, de mirabelles, de prunes et de thé Earl Grey au citron qui s’évanouissent avec une légère retro-olfaction. Prix de vente conseillé : 148 Euros

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ARRAN MALT 10 ans 46 ° Belle bouteille le whisky possède une jolie robe jaune. Non chill filtered. Nez très almonde, notes de miel, de citron, gingembre et orange, ou plutôt huile d’orange. Je ne connaissais pas vraiment ce whisky de miel et orange. Lemoncello, je sens cette liqueur de citron qui vient d’Italie et maintenant au nez, je suis dans la pamplemousse. Au gout la pamplemousse et almonde reste très présent avec un léger goût de Manzanilla d’Espagne. Un whisky doté d’une belle complexité. Une certaine fraîcheur, très plaisante, malgré ces dix ans pzassés en fûts. Sur certains whiskies, parfois je visualise la brume d’écosse, ici c’est plutôt le soleil. Prix de vente conseillé : 38 Euros

LOCH RANZA J’ai voulu qu’un blended fasse partie de notre tasting mais je suis au regret de constater que là c’était une erreur.

Le whisky me semble pale et court en bouche. Sûrement trop gâté avec les autres whiskies que j’ai gouté. La bouteille est bien faite avec cette petite touche, à mon avis, des années 50. On voit ce château d’écosse près de la mer, c’est bien fait. 40° normal pour un blended. De la légèreté sur la langue, un whisky avec une touche de vanille et peut être du citron. Il manque quelque chose, de la maturité par exemple et plus de caractère. J’aurais voulu sentir ce petit coté « famous grouse ». Mais hélas ! Prix de vente conseillé : 17,50 Euros

DALMORE Un grand whisky. Un whisky exotique. J’aime la bouteille avec le cerf que je rêve de chasser avec ces 14 corrs. D’ailleurs il y a un trophée au bar Hemingway juste au dessous de ma tête !! Le nez est chocolat même cacao brun de chez Marie Brizard. Je sens le « toffee pudding » de mon enfance


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